Le synopsis : un outil pour analyser les objets enseignés
p. 175-189
Texte intégral
1Pour étudier l’évolution de l’objet enseigné dans le cadre des pratiques de la classe, nous proposons un outil méthodologique spécialisé : le synopsis. Rédiger le synopsis d’une séquence d’enseignement consiste à traiter et à concentrer les données recueillies dans la classe et puis transcrites de manière à saisir, d’une part, les principales caractéristiques de l’objet tel qu’il fonctionne dans la classe ; d’autre part, les contraintes contextuelles et les dispositifs didactiques qui interviennent dans sa construction ; enfin, l’ordre et la hiérarchie dans la présentation de l’objet enseigné, grâce à la vision holistique de la séquence de travail dans laquelle celui-ci s’inscrit et se déploie.
2Dans cette contribution, nous cherchons à décrire et à problématiser la méthode d’élaboration du synopsis. Deux aspects de notre travail seront mis en évidence et discutés :
- Comment peut-on reconstruire l’objet effectivement enseigné dans l’empan de l’observation d’une séquence d’enseignement ? A propos de cette première question, nous défendons la nécessité d’adopter un point de vue multiple (par niveaux, multidimensionnel et multifocal) facilitant l’étude des objets enseignésen acte.
- Quel est le type d’adéquation entre l’outil de recherche et l’objet ? L’adéquation nécessaire entre les outils et les objets de la recherche justifie une démarche par ajustements successifs, dans laquelle l’outil, le synopsis, met en perspective les principaux traits des objets d’enseignement en acte en fonction des questions à résoudre, de la prise de distance et/ou du niveau de focalisation sur une ou l’autre des dimensions retenues.
1. Une recherche sur les objets enseignés en classe de français
3Le but que nous visons dans notre projet de recherche actuel1 est de décrire et de comprendre aussi précisément que possible les objets effectivement enseignés en classe de français. L’observation du travail réalisé par les enseignants du secondaire obligatoire en grammaire et en production écrite constitue la base de notre étude des processus de sélection et de sémiotisation des contenus tels qu’ils se manifestent dans le cadre de la dynamique complexe des échanges entre enseignant et élèves. Aux fins d’une telle étude, nous avons choisi d’enregistrer de longues séquences d’enseignement qui rendent possibles non seulement une description fine des activités d’enseignement effectuées mais aussi une observation de l’évolution des contenus abordés.
4Du point de vue de ce qu’aujourd’hui on appelle la transposition didactique interne, il s’agit d’examiner la manière dont des objets inscrits dans les plans d’études comme objets à enseigner sont re-configurés et co-construits par les partenaires de la situation didactique à travers l’interaction en classe. Dans cette perspective, l’objet enseigné n’est pas défini comme un objet stable mais comme un objet qui se modifie en fonction des dispositifs d’enseignement choisis, évolue en fonction des contraintes de la classe et se transforme dans le cadre de l’activité, grâce aux interactions complexes entre les trois pôles du triangle didactique constitué par l’enseignant, les élèves et les objets d’enseignement.
5Afin de délimiter le cadre de la recherche, deux objets présents dans les plans d’études suisses-romands de la fin de la scolarité obligatoire ont été choisis pour être contrastés : un objet discursif, le texte d’opinion ; et un objet grammatical : la subordonnée relative. Saisir la logique du passage à l’activité de ces deux objets ainsi que comprendre les déplacements et les transformations qu’ils subissent au cours de l’enseignement, cela suppose l’identification des contraintes inhérentes aux situations didactiques étudiées.
6Trois grandes questions générales guident l’ensemble de la recherche : les enseignants diffèrent-ils fortement ou faiblement quand ils construisent un même objet en interaction avec les élèves de leur classe de français ? Ces différences sont-elles plus ou moins accentuées si l’on compare des objets contrastés comme la phrase relative et le texte d’opinion ? Quelles sont les contraintes des situations didactiques qui déterminent la dynamique des objets au cours de l’enseignement ?
7Le dispositif de recueil et de traitement des données prévoit l’enregistrement en vidéo des séquences d’enseignement réalisées par un échantillon de 30 séquences d’enseignement du secondaire obligatoire réalisées par des enseignants volontaires, la moitié travaillant sur la subordonnée relative, l’autre moitié sur l’écriture du texte d’opinion.
8L’ensemble du matériel récolté fait l’objet d’une double analyse : la première vise une description globale des 30 séquences au moyen de l’outil que nous appelons synopsis ; la deuxième porte sur les unités décontextualisées de la séquence : tâches proposées et milieux dans lesquelles elles sont effectuées ; contenus institutionnalisés ou non ; éléments rappelés et anticipés dans le discours des enseignants ; moments de résistance et obstacles pour les élèves ; moyens et moments d’évaluation. Dans cette contribution, nous mettrons en évidence le processus d’élaboration du synopsis comme outil de recherche ainsi que les principaux indicateurs et critères retenus pour saisir l’objet enseigné. Mais, avant de définir ce que nous entendons précisément par synopsis et de discuter la construction de cet outil, il nous semble important de clarifier le point de vue adopté.
2. Un point de vue multiple
2.1. Le point de vue crée l’objet
9L’analyse des pratiques professionnelles de l’enseignant vise souvent le processus d’enseignement et peut se faire sans prendre en considération les objets enseignés. Il s’agit alors d’une perspective qui met en évidence les dimensions transversales du travail de l’enseignant et son rapport avec l’apprenant. Le recentrage sur l’objet constitue une spécificité du point de vue didactique.
10Du point de vue épistémologique, la démarche est didactique et se réclame de l’interactionnisme social. La connaissance de l’objet enseigné en acte est ainsi analysée dans le cadre des relations d’interdépendance entre les savoirs relatifs à l’objet à enseigner et les sujets qui participent à leur reconstruction (l’enseignant et les élèves). Les savoirs à enseigner sont étroitement dépendants de leur histoire pluridisciplinaire et de l’histoire des pratiques sociales et scolaires. Les partenaires de la situation didactique interagissent dans des situations collectives scolaires dans lesquelles les objets prennent une signification sociale et sont reconstruits par les usages du groupe.
11Dans cette perspective, les situations d’enseignement sont vues en fonction des objets abordés et des représentations sous-jacentes. La vision des objets d’enseignement détermine alors le regard sur le déroulement de l’activité enseignante et sur les processus d’apprentissage. Cela dit, les points de vue qui contribuent à saisir les objets enseignés en acte nous semblent multiples. Comme dans le jeu de miroirs d’un kaléidoscope, le regard sur l’objet peut se décomposer en de multiples facettes et d’infinies combinaisons qui exigent ensuite une recomposition de la part du chercheur. La succession rapide et changeante des faits constituant le déroulement d’une leçon ne montre toute sa complexité que par ce jeu de points de vue.
2.2. Des déplacements des points de vue
12Une analyse par déplacements des points de vue conduit à des prises de distance successives permettant d’opérationnaliser progressivement la saisie des principaux foyers d’information de la séquence d’enseignement observée. Ainsi, le synopsis procède par des éloignements et des approximations successifs par rapport aux faits observés permettant de transposer les mêmes données en textes différents.
13La première prise de distance se produit dans le passage de l’enregistrement des interactions didactiques — le regard du chercheur qui enregistre est, soit dit en passant, déjà un regard orienté — à la transcription (texte des échanges verbaux qui inclut de nombreux paratextes sous forme de parenthèses et d’annexes concernant les activités observées, les supports utilisés et les formes de travail).
14La deuxième prise de distance résulte de l’utilisation de notre outil de recherche, le synopsis, qui extrait des informations essentielles des transcriptions en fonction de critères et procède à une reformulation des éléments sélectionnés en fonction des objectifs de la recherche.
2.3. Une analyse séquentielle et hiérarchique
15Une condition de la réalisation d’un synopsis est l’acceptation de la possibilité de paraphraser des foyers d’information retenus et transformés via les différents textes (les interactions orales et écrites en classe, les textes des transcriptions et les annexes ainsi que les différents niveaux du synopsis). Ce travail suppose également de fixer des critères de sélection des éléments essentiels, de mise en ordre et de hiérarchisation pour les chercheurs. Il exige enfin de construire une sorte de macro-structure renvoyant à un modèle ou système cohérent permettant de restituer la logique générale de l’activité enseignante lors de l’évolution de l’objet enseigné.
16Cette analyse prend la séquence d’enseignement comme une unité d’ensemble, décrite dans ses aspects les plus globaux, et cherche à identifier ses principales composantes. Chaque composante est découpée en composantes de niveau inférieur, emboîtées les unes dans les autres, selon une procédure de partage récursive. Les critères de découpage et de reformulation des foyers d’information peuvent différer en fonction du niveau hiérarchique dans lequel on se trouve. L’analyse par niveaux permet de situer les activités scolaires dans la séquence d’enseignement, contribue à saisir les relations de séquentialité et de hiérarchie entre les composantes, et facilite la compréhension des rapports entre les analyses macro et micro des phénomènes étudiés.
2.4. Décomposer les dimensions de l’objet
17Le caractère multidimensionnel se justifie par la complexité même des objets à enseigner. Saisir les différentes dimensions d’un objet d’enseignement exige une décomposition de cet objet en fonction des dimensions enseignables. Une analyse a priori de l’objet à enseigner permet de fournir une première carte conceptuelle de ces dimensions. Aussi bien la subordonnée relative que le texte d’opinion ont fait l’objet de multiples études en sciences du langage, en psychologie et en didactique des langues. Ces études nous aident dans l’élaboration de la carte conceptuelle de l’objet à enseigner. Cependant, ce sont surtout les activités observées qui aident à rendre visible le découpage de l’objet et les composantes retenues pour l’enseignement. Ici, ce sont les éléments du contexte, les situations d’enseignement, les dispositifs didactiques, les supports et les formes de travail qui nous aident à percevoir la décomposition et les transformations de l’objet. On peut affirmer que, dans cette recherche, l’activité scolaire n’est pas étudiée en soi mais surtout en fonction de l’aide qu’elle apporte pour comprendre le processus et les formes de dépliage d’un objet d’enseignement en vue de son apprentissage.
2.5. Comparer
18L’approche comparatiste, procédant par contraste et par analogie, permet la mise en évidence des spécificités éventuelles à chaque objet (texte d’opinion et subordonnée relative). La comparaison n’est pas possible sans un contrôle des situations de recueil des données, sans fixer préalablement les termes de la comparaison et sans l’application rigoureuse d’indicateurs et de critères pour l’élaboration des synopsis. Le fait de contraster dans une approche différentielle nous aide à mieux saisir ce qui est spécifique à chaque objet.
2.6. Une démarche multifocale
19Les focalisations sur l’objet ne sont pas uniquement des déplacements de point de vue. Elles apportent également des éclairages successifs sur des questions didactiques fondamentales qui peuvent subir un traitement « a-chronique », c’est-à-dire qui peuvent être étudiées a posteriori et de manière relativement indépendante de l’enchainement des activités scolaires. Le synopsis facilite le repérage des moments et des lieux où se réalisent les gestes professionnels de l’enseignant. Parmi ces gestes, les plus caractéristiques sont les suivants : la mise en temporalité de l’objet (mémoire et anticipation didactique) ; les dispositifs didactiques (formulation des tâches, supports et formes de travail) ; la régulation et la mémoire didactique ; la réaction à l’imprévu et l’effet des obstacles rencontrés sur la construction de l’objet ; l’institutionnalisation de nouveaux savoirs ; l’évaluation, etc.
2.7. Intégrer les multiples points de vue
20C’est avec une attention particulière à l’intégration des multiples points de vue présentés ci-dessus que nous avons élaboré notre outil méthodologique. Pour le dire autrement, confrontés à la complexité des séquences d’enseignement enregistrées, à la mouvance et à l’opacité de certaines des formes que prennent ces objets lors de l’enseignement, l’outil méthodologique que nous présentons est le résultat d’un long processus heuristique d’adéquation à l’objet. C’est grâce à une confrontation et à des ajustements successifs avec les données de la classe que nous pensons disposer maintenant d’un outil méthodologique qui contribue à dévoiler la configuration et la dynamique de l’objet enseigné ; cet outil est le synopsis, que nous allons présenter de manière résumée.
3. Le synopsis : un outil d’analyse hiérarchique et séquentielle2
3.1. Démarche générale : comment procéder ?
21Etant donné notre unité de travail, le découpage des séquences se déroule en trois temps, que nous distinguons ici, même si les frontières entre elles sont parfois poreuses. Ce travail interprétatif de découpage est un travail d’appropriation active du sens et de la logique de la séquence. Il se fait essentiellement sur la transcription de la séquence, moyennant un travail sur le texte, avec annotations, traits, soulignement, etc. Le travail interprétatif s’enrichira par le recours à d’autres textes, soit les supports distribués aux élèves (manuels, extraits photocopiés, questionnaires), soit les informations consignées au tableau noir, soit encore les entretiens ante et post réalisés avec des enseignants.
22Premier temps : le chercheur prend d’abord connaissance de la séquence dans son ensemble. Il la lit dans la linéarité de sa manifestation et s’aide – éventuellement – de la séquence enregistrée. Cette première lecture du texte des transcriptions se fait dans une attitude qu’on pourrait appeler d’attention flottante ; recourant aux signes (changement d’activité, ponctuants, consignes, annonce du plan de la séquence) des divers systèmes sémiotiques du cadre interprétatif, le chercheur établit un premier découpage séquentiel, non encore nécessairement hiérarchisé. Annotations et traits émaillant le texte de la transcription, il essaie un premier étiquetage des unités ainsi dégagées. Il faudra attendre la lecture du tout et une deuxième lecture pour confirmer les premières hypothèses. À ce stade, l’hypothèse de l’interprète est un instrument de lecture qu’il élabore pas à pas en suivant le déroulement de la séquence.
23Deuxième temps : à la lecture du tout, le chercheur peut dégager un niveau zéro, où les élèves sont en contact avec l’objet d’enseignement. C’est le niveau des « activités scolaires » (cf. Infra). Le codage de ce niveau reste en suspens. Il faudra attendre la troisième étape pour lui attribuer une marque de hiérarchisation. À ce stade, les unités de ce niveau peuvent encore être décomposées, en fonction de leur importance et de leur structure interne.
24Troisième temps : sur la base de cette définition des activités scolaires, le chercheur regroupe les unités séquentielles en unités superordonnantes et leur attribue des niveaux hiérarchiques. Ce regroupement et son codage procèdent d’un troisième moment interprétatif. Le recours aux divers systèmes sémiologiques s’impose à nouveau : le discours de l’enseignant, les supports distribués aux élèves, la structuration du matériel d’enseignement, les objets de la langue, de la littérature ou du texte (du genre de texte) visés par la tâche. Ce regroupement a pour but de faire ressortir la logique de l’action didactique. À l’issue de cette dernière étape, le chercheur reprend son instrument élaboré au premier temps, ajuste ses premières hypothèses, dans un mouvement de va-et-vient entre les niveaux hiérarchiquement supérieurs et inférieurs, revoit son premier étiquetage, puis établit le texte du synopsis. Le résultat de ce travail interprétatif est l’établissement d’un texte provisoire, qui devra être confronté aux autres synopsis établis par ailleurs. Ce texte enrichit l’intertexte de la transcription en lui donnant une architecture, la cohérence d’un ensemble. Mais il enrichit aussi l’intertexte de la collection des synopsis en permettant la comparaison.
25Le texte du synopsis aboutit à cette disposition tabulaire.
3.2. Forme du synopsis
3.2.1. Caractérisation du synopsis et ancrage dans la collection
26Le synopsis comprend plusieurs leçons et constitue une seule entité textuelle. Le tableau représente l’enchainement des leçons en continu dans cette idée de restituer la logique d’ensemble de l’action didactique. Cette manière de faire représente matériellement notre unité d’analyse, la séquence d’enseignement. L’en-tête contient tous les éléments pour identifier le synopsis et pour le situer dans la collection des séquences d’enseignement.
3.2.2. Balisage et codage des unités
3.2.2.1. La séquentialité
27Pour élaborer un synopsis, il faut découper des éléments dans le flux de la séquence d’enseignement. Un élément de découpage est une partie constituante d’une séquence d’enseignement qui ne coïncide pas nécessairement avec les périodes de découpage temporel de l’organisation scolaire et qui se caractérise par (1) une constance dans la perspective et les objectifs de l’enseignant sur l’objet enseigné, (2) un maintien des dimensions à traiter à propos de cet objet (parties, composantes), (3) un maintien également des conditions prévues par le dispositif qui permettent son traitement par les élèves.
28Au palier de la séquentialité des unités englobantes, pour qu’il y ait changement d’unité, il est nécessaire que l’un des critères suivants soit satisfait :
- du point de vue de l’objet enseigné : passage d’un objet à un autre objet (opposé, englobant, latéral) ; passage d’une composante de l’objet à enseigner à une autre (par exemple, du complément du nom à la subordination ; de la notion d’argument à la modalisation des prises en charge énonciatives) et/ou changement de perspective sur l’objet (par exemple de la forme aux fonctions des subordonnées relatives, de la manifestation linéaire du texte littéraire à l’analyse) ;
- du point de vue de l’activité finalisée proposée aux élèves : proposition et actualisation explicite d’un traitement différent de l’objet, nouvelle (s) tâche (s) de nature différente de celle (s) de l’unité précédente ;
- du point de vue de la mise à disposition : création d’un environnement en rupture avec le précédent. La notion d’environnement est à comprendre comme l’ensemble des éléments et du dispositif matériel mobilisés qui délimite l’espace de travail, le régime de fonctionnement de l’objet enseigné et les postures de l’enseignant et des élèves qui l’accompagnent.
29Au palier des activités scolaires, il s’agit de l’élément qui constitue le principe dynamique de l’enseignement. L’activité scolaire délimite une activité d’enseignement/apprentissage finalisée par une composante ou une dimension précise de l’objet enseigné. Elle se caractérise fondamentalement par une consigne qui définit un but ; elle instaure un environnement matériel a priori favorable à l’atteinte de ce but ; elle s’effectue grâce à des reprises éventuelles de la consigne et surtout par une série d’actions et d’interactions, notamment sur le support matériel, exécutées par les élèves et régulées par l’enseignant afin d’atteindre le but poursuivi.
30Les deux critères majeurs pour délimiter l’activité sont le déclencheur et le maintien d’un support matériel limité au cours de l’action ou de l’interaction en cours. Le déclencheur d’une activité est généralement une consigne orale ou écrite, l’introduction d’un nouveau support matériel (texte, questionnaire, transparents, notes au tableau noir) ou la mise en place d’un nouveau dispositif (l’exercice, la lecture à voix haute d’un texte). On parlera de changement d’activité scolaire à l’intérieur d’un niveau chaque fois que la modalité de l’activité proposée à propos du même objet (les actions et les interactions) et/ou les conditions scolaires ou de réalisation de ces activités se modifient. Un niveau supérieur peut comprendre une seule activité scolaire si le passage d’une activité à une autre suppose un changement radical de l’objet, de l’activité de travail finalisée proposée et de l’environnement.
3.2.2.2. La hiérarchisation
31Après plusieurs tentatives infructueuses de définition a priori de niveaux hiérarchiques, il nous a paru indiqué d’adopter une démarche inductive pour ce faire. Le problème de la définition des niveaux hiérarchiques réside dans le fait qu’elle semble dépendre de deux facteurs :
- l’objet d’enseignement ;
- le style de l’enseignant.
32S’il fallait risquer la métaphore du texte d’auteur et l’étendre à la séquence d’enseignement, la forme hiérarchisée et séquencée du synopsis manifeste l’organisation de la séquence en chapitres, sous-chapitres, parties, sections, paragraphes, actes, scènes ou tableaux. Ces marquages et la logique de dépliage qu’ils concrétisent ne sont pas seulement issus de la planification de l’enseignant, ils manifestent aussi les divers rythmes de travail des élèves et les ajustements de l’enseignant à cette asynchronie, le tout formant un système où les éléments se définissent mutuellement. La manière de constituer les niveaux est évidemment un élément essentiel du découpage de l’objet et donc un élément de réponse essentiel à nos questions de recherche. C’est précisément pour cette raison aussi qu’un découpage a priori ne semble pas indiqué.
33Pour concrétiser ces réflexions, les dénominations de niveaux ont été « neutralisées ». Il a été décidé de les coder par des chiffres, compte tenu soit de leur organisation hiérarchique et séquentielle, niveau n/n-n/n-n-n/n-n-n-n. Seul un niveau est défini a priori : le niveau n-n-n correspond aux activités scolaires. Le niveau n-n-n-n décrit en général différentes phases de réalisation d’une activité. C’est au chercheur, en fonction de l’appréciation du déroulement de la séquence et d’indices donnés par l’enseignant, de décider s’il est nécessaire ou non d’introduire un niveau n-n-n-n. Le principe d’économie de la description doit également le guider dans sa décision. Les niveaux n et n-n regroupent les n-n-n en fonction de la logique de l’action didactique inférée par le chercheur sur la base d’indices fournis par les différents systèmes sémiotiques sollicités.
34Le texte du synopsis est saisi dans une forme tabulaire dont nous reproduisons le formatage ci-dessous :
35Cette logique linéaire est quelquefois perturbée par plusieurs types de phénomènes qui rendent difficile le codage hiérarchique : le chevauchement de deux ou plusieurs unités de même niveau, l’intermède, la transition et l’insert.
36Evoquons seulement les inserts qui sont des moments de décrochement du cours de la leçon, mais en relation plus ou moins forte avec l’objet enseigné. C’est le cas quand l’enseignant généralise des notions ou les commente d’un autre point de vue. Les institutionnalisations se font souvent sous forme d’inserts. Ces trois derniers évènements en rupture sont notés 0 et par leur nom dans la colonne des niveaux (colonne de gauche).
3.2.2.3. Le balisage, le codage des formes sociales du travail et le codage des supports matériels
37La colonne « Repères » balise la lecture du synopsis et met en lien l’unité décrite dans le synopsis avec la transcription. Le balisage renseigne sur la leçon et sa place dans la succession des leçons ; il renseigne encore sur le moment où cela se passe (l’indication temporelle correspondant au marquage temporel du texte de la transcription), la durée de l’unité décrite et son emplacement (les deux nombres renseignant sur l’ancrage de l’unité à la première et la dernière ligne du texte de la transcription).
38La colonne « FST » (forme sociale de travail) indique les grandes formes de travail scolaire. Le changement de forme correspond très fréquemment à un changement d’unité à un niveau donné, ou à un changement de niveau. Il constitue un élément essentiel pour imaginer une unité globalement.
39La colonne « Matériel » est également un indicateur utile pour découper des unités ou distinguer des niveaux. Dans cette colonne, on note le type de matériel sur lequel repose l’enseignement (tableau noir, tableau blanc, rétroprojecteur, affiche, brochure, livre, photocopie (s), fiche, objets divers) et le numéro de l’annexe dans laquelle on trouve le contenu du matériel sous forme de notes prises par l’observateur, de photocopies, ou encore de description.
3.2.3. La description
40Il s’agit là du cœur du synopsis et donc de la partie la plus difficile à réaliser. Le chercheur réalisant le synopsis de la transcription doit fournir une restitution narrativisée de ce qui se passe dans une unité donnée d’un niveau donné ; il ne s’agit donc pas d’une paraphrase, mais plutôt d’une réduction de ce qui se dit et se fait. Nous distinguerons l’étiquetage des unités englobantes et le résumé narrativisé des unités du niveau de l’activité scolaire.
3.2.3.1. L’étiquetage des unités englobantes
41L’étiquetage des niveaux n et n-n prend la forme nominale d’un verbe ; ce dernier renvoie à l’action que l’enseignant propose aux élèves. Si on se reporte au synopsis TO05 déjà cité ci-dessus, on trouvera dans ces niveaux les formules « lecture et compréhension », « analyse d’un texte argumentatif », « pratique du débat contradictoire », « construction d’une définition », « repérage des paramètres », « mise en place d’un dispositif », etc. L'essentiel est que ressorte aux niveaux n et n-n que l’élève pratique le débat, qu’il construise une définition de celui-ci, et qu’il en repère les paramètres.
42Le regroupement des activités du niveau n-n-n dans les niveaux n et n-n contient une part d’inférence plus importante de la part du chercheur. Même si il ne s’agit pas de dégager les intentions des enseignants mais plutôt de reconstruire la logique sous-jacente à leur action, celle-ci n’est pas toujours visible d’emblée et nécessite, de la part du chercheur, un travail d’interprétation, basée sur les indices des différents textes à sa disposition (transcriptions, exercices, tests, entretiens).
43Le niveau n-n-n correspond en général à des activités scolaires au sens défini ci-dessus. Dans la mesure où cela nous donne une idée de la construction de l’objet enseigné, l’essentiel est que, si un élève explique le contenu ou la fonction du débat, ce soit le contenu ou la fonction du débat qui ressorte, de même lorsqu’il donne des situations de débat, et également des thèmes de débat.
3.2.3.2. Le résumé narrativisé
44Le texte est rédigé sous la forme d’un récit (avec des phrases complètes) qui crée une cohérence entre les éléments retenus, pour faciliter la compréhension d’un lecteur n’ayant pas pris connaissance du protocole et voulant avoir rapidement accès aux informations principales.
45Après lecture et découpage du protocole, le chercheur travaille d’abord au niveau n-n-n, où il doit restituer deux types d’information simultanément : le discours de l’enseignant et les chaines d’actions (ce que fait E, ce que E fait faire aux és et ce que font les és). De plus, il lui faut naviguer entre des catégories privilégiant l’objet et celles privilégiant l’activité scolaire qui met en forme l’objet. Le chercheur doit ici mettre en œuvre quatre principes pour réaliser la restitution : centrage sur l’activité de E, les dimensions de l’objet traité, l’objectif de E, les moyens qu’utilise E pour réaliser son objectif.
46Le niveau n-n-n est subdivisé en plusieurs niveaux n-n-n-n, si l’activité prend une certaine importance, un développement d’une certaine longueur, toujours au service de l’objet d’enseignement. À ce niveau, l’étiquetage n’est pas requis ; la description suffit. Il s’agit souvent de phases d’exécution d’une activité scolaire. Par contre, la subdivision en trois phases classiques, de type consigne-activité-correction, qui ne nous apprend rien sur le découpage de l’objet, est regroupée au niveau n-n-n.
4. En guise de conclusion : à quelles questions le synopsis peut-il répondre ?
47Nous venons de présenter un outil méthodologique conçu pour analyser l’objet enseigné. Le synopsis a un caractère dialectique permettant de répondre au moins à six types de questions :
- des questions relatives à la logique et la cohérence de l’organisation d’une séquence d’enseignement (niveau englobant l’ensemble de la séquence d’enseignement) ;
- des questions concernant les priorités choisies par l’enseignant (mise à plat des aspects principaux retenus ainsi que des lacunes dans les connaissances des enseignants) ;
- des questions relatives à la dynamique des transformations de l’objet et aux contraintes des situations didactiques qui les déterminent (dispositifs, supports, formes sociales de travail, régulations, etc.), ce qui constitue l’axe central de notre recherche ;
- des questions relatives à deux types de comparaisons : un premier type concernant les différences et les régularités dans la manière dont sont enseignés des objets bien distincts, un second concernant les différentes formes que peut prendre un même objet d’enseignement en fonction des enseignants ou des contraintes particulières de la classe ;
- des questions sur les opérations relatives à l’objet impliquées dans les activités scolaires proposées (mise en évidence des processus considérés par les enseignants comme contribuant à la transformation des objets par les élèves) ;
- des questions à propos des obstacles rencontrés par les élèves et des régulations proposées par les enseignants.
48Les prises de distance successives et les transformations permettant le passage des données de la classe à celles du synopsis en passant par celles de la transcription fournissent une suite de textes qui se complètent pour enrichir l’interprétation. Les déplacements de point de vue permettent au chercheur de jouer avec différents niveaux de vérification et d’inférence.
49Le point de vue multidimensionnel contribue à résoudre, de manière inductive mais grâce aux cartes conceptuelles élaborées a priori, le problème du « découpage » de l’objet lors de l’enseignement. La prise en compte des différentes dimensions de l’objet constitue par ailleurs la base pour cerner les priorités de la séquence d’enseignement.
50Au-delà des questions d’ordre et de hiérarchie, l’analyse par niveaux du synopsis permet la confrontation permanente entre la macro-structure de la séquence d’enseignement, la dynamique des transformations et l’ensemble des analyses micro sur les gestes professionnels.
51L’approche comparatiste, fondée sur la mise en parallèle des objets d’enseignement, se présente comme indispensable pour dégager les analogies récurrentes (et peut-être fondatrices) des séquences d’enseignement pour chaque objet ou pour les différents objets. Dans une vision différentielle, elle peut également nous aider à dégager des catégories spécifiques indispensables pour décrire les différents objets enseignés et pour dégager des axes de variation permettant de décrire les formes d’opérationnalisation spécifiques à un objet et des profils d’enseignants caractéristiques.
52L’approche multifocale met en lumière et en valeur les gestes professionnels. La focalisation contribue à identifier les gestes et à les contraster. Elle se construit depuis l’intérieur des séquences d’enseignement, mais permet un traitement hors de la dynamique de la séquence.
53Le synopsis conçu pour analyser deux objets contrastés de la discipline scolaire français, la subordonnée relative et le texte d’opinion, semble un outil méthodologique permettant d’analyser d’autres objets enseignés, même au-delà de notre discipline. La question des possibilités d’utilisation reste largement ouverte.
Notes de bas de page
1 Recherche réalisée par le Groupe Romand d'Analyse du Français Enseigné (GRAFE) et subventionnée par un subside du Fonds National de Recherche Scientifique 1214-068110.
2 Le contenu de cette section reprend les grandes orientations du guide méthodologique de la recherche pour l’établissement d’un synopsis.
3 Dans un souci d’économie, « E » sans déterminant (E dit…) renvoie à l’enseignant ; « é » avec déterminant (l’é note) à l’élève ; « és » aux élèves.
Auteurs
FAPSE, Genève
FAPSE, Genève
FAPSE, Genève
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