Introduction
Pourquoi et comment repenser l’enseignement des langues ?
p. 7-40
Texte intégral
1Le présent ouvrage est issu du colloque Repenser l’enseignement des langues, organisé à Genève en septembre 2003, sous l’égide du Service de la Formation continue de l’Université.
2Dans le cadre de ce Service, les signataires de cette introduction animent un programme de formation, destiné aux enseignants de langue en emploi, intitulé Théories et méthodologies de l’enseignement des langues1, et dont les objectifs sont de trois ordres : – présenter et discuter les nouvelles approches de la structure et du fonctionnement des langues émanant de la linguistique, de la psycholinguistique, de la sociolinguistique, de l’analyse du discours, etc. ; – former aux méthodes et méthodologies contemporaines de l’enseignement de la langue maternelle (en l’occurrence du français) ainsi que de celui des langues secondes ou étrangères, et analyser la manière dont les notions théoriques y sont transposées ; – réexaminer les principes et les conditions pratiques des interventions didactiques en classe de langue, et y préparer les enseignants.
3Au terme de douze années d’exercice, il a paru opportun d’évaluer la pertinence et l’efficacité de la formation dispensée et de procéder à une remise à jour du programme qui tienne compte notamment : de l’analyse actuelle des besoins, des enjeux et des problèmes de l’enseignement des langues vivantes ; de la transformation des rapports entre pratiques d’enseignement et disciplines scientifiques de référence qui a marqué l’évolution récente de la didactique des langues ; et bien sûr des multiples travaux théoriques et empiriques conduits dans le domaine au cours de la dernière décennie. Le colloque dont cet ouvrage est le reflet a été organisé pour alimenter cette réflexion. Les contributeurs sollicités sont des experts, soit de l’une des différentes rubriques de l’enseignement du français (écrit, oral, lexique, grammaire, littérature), soit des problématiques de l’enseignement des langues secondes ; nous leur avons demandé, d’une part de proposer un bilan global des évolutions et des perspectives ouvertes récemment dans leur champ, d’autre part d’analyser les apports et les problèmes éventuels de deux approches actuellement en vogue dans le champ didactique : d’un côté la redéfinition des objectifs d’apprentissage et des capacités des élèves (voire des capacités des enseignants) en termes de compétences, d’un autre côté la re-centration des recherches sur l’analyse des pratiques attestables en classe, qui tend à se prolonger en une étude des propriétés et des conditions de déploiement du travail enseignant.
4Les contributions qui vont suivre sont donc délibérément centrées sur les perspectives qui se dessinent à l’aube du XXIe, et avant de les présenter, il nous a paru utile de les réinscrire dans le contexte des mouvements qui ont marqué l’enseignement des langues depuis l’instauration de l’Instruction publique et obligatoire. A cet effet, nous réexaminerons d’abord l’histoire des enjeux et problématiques de l’enseignement des langues maternelle et étrangère, et la situation de conflit ou de crise qui semble la caractériser en permanence ; nous analyserons ensuite les types de rapports successifs qui se sont établis entre les démarches formatives proprement dites, et les travaux théoriques ou empiriques censés les éclairer, les orienter ou les alimenter ; nous évoquerons enfin les grands traits de l’histoire de la notion de compétence, et analyserons certains aspects de la « logique » qui contribue à sa diffusion dans le champ de l’éducation et de la formation.
1. Des problématiques de l’enseignement des langues
5A s’en tenir à la situation qui prévaut depuis l’instauration de l’Instruction publique et obligatoire, dans le dernier quart du XIXe, on ne peut d’abord que constater que les objectifs et les conditions de réalisation de l’enseignement des langues vivantes ont constamment fait l’objet de débats intenses, passionnés et souvent polémiques, tant dans les sphères socio-politiques que proprement éducatives. Cette situation est en soi normale ou compréhensible, dans la mesure où la maîtrise des langues constitue à l’évidence un facteur décisif de réussite, aussi bien scolaire que sociale. La violence qui caractérise régulièrement ces débats, comme le diagnostic de crise qui est posé à chaque génération, ont cependant de quoi interroger : une crise se définit en principe comme un état passager de rupture d’équilibre, mais dès lors que ce diagnostic est en permanence posé, ce terme même se révèle inapproprié. On se doit en conséquence d’admettre que l’insatisfaction qui s’exprime constamment à l’égard de ce domaine d’enseignement résulte du déséquilibre apparemment constitutif qui le caractérise, et qu’il convient donc d’analyser.
1.1. Les deux « logiques » de l’enseignement de la langue maternelle
6S’agissant du français « langue maternelle », nul n’ignore les innombrables constats d’échec formulés aujourd’hui par les médias, les politiques… et nombre d’enseignants : plaintes des employeurs face au niveau de français des jeunes postulants ; plaintes des universitaires concernant le niveau de bacheliers ; plaintes des enseignants secondaires à propos du niveau de maîtrise de la langue des élèves issus du primaire, etc. Personne ne soutiendra certes qu’aucun problème ne se pose et que les capacités langagières des jeunes générations ne pourraient être améliorées ; mais un regard rétrospectif montre que des plaintes de ce type sont formulées, dans les mêmes termes, depuis la fin du XIXe, comme en attestent par exemple ces deux cris d’alarme du début du XXe2, cités par Bally dans La crise du français (1931/2004) :
« Cette ignorance [de la langue] va à un degré incroyable, que ceux-là seuls qui ont interrogé des candidats aux examens peuvent soupçonner… » (Lanson, 1909, p. 240, cité par Bally, 2004, p. 27)
« La crise du français, dont on s’est plaint ces dernières années, n’est pas nouvelle. Il a toujours été difficile d’écrire le français littéraire, qui, dans sa forme fixée, n’a jamais été la langue que de très peu de gens et qui n’est aujourd’hui la langue parlée de personne […] Ceux des élèves des lycées qui sont issus de milieux ouvriers ou petits bourgeois ont souvent grand’peine pour arriver à écrire d’une manière même à demi correcte le français littéraire, qui diffère profondément du parler en usage dans leur famille. Beaucoup n’y parviendront jamais. » (Meillet, 1917, p. 74, cité par Bally, 2004, p. 19)
7En raison de leur récurrence même, ces diagnostics doivent pour le moins être sérieusement tempérés : si, depuis deux siècles, l’ignorance de la langue s’était accrue de la sorte, il ne devrait plus guère exister aujourd’hui de locuteur francophone digne de ce nom ; en outre, les plaignants d’une génération donnée (qui, eux, ne doutent jamais de leur maîtrise) sont aussi nécessairement ceux qui étaient stigmatisés par leurs propres aînés ; enfin et surtout, ces appréciations ne tiennent aucun compte du constant et spectaculaire accroissement du degré de scolarisation des élèves au cours du XXe. En réalité, les études empiriques longitudinales montrent que le niveau de maîtrise du français est resté globalement stable au cours de ce siècle, en dépit de la constante diminution de la dotation horaire de cette discipline (pour l’orthographe, par exemple, voir Chervel & Manesse, 1989). Se perpétue donc un profond clivage entre la réalité des effets de l’enseignement du français (satisfaisante, sans plus ?) et le sentiment collectif à son égard (régulièrement pessimiste, voire alarmiste), et ce sont les raisons de ce décalage et de cette insatisfaction qu’il convient dès lors d’analyser.
8Comme beaucoup, nous soutiendrons que l’explication majeure de cette situation de l’enseignement de la langue maternelle tient à ce qu’y co-existe ce que Halté (1992, pp. 21 et sqq.) qualifie de deux configurations didactiques opposées, configurations séculaires, s’alimentant à des positionnements philosophiques, linguistiques, politiques et pédagogiques radicalement divergents.
9La première configuration s’adosse à une conception caractérisée par l’adhésion à la doxa logico-grammaticale (voir Rastier, 2001), par la croyance en la stabilité de la langue et par la sacralisation de la littérature (ou plutôt d’une certaine littérature). Dans sa version initiale, fondée sur un aristotélisme appauvri par des siècles de scolastique, cette doxa posait que les structures d’une langue constituent des manifestations directes et fidèles de la « logique » censée organiser le monde ; elle soutenait en conséquence que la maîtrise de la grammaire codifiant ces structures constitue une condition du développement des connaissances en même temps que des capacités langagières. Dans cette perspective, dès lors que le monde et sa logique sont uniques, il ne devrait exister qu’une seule langue véritable, elle-même logique et stable, et l’on sait que c’est ce statut qui fut pendant des siècles conféré au latin. A la Renaissance cependant, sous l’effet conjugué de l’émergence du sujet pensant (voir Descartes) et de la perte de prestige du latin, elle-même corrélative à la reconnaissance des vertus de langues considérées jusque là comme « vulgaires » (anglais, français, italien, etc.), une mise à jour s’est révélée nécessaire. Réalisée dans le cadre de la Grammaire de Port-Royal (voir Arnauld & Lancelot, 1660/1973), celle-ci soutenait que les langues modernes étaient organisées en structures morphosyntaxiques profondes et/ou universelles, qui reflétaient directement la logique elle-même universelle des opérations de pensée. Dans cette nouvelle approche, l’enseignement de la grammaire devait contribuer au développement simultané de capacités de pensée (ou de l’intelligence) et de capacités proprement langagières. C’est sur cette base qu’ont alors été élaborées les grammaires scolaires traditionnelles, dont de multiples auteurs (voir notamment Chervel, 1977 ; Roulet, 1978) ont montré que, dans leur souci de « logiciser » la morphosyntaxe (et de la configurer, quand même, sur le modèle du latin), elles étaient largement inaptes à rendre compte de l’organisation effective du français tel qu’il se pratique. C’est que, précisément, une telle conception requiert la stabilité de la langue, et celle-ci implique à son tour que les pratiques effectives, avec leur cortège de variations et leur constante évolution-adaptation, ne puissent être prises en compte, ni même tolérées. Aux grammaires scolaires se sont dès lors adjointes (ou mélangées) des grammaires normatives, promouvant une langue idéale ou rêvée. Enfin, pour donner substance quand même à cet idéal, s’est développée la thèse selon laquelle cette langue de référence était celle que mettaient en œuvre les grands auteurs de la littérature (ou « bons auteurs », qui sont forcément ceux d’avant), et s’est construite l’idéologie selon laquelle la qualité de ces écrits résultait nécessairement d’une solide maîtrise de la grammaire traditionnelle.
10Le dispositif didactique découlant de ce positionnement va alors de soi : – la cible à atteindre est la capacité d’accéder3 à la langue des bons auteurs, eux-mêmes élus par les puristes ; – la condition de réalisation de cet objectif réside dans la maîtrise des règles grammaticales et normatives ; – l’accès à cette maîtrise s’effectue en conjuguant lecture des auteurs et exercices de grammaire (« toute explication littéraire est d’abord une explication grammaticale » affirmera encore Clarac en 1963), en laissant hors champ le parler effectif des élèves (et des enseignants !) et leurs capacités de communication en situation ordinaire ; – dans ce cadre, le maître a pour fonction essentielle d’incarner ces autorités indiscutables que constituent les auteurs et la grammaire, avec les conséquences pédagogiques que l’on connaît : des démarches d’enseignement déductives, frontales et autoritaires.
11Au plan politique enfin, ce dispositif s’accommode sans trop d’états d’âme d’un sévère processus de sélection ; par principe, tous les élèves ne peuvent accéder au Graal grammatico-littéraire, et les clivages économiques, sociaux et culturels peuvent dès lors globalement se reproduire, au bénéfice des classes dominantes (voir Bourdieu & Passeron, 1970).
12Contrairement à bien d’idées reçues, la seconde configuration s’inscrit dans une histoire aussi longue que celle de la précédente4, si ce n’est que c’est l’histoire d’une pensée minoritaire, émanant d’auteurs régulièrement qualifiés d’« utopistes », voire simplement ignorés.
13On relèvera d’abord que la doxa logico-grammaticale a, de tout temps, été contestée par des auteurs plus attentifs aux propriétés empiriques des langues : par Démocrite notamment qui, analysant dans la langue grecque les phénomènes d’homonymie (un même mot pour plusieurs référents), de polynomie (plusieurs mots pour un même référent) et de diversité syntaxique (plusieurs propositions possibles pour une même relation logique), considérait qu’en raison de leur caractère divers et aléatoire, les mots et les structures langagières ne pouvaient être fondés sur les propriétés d’un monde en droit unique et universel ; par Flavius Josèphe et les anomalistes de l’époque romaine ensuite qui, prenant en compte l’extrême variété des structures des langues « barbares », soutenaient qu’il ne pouvait exister de rapport d’analogie entre structures du monde et structures langagières ; bien plus tard encore par les comparatistes du XIXe. Mais rien n’y a fait ; appuyée au besoin par les pouvoirs politiques, c’est la position « logique » qui est restée dominante, et il a fallu attendre Saussure et l’émergence d’une véritable linguistique pour que la position contestataire trouve une assise scientifique crédible, susceptible de fonder une approche de la langue telle qu’elle est, avec ses propriétés de variation, d’adaptation et sa relative autonomie à l’égard des processus universels de pensée (voir 2, infra). Dans ce contexte, la seconde configuration didactique s’est élaborée avant tout sur la base de revendications à la fois politiques et pédagogiques, qui ont véritablement pris corps au cours du XVIIe.
14La Didactica Magna de Comenius (1657) peut être considérée comme l’ouvrage princeps de ce second mouvement en ce qu’elle inaugure un discours nouveau, de critique de l’état de la chose éducative et de proposition de solutions nouvelles. La position de Comenius était fondée d’abord sur des principes d’ordre socio-politique et philosophique. Au premier plan, elle dénonçait le caractère élitaire et fataliste de l’enseignement de l’époque (réservé à quelques privilégiés et acceptant de fait l’ignorance du plus grand nombre) et proposait une profonde réforme visant à ce que les sociétés se dotent d’un projet éducatif global qui se réaliserait aussi bien dans des cadres informels que dans le cadre des institutions scolaires ; s’agissant de ces dernières, l’auteur préconisait concrètement la création d’une Ecole publique (prise en charge par l’Etat et non plus déléguée à l’Eglise), qui soit démocratique et qui vise à la socialisation de l’ensemble des individus :
« Il faut admettre dans les écoles tous les enfants sur un pied d’égalité : nobles, roturiers, riches et pauvres, garçons et filles, et ce dans chaque ville, grande ou petite, village ou hameau […] Tous les hommes naissent pour la même fin : devenir des hommes, c’est-à-dire des créatures raisonnables, maîtres de la création et images de leur créateur. Ce sont donc tous les enfants qu’il faut élever, de manière à les pénétrer de savoir, de vertu et de religion. » (Comenius, Didactica Magna, traduction in Prévot, 1981, pp. 70-71)
15Au plan philosophique, Comenius promouvait une conception de l’enfant comme source de l’humain, comme ayant en lui-même toutes les capacités susceptibles de se transformer en un fonctionnement cognitif et socio-affectif adulte. Sous une forme spécifique toutefois, qu’il convenait d’identifier et surtout de prendre en compte dans les démarches d’enseignement. Il contestait dès lors les méthodes déductives issues de la scolastique (énoncé de règles → présentation d’exemples → réalisation d’exercices d’application) et stigmatisait les relations pédagogiques fondées sur l’obéissance et la contrainte. Il recommandait au contraire que les objets d’enseignement soient organisés en une progression fondée sur les capacités cognitives des élèves et demandait que les maîtres mettent en place des situations qui tiennent compte de leurs centres d’intérêts, qui mobilisent leur langue propre (et non une langue littéraire ou artificielle), leurs formes d’activités naturelles (jeux, chansons, etc.), et leurs capacités d’appréhension directe du monde (« nihil est in intellectu quid non prius fuerit in sensu »), ce qui devait se traduire par la mise en place de démarches didactiques clairement inductives (observer d’abord, conceptualiser ensuite les observations, les généraliser enfin sous forme de règles, lorsque c’est possible et utile).
« La nature produit tout en partant uniquement de la racine. Pour bien instruire les jeunes, il ne faut pas leur farcir l’esprit d’un fatras de mots, de phrases, de maximes et d’opinions, ramassés dans les auteurs, il faut leur ouvrir l’esprit […] Jusqu’à présent les écoles n’ont pas habitué les esprits à tirer leurs forces de leurs propres ressources, mais elles leur ont appris à se parer des plumes d’autrui comme le corbeau dans la fable d’Esope. Elles ont cherché, non pas à découvrir dans les esprits la source cachée de l’intelligence, mais à les arroser d’une eau puisée aux ruisseaux d’autrui. » (ibid., in Prévot, 1981, p. 96)
16Ce discours militant et novateur a été repris par la suite par divers auteurs du XVIIIe (voir Rousseau et Kant), et il a donné lieu à la création, par Herbart, Pestalozzi, ou Willmann notamment, de divers types d’écoles nouvelles. Plus tard encore, aux débuts du XXe, il a été développé avec force (mais globalement dans les mêmes termes) par les mouvements bien connus de l’Education nouvelle (Cousinet, Dewey, Dottrens) ou de l’Ecole active (Ferrière, Freinet), qui continuent d’inspirer les entreprises réformistes contemporaines.
17Dans le domaine spécifique de l’enseignement de la langue maternelle, ce mouvement a alors engendré la configuration didactique dite « moderne », qui s’articule à une redéfinition des objectifs de formation, et qui procède à une véritable inversion des démarches et des méthodes. Au plan des objectifs, la visée première est de doter l’enfant-élève d’une maîtrise de la langue d’usage, qui lui permette d’entrer efficacement en communication dans les différentes situations d’interaction qu’il est susceptible de rencontrer ; en termes contemporains, il s’agit de développer sa maîtrise des formes textuelles, orales ou écrites, qu’il a et aura à mettre en œuvre dans sa vie sociale. Une fois cette maîtrise acquise, et sur la base de cette dernière, pourra alors être envisagé l’objectif second d’accès à la littérature, cette dernière ne se limitant évidemment plus à certains auteurs élus par les normes ambiantes, mais étant conçue dans une perspective diversifiée et contemporaine. Au plan des méthodes, il s’agit en conséquence de se centrer d’abord sur les variantes de la langue d’usage (et notamment celle de l’élève lui-même), d’inciter ce dernier à les produire, à les observer, puis à en dégager certaines régularités, et à se constituer ainsi, par induction, un savoir d’ordre grammatical qui lui servira d’appui et d’aide-mémoire dans son développement langagier ultérieur.
18Si elle est ainsi préconisée depuis au moins trois siècles par les spécialistes de l’éducation, cette seconde configuration didactique a cependant toujours eu grand’peine à pénétrer les représentations collectives (et notamment celles des décideurs politiques), et à engendrer en conséquence de véritables transformations des systèmes et des méthodes d’enseignement. L’histoire française de la confection des programmes d’enseignement de langue lors de l’instauration de l’Instruction publique en est une illustration particulièrement claire, et décisive pour notre propos. Sous l’influence de Condorcet notamment, la République naissante avait élaboré un projet d’enseignement généralisé visant à unifier la Nation en fournissant aux citoyens des instruments communs de développement (et en particulier la maîtrise d’une seule et même langue « nationale »), et visant à ce que chacun puisse, en fonction de ses capacités, parcourir le maximum d’échelons de la scolarité. Pour des raisons essentiellement économiques, ce projet n’allait cependant se concrétiser que bien plus tard, dans le cadre des lois radicales du dernier quart du XIXe. Comme l’ont montré les historiens de l’éducation (voir Chervel, 1977 ; Compère, 1985 ; Prost, 1968), si les intentions affichées étaient bien de l’ordre de la démocratisation et de la socialisation, comme le préconisaient Comenius et la seconde configuration, les choix relatifs à l’organisation du système scolaire et aux méthodes didactiques relevaient par contre clairement de la première configuration : au niveau secondaire, l’Ecole républicaine a repris quasiment tels quels les programmes et les méthodes des Collèges de l’Ancien Régime, et elle a confectionné les programmes de l’école primaire sur le principe de l’accessibilité à cet enseignement secondaire-là. Dès lors, en matière d’enseignement de la langue maternelle au primaire, si s’est maintenu d’abord un objectif d’alphabétisation (le temps nécessaire à la généralisation du français dans l’hexagone), celui-ci a rapidement fait place à une visée plus conceptuelle, se traduisant surtout par l’introduction d’un lourd programme grammatical, destiné à préparer les élèves aux démarches d’analyse (de textes latins ou de littérature française) toujours en vigueur au secondaire. Et en compatibilité avec cette logique, l’Ecole publique a adopté et solidifié la démarche méthodologique inspirée de la scolastique : la décomposition analytique du programme-cible, et la construction d’une progression fondée sur des degrés de complexité des savoirs, tels que les adultes les conçoivent. S’il était articulé à des objectifs politiques louables de modernisation et de démocratisation, le projet d’instruction publique s’est ainsi réalisé dans le cadre d’un système scolaire traditionnel dont les structures, les programmes et les méthodes étaient, de fait, incompatibles avec ces mêmes objectifs. Et c’est cette contradiction constitutive qui est sans nul doute la cause majeure du sentiment de crise qui se manifeste en permanence à l’égard de l’enseignement en général, et de l’enseignement des langues en particulier : la prise de conscience du caractère inapproprié des méthodes eu égard aux objectifs déclenche régulièrement des propositions de réforme, réformes aussitôt combattues au nom des principes anciens et dès lors, soit rejetées, soit aboutissant à un compromis temporaire, lui-même porteur des germes d’une prochaine crise.
19En ce début de XXIe, ces trois phases du cycle des crises sont attestables et se chevauchent partiellement. On assiste d’un côté à une critique de l’état actuel de l’enseignement, stigmatisant la première configuration didactique : – dénonciation du taux d’échecs et de la déperdition scolaire qui affectent surtout les classes sociales économiquement et culturellement défavorisées ; – contestation des objectifs centrés sur une langue littéraire peu usitée et relativement artificielle, et mise en évidence de l’inadéquation des références grammaticales proposées ; – contestation encore des méthodes pédagogiques déductives, frontales et ignorantes des capacités et des intérêts des élèves. On assiste en conséquence à des tentatives d’implantation de réformes visant à résoudre ces difficultés, et évidemment inspirées de la seconde configuration : – mise en place de méthodes qui se fondent d’abord sur les capacités de production orale et écrite des élèves, et qui tentent, sur cette base, de développer progressivement une maîtrise des différents genres de texte en usage dans la société ; – mise à disposition de références grammaticales modernisées et susceptibles d’éclairer les caractéristiques effectives des structures textuelles, et d’en favoriser l’appropriation par l’élève ; – tentatives plus globales de décloisonnement de l’enseignement de la langue maternelle, visant à ce que les capacités pratiques et les savoirs acquis en ce domaine puissent être ré-exploités, dans l’enseignement des langues secondes ou étrangères d’une part, dans des démarches visant à une véritable compréhension de ce qui constitue la qualité et les propriétés spécifiques de la littérature d’autre part. On assiste enfin, simultanément, à l’émergence de divers mouvements réactionnaires, qui imputent aux réformes en cours la responsabilité du marasme de l’enseignement des langues et qui exigent donc le retour à la situation d’avant : – la centration sur les capacités des élèves, en particulier sur leur langue orale, serait une démarche laxiste, freinant leur accès à la langue normée et expliquant le taux élevé d’illettrisme comme la soi-disant dégénérescence de l’orthographe ; – les nouvelles références grammaticales seraient moins logiques et moins sûres que les références traditionnelles et constitueraient en outre un jargon technique incompréhensible pour les élèves, les enseignants… et les parents ; – plus globalement, les nouvelles démarches engendreraient une rupture avec le patrimoine culturel que constituent la langue normée et la littérature, et seraient de ce fait largement responsables du malaise sociétal contemporain.
20C’est dans ce contexte, et plus précisément pour contribuer au combat contre l’échec et l’inefficacité de l’enseignement du français, qu’a émergé, au cours des dernières décennies, la didactique de la langue maternelle en tant que discipline de recherche et d’intervention. Ses acteurs (enseignants, responsables scolaires, chercheurs) s’inscrivent dès lors clairement en appui aux entreprises réformistes, en tentant de leur fournir des arguments, des références, des méthodes et des instruments ; et c’est bien évidemment dans cette perspective que se situent l’ensemble des contributeurs de ce volume. Mais l’adhésion aux réformes et la conviction de leur pertinence globale ne conduit cependant pas à sous-estimer l’ampleur des problèmes qui continuent de se poser, et du chemin qui reste à parcourir pour réellement instaurer les pratiques didactiques préconisées et obtenir les résultats escomptés. Trois questions en particulier restent aujourd’hui largement ouvertes. Comment identifier les capacités langagières initiales des élèves, les conceptualiser et les exploiter, et comment tenir compte, en situation de classe, de la diversité et de l’hétérogénéité des élèves en ce domaine ? Comment faire en sorte que les ressources grammaticales proposées puissent être réellement construites par les élèves (et non imposées), qu’elles fassent en conséquence l’objet d’une appropriation stable, garante notamment de leur ré-exploitation dans le cadre de l’acquisition d’une autre langue ? Comment enfin gérer le délicat passage d’un travail visant à la maîtrise fonctionnelle des genres de textes ordinaires à une approche à la fois technique et culturelle des textes relevant de la littérature ? C’est notamment pour répondre à ces interrogations que la didactique de la langue maternelle développe ses recherches, en sollicitant en permanence les disciplines théoriques de référence (psychologie et linguistique en particulier), selon des modalités qui ont toutefois connu une notable évolution (voir 2, infra) ; et c’est dans cette même perspective que s’est développé un intérêt pour la notion de compétence (voir 3, infra) et surtout pour les démarches didactiques qui pourraient lui être associées, démarches qu’analysent et commentent les experts sollicités pour ce volume (voir 4, infra).
1.2. Comment enseigner efficacement les langues secondes ou étrangères ?
21L’enseignement du latin, tel que dispensé depuis des siècles, outre qu’il constitue le socle de la configuration didactique logico-grammaticale, pourrait être considéré comme relevant de la didactique d’une langue étrangère ; mais cette langue étant « morte », la visée en ce domaine a nécessairement toujours été plus culturelle que pratique. Notre problématique ne concernera dès lors que l’enseignement des langues vivantes (en l’occurrence du français aux non-francophones et des langues étrangères aux francophones), dont l’histoire, analysée notamment par Puren (1988 ; 1989), présente de notables différences avec celle de l’enseignement de la langue maternelle.
22Cette problématique a véritablement émergé au cours du XIXe, dans le cadre d’enjeux d’abord économiques et politiques. Sur le premier plan, le spectaculaire accroissement des échanges commerciaux a suscité une demande sociale de maîtrise pratique des langues étrangères ; sur le second, s’est développé le sentiment que la puissance d’une nation tenait notamment à sa capacité d’interagir avec les autres nations (et surtout à exercer une influence sur elles), ce qui impliquait une connaissance efficace des langues qui y étaient en usage5. Dans la première moitié du siècle, si l’objectif de maîtrise pratique était déjà fermement énoncé, les autorités scolaires préconisaient néanmoins l’adoption de la démarche en usage dans l’enseignement du latin (d’abord mémorisation des règles de grammaire, puis réalisation d’exercices de traduction : thèmes et versions), instaurant de la sorte un clivage entre objectifs et méthodes analogue à celui de l’enseignement de la langue maternelle. Ces démarches ayant clairement échoué, s’est alors développé un mouvement exigeant que les méthodes d’enseignement des langues vivantes prennent le strict contre-pied de celles ayant trait à l’apprentissage des langues mortes (et de fait, de celui du français langue maternelle) : « dans l’économie de nos études scolaires, nous enseignons à nos enfants les langues mortes pour leur apprendre à penser, les langues vivantes pour leur apprendre à parler6. » Dans cette perspective, l’enseignement des langues vivantes étrangères se doit d’être pratique, ce qui signifie à la fois qu’il doit conduire l’élève à des capacités de production et de compréhension en situation ordinaire, et que ces capacités ne peuvent s’acquérir que dans l’usage de la langue elle-même, hors toute considération de logique, d’intelligence ou même de culture. En conséquence, la primauté absolue doit y être accordée à la langue parlée, et notamment à la prononciation7. Enfin, la démarche pédagogique adaptée à ces objectifs doit mobiliser un travail collectif de la classe, sous la forme d’activités de répétition et d’imitation (non de réflexion) que l’on tentera de rendre, autant que faire se peut, ludiques et attractives. Dans la mesure où elle présentait ainsi l’essentiel des caractéristiques de la configuration didactique moderne, cette approche a évidemment été combattue par les tenants de la tradition et de la reproduction sociale, mais elle s’est néanmoins rapidement imposée, en raison des enjeux économico-politiques spécifiques évoqués plus haut. D’emblée progressiste (ou quasiment), la didactique des langues étrangères a pu alors (avant et bien mieux que celle de la langue maternelle) s’atteler à l’élaboration et à la mise en place de méthodes adaptées à ses objectifs déclarés.
23Cette recherche de méthodes efficaces a néanmoins constitué un véritable parcours du combattant. La première, la méthode directe ou naturelle préconisée jusqu’à la fin du XIXe, prenait comme référence les procédures censément à l’œuvre dans l’apprentissage de la langue première en milieu familial : centration exclusive sur la langue à acquérir, sans aucune mobilisation de la langue maternelle ; pas d’enseignement grammatical a priori ; prééminence d’exercices de prise de parole et de prononciation ; éventuels exercices d’écriture au tableau noir et éventuelle induction de quelques règles générales. Cette approche s’est cependant rapidement révélée inefficace, en raison de son inadaptation aux conditions de l’enseignement scolaire, qui requièrent systématisation, programmation et progression. Les enseignants de langues vivantes se sont alors mis à la recherche de méthodes qui, tout en visant à rester au plus proche des procédures spontanées (centration directe sur la langue étrangère ; priorité à la pratique ; confrontation à des exemples de langue d’usage ou « authentiques »), tiendraient compte aussi des mécanismes d’apprentissage que les élèves sont susceptibles de mettre en œuvre dans la situation collective de la classe, ce qui les a conduits (bien plus tôt, encore, que dans l’enseignement de la langue maternelle) à solliciter l’appui des disciplines scientifiques. Après une période de latence et d’indécision au début du XXe, dès la fin de la seconde guerre mondiale se sont succédé des vogues méthodologiques explicitement inspirées de la psychologie et/ou de la linguistique. D’abord les démarches inspirées du behaviorisme : – la méthode audio-orale, axée sur la production de dialogues dans des situations simulant des conditions de communication réelles, préconisant la formation d’automatismes langagiers dans le cadre d’apprentissages « sans erreur », et toute entière centrée sur les pratiques efficientes : apprendre une langue n’est pas « apprendre quelque chose », mais « faire quelque chose » (voir Gaonac’h, 1987, p. 26) ; – les méthodes audio-visuelles, complétant la précédente en utilisant l’image pour donner réalité aux situations de communication et aux concepts proposés, et pour éviter de la sorte tout recours à la langue première ; – les méthodes structurales, centrées plus que les précédentes sur les règles d’organisation phrastique, telles que les avait décrites le structuralisme linguistique issu de Bloomfield, mais préconisant également un apprentissage mécanique ou non réflexif de ces mêmes règles (dans le cadre des fameux « exercices structuraux »). Ensuite, la nébuleuse des méthodes fonctionnelles (voir Galisson, 1980), inspirées « du schéma de la communication » de Jakobson ainsi que de la linguistique fonctionnelle, des théories de l’énonciation et de la pragmatique. Soutenant que tout enseignement doit se fonder d’abord sur une analyse des besoins spécifiques des apprenants concernés, ces approches visent à développer chez ces derniers des compétences de communication, qui subordonnent la maîtrise proprement linguistique à des capacités d’adaptation au contexte plus global des échanges ; au plan didactique, elles récusent le mécanicisme et les interdits des démarches antérieures, en tolérant et en exploitant les erreurs des apprenants, en se centrant sur l’écrit aussi bien que sur l’oral, en acceptant de recourir éventuellement à la langue maternelle dans les échanges formatifs, et en n’excluant pas en principe l’introduction d’appuis grammaticaux. Les méthodes cognitives, inspirées de la théorie piagétienne ou du cognitivisme qui lui a succédé, prolongent l’approche fonctionnelle sous ce dernier aspect, en tentant d’exploiter, au service de la maîtrise langagière, les processus et les stratégies de construction des connaissances et de concepts que mettent en œuvre les élèves dans leur développement psychologique général.
24Ce va-et-vient de vogues méthodologiques, souvent caractérisées par le dogmatisme et l’intolérance, s’est relativement apaisé au cours des deux dernières décennies, et la situation contemporaine se caractérise par l’acceptation d’un certain éclectisme des approches, et surtout par le développement de recherches nouvelles visant à résoudre les problèmes qui continuent de se poser, et dont certains sont de même ordre que ceux rencontrés par la didactique de la langue maternelle. Ces recherches visent à identifier les besoins et les capacités langagières des apprenants (dans leur langue première et dans la langue cible) ; dans le cadre d’une linguistique acquisitionnelle (voir De Pietro, Matthey & Py, 1989), elles tentent également d’identifier (et d’exploiter) les processus en jeu dans les interactions d’apprentissage en situation extrascolaire ; elles visent enfin aussi à élaborer un appareil de notions et de règles d’ordre grammatical, dans la mesure du possible analogue à celui en usage dans l’enseignement de la langue première, et qui serait le plus apte à contribuer à la solidification des acquisitions pratiques.
2. L’évolution des rapports entre la didactique des langues et ses disciplines de référence
25Le bref survol historique qui précède a montré que, dès les débuts du XXe au moins, pour résoudre leurs problèmes propres, les protagonistes de l’enseignement des langues vivantes (du moins ceux qui adhéraient à la configuration didactique moderne) ont régulièrement cherché appui et références auprès des disciplines scientifiques constituées, en particulier auprès de la psychologie et de la linguistique. Cette quête s’est cependant effectuée dans le cadre de conceptions de la nature des rapports possibles entre ces deux domaines qui ont notablement évolué avec le temps ; en dépit des risques et limites de ce type de bilan, nous délimiterons quatre conceptions successives (pour des compléments détaillés, voir Bronckart, 1989 ; Bronckart & Schneuwly, 1991).
26La première est celle qui a prévalu avant l’émergence formelle des différentes didactiques des matières scolaires, et qui a pris corps en particulier dans le cadre des mouvements d’Education nouvelle et d’Education active. Les propositions pédagogiques émanant de ces mouvements sont bien connues : centration sur l’activité pratique de l’élève, qui doit être encouragée dans sa forme spontanée, puis progressivement canalisée en une démarche de travail concrète et utile (voir le célèbre atelier d’imprimerie de Freinet, 1943) ; organisation collective de ce travail et des apprentissages qu’il requiert, dans un esprit de collaboration entre élèves (voir Cousinet, 1945) ; transformation de la relation pédagogique, l’enseignant ne se présentant plus comme le détenteur unique des savoirs, mais comme un guide orientant la co-construction des connaissances par les élèves ; contestation de l’enseignement frontal et des méthodes déductives, pour leur substituer une démarche inductive et constructive, dont le schéma-type serait pratiques → observation des pratiques → inférence guidée → codification de ces inférences sous forme de règles ou de concepts. Articulées à des positions critiques et militantes, ces propositions étaient certes empreintes d’une certaine naïveté sociale (elles sous-estimaient notamment le poids des représentations collectives relatives à l’éducation, ainsi que la redoutable inertie d’une institution scolaire qui, en définitive, n’avait guère évolué depuis trois siècles), mais elles étaient aussi et surtout soutenues par la croyance (peut-être tout aussi naïve) que les sciences humaines naissantes allaient pouvoir leur donner une assise scientifique et leur fournir toutes les aides techniques nécessaires. C’est dans cette perspective qu’ont été sollicitées, notamment : – la théorie behavioriste de l’apprentissage, qui, comme on l’a vu, a constitué la référence de base de la première génération de méthodes modernes d’enseignement des langues étrangères ; – la théorie du développement cognitif de Piaget, qui était censée permettre d’identifier l’état actuel des capacités des élèves, et fournir ainsi les bases sur lesquelles les enseignants de toute matière pourraient fonder leur démarche ; – les descriptions structuralistes de la morphosyntaxe des langues, et surtout les techniques d’analyse dont elles procédaient, dont on a pensé que les élèves pouvaient les reproduire dans leur travail scolaire.
27Globalement, cette démarche d’emprunt se caractérisait par la croyance en la possibilité d’une implantation directe des savoirs scientifiques dans les programmes et les pratiques d’enseignement, et si elle n’a pas été totalement inutile, elle posait cependant le redoutable problème de la légitimité même des sources de référence ; le behaviorisme, le constructivisme, comme le cognitivisme ou l’interactionnisme vygotskien, proposent des conceptions très différentes des mécanismes en jeu dans l’apprentissage : à laquelle dès lors se référer et pourquoi ? Et il en va de même bien sûr pour les multiples conceptions de la structure et du fonctionnement des langues émanant de la linguistique. Au delà de cette question, cette approche applicationniste n’a pas eu l’efficacité attendue, pour un ensemble convergent de raisons. Tout d’abord, les interventions sur les pratiques formatives ne peuvent faire l’économie d’une sérieuse analyse des caractéristiques effectives du contexte scolaire auquel elles viennent s’articuler (voir la « naïveté sociale » évoquée plus haut). Il convient au contraire de tenir compte de la réalité des objectifs dévolus à l’enseignement des langues, dont on a rappelé la complexité et le fait qu’ils n’avaient que partiellement trait à un développement « naturel » de savoirs validés par la science (voir 1, supra). Il convient également de prendre en compte l’état des systèmes d’enseignement : l’histoire propre de leur organisation, de leurs programmes et de leurs méthodes ; les représentations et le niveau de formation des enseignants ; les besoins et caractéristiques des apprenants concernés, etc. Ensuite, quelle que soit leur pertinence intrinsèque, les nouveaux savoirs scientifiques ne peuvent jamais être introduits tels quels dans les démarches scolaires : ils doivent d’abord être sélectionnés, puis transformés et simplifiés en fonction des possibilités de travail des élèves… et des enseignants ; et les savoirs savants étant par principe incomplets et/ou hypothétiques, il y a lieu en outre de les compléter par des notions relevant du sens commun ou de ce que Martinand (1986) a qualifié de « pratiques sociales de référence ». Enfin, en raison des propriétés spécifiques des interactions didactiques, les processus et stratégies d’apprentissage qu’y mettent en œuvre les élèves diffèrent souvent de celles qui peuvent être identifiés en situation de laboratoire (pour les stratégies grammaticales, voir notamment Kilcher et al., 1987), et les références de la psychologie développementale ne permettent dès lors pas nécessairement de comprendre par quels procédés l’élève apprend réellement en situation de classe.
28C’est largement pour pallier les insuffisances de cet applicationnisme que se sont constituées, à partir des années 60/70, l’ensemble des didactiques des matières scolaires, comme démarches organisées d’intervention et de recherche. Se présentant comme des disciplines à la fois autonomes et situées à la charnière entre les domaines des disciplines scientifiques de référence d’une part, de l’action enseignante concrète d’autre part, elles se sont donné trois ordres d’objectifs majeurs. Le premier est d’analyser et de conceptualiser l’ensemble des caractéristiques propres aux démarches d’enseignement scolaire (leurs objectifs, leur histoire, leur organisation, leurs protagonistes, etc.) ; les travaux en ce domaine ont notamment abouti à un balisage global du terrain éducatif, formulé en termes de systèmes emboîtés (système social ; systèmes d’enseignement, systèmes didactiques), et à des analyses minutieuses de l’histoire et des enjeux de l’enseignement de chaque matière (l’histoire de l’enseignement des langues relatée sous 1, supra, constituant un des résultats de cette démarche). Le deuxième est de contribuer à la conception et à la nécessaire adaptation des contenus d’enseignement. En ce domaine, les didacticiens ont entrepris de sélectionner, parmi les acquis notionnels et méthodologiques des disciplines scientifiques, ceux qui pourraient utilement être exploités dans l’enseignement ; ils ont aussi et surtout tenté de définir et de gérer les conditions de la nécessaire transposition didactique de ces acquis (voir Chevallard, 1985) : comment adapter les contenus nouveaux au niveau d’appréhension présumé des apprenants, sans pour autant leur faire perdre l’essentiel de leur statut et de leur signification scientifiques, et comment les articuler aux contenus anciens qui demeurent en vigueur ? Travail complexe, en ce qu’il a notamment à tenir compte des étapes successives de toute transposition : la confection des « savoirs à enseigner » et de leur progression tels qu’ils sont présentés dans les programmes et les manuels ; la reformulation de ces savoirs dans les pratiques formatives et évaluatives des enseignants (« savoirs tels qu’ils sont enseignés ») ; l’éventuelle transformation de ces mêmes savoirs au cours de leur appropriation par les élèves (« savoirs tels qu’ils sont appris »). Et en matière d’enseignement des langues en particulier, se superpose évidemment à cette problématique celle du type de rapport à établir entre les objectifs relatifs aux savoirs et ceux ayant trait à la maîtrise pratique, question qui se prolonge en celle des conditions de conceptualisation de ces mêmes pratiques. Le troisième objectif est alors d’identifier les conditions proprement pédagogiques d’une formation efficace à ces contenus ; c’est dans cette perspective que sont notamment analysés les différents types de contrat didactique qui peuvent être instaurés en classe, les conditions de la dévolution des objets d’enseignement (pour ces deux concepts, voir Brousseau, 1986), et plus largement l’ensemble des propriétés des interactions enseignement-apprentissage.
29A s’en tenir aux didactiques des langues (L1 et L2), la mise en œuvre de ce projet d’ensemble a cependant connu une sensible évolution, caractérisée par une prise de distance progressive à l’égard de la problématique de l’emprunt et de la transposition des acquis des disciplines de référence, et par une centration de plus en plus accentuée sur l’analyse des processus attestables en situation de classe ; et c’est donc dans cette évolution interne des didactiques qu’ont émergé les trois autres conceptions des rapports entre « terrain scolaire » et disciplines scientifiques de référence.
30Dans un premier temps, l’objectif central était celui de l’adaptation et de la modernisation des programmes et des méthodes. Dans le domaine des langues secondes, le développement des approches fonctionnelles (voir 1.2., supra) s’inscrivait largement dans cette perspective ; il a débouché notamment sur l’élaboration, par les instances politiques européennes ou nationales, de programmes d’orientation générale (voir Coste, 1981 : Un niveau-seuil) ainsi que de diverses séries de manuels nouveaux, proposant généralement une progression visant à la maîtrise pratique d’actes de langage de plus en plus complexes (voir Plazaola Giger, 2000). Dans le domaine de la langue maternelle, cet objectif de modernisation s’est d’abord traduit par l’élaboration d’un nouveau cadre de références grammaticales, inspiré des linguistiques structurale et générative (voir Besson et al., 1979), cadre qui, au prix de multiples débats et controverses, a fini par s’implanter et se substituer aux grammaires « traditionnelles ». Une fois cette réforme notionnelle admise, les didacticiens se sont alors attelés à une rénovation des contenus ayant trait aux pratiques langagières, en s’inspirant des théories des textes-discours qui s’élaboraient parallèlement (voir Adam, 1990 ; Bronckart, 1997 ; Bronckart et al., 1985) : au plan des programmes, a été promue une démarche de diversification, visant à identifier les genres de textes qui seraient représentatifs des multiples variantes d’usage du français contemporain, et dont la maîtrise pratique devrait en conséquence être requise des élèves (voir Bronckart, 1991) ; au plan des méthodes, s’est développé un vaste mouvement d’élaboration de séquences didactiques, c’est-à-dire de séries de leçons types centrées sur la maîtrise d’un genre textuel déterminé et visant à la fois à en maîtriser les conditions d’utilisation sociale, à en identifier les caractéristiques formelles spécifiques, et à résoudre les problèmes techniques et linguistiques de leur organisation (voir Dolz, Rosat & Schneuwly, 1991 ; Dolz & Schneuwly, 1998 ; Schneuwly & Dolz, 1997). Cet ensemble de démarches visait de la sorte essentiellement à une mise à jour et à une rationalisation du projet d’enseignement des langues, sous l’angle de ses contenus et de ses méthodes, et en ce sens, relevait plutôt de ce que les courants ergonomiques contemporains qualifieraient de « travail prescrit ».
31S’est alors tout naturellement manifesté le souci de vérifier dans quelle mesure ce projet était effectivement mis en œuvre : les démarches proposées sont-elles vraiment appliquées, et si oui, engendrent-elles de réels progrès chez les élèves ? Diverses études ont tenté de répondre à ces questions et ont montré notamment que certaines séquences didactiques, pourtant soigneusement conçues et planifiées, pouvaient être abandonnées ou détournées de leurs objectifs, en particulier parce que les élèves n’arrivaient pas à s’approprier le discours de l’enseignant, et manifestaient d’autres types d’intérêts et d’autres modalités d’approche des textes sous étude (voir Canelas Trevisi, 1997). Les constats de ce type ont alors suscité deux nouvelles orientations de recherche, qui continuent de se développer aujourd’hui.
32L’une s’est centrée délibérément sur les processus d’apprentissage mis en œuvre dans les contextes scolaire et extra-scolaire. C’est à l’élucidation de ces processus en langue seconde que vise en particulier la linguistique acquisitionnelle évoquée sous 1.2. supra. C’est également dans cette perspective qu’ont été conduites, dans le domaine de la langue première, un ensemble de recherches tentant d’identifier les étapes de la maîtrise des règles d’organisation de divers genres de textes, et surtout les stratégies que mettaient en œuvre les élèves à cet effet (voir Dolz, 1990 ; de Weck, 1991 ; Schneuwly, 1988).
33S’ils ont fourni des corpus de données extrêmement utiles, ces travaux, par leur centration quasi exclusive sur les apprenants, ne permettaient pas d’identifier les démarches que les enseignants pourraient mettre en œuvre pour exploiter les capacités des élèves et guider, accompagner et améliorer leurs apprentissages. La dernière phase des travaux, actuellement en plein essor, a alors consisté en une analyse des interactions didactiques dans l’ensemble de leurs dimensions, et mis l’accent en particulier (parce que c’est ce sur quoi les didacticiens peuvent le plus directement agir) sur les caractéristiques réelles du travail des enseignants. D’une part de nombreuses études visent à mettre en évidence et à conceptualiser les modalités par lesquelles ces derniers construisent et gèrent la présentation des objets d’enseignement (voir Dolz & Thévenaz-Christen, 2002), et plus largement à identifier les multiples facettes de l’ingéniosité dont ils font preuve pour rendre leur travail efficace (voir Schubauer-Leoni & Dolz, 2004). Sur cette base d’autre part, divers auteurs tentent d’élaborer des « modèles de l’action des enseignants », notamment dans la visée plus prospective de formation de ces derniers (voir Sensevy, 2001 et 2002).
34C’est parallèlement au développement de ces deux dernières approches (centration sur les processus des apprenants ; centration sur le travail des enseignants), que s’est diffusée dans le champ éducatif la logique des compétences, en tant que tentative de re-conceptualiser les capacités acquises ou à acquérir des uns et des autres. Et c’est pour évaluer les apports et les limites de cette approche qu’ont été sollicitées les contributions à ce volume. Mais avant de présenter ces dernières, il nous paraît utile de nous pencher sur l’origine et sur le parcours de cette notion, et surtout sur les raisons qui ont suscité son « irrésistible ascension ».
3. Origine, enjeux et problèmes de la logique des compétences
35L’expression de compétence linguistique a été introduite par Chomsky dans le cadre d’un article (1955) qui constitue l’un des textes fondateurs de la « révolution cognitive » en sciences humaines. Pour cet auteur, l’extrême rapidité de l’acquisition par l’enfant des principales unités et structures linguistiques, tout comme la rapidité de récupération du langage à l’issue de lésions organiques, ne pouvaient s’expliquer en termes d’apprentissage ; ces phénomènes attestaient selon lui de l’existence d’une disposition langagière innée et universelle, dotant chaque sujet d’une capacité intrinsèque à produire et comprendre toute langue naturelle. C’est cette disposition qu’il qualifiait de compétence, mais cette dernière présentait cependant un caractère théorique ou idéal, les conduites langagières effectives, ou performances, pouvant être entachées d’erreurs, parce que leur mise en œuvre dépend aussi des capacités de mémoire ou d’attention, et peut être affectée par des limitations comportementales ou par des facteurs d’ordre socio-contextuel. Dans cette acception, le terme de compétence a d’emblée connu un vif succès dans le champ de la psychologie et y est devenu l’un des termes de combat du cognitivisme radical. Selon ce courant (voir Fodor, 1983/1986), toutes les fonctions psychologiques supérieures (attention, perception, mémoire, etc.) seraient sous-tendues par un dispositif inné, et chaque sujet disposerait dès lors, en ces domaines, d’une compétence idéale de même ordre que la compétence linguistique. Dans cette perspective, d’une part le terme de compétence finit par se substituer à celui d’intelligence, et d’autre part tout développement est conçu comme l’application-adaptation de ces capacités idéales aux contraintes et stimulations du milieu, c’est-à-dire comme un processus de réalisation partielle des potentialités intrinsèques d’un sujet.
36Parallèlement à ce premier mouvement de propagation, le terme a été repris dans le cadre des approches fonctionnalistes de l’enseignement des langues secondes (voir 1.2. supra). Dans un ouvrage fondateur, Hymes (1973/1991) a soutenu notamment que s’il existait peut-être une compétence linguistique idéale, celle-ci ne suffisait pas pour que se développe la maîtrise pratique d’une langue ; cette dernière implique la capacité d’adapter les productions langagières aux enjeux du contexte communicatif, et de telles capacités font nécessairement l’objet d’un apprentissage social. Selon lui, l’enseignement des langues doit viser à développer ces compétences de communication, qui se différencient en compétences narrative, conversationnelle, rhétorique, productive, réceptive, etc. On relèvera que si la psychologie cognitive avait repris tel quel le concept chomskyen, Hymes lui a fait subir par contre une importante distorsion : telle qu’il la définit, la compétence n’est plus innée ; elle est une capacité adaptative et contextualisée, dont le développement requiert un apprentissage formel ou informel. Et le seul sème qui subsiste de l’acception chomskyenne originelle est que la compétence s’appréhende au niveau des propriétés d’un individu.
37L’étape suivante du processus de propagation s’est caractérisée précisément par la perte de cet ultime sème commun. Depuis deux décennies, le terme a ré-émergé dans le champ de l’analyse du travail et de la formation professionnelle, dans le cadre d’un mouvement de contestation de la logique des qualifications. Selon cette dernière, la formation vise à doter les apprenants de connaissances certifiées (par l’Etat) qui qualifient un individu pour l’obtention de postes de travail déterminés. La logique substitutive se fonde sur le fait que le caractère désormais très flexible des situations de travail requiert une constante adaptation à de nouveaux objectifs et à de nouveaux instruments (informatiques notamment) ; elle considère qu’en raison de leur caractère statique et déclaratif, les connaissances certifiées ne suffisent plus à y préparer les futurs professionnels ; elle vise au contraire à doter ces derniers de compétences, définies cette fois comme des capacités plus générales et plus souples permettant de faire face à la variété des tâches et de prendre, en temps réel, des décisions d’action adaptées. Dans cette approche, les compétences s’appréhendent d’abord au niveau des performances requises des agents dans le cadre d’une tâche donnée ; et ces propriétés d’efficacité d’une activité collective ciblée se trouvent ensuite, au travers d’un processus d’évaluation sociale, imputées à des agents ; plus concrètement, les capacités désignées par ce terme relèveraient des savoir-faire plutôt que des savoirs, et de capacités méta-cognitives plutôt que de la maîtrise de savoirs stabilisés.
38Ce bref survol met en évidence deux mouvements d’orientation contraire : l’un allant des propriétés du sujet vers l’adaptation au milieu, l’autre allant des exigences du milieu aux capacités requises des sujets. Dans le premier cas, les compétences ont d’abord été définies comme des propriétés biologiques, absolues ou indépendantes de tout contexte concret (voir Chomsky) ; puis elles ont été redéfinies en tant que capacités requises pour accéder à la maîtrise de pratiques sociales, capacités disponibles en chaque individu mais qui doivent néanmoins s’ajuster à la réalité historique des modes d’interaction en usage dans un groupe, et dont l’émergence requiert dès lors médiation sociale et apprentissage (voir Hymes). Dans le second cas (en analyse du travail et en formation professionnelle), on part de l’analyse des caractéristiques de tâches collectives, on évalue l’efficacité et l’adéquation des performances d’individus confrontés à ces tâches, puis on en déduit les compétences qui seraient requises d’eux pour que les performances soient plus satisfaisantes, sans trop se préoccuper du caractère inné ou acquis desdites compétences.
39La définition chomskyenne de la compétence ne présente guère d’intérêt pour l’éducation-formation, dans la mesure où elle n’accorde de fait aucun rôle aux apprentissages, qu’ils soient informels ou scolaires. Les conceptions issues de Hymes, comme celles développées en analyse du travail, présentent l’intérêt évident de viser à la re-définition de contenus de formation qui soient mieux adaptés aux situations effectives d’activité et de vie, mais elles posent néanmoins aussi deux ordres de problèmes généraux. Le premier tient au caractère particulièrement labile de la notion même de compétence ; comme de très nombreux auteurs l’ont montré (notamment Toupin, 1998 ; voir aussi Bulea & Bronckart dans ce volume) les définitions explicites du terme peuvent mentionner des « répertoires de comportements », des « systèmes de connaissances déclaratives », des « schémas opératoires », des « savoir-agir », des « fédérations d’habiletés et d’attitudes », etc. Sans verser dans le purisme conceptuel, il nous paraît évident qu’on ne peut raisonnablement penser la problématique de la formation en usant d’un terme qui finit par désigner tous les aspects de ce que l’on appelait autrefois les « fonctions psychologiques supérieures » (voir Bronckart & Schurmans, 2004), et qui accueille et annule tout à la fois l’ensemble des options épistémologiques relatives au statut de ces fonctions. Le second problème tient à ce que certains pouvoirs économiques et politiques se sont prestement emparés de la « logique des compétences », qu’ils ont intégrée à un projet global de dérégulation économique (suppression du contrôle de l’Etat et des contrepoids syndicaux) se prolongeant en tentatives explicites de dérégulation éducative (insertion de l’ensemble des formations dans la logique du marché). Sauf à adhérer au néo-libéralisme brutal, il paraît donc indispensable d’intégrer la réflexion sur les conditions d’exploitation didactique des compétences à une réflexion plus générale portant d’une part sur les instances et processus de contrôle des formations, d’autre part sur les autres objectifs, moins directement « intéressés », qui devraient être assignés aux formations et coexister avec les objectifs de développement des compétences.
4. Présentation des contributions
40C’est dans ce contexte général que nous avons demandé aux contributeurs de ce volume de « faire le point » sur la manière dont la problématique des compétences avait été exploitée, pourrait ou devrait l’être, soit dans l’un des domaines de l’enseignement de la langue maternelle (production orale ou écrite, grammaire, lexique, littérature), soit dans le cadre de l’enseignement des langues secondes et/ou des situations plurilingues : qu’est-ce que ce concept apporte de nouveau par rapport aux concepts plus anciens ? A quelles conditions l’exploiter de manière efficace ? Quelles sont les implications de la logique des compétences au niveau des programmes, des dispositifs de formation, et surtout des pratiques didactiques en situation de classe ?
41Les deux premières contributions proposent une discussion approfondie du statut théorique et didactique qui pourrait être conféré aux compétences langagières, débouchant sur une nette prise de position, appuyée par l’analyse de pratiques réelles d’enseignement. Mais les positions prises par les auteurs sont assez dissonantes, et illustrent ainsi d’emblée les deux pôles des attitudes qui se manifestent aujourd’hui face à la diffusion de la « logique des compétences » dans le champ éducatif. Dans De la nature située des compétences en langue, Pekarek Doehler critique d’abord la conception individualisante, décontextualisée et isolante des compétences, issue notamment de la théorie chomskyenne, et en s’inspirant des approches interactionnistes du fonctionnement psychologique, propose d’y substituer une conception articulant étroitement les compétences aux conditions de fonctionnement des activités collectives, et soutenant que ces compétences sont doublement situées : par rapport aux « autruis » impliqués dans l’activité d’une part ; dans le contexte socioculturel de cette même activité d’autre part. Evoquant ensuite les implications méthodologiques de cette position, l’auteure souligne l’impossibilité d’attester la présence et le développement de compétences en dehors de leur manifestation dans l’activité pratique, puis, en s’appuyant sur l’analyse de séquences d’interactions en classe de langue seconde, elle met en évidence les trois propriétés majeures des compétences qu’y manifestent les apprenants (et que l’enseignant devrait donc pouvoir exploiter) : leur caractère contextualisé (elles sont « médiatisées » par les contraintes situationnelles), collectif (elles sont inscrites dans des activités de groupe soumises à l’évaluation sociale) et contingent (toute compétence se déploie en interaction avec d’autres capacités ou compétences). Et elle conclut sa contribution en montrant en quoi ce type d’approche des ressources des apprenants et des conditions de leur exploitation peut contribuer à instaurer une didactique réellement interactionniste, articulant étroitement le développement des connaissances et le développement socio-culturel des personnes. Dans La didactique de l’oral : savoirs ou compétences ?, Erard & Schneuwly prennent une position bien plus circonspecte, fondée sur une argumentation se déployant en deux temps. Dans une première partie, ils relatent d’abord l’histoire, les enjeux et les diverses conceptions de l’enseignement de l’oral à l’école primaire, puis ils présentent la démarche de recherche et d’intervention qu’ils ont mise en place pour « travailler la parole publique des élèves » : nécessité de se centrer sur l’oral public (par opposition à l’oral privé) ; nécessité de se doter de modèles didactiques des genres oraux et d’élaborer un curriculum explicitant les objectifs et les phases de leur apprentissage ; description des activités ou exercices à organiser en classe à cet effet. Dans la seconde partie, ils énoncent les principes généraux auxquels ils adhèrent en ce qui concerne le statut de l’Ecole et sa mission : l’Ecole vise d’abord à la construction de savoirs, au sens large de ce terme (incluant nécessairement des dimensions de savoir-faire) ; l’enseignement constitue un lieu décisif du développement des personnes, conçu, dans l’optique vygotskienne, comme transformation permanente du système psychique ; le « savoir parler », au sens de technè consciente, est une condition sine qua non de ce développement psychologique. Sur cette base, ils interrogent alors le statut et les effets possibles de la « logique des compétences », et montrent que si cette dernière, en dépit du flou définitionnel qui la caractérise, joue de fait un rôle de symbole fédérateur des volontés contemporaines de rénovation des systèmes d’enseignement, elle ne fournit néanmoins pas d’éléments techniques nouveaux pour repenser l’identification des capacités acquises des apprenants, ou pour re-définir les objectifs de démarches didactiques concrètes comme celle visant au développement de la parole publique.
42Les trois contributions suivantes s’inscrivent dans une approche positive de l’exploitation des compétences, analogue à celle de Pekarek Doehler. Dans La place des ressources grammaticales dans l’organisation sociale des moyens langagiers, Jeanneret propose un examen des relations qui pourraient s’instaurer entre activités de grammaire et de communication en classe de français langue étrangère. Après avoir défini la notion de ressource grammaticale, l’auteure présente une démarche didactique visant à ce que l’apprenant construise ses ressources grammaticales de manière telle qu’elles puissent être réinvesties dans les activités de communication. Celle-ci se déroule en trois temps : d’abord repérage d’une configuration discursive sollicitant une construction grammaticale ; ensuite description linguistique de cette construction grammaticale ; enfin re-contextualisation de cette construction dans un autre discours, oral ou écrit. Dans la dernière partie de sa contribution, Jeanneret évoque l’intérêt et les possibilités d’une généralisation de cette forme de didactique, d’une part dans le cadre de l’enseignement en situation homoglotte, d’autre part en ce qui concerne les articulations entre apprentissage scolaire et acquisition hors classe. Cette approche a le double mérite de tenter de redonner un statut clair (et une réelle utilité) à un enseignement grammatical assez négligé depuis l’émergence des méthodologies communicatives, et, en re-contextualisant cet enseignement, de montrer le rôle fondamental qu’il peut jouer dans l’organisation sociale des moyens langagiers. Dans Le rôle de la compétence lexicale dans le processus de lecture et l’interprétation des textes, Grossmann propose quant à lui une approche de la compétence lexicale qui ne se réduit pas à une capacité linguistique d’ordre strictement morpho-sémantique, mais qui se caractérise par la combinaison de composantes hétérogènes, toutes soumises à l’apprentissage et toutes impliquées, à des degrés divers, dans l’activité de lecture et dans le processus d’interprétation des textes. L’auteur passe d’abord en revue les apports et les limites de trois modèles théoriques du sens qui peuvent fonder une définition de la compétence lexicale : le modèle réaliste qui thématise le rôle de l’imagerie mentale et de la remémoration ; le modèle stéréotypique centré sur les usages sociaux des unités lexicales ; le modèle constructiviste qui situe cette compétence comme processus de construction de sens à partir d’une schématisation grossière et instable donnée par l’unité lexicale. Adhérant à ce dernier modèle, l’auteur développe alors une conception dynamique de la compétence, basée sur une approche intersubjective et évolutive du sens lexical, et sur le rôle actif et régulateur du co-texte dans le processus interprétatif. Il souligne enfin l’utilité didactique de cette approche de la compétence lexicale en tant que calcul du sens à partir du co-texte, pour l’identification des sources de blocage lexical, et surtout pour la conception des activités à réaliser en lecture : activités ne consistant pas (plus) en exercices lexicaux, mais s’inscrivant dans une approche discursive, impliquant l’intersubjectivité et la médiation par les genres textuels. Dans Plurilinguisme, compétences partielles et éveil aux langues, Matthey propose d’abord un bilan des recherches empiriques, menées en Suisse dans les années 80, sur le bilinguisme et les contacts de langues, et souligne que celles-ci mettent en évidence deux dimensions fondamentales jusque là peu prises en compte : les propriétés des situations plurilingues et l’asymétrie des répertoires linguistiques attestables dans des interactions exolingues. Après avoir retracé l’histoire des approches centrées sur cette notion d’exolingue, elle soutient que cette dernière n’est pertinente que pour autant qu’elle caractérise les interactions par lesquelles les apprenants font face à l’asymétrie linguistique, et elle démontre son utilité en analysant des séquences potentiellement acquisitionnelles en situation « naturelle » et en situation scolaire. L’auteure introduit alors un débat sur la notion de compétences partielles, en montrant qu’en dépit de ses diverses acceptions, celle-ci a le mérite de contribuer à la contestation du principe selon lequel il est nécessaire de maîtriser le système à la perfection pour pouvoir communiquer. Elle présente pour terminer l’approche éveil aux langues récemment adoptée dans certaines démarches didactiques, et décrit un ensemble d’activités scolaires qui en sont inspirées et qui exploitent les liens pouvant être établis entre diverses langues. Une telle approche devant permettre, selon elle, de favoriser l’émergence d’une nouvelle culture langagière conforme aux exigences de la société contemporaine.
43La contribution de Ronveaux, Les compétences à l’épreuve de l’enseignement littéraire, participe de l’approche critique, et elle se déploie en deux types de démarches. La première consiste en un parcours interprétatif de textes prescriptifs (destinés à l’enseignement secondaire belge) visant à y identifier les conditions d’émergence et d’emploi du terme « compétence », ainsi que les enjeux associés à sa diffusion. Après avoir relevé les ambiguïtés dont ce terme est porteur, s’agissant notamment de la nature même de la relation savoirs-compétences, l’auteur montre que, dans leur souci de récuser les dimensions élitaires et « décalées » de l’enseignement littéraire traditionnel et d’y substituer une démarche globale centrée sur la maîtrise fonctionnelle de la langue, les auteurs de ces textes, en se focalisant sur les seules compétences des apprenants, ont de fait éludé la dimension textuelle des objets de l’enseignement langagier, et ont donc exclu de leur programmation toute prise en compte des propriétés de ces objets qui en justifient une approche littéraire. La seconde démarche consiste en une analyse de séquences interactives extraites d’enregistrements de deux leçons de littérature. Celle-ci montre que la démarche des enseignants est tout entière centrée sur les textes, et vise à re-construire, avec les élèves, le mouvement génératif sémantico-syntaxique dont ils procèdent. Et cette « réalité » des pratiques didactiques fait apparaître la possibilité de concevoir un enseignement de la littérature qui n’obéirait, ni à la logique ancienne de transmission culturelle, ni à la logique nouvelle des compétences, mais qui viserait à articuler en permanence le mouvement interprétatif coopératif des apprenants au projet de sens dont le texte est porteur.
44Le texte conclusif de Bulea & Bronckart, Pour une approche dynamique des compétences (langagières), ré-évoque d’abord les deux tonalités antagonistes (positive ou critique) des contributions à cet ouvrage, en imputant cette situation à l’extraordinaire hétérogénéité des acceptions de la compétence, illustrée par un recueil de définitions. Pour tenter de dépasser ce « chaos notionnel », les auteurs prennent alors appui sur les motivations légitimes qui ont conduit les disciplines du travail à introduire, à côté de la centration sur les « qualifications », une centration sur les « compétences », et analysent les effets de la transposition de ce dernier terme dans le champ professionnel : la compétence y apparaît comme une instance de régulation entre l’individu au travail et le contenu de son activité. Sur cette base, ils soulignent la dimension fondamentalement praxéologique de toute compétence, en relevant néanmoins que cette dernière peut être saisie sous deux angles : soit ce terme désigne les ressources d’ordres divers (comportements, savoirs, savoir-faire, schèmes, etc.) disponibles chez un individu, en tant qu’elles sont mobilisées ou mobilisables pour l’agir ; soit ce terme désigne le processus même de mobilisation de ces ressources dans le cours de l’agir. Ayant adopté cette seconde saisie, processuelle, ils opèrent ensuite trois détours théoriques : le premier re-convoque les approches visant à élucider le statut de toute dynamique matérielle, et mettant en évidence son irréversibilité et sa temporalisation (son articulation à la « flèche du temps ») ; le deuxième centré sur les modèles de l’activité, qui soulignent la dimension interprétative des unités d’action, et, partant, des processus compétentiels qui y sont articulés ; le troisième exploitant la théorie de Coseriu pour montrer que si les compétences sont situées, elles le sont essentiellement par rapport à la technè socio-historique formatant les activités en cours. Et ces détours les conduisent à proposer une re-définition de la compétence, en tant que processus par lequel peuvent être exploitées, dans le cours d’une activité donnée, les traces dynamiques que les ressources conservent des situations d’agir antérieures dans le cadre desquelles elles ont été construites.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Ce programme de formation continue a été mis en place en 1991 par Daniel Coste, alors directeur de l’Ecole de Langue et de Civilisation Françaises de l’Université de Genève (ELCF). Dès 1993, il a été placé sous la direction de Jean-Paul Bronckart, professeur à la Section des Sciences de l’Education de la même université ; il est actuellement pris en charge conjointement par cette section et par l’ELCF, et bénéficie également de la collaboration de l’Ecole de Français Moderne de l’Université de Lausanne. La conception du programme implique le suivi et l’évaluation de cinq modules thématiques, correspondant à un total de 30 crédits ECTS.
2 Pour un recueil de citations du même ordre, s’échelonnant de 1872 à 1980, voir Bronckart, 1983.
3 Pas forcément de la maîtriser ou d’être capable de la reproduire, mais au moins de la comprendre et de l’apprécier.
4 En ce sens, il ne paraît guère approprié de qualifier la configuration logico-littéraire d’« ancienne » (voir Halté, op. cit.), pas plus que de considérer que la seconde configuration serait particulièrement « nouvelle ».
5 Comme le relève Puren (1989, pp. 11-12), en France, certains ont imputé la défaite de 1870 à la « supériorité de l’enseignement allemand », et ont considéré que la maîtrise des langues vivantes constituait désormais un enjeu de « défense nationale ». Bien plus tard, des positions analogues ont été soutenues aux USA : la défaite de Pearl Harbor, comme la supériorité technologique de l’URSS (avec le lancement du premier spoutnik) y ont suscité la mise en place de nouveaux programmes et de nouvelles méthodes d’enseignement des langues étrangères.
6 Extrait des Instructions du 29 septembre 1863, cité par Puren, 1989, p. 14.
7 « En tête de toute méthode pour apprendre une langue vivante, il faut inscrire le mot : prononciation […] Apprendre une langue, c’est d’abord se mettre en état de produire les sons dont elle se compose. » (Extrait des Instructions du 13 septembre 1890, cité par Puren, 1989, p. 17).
Auteurs
Université de Genève
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