De l’analyse de l’implicite dans les choix méthodologique et épistémologique
p. 275-277
Texte intégral
1En préambule je souhaite clarifier cet exercice de style, au cours duquel il ne m’est pas demandé de résumer le propos des divers orateurs mais bien plus de réagir, selon ma propre culture, mes intérêts, mes valeurs, mes idéologies, mes croyances… aux propositions d’articles et aux échanges exposés lors de l’atelier. Tout lecteur de ces quelques lignes pourra donc naturellement y débusquer aisément quelques implicites tant il est évident que la présence d’implicite est inhérente à toute activité de communication.
2À l’instar de Lucie Sauvé (2000) il me semble important d’expliciter tout d’abord le macro cadre théorique que j’utilise pour analyser, au niveau épistémologique, les choix méthodologiques retenus à savoir le type d’adhésion plus ou moins formel et explicite des chercheurs aux deux cadres culturels dominants : le modernisme et le post modernisme. Sans avoir la prétention de définir ici ces deux courants de façon très sommaire, je retiendrai que l’épistémologie moderne, positiviste, « s’appuie le plus souvent sur une quête d’objectivité et sur la rationalité instrumentale pour légitimer ses savoirs » (Sauvé, 2000) alors que l’épistémologie post moderne, bien plus relativiste, tient compte de l’interaction sujet /objet et privilégie le dialogue de divers types de savoirs.
3Ce court préliminaire étant fixé je souhaite m’attarder, sans aucun souci d’exhaustivité, sur trois niveaux d’analyse.
4Le premier point qui m’a particulièrement surpris compte tenu du thème de cet atelier, c’est le fait que l’implicite lié aux divers choix méthodologiques n’ait pas été abordé par les chercheurs. Ainsi, Salvador Juan (1999, p. 13) distingue dans le cadre des sciences humaines quatre horizons méthodologiques qui relèvent de 4 types de logiques articulés en couples d’opposition : compréhension/explication et observation/expérimentation. En reprenant les travaux de Jürgen Habermas (1974), Robottom et Hart (1993) ont décrit pour leur part les diverses postures de recherche en éducation relative à l’environnement qui, me semble-t-il peuvent assez facilement être transposées dans les sciences de l’éducation. Selon eux une recherche peut être :
de type interprétatif quand la posture est herméneutique pour comprendre et savoir
de type positiviste quand la posture est explicative et / ou prédictive
de type critique quand la posture est stratégique en visant in fine des changements sociaux par une action collective.
5Notre propos n’est nullement de vouloir hiérarchiser ces diverses méthodologies tant il nous semble que ces trois perspectives paradigmatiques sont complémentaires dans la mesure où l’on en reconnaît les fondements respectifs et les implications spécifiques. Cependant si les divers contributeurs, sans l’expliciter clairement pour autant, semblaient se situer dans le paradigme socio-constructiviste qui postule notamment que tout fait est indissociable d’une interprétation, et toute observation est dépendante du cadre de référence de l’observation, on peut noter que certaines méthodologies utilisées s’apparentent bien plus à une approche de type positiviste. Comment interpréter ce constat ? Nous pourrions supposer que le chercheur n’a pas souhaité clarifier d’un point de vue épistémologique et ontologique son propre positionnement, mais nous privilégions peut-être une autre explicitation à savoir, la prégnance du modèle dominant de recherche des sciences qualifiées de « dures ».
6Le deuxième niveau d’analyse porte sur la question de l’implicite dans nos activités de recherche. Je souhaite en effet souligner que ce postulat de l’existence d’implicite dans nos activités de recherche semble poser quelques réserves à certains chercheurs, « cela n’entacherait-il pas l’activité de recherche ? » Ainsi pour un contributeur, « l’implicite n’existe pas, mais il y a jugement d’implicite ». Cela ne traduit-il pas un implicite sur le propre positionnement épistémologique, de type positiviste, du chercheur qui ne semble pas partager la posture épistémologique relativiste qui tient notamment compte de l’interaction sujet/objet et dont l’éthique relativiste entraîne à prendre en compte, et donc à expliciter, le contexte de collecte de données d’une part, et d’autre part le contexte d’interprétation des résultats de la recherche ?
7Il est intéressant également de pointer que les divers auteurs se sont basés, dans leurs articles, sur des définitions de l’implicite de nature très différente d’une part et d’autre part que celles-ci n’ont cessé de fluctuer au cours des échanges. À titre d’exemple un contributeur s’intéresse plus spécifiquement à la notion d’implicite langagier « l’implicite c’est ce qui est virtuellement contenu dans une proposition, un fait, sans être formellement exprimé, et peut-être tiré par déduction, par induction », il précise par la suite le sens anglophone un peu différent « sans discussion, sans réserve ». Pour un autre il ne s’agit pas d’éléments non formulés mais bien plus de « liens directs qui s’étaient inconsciemment établis entre modalités d’enseignements scientifiques et la pédagogie considérée ». L’implicite semble ici se rapprocher bien plus de la notion d’inconscient. Ce propos sera repris par la suite dans la discussion par plusieurs auteurs qui précisent que l’implicite permet de « ne pas préciser certains éléments que l’on veut laisser dans le flou, que l’on ne veut pas déplier », « c’est une zone d’ombre que l’on ne veut pas éclairer ». Pour d’autres il s’agit d’un retour critique de nature réflexive sur sa propre démarche de recherche, non pas pour « une prise de conscience ultérieure d’erreurs », mais bien plus pour « un retour de nature épistémologique » pour « remonter le fil ».
8Enfin, si certains contributeurs semblaient prétendre que les implicites de leurs recherches étaient principalement des oublis, des manques de précisions inhérents à toute activité de communication, d’autres situent l’implicite de leurs travaux dans des inférences comprises au sens de déductions formulées à partir de propositions plus ou moins explicites (pratiques langagières de maîtres, choix d’indicateurs langagiers, verbatims d’élèves…). Pour avancer de façon plus pertinente dans la réflexion il serait donc nécessaire de mieux cibler les niveaux d’implicite que l’on souhaite analyser. Compte tenu des échanges formulés il semble apparaître trois niveaux différents : une macro analyse au niveau du positionnement épistémologique du chercheur et de l’enseignant responsable de la situation d’apprentissage qui fait l’objet de la recherche, une analyse sur les implicites des méthodologies de recherche et d’interprétation des résultats, et enfin une analyse sur les implicites langagiers des enseignants et/ou des élèves.
9Enfin si l’on peut aisément s’accorder pour prétendre que le fait de se questionner sur l’implicite dans la recherche peut être bénéfique tant pour le chercheur que pour le lecteur il nous semble important de préciser que cela nécessite de s’inscrire dans une démarche réflexive qui s’ancre nécessairement dans le temps.
Bibliographie
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Habermas J. (1974): Theory and practice. London: Heinemann
Juan S. (1999) : Méthodes de recherche en sciences sociohumaines : Exploration critique des techniques. Paris : Presses Universitaires de France. (Collection le sociologue).
10.3917/puf.juans.1999.01 :Robottom I., Hart P. (1993): Research in Environmental Eduication: Engaging the debate. Victoria: Deaking University.
Sauve L. (2000) : L'éducation relative à l'environnement entre modernité et postmodernité, Les propositions du développement durable et de l'avenir viable, Dans A. Jarnet, Jickling, B., L. Sauve, Arjen Wals et Priscilla Clarkin (dir.). (2000): The Future of Environmental Education in a Postmodern World? Whitehorse: Canadian Journal of Environmental Education, p57-71.
Auteur
Muséum national d’Histoire naturelle
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