Une autre relation à l’environnement et aux ressources ?
p. 145-159
Texte intégral
Une autre approche des ressources
1La politique forestière canadienne est symptomatique d’une vision utilitariste et marchande qui a longtemps triomphé et qui est toujours bien présente aujourd’hui. Dans cet état d’esprit, les ressources servent de base à la satisfaction des besoins ou à la production de biens (I. Geneau de la Marlière, 2000). Elles s’apparentent à des réalités qui entrent dans un processus de production et qui sont incorporées dans le résultat de celui-ci pour reprendre les propos récents de Jacques Lévy et Y. Lussault (J. Lévy, Y. Lussault, 2003). On l’aura compris : la ressource n’existe pas en soi mais selon l’intentionalité des acteurs et par rapport aux cadres sociétaux dans lesquels ils vivent. Il se trouve que ces ressources ont d’abord été envisagées selon les préoccupations mercantiles et les structures économiques qui font le productivisme. Nous avons montré, au travers des forêts, que de cet utilitarisme marchand forcené découle une relation particulière à l’environnement. Précisons d’abord le sens que ce mot peut avoir en particulier chez les géographes. Étymologiquement, il désigne les contours, ce qui environne, ou encore le cadre de vie selon Geneviève et Philippe Pinchemel (G et P. Pinchemel, 1988, op cité). Sans prétendre à l’exhaustivité quant à la définition de ce concept, ce qui n’est pas l’objet de notre démarche, il faut préciser qu’en dépit de certaines réticences, beaucoup de géographes l’identifient à celui de milieu (G et P Pinchemel, 1988 op cit). « La géographie humaine est l’étude des groupements humains dans leurs rapports avec le milieu géographique » écrit A. Demangeon en 1942. Il poursuit en affirmant « L’expression de milieu géographique est plus compréhensive que celle de milieu physique ; elle embrasse non seulement les influences naturelles qui peuvent s’exercer mais encore une influence qui contribue à former le milieu géographique, l’environnement tout entier, l’influence de l’homme lui-même… » (A. Demangeon, 1942). Cette contribution est ignorée pendant plus de 20 ans selon J-L Tissier (J-L Tissier, 1992). Il faut attendre les années 1970 pour que les géographes redécouvrent l’environnement, l’associent régulièrement à la notion de milieu et en forgent une approche de plus en plus globale (O. Dolfuss, 1990, op cité). A. Dauphiné reconnaît en 1979 que l’environnement n’est autre que le milieu physique dans un contexte social et que ce qui nous environne est à la conjonction entre l’homme et le milieu (A. Dauphiné, 1979). Du côté de la géographie humaine, ces forces de création et d’aménagement que représentent les sociétés sont au cœur des analyses (Pierre George, 1950, F. Durand Dastès, Pierre Merlin, 1989). Notre cadre de vie, c’est-à-dire notre environnement, résulte de relations complexes et d’interdépendances entre les sociétés et la « nature » mais aussi au sein de chacune de ces sphères liées l’une à l’autre (Y Veyret, 1999, P Arnould, E. Glon, 2005, G. Bertrand, 1968, 1984) mais dans un contexte d’humanisation accrue. Au-delà de cette courte mise au point, un élément s’avère important. En quoi le productivisme implique t-il une approche spécifique de la ressource au sein de notre environnement ?
2Il y a d’abord le fait que cette notion est assimilée à ce que recèle la nature. Sont généralement distinguées à l’échelle humaine les ressources renouvelables comme les forêts et celles qui ne le sont pas. Les hydrocarbures ou le minerai en sont deux exemples. Toute ressource devient richesse dès lors qu’elle est intégrée dans les activités économiques (J. Béthemont, 1987). Encore faut-il nuancer selon l’intensité de cette mise en valeur. Ce qui est renouvelable ne l’est plus forcément si l’exploitation qui en est faite est trop importante. En témoigne la baisse très importante des stocks halieutiques pour certaines espèces dans le Canada de l’Atlantique. La fragilisation des écosystèmes forestiers dans les années 1970 en raison de leur sollicitation croissante en est une autre illustration. Le développement durable au Canada remet en cause cette vision trop résolument industrielle. L’attachement aux paysages forestiers, l’importance des revendications socio culturelles, les propositions des environnementalistes pour une meilleure prise en compte de l’environnement suscitent une ouverture vers une approche moins résolument marchande. Une certaine volonté des populations locales de s’approprier la place des forêts, l’émergence croissante des activités récréatives de plein air sont dans le même ordre d’idées. Émerge alors une autre conception des ressources. Quelle est-elle ? Les ressources apparaissent non plus uniquement selon leur intérêt économique. Elles correspondent à l’ensemble des richesses qui existent au sein d’un territoire sans qu’elles ne soient forcément révélées ou mises en valeur (E. Glon, J-P Renard, 1996, H Gumuchian, B. Pecqueur, 2007).
3Il est possible de les classer en trois catégories (Tableau 18). Les ressources matérielles sont celles qui sont objectivées dans l’espace par une matérialité. Une entreprise ou un tissu d’entreprise, une richesse naturelle, la forêt, un paysage bocager en constituent quelques exemples. Les ressources immatérielles sont moins perceptibles, plus délicates à appréhender car elles sont moins formalisées. L’air que l’on respire, les informations ou encore la plupart des étapes de la recherche/développement illustrent parfaitement cette idée. Nous pouvons enfin distinguer les ressources humaines. Elles désignent les compétences acquises ou potentielles, les capacités d’initiative et d’action des individus, le vécu et les expériences qu’ils ont pu traverser, la capacité d’ouverture et de remise en cause (H. Arendt, 1961, op cité). Nous sommes loin d’une conception qui se réduirait aux seuls statuts professionnels mais plutôt sur une reconnaissance des richesses socio-culturelles au sein d’une collectivité. Celle-ci n’est pas donnée. Elle se construit et se renouvelle perpétuellement.
Différentes conceptions des ressources
4Une fois envisagée cette typologie, se dégage la manière dont sont conçues ces ressources. Nous pouvons dégager trois conceptions majeures. La première n’est autre que la vision utilitaire. Elle met de l’utilité dans tout sans laisser de place au subjectif et à l’impression. À ce niveau prévalent souvent les préoccupations marchandes. Les forêts ont surtout un intérêt sous la forme de planches. S’inscrivent ici les différentes productions des activités de la filière bois. La seconde approche peut être plus idéelle. L’idée que l’on se fait d’une ressource importe tout autant que la manière dont elle se manifeste. L’imaginaire, la mémoire, l’histoire par exemple interviennent pour donner une valeur à ce qu’un individu ou un groupe ressent comme une richesse. Autant d’éléments qui contribuent à cette « géographicité » chère à Éric Dardel. Se trouvent évoquées sous cette expression, les inscriptions des éléments terrestres dans les dimensions fondamentales de l’existence humaine (E. Dardel, 1952). La beauté d’un paysage forestier, d’un ensemble de montagnes, le grand air en bord de mer chargé d’iode, en forêts au petit matin imprégné des effluves d’humus correspondent à cette conception idéelle des ressources. La place qu’elles prennent dans une collectivité dépend forcément de l’expression des ressources humaines. Ce sont elles qui vont donner tout leur sens à cette dimension idéelle. Que les descendants des colons aient perpétué un productivisme forestier dans les provinces canadiennes a largement été expliqué selon la culture de ces individus. Elle en imprègne aussi leur approche plus affective. Cette présence de l’idéel se concrétise fréquemment par des formes de représentation particulière ou une symbolique importante. Comment ne pas rappeler ici le rôle des esprits dans la nature pour les Indiens. Notons que si un paysage présente une matérialité, il dépend aussi très fortement de l’idée que chacun s’en fait d’où le fait que nous le classions tant dans les ressources matérielles qu’immatérielles. Une troisième conception des ressources apparaît sous la forme d’une quête de plus en plus fréquente d’équité. Elle prend essentiellement deux formes : plus de justice sociale ou de prise en compte du sort des êtres humains, plus de considérations pour l’environnement au sens large. Aborder les inégalités et les exclusions sociales et culturelles pour tenter de les surmonter est quasi récurrent. Cette idée peut s’appuyer sur des exemples très variés et vaut pour bien d’autres domaines que les forêts et les activités forestières, Contentons-nous du sujet qui est le nôtre. Un des objectifs du développement durable est, par exemple, de diversifier les activités dans les communautés tributaires de la filière bois pour les rendre effectivement moins dépendantes des stratégies des grandes entreprises.
5Les différentes conceptions des ressources ne peuvent être envisagées séparément l’une de l’autre. Le souci d’équité qu’elle soit sociale ou environnementale dépend ainsi des formes et de la vigueur qu’a pu revêtir l’utilitarisme mais aussi de l’approche idéelle que les individus ou une collectivité en a. Dans le premier cas, plus l’utilitarisme a été pensé dans une perspective résolument mercantile, comme par exemple le productivisme forestier, plus la recherche de justice sociale ou environnementale tente de répondre aux déséquilibres ou aux injustices qu’il a suscités. Cette demande d’équité est indéfectiblement liée à l’iniquité dans une société. Dans le deuxième cas, le refus de l’utilitarisme marchand et le souci d’en corriger les effets néfastes passent par l’idée que les individus ou une collectivité s’en font, tout comme des solutions qu’ils projettent. La perte d’emplois et les stigmates laissés par les coupes claires dans une communauté locale, les déséquilibres dans les écosystèmes forestiers sont des conséquences du productivisme contre lesquelles les ONG protestent. Elles se forgent une idée de ce qu’elles dénoncent comme de leurs actions et contre propositions. De fait, étant dans une vision basée sur l’équité, le développement durable tel que ces environnementalistes le conçoivent ne peut être identique à celui des pouvoirs politiques et des entreprises du secteur forestier. Cette sphère de décision étant dans l’utilitarisme mercantile ne l’empêche pas d’avoir son « idéel » (C. Castoriadis, 1975, 2005). Comme les conceptions que les uns et les autres adoptent sont liées à des analyses et à un contexte, les prises de position qui en résultent sont toujours le reflet d’intérêts particuliers. Les échanges, les différences, les différents et les tensions qui se manifestent au sein du socio système canadien en témoignent. Les différentes conceptions que nous avons évoquées dépendent avant tout d’un construit d’acteurs. Ne nous méprenons pas. La vision idéelle, les idées de manière générale ne sont pas en tant que telles des ressources. Parler d’une personne-ressource comme les Canadiens le font souvent désigne un individu capable de soulever des points sensibles et d’envisager des solutions. Il est un résolveur de problèmes (R. Reich, 1993). Ceci étant dit, la ressource est ici la personne et non l’idée qu’elle a émise. Celle-ci est le reflet d’une position ou d’une approche émanant d’un être humain.
6Il est impossible de distinguer des types de ressources sans les associer aux manières dont les acteurs et groupes les conçoivent. Deux exemples concrets : l’un à propos des entreprises du secteur forestier et l’autre sur les Premières Nations, sont privilégiés dans le tableau 18. En tant que ressources matérielles, les multiples utilités de la forêt sont associées à l’idée pour les autochtones qu’il faut les utiliser avec parcimonie pour préserver l’avenir. Suite à la colonisation et par souci de justice, les Indiens réclament l’accès à la terre et aux ressources. Appliquons maintenant ces trois conceptions aux ressources immatérielles. L’utilitarisme correspond ici aux connaissances et aux informations que les bandes indiennes ont des usages de la forêt. Les valeurs spirituelles, les esprits et les mythes qui y sont associés relèvent de l’idéel. Se trouvent ici mêlés des apports culturels dans le premier cas qui sont alimentés par la mémoire dans le second cas. Après le rejet dont ils ont été victimes et l’envahissement de la modernité, les Indiens n’ont assurément plus les mêmes liens à la nature que leurs ancêtres au temps du contact ou encore au début du XXe siècle. Il n’empêche que la vigueur avec laquelle ils invoquent leurs traditions et perpétuent les pratiques qui y sont liées est indéniable. La mémoire ne s’efface pas, le vécu ou les expériences des individus non plus. Ces éléments s’inscrivent dans leur culture, l’en imprègnent. Ils forgent un patrimoine c’est-à-dire les héritages communs de ces natifs tout comme les forêts et le productivisme sont aussi une partie du patrimoine des descendants actuels des colons qui sont venus essentiellement d’Europe. Le souci d’équité peut être résumé sous la forme de deux interrogations clés à propos des Indiens. Comment vont-ils mettre concrètement en place une exploitation et un aménagement des forêts selon leurs aspirations sur des terres qu’ils tentent de récupérer ? Comment concilier un idéel fortement imprégné de traditions et de spiritualité face à l’appel de la modernité et à l’appât du gain ? Se trouve aborder cette question de la réappropriation culturelle et territoriale des forêts par les populations natives face à la société post-coloniale. Reprenons les trois conceptions pour les transposer aux ressources humaines. Exclus socialement, les Indiens souffrent d’un manque de qualification et d’éducation qui débouche sur un manque de compétences et un chômage important. À cet aspect utilitariste s’ajoute l’idée qu’ils se font de la place de leur spiritualité aussi bien en termes de pratiques que de mémoire. La quête d’équité sociale n’est autre que l’accès des Indiens au système scolaire et à une éducation accordant une place à leur propre culture. Dénonçant vivement une exploitation prédatrice des forêts, les autochtones en défendent une approche plus durable. Passons au deuxième exemple : celui des entreprises de la filière bois (tableau 18). La forêt est assimilée à des planches, à l’idée que les entreprises ont des multiples productions et débouchés qu’elles peuvent en tirer, à la prise en compte ou non du développement durable. Qu’obtenons-nous si nous appliquons ces trois conceptions aux ressources immatérielles et non plus aux ressources matérielles. Commencer par l’utilitarisme revient, par exemple, à insister sur les applications de la recherche sur l’aménagement forestier et les nouveaux produits du bois. L’idéel fait davantage référence à l’histoire et à la culture de l’entreprise et à la stratégie qu’elle déploie. À l’équité correspond une volonté de plus ou moins grande de prendre en compte ces différents points.
7L’entreprise peut être soucieuse ou non d’inscrire et de perpétuer son activité dans le local et de respecter ou non l’environnement où elle s’inscrit. Quant aux ressources humaines, il y a aussi plusieurs façons de les concevoir. Elles peuvent être considérées comme une accumulation de compétences ou comme une force de travail sur le plan strictement utilitariste. Au niveau idéel, nous parlons davantage de savoir-faire plus ou moins anciens. La volonté de maintenir ou non l’emploi s’inscrit dans la recherche d’équité.
8Avec ces deux exemples, nous constatons aisément que les conceptions des ressources varient selon les groupes d’acteurs. Ces différences sont sources de conflits. C’est le cas dans l’exemple que nous avons évoqué à propos des îles de la reine Charlotte. Les forêts pensées comme source de matière première quasi inépuisable ont été exploitées par des entreprises souvent multinationales qui y détiennent des droits de coupe de la part des autorités provinciales. Ne créant que peu d’emplois sur place et menaçant certaines forêts par une exploitation prédatrice, nous sommes dans le cas d’une ressource matérielle conçue de manière utilitariste et mercantile. L’appât du gain et l’absence totale de réciprocité imprègnent l’idéel et les pratiques témoignent d’une absence totale d’équité aussi bien sur le plan social qu’environnemental. Face à cela, les Haïda Gwaï incarnent plus une approche équitable et idéelle imprégnée de leur culture avec une volonté farouche de dénoncer le productivisme et de retrouver des terres qu’ils revendiquent comme étant les leurs.
De l’inégale valorisation des ressources
De l’exploitation à la spécification
9Différents modes de valorisation des ressources sont possibles. Ils dépendent de l’ampleur de la mobilisation des acteurs, du projet qu’ils assument, du sens et de la portée qu’ils lui donnent. Trois niveaux de mise en valeur sont perceptibles depuis le plus superficiel au plus achevé plus global et davantage situé dans le long terme et le qualitatif (E. Glon, J-P. Renard, op cité). Appelé exploitation le premier repose sur l’utilisation des ressources présentes sur place ou qui sont assez vite disponibles. Une mise en valeur qui ignore toute négociation des effets induits potentiels de la présence d’activités. La rentabilité et le profit à court terme fondent l’utilitarisme et l’idéel. L’exploitation des forêts est ici envisagée pour la matière première qu’elles fournissent. Les populations locales apparaissent surtout comme une source de main-d’œuvre pour la fabrication de produits du bois dans le cadre du productivisme canadien. Que l’or vert vienne à manquer, que les intérêts de l’entreprise viennent à changer et voilà cette dernière prête à diminuer le nombre d’emplois voire à supprimer l’établissement. Une attitude quasiment prédatrice puisque faute du moindre souci d’équité ou de justice sociale, l’emploi s’en ressent immédiatement tout comme le couvert forestier largement exploité. L’exploitation correspond à une vision mercantile à court terme sans esprit de restitution ou de réciprocité pour le territoire. L’exploitant, ici les entreprises de la filière bois, prélève ou fait venir des ressources. Il s’en sert tant que cela est possible mais sans contrepartie à long terme pour le local. Envisagée pour les entreprises afin de maintenir le parallèle avec les exemples abordés précédemment, nous pouvons aussi appliquer l’exploitation aux Premières Nations. Elle correspond à la situation qui est quasiment la leur dans la plupart des cas actuellement. N’ayant pas accès à la ressource et au territoire, les initiatives sont strictement dépendantes du cadre fixé par le pouvoir fédéral. Les natifs ne peuvent vivre selon leur culture. Le rejet dont ils sont victimes se solde par de grandes difficultés sociales sur les réserves ou en dehors.
10Nous distinguons une forme intermédiaire de valorisation des ressources que nous appelons activation. La mise en valeur est plus poussée que dans le cas précédent de l’exploitation mais demeure incomplète. Pour nous en tenir aux activités de la filière bois, la forêt reste surtout une source de matière première. Elle alimente les activités de plusieurs entreprises plus ou moins liées les unes aux autres qui en tirent leurs activités. L’immatériel apparaît ici sous la forme d’un intérêt éventuel pour la recherche et ses applications, un souci de formation en fonction des besoins des entreprises. À ce stade de valorisation, une communauté locale peut attacher plus ou moins d’intérêt aux paysages et à la préservation des écosystèmes selon notamment le poids des ONG environnementales sur la scène locale. La présence d’activités économiques associées à celles tournées vers la recherche l’éducation offre des compétences, des expériences plus variées. Pour les Premières Nations, il arrive que des bandes négocient un accès limité à la ressource sur les terres publiques provinciales, ce qui facilite la création de quelques activités liées au bois. Couplée à la volonté de développer la formation et des lieux propres de pratiques culturelles, ces actions témoignent à la fois d’une capacité d’initiatives retrouvée et du souci de préserver son identité.
11L’approche du développement est plus globale et plus élaborée dans le cas de la spécification au point de dégager des spécificités ancrées dans le territoire (G. Colletis, B. Pecqueur, 1993, E. Glon, 2001, op cité). Prenons un exemple à propos des activités de la filière bois.. En dépit du parangon productiviste érigé en modèle d’approche des forêts surtout durant le fordisme mais aussi au-delà dans le cadre du post-fordisme, des socio-systèmes ont impulsé des initiatives très différentes de celle de l’exploitation. C’est le cas par exemple dans la région de Victoriaville dans le sud du Québec. Grâce à toute une série d’actions lancées depuis la fin des années 1980, une nouvelle dynamique s’est progressivement amorcée. Constatant le déclin ou la disparition d’entreprises, quelques acteurs parmi lesquels des entrepreneurs, des élus locaux, des professionnels de la corporation de développement économique de la structure intercommunale local, se mobilisent. En dépit de certaines difficultés, la création d’entreprises, essentiellement des PME, demeure importante notamment dans la filière bois. Les savoir-faire dans les industries du bois et du meuble sont anciens et fortement ancrées dans le territoire. Pour fortifier ces atouts, les acteurs locaux sollicitent des partenaires qui sont les gouvernements provinciaux et fédéraux afin de créer un centre de recherche appliquée au bois avec le souci de diffuser concrètement les innovations aux PME à l’échelle de l’ensemble de l’est du Canada. Face à des problèmes de formation et requalification, cet équipement d’intérêt national est couplé à l’école du meuble et du bois ouvré. Les formations initiales et continues y sont modernisées. Elles sont aussi résolument pensées en fonction des besoins des entreprises. Chercher à promouvoir les collaborations entre celles-ci constitue le deuxième type d’initiatives. Il s’agit de faire travailler les entreprises sur des projets dormants, de développer davantage les produits propres, d’assumer à plusieurs des tâches jusqu’alors envisagées séparément (achats auprès des fournisseurs, livraisons des marchandises). Toujours en place aujourd’hui cette action maillage inscrite dans la proximité a retenu l’attention de nombreux partenaires. Avec une vision plus globale du développement, les acteurs ont aussi amorcé une spécification, c’est-à-dire que les atouts et savoir-faire locaux renouvelés et consolidés apparaissent comme spécifiques à cette région. Il y a non seulement une mise en valeur concomitante des trois types de ressources mais plusieurs préoccupations se manifestent quant à la conception de celles-ci. L’utilitarisme marchand est bien présent. Le souci de dynamiser les entreprises par l’innovation, de garantir une offre de formation profitant aussi aux locaux marque une quête d’équité sur le plan social. Faire en sorte que le tissu local d’activités offre des opportunités d’emplois renouvelés en travaillant aussi bien sur l’immatériel que sur l’humain de manière bien plus large que dans le cas de l’exploitation.
Des possibilités variées et interreliées
12Quel que soit le stade de valorisation des ressources, il n’est pas forcément aussi avancé pour chacune d’entre-elles. L’activation dans le domaine matériel peut, par exemple, voisiner une spécification dans ce qui relève davantage de l’immatériel. Chaque stade de mise en valeur correspond à des possibilités variées qui ne sont pas toutes exploitées en même temps. Toute une série de variantes sont possibles. Dans le cas de Victoriaville, nous restons dans une optique assez marchande avec une absence quasi totale d’équité environnementale. Or même avec un productivisme très présent, de plus en plus d’initiatives s’inscrivent dans le non immédiatement marchand avec une conception des ressources moins utilitariste. L’exemple de Victoriaville nous montre que même dans le cadre strictement mercantile, il est possible de faire-valoir des aspects qualitatifs comme les savoir-faire, la formation, l’information, la recherche, l’équité sociale. Avec l’émergence progressive sur plus d’une trentaine d’années de ce qui sera appelé officiellement le développement durable en 1992 au Canada, des initiatives plus variées façonnent des usages qui ne sont plus quasi exclusivement industriels des forêts. Celles-ci se trouvent auréolées d’un idéel où se mêlent les stigmates perceptibles des écosystèmes forestiers en raison d’une exploitation prédatrice, la montée des préoccupations environnementalistes, l’essor des aires protégées. En tant que ressource matérielle, la forêt paraît alors attrayante non plus uniquement pour la matière première qu’elle recèle mais pour la beauté des paysages qu’elle offre, des écosystèmes particuliers, des niches écologiques où le gros gibier est encore très fréquent. L’idée que l’individu se fait de la forêt est aussi associée aux plaisirs que chacun est libre d’apprécier notamment en pratiquant des activités récréatives de plein air. Plus aucun acteur du système forestier canadien ne nie cette dimension ludique comme l’intérêt de préserver les espaces forestiers. Nombreuses sont les initiatives de développement local qui s’inscrivent dans cet état d’esprit ou dans la contestation d’un productivisme toujours très présent.
13Pour illustrer le premier cas, nombreuses sont actuellement au Canada les communautés qui partent de l’attrait des paysages notamment forestiers pour en faciliter la découverte tout comme l’initiation à l’environnement. Précisons qu’à la différence de la France, les chemins sont extrêmement rares dans la nature au Canada sauf ceux qui ont été tracés pour l’exploitation des ressources naturelles. Réservés à cette seule fin ils sont difficilement accessibles ou interdits aux particuliers. Toute idée de promouvoir la randonnée, les promenades en vélo tout terrain ou de montagne, en ski de fond suppose un traçage des chemins. Il est quasiment impossible d’utiliser une trame préexistante car elle est souvent absente. Rien de comparable à ces maillages assez denses de sentiers forestiers ou pour le parcours du bétail, de chemins vicinaux, à l’empreinte plus que séculaires, qui arpentent par exemple, l’espace français. Il est vivement déconseillé de s’aventurer à travers cette « wilderness » canadienne souvent dépourvue de parcours clairement identifiés et balisés. Envisager une randonnée suppose que les marcheurs aient connaissance des réseaux des sentiers praticables et des vastes étendues qui en sont totalement dépourvues et où tout un chacun risque très facilement de se perdre. Au-delà de cet aparté, rien d’immédiatement marchand dans ces initiatives que nous évoquons et une conception idéelle très prégnante voisine un souci d’équité. Il vaut au moins pour l’environnement. Il est également manifeste sur le plan social avec le souci de développer les initiatives locales et de diversifier les activités. Une population s’approprie les forêts autrement ou plus uniquement comme une matière première. Tout dépend ensuite des rapports de force au sein des socio-systèmes locaux. De là découlent l’ampleur et le sens que les acteurs vont donner au projet ou aux initiatives. Précisons que ces communautés en question sont souvent situées à proximité immédiate de parcs nationaux ou provinciaux, de réserves fauniques ou de sites remarquables. Ou les aménagements, les hébergements, les services liés à cette découverte du paysage et des milieux, les activités et l’initiation à l’environnement s’inscrivent dans une certaine discrétion, quitte à parler d’un écotourisme voire d’une éco-conception des actions. Ou au contraire, une certaine fièvre s’empare des initiateurs. L’appât du gain engendre des réalisations plus conséquentes et plus nombreuses comme à Bannf et à Jasper dans les Rocheuses. Le non immédiatement marchand évolue résolument et irrémédiablement vers le marchand. Ce dilemme est très souvent présent en particulier dans l’ouest canadien (M. Reed, 1997). En cherchant à préserver les caractères particuliers d’un environnement local, l’éco-conception minimise l’impact que les activités de découverte peuvent avoir sur celui-ci. En cela il y a une quête de spécification et l’environnement en demeure au cœur. La multiplication des aménagements et la frénésie immobilière qu’elle suscite ne répondent plus aux objectifs initiaux. L’environnement devient un prétexte ou un alibi à une exploitation commerciale devant laquelle il s’efface. Des stations récréatives offrent ainsi des commerces et services au point d’être identiques les unes aux autres à l’échelle du pays (P. Violier, 2000). Que des communautés fassent le choix d’une valorisation très mercantile et d’autres celui d’une approche plus écocitoyenne n’est pas rare. Toutes aussi fréquentes sont les combinaisons entre ces deux possibilités sur un même lieu. Bien des gouvernements provinciaux canadiens estiment que ces activités récréatives de plein air constituent un vecteur important de développement économique et cherchent à les développer. Le pouvoir fédéral est aussi très attentif à ces opportunités tout comme les ONG environnementales. À la différence des autorités politiques, ces dernières sont enclines à une approche préservationiste et écotouristique. Si les provinces et le pouvoir central ne sont pas hostiles à la protection de l’environnement, ces acteurs politiques ne voient pas d’un mauvais œil une exploitation résolument commerciale de ces atouts. L’ampleur et le sens que prend cette valorisation dépendent fondamentalement du construit d’acteurs au niveau local, des rapports de force et de sa capacité à établir ou non un compromis. De là peut naître un projet assez consensuel. Nombreuses sont les petites communautés qui ont développé des microprojets dans la proximité ménageant les intérêts de chacun. Les associations, les élus locaux, les ONG environnementales, les autorités provinciales et éventuellement fédérales coopèrent ou interagissent pour valoriser un cadre naturel ou des héritages qui ont été liés à son exploitation minière ou forestière par exemple. La recherche de spécification combine l’utilitarisme marchand, un souci d’équité sociale et environnementale sans négliger un idéel très tourné vers la mémoire. Le projet peut aussi être déséquilibré. Il suscite des mécontentements et les désaccords s’expriment par des protestations et parfois des contre propositions.
14Qu’en est-il du second cas c’est-à-dire des initiatives qui s’inscrivent nettement dans le refus des stigmates du productivisme ? Celles que nous venons d’évoquer s’en inspirent déjà nettement mais d’autres y puisent leur raison d’être. De nombreuses communautés réclament aujourd’hui une appropriation locale des forêts pour en concevoir elles-mêmes les modalités d’exploitation et d’aménagement, les différents usages en présentant un plan de propositions au gouvernement provincial. Consacrées à une approche souvent plus durable et moins exclusivement industrielle des forêts, elles cherchent à la fois à préserver l’environnement et les emplois. Plus de 30 localités réclament la rétrocession des forêts au niveau communal, dit aussi communautaire au Canada, en Colombie britannique. Le gouvernement provincial feint de les ignorer ou laisse traîner les procédures. Remettant souvent en cause une vision utilitariste et productiviste de la ressource matérielle qu’est la forêt, ces demandes locales sont à la recherche d’une équité sociale et environnementale. Ainsi construites, ces initiatives s’apparentent à une quête de spécification prenant en compte tous les types de ressources. Développer les usages non industriels, s’attacher aux paysages et être plus dans une optique durable repose sur une prise en compte des forêts dans leur immatérialité avec un réel souci du bien public. La dimension paysagère et écosystémique suppose en effet des connaissances et des informations endogènes ou exogènes. Dans le premier cas, le vécu, les expériences les compétences locales complètent celles que les acteurs peuvent rencontrer à l’extérieur dans le cadre de partenariats. Cette mobilisation très ouverte des ressources humaines s’appuie sur un idéel où la mémoire, l’imaginaire sont incontournables car ce qui est en partie au cœur du projet n’est autre que des forêts perçues comme patrimoine. Finalement les trois types de conception des ressources se mêlent dans cette tentative de spécification.
15La question la plus délicate dans l’approche plus socio-culturelle des ressources est incontestablement celles des Premières Nations. Dans toutes les provinces canadiennes, leurs revendications imposent une sorte d’autoanalyse critique de la colonisation par les descendants de ceux qui l’ont menée à bien. Elles les obligent à s’interroger sur les cadres législatifs et spatiaux qui régissent le fonctionnement des sociétés provinciales et le rejet des natifs. Les réclamations sont de deux types. Celles dites particulières interviennent quand les bandes indiennes estiment que le gouvernement fédéral ne fait pas ce qui est prévu pour elles dans le cadre de la loi sur les réserves ou en dehors de celles-ci. À ces litiges s’ajoutent ceux récurrents qui portent sur la reconnaissance d’un droit et de titres de possession sur des terres que les Indiens estiment les leurs (O. P. Dickason, op cité). Ces revendications particulières correspondent à des griefs portant sur des traités signés dans le passé. Ce que nous avons déjà évoqué sous la forme d’une victoire pour les Nisga’as de l’ouest canadien en 1973 a, en fait, été source d’une grande confusion. Les droits qu’ils avaient à l’époque du contact sont éteints mais ils peuvent encore exister à l’issue de traités selon la bonne volonté du souverain. Voilà succinctement une des décisions qui a été prise. Il y a vraiment de quoi s’y perdre. Une chose est certaine. Les Nisga’as se sentent spoliés car les décisions de la cour suprême du Canada se basent sur des territoires beaucoup plus restreints que ceux qu’ils invoquent comme ancestraux. Pour le reste, la chose jugée suscite un malaise tel que le gouvernement central fait part de sa volonté de mener une politique nationale portant sur les revendications territoriales. Il se contente globalement de reconnaître ces titres et ces droits dans la constitution canadienne de 1982 mais sans les définir clairement (A. J Ray op cité). Ce flou n’est toujours pas résolu. La frustation et le sentiment de spoliation demeurent vifs chez les autochtones. Voilà pourquoi les réclamations spécifiques demeurent toujours d’actualité. Elles ne sont pas seules dans ce cas. Il y a aussi celles qui sont plus générales et constituent le deuxième type sous le nom de revendications d’ensemble. Elles touchent à tout ce qui n’a pas été l’objet d’accords dans le passé. Elles portent aussi sur ce qui a trait aux processus des traités en cours ou déjà signés entre le pouvoir politique canadien et les Indiens. Elles ne concernent théoriquement pas le bien fondé des titres et des droits à la terre sur le plan du droit. Dans les faits, les deux types de réclamations abordent néanmoins l’accès aux territoires et aux ressources indirectement pour les spécifiques et directement pour celles qui sont plus générales. C’est en défendant avec autant de persévérance leurs droits et leurs doléances que les autochtones affirment une volonté de réappropriation culturelle et des initiatives pour parvenir à leurs fins. S’esquisse un cheminement vers la spécification (Tableau 18). À titre d’exemple, une partie du Québec ou le Centre et le sud de la Colombie britannique sont restés, jusqu’à présent, en dehors de ces traités. Toutes les Premières Nations n’y sont pas favorables car elles estiment qu’il n’est pas possible de discuter selon les postulats du pouvoir blanc et ses injonctions. Contestant souvent le bien fondé de la présence des Indiens sur un territoire et ses limites, il n’hésite pas à exiger des preuves. Contraints d’en fournir, les autochtones lancent des fouilles archéologiques ou des études historiques, cherchent des partenaires et des aides pour les mener car ils n’ont pas forcément les moyens de le faire. Ajoutons qu’au sein d’une Première Nation, toutes les bandes qui la composent ne sont pas forcément dans le processus des traités, ce qui rend tout cela encore plus complexe. Tel est le contexte social dans lequel sont abordées les revendications des Indiens. N’imaginez pas une situation totalement pacifiée. Les réunions à une même table de représentants du pouvoir fédéral avec le MAINC ou des Ministères provinciaux et des conseillers natifs suscitent parfois des échanges assez vifs et des tensions bien palpables. Le débat a néanmoins lieu. Comme une grande partie de la province n’était pas couverte par des traités, les autorités de Colombie britannique ont relancé les négociations au début des années 1990 (C. MacKee, 1996). C’est donc dans cette partie du Canada qu’elles sont actuellement les plus importantes. Comme cette province a progressivement adopté le développement durable à partir de 1994, ces discussions avec les autochtones sur leurs droits ne pouvaient occulter les différents aspects de cette nouvelle politique. Les autorités fédérales y intègrant ce respect des peuples indigènes, le gouvernement colombien s’est trouvé auréolé d’une conduite exemplaire en menant de front à la fois cette approche durable des forêts et les discussions avec les Premières Nations. Les réactions de prestige et les manipulations des idées autour de ces deux thèmes ne manquent pas. À titre d’exemple, le gouvernement de Colombie britannique a modifié le nom du Ministère chargé des questions autochtones pour l’appeler Ministère des relations avec les aborigènes et de la réconciliation en 2005. Un titre sans doute très ambitieux car seuls deux traités ont été signés de 1993 à 2005. Le premier, celui avec les Nisga’as, pour lequel les discussions ont été inaugurées bien avant le lancement de cette politique. Il est donc officiellement hors du « processus des traités » à proprement dit. L’autre a été signé en décembre 2006 avec les Tsawwassen au sud-ouest de la province et de Vancouver. L’accord signé entre le pouvoir provincial, le pouvoir fédéral et les Nisga’as en 2000 est très symptomatique de cette dimension non immédiatement mercantile avec laquelle ils abordent les ressources et la terre, de la place de l’idéel et de l’équité dans cette démarche. Ce qui importe pour ces indiens qui sont au nombre de 5800 environ n’est autre que de recouvrer un territoire. Les Nisga’as n’obtiennent que 2000 km2 sur les 24 862 qu’ils revendiquaient au nord-ouest de la Colombie britannique (R.J Muckle, 1998) mais se voient reconnaître l’accès aux ressources naturelles avec tout particulièrement la pêche au saumon et l’exploitation forestière. Au-delà de cette rétrocession de terres et de droits, la question la plus cruciale n’est autre que de savoir comment ces autochtones vont pouvoir se les approprier et avec quels moyens. Deux objectifs s’avèrent cruciaux. Le premier vise à l’acquisition progressive de l’autonomie politique et administrative au niveau local. Les Nisga’as doivent non seulement mettre en place cette organisation à l’échelle du territoire nouvellement gagné mais aussi au niveau des différentes communautés qui vont le composer. Pour y parvenir, les Indiens s’appuient sur leurs traditions avec notamment les conseils de bandes. L’ensemble des pouvoirs, leur mode d’élection, leur organisation sont régis par une constitution propre dans le respect de celle du Canada et des lois colombiennes. Le deuxième objectif crucial concerne les moyens. Les natifs sont dans l’impossibilité d’organiser cette autonomie administrative et politique sans financement. L’État fédéral s’est engagé à transférer 190 millions de dollars pour y contribuer et pour aider au développement économique sur une période de 15 ans. Les réserves sont amenées à disparaître et les Indiens seront imposables sur le revenu au bout de 12 ans. Bien que l’application de ce traité soit lente, la marche progressive vers l’autonomie économique suscite des interrogations. Comme les Nisga’as n’ont cessé de dénoncer le productivisme forestier, ils souhaitent effectivement mettre en place une politique durable des forêts intégrant leurs propres pratiques culturelles et spirituelles. Qu’advient-il alors des compagnies forestières qui exploitent ces forêts sur les terres publiques provinciales depuis des décennies ? Précisons d’abord qu’aucune expropriation n’est prévue. Propriétaires ou contractantes, les entreprises gardent le droit d’exploiter les forêts à condition d’intégrer les conditions avancées par les Indiens et d’intégrer prioritairement des natifs dans les employés lorsqu’un établissement est implanté sur le territoire des Nisga’as. Concrétiser cette hypothèse suppose très souvent de former les jeunes, ce qui constitue un souci majeur de cette Première Nation. L’argent gagné est partagé entre l’entreprise privée et la communauté indienne. Dans les cas similaires où existent déjà de telles réalisations, cette dernière décide collectivement de ce qu’elle va en faire ; financer un centre culturel, une école sont des exemples. Rien de cela n’était possible auparavant pour les autochtones avec une telle ampleur. Tout est à faire ou presque. Le défi est de taille. Personne ne sait si cette approche non immédiatement marchande qui préside initialement à la démarche n’évoluera pas vers un utilitarisme plus résolument mercantile. Là n’est pas le plus important. Ce qui paraît totalement novateur réside dans cette combinaison de l’utilitarisme marchand, de l’idéel très en prise sur la mémoire et la culture et ce souci d’équité sociale et environnementale. Une valorisation spécifique qui associe les trois conceptions des ressources. Un développement qui est largement tourné vers le qualitatif, une autre relation à la nature qui diffère nettement du productivisme jusqu’alors triomphant. L’application d’une approche des ressources traditionnellement respectueuse de leur renouvellement, la dimension spirituelle des relations à la nature, la reconnaissance de lieux qui y sont sacrés sont autant de particularités de cette culture aborigène. Aux autochtones de donner plus ou moins d’ampleur à ces possibilités à moins que l’évolution du socio système forestier ne vienne en contrarier l’épanouissement potentiel. Déjà rétifs à une telle remise en cause des acquis de la colonisation, le New Democratic Party, c’est-à-dire les libéraux au pouvoir n’ont pas fait preuve de beaucoup de zèle dans l’application de cet accord avec les Nisga’as ni dans le processus des traités en cours. Plus de 115 bandes des 197 recensées en Colombie-britannique y sont pourtant engagées, ce qui représente 70 % de l’ensemble de la population indienne de la province. Davantage favorables aux compagnies forestières et au productivisme, les conservateurs, de retour au pouvoir en 2001, n’ont assurément pas créé un climat plus propice à ces négociations avec les Premières Nations.
16Si le développement forestier durable semble amorcer progressivement et difficilement d’autres relations à l’environnement et à aux ressources, en perçoit-on les transpositions spatiales ?
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