Chapitre 2 : La création du risque : exposition des sociétés et dommages
p. 55-71
Texte intégral
1L’autonomisation de la société par rapport aux phénomènes naturels et aux processus écologiques caractérise la voie empruntée depuis le développement du capitalisme industriel (O. Godard, 1980). Cette tendance historique, particulièrement visible au sein des vallées françaises, est rendue possible par une artificialisation du système naturel et par un apport toujours croissant de nouvelles technologies, de produits de synthèse, d’énergie et de capital. Cette autonomisation qu’illustre la conquête des vallées humides et inondables, s’est doublée d’une perte de solidarité qui liait les hommes entre eux par l’intermédiaire des biens et travaux communs comme des droits et obligations diverses. Cette logique au coût élevé puisqu’elle nécessite une modification radicale des processus naturels en jeu semble être remise en cause au point que la gestion du risque d’inondation s’oriente désormais davantage vers la gestion de la vulnérabilité (Ledoux, 1995 ; Bourrelier, 1997 ; Kert, 1999 ; Bourrelier et al 2000). Cette récente rupture historique dans la gestion du risque d’inondation nous amène à nous interroger sur les types de rapport que notre société a entretenu avec les inondations au cours des deux derniers siècles comme sur l’évolution de la vulnérabilité au cours du temps. Ces questions restent importantes car si la nature du risque est universelle, la complexité locale fait que la perception que les acteurs locaux ont du risque détermine la diversité de sa prise en compte dans les aménagements individuels ou collectifs. Au-delà de la fréquence et de l’extension spatiale des aléas, les facteurs sociaux comme les processus politiques expliquent la diversité des situations. Le risque est donc difficile à appréhender parce qu’il se définit par des interrelations entre un processus physique et différents aspects de la société.
1. Le risque d’inondation : définition et perspective historique
2Le risque d’inondation peut être défini comme un événement dommageable, doté d’une certaine probabilité, lié à la conjonction de l’aléa inondation et de la vulnérabilité de la société. Il correspond à une contrainte hydrologique potentielle, car l’aléa est caractérisé par des variables en terme d’extension spatiale, de hauteur et de vitesse d’eau, dépendantes de sa fréquence ; potentielle aussi, par la définition même de la vulnérabilité de la société. Celle-ci est évaluée par la mesure des dommages matériels ou tangibles qu’elle pourrait subir en cas d’inondation mais aussi par l’appréciation des dommages non matériels ou intangibles (préjudice moral), susceptibles de peser lourdement sur le niveau de bien-être des individus. La notion de vulnérabilité traduit ainsi la mesure des dommages rapportée à l’intensité de l’aléa.
3Or les deux dimensions qui engendrent le risque d’inondation, l’aléa et la vulnérabilité, évoluent dans le temps. L’aléa inondation est en effet dépendant, outre de la variabilité saisonnière ou interannuelle normale du climat, des fluctuations climatiques, qui font qu’un même espace peut être soumis à des périodes durant lesquelles les inondations sont plus fréquentes et violentes que d’autres. De plus, l’aléa inondation, qui est en partie lié à la nature des états de surface génératrice des crues, est aussi dépendant de l’évolution de l’occupation du sol sur les bassins versants. De son côté, la vulnérabilité évolue tant dans sa dimension matérielle (l’occupation du sol dans les vallées inondables a fortement changé au cours du temps) que dans sa dimension immatérielle (évolution des représentations mentales que les groupes sociaux se font de l’aléa et de la politique de gestion du risque). L’enjeu d’une étude sur la vulnérabilité est donc d’inventorier les dommages matériels et immatériels actuels, mais aussi de tenter une mise en perspective géohistorique qui pourrait expliquer la situation actuelle. Ce détour historique permet en effet de reconstituer une histoire des relations entre la société et l’eau qui pourra servir de mémoire objective pour positionner les politiques publiques actuelles. Reconstituer l’histoire des relations d’une société à l’eau, c’est en effet « souligner la responsabilité des rapports sociaux dans les formes de dégradation de l’environnement » (O. Godard, 1980), c’est remettre en cause certains modes techniques d’exploitation de la ressource et certains modes d’occupation du sol dans les vallées alluviales ; au-delà, c’est apporter un regard critique sur les conditions socio-institutionnelles du développement des territoires. Ce regard positif sur le passé ne doit cependant pas faire oublier le poids des héritages au niveau des représentations sociales des problèmes environnementaux et des modalités de gestion de l’eau et des risques.
4Dans un but pratique, ces investigations sur le passé apportent des connaissances sur les crises hydrologiques passées, leurs représentations par les sociétés locales et leur gestion. En cela, elles peuvent participer par le biais des politiques de sensibilisation, d’information et de concertation à l’ambitieuse reconstruction d’une « culture du risque » qui aurait disparu et à la responsabilisation des individus. Elles produisent aussi des connaissances pour nourrir les débats contradictoires qui s’instaurent après chaque crise hydrologique sur la fréquence des inondations (tendance à la surestimation des évènements actuels) ou sur la recherche des responsabilités. Elles permettent enfin de légitimer, par l’analyse d’évènements passés, les hypothèses des hydrauliciens qui bâtissent des modèles traduisant la caractérisation spatiale de l’aléa. La gestion du risque d’inondation peut être ainsi confortée par la constitution d’une base informative sur l’aléa inondation prenant également en compte des informations qualitatives (dates d’événements historiques majeurs, évolution des représentations sociales de l’inondation ou des milieux humides, évolution de la prise en compte du risque dans les stratégies d’aménagement et de la vulnérabilité), en complément des informations hydrauliques et hydrologiques classiques décrivant la puissance de l’inondation, son extension spatiale ou sa fréquence. Ces informations géohistoriques peuvent servir à engager le débat sur la gestion du risque et à rappeler la permanence du danger en donnant un sens historique aux crises hydrologiques récentes, souvent surestimées d’un point de vue hydrologique et fréquentiel. La mémoire nous joue en effet plus d’un tour ! Collecter des informations historiques sur les inondations, les critiquer, les stocker peut être une démarche importante pour resituer objectivement les évènements actuels par rapport à l’histoire des risques hydrologiques qu’ont connus les rivières et éviter ainsi de fausses interprétations, volontaires ou non, quant à la récurrence des phénomènes.
5L’approche historique sur la vulnérabilité, peut emprunter plusieurs voies : l’histoire de l’aménagement des zones inondables, l’histoire des représentations sociales du risque d’inondation et l’histoire des crises hydrologiques. C’est cette dernière voie que nous empruntons afin de mesurer la part de responsabilité des sociétés dans nature du risque.
6L’analyse géohistorique de la vulnérabilité des espaces et de son évolution est alors envisagée comme « une tentative d’élargissement des horizons actuels vers un présent qui serait plus lointain » (Cœur et al, 1998), « une mise au présent des passés » (Lepetit et Pumain, 1993). L’objectif est en effet d’établir une comparaison des données actuelles avec des informations passées qui remontent généralement à la seconde guerre mondiale (photographies aériennes) voire à des dates antérieures si des informations cartographiques sont disponibles. Le choix du cadre temporel d’étude dépend de la réalité archivistique (documents cartographiques disponibles et qualité des informations). A quelques rares exceptions près, il est souvent difficile de remonter au-delà du XVIIIe siècle, au moment où le système administratif établit les premiers inventaires du Royaume de France. La nature et le nombre des fonds d’archives disponibles dépendent en effet du contexte social dans lequel elles s’inscrivent.
7En beaucoup de vallées inondables, la question de la vulnérabilité de la société aux inondations est subordonnée à celle des zones humides et de la volonté de leur maîtrise et de leur mise en valeur comme à la structuration de l’espace français par la construction de réseaux de transport. A la lecture des sources écrites relatant certaines inondations passées, il apparaît que les évènements sont souvent un prétexte pour rappeler la nécessité de drainer les terres pour assurer la conquête agricole ou « forcer les hautes comme les basses eaux à s’écouler dans un même canal et rendre la navigation plus active et régulière » comme le souligne R. Dion à propos de la Loire (Dion, 1961). Le suivi des enjeux (occupation du sol), ne peut donc faire l’économie d’une connaissance précise :
des politiques générales et locales relatives à la maîtrise de l’eau dans les zones humides et inondables ;
des aménagements des cours d’eau pour la protection contre les crues ;
de la reconstitution précise de la chronologie des crues.
8Mais là encore, l’exhaustivité est impossible. L’existence ou l’absence de données sur les inondations tient dans la manière dont un territoire est habité, utilisé à un moment donné. De fait, certains évènements ou aménagements ne sont pas répertoriés parce qu’ils ne représentent pas d’enjeux pour l’usage que l’on fait des zones inondables. Et quand ils le sont, les témoignages doivent être sujets à la critique (Dessailly, 1990 ; Antoine, 1994 ; Granet-Abisset, 2000). Ainsi les traces relatives aux inondations s’inscrivent systématiquement dans un contexte de conflits locaux ou de pressions de la part de communautés. Par exemple, certaines communautés vont prendre appui sur un épisode d’inondation pour faire valoir la suppression d’un moulin du village voisin jugé par elles responsable des inondations alors qu’il constitue d’abord une concurrence par rapport à leur propre moulin. L’existence de traces dans les archives sous la forme de plaintes auprès des administrations peut s’expliquer également par le fait que les communautés villageoises veulent faire pression auprès des autorités publiques pour mener à bien une politique d’assèchement des zones humides et inondables ou de curage des cours d’eau qui n’a pas été entreprise ou encore pour essayer d’obtenir des dégrèvements fiscaux. A l’inverse, les administrations peuvent aussi, en d’autres temps ou en d’autres lieux, insister sur le nécessaire entretien des réseaux de drainage par les communautés afin de limiter les inondations. L’augmentation du nombre de témoignages pour certaines périodes n’est donc pas nécessairement liées à une augmentation des dommages ou des évènements hydrologiques, ni à une plus grande sensibilité des populations à l’inondation, mais à des stratégies qui s’insèrent dans un contexte socio-politique local. Aussi est-il nécessaire de dépasser la liste non exhaustive des évènements hydrologiques définie à partir des sources archivistiques et de resituer ces évènements inventoriés davantage pour illustrer le contexte dans lequel se déroulent les crises hydrologiques.
9L’évolution des enjeux et des modes d’appropriation des vallées, comme mesure indirecte de la vulnérabilité dans le temps, peut être une entrée intéressante pour argumenter le débat actuel sur le devenir des vallées inondables. En nous appuyant sur des exemples régionaux, nous n’avons pas la volonté de prétendre à l’exhaustivité ni à la généralité, mais par l’exemple nous posons les bases d’une réflexion sur l’évolution de la prise en compte du risque d’inondation, notamment depuis le XVIIIe siècle.
2. Une exposition croissante
10La vision technique, voire techniciste, de la gestion du risque d’inondation basée sur la mise en œuvre d’aménagements de lutte contre l’aléa (endiguement, barrages écrêteurs de crues, curages des cours d’eau) a prévalu dès le milieu du XVIIIe siècle et surtout au cours des XIXe et XXe siècles en France. Si l’on en croît les discours véhiculés par certains agents de l’Etat ou certaines communes au moment de leur mise en œuvre, ces techniques seraient à même de protéger les populations et permettraient ainsi l’occupation de zones jusqu’alors faiblement mise en valeur. Si cela est sans doute vrai pour les épisodes de crue très fréquents, quelques catastrophes récentes rappellent qu’il en est tout autrement pour des évènements plus rares. Aussi sont-elles souvent présentées aujourd’hui, dans un discours tout aussi caricatural, comme la cause essentielle de l’augmentation de la vulnérabilité en zone inondable. La réalité est, bien entendu, beaucoup plus complexe que cela. L’augmentation de la vulnérabilité dépend d’un processus très progressif qui résulte à la fois de facteurs d’ordre économique, technique, institutionnel mais aussi de la représentation que les acteurs se font de la sécurité et de la gestion du risque.
11Une lecture géohistorique des rapports entre les inondations et l’aménagement des vallées inondables sur deux bassins versants du Nord-Pas-de-Calais (la Canche et la Marque) permet de tracer les premiers jalons de l’histoire des relations entre société et risque d’inondation au cours des trois derniers siècles dans le nord de la France et de mettre en perspective d’autres cas de figures trouvés dans la littérature.
2.1. Des usages anciens intégrant la présence des zones humides et inondables
12Dès le XVIIIe et encore plus au XIXe siècle, l’évocation dans les textes, des grandes inondations de 1703 et 1757 sur la Canche et celles plus tardives de 1826-1827, 1850, 1879 et 1880 sur la Marque, met en exergue la nécessité de protéger efficacement les biens et les terres cultivées. Plus qu’ailleurs sans doute, l’histoire des inondations est en effet fortement imbriquée, dans le Nord-Pas-de-Calais, à celle des zones humides et à la volonté de leur mise en valeur.
13Ces inondations sont parfois mal vécues si l’on en juge par certaines descriptions. Ainsi M. de Ramsault, Directeur en Chef du Génie écrit le 9 juin 1757 à M. de Caumartin, Intendant de Lille, pour évoquer l’importance des dégâts à Hesdin, les causes de l’inondation et les possibilités de gestion pour limiter le risque. L’inondation « a submergé la ville de façon qu’on alloit en bâteaux dans bien des rues, à cheval dans d’autres, pour porter des vivres aux habitants, bien des personnes du dehors seraient mortes de faim si on ne leur avait fourni le même secours, il y a eu gens et bestiaux noyés, un homme qui cherchait à se réfugier dans la ville a été emporté de dessus les ponts et noyé, plusieurs maisons flotaient sur l’eau. C’était une horreur. […] L’eau a surmonté de deux pieds au moins les batardeaux de l’entrée de la rivière, a emporté de grandes parties des digues ainsi que la chaussée cottée 44. […] Cette ville est excédée de ses dépenses, ne peut plus se servir de ses caves et se voit au risque de périr faute d’un écoulement d’eau qu’on peut lui donner »1. Quant aux inondations de l’été 1850 sur la vallée de la Marque, le maire d’Annappes dresse le bilan des dégâts : « la commune d’Annappes conquis sur d’anciens marais rendus cultivables par de nombreuses irrigations, les habitants sont victimes de la crue extraordinaire des eaux, d’autant plus que les marais sont divisés en portions ménagères et se trouvent cultivés en majorité par la partie la plus indigente de la population »2.
14Les causes, invoquées dans le mémoire de Jean Million (1764)3 relatifs aux inondations de la vallée de la Canche, sont multiples :
les divers aménagements sur le cours d’eau empêchent le bon écoulement des eaux, et parmi eux les moulins sont principalement accusés (« obstacle à la célérité des eaux surtout dans les grandes avalaisons où elles entraînent quantité de broussailles et même d’arbres entiers, qui ramassés sur les Cliers forment de nouvelles digues et retenues d’eau qui les font refluer »).
les aménagements dans le bassin versant facilitent le ruissellement. On évoque en particulier, dans un document relatif à Saint-Pol (bassin de la Canche), le rôle des routes nouvellement créées dans la Province : « la nouvelle construction des grands chemins d’Arras à Hesdin [contribue à concentrer] les eaux sauvages que lui communiquent les fossés qui règnent le long du chemin. […] Ces malheurs étaient si rares qu’ils étaient pour ainsi dire inconnus avant la construction des nouveaux chemins ».
mais le cours d’eau présente lui-même des « bancs de sables qu’il est nécessaire de lever », « un très mauvais état, c’est-à-dire [une allure] très sinueuse ».
15Un siècle plus tard, à la suite des « grandes » inondations qui ont touché la vallée de la Marque, les lettres de récriminations des habitants et des conseils municipaux, destinées au Préfet ou à l’Ingénieur des Ponts et Chaussées reprennent les mêmes analyses. Chacun y va de ses arguments accusant tantôt les moulins, tantôt les négligences dans l’entretien de la rivière et des fossés de drainage. Ainsi une lettre4 adressée à l’Ingénieur des Ponts et Chaussées (1830) précise que « les agriculteurs voient […] presque annuellement leurs récoltes submergées […]. Ces conséquences, si naturelles, malheureusement ne sont déjà plus des probabilités. Déjà plusieurs détenteurs des partages, renoncent à cultiver les portions qui leur sont échues […] depuis 15 ou 18 ans. […] Le curage de la rivière [est] souvent négligé ou entrepris hors de saison ; la police des moulins à eau et celle du jeu des écluses mal exécutées ». Cependant, tout le monde ne croit pas que la destruction des moulins soit la solution au problème. « La destruction du moulin à eau de Tressin ordonnée il y a une vingtaine d’année comme moyen de soulagement pour les communautés situées au-dessus de ce point de la rivière a été opérée sans qu’elles aient été absolument à l’abri des inondations […]. L’été dernier, on a vu les marais de Tressin, Chéreng, Willems, Forest, Ascq et Annappes inondés, tandis que toutes les vannes ou poutrelles étaient ouvertes au moulin de Lempempont. […] Il faut donc chercher ailleurs les premières et principales causes de nos réclamations. Elles consistent selon nous, dans les encombrements, les atterrissements nombreux qui dans certains endroits ralentissent le cours d’eau et ne permettent son écoulement en quelque sorte que par infiltration. Il faut les attribuer au défaut de largeur et profondeur de la rivière dans sa plus grande partie, à la multitude des sinuosités qu’elle décrit et dont chaque angle se trouvant peu à peu miné par la force de l’eau, s’éboule à la longue et y fait tomber des terres qui obstruent son cours. Elles ont aussi pour cause l’absence d’écoulement qui résulte du défaut d’entretien régulier des fossés aboutissants du marais à la rivière […]. Premier travail serait le curage, approfondissement, élargissement et le redressement de la rivière »5. En 1873, une pétition est rédigée puis envoyée au Préfet « pour mettre fin à l’état déplorable du cours d’eau. Les inondations fréquentes qui se produisent dans cette contrée sont très préjudiciables aux intérêts de l’industrie et de l’agriculture »6. Aux débuts des années 1880, des travaux de curage et d’élargissement des ponts sont entrepris pour faciliter l’écoulement des eaux, les derniers du siècle avant de nouveaux curages à partir de 1924.
16Ces textes, en supposant qu’ils soient représentatifs de la mentalité de l’époque, montrent un début de compréhension rationnelle des phénomènes d’inondations et donc l’apparition d’un contexte favorable à une réponse humaine, scientifique, technique voire organisationnelle pour la gestion des risques. On est loin des incantations religieuses et mystiques données en réponse, du Moyen Age à la Renaissance, au caractère divin de ces inondations.
17Les solutions généralement proposées pour remédier à ces « calamités » concernent des actions plus ou moins directes sur le cours d’eau :
la construction de digues est évoquée pour empêcher (très localement) l’extension des crues ;
le curage et la rectification du lit du cours d’eau devraient permettre une meilleure évacuation des eaux : « l’enlèvement des coudes, arbres, broussailles, digues, et généralement de tout ce qui peut intercepter le libre cours des eaux et causer les inondations dont on se plaint depuis longtemps ».
la mise en place ou l’extension d’un réseau de drainage pourrait servir « tant pour l’égout des terres, que pour éviter le dépôt des eaux ».
18La réflexion des maires et échevins de Saint-Pol se place quant à elle à une échelle plus petite, puisque, selon eux, « le curage et l’élargissement de la rivière […] seraient superflus […], la raison en est toute simple, les ordures et la fange qu’amènent les eaux étrangères [et qui comblent] de nouveau […] le lit de cette rivière ». Référence est faite ici implicitement aux problèmes posés par l’extension des labours dans le bassin versant de la Canche et l’accroissement corrélatif des processus érosifs sur les parcelles agricoles qui viennent contrecarrer les efforts entrepris dans la vallée pour assécher les marais.
19Enfin, de façon plus particulière, la canalisation de la Canche pour la navigation de Hesdin jusqu’à l’estuaire est évoquée à plusieurs reprises pour limiter l’inondation. L’aménagement du cours d’eau aurait deux autres objectifs rappelés dans un texte du 31 mai 1771 écrit par Noizet de St Paul7 : faciliter le commerce vers le cœur de la province d’Artois ; constituer un obstacle militaire défensif (« former une barrière à un ennemi victorieux, soit qu’il pénètre par la Haute-Normandie, ou par la Flandre et l’Artois »). Il va sans dire que ces considérations d’ordre stratégique et/ou économique émanent d’acteurs « extérieurs » à la vallée de la Canche. L’inondation est là encore prétexte à mettre en avant un projet d’aménagement dont les Etats d’Artois donneront un commencement d’exécution en nettoyant l’embouchure de la rivière depuis Etaples jusqu’à Montreuil, mais jamais le canal le redressement de la Canche, qui constituent les remèdes les plus fréquemment proposés afin de faciliter l’écoulement des eaux, ne sera réalisé.
20Ce sont finalement les canaux de drainage et les digues, réalisés au fur et à mesure de l’appropriation des marais, depuis le milieu du XVIIIe siècle, qui représentent les seules empreintes d’une volonté individuelle ou collective de contrôle de l’eau. L’installation progressive d’un réseau de drainage et des digues marque ainsi la volonté d’accroître la mise en valeur du fond de vallée. Ce mouvement s’inscrit dans la politique de dessèchement des marais et de lutte contre les inondations engagées dans la région (le Marquenterre en baie de Somme, le Val d’Authie…). Dans le val de Canche, ce réseau hydraulique est achevé au début du XIXe siècle.
21L’évocation des inondations de la Canche comme de la Marque est donc l’occasion de rappeler pour :
les autorités administratives, dès le milieu du XVIIIe siècle, la nécessité d’accélérer l’assèchement des marais, par des travaux de drainage et des plantations d’arbres, et d’entretenir les réseaux existants ;
les habitants comme les élus, un besoin de sécurité.
22Même si au XVIIIe siècle les économies locales sont suffisamment souples pour supporter les inondations fréquentes, la fatalité des habitants, qui avait prédominée au Moyen Age et sous l’Ancien Régime, fait donc progressivement place à un besoin de sécurité. L’évolution de la notion de risque dans la société se traduit ainsi par le passage d’un risque vécu comme une fatalité divine et contre lequel la protection humaine est imparfaite voire impuissante, à un risque perçu comme quelque chose de maîtrisable (Fabiani et Theys, 1987 ; Dourlens C., et al (1991)). Par conséquent, le besoin de sécurité, exprimé à travers ces différents textes, ne survient pas dans l’histoire comme une exigence soudaine faisant suite à une inondation catastrophique ou au développement de nouvelles techniques de protection. Elle résulte en fait d’une combinaison de facteurs :
techniques, notamment l’amélioration des techniques de drainage ou de lutte contre les inondations au XIXe siècle, qui facilitent la mise en œuvre de la politique d’assèchement des marais ; elle s’appuie sur la diffusion des savoirs de l’ingénieur rassemblés très tôt dans plusieurs traités d’hydraulique appliquée aux cours d’eau parus dès le XVIIIe siècle8 et enseignés dans des écoles d’ingénieurs à partir de la Révolution (Ecole Polytechnique, Ecole des Ponts et Chaussées). L’ingénieur devient l’agent de l’Etat en charge d’encadrer et de promouvoir la valorisation économique du territoire national.
socio-économiques. La croissance démographique et les besoins corrélatifs de mettre en valeur l’ensemble des terres disponibles poussent les acteurs locaux à drainer les zones humides et inondables. Les innovations agricoles et industrielles, sur la vallée de la Marque par exemple, entraînent de forts investissements qu’il faut protéger et rentabiliser. La construction de digues comme le curage deviennent une demande récurrente des propriétaires.
institutionnelles. L’interventionnisme de l’administration est en effet de plus en plus marqué, autant par la voie réglementaire (nombreuses lois sur le dessèchement des marais et loi de 1807, actuellement encore en vigueur, qui attribue aux riverains de cours d’eau la prise en charge des travaux de protection), que par les aides financières ou le contrôle exercé par les ingénieurs des Ponts et Chaussées départementaux.
23Les catastrophes ne font donc que révéler l’évolution du rapport entre les sociétés et le risque. Elles ne constituent en rien une rupture capable de changer brutalement les comportements. Les grandes inondations du XIXe siècle interviennent dans un contexte favorable aux changements. Mais en région Nord-Pas-de-Calais, plus qu’ailleurs en France où un véritable volet spécifique à la gestion du risque d’inondation sera développé, la politique de lutte contre l’inondation ira de pair avec la politique de dessèchement des zones humides.
24Face à ces inondations et à l’omniprésence de l’eau, les usages du sol au XVIIIe siècle comme au début du XIXe siècle intègrent généralement la présence de l’eau. Prés et pâtures occupent toujours une place prépondérante dans ces vallées, mais les terres labourées et les maraîchages connaissent au début du XIXe siècle un essor certain. La mise en place de digues et d’une politique d’assèchement systématique des marais conduira au XIXe siècle et au début du XXe siècle à une évolution progressive des usages du sol (développement de cultures moins adaptées à l’inondation dans la majeure partie des vallées de la région, extension d’industries à proximité des cours d’eau et enfin urbanisation en zone inondable).
2.2. Des usages récents qui « négligent » le risque
25Construite sur l’idée que la technique pourrait supprimer le risque, la politique de lutte contre l’aléa, alliée à celle de suppression des zones humides, a engendré une spirale du risque désormais bien connue : la construction d’ouvrages de protection comme les travaux de curage conduisent progressivement les populations, qui se croient protégées, à occuper de nouvelles terres dans les vallées inondables en arrière des digues et en aval des barrages ou retenues collinaires jouant un rôle d’écrêteurs de crues. A l’occasion d’un événement exceptionnel ou par manque d’entretien des aménagements, le système protecteur ne joue plus son rôle ; les digues cèdent et inondent alors des zones désormais très vulnérables (la basse vallée de la Canche durant l’hiver 1988 ou les faubourgs de Béthune de part et d’autre de la Lawe en 2001 ; rupture de digues en Camargue au cours des inondations de décembre 1993 et janvier 1994). Malgré les nombreux exemples dont les médias se font écho, l’urbanisation se poursuit au cours des années 1980 dans certains secteurs inondables et les pratiques agricoles, technologiquement plus performantes depuis la seconde guerre mondiale, se développent également dans les champs d’inondation alors que l’entretien des aménagements existants, de protection ou de drainage, est souvent de moins en moins assuré.
26Ce changement progressif prend plusieurs formes matérielles dans les zones inondables. Il se traduit généralement par une urbanisation dans le champ d’inondation depuis les trente dernières années et parfois une augmentation des espaces de loisirs en zone inondable. Ces évolutions révèlent la difficile prise en compte du risque dans la valorisation de sites hydrologiquement contraignants. Ce changement apparaît également à travers l’évolution des modes de valorisation agricole plus vulnérables à l’aléa et l’entretien inexistant ou insuffisant des digues de protection et des réseaux de drainage.
27L’analyse de l’évolution de l’occupation du sol en zone inondable, dans la vallée de la Lys, entre Merville et Sailly-sur-la-Lys, montre que l’urbanisation croissante et le développement industriel caractéristiques de cette vallée, ont été relativement en marge des secteurs à fort risque jusqu’à la seconde guerre mondiale. Depuis, la part du bâti en zone inondable ne cesse de croître. La commune de Merville est à ce titre exemplaire : alors que la part des surfaces urbanisées occupe moins de 1 % de la zone inondable en 1825, et augmente dans de faibles proportions durant plus d’un siècle (2,1 % en 1890 ; 3,1 % en 1950), celle-ci s’accroît brutalement en cinquante ans pour atteindre près de 11 % en 2000. Cette histoire, loin d’être particulière, est le reflet de trajectoires similaires que l’on retrouve dans de nombreuses vallées françaises. Ainsi dans la vallée de la Loire, les premières digues insubmersibles apparaissent dès le XIIè siècle en Anjou, en réponse au souhait des seigneurs locaux de voir s’étendre les terres agricoles dans la plaine submersible. Leur construction, entre le XIIè et le XVè siècle s’accompagne de l’installation de nombreux villages. Le XVIIIè siècle verra les grands propriétaires terriens poursuivre l’œuvre de l’endiguement du cours d’eau et du drainage des marécages afin d’assurer la mise en culture des prairies de la plaine alluviale. Les levées, ici comme ailleurs, ont encouragé l’emprise humaine en zone inondable et accru par conséquent l’exposition au risque en zone inondable.
28En Languedoc-Roussillon, l’histoire des aménagements présente des caractères semblables. La gestion de proximité met ainsi en avant le souci de protéger les biens et les individus par l’application de mesures structurelles (travaux de génie civil). Ainsi en est-il, dès la fin du XIIIè siècle et la première moitié du XIVè siècle, des travaux ponctuels, entrepris à Perpignan et à Lunel, à la seule initiative des propriétaires riverains de la Têt et du Vidourle, pour préserver des inondations un terroir circonscrit et limité par le biais de micro-barrages ou de digues9. Pour la construction et l’entretien des barrages (resclausas) et des murs (paries) destinés à protéger des débordements de la Têt l’Orta et les faubourgs des teinturiers de Perpignan, Guilhem de Pau, lieutenant du Roi de Majorque dans les comtés de Roussillon fait lever la taxe auprès des propriétaires mis à l’abri des inondations. Au même moment des digues sont construites de façon peu cohérente en rive droite du Vidourle pour préserver la communauté de Lunel des « vidourlades ». Ces digues, datées de 1330, conduisent à une aggravation des problèmes d’inondation en rive gauche ; Les villages de rive gauche effectuent à leur tour des travaux de protection, insuffisamment dimensionnés et parfois mal construits (levées de terre quelquefois empierrées). De nombreuses brèches provoquent alors, au plus fort des crues, des dégâts considérables que relatent au cours des siècles suivants de nombreuses sources des archives départementales de l’Hérault (inondations du 25 août 1656, du 3 juillet 1684, du 12 octobre 1719…).
29Même si les repères chronologiques ne correspondent pas d’une région à l’autre, voire au sein d’un même bassin versant, la tendance très nette observée dans la très grande majorité des vallées inondables de France est celle d’une volonté de conquête des espaces submersibles.
30Cette approche diachronique révèle ainsi un changement d’attitude progressif et récent, s’accélérant au cours des années 1970, et traduit un rapport changeant dans la prise en compte du risque dans les stratégies d’occupation de l’espace et une augmentation de la vulnérabilité. Cette dernière se traduit par une concentration des populations et des activités dans les zones à risque, une prise en compte insuffisante des risques liés à la nature dans l’urbanisation comme dans l’usage agricole des sols et un manque d’entretien des cours d’eau, des milieux naturels et des aménagements de lutte contre les inondations (digues et réseaux de drainage). Une récente étude conduite dans le cadre du Plan Loire Grandeur Nature10 estime ainsi que 14 % des habitants (300 000 personnes) et 17 % des entreprises (14 000) sont implantés dans la zone inondable du Val de Loire (l’inondation de 1856, qui avait fait 150 victimes, a servi de référence à cette évaluation). Les raisons de cette récente évolution, constatée sur de très nombreuses vallées inondables, sont multiples :
dernier événement hydrologique de forte ampleur relativement ancien ;
absence de culture du risque en raison de la mobilité croissante des individus ou de la non transmission des savoirs vernaculaires ;
prix d’achat des terrains relativement peu élevés ;
déresponsabilisation des individus devant une prise en charge forte de l’Etat ;
difficultés des élus de refuser la valorisation économique de ces espaces sensibles ;
relâchement de l’Etat dans le contrôle de l’occupation du sol en zone inondable.
31Le décalage entre la présence d’un risque potentiel et sa faible prise en compte par la société s’est matérialisé ces dernières années, à la suite d’inondations parfois peu importantes en puissance mais relativement rares en terme fréquentiel, par un impact considéré comme catastrophique sur le plan humain.
3. Des pertes variées, un coût croissant
32L’élaboration d’un bilan fiable sur les impacts des inondations à l’échelle française reste encore très difficile à produire en raison de la rareté des sources, de la diversité des évaluations mis en œuvre et de la diversité des types d’impact concernés. Néanmoins, les bases de données de la Fédération Française des Sociétés d’Assurance (FFSA), de la Caisse centrale de Réassurance (CCR), les inventaires du Ministère en charge de l’environnement ou les évaluations menées a posteriori par des bureaux d’études et des centres de recherches à la suite d’évènements extrêmes dans l’optique d’apprécier les conséquences des inondations en terme de dommages avérés, permettent de donner des ordres de grandeur concernant la nature des impacts et la répartition des coûts.
3.1. Les pertes en vie humaines
33Le nombre de victimes en France est resté relativement modéré au cours des dernières décennies. Les évènements les plus meurtriers restent les cyclones et les tempêtes (129 décès entre 1994 et 2001 contre 76 victimes pour les inondations, 46 pour les mouvements de terrain, 23 pour les avalanches et 11 décès à la suite de feux de forêts). Pour autant, le risque sismique comme le risque volcanique demeurent potentiellement les plus dangereux.
Tableau 2 : Les pertes en vies humaines de quelques inondations majeures survenues au cours du XXe siècle en France métropolitaine
Date | Localisation de l’évènement | Nombre de victimes |
2-3 mars 1930 | Débordements du Tarn à Montauban et Moissac (82) ; | plus de 200 morts |
17 octobre 1940 | Débordements de l’Agly, du Têt et du Tech (66) | 50 morts |
30 septembre 1958 | Débordements dans le Gard et l’Hérault notamment | 35 morts dans le Gard |
24 septembre 1974 | Débordement à Corte (2B) | 8 morts |
8 juillet 1977 | Gers ; crues des cours d’eau du Lannemezan | 16 morts |
16 octobre 1979 | Raz-de-marée Aéroport de Nice | 10 morts |
21 septembre 1980 | Débordements en Haute-Loire à Brives-Charensac | 8 morts |
Mars à mai 1983 | Nombreux débordements dans le nord et l’est de la France | plus de 10 morts |
14 juillet 1987 | Grand-Bornand : débordement du torrent du Borne et de ses affluents ; | 23 morts |
3 octobre 1988 | Nîmes | 10 morts |
22 septembre 1992 | Débordements dans le Vaucluse (Vaison-la-Romaine), dans l’Ardèche et dans la Drôme | 47 morts dont 34 à Vaison |
26 septembre 1992 | Aude et Pyrénées-Orientales | plusieurs victimes notamment à Rennes-les-Bains |
Septembre-novembre 1993 | Débordements dans le sud-est de la France notamment à Bollène et Solenzara | Plus de 10 morts |
Décembre 1993-Janvier 1994 | Débordements dans le Sud-Est, vallée du Rhône, Camargue | Plus de 10 morts |
17 au 31 janvier 1995 | départements touchés (Basse-Normandie, Champagne-Ardennes, Bretagne, Pays de la Loire, Ile-de-France) | 15 morts |
28-30 janvier 1996 | Puysserguier et débordement de l’Orb | 4 morts |
16-17 juin 1997 | Seine-Maritime | 4 morts |
12 au 14 novembre 1999 | Débordements dans 11, 81, 66, 34 et 12 | 36 morts |
6-11 mai 2000 | Seine-Maritime | 2 morts |
3.2. Les dommages intangibles
34L’évaluation du coût des pertes consécutives à une inondation prend généralement en compte à la fois les coûts directs et les coûts indirects (Hubert et Ledoux, 1999). Les premiers correspondent au remplacement ou à la réparation de biens touchés (biens immobiliers et mobiliers, infrastructure de transport, infrastructures d’assainissement et de distribution de l’eau potable, réseaux électrique et téléphonique, stocks de produits finis ou de matières premières…) ainsi qu’aux dépenses engagés dans le cadre de la gestion de crise (opérations de sauvetage, de déblaiement ou de nettoyage…). Ces coûts directs sont parfois complétés par une évaluation des coûts indirects relatifs aux conséquences économiques de la catastrophe (pertes liées à l’arrêt de production de biens ou de services, charges financières relatives à l’endettement lié à la reconstruction, dégradation des finances des collectivités locales suite à une délocalisation d’entreprises affectée par les inondations). La mesure des gains, lorsqu’elle est conduite, se cantonne à quantifier les recettes engendrées par les activités induites par l’événement (activité de réparation effectuée par des entreprises, montant des matériaux vendus pour la gestion de la crise et la réparation…) et rarement aux gains environnementaux produits par l’inondation (recharge des nappes par exemple).
Tableau 3 : Estimations de montants des dommages liés à des évènements majeurs d’inondations en France métropolitaine (CCR) in Hubert et Ledoux, 1999
Evènements | Montant des dommages |
Inondations de 1982 et 1983 | 530 millions d’euros |
Inondations de 1987 | 107 millions d’euros |
Catastrophe de Nîmes de 1988 | 290 millions d’euros |
Inondations de février 1990 | 183 millions d’euros |
Inondations du Vaucluse de 1992 | 244 millions d’euros |
Inondations de l’automne 1993 dans le sud-est | 305 millions d’euros |
Inondations de plaine de l’hiver 1993 | 260 millions d’euros |
Inondations de Nice et de sa région de 1994 | 122 millions d’euros |
Inondations du Nord de la France de janvier et février 1995 | 396 millions d’euros |
Inondations de décembre 1996 | 76 millions d’euros |
Inondation de la région normande en juin 1997 | 61 millions d’euros |
35Les inondations sont les principales responsables des pertes matérielles assurées en France. L’année 1999 qui enregistre une succession d’événement en Languedoc-Roussillon, dans le nord et l’est de la France, et accuse le coup de deux tempêtes bât tous les records d’indemnisation. 600 millions d’euros pour les inondations comparées à une moyenne sur 20 ans de 229 millions d’euros par an. Le seul coût des assurances s’élèverait à 290 millions d’euros pour les inondations de l’Aude ; or, les indemnisations ne constitue qu’une partie du coût global des inondations (environ 50 %). Le tableau ci-dessous permet d’apprécier l’ampleur des dommages pour quelques grands évènements hydrologiques qui ont affecté la France métropolitaine.
36L’évaluation du coût de la catastrophe de Nîmes du 3 octobre 1988 donne, selon une autre approche méthodologique, un coût pour les aides accordées de 490 millions d’euros, les assurances assumant 59 % des aides contre 33 % pour l’Etat, les 8 % restant étant assurés par des dons (Arnal et Masure, 1999). Le montant des dommages directs, plus important, s’élèverait à 630 millions d’euros à répartir entre particuliers (25 %), entreprises (38 %) et collectivités territoriales (37 %).
37Ce bilan s’inscrit ainsi dans une histoire récente marquée par des actions situées bien souvent dans le temps court de la logique économique et individualiste dénuée de toute mise en perspective historique qui concorde avec le temps long des rythmes de la nature. La gestion du risque d’inondation, longtemps basée sur une logique strictement curative de limitation ou d’interdiction de l’aléa, a conduit également à accroître la vulnérabilité des sociétés par le changement des usages du sol en zone inondable. Des évènements hydrologiques récents, répartis dans la France entière (Nîmes le 3 octobre 1988, Vaison-la-Romaine le 22 septembre 1992, Puisserguier le 28 janvier 1996, la basse Somme en avril 2001…), amènent à s’interroger sur les stratégies de gestion du risque fondées sur les seules mesures curatives de protection contre l’aléa. Désormais, une logique préventive diversifiée est mise en avant. Elle privilégie l’action avant le phénomène ou la catastrophe afin d’atténuer et même d’éviter le risque. Soutenue par l’Etat, elle s’appuie à la fois sur des mesures permanentes et prises à long terme afin de réduire la vulnérabilité plus que l’aléa (Plans de Prévention des Risques, information préventive des populations) et sur des mesures prises devant une menace immédiate (alerte, évacuation des personnes ou des biens). La mise en œuvre locale de cette politique préventive s’appuie sur une organisation faisant intervenir les services déconcentrés de l’Etat (Préfecture, DIREN, DDE, DDAF et les services de la protection civile), les collectivités territoriales (communes, structures intercommunales, départements et région) et la société civile (les comités de bassin et les agences de l’eau, les assurances, les experts, les médias et les usagers). Au-delà des aspects organisationnels, elle cherche à mieux articuler le risque et le territoire.
Notes de bas de page
1 De Ramsault, 1757, Lette à M. de Caumartin, Intendant de Lille, 9 juin 1757, Art. 5, Sect. 3, Cart. 1, § 7, Service Historique de l’Armée de Terre, Château de Vincennes.
2 Archives municipales de Villeneuve d’Ascq, 1 N 13 Annappes
3 Mémoire de Jean Million sur les inondations, 1764, Art. 5, Sect. 3, Cart. 1, § 7, Service Historique de l’Armée de Terre, Château de Vincennes
4 Lettre à l’Ingénieur des Ponts et Chaussées, 1830, Archives municipales de Villeneuve d’Ascq, 3 O 7 Annappes
5 Lettre à l’Ingénieur des Ponts et Chaussées, 1830, Archives municipales de Villeneuve d’Ascq, 3 O 7 Annappes
6 Lettre au Préfet du 20 août 1873, ADN, Série S 3709.
7 Noizet de St Paul, lettre du 31 mai 1771, Art. 5, Sect. 3, Cart. 1, § 7, Service Historique de l’Armée de Terre, Château de Vincennes
8 Forest de Bélidor B., 1737, Architecture hydraulique ou l’art de conduire, d’élver et de ménager les eaux pour les différents besoins de la vie, Paris, éd. Navier (plusieurs ré-édition au cours du XVIIIe siècle : 1739, 1770, 1782, 1790).
Silberschlag J.I., 1769, Théorie des fleuves avec l’art de bâtir dans leurs eaux et de prévenir leurs ravages ? Pour servir de suite à la seconde partie de l’architecture de Bélidor, Paris, C.A. Jombert Bossut C., 1771, Traité élémentaire d’hydrodynamique, Paris, C.A. Jombert (2e édition en 1775) Dubuat L., 1779, Principes d’hydraulique ; ouvrage dans lequel on traite du mouvement de l’eau dans les rivières, canaux, etc, Paris, Imprimerie de Monsieur
9 Archives Départementale de l’Hérault, série AA1
10 Devaux-Ros Claire (1999) : Evaluation des enjeux et des dommages potentiels liés aux inondations de la Loire moyenne, in Hubert G. et Ledoux B., le Coût du risque, Presses de l’ENPC, pp. 139-142.
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