Une méthodologie pour décrire des déroulements de séances de classe à partir de vidéo dans des recherches sur les pratiques d’enseignants de mathématiques au collège et au lycée
p. 191-202
Texte intégral
1. Introduction
1.1. Type de recherches concernées et vidéo
1Notre intérêt premier de chercheur en didactique des mathématiques est l’apprentissage des élèves en mathématiques (au collège et au lycée), en relation avec l’enseignement dispensé en classe. La démarche globale qui est suivie donne une place centrale aux contenus mathématiques précis, autour desquels s’organisent les différentes recherches1. Nous allons précisément dégager systématiquement ici ce qui relève spécifiquement de notre champ de recherches ou de notre champ disciplinaire.
2Dans ce cadre, la méthodologie que nous allons présenter s’applique dans des travaux visant à analyser des pratiques d’enseignants de mathématiques en classe en relation avec les activités mathématiques2 des élèves qu’elles provoquent : nous nous plaçons essentiellement à l’échelle d’une séance (autour d’une heure), en temps réel en quelque sorte.
3Dans ces recherches, les pratiques sont accessibles grâce à des vidéo filmées pendant les séances en classe, vidéo que nous transcrivons et complétons par d’autres données recueillies autrement (y compris hors de la classe). Nous reviendrons sur le détail du recueil des données dans le premier paragraphe.
1.2. Les deux premières étapes pour analyser les séances à partir des vidéo : des analyses spécifiques (liées aux mathématiques)
4Plus précisément nous traquons d’abord dans nos analyses les activités mathématiques qui sont proposées aux élèves : elles résultent des choix de contenus faits par l’enseignant, que nous devons rétablir, et de ses choix de gestion que nous devons saisir, tant a priori que pendant la séance.
5Cela nous amène à reconstituer ce qu’on pourrait appeler les activités mathématiques potentielles3 des élèves : ce seraient celles d’élèves jouant exactement le jeu de la classe. Elles peuvent souvent se décliner au moins en activités a minima et a maxima.
6Ce choix n’est pas neutre : même s’il correspond à des hypothèses largement partagées par les didacticiens sur le rôle des activités dans les apprentissages, la centration sur les activités possibles des élèves pourrait être remplacée par d’autres centrations : sur les interactions dans la classe par exemple ou sur une reconstitution des différentes situations en référence aux modèles de Brousseau (1998).
7De plus, le choix des variables que nous choisissons pour décrire ces activités est très lié à la nature des mathématiques et à nos hypothèses sur leur apprentissage.
8Ainsi admettons-nous que le savoir mathématique est cumulatif, organisé en réseaux traversés par une diversité de domaines de travail4 et de niveaux de généralité, mettant en jeu des formalismes et des raisonnements déductifs au sein d’une logique en vrai/faux. Les objectifs d’apprentissage correspondants se déclinent pour nous en termes de conceptualisation et d’organisation des connaissances : l’apprentissage d’un concept met en jeu5 à la fois son utilisation dans les différents domaines de travail où il peut être travaillé, y compris avec leurs écritures spécifiques, et ses relations avec les autres concepts.
9Les dynamiques entre contextualisation et décontextualisation ont ainsi une place fondamentale dans la construction des connaissances : que ce soit pour introduire une notion avec du sens en faisant fonctionner un outil qui deviendra un objet (concept) ou dans les exercices où la notion est mise en fonctionnement. La qualité des contextualisations proposées, leur variété et les diverses adaptations qu’elles amènent les élèves à faire avec les notions visées, sont autant de facteurs que nous retenons pour décrire les activités. Il ne s’agit pas de penser qu’automatiquement, plus les élèves auraient par exemple cherché des exercices divers mieux ils apprendraient : cela dépend encore de manière fondamentale du travail que les élèves vont fournir, des déroulements et notamment des durées de travail consenties par l’enseignant, des bilans, etc. Néanmoins, de manière caricaturale, nous supposons que si un type de tâche n’est jamais proposé aux élèves, beaucoup d’entre eux ne réussiront pas à l’aborder tout seuls.
10La méthodologie d’analyse de ces activités possibles des élèves comprend deux étapes : une première analyse a priori des activités mathématiques telles qu’on peut les prévoir à partir des énoncés6 proposés aux élèves est menée, plus ou moins détaillée, faisant intervenir déjà quelques éléments extérieurs à la vidéo comme la place de la séance dans le chapitre correspondant, les programmes de la classe et la nature particulière des notions en cause.
11Cette première analyse est complétée dans une deuxième étape nous « pondérons » les prévisions précédentes en faisant intervenir le déroulement des séances, que nous étudions à partir de la vidéo ; nous nous centrons sur les conséquences de la gestion de l’enseignant sur les activités mathématiques des élèves.
12Ces deux étapes permettent de reconstituer les activités mathématiques proposées aux élèves, activités encore une fois certes potentielles mais qui nous intéressent dans la mesure où elles peuvent nous renseigner sur les apprentissages mathématiques.
1.3. La troisième et dernière étape (plus générale)
13Mais on ne peut pas espérer comprendre des apprentissages à partir d’une seule séance sur la notion, même si la séance est bien située dans le travail prévu sur le chapitre concerné : les analyses doivent être complétées par des renseignements à une autre échelle, plus globale ; de plus ce type d’analyses ne permet pas de comprendre ce qui dans les pratiques concernées peut varier ou est quasiment contraint. Or les apprentissages sont pour nous conditionnés par les activités organisées en classe, même si d’autres facteurs importants interviennent. Il est donc nécessaire de mieux comprendre la variabilité inter et intra-individuelle des pratiques pour appréhender les possibles dans ce domaine.
14Nous devons indiquer cependant que de nombreuses recherches nous ont amenées à admettre la stabilité des pratiques de chaque enseignant, pour des enseignements « standards » : c’est ce qui justifie que nous donnons une légitimité à des résultats d’analyses conduites même sur un petit nombre de séances, à condition de les relativiser.
15Cela nous amène toutefois à ajouter une troisième étape où nous utilisons d’autres renseignements plus globaux, qui ne se recueillent pas seulement en classe : ces renseignements peuvent avoir des conséquences sur les activités mathématiques des élèves, et surtout ils nous permettent d’aborder la question des pratiques des enseignants concernés.
16Nous faisons ainsi intervenir dans nos analyses des déterminants des pratiques des enseignants liées au métier (et pas seulement les apprentissages des élèves). Cette double approche est présentée dans Robert et Rogalski J., 2002.
17La composante personnelle des pratiques notamment, qui permet de prendre connaissance du projet de l’enseignant, est rendue accessible par des questionnaires ou des entretiens, facilités par la référence à une séance précise. Ainsi peuvent être renseignés des facteurs globaux, à une échelle de temps plus longue que celle de la séance, comme les habitudes que l’enseignant essaie d’introduire, les reprises des notions qui sont prévues avec les élèves et la progression suivie, la représentation de la classe et de son hétérogénéité que s’est faite l’enseignant — avec les conséquences sur ses choix, la gestion des contrôles, le poids de l’établissement. Cela conduit à chercher et à mettre en évidence certaines contraintes, collectives, institutionnelles, épistémologiques, sociales, qui peuvent laisser des traces plus ou moins cachées sur les déroulements et les activités correspondantes des élèves.
1.4. Portée et limites de ces analyses
18Nous présentons donc une méthodologie permettant, à partir de vidéos et de leur transcription, des analyses de ce qui est proposé aux élèves en classe : on pourrait dire que nous reconstituons les itinéraires cognitifs proposés aux élèves en classe, a priori « cachés ».
19Soulignons que les analyses que nous proposons sont nécessaires : la donnée des seuls énoncés ne renseigne pas sur le travail que les élèves ont pu faire sur ces énoncés pas plus que la seule analyse de la gestion, indépendamment des contenus proposés, or c’est le travail mathématique des élèves tel qu’il est provoqué en classe que nous retenons dans notre quête des apprentissages.
20D’autre part notre méthodologie permet la recherche de contraintes, personnelles, mais aussi collectives, institutionnelles, épistémologiques, sociales, qui peuvent influencer les déroulements.
21Le grain est celui du temps réel, la théorie sous-jacente celle de l’activité : la problématique dans laquelle s’insère cette méthodologie est celle de la recherche des activités des élèves en relation avec leurs apprentissages et de l’activité des enseignants en relation avec leurs marges de manœuvre.
22En revanche, il y a des facteurs cachés qui ne sont pas pris en compte, notamment tout ce qui est lié au psychisme des acteurs en présence, et au langage utilisé. En particulier nous faisons comme si les élèves entendaient à peu près ce qui est dit (s’ils écoutent) — contrairement à ce que suggèrent d’autres travaux sur les élèves en difficulté notamment.
23De plus nous "négligeons" aussi des dynamiques fines liées aux interactions comme celles qui sont développées dans Pariès, 2004 ou d’autres dynamiques liées à des mots ou des phrases qui reviennent beaucoup : d’une certaine manière nous ne nous donnons pas les moyens de comprendre comment l’enseignant mène sa barque à un niveau très fin du discours.
24Dans certaines recherches nous avons différentes analyses et cela a permis de les préciser ou d’en confirmer les résultats en exhibant par exemple des mécanismes langagiers réguliers associés à certaines activités de l’enseignant et des élèves (Robert et Rogalski, 2005).
25En fait, si on élargit les analyses de pratiques en essayant d’intégrer différentes échelles qui peuvent intervenir, on peut dégager les trois niveaux suivants, à ré imbriquer dans les analyses (peut-on parler d’organisateurs des pratiques7 ?)
Un niveau micro
26C’est celui des gestes, des routines, des automatismes, éventuellement des formes langagières, vraisemblablement liées à la fois au métier et à la composante personnelle des pratiques. La stabilité des pratiques d’un enseignant donné repose notamment sur ce niveau.
27Nos analyses ne renseignent pas ou peu ce niveau.
Un niveau macro
28C’est celui de la progression choisie sur l’année, du champ mathématique et des stratégies (qui aboutissent à un projet précis sur un chapitre ou une notion), liés à la fois à des contraintes institutionnelles partagées par tous les enseignants (programmes ou manuels par exemple), à des contraintes sociales (composition des classes, choix des établissements) et à des anticipations personnelles sur les déroulements en classe. Là encore on peut voir se traduire la stabilité des pratiques, fondée sur la cohérence interne de chaque enseignant.
29Nos analyses tiennent compte de ce niveau, en en cherchant des traces à l’échelle d’une séance.
Un niveau local
30C’est celui où nous travaillons, le niveau de la séance ou de quelques séances ; il est lié aux deux niveaux précédents ; il fait intervenir le temps réel, et donne à voir un enseignant qui manœuvre avec ses ressources micro entre un projet et une classe particulière, compte tenu de contraintes très diverses. A ce niveau se croisent effectivement enseignant et élèves, à la même échelle, et c’est précisément ce que nous analysons, tout en dissymétrisant les rôles.
31Dans cette institution nous allons revenir sur notre méthodologie en précisant d’abord rapidement le recueil de données et en développant ensuite les différents outils mis en œuvre dans les trois étapes des analyses.
2. Le recueil de données : une évolution des prises de vue vers une simplification du dispositif
32Les prises de vue que nous utilisons pour analyser les séances en classe ont évolué depuis une dizaine d’années.
33Au début on envoyait un observateur d’une part et deux opérateurs spécialisés qui filmaient l’enseignant et « la classe » — nous récupérions deux cassettes séparées. L’observateur était chargé du recueil de données complémentaires (projet de l’enseignant, entretien avant et après, etc.).
34Cela correspond à un dispositif assez lourd, les élèves et même l’enseignant peuvent être gênés. De plus nous n’avons pas réussi à exploiter la cassette « classe », sauf à vérifier certaines réactions d’élèves traduisant une perturbation.
35Dans le même temps, nous avons eu l’idée de faire une recherche sur le tableau noir et son utilisation par les enseignants : cela nous a conduit à simplifier le dispositif en supprimant toutes les interventions extérieures et en demandant simplement à l’enseignant concerné de placer une caméra face au tableau… et de l’oublier !
36En fait ce dispositif a été généralisé dans toutes les recherches ultérieures : l’enseignant a une caméra et souvent un pied qu’il dispose lui-même face au tableau (souvent au fond de la salle de classe) ; il enregistre ainsi sa séance sans plus se préoccuper de la caméra.
37On obtient de très bonnes vidéo, on entend parfaitement bien l’enseignant même si on ne le voit pas tout le temps, la perturbation semble minime ; quelquefois on entend un peu moins bien les élèves ; si des problèmes d’autorisation se posent, l’enseignant choisit de ne pas envoyer les élèves au tableau, ce qui fait qu’on peut ne pas voir d’élèves.
38Dans certains cas, on présente la vidéo à l’enseignant filmé et on le questionne sur la séance. Cela permet d’inscrire la séance particulière dans ce que l’enseignant peut dire de ses pratiques de manière plus générale.
39Les vidéo sont complétées par des données diverses, en relation avec le contenu précis de la recherche, recueillies de manière classique : horaires, programmes, manuels, productions d’élèves.
3. Des outils méthodologiques pour décrire les séances à partir de vidéo
40Nous allons décrire la méthodologie utilisée pour analyser des vidéos correspondant à une séance d’une heure (ou à un extrait de séance). L’objectif du chercheur est à la fois l’analyse des activités des élèves autorisées par les interventions de l’enseignant et l’analyse de ces interventions du point de vue du professeur. Nous n’évoquons ici que le travail sur des extraits de vidéo où les élèves travaillent sur des exercices (recherche et/ou correction).
41Ce type d’étude peut déboucher sur des analyses centrées sur les pratiques des enseignants : on complète alors au moins par le projet de l’enseignant sur un temps un peu plus long et par des descriptions des contraintes diverses. Le cas échéant on ajoute des analyses de divers indicateurs langagiers utilisés qui peuvent conduire à des inférences sur les apprentissages.
3.1. La première étape : établissement d’une chronologie et analyse de tâches mathématiques a priori
42Dans un premier temps, à partir de la vidéo et/ou de la transcription, on établit la chronologie de la séance (ou de l’extrait), dictée par la suite des tâches qui sont abordées par les élèves.
43Dans un deuxième temps on liste les tâches mathématiques que vont rencontrer a priori les élèves, sans tenir compte du déroulement effectif mais seulement des énoncés mathématiques (c’est ce qui définit le travail à faire).
44Cette analyse met en jeu les connaissances à utiliser et la manière de le faire : types de connaissances (théorèmes, définitions, démarches, raisonnements), « âge » de ces connaissances (anciennes ou nouvelles), connaissances supposées disponibles ou non8, production attendue.
45Pour l’application d’un théorème par exemple, on distingue les adaptations des applications simples et isolées, qui consistent à remplacer les données du théorème par des données particulières dont on vérifie qu’elles conviennent. Les adaptations qualifient les utilisations non immédiates : on distingue notamment les reconnaissances de modalités d’applications, la possibilité d’avoir à faire un choix, le fait de rétablir ou d’organiser des étapes non indiquées, le fait d’introduire des intermédiaires, de changer ou mélanger des cadres ou des registres, de mélanger des connaissances, d’utiliser ce qui précède et de faire des relations.
46Au final on distingue ainsi des tâches a priori simples et isolées (menant à des applications immédiates) ou comportant des adaptations, faisant ou non intervenir des mélanges de connaissances (isolées ou non).
47L’étape suivante, que nous allons détailler ci-dessous consiste à analyser le déroulement sur chaque tâche, à la fois du côté de l’enseignant en précisant ses interventions, et du côté des activités potentielles des élèves (dont on peut penser qu’elles sont effectives pour certains élèves).
3.2. La deuxième étape : analyses de déroulement et reconstitution des activités des élèves
48La chronologie permet de répartir ce qui est délégué aux élèves et ce qui est du côté de l’enseignant, ces renseignements seront insérés ensuite dans les analyses plus globales.
49On liste aussi les formes de travail des élèves, là encore pour insérer ce renseignement dans une certaine globalité : les élèves travaillent-ils à leur place, en petits groupes, avec un élèves au tableau… On pointe s’il s’agit de travail autonome, de questions-réponses (dialogue), d’écoute, de recopiage, de production écrite ou orale (notée ou non).
50Les interventions de l’enseignant sont soigneusement étudiées, on distingue :
les encouragements ou avertissements (non mathématiques), appels à la mémoire, menaces du contrôle ;
les aides sur le travail mathématique ;
l’utilisation du tableau ;
les évaluations : corrections, validations, s’appuyant ou non sur les élèves.
51Plus précisément on décline les aides, en repérant :
le moment où elles interviennent : avant le travail des élèves (préparation), pendant, a posteriori (synthèses, bilans), à côté (par rapport à l’activité correspondante des élèves) ;
les formes qu’elles prennent : question aux élèves (ouverte), échange élève — professeur, réponse, relance, indications (fermé), explication ;
la nature : indications précises ou remarques générales (directes ou indirectes), méthodes mathématiques, découpage en sous-tâches, rappel de cours, bilans ;
le prétexte (support) : contenus mathématiques précis ou plus généraux, formes (rédaction), travail.
52On reconstitue enfin, autant que possible, à partir de ce qui précède les activités qu’ont pu avoir à effectuer les élèves, activités minimales (après toutes les interventions de l’enseignant sur la question) et maximales (avant, en profitant même de tout petits temps de silence par exemple).
3.3. La dernière étape
53Elle consiste à intégrer les analyses précédentes dans un contexte plus large.
54Un des moyens que nous utilisons systématiquement à cet effet est de poser la question des alternatives qui sont envisageables pour la séance étudiée : alternative de l’enseignant concerné, si possible questionné sur ce problème (pouvait-il faire autrement ?), et alternatives plus générales.
55Ce travail systématique permet de questionner les contraintes et les marges de manœuvre, et fait rencontrer différentes problématiques classiques des enseignants : par exemple la problématique de la simplification. Une tâche a été proposée par l’enseignant, les élèves n’ont pas trouvé, l’enseignant donne de nouvelles indications, transformant la tâche en la réduisant. Pouvait-on faire autrement ? A quel prix ? Pour quel bénéfice ?
4. Conclusion : un exemple, des perspectives
4.1. Un exemple
56Cette méthodologie peut être utilisée sur un exemple de séance de mathématiques de 28 minutes filmé9. Voici un résumé des analyses obtenues sur la première partie de la première question de l’exercice présenté ci-dessous.
Enoncé 1
EFG est un triangle tel que EF = 5, EG = 7, FG = 9 (l’unité est le cm). On prend un point M sur le segment [EF] et on pose EM = x. Un point N est sur le segment [EG] et tel que les droites (MN) et (FG) sont parallèles.
1) Exprimer EN et MN en fonction de x.
2) Calculer x pour que le périmètre du trapèze MNGF soit égal à 19,8.
4.1.1. Analyse a priori
57Pour le premier énoncé, il faut d’abord faire une figure, qui est proche de figures déjà utilisées dans le cours (et les exercices). Cette première étape n’est pas indiquée explicitement ; les données numériques n’excluent pas une construction en vraie grandeur et un travail de mesurage, avec évidemment alors une difficulté pour placer M. De plus la figure n’est pas donnée tout à fait dans l’ordre de la construction : on signale que N est sur le côté [EG] avant de dire que les droites (MN) et (FG) sont parallèles, ce qui peut retarder certains élèves.
58Compte tenu des programmes en vigueur, les élèves ont alors à reconnaître qu’il faut utiliser le théorème de Thalès dans la figure donnée, sous une forme déjà donnée en quatrième ; ils ont cependant à l’utiliser en adaptant l’énoncé du théorème : il faut en effet remplacer la longueur EM par x. Signalons que le mot « exprimer » n’est pas encore beaucoup utilisé à ce niveau scolaire : ceci peut fonctionner comme le signal d’une adaptation ou comme une difficulté. Les lettres E, F… ne sont sans doute pas celles du cours mais on peut penser que cela ne pose plus de problème en troisième standard, alors que cela peut être une source de difficultés ailleurs. Puis les élèves ont à faire un travail algébrique (nous nous arrêtons là).
4.1.2. Le déroulement (début)
59Après avoir écrit le texte au tableau, l’enseignant installe presque immédiatement le travail sur la première question, collectivement, pendant 6 minutes à peu près. Il indique ainsi de faire la figure (pas nécessairement en vraie grandeur), il fait préciser les hypothèses et la conclusion, il fait remarquer que x peut varier de 0 à 5 cm, en insistant sur le fait que M est variable. Enfin il demande les idées générales qui vont guider le travail : utilisation du théorème de Thalès, mais avec un « x ». Une courte recherche individuelle de 1minute 25 commence ensuite, qui se conclut par la correction en 3 minutes de la première partie de la question (avec un élève au tableau) : l’écriture des 3 égalités obtenues à partir du théorème.
4.1.3. Reconstitution des premières activités des élèves
60A minima, si un élève attend les indications de l’enseignant pour s’y mettre, il aura tracé sa figure à main levée : cette tâche est indiquée, et devient une activité simple et isolée ici. Il aura essayé d’utiliser « tout seul » le théorème de Thalès sans avoir réfléchi à la nécessité de cette utilisation, c’est-à-dire sans l’avoir trouvé seul ; il sera rassuré à l’avance sur le fait qu’on peut « mettre » x dans les égalités correspondantes. Il aura pu recopier au tableau ces égalités.
61La manière de gérer l’exercice en classe peut ainsi réserver les initiatives prévues à certains élèves et permettre à d’autres de se mettre au travail un peu plus tard, sur des tâches simples et isolées. Lorsque les élèves les plus rapides ont fini, une correction soigneuse permet de laisser dans les cahiers des élèves qui recopient le tableau un modèle de rédaction de solution.
4.1.4. Activités de l’enseignant et élargissement
62L’enseignant est très présent : il rassure, il parle beaucoup, il n’organise pas d’échanges en dehors de lui. De plus il guide les activités mathématiques au fur et à mesure, il laisse une certaine autonomie à tous les élèves dès que les tâches sont bien balisées.
63Cet enseignant introduit de nombreux formats systématiques de travail, les mots « habitudes, habituels » sont très présents. Cela concerne aussi bien ce qui est dit et répété que les activités des élèves, qui se répètent aussi, et le questionnaire rempli par l’enseignant confirme le caractère ordinaire de cette séance. Ainsi est-ce habituel de faire la figure, de dégager hypothèses et conclusion avant de commencer, de réfléchir collectivement, à la demande du professeur, et avant de commencer la résolution, aux méthodes précises à mettre en œuvre. L’enseignant livre à chaque fois une correction modèle au tableau, même si c’est un élève qui écrit.
64L’enseignant interrogé n’envisage aucune alternative pour cette séance.
4.2. Perspectives
65Des analyses de vidéo de ce type contribuent à notre connaissance des diversités, régularités et variabilités des pratiques que les enseignants développent en classe de mathématiques, en relation avec les apprentissages ; on a ainsi déjà cité la stabilité des pratiques d’un enseignant, d’autres résultats ont été établis (cf. Robert, 2005) ; d’autre part ces analyses peuvent aussi être adaptées à des fins de formation (cf. Hache et al. 2005).
Bibliographie
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Brousseau G. (1998) : Théorie des situations didactiques, Grenoble, La pensée sauvage.
Douady R. (1987) : Jeux de cadres et dialectique outil/objet, Recherches en didactique des mathématiques 7 (2), 5-32.
Duval R. (2002) : Comment décrire et analyser l’activité mathématique ? Cadres et registres, in Actes de la journée en hommage à Régine Douady, IREM, Université Paris 7, 83-105.
Hache C., Horoks J., Robert A. et Roditi E. (2005) : « Les analyses de vidéo : outils de recherche et moyens de formation pour les enseignants du second degré en mathématiques », Actes du 5ème Colloque International, Recherche (s) et Formation « Former des enseignants-professionnels, savoirs et compétences », Nantes, CDRom.
Paries M. (2004) : Comparaison de pratiques d’enseignants de mathématiques, relations entre discours des professeurs et activités potentielles des élèves, Recherches en didactique des mathématiques, vol 24 2/3, 251-284.
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10.1080/14926150209556538 :Robert A. et Rogalski J. (2005): A cross-analysis of the mathematics teacher’s activity. An example in a French 10th-grade class, Educationnal studies in mathematics, Vol 59, 267-298.
10.1007/s10649-005-5890-6 :Notes de bas de page
1 Nous devons indiquer qu’il existe d’autres recherches en didactique des mathématiques sur les pratiques que celles qui sont présentées ici, notamment en Théorie Anthropologique du Didactique, faisant intervenir différentes praxéologies (mathématiques et didactiques) et en Théorie des Situations, faisant intervenir différentes milieux et différentes régulations du maître.
2 Au sens large : ce qu’ils pensent, disent, font et ne font pas.
3 Le mot « potentielles » est à prendre au sens de « possibles compte tenu du déroulement » ; il ne s’agit pas du tout des activités que pourraient faire les élèves aidés par l’enseignant (cf. ZPD).
4 Cadres au sens de Douady (1987), registres au sens de Duval (2002) en ce qui concerne les écritures
5 Au sens : implique et est impliqué par …
6 Là encore au sens large : ce peut être des exposés de mathématiques.
7 Cf. OPEN : séminaire du réseau 2004.
8 C’est à dire indiquées ou non, fléchées ou non.
9 Les contributions de M. Pariès et J. Rogalski dans ce volume s’appuient sur le même extrait.
Auteur
IUFM de Versailles, Equipe DIDIREM (E. A. 1547)
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