Introduction
p. 21-30
Texte intégral
1 Environnement, Gouvernance, Territoire : aucun des trois mots-clés qui composent le titre de cet ouvrage n’accepte de définition simple et unique ; il n’est d’ailleurs pas sûr que deux années de travail collectif entre ses auteurs auront suffi à aboutir à un consensus parfait sur les différentes acceptions de ces termes1, sans pour autant empêcher la progression d’une réflexion pluridisciplinaire sur un espace géographique, la Région Nord-Pas-de-Calais, qui offre un "cocktail" spécifique de contraintes environnementales issues pour la plupart d’entre elles de son passé industriel.
2La question de l’Environnement, qui, au cours des vingt-cinq dernières années, a émergé au premier plan des préoccupations de nos sociétés, correspond à la superposition de problématiques très diverses. La préservation des espaces naturels, de la biodiversité ou plus simplement d’une certaine qualité paysagère, le changement climatique, l’épuisement des ressources énergétiques fossiles et la mobilisation des ressources renouvelables, les risques naturels et ceux qu’engendrent les multiples pollutions de l’air, de l’eau, et des sols, sont autant de thèmes, souvent interdépendants, qui sont regroupés sous le terme très général d’environnement ; parmi ces thèmes, la hiérarchie des importances et des urgences dépend des points de vue et des échelles auxquelles la question est abordée. Un des aspects les plus importants de l’évolution de la question de l’environnement pendant les années récentes est la prise de conscience des risques induits par le déploiement des technologies à l’échelle planétaire, reléguant au second plan la sauvegarde du patrimoine naturel, même si ces deux aspects ne peuvent être complètement disjoints. Cette prise de conscience est aujourd’hui le plus puissant moteur de la mobilisation des chercheurs, des pouvoirs, des acteurs et des citoyens en vue d’une réduction ou d’une prise en charge individuelle ou collective du risque, en particulier sous sa forme la plus difficilement acceptable, celle du risque sanitaire (Beck, 2001). Pour les Sciences de la Société, l’approche des questions environnementales est largement justifiée par la nécessité d’analyser les modalités de la prise en charge du risque environnemental.
3L’action collective en matière d’environnement est aujourd’hui très largement fondée sur le concept de Développement Durable, forgé au début des années quatre-vingt (rapport Bruntland) en vue d’une action volontariste à l’échelle mondiale et illustrée depuis par les résolutions des Sommets de Rio (1992), puis de Johannesbourg (2002). Les principes et les recommandations du Développement Durable, regroupées à l’issue du sommet de Rio sous le nom d’Agenda 21, se déclinent aujourd’hui à différents niveaux d’échelle, du planétaire au local. La Région Nord-Pas-de-Calais s’est ainsi engagée dans la définition d’Agendas 21 locaux et régionaux (Région Nord-Pas-de-Calais, 2003). Parmi les principes du développement durable figure en bonne place l’exigence d’outils et de méthodes favorisant la diffusion de l’information et la participation aux décisions de la « société civile », gage de démocratie mais aussi de rationalité économique et sociale des décisions. C’est cette exigence que recouvre le terme de Gouvernance. Dans le contexte français, plusieurs textes législatifs faisant explicitement référence au concept du développement durable sont apparus : la Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire (loi Voynet, 1999), la loi de simplification et de modernisation administrative (loi Chevènement, 1999) et la loi « Solidarité et Renouvellement Urbain » (loi Gayssot-Besson, 2000). Parmi les lois récentes à vocation précisément environnementale, la Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie de 1996, la Loi sur l’Eau de 1992 et la nouvelle loi sur l’Eau encore en préparation (2004) prévoient également l’information et la participation des citoyens aux décisions. Outre la référence au développement durable, ces lois présentent toutes la particularité de promouvoir une dynamique de projets s’enracinant dans les territoires. Le même souci est explicitement formulé dans les récentes directives-cadres de l’Union Européenne en matière environnementale, dont l’exemple le plus remarquable est la Directive-Cadre sur l’Eau (DCE) de 2000.
4Aux échelles régionale et locale qui nous intéressent plus particulièrement dans cet ouvrage, la Gouvernance ne saurait être seulement l’application, selon une approche descendante (top-down), de méthodes préconisées aux niveaux national, européen ou mondial. Certes, dans le contexte français caractérisé par une administration technicienne, puissante et centralisée, et un attachement très fort au découpage administratif et à la représentation politique qui lui est associée, l’idée de gouvernance ne va pas sans provoquer refus et résistances, et l’on a pu, de façon pessimiste, y voir une forme rénovée de la décentralisation des politiques publiques conduisant in fine à un renforcement du rôle de l’Etat (Beaucire, 2001). De façon plus optimiste, la gouvernance peut aussi être considérée comme un apprentissage institutionnel en évolution constante, devant conduire à l’émergence de procédures nouvelles de concertation et de médiation entre l’Etat et les collectivités territoriales, entre les institutions, le secteur privé et le secteur associatif (Blondiaux et al., 2000). Elle s’appuie sur l’émergence d’espaces publics locaux, propices à l’expression singulière d’agencements de rapports de forces inédits et structurés par l’histoire singulière des lieux et de leurs acteurs (Bastien et Neveu, 1999). Dans le champ spécifique qu’est l’environnement, la diversité des problèmes et des remèdes à y apporter, parfois leur méconnaissance, semble pouvoir conduire à une telle évolution ; il ne s’agit pas en effet d’appliquer des méthodes de gestion éprouvées, mais de répondre à des questions complexes et souvent controversées. Les directives environnementales nécessitent notamment, pour être appliquées efficacement, une acceptation, sinon une appropriation, par les citoyens (Lascoumes, 1994) : comment concevoir par exemple une préservation de la qualité de l’air sans une large concertation autour de la mobilité automobile ? L’émergence d’espaces publics locaux, selon des modalités spécifiques à chacun des thèmes environnementaux, est un facteur essentiel pour l’appropriation des questions environnementales et la construction du débat que requiert la gouvernance.
5Au-delà de la seule et indispensable évolution de la législation et des politiques publiques, le concept de gouvernance interroge donc aussi la « société civile » et la citoyenneté. La mise en œuvre d’une gestion participative des questions environnementales ne peut en effet prendre corps qu’à travers la capacité des citoyens à se mobiliser et à développer des savoirs locaux, face aux discours d’experts mandatés par la puissance publique (Fischer, 2002). Dans le contexte français, ce rôle est largement dévolu aux associations ; encore faut-il que celles-ci puissent dépasser la simple expression des intérêts particuliers, souvent stigmatisée à travers le terme de syndrome Nimby (Not In My Backyard), pour se porter au niveau de l’intérêt collectif, sans pour autant devenir le moyen d’expression de groupes spécialisés.
6Une des questions majeures que pose l’application des méthodes de la gouvernance des questions environnementales est celle du Territoire. Si, parmi les nombreuses définitions possibles du terme (Lévy et Lussault, 2003), nous définissons le territoire à la fois comme une partie de l’espace terrestre appropriée et organisée par la Société, prenant en compte les contraintes naturelles et la dimension historique, et comme le cadre strictement délimité de l’action des politiques publiques, la question qui se pose immédiatement est celle de l’identification et de la définition de cadres territoriaux spécifiques adaptés à l’appréhension, puis à la gestion spécifique des différentes questions environnementales. À titre d’exemple, il est ainsi admis depuis les années soixante (Loi sur l’Eau de 1964), que le bassin versant est le cadre le plus adapté à la gestion technique et financière de l’eau comme ressource et comme facteur de risque ; l’est-il pour autant pour l’application des procédures de concertation que requiert la gouvernance ? Et s’il l’est, comment la gouvernance de bassin versant interfère-t-elle avec les cadres administratifs traditionnels ou ceux qui tendent à émerger actuellement (les « pays ») ? « Espace à problème » où s’inscrivent les questions environnementales, le Territoire peut être aussi un objet d’histoire, dont l’ex-Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais marqué par des héritages environnementaux de l’exploitation charbonnière offre un exemple remarquable. Ce même territoire peut-il être un « territoire de projet », c’est à dire le cadre défini pour l’action, la gestion et la gouvernance de l’environnement ? L’appréhension et l’analyse du territoire sont aussi une question d’échelle. Comment les territoires locaux de la gouvernance environnementale s’articulent-ils avec des territoires d’échelle supérieure ? Existe-t-il un niveau d’échelle plus adapté à la gouvernance de chacune des questions environnementales ? La prise en compte des risques associés à la pollution atmosphérique pose de ce point de vue un problème redoutable : du panache toxique d’une usine d’incinération au changement climatique planétaire lié aux émissions de CO2, la qualité de l’air prend en compte tous les niveaux d’échelle sans pour autant imposer de cadres territoriaux définis, puisque par définition, la fluidité de l’atmosphère ne connaît aucune frontière.
7Les années récentes, celles de la prise de conscience du risque environnemental, ont été aussi celles de l’extraordinaire montée en puissance des Systèmes d’Information Géographique, qui facilitent la collecte, la représentation et la diffusion, sous forme numérique, d’une information de plus en plus diversifiée et complexifiée sur l’environnement. Les S.I.G. ont pris place dans la panoplie des outils d’une « ingénierie » environnementale, en complément de la mesure et de la modélisation. En facilitant la gestion des données et la représentation cartographique des risques et des enjeux des questions environnementales dans le cadre du territoire, les S.I.G. constituent souvent un outil commun aux experts, scientifiques et ingénieurs, et aux acteurs de la gouvernance de l’environnement ; les possibilités d’« interfaçage » avec le réseau Internet sont de plus en plus exploitées pour faciliter la diffusion de l’information concernant l’environnement. Il ne faut pas pour autant oublier le fait que, obéissant traditionnellement à des logiques culturelles, politiques et sociales autant qu’à des savoirs scientifiques en perpétuelle construction, la production et la diffusion des données et des représentations cartographiques sur l’environnement sont liées au mouvement des idées et des idéologies tout comme à l’évolution rapide des méthodes et des moyens techniques mis en œuvre (Bailly et Gould, 1995). Cela doit relativiser la portée des documents cartographiques et les certitudes dont ils semblent porteurs. L’usage des cartes, dont les outils actuels facilitent la production, est multiforme : outil de spatialisation des connaissances sur les risques ou les enjeux de l’environnement dans un but de communication ou dans la perspective d’une réglementation, outil de réflexion pour une prise de décision ou base de la concertation dans le cadre de la gouvernance. Les représentations cartographiques sont donc élaborées pour des objectifs variés à la demande d’acteurs ayant une stratégie au regard de la gestion à conduire (Cambrézy et de Maximy, 1995) ; la variété qui en résulte dans la qualité, les objectifs et les usages des cartes interfère incontestablement avec les impératifs de la gouvernance environnementale.
8Dans la région Nord-Pas-de-Calais, la prise de conscience des grandes questions environnementales s’inscrit dans le contexte particulier de la reconversion, entamée il y a maintenant quarante ans, d’une région longtemps dominée par des activités économiques qui ont laissé un lourd héritage. Plus de cent cinquante ans d’exploitation charbonnière, le développement d’industries métallurgiques et chimiques et l’urbanisation qui lui sont associées, constituent l’exemple historique d’un développement non durable et sont responsables pour une large part des questions environnementales spécifiques à la région. Les séquelles écologiques héritées directement de l’extraction minière et des activités industrielles associées dans l’ex-Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais appartiennent à trois catégories : la destruction des paysages et l'apparition de friches industrielles dont la surface était évaluée à environ 10 000 ha au milieu des années quatre-vingt, la déstructuration du sous-sol induite par l’extraction de près de 2,5 milliards de tonnes nettes, dont plus d’un tiers entre 1945 et la fin de l’exploitation en 1990, et ses conséquences hydrologiques, des pollutions de stock (sols et nappes) d’une exceptionnelle gravité, dont l’exemple le plus frappant est sans doute offert par le site de Métaleurop, connu pour cela depuis de nombreuses années mais récemment porté au premier plan de l’actualité à l’occasion de sa fermeture et de ses conséquences sociales.
9Il serait cependant réducteur de voir dans le passé minier et industriel le seul facteur des particularités environnementales de la Région Nord-Pas-de-Calais : une partie d’entre elles, en particulier celle qui concernent l’eau (risque d’inondation, gestion des zones humides, pollution en milieu urbain) préexistent et s’apparentent à celles des pays voisins (Belgique et Pays-Bas) marqués à la fois par une longue et difficile histoire des relations entre l’Homme et l’Eau dans des plaines basses et humides, et par une urbanisation précoce et dense. De ce point de vue, les désordres hydrologiques induits par les affaissements miniers, qui nécessitent encore aujourd’hui le fonctionnement de près de 60 stations de « relevage » des eaux, et la mauvaise qualité des eaux de surface (et souvent des eaux souterraines) ne constituent qu’un facteur aggravant dans la difficile gestion de l’hydrosystème (Roussel et al., 1994). D’autres problèmes écologiques peuvent même être considérés comme un effet de la reconversion et d’un nouveau dynamisme régional : c’est par exemple le cas de la pollution atmosphérique associée à la création, à partir de 1960, du pôle industrialo-portuaire de Dunkerque et de celle qui résulte de l’accroissement constant de la mobilité automobile intrarégionale et du transit international à travers l’aire métropolitaine lilloise. De ce point de vue, la région Nord-Pas-de-Calais cesse d’apparaître comme originale et suscite la comparaison avec d’autres espaces géographiques français (zone portuaire de Marseille-Etang de Berre, Ile de France ou région lyonnaise).
10Quoi qu’il en soit, la spécificité des problèmes environnementaux hérités du passé industriel, perçus comme un obstacle majeur à la mutation économique de la Région, a joué un rôle majeur dans la prise de conscience du risque environnemental et suscité depuis une quinzaine d’années des réponses originales, qui associent initiatives locales ou régionales, intervention et mobilisation des experts scientifiques, création d’instances larges de concertation entre les différents partenaires de la gouvernance. Le contexte institutionnel du début des années quatre-vingt-dix a sans aucun doute contribué à cette floraison d’initiatives. Il a été marqué en particulier par la montée en puissance de la Région, récemment promue par la loi de décentralisation de 1982, au rang de collectivité territoriale de plein exercice, avec des moyens considérablement augmentés, et son investissement préférentiel dans des champs de compétences nouveaux, parmi lesquels l’environnement et la recherche. Pour la région Nord-Pas-de-Calais, l’accession à la Présidence régionale (1992-1998), dans un contexte politique difficile, de Mme Marie-Christine Blandin, issue du parti des Verts, a sans doute contribué à porter les questions environnementales au premier plan des préoccupations régionales. Cette période a marqué incontestablement un changement de perspective par rapport aux deux décennies précédentes, où la reconversion industrielle était appréhendée essentiellement en termes d’économie et d’emploi, ce qui tendait à occulter la question de l’environnement et à freiner la mobilisation des acteurs et de la société dans ce domaine (Sawicki et al., 2000).
11Les toutes dernières années ont vu l’émergence de nouvelles préoccupations en lien avec l’environnement, à travers les questions sanitaires (O.R.S., 2002). Certes le lourd tribut payé par la région Nord-Pas-de-Calais au cancer, particulièrement aux cancers du poumon, des bronches, de la trachée, et des voies aérodigestives supérieures, ne peut s’expliquer par les seuls facteurs environnementaux : les facteurs sociaux, le vieillissement d’une population d’anciens mineurs et d’ouvriers longtemps affectée par des conditions de travail difficiles, l’alimentation et les conduites à risque jouent sans doute un rôle prééminent sur les facteurs environnementaux stricto sensu. Mais dans d’autres cas, les intoxications au monoxyde de carbone, le saturnisme infantile et diverses affections liées à la proximité des sites les plus pollués, le poids des facteurs environnementaux est plus évident, et justifie le lancement en 2001 d’un Plan Régional d’Action Santé Environnement (PRASE) destiné à l’évaluation et à la gestion de ces risques sanitaires à forte composante environnementale. On y retrouve l’inextricable combinaison de questions sociales et environnementales qui caractérisent les régions à fort passé industriel.
12Certains problèmes ont été traités plus tôt que d'autres, certains d'ailleurs tardant encore, à ce jour, à être effectivement pris en main. Conséquence la plus évidente de la déprise industrielle qui débute dans les années soixante, la question des friches industrielles a été envisagée dès le début des années quatre-vingt et l'action dans ce domaine ne s'est pas démentie durant les années quatre-vingt-dix. La reconquête et la requalification paysagère des vastes espaces abandonnés par la mine et l’industrie étaient une des conditions essentielles d’une conversion de l’activité et de l’emploi. Un effort très significatif a été fourni par les acteurs intéressés (la Région, l’État et l’Europe via le FEDER), et s’est concrétisé dans la création en 1990 de l’Établissement public foncier (EPF) Nord-Pas-de-Calais, structure susceptible d’apporter un appui pour la requalification des friches et même d’assurer la maîtrise d’ouvrage des opérations : de 10.000 ha au début des années 90, les surfaces de friches dans la région Nord-Pas-de-Calais étaient réduites de moitié en 1996, du fait de l'action entreprise et ce, en dépit de nouvelles entrées en friches entre-temps.
13Il était cependant perceptible dès l’origine (DATAR, 1985) que la question des sites et sols pollués devait faire l'objet d’un traitement spécifique, différent de celui des friches ; au premier rang des régions françaises, le Nord-Pas-de-Calais regroupe aujourd’hui plus de 500 sites pollués pris en charge (environ 13,5 % du total national), selon la base de données BASOL2. Celle prise en charge a donc été nécessairement plus tardive, et autant les problèmes techniques que les problèmes d'ordre juridique sont responsables de ce retard ; il a fallu que soient conçus et mis en pratique des modes d'action assez innovants pour s'attaquer à de tels problèmes. Dans le même ordre d'idée, la question de la déstructuration du sous-sol (mouvements de terrains, effondrements, remontée des eaux… consécutifs à l'activité d'extraction houillère) pose encore largement problème et la difficile « sortie de concessions minières » en témoigne. Une première tentative (sortie de concession d'Aniche) s'est même vu opposer un recours de collectivités locales devant le tribunal administratif… avec gain de cause pour ces dernières dans un bras de fer les opposant au concessionnaire, Charbonnages de France, mais aussi à une partie des services décentralisés de l’Etat (DRIRE)3 et certains organismes parapublics tels que le BRGM4. Depuis, une Instance Régionale de Concertation, réunissant Préfecture, Région et collectivités locales, a été instaurée pour envisager de manière partenariale les sorties de concession. Dès le début des années quatre-vingt-dix, le thème des sites et sols pollués a suscité la mobilisation conjointe de chercheurs issus des Sciences de l’Environnement et des Sciences de l’Homme et de la Société dans un Programme de Recherches Concertées « Environnement et Activités Humaines » financé par la Région et a conduit par ailleurs à la structuration d’un pôle de compétences « Sites et sols pollués »5 ; il a également justifié la création d’une « Conférence Permanente » et d’une Mission Bassin Minier, qui organisent et mettent en cohérence les initiatives et la concertation autour des séquelles environnementales de l’héritage minier, sans pour autant disposer des moyens de résoudre tous les problèmes qui résultent de la prégnance du droit foncier.
14Dans d’autres domaines pour lesquels la spécificité régionale est plus difficile à percevoir sinon inexistante, ceux de la gestion du risque d’inondation ou de la qualité de l’air, l’application de la réglementation nationale (et parfois des directives européennes) a semblé primer sur l’initiative locale ou régionale. Le contexte régional a même pu parfois constituer un obstacle à la mise en œuvre efficace des dispositions législatives ; dans ce cas, le choix de traiter des différents thèmes dans le cadre spécifique de la Région Nord-Pas-de-Calais ne saurait pour autant interdire des comparaisons avec d’autres régions. Dans le cas de la qualité de l’air par exemple, où l’évolution récente des modes de gestion et de gouvernance tient essentiellement à l’effet des dispositions d’une Loi sur l’Air largement inspirée par les avancées menées dans la région Ile-de-France, la comparaison entre régions s’avère riche d’enseignements.
15Dans tous les cas, on a assisté durant ces quinze dernières années à la juxtaposition ou à l’empilement de multiples structures aux compétences mal définies, parfois redondantes, et de périmètres territoriaux sans cohérence évidente, et à la difficulté de mobiliser acteurs et citoyens autour de problèmes dont la définition et surtout la perception restent floues et controversées ; les conflits de compétence sont fréquemment source de dysfonctionnements. On touche ici aux limites de la gouvernance.
16Pour tenter de porter un regard renouvelé sur les relations entre Environnement, Gouvernance et Territoire dans le cadre particulier de la région Nord-Pas-de-Calais, nous avons choisi une approche comparative, portant sur les trois thèmes environnementaux déjà largement évoqués :
- les séquelles écologiques héritées directement de l’extraction minière et des activités industrielles associées dans l’ex-Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais :
- la gestion de l’eau dans ses différents aspects (protection et exploitation de la ressource, préservation de la qualité, prévention et gestion du risque d’inondation) ;
- la pollution atmosphérique et ses conséquences sanitaires (qualité de l’air).
17L’intérêt d’une approche comparative réside en premier lieu dans la possibilité d’analyse des décalages temporels qui affectent l’émergence des trois différents « problèmes environnementaux » et des modalités spécifiques de leur prise en compte dans le cadre d’une gouvernance. Les modes et les degrés de perception par les acteurs et les citoyens, la nature des intérêts concernés et des risques, l’évolution de la connaissance scientifique et les possibilités technologiques de remédiation sont autant de facteurs qui contribuent à différencier ces problèmes et les situent à des niveaux différents dans l’échelle conceptuelle qui conduit des « univers stabilisés » aux « univers controversés », ce terme désignant des questions environnementales dont la connaissance scientifique et la perception par la société restent floues et évolutives (Godard, 1993). Enfin la nature même des processus mis en jeu dans le cadre des trois domaines de recherche, concernant successivement le sol, le sous-sol et le paysage d’une part, et les fluides que sont l’eau et l’air, engendrent des relations au territoire fort différentes, à des niveaux divers des échelles spatiales et temporelles. Il convient cependant de ne pas surestimer les différences, voire les oppositions, entre ces trois thèmes, au risque d’oublier les interactions qui associent, par exemple, les affaissements miniers, les désordres hydro-géologiques et hydrologiques qui en résultent, la propagation des pollutions dans les nappes souterraines et le risque d’inondation par remontée de nappe qui affecte des zones importantes de l’ex Bassin Minier ; de même, les émissions de polluants dans l’atmosphère sont souvent à l’origine de la pollution des sols et de transferts vers les nappes, comme le rappelle l’exemple de la pollution par les métaux lourds issues de l’activité de l’usine Métaleurop, qui affectera pendant longtemps encore après la fermeture du site, plusieurs communes du Bassin Minier. Dans la perception des populations concernées et d’une part importante des acteurs, les différents aspects que nous sommes amenés à distinguer ne constituent que des facettes d’un risque environnemental et sanitaire indifférencié, d’une « qualité de vie » globale. D’un point de vue économique, les différents problèmes environnementaux constituent, au même titre, des « externalités » affectant le processus de reconversion et de développement économique.
18Les trois parties de l’ouvrage sont consacrées successivement à trois approches qui toutes privilégient, sous des formes diverses, la relation entre environnement, gouvernance et territoire :
19La première approche est spécifiquement celle des relations entre les phénomènes environnementaux, leur gouvernance et les territoires. Existe-t-il un échelon territorial privilégié pour la gestion chacun des problèmes considérés ? Les inadéquations entre l’extension des phénomènes environnementaux et les territoires de gestion sont-elles des facteurs de blocage ? L’irruption d’un nouveau cadre territorial, celui de l’Europe, est-il à même d’influer sur la gouvernance d’un hydrosystème transfrontalier comme celui de l’Escaut ? De même, la nécessité d’une prise en compte des héritages environnementaux à l’échelle de l’ex-Bassin Minier est-elle un facteur d’émergence ou de permanence d’une entité territoriale sans relation avec les cadres administratifs et les nécessités du développement ? Peut-on, sans sombrer dans le paradoxe, envisager de gérer la qualité de l’air comme un problème d’aménagement du territoire ?
20La deuxième approche est fondée sur l’analyse des acteurs et des dynamiques de proximité dans la prise en compte des problèmes d’environnement. Selon cette approche venue de l’économie spatiale et de l’économie industrielle (Gilly et Torre, 2000), les proximités entre acteurs constituent des variables explicatives des dynamiques territoriales ; la proximité ne se limite pas à la distance géographique, mais intègre des dimensions sociales, culturelles, organisationnelles ou institutionnelles. L’application d’une telle approche aux questions d’environnement, dans une perspective comparatiste, semble s’avérer féconde (Letombe et Zuindeau, 2001) : le défaut de proximités organisées est-il un facteur de retard dans la prise en compte des problèmes d’environnement considérés ? Comment les différences dans le degré d’organisation des acteurs et des institutions autour des différents problèmes se manifestent-elles ? Existe-t-il des formes de mobilisation des citoyens autour des questions environnementales, où des obstacles à celles-ci, qui soient réellement spécifiques à la Région Nord-Pas-de-Calais ?
21La troisième approche que nous proposons se fonde sur l’analyse du rôle de la production des données et des représentations cartographiques, sous leur forme traditionnelle ou bases de données d’information géographique, créées par les différents acteurs scientifiques ou institutionnels autour des problèmes d’environnement. L’émergence d’un problème d’environnement, sa « cristallisation » et sa prise en compte comme problème d’aménagement du territoire, passent en effet très souvent par la production et la diffusion de données, par l’inventaire, la mesure ou la mise en œuvre de modèles, et leur représentation sous forme de documents cartographiques. Il convient de s’interroger sur la nature et le statut de ces représentations, leur place dans la perception des problèmes par les acteurs et dans les formes de gouvernance fondées sur la concertation, et enfin, lorsque les cartes appuient un processus réglementaire comme dans le cas par exemple des cartes de zones inondables associées aux Plans de Prévention du Risque d’inondation (PPRi), sur leur éventuel impact dans les dynamiques territoriales induites.
22Ces trois approches, dont le choix résulte de la composition de l’équipe réunie autour d’un projet de recherche de deux ans, ne sauraient à l’évidence épuiser l’univers en perpétuel expansion des questions posées par la prise en compte, aux échelles locale et régionale, des questions environnementales par nos sociétés. Nous espérons cependant qu’elles apportent, dans leur diversité, un bon éclairage sur ce que pourraient être, à ces échelles, les voies du Développement Durable conciliant la prise en compte des contraintes environnementales, le développement économique et social et la démocratie.
Notes de bas de page
1 Cet ouvrage est le fruit d’un programme de recherches collectives regroupant des économistes, géographes, juristes, politistes et sociologues des universités de Lille 1 et Lille 2. Le programme a été soutenu par le Programme Environnement, Vie et Sociétés du C.N.R.S. suite à un appel d’offres du Comité Société, Environnement et Développement Durable du PEVS.
2 http://basol.environnement.gouv.fr/
3 Direction Régionale de l’Industrie, la Recherche et l’Environnement.
4 Bureau de Recherches Géologiques et Minières.
5 devenu depuis « Sites et Sédiments pollués ».
Auteur
Professeur de Géographie à l’Ecole Normale Supérieure (ENS, ULM)
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