Le socioculturel en questions
p. 19-36
Texte intégral
1Nous avons souhaité maintenir dans ce texte une position discursive d’ouverture et de sollicitation de débats plus que de d’établissement de bilan ou de synthèse1. Il s’agit d’abord, pour nous, de proposer, à propos du socioculturel et des formes possibles qu’il peut prendre dans nos recherches, un questionnement qui ouvre des perspectives plus qu’il ne donne des réponses ; il s’agit ensuite de stimuler la discussion sur la place du socioculturel dans l’enseignement du français et sa prise en compte dans les recherches didactiques, plutôt que de chercher à élaborer un consensus qui ne pourrait être qu’un consensus de façade. Il s’agit pour tout dire de prendre au sérieux le fait que débats et controverses participent du fonctionnement de la recherche.
2Nous poserons donc, en premier lieu, que la didactique du français est structurellement concernée par la question du socioculturel, que cette question lui est attachée de par son histoire, de par ses objets (la discipline scolaire du français), de par sa vision du monde, et enfin, de par ses rapports aux autres espaces sociaux et aux autres disciplines.
3Cela étant exposé, nous emprunterons le chemin obligé de la définition en tentant d’isoler et de circonscrire diverses significations ou divers champs de référence pour la notion de socioculturel, notion assez molle, tout compte fait. Ce moment définitionnel sera suivi d’un moment propositionnel, où nous donnerons à voir (et à discuter) notre point de vue sur l’incidence de la nécessaire et incontournable prise en compte du socioculturel dans les études didactiques.
4Le troisième temps de ce chapitre ramasse quelques éléments dans les champs constitués de la didactique du français, pour interroger les problèmes soulevés par la prise en compte du socioculturel dans quelques sous-domaines de la didactique et à propos de la question plus globale des définitions de la discipline français qui ont été ou sont objets de débats dans notre communauté de recherche.
5La quatrième et dernière étape, qui n’est en aucune sorte un point d’arrivée, consiste à préciser à la fois les axes forts que le dixième colloque de l’AIRDF a contribué à explorer et les pistes de travail qui nous paraissent les plus prometteuses pour le devenir de notre discipline de recherche.
1. L’indéfectible relation entre la didactique du français et la question du socioculturel
6Il nous paraît difficile d’ouvrir ce texte sans thématiser le fait, qu’à notre sens, la didactique de français est historiquement et structurellement confrontée aux questions liées au socioculturel. Si c’est sans doute le cas pour l’ensemble des disciplines de recherche, cela nous parait néanmoins, en l’occurrence, prendre des formes spécifiques et une acuité particulière, ce qui nous conduit à parler d’une indéfectible relation.
7Nous illustrerons très succinctement cette thèse au travers de trois entrées, parmi d’autres possibles : celle de la genèse du champ, celle de la vision du monde et celle des caractéristiques de la discipline scolaire.
1.1. La genèse du champ : engagement social et conflits symboliques
8L’histoire de l’émergence, récente (cf., par exemple, Ropé, 1990), de la didactique du français en tant que discipline de recherche témoigne ainsi, de multiples façons, de ces questions – en France, plus particulièrement, sans doute : les variations dans l’importance et les formes de cet engagement selon les pays et selon les didactiques constitueraient sans nul doute un objet de recherche particulièrement intéressant dans la perspective du socioculturel. On peut ainsi penser à l’engagement politique et syndical de nombre de ses acteurs qui ont transféré, au moins en partie, sur les terrains scolaire et disciplinaire leur volonté de changement social comme le manifestent les premiers numéros de certaines revues (voir, par exemple, l’éditorial du numéro 1-2 de Pratiques, en mars 1974), les convergences et alliances avec d’autres associations (AFEF, GFEN…) ou nombre d’articles des années 70-80. On ne peut que constater, à la relecture, une certaine labilité des frontières entre production de connaissances et militantisme. De fait, il nous semble que la question de l’engagement, ou du moins de ses variations et de l’acceptabilité de ses modalités, n’a cessé de se poser à la didactique du français jusqu’à nos jours, ainsi que le manifeste, par exemple, le numéro 66 de la revue Enjeux, intitulé Enseignement et engagement, en hommage à Jean- Maurice Rosier ou le numéro 137-138 de la revue Pratiques constitué d’hommages à Jean-François Halté.
9Ces phénomènes ne se réduisent cependant pas à la biographie des acteurs (qu’il conviendrait, sans nul doute, de préciser par des traits diversifiés – origine sociale et géographique, cursus, diplômes… – qui manifestent que ce ne sont pas, bien souvent, des « héritiers ») mais ils concernent encore le positionnement de la discipline elle-même. En effet, en tant que jeune discipline émergente se consacrant à des objets tels les contenus, l’enseignement et les apprentissages disciplinaires, elle a dû – et elle doit encore – lutter pour conquérir un espace et acquérir une légitimité au sein du système des disciplines de recherche. Tout didacticien, du français notamment, sait à quel point les affrontements sont âpres au sein de ce champ social ; sait aussi que les débats autour de la scientificité voilent bien souvent des débats autour de la légitimité des objets, des questions, des démarches, voire des acteurs… qui ont, en outre, des conséquences économico-institutionnelles non négligeables. Il convient encore de remarquer sur ce terrain que la construction même du questionnement didactique conduit certainement d’autres disciplines de recherche (traitant indépendamment les contenus, l’enseignement ou les apprentissages) à considérer qu’il existe là un risque d’empiétement sur leur domaine et de mise en question de la portée de leurs discours sur l’école. De surcroît, ce questionnement didactique peut être perçu par d’autres corps sociaux que ceux de la recherche (ceux qui sont, par exemple, chargés de la prescription ou du contrôle) comme tout autant susceptible d’empiéter sur leurs prérogatives et d’interroger la validité de leurs propos ce qui, d’un côté, engendre des attaques spécifiques et, d’un autre côté, prive les didacticiens d’alliés potentiels dans le jeu de la reconnaissance sociale…
10Conflits politiques, sociaux et symboliques ne cessent ainsi d’interagir dans l’histoire de la didactique du français.
1.2. Questions, postulats et vision du monde
11Complémentairement, toute discipline de recherche se caractérise aussi par ses problématiques, ses modes de questionnement, ses postulats implicites ou explicites… qui dessinent un projet de connaissance tout autant qu’un inconscient fondateur, ce qu’on pourrait appeler une vision du monde. Trois traits nous serviront à préciser cette assertion qui mériterait néanmoins, nous en avons pleinement conscience, de longs débats.
12En premier lieu, les didactiques se caractérisent par un double postulat, fondateur de leurs questionnements : les contenus disciplinaires spécifient l’enseignement et les apprentissages ; l’enseignement et les apprentissages spécifient les contenus disciplinaires. Ce double postulat instaure une rupture avec les questionnements d’autres disciplines de recherche qui tendent à envisager les pôles des contenus, de l’enseignement et des apprentissages indépendamment les uns des autres. D’une certaine manière, ce qui s’affirme au travers de cette rupture, c’est une perspective qui refuse, ou du moins qui secondarise, toute velléité d’abstraction décontextualisante, de généralisation ou de neutralisation aussi bien des contenus que de l’enseignement ou des apprentissages. Ce double postulat s’articule avec un second trait, celui de la relation structurelle entre didactiques et disciplines scolaires. Au-delà des débats complexes sur la notion de discipline et sur les formes des relations entre didactiques et disciplines scolaires (Chervel, 1988, 1988/1998, 2006 ; Reuter, 2004, 2007 ; Reuter & Lahanier-Reuter, 2007,…) sur lesquels nous n’avons pas le temps de nous arrêter ici, cela implique de penser la relation fondamentale entre didactiques et forme scolaire (Vincent, 1980, 1994), en ce qu’elle contribue à structurer une perspective. C’est-à-dire non seulement en ce qu’elle permet de penser mais aussi en ce qu’elle empêche de penser ou en ce qu’elle implique comme réserves a priori. Cela nous paraît être ainsi le cas face à des expériences d’enseignement remettant en cause les cloisonnements disciplinaires (dispositifs « transdisciplinaires », modes de travail pédagogiques alternatifs…) : de manière significative, il nous semble que ces réserves s’accroissent corrélativement à l’autonomisation des didactiques. Pour le dire plus nettement encore et de manière indéniablement polémique, d’un certain point de vue, le projet des didactiques repose sur et suppose le maintien d’une forme scolaire « classique ».
13Le troisième trait que nous évoquerons ici a pu être désigné de diverses manières par des théoriciens différents : implication (Halté, 1992), responsabilité quant aux contenus (Martinand, 1987), horizon praxéologique (Reuter, 2005)… Il nous semble cependant, qu’au-delà de ces variations terminologiques, un même ensemble de questions se voit sollicité : celui qui met en jeu les relations entre l’espace des recherches et les autres espaces (prescriptions, recommandations, pratiques…) concernés par les didactiques. Pour le dire plus précisément encore, au-delà de positions plus ou moins divergentes, les didacticiens ne peuvent s’affranchir d’une réflexion sur la dimension praxéologique de leur discipline. Celle-ci prend corps en amont avec les « problèmes du terrain » qui constituent tout autant une source historique de la genèse des didactiques qu’un levier du renouvellement de ses questions et, en aval, avec une visée de contribution – explicite ou implicite, directe ou indirecte – à l’amélioration des pratiques et de leurs effets. Ce trait nous paraît effectivement structurel en ce qu’il oriente et structure d’une certaine manière (i.e. différente de celle d’autres disciplines) la description des phénomènes analysés (par exemple, les interactions dialogales dans la classe ou les productions d’élèves) et en ce qu’il nécessite la construction fine de certains concepts (par exemple, erreurs/dysfonctionnements) qui, dans ce cadre, deviennent des outils méthodologiques privilégiés.
1.3. Les caractéristiques de la discipline scolaire
14Les caractéristiques de la discipline elle-même – en l’occurrence le français – constituent notre troisième entrée. Sur ce plan, on peut mentionner, en première approche, que le français, en tant que matière scolaire, présente quelques singularités qui rendent incontournables les multiples questionnements autour du socioculturel. Soit, à titre d’exemples, son importance dans le cursus scolaire et le poids qu’il semble bien avoir dans la réussite ou dans l’échec scolaire (voir, par exemple, Lahire, 1993) ; sa « sensibilité sociale » (Reuter, 2004) dont témoignent les conflits violents et médiatisés qui accompagnent son histoire, via ses relations aux pratiques quotidiennes ou à l’identité nationale ; la spécificité de ses contenus (qui imbriquent étroitement, et sans toujours penser leurs relations, savoirs, valeurs, construction d’un rapport à la culture, construction identitaire, etc.), ou encore les débats qui parcourent ses théories contributoires (par exemple, les théories de la lecture ou les théories de la littérature…).
2. Mais comment définir le socioculturel ?
15Demeure la question cruciale par laquelle nous aurions pu au demeurant commencer, celle de la définition du socioculturel.
2.1. Première approche : l’extrême diversité de ses acceptions
16Lorsqu’on tente d’explorer les sens que peut prendre le terme socioculturel (sous sa forme liée ou sous ses modalités disjointes : le social, le culturel) dans les travaux de didactique du français ou dans les travaux auxquels elle se réfère, on ne peut être que frappé par l’extrême diversité des définitions à l’œuvre, qu’elles soient explicites ou qu’elles soient implicites, comme c’est d’ailleurs le plus fréquemment le cas. De fait, les sens attribués varient selon objets, domaines et problématiques.
17Ainsi, et sans visée exhaustive, le socioculturel peut renvoyer à un ensemble d’objets, de pratiques, de normes ou à leur fonctionnement sous forme de système. Il peut référer à des périodes antérieures, à notre époque ou à ce que celle-ci hérite de son histoire. Il peut désigner un ensemble commun (ou censé l’être), des ensembles différenciés (selon les pays, selon l’âge, selon les CSP, selon des ordres sémiotico-institutionnels tels l’oral ou l’écrit…) ou des ensembles conflictuels. Il peut être présenté sous forme hiérarchisée ou non. Il peut se réduire à l’extrascolaire ou être spécifique à l’école. Il peut encore être considéré de manière fixe et close ou être envisagé comme un ensemble ouvert, mobile, en constante négociation et coconstruction.
18Ces significations varient en grande partie selon les questionnements au sein desquels se trouve mis en jeu le socioculturel. Ici encore, sans aucune visée exhaustive, on peut mentionner :
la spécificité de la culture scolaire et, plus rarement sans doute, des cultures disciplinaires ;
les variations, diachroniques ou synchroniques, de ces cultures ;
les modes de formalisation des contenus d’enseignement et d’apprentissages, plus ou moins abstraits ou plus ou moins en relation avec les questions de hiérarchisation et de légitimité culturelle, de normes et de surnormes, de pratiques… ;
la connaissance des acteurs scolaires (surtout des élèves) dans leurs dimensions essentiellement extrascolaires d’ailleurs (pratiques, représentations, rapports à…) ;
les variations, diachroniques ou synchroniques, de ces dimensions ;
les apprentissages disciplinaires envisagés selon des modalités, elles-aussi, variées : celle de l’acculturation à des ordres différents (l’écrit par exemple) ; celle du conflit entre savoirs, valeurs ou pratiques ; celle de mécanismes telles les interactions ou la confrontation à des outils historicoculturels… ;
les modalités d’enseignement considérées sous l’angle de la gestion de l’hétérogénéité (Lebrun & Paret, 1993) ou de celle des élèves dits en difficulté… ;
les finalités des enseignements disciplinaires ;
les effets – d’imposition, de reproduction, d’échec ou de construction de savoirs et de réussite – des enseignements disciplinaires…
19Ce relevé, qui tient sans nul doute d’un inventaire à la Prévert, appelle quatre remarques immédiates. Selon les cas, l’accent est plus ou moins porté sur tel ou tel pôle : contenus, élèves, enseignement… et le questionnement nous paraît plus ou moins didactique selon la manière d’envisager ces pôles de manière disciplinaire ou non, selon leur mise en interaction ou non, etc. Selon les modes de questionnement privilégiés, les références à d’autres disciplines de recherche sont variables et peuvent concerner l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, l’ethnologie, la psychologie… et au sein de ces disciplines, certains courants plus que d’autres. L’approche de la culture scolaire est passée tendanciellement, lors de ces deux dernières décennies, d’une vision péjorant à une vision positive. L’approche de la culture extrascolaire des élèves nous paraît, symétriquement, être passée d’une vision positivant à une vision péjorant, surtout lorsqu’il s’agit d’élèves de milieux dits défavorisés.
2.2. Quelques modestes propositions
20Comment dépasser ce constat – au demeurant légitimement discutable – sans imposer un point de vue ? Peut-être en avançant quelques propositions ne visant qu’à favoriser la spécification de cette entrée et la lecture des positions divergentes auxquelles elle donne lieu ainsi qu’à thématiser certaines directions de travail qui nous paraissent nécessaires.
21En premier lieu, nous proposons de considérer que la question du socioculturel renvoie à une perspective d’appréhension des phénomènes didactiques, c’est-à-dire à une manière spécifique de les décrire, de les analyser, de les comprendre… Si, en tant que perspective, elle n’est certes pas unique, elle nous paraît cependant fondamentale, non seulement en raison de l’histoire de la didactique du français, voire des didactiques, non seulement en raison du caractère crucial des questions qu’elle permet d’éclairer (ne serait-ce que celle de l’échec ou de la réussite) mais encore parce qu’aucune autre ne peut y échapper, ne serait-ce qu’en terme de positionnement dans l’espace des perspectives constituées ou possibles.
22Cette perspective nous semble présenter – au delà des variantes exposées précédemment – comme première singularité de considérer les objets et les phénomènes en tant qu’ils sont contextualisés, diachroniquement et synchroniquement. Nous ajouterions volontiers, sans mésestimer les problèmes théoriques qui accompagnent cela, que cette contextualisation ne se résout pas à la mise en situation d’un objet ou d’un phénomène préconstruit dans un environnement donné mais s’inscrit au sein des objets et des phénomènes, les structure et détermine leurs modes d’appréhension. De surcroît, dans une telle perspective, le socioculturel est différencié et différenciant.
23Cela implique comme conséquence forte, à notre sens, d’évacuer toute idée de neutralité, d’indifférenciation ou de valorisation a priori des savoirs, des contenus, des disciplines, des modes de travail pédagogiques, de la forme scolaire, de tel type de situations, des interactions, des outils…
24Mais cela impose aussi à la didactique du français de se confronter dans l’avenir à quelques questions essentielles parmi lesquelles :
la spécificité didactique de la contextualisation/inscription des objets et des pratiques, c’est-à-dire en quoi, notamment, les systèmes disciplinaire, pédagogique et scolaire réfractent et reconstruisent, de manière spécifique, l’historicité et la différenciation sociale ;
la manière de se référer à d’autres disciplines (histoire, sociologie…), la sélection et l’articulation de ces disciplines, le mode d’évaluation et de reprise de certains de leurs concepts et leur mode d’articulation avec des concepts didactiques (par exemple, enfants d’ouvriers ou élèves de milieu défavorisé ou élèves en difficulté ou élèves de ZEP d’un côté et sujets didactiques d’un autre côté) ;
les méthodes de recherche les plus à même de servir les investigations ou, du moins, les manières de les mettre en œuvre en tentant, autant que faire se peut, de se garder de l’illusion d’une construction neutralisante des résultats qu’elles visent à produire ;
les motifs des évolutions historiques et des variations synchroniques dans la manière de construire le socioculturel, de l’apprécier, de construire et de traiter les questions qui le mettent en jeu…
3. La prise en compte du socioculturel dans les recherches en didactique du français
25Par quelques aperçus forcément parcellaires, nous allons maintenant proposer quelques exemples des problèmes que pose ou qu’a posés la question du socioculturel aux recherches en didactique du français, en abordant d’abord quelques grands débats, récents ou plus anciens, où la question de la définition de la discipline « français » croise ou a croisé plus ou moins explicitement celle du socioculturel et en exemplifiant ensuite dans quelques sous-domaines du français la place que les recherches ont faite aux questions de la différenciation sociale, de la contextualisation et de l’inscription culturelle des objets et des pratiques.
3.1. Les débats sur la définition de la discipline
26Il nous semble que la question du socioculturel dans ces débats peut être mise en évidence principalement sous trois dimensions.
27La première dimension est celle des hiérarchies culturelles qui sont à la base de la définition de la discipline. Cette dimension sous-tend les oppositions classiques, du moins sur le territoire français, entre une configuration ancienne (Halté, 1992) et une configuration plus récente où le professeur de lettres (qui reçoit cette qualification de l’appellation des concours qu’il a passés) est censé laisser la place au professeur de français (ainsi qualifié de par la discipline scolaire qu’il a à enseigner), oppositions qui sont également représentatives d’un clivage entre institutions différentes (le secondaire obligatoire vs le secondaire post-obligatoire) et entre cultures disciplinaires tendanciellement différentes (l’héritage patrimonial vs la construction de compétences méthodologiques ou techniques). Dans ce débat entre traditionalistes et rénovateurs, la question du socioculturel est très vive ; elle est moins thématisée dans les débats qui vont être évoqués ci-après.
28La deuxième dimension qui alimente les débats est celle des finalités de la discipline « français » et des commandes sociales dont elle est l’objet. La question de savoir si le français est une discipline autonome ou une discipline de service est une question vive depuis longtemps au Québec et en France (comme l’ont montré les discussions du colloque de Québec à propos des Instructions Officielles de 2002 pour l’enseignement primaire en France et de ce qu’elles rappelaient ou annonçaient des redéfinitions ou redécoupages de la discipline) sans être pour autant inexistante en Belgique et en Suisse (cf. le précédent colloque de l’AIRDF à Québec : Falardeau, Fisher, Simard & Sorin, 2007). Pour le résumer de manière caricaturale, ce débat porte sur la question de savoir si le français est une discipline à part entière, avec ses objets propres et ses opérations spécifiques, ou une discipline ancillaire, prise au piège de la transversalité du langage, et d’une mission de développement des savoir-lire et des savoir-écrire nécessaires aux apprentissages dans les autres disciplines. Posé ainsi, ce débat interroge la spécificité des discours disciplinaires, l’articulation entre pratiques langagières et disciplines scolaires, l’articulation entre rapports au langage et rapports au savoir, l’articulation entre savoirs spécifiques et compétences transversales.
29La troisième dimension concerne les relations entre le fonctionnement de la didactique du français et la culture disciplinaire. Nous voulons parler des débats autour la construction de différentes matrices disciplinaires, qui ont vu dans un temps quasiment simultané (au regard de l’Histoire) s’opposer des conceptions où le français est défini tantôt par des objets (la langue, la littérature), tantôt, comme le proposait J.-F. Halté (1992), par des activités langagières (production/réception des discours oraux/écrits), tantôt enfin, comme le proposait B. Schneuwly à Québec, par une triade articulant « la connaissance du fonctionnement de la langue, la connaissance et la pratique de la littérature et des pratiques langagières (lire-écrire-écouter-parler) » (2007).
30Pour conclure cette trop rapide présentation des débats sur les contours et les finalités de la discipline, nous voudrions soumettre à la réflexion deux remarques. Interroger au regard du socioculturel ce sur quoi portent ou ont porté ces débats met en évidence des zones d’ombre, des lieux institutionnels peu souvent convoqués (les filières professionnelles par exemple), des finalités peu souvent explorées ou des modes de combinaison de la discipline avec d’autres dimensions comme la culture générale peu souvent pris en compte (sauf chez nos collègues du Québec, où la conception culturelle de l’enseignement du français est une question d’actualité, voir Falardeau & Simard, 2007). Les définitions de la discipline que proposent les didacticiens sont le plus souvent liées à l’enseignement secondaire, avec, certes depuis peu, un souci d’intégrer l’enseignement primaire ; elles prennent peu en compte les pratiques d’enseignement du français dans les filières dites reléguées.
31La seconde remarque tient au fait que dans les définitions de la discipline évoquées ci-dessus, des glissements peuvent s’observer du descriptif au propositionnel, avec une prise en compte assez variable du socioculturel. La reconfiguration de la discipline est un acte essentiel pour la didactique mais que décrit-on et que propose-t-on si on ne prend pas en compte, dans ces descriptions ou ces propositions, les formes de différenciation sociale et/ou culturelle des pratiques et des savoirs ? La place de l’empirie paraît parfois assez faible dans des reconfigurations qui présentent un haut niveau de généralité et avec des formes apparentes de neutralité sociale ou scolaire qui interrogent justement la part accordée au socioculturel dans la définition de la discipline.
3.2. La question du socioculturel dans quelques sous-domaines du français
32Nous souhaitons maintenant proposer quelques réflexions sur les modalités de construction du socioculturel dans quelques sous-domaines du français, en interrogeant les objets d’analyse et les modes d’approche construits pour élaborer des théories didactiques de l’écriture, de la littérature, de l’oral et en bloc, de l’orthographe, de la grammaire et de l’apprentissage de la lecture.
3.2.1. L’écriture
33La question du socioculturel n’a jamais été vraiment absente des débats didactiques sur l’écriture, même pendant ce qu’on peut appeler la période procédurale. Un questionnement sur les dimensions socioculturelles de l’écriture et de son apprentissage était exposé au congrès de Namur par Michel Dabène (1987) et Jean-François Halté (1987), puis repris au congrès de Genève, dans une intervention où M. Dabène (1990) pensait les articulations entre écrits sociaux et écrits scolaires. Ces propos étaient peut-être minoritaires, mais ils n’étaient pas mineurs. Certes ils se focalisaient sur un objet important à l’époque, les textes à donner à écrire à l’école et leur rapport avec les textes produits hors de l’école, mais ils prenaient en compte le socioculturel précisément parce qu’ils interrogeaient les pratiques d’écriture, tant à l’école qu’en dehors de l’école.
34Une interrogation semblable a produit ces dernières années l’exploration par Marie-Claude Penloup de l’écriture extrascolaire des collégiens et la construction des relations entre pratiques scolaires et extrascolaires de lecture et d’écriture (Repères, 2001). Mais on ne peut que s’interroger sur le peu de productivité de ce champ, au regard des connaissances qu’il pourrait produire sur des pans entiers de la vie sociale de ceux qui sont par ailleurs élèves dans les classes que nous observons.
35Une autre entrée, féconde, sur les aspects socioculturels de l’écriture, est celle qui cherche à construire les représentations de l’écriture, de la maternelle (Fialip-Baratte, 2007) à l’université, celle qui élucide les rapports à l’écriture de collégiens, de lycéens, d’étudiants, d’enseignants, etc. Ces études orientent les recherches didactiques soit vers la socialisation familiale pour les élèves de maternelle, soit vers le cursus scolaire ou le contexte disciplinaire où l’écriture est interrogée (Barré-De Miniac & Reuter, 2006).
3.2.2. La littérature
36Ce qui, du socioculturel, est convoqué dans les recherches didactiques sur l’enseignement/apprentissage de la littérature, tourne principalement autour des objets-textes, des valeurs qu’ils véhiculent, identifiables dans les corpus donnés à lire, ou des valeurs attribuées à l’enseignement de la littérature (Enjeux, 1998-1999). Ainsi, on pourra, selon les contextes sociopolitiques distinguer la fonction culturelle et patrimoniale de l’enseignement de la littérature (voir l’opposition entre littérature et paralittératures, entre littératures française et étrangère), les enjeux de la construction d’une identité nationale (voir la prédominance des littératures nationales dans les corpus scolaires et les tensions qui, au Québec, font hésiter entre patrimoine québécois et patrimoine français dans la constitution du corpus), mais aussi les valeurs morales ou éducatives (attribuées, par exemple, de nos jours, à la littérature de jeunesse, dans une forme d’héritage historique des valeurs anciennement attachées à la fréquentation scolaire des textes littéraires (Chervel, 2006).
37En termes de modes d’approche, les objets littéraires sont rarement rapportés aux différenciations sociales ou socioculturelles des lectures qui peuvent en être faites ; de rares et anciennes études ont mis en évidence comment des lecteurs culturellement différents produisaient des lectures différenciées d’un même texte (on se souvient bien des analyses de Martine Burgos, 1992, à propos de la lecture du Grand Cahier d’Agotha Kristof). Aujourd’hui, le « sujet lecteur » n’est pas réellement construit, nous semble-t-il, comme un sujet socioculturel, même si cette notion est intéressante pour déplacer la question de l’interprétation, du texte ou de l’auteur vers le lecteur.
3.2.3. L’oral
38La façon dont est constitué l’objet oral en didactique du français prend différemment en compte diverses dimensions socioculturelles. D’une part, les propositions de l’équipe de Genève autour des genres du discours, malgré (ou peut-être à cause de) leur ancrage historico-culturel, prennent quelque distance par rapport à « l’extrême variabilité des pratiques langagières » (Dolz & Schneuwly, 1998, p. 65) pour construire et « stabiliser les éléments formels et rituels des pratiques » (ibid.). Les genres travaillés à l’école sont marqués de généralité, d’abstraction, voire de neutralité par rapport aux genres sociaux de référence. La question n’est pas ici de discuter de ces perspectives qui engagent à la fois des choix théoriques et des préconisations pédagogiques, mais seulement d’interroger la place faite au social et au culturel dans la définition des genres scolaires.
39D’autre part, l’oral scolaire est rarement construit en relation avec les pratiques orales extrascolaires, familiales ou vernaculaires, sauf dans quelques rares recherches qui articulent questionnement sociolinguistique et dimension didactique (Delamotte-Legrand, 2004), ou qui, à partir de la pragmatique interactionnelle ou de perspectives interculturelles, développent les dimensions éducatives du développement d’un rapport à l’autre « socialement acceptable » dans les pratiques orales scolaires (Maurer, 2003). Mais, d’une manière générale, l’analyse des pratiques langagières scolaires neutralise d’un point de vue socioculturel les interactions verbales observées en classe. Cet état de chose est à mettre en relation à la fois avec le « dilemme normatif » (Fisher, 2007, p. 258) où se trouve l’enseignant, pris entre la variété des usages sociaux et la très grande difficulté de déterminer une norme à enseigner, et avec le mode d’approche des interactions scolaires qui privilégie un point de vue cognitivo-langagier, excluant la prise en compte des variations sociolinguistiques.
3.2.4. La grammaire, l’orthographe et l’apprentissage de la lecture
40Nous nous proposons, pour échapper au désir d’exhaustivité, de globaliser ces trois sous-domaines, en remarquant seulement combien la centration sur la langue occulte, dans les recherches en didactique, les dimensions socioculturelles. Or, l’on sait, au moins depuis Lahire (1993), combien le partage de la posture réflexive nécessaire aux apprentissages visant la langue est socialement différenciée et différenciante. Dans ce contexte global, il faut cependant souligner que les recherches en contextes plurilingues se caractérisent par l’importance accordée aux dimensions socioculturelles des représentations qu’ont les élèves de la langue, de la diversité des langues et de la grammaire.
41Quant à l’apprentissage de la lecture, on peut prendre l’exemple des débats récents qui ont agité en France la communauté didactico-politique. Marqués par un centrage sur les méthodes pédagogiques, sur l’enseignement plus que sur l’apprentissage, et dominés par des références à la psychologie cognitive et à la neurobiologie, ils ont occulté à la fois les différences d’origine socioculturelle d’entrée dans la culture de l’écrit, et la différenciation sociale de la construction de l’échec en général et en lecture en particulier.
4. Perspectives, questions, problèmes
42Les considérations qui précèdent, qu’il s’agisse de l’approche globale de la question du socioculturel ou de l’approche spécifique à chaque sous-domaine de notre champ, interrogent concrètement la manière dont notre discipline construit les problèmes liés au socioculturel dans une perspective didactique. Mais il convient ici de les articuler avec les apports du dixième colloque de l’AIRDF, et donc d’évoquer certains aspects saillants ou certains manques visibles – manque n’étant pas à comprendre comme un jugement de valeur mais comme une observation destinée à interroger, selon notre perspective, la hiérarchie des problèmes que construit effectivement notre communauté de recherche en privilégiant ou en écartant certaines questions théoriques, au moment actuel de son histoire.
4.1. Le contexte
43La construction par notre discipline des problèmes liés au socioculturel dans une perspective didactique se fait notamment par l’exploitation importante de la notion de contexte. Mais cette notion est multiforme et fonctionne comme un outil théorique englobant des réalités diverses qui sont l’objet de l’investigation ; ainsi, le contexte peut être :
la tâche, l’activité, la situation didactique, le milieu, les interactions entre les sujets didactiques, bref tout ce qui fait exister et évoluer le système didactique… : dans ce cas, le contexte fonctionne comme ce qui instaure l’élève comme sujet didactique ;
la classe elle-même ou les autres acteurs présents dans la classe, contexte englobant l’élève : rarement conçue comme en soi une dimension socioculturelle, la classe est perçue plutôt comme le lieu de l’hétérogénéité, de la diversité, posée en général plutôt comme un problème a priori ;
l’établissement scolaire, englobant la classe et les acteurs ou sujets didactiques : cette dimension est assez rarement posée, comme si l’approche didactique créait un angle mort, celui du scolaire, qui est à entendre ici comme le lieu concret où les systèmes didactiques se construisent ;
l’école au sens large, qui informe (du fait de la forme scolaire) les pratiques didactiques : ce contexte englobe les contextes précédents, synchroniquement mais aussi diachroniquement, et fonctionne comme un contexte inscrit dans la société à un moment donné de son évolution mais aussi comme un contexte historique, qui induit une interrogation de l’inscription des objets d’enseignement dans l’histoire ;
dans cette même optique, la notion de discipline scolaire peut être pensée comme contexte, qu’il soit conçu comme élément structurant de l’enseignement, à l’interne de l’école (comme un aspect décisif de la « forme scolaire ») ou dans son ouverture à ce qui peut lui donner une légitimité sociale, quand elle est référée, par exemple, aux pratiques savantes de référence qui informent les usages du langage au sein des disciplines ;
la langue encore peut être entendue comme contexte, qu’il s’agisse, comme à l’instant, de la langue d’enseignement ou de la langue comme bien social, envisagé notamment dans son statut par rapport à d’autres langues ou comme lieu de la diversité socioculturelle ;
la société, plus largement est interrogée comme contexte englobant tout le reste, pensée soit comme le lieu d’une diversité socioculturelle (là encore rarement posée comme un aspect positif ou simplement neutre, mais comme problème possible) ou comme le lieu de l’émergence de pratiques sociales diversifiées (concernant notamment le texte, sa lecture, sa production), avec ce qu’elles impliquent de rapport aux contenus d’enseignement.
4.2. Le statut du contexte extrascolaire
44Quand ce dernier contexte est évoqué, il interroge parfois la manière dont l’école ou ses acteurs se le représentent, mais plus souvent la manière dont ils les prennent en compte. À cet égard, il faut ici préciser que cette prise en compte est analysée de diverses manières, mais il apparaît un présupposé rarement interrogé : la prise en compte du (des) contexte(s) par l’école (voire l’ancrage de celle-ci dans ceux-là) est jugée positive, comme si la question ne se posait pas de savoir si la décontextualisation, propre à la forme scolaire, n’avait pas quelque vertu. Certes, les premiers travaux de didactique montraient que la décontextualisation à l’œuvre avait tout d’un leurre, dans la mesure où la décontextualisation pouvait apparaître comme une sanctuarisation de pratiques langagières et culturelles propres à un groupe social considéré comme dominant… Il n’est pas anodin d’ailleurs que le contexte social soit très souvent convoqué quand il n’est pas perçu comme homogène par rapports aux pratiques scolaires : le socioculturel est alors souvent constitué comme cause d’échec ou de difficulté, lointain écho à la problématique du handicap.
45Mais quand l’appartenance sociale des élèves peut être construite finement, en interrogeant par exemple les différenciations internes à un même groupe social en fonction de variables pédagogiques ou didactiques dans une logique comparative, il ne semble pas que la question de la décontextualisation (entendue non dans une perspective psychologique de distanciation cognitive, mais au sens de prise de distance avec le contexte social) soit interrogée « objectivement », c’est-à-dire sans présupposition de son intérêt didactique possible.
46Du reste, la prise en compte du contexte n’est pas de même nature épistémologique (ou méthodologique) si elle est le fait de la recherche en didactique ou de l’activité décrite (ou préconisée) par la didactique : interroger les effets du contexte dans le système didactique n’est pas la même chose que d’interroger les effets de la prise en compte du contexte par le système didactique.
4.3. Les objets didactiques en jeu
47Toutes ces interrogations sont possibles dans un cadre didactique, mais nécessitent en même temps l’emprunt à des théories diverses. Il y a là un effet intéressant dans la question du socioculturel : le fait que la didactique du français soit en prise avec le contexte intellectuel que représentent les autres disciplines de recherche est un trait que nous avons posé comme une caractéristique historique de la didactique du français.
48Une autre interrogation née du dernier colloque de l’AIRDF tient au partage des objets traités. Il faut d’abord noter la diversité des approches : les communications ont proposé des réflexions ou des résultats de recherche soit sur l’objet enseignable (par référence aux sous-matières du français ou à des objets plus isolés), soit sur les pratiques de classe (préconisées ou analysées), soit sur les acteurs (enseignants et élèves). Notons encore la place relativement importante des enseignants, pour interroger aussi bien le rôle que peut jouer, dans leur activité didactique, leur appartenance à telle ou telle catégorie socioculturelle ou leurs pratiques langagières et culturelles, que la manière dont ils prennent en compte, dans leur enseignement, la dimension socioculturelle.
49Concernant les objets d’enseignement, on a noté plus haut l’importance donnée à la question du texte et des pratiques sociales qui le prennent pour objet : il faut préciser ici qu’une grande importance est donnée à deux spécifications des pratiques du texte : d’une part, c’est le texte littéraire qui est le plus souvent abordé (les problématiques littéraires reviennent en force, le thème étant sans doute propice, mais aussi en raison de l’accroissement des recherches comme des prescriptions en la matière) et c’est la lecture qui est la plus traitée : peu d’approches sur l’écriture, en revanche, ce qui a surpris les organisateurs comme le comité scientifique, sans qu’ils se soient donné le moyen d’expliquer cette désaffection relative des problématiques didactiques de l’écriture.
4.4. Questions de méthode
50Quelques questions restent posées. Par exemple, il serait ainsi intéressant de d’interroger comment nous construisons, dans nos recherches, la notion d’échec. Par exemple, peut-on/doit-on parler d’« échec » ou d’« échec différencié » – socialement ou selon d’autres critères ? Du reste, comment catégoriser les élèves dans une perspective didactique ? Comment les catégoriser d’un point de vue socioculturel ? Comment articuler ces deux catégorisations et surtout : en quoi et à quelles condition la didactique peut-elle juger pertinente une catégorisation qui sort de son champ ?
51Une telle question posée à la notion d’échec, qui ne peut pas ne pas intervenir dans une réflexion didactique (si l’on veut rester fidèle à son projet social posé assez clairement à ses débuts et constamment réaffirmé depuis) renvoie à une question méthodologique et épistémologique importante : qu’est-ce qu’un « bon » résultat en didactique ou, si l’on veut, que veut dire « réussite » en didactique ? L’élève « moyen » (sans prise en compte des différences qui peuvent caractériser les élèves) ? Ou l’élève en difficulté scolaire, l’élève le moins favorisé socialement, l’élève en échec ?
52Plus généralement, qu’est-ce qu’un échec en didactique ? La notion de dysfonctionnement permet de penser les problèmes selon une perspective qui évite la naturalisation des données et des concepts. Parler de dysfonctionnement, en effet, c’est se donner la possibilité d’interroger le cadre de référence qui permet la construction du jugement d’échec et le fonctionnement didactique qui le rend possible, fonctionnement qui ne saurait être indépendant des contextes qui le déterminent en partie, dont d’ailleurs les lieux de création des savoirs dits savants.
53De telles questions ne peuvent qu’inciter à développer les recherches sur les contenus, les modes d’enseignement, les modes d’apprentissage, leur articulation et la différenciation de leurs effets. Mais il semble urgent aussi de réfléchir à la pertinence des méthodes dans la perspective d’un questionnement du socioculturel : par exemple, ce dernier engage une réflexion méthodologique sur le comparatisme diachronique (ce qu’il permet comme dénaturalisation des notions, comme mise en perspective des réformes – et autres préconisations – et de leurs fondements) mais aussi sur le comparatisme synchronique (ce qu’il permet encore comme dénaturalisation, comme exploration d’autres voies possibles, comme articulation contenus/valeurs…). Ou encore, il n’est pas sans intérêt de s’interroger sur les entretiens comme voie d’accès pertinente aux significations différenciées accordées aux contenus, à la discipline, au mode d’enseignement…
Conclusion
54Nous avons voulu, dans ce texte, en nous fondant soit sur des travaux anciens soit sur les apports du dernier colloque de l’AIRDF, engager un certain nombre de débats, mais dans une perspective clairement orientée par nos propres positionnements épistémologiques dans le champ, c’est-à-dire sans chercher à être consensuels, dans la mesure où nous croyons fermement que la vivacité d’une discipline tient à la vivacité des discussions qui l’animent.
55Pour autant, celles-ci ne se confondent pas avec la polémique, qui peut vite advenir sur une question comme le socioculturel dans la mesure où elle est doublement problématique – au sens où elle repose sur des présupposés théoriques pas toujours clarifiés et où, en même temps, elle peut générer de véritables questions théoriques. Il faut prendre garde de ne pas glisser insensiblement vers des conflits qui, de théoriques au départ, pourraient vite passer pour des positionnements institutionnels.
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10.4000/books.pul.9522 :Notes de bas de page
1 C’est la position que nous avions adoptée pour la conférence d’ouverture du dixième colloque de l’AIRDF à l’université Lille 3.
Auteurs
Théodile-CIREL (ÉA 4354), Université Charles-de-Gaulle – Lille 3, France
Théodile-CIREL (ÉA 4354), Université Charles-de-Gaulle – Lille 3, France
Théodile-CIREL (ÉA 4354), Université Charles-de-Gaulle – Lille 3, France
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