Introduction
p. 15-18
Texte intégral
1Aux antipodes de l’optimisme du siècle des Lumières et du XIXe siècle surtout, la science nous semble aujourd’hui menaçante et la nature bienveillante. Autrement dit, schématiquement ce n’est plus la nature qui engendre les risques majeurs, mais la science. Comment expliquer ce changement de paradigme ? Pour tenter d’y répondre ou, à tout le moins, d’y voir un peu plus clair, on ne saurait trop conseiller la lecture de la « Société du risque » du philosophe Ulrich Beck, qui retrace notamment le développement, puis la mondialisation, des sciences et des techniques à travers la société occidentale et progressivement la prise de conscience des risques engendrés par leur déploiement.
2La conception dominante de la science à l’égard de son principal objet, la nature, promettait d’affranchir les hommes de la fatalité ou d’un certain obscurantisme religieux, afin de leur assurer un usage sans limite de l’univers tout en commandant la croissance économique. L’idée même de progrès et de liberté étant indissociable de l’évolution de la démocratie parlementaire, certains y ont entrevu une vérité : science et démocratie vont de pair. Or le nuage de Tchernobyl ne s’est arrêté par quelque miracle démocratique aux frontières de la France et les processus qui commandent la croissance économique n’obéissent pas non plus à la représentation nationale. Dès lors, tout comme le Romantisme en réaction aux Lumières, on pourrait se retourner avec nostalgie vers les paradis perdus en dénonçant les artifices de la démocratie, la sécheresse de la science et finalement, en prônant une certaine résistance au progrès.
3On pourrait tout aussi bien regarder devant nous en pratiquant l’introspection, en assumant certaines responsabilités et en tenant compte de certaines évidences. En effet, les lieux de production du risque ne sont pas forcément ceux de son expression, de même que la probabilité d’un risque résulte tant d’une réponse individuelle que d’une décision collective.
4Dans cet ouvrage, nous avons voulu rappeler que le risque et plus particulièrement le risque d’inondation est une composante intrinsèque du territoire en lien avec la nature. Si ce dernier a souvent été perçu comme un espace support du risque, nous avons souhaité démontrer qu’il interagit bien avec le risque d’inondation. L’approche de la relation risque d’inondation-territoire1 est complexe et nous n’avons pas eu l’ambition de constituer une somme exhaustive qui pourrait devenir un guide pour la gestion du risque d’inondation par l’ensemble des acteurs concernés. En l’occurrence, par une approche pluridisciplinaire, nous avons tenté de mettre en évidence les dispositifs qui nous permettent de comprendre cette relation et il nous a semblé opportun d’en retracer les grandes étapes. En effet, prendre en compte le risque d’inondation dans l’aménagement du territoire consiste à reconnaître que les choix d’aménagement ont un impact significatif sur la gestion du risque.
5C’est à partir de l’étude des dispositifs et des règles de protection que nous avons tenté de repérer l’évolution des problématisations du risque d’inondation dans son rapport au territoire. Aussi nous sommes-nous plus particulièrement consacrés à plusieurs questionnements, notamment à propos de l’articulation du risque d’inondation et du territoire. Deux d’entre eux nous ont semblé particulièrement importants :
- Le risque d’inondation est-il mis en interaction avec le territoire ?
- La gestion du risque d’inondation a-t-elle contribué à modifier les dynamiques spatiales et la logique territoriale ?
6Ces interrogations partent d’un constat. En effet, il est devenu aujourd’hui presque banal d’énoncer que le risque d’inondation se définit à la fois par :
- une réalité physique (l’aléa), caractérisé par son extension spatiale, sa magnitude, sa fréquence, sa durée, sa saisonnalité ;
- un fait social, économique et politique (la vulnérabilité), caractérisé par son coût économique et psychologique, sa perception, sa gestion.
7Longtemps pourtant, la gestion du risque d’inondation s’est portée sur la lutte contre l’aléa, dans le but d’occuper et de valoriser les vallées inondables ou la gestion des milieux humides. Cette conception hydraulicienne visant à maîtriser l’eau, à limiter l’extension spatiale des inondations et des milieux humides, s’appuyait sur les endiguements, les barrages écrêteurs de crue, l’assèchement des marais par drainage…
8Afin de mieux gérer le risque d’inondation, les services de l’Etat et les collectivités locales se sont fondés plus particulièrement sur la connaissance fine des événements pluviométriques. Ainsi, l’intensité, la durée et la fréquence des précipitations ont été pendant de nombreuses années les indicateurs de bases pour assurer la gestion des écoulements liés à la pluie.
9Par ailleurs, rappelons que l’autonomisation de la société par rapport aux phénomènes naturels et aux processus écologiques s’est doublée d’une perte de solidarité qui liait les hommes entre eux par l’intermédiaire des biens et travaux communs comme des droits et obligations diverses.
10Or la recherche d’une indépendance de la société par rapport à la nature n’est viable à long terme que si les ressources disponibles sont inépuisables ou constamment renouvelées. Elle suppose aussi que les systèmes techniques développés permettent d’ignorer les impacts liés aux aléas naturels comme les inondations. En milieu urbain, l’aléa inondation est influencé par plusieurs facteurs : l’intensité et la durée de la pluie, le dysfonctionnement des réseaux d’évacuation des eaux pluviales et la forte imperméabilisation des sols, qui favorisent le ruissellement et la rapidité d’évolution des crues. De même, les mutations de l’agriculture contribuent à la recrudescence des phénomènes d’inondation par la transformation de l’occupation du sol, laquelle s’est accompagnée d’une modification des pratiques culturales sous l’impulsion de la mécanisation, mais aussi des nombreuses restructurations foncières et de l’arrachage généralisé des haies.
11Une telle logique a un coût élevé, puisqu’elle nécessite une modification radicale des processus naturels en jeu. La société actuelle semble ne plus vouloir supporter ce coût supplémentaire. C’est pourquoi, aujourd’hui, la gestion du risque d’inondation, qui a pendant longtemps porté sur la lutte contre l’aléa, dans le but d’occuper et de valoriser les vallées inondables, s’oriente davantage vers la gestion de la vulnérabilité.
12Cette récente rupture historique dans la gestion du risque d’inondation nous amène à nous interroger sur les types de rapports que notre société a entretenus avec les inondations au cours des deux derniers siècles, comme sur l’évolution de la vulnérabilité au cours du temps (I).
13Le risque est un concept d’interface qui renvoie autant à la réalité physique par la nature de l’aléa qu’à la société par sa vulnérabilité et ses réponses multiples, évolutives dans le temps.
14Si l’approche que la société française a des inondations, et par voie de conséquence de sa gestion, a changé au cours de l’histoire, désormais la politique de l’eau et, plus particulièrement, la prise en compte du risque d’inondation, apparaissent véritablement comme des outils pertinents d’articulation territoriale, institutionnelle et politique (II).
Notes de bas de page
1 Par territoire, nous entendons « portion de la surface terrestre, appropriée par un groupe social pour assurer sa reproduction et la satisfaction de ses besoins vitaux » (Le Berre, 1995).
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