Une analyse des interactions élèves-professeur en classe, dans des recherches sur les pratiques d’enseignants de mathématiques
p. 159-171
Texte intégral
1Le visible est-il digne d’être observé en didactique ? Telle a été une des conclusions de l’atelier 2 : « Détermination et sens des indicateurs ». Une boutade mais jusqu’à quel point ? Le discours du professeur, objet de mes observations, fait partie de la banalité dans une classe de mathématiques. On peut supposer qu’il n’a pas une importance capitale, pourtant, les observations faites par les chercheurs en montrent la présence constante. Est-il pour autant digne d’étude ?
2Cette communication, ne se propose pas de répondre à la question, ce qui serait peut-être l’objet d’un autre débat. Il s’agit plutôt de montrer les pistes que nous avons suivies pour tenter de déceler des indicateurs susceptibles de nous renseigner sur le niveau d’autonomie que propose effectivement le professeur à ses élèves dans la résolution d’une tâche mathématique, au cours des interactions élèves/professeur et ce, pour quelles tâches mathématiques.
3L’émergence des outils méthodologiques que nous avons finalement retenus n’est pas allée de soi. C’est pourquoi nous les présenterons dans la suite de cet exposé après avoir tenté d’en retracer l’histoire.
4En regardant les recherches existantes nous n’avons pas trouvé d’emblée une méthode d’analyse du discours satisfaisante. Elle se devait d’être assez fine pour nous permettre de regarder le discours dans le détail mais aussi assez générale pour s’adapter à tous les discours notamment en mathématiques. Nos tâtonnements nous ont fait passer d’une étude trop minutieuse et parcellaire à des qualifications trop larges pour déceler des différences. Nous nous sommes d’abord penché sur ce que nous avons appelé les « petits mots » du discours c’est à dire certains connecteurs logiques ou exclamations utilisés majoritairement par les professeurs, puis nous avons étudié les intonations. Cette première étude, trop partielle, ne nous a montré que des différences dénuées de tout lien. L’analyse de la hauteur de ton dans le discours nous entraînait vers un travail que seul un spécialiste pouvait envisager et dans lequel nous nous serions noyé.
5La lecture de Bruner, la notion des fonctions qualifiant l’activité de l’adulte en situation d’accompagnement d’un enfant, nous ont ouvert une voie permettant une analyse générale du discours du professeur. Nous avons dans un premier temps analysé le discours en reprenant telles quelles les fonctions de Bruner. Les discours se différenciaient alors trop peu les uns des autres. C’est alors que nous avons décidé d’emprunter et non de calquer la notion de fonctions en essayant de trouver des fonctions spécifiques au professeur de mathématiques.
6Les fonctions telles que nous les avions définies rendaient bien compte de ce que faisait l’enseignant mais il nous semblait que le professeur pouvait par la forme même de son discours signifier davantage ou une chose différente. Nous avons longtemps cherché comment la pragmatique pouvait nous y aider. Nous avons été amenée à emprunter et à adapter des outils qui ont été utilisés et mis au point dans les recherches de l’Ecole de Nancy menées autour d’Alain Trognon (Gilly et al., 1999). Ils reprennent des éléments de la théorie des actes de langage et de la logique illocutoire et permettent d’articuler objet et forme de langage et de décrire la structure des échanges sous forme hiérarchique.
7N’étant pas spécialiste de linguistique, il nous a fallu de nombreuses lectures pour comprendre et surtout construire nous-mêmes des diagrammes montrant la structure des échanges. « C’est en forgeant qu’on devient forgeron » dit le proverbe et c’est bien avec des essais successifs que nous avons réussi à imiter, puis produire nos propres constructions ; elles sont nos interprétations de l’enchaînement des tours de paroles, d’autres pourraient construire des schémas différents. Les résultats que nous avons obtenus nous ont aidé à prendre en compte différentes dimensions des interactions professeur/élèves.
8Nous avons longuement hésité avant de reprendre la notion de but illocutoire ayant peur de déformer sa signification, nous sentant peu apte à légitimer notre démarche qui n’est qu’une reprise d’une seule composante de la force illocutoire. Il nous semblait pourtant que le but illocutoire nous aidait à décortiquer le discours et à en dégager une composante assez originelle pour traduire des éléments cachés des pratiques, d’où notre emprunt.
9La pragmatique en quelque sorte nous a permis d’accéder à la fois au grain le plus fin d’analyse : « l’étymologie » du discours par les buts illocutoires et l’implication, et au grain le plus grossier par « l’organisation du discours » avec sa structure et les formes observées. Les fonctions nous ont aidée à analyser les contenus du discours, médiation du professeur entre tâches et élèves.
1. Les outils méthodologiques
10Finalement, nous avons retenu, pour notre analyse, quatre indicateurs : les fonctions du discours, les buts illocutoires, la forme des échanges et l’implication du professeur et des élèves.
1.1 Les fonctions du discours
11Au nombre de dix, elles permettent de différencier certaines relations entre la tâche proposée et les activités potentielles attendues, en traduisant par exemple des modifications de la tâche.
12Nous avons réparti les fonctions en deux groupes : les fonctions cognitives et les fonctions non cognitives :
les fonctions cognitives du discours du professeur : elles ont un rapport avec la tâche à résoudre et le savoir mathématique. Ce sont les fonctions : distribution de tâches, introduction d’une sous-tâche, bilan, évaluation, justification, structuration ;
les fonctions non cognitives : elles sont apparemment indépendantes de la tâche, en tout cas dans leur formulation, même si elles peuvent avoir un effet quant à la résolution. Ce sont les fonctions : engagement dans la tâche, mobilisation de l’attention des élèves, encouragement, mutualisation de la réponse de l’élève.
13L’association du discours et des fonctions du discours que nous faisons est quelquefois délicate ou sujette à d’autres interprétations : une mutualisation est-elle aussi une évaluation ou non, par exemple.
1.2. Les buts illocutoires
14Le but illocutoire indique ce que cherche à produire le contenu du discours, ce qui permet d’inférer la conception qu’envisage le professeur quant au rôle de chacun face à la résolution d’une tâche.
15Il existe dans la théorie des actes de langage cinq buts illocutoires : assertif, commissif, déclaratif, expressif, directif. Nous en avons introduit un sixième que nous avons nommé commissif/directif qui nous a permis de rendre compte du « on » ou du « nous » qu’utilise le professeur lorsqu’il s’associe aux élèves dans un projet d’action. Nous avons de plus étendu les notions de but déclaratif et de but expressif.
16Nous avons voulu insister sur la dimension « actionnelle du discours », telle que la présente Vernant (1997) :
« Par un acte de discours, est effectivement et directement produite une action sur le monde. Par une sorte de « magie verbale », le dire devient le faire. »
17Pour ce faire, nous avons regroupé les buts illocutoires en deux catégories :
ceux qui indiquent une tentative de mettre les élèves en activité : directif et commissif/directif ;
ceux qui indiquent ce que le professeur prend en charge : assertif, déclaratif, commissif, expressif.
18Il est important de préciser que la distinction nette de ces deux catégories de but est à relativiser. Si nous considérons, par exemple, la prise en charge par le professeur d’une évaluation exprimée par le but expressif, c’est aussi une tentative de provoquer une réaction, une action des élèves.
1.3. La forme des échanges
19Nous avons interprété l’enchaînement des différentes interventions du professeur et des élèves en dessinant les structures des échanges. Nous avons essayé de décrire les enchaînements des interventions en reprenant la théorie des structures hiérarchiques de la conversation. Ces constructions sont empiriques et certains auraient pu donner d’autres interprétations. Cependant le croisement des résultats concernant les formes des structures avec d’autres concernant les buts et l’implication des élèves nous ont permis de renforcer certaines analyses. Nous avons essayé de traduire comment une intervention s’appuie sur la ou les interventions précédentes en dessinant des formes différentes :
la forme « poupées russes » que nous interprétons comme un resserrement de la tâche à effectuer et un guidage des élèves vers la réponse attendue du professeur. La marge de manœuvre des élèves est faible ;
la forme que nous avons appelée « éventail ». Elle rend compte d’un échange où différentes propositions sont mises sur un même plan. Ces propositions peuvent être des réponses différentes à une même question, le questionnement de différents élèves. Cette forme illustre pour nous une plus grande autonomie des élèves dans la mesure où le professeur ne donne pas des indications supplémentaires ;
la forme « pyramide » qui illustre une forme de généralisation ou qui indique un passage à une vision plus large.
1.4. L’implication du professeur et des élèves
20Un autre indicateur, dans le discours de l’enseignant, nous renseigne sur le rôle qu’il assigne à chacun dans la résolution d’une tâche et en particulier la place qu’il réserve à l’élève. Lui demande-t-il une prise de « risque » ? Lui propose-t-il de partager la résolution avec lui ? La prend-il seul en charge ? Les pronoms personnels nous donnent un premier élément de réponse. Le questionnement, un ordre, déguisé ou non, impliquent de fait les élèves mais l’utilisation d’une implication plus directe (pronom ou prénom) modifie, à notre avis, l’engagement d’un ou des élèves dans la mise en activité. Cet engagement peut alors traduire une marque de confiance du professeur dans la réussite des élèves.
21Le « on » ou le « nous » peuvent montrer que le professeur ne laisse pas les élèves seuls devant la tâche mais qu’il en est partie prenante. Nous désignons par co-implication cette forme d’implication.
22Nous ne traitons pas cet indicateur au même titre que les précédents ; il joue néanmoins un rôle d’appui ou de renfort des axes précédents.
2. Un exemple
23Nous avons filmé une séance de résolution d’exercices de mathématique en classe de troisième, portant sur le théorème de Thalès. Nous analyserons successivement cinq interactions élèves professeurs en donnant, pour le premier, le détail de l’analyse des fonctions du discours et des buts illocutoires ainsi que la construction de la structure de l’échange. Nous indiquons seulement certains éléments d’analyse et/ou les résultats obtenus, pour les suivants. Ces interactions se situent au cours de la recherche et de la correction de la première question du problème posé.
2.1. Un problème nouveau (172 mots professeur ; 33 mots élèves)
24La première interaction que nous analyserons avec nos outils intervient dans l’épisode intitulé « Installation collective du travail sur la première question ».
25Nous repérerons d’abord les fonctions du discours et les buts illocutoires dans le tableau ci-dessous puis nous construirons un arbre illustrant la structure de l’échange. Nous indiquerons ensuite comment nous interprétons nos résultats.
26Quelles sont les fonctions du discours majoritairement utilisées au cours de cet épisode ? Le professeur distribue d’abord la tâche qu’il découpe en sous tâches avec plusieurs relances. Les élèves ont à repérer ce qu’il y a de nouveau dans l’exercice proposé. Cette tâche est déclinée de deux façons considérées comme équivalentes par le professeur : déterminer la position du point M et déterminer la valeur de x. Pour amener les élèves à donner la réponse et la précision attendues le professeur utilise alternativement les fonctions mutualisation et relance et mutualisation-bilan-relance qui lui permettent de faire partager à la classe la proposition d’un élève sans donner son avis avant de relancer la tâche. Cette façon très particulière de gérer l’échange permet au professeur de passer d’un dialogue à deux lorsqu’elle interroge personnellement un élève : Bertrand, Marc à un dialogue avec toute la classe sans amener de précision concernant la résolution de la tâche.
27Par ailleurs, la mobilisation de l’attention de tous les élèves est maintenue par l’utilisation des « hein », « d’accord », « ça va ». Les fonctions cognitives et non cognitives sont donc également présentes dans cet épisode. La succession des buts illocutoires assertifs et directifs, voire commissif/directif expriment, à notre avis, une volonté du professeur de partager la résolution de la tâche avec les élèves, ce que souligne encore l’utilisation majoritaire du pronom « on ».
28La structure de l’échange, illustre la stratégie du professeur et met en évidence deux phases différentes :
la première concerne l’identification de la nouveauté du problème posé ;
la seconde, introduite par le professeur et qui ne figurait pas dans l’énoncé proposé, se rapporte aux variations de x.
29Pour la première partie de l’échange, les interventions du professeur s’articulent en deux temps : reprise puis relance. Elles sont placées sur un même plan : forme « éventail ». Apparemment le professeur laisse aux élèves une certaine autonomie (forme éventail), avant d’amener les élèves à partager la même information. On peut néanmoins se demander si cette apparente autonomie n’est pas nuancée par le choix des élèves interrogés. La réponse attendue vient quand le « bon élève » est interrogé.
Discours du professeur | Fonctions du discours | Buts | Discours des élèves | Commentaires |
Donc la situation est assez banale, hein, vu tout ce que l’on a fait, | Bilan | Assertif | Euh… x | Réponse attendue |
x c’est à dire le point M, qu’est-ce que tu dis du point M ? | Bilan | Assertif | Ben on ne connaît pas sa vraie place sur EG | Réponse non attendue |
On ne connaît pas sa vraie place sur le segment EG, heu autrement dit c’est un point ? | Mutualisation | Assertif | Inconnu | Réponse non attendue |
inconnu, | Mutualisation | Assertif | dont on ne connaît pas la place, | Réponse non attendue |
dont on ne connaît pas la place, Marc ? | Mutualisation | Assertif | variable | Réponse attendue |
variable, x est une variable, le point M varie et alors x il va varier de quoi à quoi ? | Evaluation-bilan | Assertif | De… ben de 0 à 7. | Réponse attendue bien qu’ |
De 0 à 7, on va même pouvoir l’écrire dès le début, on nous le demande pas, hein, une fois on avait fait un problème où on le demandait, mais on écrit tout de suite que x est compris entre | Evaluation-bilan | Assertif | 0 et 7 | |
0 et 7. D’accord ? | Mutualisation – évaluation | Assertif | 0 et 5 | Réponse non attendue |
0 et 5 ? J’ai pas fait attention à… M est sur EF et EF attention il fait 5. Ah tu as inversé, tu fais attention. Tout le monde a eu le temps de faire sa figure ? Ca va ? | Evaluation | Directif |
2.2. La méthode de résolution (141 mots professeur ; 38 mots élèves)
30La deuxième interaction analysée se situe au moment de la correction de la première partie de la première question. Elle concerne le choix du théorème à utiliser pour résoudre le problème posé à savoir l’utilisation du théorème de Thalès. Dans cette interaction, le discours du professeur montre une alternance entre l’utilisation des fonctions cognitives : structuration, bilan, justification, évaluation et celle des fonctions non cognitives : mutualisation, engagement, mobilisation de l’attention. Cette alternance permet à l’enseignante de faire partager à la classe l’échange privilégié qu’elle a avec une élève particulière, Camille. Les buts qui expriment les diverses fonctions montrent que si le professeur a la charge de l’évaluation, du bilan (but assertif), elle laisse à la charge de l’élève interrogé (but directif) la structuration : comment on va procéder, ce qui diffère de d’habitude, et la justification : pourquoi le théorème de Thalès.
31Cependant, comme l’illustre la structure de l’échange ci-dessous, la tâche qui incombe aux élèves est très guidée.
32Ce schéma nous montre les différents moments de l’interaction. Le premier concerne le choix du théorème à utiliser et justifie ce choix, le second moment revient sur la nouveauté de l’exercice. Cependant certains élèves en sont encore à tracer la figure comme l’indiquent les dernières interventions (E5 et E5’). Pour gérer l’hétérogénéité de la classe, le professeur intervient longuement en P6. La forme de la structure du premier moment de l’échange est « poupées russes » : le professeur amène les élèves vers la réponse qu’elle attend quitte à ne leur laisser qu’un mot à ajouter pour compléter sa phrase.
2.3. Utilisation du théorème de Thalès (221 mots professeur ; 85 mots élèves)
33Cet échange est relatif à la correction de la première partie de la première question. Il rend compte de la mise en œuvre du théorème de Thalès pour exprimer les égalités de rapports de longueurs dans la figure considérée. Cette mise en œuvre semble laissée à la charge de l’élève au tableau comme l’indique la fonction engagement qu’utilise l’enseignante qui est renforcée par une implication de l’élève, au début de l’échange. Le rôle du reste de la classe est d’écouter. Les fonctions évaluation-bilan, évaluation-mutualisation, évaluation-justification principalement utilisées dans la suite du discours du professeur, exprimées par des buts assertifs, soulignent l’activité du professeur : valider, expliquer et faire partager à toute la classe le raisonnement de l’élève au tableau. La structure de l’échange est de forme « éventail » ce qui illustre la part d’autonomie laissée par le professeur à cette élève performante qui est, à notre avis, à la fois professeur à la place du professeur et une élève générique représentante de chaque élève de la classe.
2.4. Une nouveauté (96 mots professeur ; 17 mots élèves)
34Avant de laisser les élèves chercher seuls la suite de l’exercice pendant deux minutes, le professeur insiste encore, par cet échange avec une élève qu’elle a choisie, sur la nouveauté de l’exercice et la spécificité de la tâche demandée. Elle tente ainsi de mettre tous les élèves en position de travail. La « couleur » de cet échange est marquée par l’utilisation majoritaire des fonctions non cognitives : engagement, mobilisation de l’attention, mutualisation, exprimées dans un but directif. La structure est de forme « poupées russes ». Le professeur amène les élèves ou plutôt l’élève qu’elle interroge vers la réponse attendue quitte à ne lui laisser qu’un mot à prononcer pour compléter la phrase qu’elle a déjà largement énoncée. Cet échange est donc destiné à engager les élèves dans le travail attendu.
2.5. L’expression des différentes longueurs en fonction de x (252 mots professeur ; 18 mots élèves)
35Cet échange se situe lors de la correction de la fin de la première question. Il se caractérise par un fort déséquilibre entre le discours de l’enseignante et celui des élèves. Il est vrai que l’élève au tableau écrit la réponse demandée que le professeur, à de nombreuses reprises, explique et/ou commente. La principale fonction du discours que nous rencontrons dans cet échange est la fonction de structuration. Elle est associée au mode commissif/directif par le « on ». Les seules sous-tâches distribuées à l’élève interrogée concernent la présentation du tableau. Par le « je », le professeur indique ses exigences quant à l’écriture des résultats et les justifie. Elle marque ici son rôle en tant que professeur. La forme de la structure de l’échange ne nous donne ici guère plus de renseignement : il ne s’agit pas réellement d’un dialogue où chaque prise de parole s’appuie sur la précédente mais d’un seul discours, celui du professeur, qui prête de temps à autre sa voix à l’élève au tableau qui écrit. Elle montre néanmoins que le professeur doit modifier légèrement sa stratégie, suite à une intervention d’élève, et revenir sur la présentation des résultats des calculs avant de clore l’échange.
3. Synthèse
36Nos différents axes d’analyse nous ont permis de définir au plus près, dans les épisodes considérés, l’activité du professeur à l’aide des fonctions du discours et de repérer par les buts illocutoires ce qu’elle laisse effectivement à la charge des élèves dans la résolution de la tâche. L’implication des élèves, celle du professeur soulignent ou renforcent certains des résultats obtenus. La structure des échanges illustre la stratégie du professeur.
37Quelles sont les tâches effectivement laissées à la charge des élèves dans les épisodes analysés :
qualifier le point M, variable étant le mot attendu, et préciser les variations de x ;
trouver la méthode de résolution, le théorème de Thalès étant attendu ;
donner la position des droites considérées dans l’exercice ; parallèle est attendu ;
repérer la spécificité de l’exercice c’est à dire la présence de x ;
adapter le modèle formaté de résolution à l’énoncé ;
repérer le verbe utilisé dans l’énoncé : exprimer et souligner sa spécificité ;
écrire les calculs et les résultats, au tableau, selon l’attente de l’enseignante.
38Ces tâches ne sont effectuées que par quelques élèves, ceux interrogés, et on peut constater, comme l’attestent certaines prises de paroles des élèves ou du professeur, que tous les élèves n’en sont pas au même point. Le discours du professeur tente alors de combler les différences.
39L’enseignante, quant à elle, en prononçant, au cours des échanges, plus de 82 % des mots du discours, distribue tâches et sous-tâches en précisant quelquefois ses attentes, évalue les réponses des élèves, les mutualise, mobilise l’attention des élèves et les engage. Si ces activités sont naturelles dans l’exercice du métier d’enseignant, c’est aussi le professeur qui pointe les éléments à prendre en considération pour résoudre le problème posé, qui justifie, structure (même si parfois elle y associe les élèves par le but commissif/directif) enfin, c’est lui qui récapitule, explique, complète les réponses des élèves. Et là, nous pouvons nous interroger sur une possible alternative.
40En ce qui concerne sa stratégie d’enseignement, le professeur agit sur deux leviers : la forme des échanges et le choix de l’élève interrogé. Lorsqu’il s’agit d’un échange précédant une mise en recherche autonome des élèves adressé à la classe, la forme de la structure est « poupées russes ». Elle est « éventail » lorsqu’il s’agit d’un dialogue avec un élève choisi. Dans tous les cas, le professeur balise la tâche avant la mise en recherche des élèves en homogénéisant les informations dont ils disposent, puis lors de la mise en commun, après avoir choisi l’élève interrogé, elle lui laisse une part d’autonomie.
41Si nous revenons sur la question par laquelle nous avons introduit cet article : « le visible est-il digne d’être observé en didactique ? », nous la reprendrons en ce qui concerne la didactique des mathématiques. Nous connaissons encore bien peu de choses sur les liens entre pratiques des professeurs et apprentissages des élèves. Nous faisons l’hypothèse que le discours du professeur qui est tellement présent dans une séance « ordinaire » en est un et il est observable. Il fait partie de la classe de mathématique et ne peut être ignoré. La méthodologie que nous proposons est relativement lourde à mettre en œuvre et ne peut concerner que certains passages de la transcription. De plus, le caractère subjectif de l’attribution des fonctions du discours et des buts illocutoires ainsi que la construction relativement empirique des structures des échanges en soulignent les limites.
42Cette étude permet néanmoins de renforcer les analyses didactiques qui permettent d’élaborer le découpage originel en épisodes. Le croisement de notre analyse avec le découpage en unités sémantiques proposé par Janine Rogalski (voir ce volume, P. 87) et l’analyse didactique élaborée par Aline Robert (voir ce volume, p. 197), portant sur les mêmes extraits, ont permis d’affiner chacune de nos perspectives. C’est ainsi que le découpage en unités sémantiques a rendu quelquefois plus évidente la forme de la structure des échanges ; les fonctions et les buts du discours ont parfois facilité le découpage en unités sémantiques.
43Analyse didactique, découpage en unités sémantiques et analyse du discours sont trois entrées qui vont s’articuler de façon à repérer de manière plus précise les pratiques langagières d’un professeur de mathématiques et qui peuvent ouvrir de nouvelles perspectives d’analyse de pratiques.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Bruner J. (1983) : Le développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire, Paris, Presses Universitaires de France.
Chappet Paries Mo. (2004) : Comparaison de pratiques d’enseignants de mathématiques. Relations entre discours des professeurs et activités potentielles des élèves, Recherches en Didactique des Mathématiques, La Pensée sauvage, Volume 24, n° 2.3, 251-284.
Gilly M., Roux J.P. et Trognon A. (1999) : Apprendre dans l’interaction, Nancy, Presses Universitaires de Nancy.
Vernant D. (1997) : Du discours à l’action, Paris, Presses universitaires de France.
10.3917/puf.vern.1997.01 :Auteur
IUFM de Versailles, Équipe DIDIREM (EA 1547)
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Questions de temporalité
Les méthodes de recherche en didactiques (2)
Dominique Lahanier-Reuter et Éric Roditi (dir.)
2007
Les apprentissages lexicaux
Lexique et production verbale
Francis Grossmann et Sylvie Plane (dir.)
2008
Didactique du français, le socioculturel en question
Bertrand Daunay, Isabelle Delcambre et Yves Reuter (dir.)
2009
Questionner l'implicite
Les méthodes de recherche en didactiques (3)
Cora Cohen-Azria et Nathalie Sayac (dir.)
2009
Repenser l'enseignement des langues
Comment identifier et exploiter les compétences ?
Jean-Paul Bronckart, Ecaterina Bulea et Michèle Pouliot (dir.)
2005
L’école primaire et les technologies informatisées
Des enseignants face aux TICE
François Villemonteix, Georges-Louis Baron et Jacques Béziat (dir.)
2016