Introduction de la partie 1
p. 33-37
Texte intégral
1Le territoire, notion très largement utilisée, constitue un concept relativement imprécis, façonné davantage par la culture que par la nature. P. Alliés le considère d’ailleurs comme « l’expression juridique d’une donnée faussement naturelle » (Alliès, 1980). Il faut entendre par là que le principe territorial ne s’impose pas comme seul modèle possible, alors même que les juristes ne se posent pas la question de sa définition, tant celle-ci leur paraît naturelle. Autrement dit, pour ces derniers, le territoire est intimement lié à la définition de l’Etat. « Peu importe qu’il soit alors l’une des conditions de son existence ; a posteriori, il devient l’un de ses attributs »1. A ce titre, il participait autrefois du patrimoine du Prince (Barberis, 1999)2.
2Ainsi, le territoire devient une institution juridique, construite sur la base d’un substrat terrestre, mais qui le dépasse largement (territoire aérien, maritime etc.). Et c’est parce qu’il n’est qu’une construction juridique, que du point de vue du droit, la consistance du territoire n’a pas à satisfaire aux contraintes topographiques ou simplement à traduire la réalité géographique. Pourtant, le territoire renvoie à bien autre chose qu’à un périmètre ou à une portion de terre modelée par l’histoire, dont on ne saurait sous-estimer l’importance dans le contexte français où les affrontements dont il a été l’enjeu sont au cœur de la constitution et de l’affirmation de la royauté, puis du développement de la nation républicaine. Comme l’énonce dans cet ouvrage3 Lionel Charles, le territoire est devenu, « l’objet d’enjeux qui se sont largement diversifiés, dont le soubassement reste cependant fondamentalement politique » et dont la géométrie est éminemment variable.
3 Progressivement le territoire devient un espace de gestion des problèmes publics. Il se pose la question des territoires dits pertinents, c’est-à-dire adaptés au problème auquel est confrontée la collectivité. Autrement dit, comme P. Duran (1999) l’énonce : « Si les problèmes qui se posent à la collectivité sont à géométrie variable, faut-il que les institutions chargées de leur traitement le soient aussi ? » (p. 45). A partir de là, quel est l’échelon pertinent de gouvernement et quelle est la meilleure adéquation entre territoire fonctionnel et territoire politique (espace d’action publique et territoire de représentation politique) ?
4L’environnement, relève davantage d’une investigation qui s’efforce d’appréhender à tous les niveaux le jeu des relations dont l’espace peut être le support. Autrement dit, ce qui est avant tout au cœur de l’appréhension environnementale, « c’est l’action humaine et ses implications à toutes les échelles, dans sa dimension non voulue, non désirée ni souhaitée » (Charles, 2007).
5Ces deux notions sont-elles alors transposables « dans le contexte contemporain d’extension sans précédent des mobilités sans autre précision sémantique » ? Pour les auteurs de cet ouvrage, la réponse est négative. En effet, l’environnement ne se laisse ni circonscrire à un quelconque périmètre ni réduire à une quelconque dimension, y compris territoriale, sans pour autant ignorer toute implication spatiale. Aussi, leurs contributions tendent à démontrer non seulement l’asymétrie du jeu entre territoire et environnement, le potentiel de remises en questions que représente l’environnement mais aussi la difficulté pour le territoire à apporter des réponses pertinentes au défi de l’environnement.
6 Mais l’environnement peut être également perçu comme objet de valorisation d’un territoire à l’instar de la région Nord-Pas de Calais.
7D’autant que « s’il est un territoire profondément marqué par la confrontation parfois brutale entre l’histoire économique et humaine de l’Europe, et les défis de pressions toujours plus fortes sur des ressources naturelles déjà bien fragilisées, c’est à l’évidence la région Nord-Pas de Calais si fortement anthropisée » (Brillet, 2006). Les effets des pressions exercées sur les milieux naturels et plus encore sur les lieux d’activité professionnelle ont été mesurés sur la santé des populations et représentent de nouvelles contraintes, puisque sont aujourd’hui altérées les ressources vitales comme l’eau, l’air, la fertilité des sols et les paysages. Cette longue histoire industrielle est marquée par de profondes restructurations et remises en question et a laissé sa trace dans les paysages et les sols de la région, mais aussi dans la gestion de l’eau et de la pollution atmosphérique. Devant ces défis, les territoires se mobilisent. Bien évidemment, l’action des territoires varie non seulement de la capacité des acteurs institutionnels à maîtriser les défis à travers leurs décisions d’investissements et leur capacité à innover, mais aussi en fonction du temps de l’appropriation sociale. D’autant qu’avec le "développement durable" et la référence aux "territoires" s'élabore une nouvelle culture, une nouvelle forme de rapport au monde, basée sur une posture d'acteur, sur des relations de partenariat entre les hommes et avec la nature. Si l’approche choisie n’est pas proprement comparative, car les territoires d’études sont différents, elle montre la place et les relations que l’eau, le sol et l’air ont essayé de tisser avec le développement territorial, mais aussi les continuités et les discontinuités dans leur mise en œuvre ainsi que les différents facteurs qui les expliquent. Les textes législatifs et/ou réglementaires peuvent dans certains domaines comme celui de l’eau constituer « une clef d’entrée pour l’étude et la compréhension des processus de développement territorial parce qu’ils entérinent parfois et institutionnalisent des pratiques en œuvre ou souhaitées, et contiennent en gestation les éléments qui préfigureront ou inspireront les futurs de gestion » (Ghiotti, 2007, 15). Autrement dit, il s’agit dans cette première partie d’analyser les jeux d’acteurs territorialisés liés à l’eau, à l’air, au sol et au développement territorial et les différents construits territoriaux issus de ces dynamiques. Chaque auteur situe son analyse par rapport à une échelle spatiale locale, nationale ou globale mais se place aussi sur une échelle diachronique.
8Aussi, les analyses diachroniques et synchroniques présentées dans cette partie participent à la formalisation des modalités de fonctionnement des entités territoriales dans les processus actuels de recompositions territoriales (eau et séquelles minières) ou à l’inverse visent à décrypter l’impossible territorialisation de l’air qui s’insère dans un processus tensionnel inhérent à cette ressource et correspond à une réalité « largement impensée et difficile à penser dans la mesure où elle est envisagée comme inappropriée et inappropriable et pour le caractère commun de laquelle il n’existe pas de statut » (Scarwell, Roussel, 2006). La gestion des questions environnementales évolue progressivement dans un cadre plus large. Ce changement d’échelle relativement récent se traduit par une prise de conscience de la globalité des problèmes et de l’interdépendance des écosystèmes (Beck, 2001). Comme pour les inondations du XIXe siècle, la protection locale n’a plus de sens, les pollutions ne connaissent pas les frontières.
9Trois chapitres composent cette première partie. Helga-Jane Scarwell montre dans le chapitre 1 comment la Région Nord-Pas de Calais est passée de l’eau gérée en termes de flux à une eau envisagée en tant que milieu et territoire (Hubert, 2001)4 ? En effet, la dégradation des eaux superficielles a favorisé la transformation progressive des fondements et des pratiques d’aménagement et de gestion5 de l’eau (gestion intégrée). C’est également par la mise en évidence de l'influence des représentations sur les logiques d'action que de nouveaux maillages territoriaux ont été mis en place. Autrement dit, à chaque époque, les représentations sociales, les savoirs scientifiques et techniques, la perception symbolique de l'eau propre à chaque acteur interviennent au moment de l'élaboration des instruments territoriaux de mise en œuvre des politiques de l'eau. L’étude proposée cherche à comprendre comment ces territoires qui ont été souvent "prescrits" se sont superposés et ont modifié ou fait disparaître les formes antérieures d'organisation territoriale de gestion collective de l'eau. Un second chapitre rédigé collectivement par Bertrand Zuindeau, Antoine Goxe et Bruno Villalba porte sur les séquelles environnementales importantes issues du développement industriel aux XIXe et XXe siècles dans le Bassin Minier du Nord-Pas de Calais qui constitue une entité territoriale dont l’unité morphologique et culturelle a été créée par le développement de l’industrie minière. En effet, de 1720 à 1990, l’exploitation du charbon a marqué l’ensemble de ce territoire. L’unité géologique et économique de l’exploitation minière recouvrait en fait des réalités géographiques assez diverses appartenant à la plaine de la Lys, aux collines de l’Artois, au plateau de l’Ostrevent, à la Pévèle, à la vallée de l’Escaut. Il s’agit d’ensembles paysagers et ruraux aussi différents que les réalités urbaines de Béthune, Douai, Valenciennes et de l’ensemble Lens-Liévin, seul grand pôle dont le développement est essentiellement minier. Pourtant, si l’activité minière a cessé, l’unité du bassin minier tient avant tout aujourd’hui à la communauté des problèmes liés au passé minier. Les différences de positionnement géographique, l’empreinte plus ou moins profonde de l’exploitation minière, la nature des politiques de développement dans chacun des territoires sembleraient ne pas remettre en cause la pertinence du bassin minier comme territoire de régulation des problèmes environnementaux et de projet. C’est pourquoi, l’étude présentée s’intéresse aux raisons du dynamisme ou aux raisons de ce sentiment d’appartenance, aux représentations et à ce qui caractérise ce territoire. Toutefois, cette pertinence territoriale historique du bassin minier n’est-elle pas en perte de vitesse ou ne risque-t-elle pas de gêner la superposition d’autres découpages plus pertinents comme de coopérations innovantes ?
10Enfin, dans un troisième chapitre, Isabelle Roussel et Lionel Charles s’intéressent à la question de la pollution atmosphérique. Par son passé industriel, la région Nord-Pas-de Calais connaît historiquement une importante « pollution atmosphérique » qui interroge les échelles de gestion, car l’air, accessible à tous les habitants de la planète, ne connaît aucune frontière. Dès lors, l’ambiguïté de la notion de territoire est naturellement plus forte pour l’air que pour l’eau ou le sol. Le territoire de l’air interroge des échelles qui dépassent largement une vision « localiste ». Les pollutions de l’atmosphère se déclinent du local au planétaire, depuis la pollution due à la fumée de cigarette dans une atmosphère confinée jusqu’à l’effet de serre. L’analyse de l’évolution de la gestion de cette ressource naturelle montre combien, au fil des ans, la vision sanitaire locale doit laisser une place importante à des phénomènes provenant d’une échelle supérieure qui, au sein d’une influence réciproque, fait évoluer le contexte local. Préfigure-t-elle un processus de différenciation territoriale ?
11Parce que la vie des hommes et leurs activités ne s’arrêtent pas aux lignes de crêtes, (Amzert 2000, p. 144) « prétendre apporter des solutions simples et intangibles, parce que naturelles, à des problèmes compliqués par la singularité des réalités socio-spatiales historiquement constituées, relève selon nous de l’aveuglement ». La première partie de cet ouvrage témoigne de la multiplicité des dynamiques sociales, de leur profondeur historique et de leurs modes d’inscription territoriale.
Notes de bas de page
1 Alland A. et Rials S. (dir) (2003) : Dictionnaire de la culture juridique
2 Barberis J. (1999) : Les liens juridiques entre l’Etat et son territoire : perspective
3 (chap. 3 partie 1)
4 Hubert G. (2001) : Aménagement et gestion locale des bassins hydrographiques, procédures de planification et processus de décision, HDR, Université de Tours.
5 Par ce terme, il faut entendre : « processus de décision et d’action s’inscrivant dans le temps et dans l’espace » (Hubert, 2001, page 6) ;
Auteur
Professeur des Universités à l’Université des Sciences et Technologies de Lille 1 (Laboratoire TVES).
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