Implicites dans l’étude des processus transpositifs : comparaison de textes officiels pour l’enseignement des mathématiques et du français dans les premières années de scolarité
p. 243-260
Texte intégral
1. Les implicites traqués
1Force est d’admettre que chaque didactique tend à naturaliser ses propres systèmes de référence et les soubassements épistémologiques en matière de théories de l’agir enseignant et des conceptions de l’apprentissage. Or, nous soutenons ici que l’étude comparative de manuels permet de traquer des traces des univers théoriques et épistémologiques sous-jacents aux didactiques consœurs (ou de référence). Parmi les implicites qu’il s’agit de questionner, ce sont surtout les impensés liés aux possibles effets de la co-présence dans les gestes d’enseignement de logiques professionnelles distinctes, voire concurrentes, dont la source réside notamment dans les théories didactiques des deux matières. Les implicites des chercheurs dans chacune des disciplines sont dès lors en cause et ce sont les implications de ces implicites sur les documents scolaires que nous interrogeons.
2Au-delà des grandes déclarations de principe (les orientations officielles de l’ensemble des objectifs d’apprentissage de l’école primaire genevoise se réclament du socio-constructivisme) qui chapeautent génériquement les intentions dans les documents officiels, il s’agit d’abord de questionner la compossibilité/compatibilité des logiques didactiques pratiques que véhiculent les documents pour l’enseignement dans deux matières ainsi que le possible effet d’une logique sur l’autre du point de vue de l’action conjointe du professeur et des élèves.
3Rendre visibles en les traitant comparativement les grandes orientations des documents de l’entour-amont de l’agir (au sens de Bronckart et Machado, 2005), ainsi que les tâches et les séquences didactiques proposées dans deux ensembles de textes (en mathématiques et en français) est un objet d’étude encore inexploré. Nous ajoutons que les effets de ces orientations sous-jacentes sur les gestes du professeur généraliste d’une part et sur les processus d’apprentissage des élèves (membres de divers collectifs de pensée marqués par des objets spécifiques) d’autre part, ne sont pas davantage étudiés.
2. Didactique comparée : un champ théorique propre à lever des implicites
4En prenant ici comme objet d’étude les pratiques « prescriptives » en vigueur dans le canton de Genève et en nous intéressant aux implicites qui génèrent les « logiques » constitutives des manuels et autres documents officiels à disposition des enseignants pour les mathématiques et le français des premiers degrés scolaires (classes « Enfantines » de 1E et 2E, élèves de 4-5 ans, du canton), nous nous plaçons dans un cadre de didactique comparée. En effet, pour étudier didactiquement cet objet qui a trait au travail du professeur généraliste, il ne suffit pas de cumuler des travaux dans les différentes didactiques. Une approche comparatiste permet en revanche de poser des questions que chaque didactique prise isolément ne peut traiter. Ce présupposé fort est au fondement d’une didactique comparée comme champ théorique et d’intervention à part entière et non pas seulement comme méthode d’enquête en didactique.
5Ainsi, cette contribution s’inscrit dans la perspective d’études comparatives entre pratiques didactiques en mathématiques et en français dès le commencement de la forme scolaire (Thevenaz-Christen & Schneuwly, 2006). Nous allons ici questionner un jeu articulé d’implicites qui prennent forme en amont de l’agir professoral (déterminations du jeu au sens de Sensevy, 2007a) du côté des concepteurs des manuels des deux disciplines considérées.
6C’est donc une problématique transpositive à caractère comparatif que nous voudrions esquisser en considérant que si les phénomènes de transposition didactique (TD) ont un caractère générique (il n’y a pas de processus d’enseignement/apprentissage hors contrainte transpositive), la compréhension/explication du processus de TD oblige l’étude de ses déclinaisons en fonction des systèmes d’objets enseignés. Les enjeux de notre étude sont dès lors de deux ordres indissociables :
- Enjeu épistémologique et théorique, en fonction des objets enseignés (leur « nature » distinctive à l’orée de la forme scolaire) et des conditions d’accès que privilégient les manuels (types de dispositifs didactiques qu’ils convoquent) ;
- Enjeu méthodologique lié aux types de traces utiles et donc aux corpus jugés pertinents pour ce questionnement ainsi qu’aux modalités de constitution et d’analyse de tels matériaux.
3. Processus transpositif : un choix méthodologique comparatiste
7Les questions de transposition didactique (TD) ne font pas l’unanimité entre didacticiens, mais le processus ne peut être nié et il est considéré majeur en didactique des mathématiques et dans un nombre certain de travaux en didactique des langues (Bronckart & Plazaola Giger, 1998 ; Mercier, 2002 ; Schneuwly, 1995 ; Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2005). Nous choisissons ici d’entrer par les textes annonçant les « objectifs d’apprentissage » et par des exemples de séquences/tâches associées.
8Nous tentons de prendre en compte des implicites liés à la centration sur une seule discipline dont le chercheur serait l’expert. La démarche méthodologique que nous allons décrire permet une mise en perspective des documents issus des deux disciplines. Cette démarche comparative crée, méthodologiquement, une dé-familiarisation qui permet un rapport d’extériorité. Il s’agit d’éviter, autant que possible, une naturalisation des données (ici les sources documentaires). En « sortant » d’une discipline pour la comparer à une autre du point de vue de ses sources documentaires, nous visons la mise en exergue de spécificités prescriptives du côté des concepteurs des plans d’étude et manuels de mathématiques et de français, eux-mêmes marqués par les allants de soi de leur rapport (personnel et institutionnel) aux systèmes d’objets qu’ils apprêtent pour l’enseignement et par les discours didactiques des communautés qu’ils fréquentent dans leur didactique de référence.
9Du point de vue de l’approche comparative adoptée, nous expliciterons d’abord les choix relatifs à l’organisation des corpus en délimitant le champ d’investigation dans le cadre de l’approche clinique/expérimentale qui caractérise nos travaux (Leutenegger, 2009 ; Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2002, Ligozat, 2008). Nous nous centrerons ensuite sur quelques catégories d’analyse non exhaustives qui devraient permettre d’amorcer le débat.
4. Les textes officiels et leur délimitation pour l’analyse
10L’entrée dans la scolarisation vise surtout des enjeux de « sensibilisation » (cf. doc 1 sur les Objectifs d’apprentissage de l’école primaire genevoise). Compte tenu des travaux déjà réalisés dans le même contexte institutionnel (Thevenaz-Christen, 2006) à propos des prémices d’une disciplinarisation du français, nous prenons le risque de trouver des formes transpositives encore très vagues et sans grande distinction entre les deux matières. Pourtant, compte tenu du discours de sens commun qui tend à attribuer un rôle - très flou - de « socialisation » à cette première étape de la scolarité enfantine, il nous semble d’autant plus utile d’identifier des traces possibles de formes co-disciplinaires. Dans tous les cas, étant donné que, dès 4 ans, l’institution scolaire annonce une structuration disciplinaire en termes de « français » et de « mathématiques », nous prenons au sérieux ce découpage pour en étudier les contours. Du point de vue anthropologique, Détienne (2000) rappelle que « les commencements offrent l’avantage fort estimable de permettre l’observation de phénomènes à la fois moins complexes et plus ouverts que des états institutionnels développés » (p. 107). Et pourtant nos travaux sur les commencements de la forme didactique semblent montrer que les réalités sont déjà fort complexes…
11Le canton met à la disposition des enseignants un jeu de « moyens d’enseignement » officiels. Il n’est donc pas question pour l’enseignant de choisir des manuels dans le commerce, bien que, dans les classes, les « moyens » officiels cohabitent souvent avec d’autres documents (répertoires de fiches Freinet ou activités que les enseignants repèrent via l’Internet). Dans ce cas les enseignants « font avec » les diverses sources et ne se posent généralement pas la question de leur compatibilité.
12Pour notre analyse, nous avons choisi les textes officiels les plus récents. Le choix in fine d’une « activité » par discipline est fait en fonction du statut attribué par les documents officiels à telle fiche ou séquence didactique (« activité d’amorce », « approfondissement », etc.) et selon le caractère de typicalité des tâches en fonction de nos critères d’analyse.
13La figure ci-dessous schématise les sources documentaires convoquées (cf. sources numérotées doc 1, doc 2, etc.) et constitutives de notre corpus.
Objectifs généraux d’apprentissage (doc 1) | |
Objectifs d’apprentissage en mathématiques (doc 1) | Objectifs d’apprentissage en français (doc 1) |
Plan d’étude 2007 (doc 2) | |
Planification de l’enseignement en mathématiques (doc 4) | Planification de l’enseignement en français (doc 3) |
Manuel de mathématiques 1E 2E(doc 5) | Documents avec séquences d’enseignement en français (1E 2E) (doc 6) |
L’activité Maison de Paille (doc 5) | L’activité Le bricolage de Spot (doc 6) |
5. L’esquisse d’un système de catégories d’analyse
14Nous allons recourir à un ensemble articulé de catégories d’analyse dont la nature est à débattre. Ces catégories sont pensées comme ayant une portée générique (en regard des deux didactiques) mais aptes à faire surgir des spécificités utiles à notre propos. Nous proposons dès lors de considérer ces catégories comme un tertium comparationis, à partir duquel se construit le face-à-face entre les deux corpus en mathématiques et en français.
15Les catégories sont censées interpeller la triade didactique et les conditions d’accès aux systèmes d’objets qui sont interrogés. C’est donc à la fois le rôle attribué aux objets, la place et les responsabilités attribuées aux instances humaines (professeur et élève/s) et les conditions de leur mise en relation qui sont examinés :
Le système d’objets (physiques, oraux, scripturaux,…) que convoquent les situations didactiques ; les rapports aux objets ;
La place et la responsabilité de l’enseignant dans le processus d’enseignement/apprentissage ;
La place attribuée au collectif et, respectivement, à l’individuel dans la production des connaissances ;
Les responsabilités attribuées à l’élève singulier ;
La place attribuée aux pairs ;
16À travers ces catégories allons-nous retrouver trace du modèle constructiviste piagétien qui a nourri nombre de travaux sur l’enseignement/apprentissage des mathématiques et qui reste au fondement de la Théorie des situations didactiques de Brousseau (Schubauer-Leoni, Leutenegger & Forget, 2007 ; Ligozat, 2008 ; Radford, 2008) ? Quels indices de l’interactionnisme social d’inspiration vygotskienne trouve-t-on dans les séquences didactiques du français (Thevenaz-Christen, 2007 ; Schneuwly, 2008) ? Ces postures coexistent-elles dans les textes officiels ? Sont-elles articulées dans un discours d’ordre supérieur ? Et dans ce cas avec quelle fonction ?
6. Les corpus
6.1. Orientations du document officiel relatif aux Objectifs de l’enseignement primaire genevois
17Nous entrons par le texte « prescriptif » d’ordre supérieur, celui à partir duquel sont censés se décliner les autres documents. Il s’agit des Objectifs d’apprentissage de l’école primaire genevoise (cf. doc 1). D’autres travaux (Plazaola Giger, 2004 ; Bronckart & Machado, 2005), discutent les propriétés de textes « prescriptifs » de ce type en questionnant aussi « le degré d’explicitation de la prescription et les modalités linguistiques de sa réalisation » (Bronckart & Machado, op cit, p. 222). Nous ne suivrons pas ces auteurs dans le détail de leur analyse mais nous retiendrons quelques caractéristiques de ces textes dont nous vérifierons la pertinence dans notre corpus (effacement de la présence énonciative d’un expert, source de la prescription ; forme ouverte d’adressage avec verbes au présent et à l’infinitif ; traces d’un « contrat de félicité » défini comme un contrat implicite selon lequel l’usager qui se conformerait à la prescription atteindrait son but).
18L’analyse de Plazaola Giger, portant sur le même document genevois des Objectifs d’apprentissage mais avec une centration sur l’allemand à enseigner, met en évidence des caractéristiques des aspects introductifs du texte dont nous reprenons à notre compte les composantes suivantes : « L’action langagière des Objectifs est bien la prescription de l’autorité politique de certains aspects de l’enseignement » à part le « Message » de la Présidente du Département et l’« Avant propos et présentation du document » de la Directrice du service de l’enseignement qui sont signés, le reste du texte est annoncé comme le fait des formatrices et formateurs des services de l’enseignement primaire sous la direction de Madame Thérèse Guerrier, directrice du service de l’enseignement. Nous considérons par conséquent, que s’il s’agit bien d’une forme d’effacement des auteurs, le contenu, grâce au cadre institutionnel et politique posé, gagne en force prescriptive dans les énoncés génériques au moins.
19L’introduction présente le « Projet global de formation de l’élève » et le « Cadre général de l’enseignement/apprentissage à Genève ». Dans notre enquête, nous relevons qu’après avoir déclaré que « l’enfant construit son savoir » et que « les apprentissages ont un caractère adaptatif », le document précise : « On peut classer les connaissances en deux grands groupes :
- les connaissances construites lors d’interactions et de transmissions sociales ;
- les connaissances construites par le sujet grâce à ses actions propres. »
20Le texte évoque, en lien avec le premier groupe, le rôle du langage et de la « présentation par un adulte de manière organisée et ajustée » de connaissances auxquelles l’enfant devra attribuer une signification. Est cité à ce propos le cas des « consignes, explications, informations transmises ». Dans le deuxième groupe sont convoquées des connaissances relatives au « faire » et le texte évoque des « instruments cognitifs » tels que « comparer, classer, sérier, compter ». L’enseignant n’est alors pas « présentateur » de savoirs mais celui qui « choisit judicieusement les situations d’apprentissage », celui qui « prévoit et organise des activités structurantes ». L’élève, dans ce cas, « agit et parle sur ses actions ». Tout en invoquant le rôle moteur des pairs, voilà que deux formes de connaissances émergent et convoquent deux catégories distinctives de savoirs. Constatons donc d’emblée que si le texte situe l’ensemble du propos dans un paradigme constructiviste, dans le premier groupe de connaissances un rôle explicite, voire premier, est attribué à l’enseignant qui initie le processus, alors que dans le second groupe c’est l’élève qui est premier et l’enseignant tend à s’effacer dans un rôle d’organisateur des conditions de l’apprentissage. Le premier groupe a-t-il trait, implicitement, aux enseignements relatifs à la langue et le second aux mathématiques ?
21Mais cette distinction tend à se réduire dans la suite du texte grâce à la présentation d’une conception unitaire de l’enseignement sous l’égide de quatre catégories qui mettent en avant le rôle de l’enseignant :
- Situations « d’apprentissage et activités de structuration » : l’enseignant est appelé à « proposer des situations d’apprentissage complexes (pour mettre en réseau savoirs et savoir-faire, surmonter les obstacles et résoudre les problèmes) », à « articuler les situations complexes avec des activités de structuration » (pour « donner du sens » à ce qu’ils font, « faciliter le transfert entre situations ») ; « reconnaître les erreurs » (distinguer « étourderies » et « incompréhensions ») ; « différencier l’action pédagogique » (« démarches différentes, intervention ajustée du maître »,…)
- Démarches « de recherche » : « favoriser l’exploration et le tâtonnement (…) susciter l’anticipation, les hypothèses, la vérification » à la fois en mathématiques, en lecture et en sciences
- Communication, socialisation : développer des échanges entre enfants (…) encourager le respect mutuel et la réciprocité (…) favoriser la coopération dans les travaux de groupe (…) travailler seul-e, travailler en groupe »
- Implication de l’élève : clarifier les objectifs visés (…) aider l’élève à la réflexion sur soi (métacognition) »
22On retrouve donc un discours officiel à l’enseigne d’un contrat de félicité générique, formulé au présent avec verbes à l’infinitif, sans source légitimante à la clef autre que celle que lui confère l’autorité politique qui cadre le document. Les destinataires sont, une fois pour toutes, ceux auxquels s’adresse la Présidente du Département en guise d’ouverture : « Mesdames et Messieurs, Chères enseignantes et chers enseignants ».
23En termes comparatifs, et au vu de ces éléments introductifs (relatifs aux deux « groupes de connaissances » dont les disciplines correspondantes ne sont pas explicites), faut-il s’attendre à un clivage entre le français qui serait acquis par transmission et interactions sociales et des mathématiques qui relèveraient de l’action propre de chaque élève ? Dans les deux cas, en quoi consiste le caractère « adaptatif » des apprentissages ? Faut-il chercher ici la trace du modèle piagétien et de son principe interne (d’origine biologique) d’adaptation au monde physique ? Ou peut-on penser à des formes d’ajustement adaptatif produit par un collectif de pensée sur les réorganisations de connaissances individuelles (processus d’intériorisation) ?
24Une analyse plus avancée du document met en exergue d’autres aspects. Bien que la structure matérielle des textes soit la même, avec les mêmes en-têtes et sous-chapitres pour le français et les mathématiques, qui créent une impression de cohérence formelle, la partie « Clarifications épistémologiques » (doc 1) mérite un face-à-face.
25Du côté des « objets de savoir », il est intéressant de constater qu’à ce niveau de généralité, la notion de « problème » en mathématiques paraît aussi centrale que celle de « genre textuel » en français. Autrement dit, on entre par la résolution de « problèmes mathématiques » d’un côté et par les « genres textuels » de l’autre. À noter que des « objectifs-noyaux » sont libellés à la fois en français et en mathématiques depuis la place de l’élève censé attester de l’atteinte de l’objectif visé. En français, deux objectifs-noyaux sont énoncés : « produire et comprendre des textes de genres différents à l’écrit et à l’oral – 7 genres de textes sont cités – et observer le fonctionnement de la langue. En mathématiques, le seul objectif-noyau concerne la « résolution de problèmes ». Or, les problèmes mathématiques sont traités par l’élève (instance singulière) et ce traitement est ensuite « mis en commun » ; alors que les genres textuels sont présentés par l’enseignant, qui a un rôle décisif (le document insiste sur ce point), à des élèves (au pluriel). Du point de vue des responsabilités, en français, le processus d’enseignement apparaît premier par rapport au processus d’apprentissage à l’inverse de ce qui semble se dessiner en mathématiques : l’essentiel du dispositif d’enseignement serait en amont de l’agir, dans le travail de préparation de l’enseignant, organisateur des problèmes et de leurs conditions de traitement. Dans la classe, c’est l’élève qui est premier et l’enseignant apparaît surtout dans la « mise en commun » qui socialise le travail individuel. Quant au rôle des pairs, ceux-ci sont présents dans les deux cas mais viennent s’inscrire dans un mouvement opposé : collectif/individuel en français ; individuel/collectif en mathématiques. Notons encore que lorsque le document détaille les contenus, les apprentissages visés sont distingués selon une « progression » en termes de « moments » : « temps de sensibilisation », « construction » et « structuration », « consolidation », « mobilisation » (transférable dans la plupart des situations) ».
6.2. Plan d’étude et documents de planification de l’enseignement
26Le document « Plan d’études de l’enseignement primaire 1E-6P » de 2007 (doc 2) s’ouvre sur un « Avant-propos » annonçant le statut du document : il s’agit d’« actualiser » le plan d’étude pour assurer « un enseignement harmonisé ». Les compétences à travailler sont dès lors présentées en différenciant les types de temps que nous venons d’évoquer (§. 6.1). Le document « Plan d’études » (environ 60 pages) est structuré par disciplines. Il donne le détail pour le français et renvoie au plan d’étude romand pour les mathématiques. Or ce dernier ne concerne que les degrés 1P-6P. Il faut donc se référer au document de planification pour le cycle élémentaire et au manuel genevois pour les mathématiques de 2006 pour les deux premiers degrés de la scolarité.
27Nous ciblons notre analyse sur ces derniers (moyenne et grande sections de maternelle en France) et nous intégrons dans l’analyse des informations issues des documents officiels de planification (docs 3 et 4).
28Les documents de planification pour le Cycle élémentaire (4-8 ans) de 2006 émanent du « Service de l’enseignement » et, respectivement, de la formation continue pour les langues et les mathématiques. Les documents ne portent pas de noms d’auteurs. La comparaison des textes nous amène à constater des similitudes, mais aussi des différences entre les deux disciplines. Dans les deux cas, les objets spécifiques d’enseignement sont présentés comme devant servir une « progression » de l’enseignement/apprentissage : approche « spiralaire » en français (une notion est « reprise » plusieurs années dans des « activités globales et complexes »), alors qu’en mathématiques des « successions d’activités » peuvent concerner des semaines voire des mois. Sans entrer dans le détail des analyses de contenu, ce nouveau face-à-face entre les deux disciplines, sur la base d’autres corpus (docs 2 à 5), confirme les grandes orientations esquissées grâce au document 1, mais parfois on a l’impression d’avoir affaire à un discours mixte.
29Du côté du français domine l’impression que le collectif prime, avec un enseignant qui guide le travail de chacun et du groupe, et pourtant la démarche est dite inductive avec un travail de découverte de la part de l’élève et une forme de mémoire et d’institutionnalisation gérée par l’enseignant. Les élèves sont donc initiés collectivement à découvrir les caractéristiques de divers genres textuels dans des pratiques culturelles convoquées par l’enseignant et ils s’exercent ensuite individuellement ou par groupes.
30De l’autre côté, les textes présentent les mathématiques d’abord comme un défi individuel de recherche de solution(s) d’un problème ; ensuite les découvertes personnelles sont socialisées et soumises à débat sur la vérité mathématique. Cette dernière dimension est toutefois totalement implicite dans les textes puisque la « mise en commun » semble davantage l’occasion d’un mode collectif de traitement des difficultés des uns et des autres, voire un moyen de stabiliser ce qui est correct et acceptable. On pourrait d’ailleurs penser, au vu des textes, que si tous les élèves répondaient conformément aux attentes professorales, il ne serait plus utile de débattre pour prouver le caractère « juste » ou « faux » des résultats.
31Mais esquissons un pas de plus et entrons dans le détail des « activités » et autres fiches prévues dans les manuels et « moyens pédagogiques » pour les degrés 1E et 2E (maternelle).
6.3. Du côté du manuel de mathématiques en 1E-2E
32Un premier constat : seulement 23 activités, sur les 111 que comporte le manuel, mentionnent une « mise en commun ». Le domaine le plus étoffé (nombres et opérations) et qui fait l’objet d’une « consolidation » est celui qui mentionne le moins la rubrique « mises en commun ». Dès lors quid des pétitions de principe énoncées dans la planification sur le rôle des « mises en commun » ?
33Nous avons choisi, dans le domaine Mesure un exemple d’activité mentionnant explicitement une « mise en commun ». L’activité Maison de pailles a pour but l’usage de divers mesurants non conventionnels pour reproduire une figure constituée de n segments (une maison avec toit pointu).
Tableau 1 : L’activité Maison de pailles
Tâches et rapport aux objets | |
Rôle enseignant (E) | E choisit la fiche et organise les conditions de travail et le matériel mis à disposition, montre les modèles, place toutes les baguettes au même endroit (pour que les élèves aient à choisir le nombre de baguettes qu’ils désirent), rend attentifs les élèves au fait qu’ils peuvent demander ou prendre ce dont ils pensent avoir besoin mais ne met pas à disposition d’emblée du matériel tel que règle, ficelle, etc. Lors de la mise en commun : fait faire les 3 tas et sollicite des arguments sur ce qui est pareil/différent pour des maisons qui ressemblent un peu au modèle. Gère le débat collectif sur formes géométriques et mesure |
Place du collectif vs. individuel | Activité individuelle mais conduite en demi-classe ou classe entière : consigne à la classe ; travail individuel de production d’une maison par élève ; échange collectif sur les productions de chacun en vue de la constitution des trois tas ; débat sur ressemblance/différence et critères de validation d’une maison de même grandeur que le modèle. |
Rôle des pairs | Non évoqué. Implicite dans le travail de mise en commun |
Responsabilité élève singulier | Réaliser une maison en se référant au modèle. é doit se déplacer au tableau noir où les modèles sont affichés (développer des stratégies de transport de la mesure). Trouver des moyens pour réaliser une figure identique. Peut demander à E d’autres matériaux (règle, ficelle,…). Dans la mise en commun : contribuer au classement en 3 tas ; argumenter à partir de sa production et de celle des autres, valider avec d’autres les caractéristiques d’une maison de même grandeur que le modèle. |
34L’enseignant est considéré comme le pourvoyeur d’un « bon problème » et peut jouer sur certaines variables de commande de la situation (dimensions du modèle, distance physique entre l’emplacement du modèle et le lieu de réalisation de la copie, nombre et longueur des baguettes à disposition ainsi que d’autres « mesurants » possibles). Plus que de mesure il est question ici de transport de la grandeur des segments. L’élève, conformément aux discours généraux de cette discipline, est d’abord censé traiter le problème personnellement (une maison reproduite par élève) avec les connaissances dont il dispose (situation d’action) s pairs (classement en trois tas) en disant comment il a procédé (moment de formet sera amené ensuite (« mise en commun ») à situer sa production par rapport à celle deulation) avant d’entrer dans un débat amenant, si possible, des éléments de preuve (mais le mot n’est pas explicitement évoqué) que telle maison est bien de même grandeur que le modèle. Bien que les indications sur la conduite de la mise en commun de Maisons de paille soient parmi les plus élaborées du document, elles sont très peu explicites. Selon la gestion, le statut de la validation peut être fort différent : le but est-il que les élèves débattent de leur rapport au « mesurage » (ou plutôt du rapport au transport de grandeurs) ou que l’enseignant dise ce qu’il attendait (conclusion évaluative) ? Du coup, une reprise par la confection d’une autre maison, d’une autre image (un véhicule, par ex.) ou avec d’autres outils de mesure (non conventionnels : colombins de pâte à modeler ; conventionnels : règle et dessin) est laissée au libre arbitre du professeur. Le rôle de l’enseignant visant à « instaurer puis maintenir le débat sur une question légitimée par la tâche » repose la question du statut de la « ressemblance » entre les maisons produites et le modèle. En effet, selon le type de maison produite et la nature de la ressemblance avec le modèle, l’entrée de chacun dans le débat est différente. En admettant que les trois tas aient été constitués, les élèves ayant produit des maisons du premier tas (non ressemblant au modèle) seront soit hors jeu soit associés à un débat sur des critères qui concernent les maisons des autres élèves. La place que l’enseignant attribue à ce groupe d’élèves, risque d’être délicate. Bref, le risque est grand que l’enseignant prenne appui pour l’essentiel sur les élèves dont les maisons appartiennent au 3e tas (celles qui ressemblent au modèle). Concernant la place du collectif dans cette « activité », relevons une caractéristique non explicite dans le document : dans le premier moment « individuel », les élèves vont se trouver ensemble au tableau où sont affichés les modèles. Un élève va par exemple s’en faire une idée en regardant le modèle sans le toucher ; un autre placera peut-être une baguette sur le modèle sans toutefois prendre les bons repères ; un autre revenir au modèle en disant « ça ne marche pas »… (il a déjà collé deux baguettes pour faire le toit sans avoir prévu la largeur de la maison…), autant d’indices du travail personnel de chacun que les autres peuvent repérer et ce qui leur donne éventuellement des idées. Or, que fait (est censé faire) le professeur à cette étape du travail ? Susciter les échanges entre élèves ou leur rappeler que chacun fait sa maison sans s’occuper du voisin ? Le modèle sous-jacent aux « moyens d’enseignement » laisse penser que c’est cette dernière attitude qui est privilégiée, comme si la connaissance mathématique nécessitait que chaque élève construise lui-même, « vraiment » son savoir. Le débat collectif n’aurait de force que dans un moment ultérieur où chaque élève confronte sa réponse à celle d’autrui. Dans Maison de paille, l’animation de la phase de classement des productions d’abord et d’un débat contradictoire ensuite, repose sur un ensemble de décisions didactiques fort nuancées à propos desquelles le document est peu disert et qui pourraient changer le sens de l’expérience. Sans oublier que la fiche prévoit que si un élève demande à utiliser une règle (mesurant conventionnel) l’enseignant est censé la lui donner. Dans ce cas, non discuté dans le document, l’élève serait amené à travailler sur un double système de transport de grandeur : « mesure » des segments du modèle et « mesure » des baguettes à coller sur sa feuille, ce qui renvoie à un transport de la grandeur d’un type particulier, sans que sa place dans le débat final ne soit explicitée : cette stratégie est-elle considérée trop peu probable à ce niveau de la scolarité ? Le descriptif de la fiche suppose que l’enseignant ait élaboré un rapport personnel dense à l’objet afin d’anticiper un ensemble de possibles rapports des élèves aux différentes étapes du travail et penser en conséquence quelques gestes d’enseignement majeurs à tenir. Ceci dit, selon les épistémologies professorales sous-jacentes, le sens de tels gestes pourrait être différent. On y reviendra.
6.4. Du côté des brochures pour l’enseignement du français en 1E-2E
35Pour le domaine « Produire et comprendre des textes de genres différents à l’écrit et à l’oral », divers Cahiers sont disponibles pour le travail de l’enseignant, tous parus entre 1994 et 2006 et qui se basent sur le principe : « lecture et écriture sont à travailler conjointement ». La structure commune aux documents est la suivante :
- Activité orale collective ou jeu collectif, découverte collective d’un livre
- Exercices
36De cas en cas des activités en dyades précèdent les exercices
Tableau 2 : Activité de lecture-écriture : Le bricolage de Spot (cahier no 43, 1994)
Tâches et rapport aux objets | Développer des stratégies pour accéder à la lecture et à l’écriture. Activité censée faire suite à deux autres (même personnage, Spot, cahiers 27 et 42). Cette séquence place vos élèves dans une situation de communication bien précise (texte explicitement adressé aux enseignants !). Sensibiliser les élèves à l’observation, la lecture et l’écriture d’une notice pour fabriquer un objet. Activités orales collectives, exercices écrits réalisés avec l’aide de E. Fin de l’activité : une dictée à l’adulte collective d’un texte du même genre. L’activité, se déroule sur plusieurs modules : 1. Confection du bricolage (imaginer – les élèves n’ont aucun matériel pour faire – un chien articulé constitué de différentes pièces cartonnées) ; 2. J’observe des couvertures et je trie des textes (notice de fabrication d’un bricolage, conte et page d’un documentaire) chaque élève est confronté à des exercices (images et textes), but : distinguer des indices de bricolage ; 3. exercice individuel appelé J’observe des notices de bricolages (titre, sous-titres, marques d’organisation de la notice) ; 4. Je dicte un texte (dictée à l’adulte collective d’une notice pour fabriquer le chien, Spot : liste des matériaux, titre et organisation mise en page) |
Rôle enseignant (E) | |
Place du collectif vs. individuel | La dictée collective à l’adulte est l’enjeu final. Transcription d’un écrit oralisé. (cf infra « responsabilité é singulier »). Si des exercices sont réalisés individuellement, E. propose un corrigé collectif, but : faire émerger des remarques, interrogations, …. Les différents modules prévoient des exercices individuels et collectifs qui donnent l’occasion à l’élève de s’exercer et non pas de montrer qu’il a compris |
Rôle des pairs | |
Responsabilité élève singulier |
37Le découpage de l’activité en plusieurs temps - collectif d’abord, sous la responsabilité de l’enseignant, exercices personnels ensuite sur des composantes spécifiques de ce genre textuel et retour à une version collective (dictée à l’adulte) - donne immédiatement le ton du jeu didactique prescrit : dans le prolongement des activités déjà effectuées sur d’autres livres de Spot (la nouveauté ici est le genre injonctif lié à l’écriture d’une notice), l’élève singulier est censé s’initier au genre textuel visé à travers la participation collective à la découverte d’un exemple textuel (livre Le bricolage de Spot). Avec l’aide de l’enseignant le collectif lit-observe-imagine (projet) d’écrire un texte semblable. Le collectif co-élabore les grandes lignes du modèle sous-jacent à ce texte, convoqué par le livre, pour que les élèves rencontrent les caractéristiques de genre. Le collectif donne dès lors à l’élève une « façon de faire » qu’il ne pourrait pas inventer tout seul. Ceci dit, les implicites épistémologiques inhérents à la fonction incontournable du collectif et à son primat sur l’individuel, avancent masqués sous couvert d’aide « aux élèves qui ne comprendraient pas », alors que le débat entre pairs sur les caractéristiques de genre et génériques (distinction mots et images, fonction et emplacement du titre, etc.) paraît décisif pour dégager des principes d’écriture d’un texte de ce genre. Les exercices individuels sont placés entre deux phases collectives. Ils portent sur la discrimination et la complémentarité entre titres et sous-titres, les éventuelles numérotations indiquant des marches à suivre, les dessins ou images nécessaires à celles-ci et ceux « pour faire joli ». Par ailleurs les élèves se trouvent confrontés à une variété considérable d’exercices qui décomposent les différents sous-objets du texte injonctif pour les travailler séparément. Il s’agit donc typiquement d’un travail de la transposition, le pari étant que l’élève parvienne ensuite à réorganiser les connaissances en un tout syncrétique apte à aborder l’« écriture d’un texte donnant la notice du bricolage du chien Spot ». Ce texte est pensé pour « un ami qui n’est pas dans la classe ». L’utilité de l’écrit apparaît grâce aux conditions de communication. Aux caractéristiques du genre viennent s’ajouter les caractéristiques déjà rencontrées dans les séquences précédentes : la dictée à l’adulte. La part de l’enseignant est si forte qu’il paraît difficile de ne pas prendre à sa charge l’entière responsabilité de la tâche. Le risque d’un pilotage systématique, en position surplombante, de chaque geste d’élève n’est pas à écarter. En effet, la brochure ne dit rien sur les gestes d’indication professoraux. La nature du travail collectif à mener reste donc à la charge de l’interprétation de l’enseignant. Par ailleurs, les exercices laissent des traces comme « mettre une croix dans une case » ou « entourer un titre » ou « colorier une image », on peut donc imaginer qu’un élève puisse se contenter de glaner le geste à faire chez le voisin. En fin de séquence l’élève dispose des feuilles d’exercices remplies (!) et de la photocopie de la dictée à l’adulte censé « retracer les différentes étapes de l’apprentissage envisagé » par le professeur. Mais l’élève s’est-il approprié les caractéristiques du texte visé ?
38Comme en mathématiques, les remarques esquissées ne sont pas à comprendre comme des critiques du texte prescriptif mais comme des traces de l’espace interprétatif qu’ouvre le manuel et dans lequel viennent nécessairement s’engouffrer les épistémologies pratiques des professeurs. Ceux-ci « font à leur façon » en investissant les tâches conformément à une certaine logique pratique. À la fois en mathématiques et en français (dans les tâches considérées du moins) on ne serait donc pas étonnées d’observer des gestes professoraux relativement génériques qui prendraient la forme d’un guidage serré des actions et productions des élèves qui équivaudrait au traitement des tâches par l’enseignant avec la collaboration de quelques élèves en tant que représentants du collectif. Cette enquête à travers les « moyens d’enseignements » ne nous autorise pas à conclure dans ce sens mais appelle des compléments d’observation du côté des pratiques effectives. Les travaux déjà réalisés (Schubauer-Leoni et al, 2007 ; Bocchi, 2008 ; Ligozat, 2008) ou en cours (Forget) nous amènent en effet à regarder de très près le sens et l’organisation du travail enseignant lorsqu’il interprète les prescriptions officielles et cherche à faire avancer les tâches.
7. Implicites, méthodes et recherches en didactique comparée
39On l’a vu, la mise en contraste des textes officiels trahit des différences non négligeables de présupposés en matière de conceptions de l’apprentissage et de liens entre apprentissage et enseignement. Ce constat mériterait vraisemblablement un débat au sein des communautés didactiques et pourrait être l’occasion d’un retour sur les implicites qui soutiennent nombre de travaux d’ingénierie d’une part et d’observations de pratiques ordinaires d’autre part. L’enjeu est de taille non seulement pour l’évolution du champ didactique mais aussi pour la formation des professeurs, en particulier des généralistes. Ceci dit, insistons sur le fait que, dans leur pratique quotidienne, les professeurs ne semblent pas spécialement déroutés par les prescriptions officielles. Nous avions fait l’hypothèse (non encore éprouvée par des enquêtes empiriques précises) qu’ils lisent les propositions de travail collectif vs individuel comme une occasion de varier la gestion de classe sans s’interroger sur le sens des apprentissages. Mais encore, étant donné que les textes officiels naturalisent l’existence de « deux groupes de connaissances » le contrat de félicité amène l’enseignant à croire sur parole les responsables de l’enseignement qui affichent le socioconstructivisme comme principe unificateur entre une approche constructiviste (en mathématiques) et une approche interactionniste sociale (en français). Notons au passage que ce flou (ou ce continuum, selon les interprétations des commentateurs) entretenu par nombre de travaux de recherche, mériterait des clarifications et une poursuite des débats scientifiques. On est au cœur d’un enjeu épistémologique et théorique de taille (cf. § 1.).
40Au plan méthodologique les répercussions sont importantes et notre propos ne fait que les effleurer. En effet, on ne peut se contenter d’affirmer que les implicites émergent de l’analyse comparative. Il est vrai que la décentration obtenue s’est avérée fructueuse tout en montrant le caractère générique et la portée spécifique des catégories d’analyse retenues. Mais encore faudrait-il montrer comment cela prend forme dans les pratiques didactiques effectives. Du point de vue méthodologique ceci renvoie à l’articulation d’approches cliniques et expérimentales (Leutenegger, 2009). Dans les travaux de didactique comparée récents, la comparaison à différents niveaux d’observation (macro, méso et micro) et dans des registres temporels précis permet de situer l’historicité des événements enregistrés. Mais la comparaison expérimentale ne peut parler, s’exprimer que grâce à une analyse clinique de ponctions précises dans les corpus d’observation. L’analyse que nous venons d’esquisser ne constitue qu’un pan de la problématique du rôle des textes dits prescriptifs dans l’étude des processus transpositifs. C’est d’ailleurs le statut même de cette « prescription » et des implicites qu’elle charrie qui est l’enjeu de l’analyse puisque l’enseignant, on l’a vu, doit montrer un rapport robuste aux objets d’enseignement et à leur organisation, sans quoi il risque de faire produire la bonne réponse, en la pilotant pas à pas, avec des conséquences sur le sens et l’épaisseur des apprentissages des élèves. Dans tous les cas, le lecteur l’aura compris, une approche de la transposition didactique via les documents officiels appelle des compléments du côté des acteurs qui interprètent les prescriptions. La « vérité » n’est pas dans leur rapport au monde didactique, mais comprendre ce rapport contribue à réduire l’incertitude de nos interprétations de la configuration didactique dans son ensemble.
Bibliographie
Sources documentaires
La numérotation sert de renvoi dans le texte.
1) Le classeur édité par le Département de l’instruction publique et sa Direction de l’enseignement primaire : « Les objectifs d’apprentissage de l’école primaire genevoise » (2000) (parties introductives et « clarifications épistémologiques »).
2) Le Plan d’étude 1E-6P pour la Rentrée 2007 (parties consacrées aux premiers degrés).
3) Le document « Planification de l’enseignement » pour « Français, Ouverture aux langues, Ecriture-graphisme » du Service de l’enseignement, Secteur des langues (sept. 2006) (premiers degrés).
4) Le document « Planification de l’enseignement » pour les Mathématiques du Service de l’enseignement, Secteur des mathématiques (sept. 2006) (premiers degrés).
5) Les manuels de mathématiques pour les 2 premiers degrés (1e et 2e classes enfantines- 4-5 ans) et pour les classes de 1re et 2e primaire (1P-2P, 6-8 ans). Ces derniers uniquement pour vérifier un éventuel changement d’orientation par rapport aux pratiques précédentes.
6) Les documents présentant les activités et séquences didactiques pour ces mêmes degrés avec une centration sur ceux des 2 premiers degrés (1E-2E).
Références bibliographiques
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Auteurs
Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève
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