Éléments de synthèse et d’ouverture
p. 205-208
Texte intégral
1Dans son exposé introductif, Yves Reuter a brossé un panorama des principales questions méthodologiques qui se posent dans la recherche en didactique des diverses disciplines et plus généralement en sciences humaines. L’objectif ainsi ouvert pour ce séminaire annuel est ambitieux. Cette première édition montre les difficultés de l’entreprise et en même temps permet de dégager des pistes pour la poursuivre, aussi bien sur le fond que sur la forme.
2Sur la forme, je crois que la formule "atelier de travail préparé" a été jugée intéressante par tous les participants. Intéressante mais exigeante pour tous et difficile à organiser, à mener pour les animateurs et à respecter pour les participants, intervenants ou non. Le choix des communications a été sélectif puisque 14 communications seulement ont été retenues sur 35 proposées. Et c’était encore beaucoup pour qu’il puisse y avoir un vrai travail sur les questions méthodologiques soulevées.
3Sur le fond, je relèverai quelques questions qui ont été abordées dans les ateliers, des difficultés et résistances à entrer dans le questionnement méthodologique et je proposerai quelques thèmes qui pourraient faire l’objet des prochaines journées.
4En introduction à ce séminaire, Yves Reuter définit une méthode de recherche "comme la forme prise par la démarche de travail mise en place pour tenter de répondre à une question dans une discipline de recherche déterminée". Il souligne aussi que cela ne s’effectue que "par rapport à une question (ce qui est le propre de la recherche) et au sein d’une discipline donnée qui lui impose ses cadres théoriques, ses objets, ses normes". Cette définition permet tout de suite de mettre le doigt sur une difficulté : peut-on séparer la méthode de recherche de la question de recherche ? Et cette difficulté s’est rencontrée dans la plupart des ateliers, les intervenants étant souvent tentés d’exposer leur question de recherche et les méthodes utilisées pour l’aborder et les autres participants tentés de poser des questions à ce niveau voire au niveau des résultats de la recherche. Bien sûr la méthode n’est pas une fin en soi mais un moyen et l’on recherche à affiner une méthode ou à croiser des méthodes pour mieux cerner une question ou pour avoir une certaine assurance de fiabilité des résultats obtenus par le traitement des données et leur interprétation. De plus, les différentes familles d’opérations qu’a identifiées Yves Reuter (constitution du document, construction des données, traitement des données…) ne s’opèrent pas successivement et de manière indépendante les unes des autres mais plutôt de façon dialectique et c’est bien souvent en commençant à traiter les données, voire à les interpréter que se posent de nouvelles questions ou que les questions posées initialement évoluent, se précisent et qu’il faut retourner aux premières étapes et revoir la constitution du document : certaines décisions prises au moment du recueil des données sont irréversibles mais d’autres non ; on peut réécouter une bande, revoir une vidéo, revenir sur une transcription, faire des entretiens complémentaires… Il y a interaction entre les questions de la recherche, une certaine imprégnation des données et les premières interprétations pour faire avancer aussi bien les questions que l’affinement des méthodes. Plusieurs textes rassemblés dans le présent ouvrage soulignent d’ailleurs l’importance de ce temps d’imprégnation des données.
5Néanmoins, et grâce notamment au travail des animateurs des ateliers dont le rôle fut essentiel, des questions importantes ont émergé des travaux présentés et ont commencé à être discutées. Je n’en retiendrai que quelques-unes qui me semblent avoir traversé plus ou moins les débats menés dans les trois ateliers et dont on peut trouver trace dans les textes :
- celle du rapport entre le chercheur et son objet d’étude, qui recouvre la question des microdécisions qu’il prend dans les opérations de constitution et de recueil de données, celle de ses rapports avec les autres acteurs qui interviennent dans la recherche ou dans les données, et bien sûr celle de l’interprétation. Comme l’ont formulé les animateurs de l’atelier 1, "à travers les multiples opérations que subit le matériau des séances enregistrées, n’est-ce pas finalement le chercheur qui impose ou s’impose à lui-même via ces opérations une interprétation préexistante ou latente ?"
- la taille du grain de l’observation : jusqu’à quel niveau de granularité descendre dans l’observation et l’analyse ? Qu’est-ce que les méthodes de recherche permettent de voir mais aussi qu’est-ce qu’elles cachent ? Quelle différence y a-t-il entre visible et observable ? Comment rendre visibles certains phénomènes qui ne le sont pas d’emblée ? Inversement est-ce que tout ce qui est visible est digne d’être observé, est à retenir dans un questionnement didactique ?
- le traitement des données et leur interprétation sont-ils séparables ? Les raisons des choix, le tri sont liés aux cadres théoriques voire à l’épistémologie de la discipline. Peut-on discuter les questions méthodologiques sans aborder les cadres théoriques sous-jacents ?
6En arrière plan se pose aussi la question de ce que l’on appelle didactique : les implicites ne sont pas les mêmes suivant les disciplines et même qu’appelle-t-on discipline ? Peut-on parler de didactique quand il n’y a pas de savoir identifié ? Cette question se retrouve fortement derrière les deux questions fondamentales sur lesquelles Yves Reuter mettait l’accent à la fin de son exposé : comment déterminer qu’un apprentissage est réalisé et comment traiter des relations entre enseignement et apprentissages. Et si, faute de preuve, on doit se contenter de la convergence d’indices, le nœud de la question se trouve me semble-t-il dans la conséquence qu’il souligne lui-même : "Encore faut-il déterminer les conditions de production et de recevabilité des indices et de leur convergence". Il faut voir jusqu’à quel point cette détermination peut se faire sans mettre en jeu de façon fondamentale la discipline concernée et son épistémologie. Si chacun essaie de le faire dans sa discipline, l’échange entre disciplines différentes à ce propos risque de transformer les questions et d’en soulever de nouvelles.
7Cependant certaines questions me semblent se poser quelle que soit la discipline et presque quelle que soit la recherche en didactique. Elles me paraissent des candidates pour servir de thème aux prochaines éditions du séminaire. Je prends le risque d’en avancer trois qui permettraient peut-être une entrée dans le vaste champ balisé par Y. Reuter.
- Le chercheur et son objet d’étude. Quelle est la place du chercheur dans la recherche ? Comment fait-il pour objectiver ses données au moment du recueil et de la sélection, au moment de l’analyse et de l’interprétation ? Comment contrôle-t-il sa position par rapport aux autres acteurs intervenant d’une manière ou d’une autre, explicitement ou implicitement dans la recherche ?
- La temporalité de la recherche et le grain d’analyse. Comment sélectionner et traiter les données quand on a des observations sur un temps long et donc une énorme masse de données ? Pour quelles questions a-t-on besoin d’un temps long ? Pour quelles questions peut-on se contenter d’une observation courte ? Comment retrouver des traces du temps long dans une observation courte ? Comment articuler le temps long et le temps court ?
- L’articulation de méthodes différentes autour d’un même objet. Les recherches en didactiques sont souvent coûteuses sur le plan méthodologique. Comment faire "condenser" les recherches en éducation (cf. rapport Prost, 2001) ? Comment définir les objets de recherche pour faire avancer la recherche en utilisant au mieux ce qui existe déjà, même si la question n’est pas posée comme on l’aurait posée ? Comment lire et intégrer les travaux des autres, jusqu’où doit-on le faire, jusqu’où peut-on le faire ?
Perspectives pour la suite
8Il faut du temps pour entrer dans les problèmes méthodologiques des travaux pris comme exemples pour les débats. Un séminaire de travail demande donc de limiter le nombre d’exemples par atelier et de se donner une organisation qui permette à tous les participants, à partir de leur expérience personnelle de chercheur, de contribuer également au débat pour lequel les textes fournis constituent un point d’appui.
9Cela suppose en particulier un travail à l’avance non seulement des contributeurs et des animateurs des ateliers mais aussi de tous les participants, ce qui demande peut-être un peu plus qu’un an entre deux éditions. Peut-être alors le séminaire permettra-t-il aussi la production de textes nouveaux, issus du travail en atelier, auquel les textes initiaux servent de point de départ….
10L’appel à contributions du séminaire a été -volontairement- très ouvert pour la première édition. Le choix d’un thème permettra de cibler plus précisément les discussions et donc d’espérer une avancée sur le thème retenu pour la prochaine édition, plus conséquente que si chaque atelier travaille sur une question totalement différente. Ainsi, le prochain séminaire sera consacré aux questions liées à la temporalité dans les recherches.
Auteur
IUFM Nord-Pas de Calais DIDIREM (EA 1547)
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Questions de temporalité
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