Introduction
p. 21-30
Texte intégral
« Et le miracle des biocarburants sera... Alors qu’ils étaient jusque-là considérés par le gouvernement avec le manque d’enthousiasme qui frappe les énergies renouvelables dans leur ensemble, les voici promus au rang de sauveurs du peuple durement frappé par les tarifs vertigineux des carburants automobiles » (Piro, 2005).
1Plus propres, neutres quant à l’effet de serre, plus compétitifs, source d’indépendance énergétique accrue, ballon d’oxygène pour l’agriculture. Certains n’hésitent pas à prophétiser que les biocarburants seront, demain, le « pétrole vert » de la France. Or, l’actualité « permanente » de la problématique biocarburant, l’idée n’étant pas nouvelle (c’était une réalité entre les deux guerres, notamment pour valoriser les surplus agricoles et utiliser les terres cultivables), interroge davantage nos comportements et notre consommation totale et la santé de la planète.
2Le contexte favorable à la mise en œuvre au niveau local de démarches propices au développement durable entraîne des discours enthousiastes et péremptoires sur les biocarburants. Mais les enjeux soulevés (crise agricole, énergétique, environnementale et climatique) peuvent-ils se résoudre dans la production de quelque biocarburant ? Ne faudrait-il pas mieux chercher à combiner les différentes formes d’énergie ?
3Il arrive que les intérêts des uns et des autres se rejoignent au point de consacrer les biocarburants comme une solution miracle. Aussi, cela peut paraître un cliché, mais il n’est pas inutile de rappeler l’une des spécificités françaises : le lobby agricole, qui a toujours voulu jouer un rôle majeur dans la société. La production agricole est plongée dans une spirale de la dépendance. Le prix d’achat de l’énergie et des engrais augmentent et réduit tout à la fois les revenus des agriculteurs. Confronté à un environnement en mutation constante et parfois imprévisible, le lobby tente de rester dans la compétition mondiale en utilisant les biocarburants, soit comme variable d’ajustement quand les cours des céréales et des betteraves sont bas, soit comme débouché non alimentaire à part entière en complément des denrées alimentaires. Dans tous les cas, à travers les productions énergétiques, il s’agit pour certains agriculteurs d’émarger au bénéfice de l’énergie chère. Car en France, 6 millions d’hectares sont cultivés pour l’exportation et les aides à l’exportation vont aller en diminuant, de sorte que les agriculteurs sont à l’affût de nouvelles utilisations de leurs produits.
4La récurrence de la filière éthanol montre que les biocarburants sont présentés comme une réponse qui se décline au gré des opportunités. Une question s’impose : quel est l’avenir du modèle agricole français ? Le contexte économique international fourmille de questions sans réponses, en premier lieu desquelles le devenir de la PAC et celui du cycle de Doha de l’Organisation mondiale du Commerce. Les prix des matières premières agricoles semblent entrés dans une phase de stabilité où ils peuvent se maintenir à un haut niveau, mais ils pourraient également rejoindre plus tard une zone de turbulence. Les biocarburants constitueraient-ils une fenêtre d’opportunité ou une panacée pour le monde agricole ? D’ailleurs, est-ce que toute la profession agricole est intéressée par la production d’agro carburant ou bien faut-il y voir un reflet du poids des céréaliers, des betteraviers et des producteurs de produits oléagineux, autrement dit des « grandes cultures » ? Les biocarburants seraient-ils le reflet d’une agriculture intensive alors que dans la PAC qui se profile, ce sont plutôt les cultures de qualités (AOC) qui sont encouragées ? Mais les éthanoliers ne sont pas les seuls à faire preuve d’enthousiasme à l’égard de ces nouvelles énergies. En effet, la solution apportée par les biocarburants n’est-elle pas utilisée comme un alibi pour reculer l’échéance de l’adaptation au changement climatique ? Le développement durable n’impose-t-il pas des mutations structurelles beaucoup plus larges qu’une simple reformulation des carburants ?
5L’irruption de l’exigence environnementale dans le champ sociétal invite un certain nombre d’acteurs, dont les autorités locales, à se mobiliser de manière stratégique, avec la volonté de mettre en œuvre de nouvelles politiques publiques prenant par exemple en compte à la fois les problèmes de mobilité ou de consommation et plus globalement la complexité du monde. Mais les pouvoirs publics ont-ils seulement fait évoluer leur discours pour être dans l’air du temps ou pour capter de nouvelles opportunités afin de gérer au mieux les attentes des citadins, des agriculteurs, au sein d’une société de plus en plus complexe, en utilisant de nombreux principes de la durabilité ?
6L’observation et l’analyse rapide d’un certain nombre d’arguments récurrents relatifs au développement des biocarburants posent toutefois la question de leur pertinence au regard des enjeux d’un développement durable et de leur capacité réelle à faire évoluer en profondeur les politiques publiques. D’autant que la détermination des objets de l'intervention publique ne se fait pas de manière fortuite ou parce que l'évidence le commanderait (Grawitz et Leca, 1985).
7Aussi, lorsqu’à l’occasion du Salon de l’agriculture (2006), le Premier ministre donne un coup d’accélérateur au développement des biocarburants, cela constitue une aubaine pour la filière agricole susceptible d’impulser une dynamique dans un secteur marqué par la propagation du virus de la grippe aviaire. C’est aussi un enjeu fondamental de la diversification du bouquet énergétique qui contribue à diminuer certains impacts globaux, comme l’effet de serre, et représente un élément de réponse à l’augmentation du coût de l’énergie et à la baisse des réserves pétrolières.
8Les marchés ne sont-ils pas créés par des décisions politiques ? La prospérité d’un secteur ne dépend-t-elle pas davantage de l’efficacité d’une action de lobbying que de l’habileté industrielle, technique ou commerciale d’une industrie ? Le lobbying sur l’éthanol a obtenu de maintenir non seulement l’exonération fiscale malgré la hausse du prix du pétrole mais il a obtenu aussi une obligation pour les pétroliers d’utiliser de l’éthanol sous peine de forte pénalité fiscale. Mais « tous les agriculteurs ne se retrouvent pas dans le programme actuel de biocarburants, soit qu’ils pratiquent d’autres cultures, soit qu’ils se rendent compte que les aides accordées sont trop élevées, soit qu’ils refusent que leurs terres soient si mal employées » (Prévot, 2007, p. 130).
9L’essor des biocarburants pourrait avoir d’importantes conséquences sur la physionomie des campagnes. Pour autant, l'écologie ne serait pas selon l’intern@ute magazine1 une priorité pour les automobilistes ! En effet, pour les 2/3 des internautes sondés, « c'est le prix des biocarburants qui déterminerait le choix de leur véhicule : s'il est supérieur au prix actuel de l'essence, pas question de changer leurs habitudes ! Environ 6 % des lecteurs sont même opposés à l'achat d'un véhicule roulant au biocarburant. Au final, moins d'un quart des votants sont conquis par cette idée et se disent prêts dès aujourd'hui à acheter une nouvelle voiture fonctionnant avec des biocarburants ».
10Si les biocarburants sont connus depuis les débuts de l’industrie automobile, les autorités publiques et les milieux académiques s’y sont intéressés de manière intermittente. Ceci tendrait à prouver que les choix techniques ne sont pas neutres : ils impliquent des choix de société. Les biocarburants ne constitueraient-ils pas l’alibi politique des utopies technologiques ? Les biocarburants seraient-ils une réponse technique formalisée au gré des opportunités ?
11Si la politique énergétique doit prendre en compte à la fois la situation tendue entre l’offre et la demande de pétrole et de gaz naturel, dans un contexte de plafonnement de la production d’hydrocarbures et l’impact qui en résulte sur les prix de l’énergie, les biocarburants seraient-ils la seule réponse opérationnelle pertinente à l’épuisement des ressources pétrolières tout en préservant l’environnement ?
12Pourtant, alors que le raisonnement très simple utilisé par le monde agricole dans les années vingt n’a pas convaincu par la solution économique retenue, d’aucuns n’hésitent pas à résumer aujourd’hui le débat en une alternative simpliste : soit laisser la rente pétrolière continuer à augmenter avec tous ses effets pervers, ou bien la contenir et permettre à de nouveaux secteurs de l’économie d’émerger. En définitive, n’est-ce pas plutôt la façon dont nous produisons, et surtout dont nous consommons l’énergie qui devrait susciter nos interrogations ?
13Les réponses apportées à ces questions ne constituent-elles pas aujourd’hui, pour reprendre l’expression de Jean-Claude Sourie, « une goutte d’eau par rapport au problème de l’épuisement des énergies fossiles » ? (in Benabadji, 2006, p. 57).
14A travers l’étude des biocarburants, c’est toute la prospective de l’avenir qui se pose. Même les directives européennes nous propulsent vers 2010, 2030 ou 2050 ! En fait, c’est tout le mode de vie des pays développés qui va peu à peu se trouver affecté par l’obligation à la sobriété, par la nécessité de produire et de consommer autrement. Vaste programme, aux dimensions problématiques encore énigmatiques et qui consistera à marier l’économie à l’écologie !
15Tout confirme une mutation multiforme qui, de tous côtés, fait de nous des « mutants ». En trente années, l’homme a transformé la planète et, en échange, la planète nouvelle modifie l’Homme contemporain.
16Au point que « Nous avançons sur un chemin de halage par lequel des générations condamnées tirent l’ancien monde vers un monde nouveau » (Chateaubriand).
17Dans le même esprit, Jacques Attali (2006, p. 207) nous promet un monde de l’immatériel quand : « L’énergie sera de plus en plus coûteuse, ce qui incitera à l’économiser en remplaçant les mouvements physiques par des échanges immatériels. Bien avant que le manque d’énergie se fasse sentir, d’autres raretés devront être surmontées, en particulier celle des produits agricoles et des forêts ; alors qu’il faudra, avant 2050, doubler la production agricole pour nourrir la population de la planète (un milliard de tonnes de céréales de plus par an, soit 50 % de plus qu’en 2006), 5 millions d’ha cultivables disparaissent chaque année sous la pression de l’urbanisation. Les forêts se feront de plus en plus rares, dévorées par les industries de l’armement naval, puis par celles du papier, puis par l’expansion de l’agriculture et des villes. Depuis le XVIIIe siècle, une partie du monde équivalent à la superficie de l’Europe a été dépouillée de ses forêts. Dans les 10 dernières années du siècle dernier, la moitié des réserves forestières de l’Allemagne a disparu. … De plus, les gaz industriels, oxydes de soufre et d’azote, détruisent les arbres d’un bout à l’autre du globe, en particulier les fragiles forêts ombrophiles de la périphérie. Enfin le développement de l’économie de l’immatériel ne réduira pas avant longtemps la demande de papier d’impression. Au rythme actuel, dans 40 ans, il n’y aura plus de forêts sauf là où elles sont entretenues c'est-à-dire en Europe et en Amérique du Nord… ».
18Cet ouvrage peut être envisagé comme un moyen de mieux comprendre l’époque de changement rapide dans laquelle évolue la société. La valorisation commerciale de l’image de la nature à travers des produits de consommation, l’affichage de modes de production « durables » et de technologies « propres » semblent traduire le passage de l’intention à l’action et, comme le souligne Denis Salles, « donne à penser que s’est amorcée une dynamique d’institutionnalisation sociale, politique, économique en faveur d’une prévention de l’environnement » (Salles, 2007, p. 8).
19Cependant, la réalité invite à tempérer la portée de cette mutation. Aussi, le parti pris par les auteures de cet ouvrage consiste à poser le plus simplement possible les arguments du débat.
20Aborder le thème des biocarburants ne consiste pas à dénoncer les innovations technologiques qui, selon nous, sont indispensables. Il s’agit d’une part, d’éclairer les controverses scientifico-techniques contemporaines par une mise en perspective historique d’un certain nombre d’outils – devenus récurrents dans le débat sur les biocarburants - et d’autre part, de nourrir la connaissance par une pluralité d’angles d’analyse qui se superposent et se combinent au fil des chapitres. Si les biocarburants font figure de panacée avec la hausse du prix de l’essence et l'épuisement des énergies fossiles et, plus globalement, s’ils se situent à la croisée de crises agricoles, énergétiques, environnementales et climatiques, elles ne seront jamais présentées comme inéluctables. Les auteures affichent un parti pris positif et ne croient pas que l’environnement bien tempéré exige un retour à l’âge de pierre.
21Aussi, à travers trois parties, le fil conducteur de notre réflexion est clairement tracé : si les biocarburants ne pourront jamais totalement se substituer aux énergies fossiles, leur développement, sans négliger les innovations technologiques indispensables, est donc assujetti à une économie de la sobriété dont seuls les individus et les collectivités locales détiennent les clés.
22Mais avant toute chose, il convient de rappeler quelques définitions utiles à la compréhension des enjeux et les termes du débat. Car si tout le monde semble s’accorder sur le fait que les carburants verts pourraient répondre à des enjeux majeurs - lutte contre l’effet de serre, alternative aux énergies fossiles, nouvelles opportunités pour l’agriculture (partie 1), les controverses s’enflamment actuellement sur la production de carburants renouvelables à partir de la biomasse. Ces controverses ne sont pas nouvelles.
23Si la biomasse est constituée de l'ensemble des plantes qui se développent à la surface du globe, réalisant simultanément, le captage et le stockage de l'énergie solaire, les carburants n’en utilisent qu’une partie qui peut-être restituée sans impact sur l’effet de serre, à condition de ne pas les cultiver à grande échelle.
24En revanche, le pétrole est biomasse, mais du fait que c’est une biomasse fossile, son usage est non renouvelable et sa combustion provoque l’effet de serre. Plusieurs voies de valorisation de la biomasse sous forme de carburants coexistent et l’évolution des voies envisageables rend peu crédible l’utilisation à grande échelle et à moyen terme de biocarburants dits de « première génération » au profit de carburants de « seconde génération » lesquels reposent sur des technologies plus récentes et pour lesquels les bilans sont plus favorables, qu'il s'agisse de l'énergie consommée, des quantités de gaz à effet de serre (GES) évités ou des ressources naturelles mobilisées. Néanmoins, le marché est occupé par la production de biocarburants de première génération à grand renfort de subventions. Comme le souligne la revue Energie & développement durable (2007) : « Il est dommage d'avoir soutenu l'investissement dans de nouvelles unités de production de biocarburants de première génération » basée sur des cultures à « double vocation » alimentaire et énergétique. Ce qui à long terme renvoie également à des enjeux difficiles sur l'affectation optimale des surfaces agricoles (jachère comprise) et la concurrence des usages. La production de la biomasse sera limitée par la concurrence exercée par d’autres utilisations possibles du sol. En réalité, la ressource de base n’est pas la biomasse mais le sol, agricole ou forestier comme le souligne Henri Prévot sans « qu’il existe de frontière très nette entre l’un et l’autre ». C’est donc « le sol qu’il faut savoir utiliser au mieux » (2007, p.74). Les crises s’alimentent les unes les autres, ces enchaînements ne montrent-ils pas qu’il conviendrait de se libérer de notre dépendance à l’égard de l’énergie fossile ?
25Pour autant, la réflexion se situe d'abord dans un contexte historique récurrent. En effet, la société Antar distribue dès les années cinquante, le mélange « Tri-Super-Azur »2 (CPDP, 1950)3. Cet alcool carburant disparaît du marché à partir des années soixante en raison de l’offre abondante de produits pétroliers à des prix tellement attractifs que les biocarburants ne sont plus compétitifs. Mais aussi parce que la valorisation des sucres de betteraves dans les domaines de l’agroalimentaire et de la transformation chimique met fin aux excédents de la production agricole (Ballerini, 2006).
26Les chocs pétroliers des années soixante-treize et soixante-dix-neuf relancent l’intérêt des biocarburants. Les débats sont à nouveau ouverts. Le Brésil, producteur mondial de sucre de canne lance son plan « Proalcool »4 alors que les Etats-Unis, producteur mondial de maïs lancent le leur sous le nom de « gasohol »5 pour Gasoline et alcohol (mélange à 10 % d’éthanol à partir de maïs dans l’essence).
27Le débat évolue sans cesse en fonction des enjeux qu’il sera utile de rappeler (partie 2). Aussi avons-nous décidé d’accorder une place importante au développement diachronique de la filière éthanol et, plus généralement, des biocarburants en France, lesquels reflètent peut-être la puissance des lobbies agricoles. Du « super-ternaire » aux biocarburants de seconde génération, ne s’agit-il pas à chaque fois de trouver des débouchés supplémentaires et d’utiliser les biocarburants comme variable d'ajustement ?
28Si les céréaliers et les betteraviers aimeraient tant remplir non seulement les estomacs des hommes, mais aussi les réservoirs des automobiles, n’est-ce pas pour se consoler de la réforme de la PAC ? « Pourquoi donc les biocarburants jouissent-ils d’une telle faveur alors que l’on n’a pas encore pleinement utilisé la biomasse comme source de chaleur ? » (Prévot, 2007). Cela s’explique si l’on considère qu’il ne s’agit pas de politique de l’énergie mais de politique agricole. Mais l’explication n’est pas convaincante : l’utilisation thermique de la biomasse présente pour l’agriculteur tout autant d’intérêt que la production de biocarburant. En effet, si les 15 % de leurs terres promises à la friche restaient cultivées tout en rapportant néanmoins la prime due à chaque mise en jachère, ne s’agirait-il pas d’une véritable arme anti gel ? D’aucuns craignent qu’après 2013, les subventions de la PAC ne soient sévèrement revues à la baisse. Les biocarburants pourraient-ils compenser ce manque à gagner et permettre aux agriculteurs d’augmenter leurs revenus ?
29En effet, quels arguments et quelles données chiffrées retenir pour poser le débat ? Les biocarburants supposés être à la croisée de quatre crises (énergétique, agricole, environnementale et climatique) peuvent-ils apporter des solutions aux enjeux soulevés ?
30D’aucuns soulignent que le développement des biocarburants, s’il doit se réaliser, s’intégrerait dans une logique de création d’une filière énergétique et non plus d’une alternative à l’écoulement de surplus agricole comme l’histoire de la lutte entre l’éthanol et l’alcool a pu le montrer.
31Leur développement n’est donc pas lié à des questions de faisabilités mais plutôt d’amélioration de sa faisabilité et d’une meilleure rentabilité économique donnant lieu à diverses options d’un plan de développement, sur fond de batailles de chiffres.
32Aussi, à travers les biocarburants s’esquissent les enjeux de la société future. L’histoire ne peut pas se limiter à un éternel recommencement lequel permettrait, à la fin du cycle énergétique du pétrole, de revenir à la biomasse. Il semble, au contraire, que le temps s’accélère d’ailleurs les biocarburants qui veulent contracter le temps géologique pour produire directement un équivalent du pétrole en sont la preuve.
33La dépendance des transports vis à vis du pétrole pose avec encore plus d’acuité la question des biocarburants. En définitive, les biocarburants ne laissent pas indifférents.
34Faut-il en déduire que des stratégies d’acteurs œuvrant de part en part, ne favorisent ni la compréhension ni la visibilité ? Mais que faire pour sortir de cette impasse ?
35Certains seraient tentés de mettre une pincée de développement durable pour aller plus loin et imaginer un nouveau civisme, ce concept s’imposant désormais comme une figure opératoire qui doit permettre d’évaluer les risques, d’informer l’opinion, de guider l’action publique et notamment les choix technologiques à effectuer pour réduire les émissions. Autrement dit, le développement durable ne constitue pas un problème comme les autres, à côté des autres, mais il implique un « passage aux limites » à travers lequel comme tout système en « transition de phase », l'économie voit se modifier son mode de fonctionnement, ses mécanismes régulateurs et se déplacer les moteurs de son développement (Passet, 1997). Il implique également une « démocratie d’élaboration » en vue de la mise en débat, de la construction des scénarii contrastés alternatifs aux modèles actuels de développements. Une simple adhésion intellectuelle ne suffit pas car elle ne se traduit pas souvent en action.
36Historiquement, la « vertu pédagogique » du développement durable défini par le rapport Brundtland en 1987 peut être rapprochée du principe de responsabilité énoncé en 1979 par Hans Jonas, selon lequel l'impératif catégorique qui s'impose en cette fin de XXe siècle s'inspire et généralise la maxime kantienne : « Agis de manière à ce que les générations futures puissent connaître une existence authentiquement humaine (c'est-à-dire digne d'être vécue) ». Aussi, les filières biocarburants du futur ne devraient-elles pas se fixer comme objectif à long terme d’être un élément clé dans la réduction par le facteur 4 des émissions de CO2 d'origine fossile dans des conditions économiques permettant un taux de substitution au pétrole transport d’environ 30 % ? (Douaud et Gruson, 2006).
37Pour autant, il n’est pas question non plus de décroissance qui comme le souligne Pierre Radanne6, constitue un « concept qui a fait la moitié du chemin » qui décrit la fin d’un monde mais ne propose pas le nouveau modèle et n’organise surtout pas les transitions du futur. Or, il est nécessaire de conceptualiser le monde de l’après-demain et identifier les règles qui permettront le passage vers le futur car le changement climatique a provoqué des ruptures :
- le climat est maintenant cogéré par l’homme ;
- le principe de précaution s’impose. Mais il n’existe pas d’expérimentation possible sur l’habitabilité de la planète. Enfin, la négociation à Kyoto doit être entendue comme un rationnement avec des quotas d’émissions par pays.
38Peut-on parler pour autant de l’existence d’un droit d’ingérence dans les politiques énergétiques ? Quelle que soit la réponse adoptée, les pays sont soumis à une obligation globale de performance énergétique, environnementale et donc économique qui impliquent la nécessité de règles communes (politiques sectorielles, recherche, fiscalité). Au-delà du marché, c’est la responsabilité des Etats, mais cela dépend aussi de notre comportement individuel. Ne convient-il pas de prendre la mesure de la mutation de civilisation ?
39Les biocarburants n’apporteraient-ils pas l’illusion d’une réponse technique à des questions de société (partie 3) ? Car finalement, à travers le prisme des biocarburants, nous percevons qu’il conviendrait d’élargir le débat afin de promouvoir une politique plus large prenant en compte toute la complexité de la problématique liée à la dégradation de la planète. C’est l’ensemble de la société qui est interpellé et pas seulement la technologie. La meilleure posture à adopter est celle de la modestie. Celle-ci invite à la sobriété, car loin de penser comme certains partisans de « l'hypothèse Gaïa » - que la biosphère finira toujours, quoi que nous fassions, par s'autoréguler ou, à l’inverse, que l'action humaine ne peut qu'accélérer cette dégradation, nous suggérons que c'est à l'homme qu'échoit la responsabilité de promouvoir des comportements plus responsables et économes.
Notes de bas de page
1 http ://questionnaire.benchmark.fr/fiche/2506/23/index.html
2 Constitué de 75 % d’essence, de 15 % d’éthanol et de 10 % de benzol
3 Consommation en carburants d’origine fossile, en Mm3 (source CPDP. La distribution des produits pétrole en France). Essence : 1,4 en 1925 ; 2,5 en 1930 ; 3,6 en 1938 ; 3,4 en 1950. Gazole : 0,4 en 1938 ; 1,1 en 1950. Cité par Daniel Ballerini, 2006, p. 2
4 Cf. note de bas de page 19
5 Cf. note de bas de page 20
6 Intervention orale lors du séminaire OIPR du 15 mars 2007
Auteur
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