Didactique du français : le socioculturel en question Présentation de l’ouvrage
p. 11-15
Texte intégral
1Le questionnement que le titre de cet ouvrage suggère a fait l’objet du dixième colloque de l’AIRDF (Association internationale pour la recherche en didactique du français), qui s’est tenu du 13 au 15 septembre 2007 en France, à l’université Charles-de-Gaulle – Lille 3.
2Les textes qui sont ici réunis ne constituent cependant pas les actes du colloque : il s’agit de textes originaux écrits, certes, à partir d’une sélection de communications faites au colloque, mais dans la perspective d’une publication autonome et cohérente, qui rende compte de l’état des réflexions sur cette question au sein de la didactique du français – question qui a pu être moins explicitement thématisée à certaines époques dans les recherches mais qui est restée constamment sous-jacente dans le champ didactique, comme a pu le montrer le colloque1. Les quatre parties qui composent cet ouvrage permettent de faire l’état des recherches dans ce domaine.
3La première partie, « Le socioculturel en débat », recueille des textes qui abordent la question du socioculturel d’une manière globale, par une approche épistémologique ou historique. Bertrand Daunay, Isabelle Delcambre et Yves Reuter ouvrent l’ouvrage par une revue des débats concernant le sujet au sein du champ de la didactique du français et font ressortir à la fois l’importance historique de la question dans le champ mais aussi les zones d’ombre qui demeurent, sur le plan théorique. Celles-ci tiennent soit à la minoration de son traitement dans les recherches récentes, soit à des difficultés théoriques qui sont ici reconstruites.
4François Jacquet-Francillon n’est pas didacticien mais philosophe et historien de l’éducation : c’est à ce titre qu’il propose une mise en perspective de la question, en centrant son exposé, pour des raisons de cohérence conceptuelle et historique, sur l’exemple de la France. Il retrace l’émergence, comme problématique théorique, de la question des déterminants socioculturels de la réussite scolaire, en montrant le rôle crucial qu’a joué la notion de « pratiques culturelles » dans le regard porté – tant par les chercheurs que par les praticiens – sur l’école, les élèves et les apprentissages.
5Une équipe de chercheurs américains (J. Brereton, C. Donahue, C. Gannett) et britanniques (T. Lillis, M. Scott) interroge pour sa part la manière dont la recherche en didactique de l’écrit dans le supérieur, aux États- Unis et en Grande-Bretagne, a élaboré théoriquement la question du « socioculturel », sous l’influence de quelques auteurs (européens et américains), dont les apports sont précisés. Cette approche comparatiste permet elle aussi de mettre en perspective la question du socioculturel dans le champ de la didactique du français.
6Bernard Schneuwly, enfin, se fait le témoin direct du colloque de l’AIRDF – c’était le rôle qu’il y jouait – et contribue ainsi à faire le bilan de cet événement scientifique important. S’appuyant sur les communications proposées, l’auteur présente une vue générale de l’état de la recherche sur la question du socioculturel en didactique du français, en faisant ressortir l’existence de deux champs de réflexion : l’analyse des différences et des effets de la prise en compte ou de la négligence de ces différences ; la description de la classe, de l’enseignement et des apprentissages comme dispositifs socioculturels. Dans sa contribution, l’auteur propose encore des pistes de recherches nouvelles mais adresse aussi quelques mises en garde théoriques sur la question.
7Les trois autres parties de l’ouvrage présentent des recherches spécifiques – concernant le français langue première ou langue seconde – qui interrogent de diverses manières la question du socioculturel dans sa relation avec l’enseignement et les apprentissages du français. La deuxième partie regroupe des recherches qui visent à décrire comment le socioculturel participe de la construction des contenus d’enseignement. En premier lieu, Nathalie Denizot s’intéresse à un corpus scolaire particulier de la classe de français, les textes « anciens », dans le premier degré de l’enseignement secondaire français. Par une étude historique, elle montre que la constitution de ce corpus scolaire est déterminée à la fois par des contraintes propres à la discipline, mais aussi par les conceptions de la culture véhiculées par la société à une époque donnée.
8Cristiana-Nicola Teodorescu présente aussi une approche historique au travers de l’analyse du discours didactique des manuels de français en Roumanie, à deux périodes cruciales de l’enseignement du français dans ce pays : la période communiste et la période actuelle. Se plaçant dans une perspective interculturelle, l’auteure montre le changement de conception de l’enseignement de la langue d’une époque à l’autre : autrefois considérée comme le véhicule des stéréotypes culturels roumains, elle s’articule aujourd’hui à l’approche de la civilisation française.
9Érick Falardeau, Denis Simard et al., quant à eux, à partir de déclarations d’enseignants sollicitées par des entretiens, cherchent à décrire à la fois la part du socioculturel dans la formation du sujet lecteur qu’est l’enseignant et la prise en compte par ce dernier du socioculturel dans sa pratique d’enseignement. Ils montrent ainsi la relation entre le rapport à la culture de l’enseignant et ses pratiques d’enseignement quant à la formation de l’élève sujet lecteur.
10Michèle Lusetti et François Quet se fondent également sur des déclarations d’enseignants, mais il s’agit là de souvenirs de lecture scolaire d’enseignants du primaire en formation professionnelle initiale. L’analyse de ces souvenirs sollicités permet de mieux comprendre la formation à la littérature construite par l’enseignement et l’écart entre les pratiques de lecture effectives des enseignants et celles que l’école institue et valorise.
11La troisième partie interroge, en quelque sorte, le socioculturel dans l’espace de la classe, par la description de pratiques d’enseignement et d’apprentissage. Thérèse Thévenaz-Christen défend la thèse selon laquelle la perspective socioculturelle, en didactique du français, peut être appréhendée essentiellement en prenant en compte la structuration disciplinaire des objets d’enseignement, qui façonne la relation didactique. L’auteure illustre sa thèse par l’analyse de deux séquences de dictée à l’adulte d’un genre de texte particulier, la « recette de cuisine ».
12Christophe Ronveaux montre, de son côté, comment la question du socioculturel peut faire l’objet d’un questionnement spécifiquement didactique des objets enseignés en classe. Il analyse à cet effet les usages du texte dans diverses séquences d’enseignement de la production écrite et fait apparaître deux modèles socioculturellement contrastés d’usage des textes.
13Sandrine Aeby Daghé, par une autre approche, interroge également les dimensions socioculturelles en jeu dans la constitution des textes – littéraires ou non – comme objets d’enseignement et dans les pratiques scolaires à propos de ces textes. Elle met au jour, à partir d’un dispositif semi-expérimental, les dimensions historiques, sociale et culturelle de ces pratiques.
14Catherine Brissaud et Christine Barré-De Miniac décrivent les activités de lecture et d’écriture au sein d’une classe de lycée professionnel, en caractérisant les pratiques de l’enseignant et en les confrontant aux pratiques et aux représentations de la lecture et de l’écriture des élèves, d’où ressort une difficile appropriation des savoirs concernant l’écrit pour ces élèves.
15Kristine Balslev, quant à elle, présente des analyses « microgénétiques didactiques » pour appréhender, dans un contexte d’enseignement de la langue écrite à des adultes faiblement qualifiés, les stratégies qu’une enseignante et deux élèves adultes mettent en œuvre pour construire une zone de compréhension commune à propos de l’identification des actions nécessaires à la révision textuelle.
16Enfin, Christina Romain analyse, dans deux milieux scolaires socioculturellement contrastés, la gestion différenciée de la relation interpersonnelle entre les enseignants et les élèves, et son influence sur la conduite des échanges au cours d’activités littéraires et métalinguistiques.
17Dans une quatrième et dernière partie, sont analysés plusieurs dispositifs qui prennent en compte les différenciations entre les élèves. Dominique Lahanier-Reuter, didacticienne des mathématiques, analyse l’espace langagier spécifique que constitue le dispositif de « recherches mathématiques » dans une classe qui suit la pédagogie Freinet : son étude de parcours différenciés d’élèves interroge l’élaboration – socialement située – d’une culture disciplinaire.
18Jean-Louis Dumortier et Micheline Dispy, à partir d’une enquête menée auprès d’enseignants et d’élèves, interrogent la manière dont sont perçus les facteurs de la variation linguistique et dont ils sont mis – ou non – en relation avec l’interaction discursive. Ils observent notamment le rapport différencié, selon les milieux socioculturels à la normativité strictement linguistique – elle-même issue des pratiques d’enseignement.
19Jean-Maurice Rosier, Françoise Marsille et Isabelle Spironello présentent un dispositif, la participation de classes du secondaire au prix des lycéens, pour réfléchir au poids des déterminations sociales du rapport au livre des élèves et aux formes de médiations nécessaires à l’initiation des élèves au monde de la vie culturelle légitime.
20Isabelle De Peretti et al., enfin, présentent une séquence didactique portant sur des scènes de théâtre classique, avec une place centrale accordée au jeu dramatique. Prenant appui sur un dispositif expérimental, ils analysent les effets de la séquence, présentée à deux publics scolaires différenciés, en montrant le rôle du jeu dans l’appropriation des textes et leur commentaire.
21Les réflexions et les recherches présentées ici, pour riches et diversifiées qu’elles soient, n’épuisent bien sûr pas la question du socioculturel en didactique du français, mais elles auront permis de la re-thématiser, de la reconstruire. Elles appellent de nouvelles recherches sur ce terrain, dont il n’est pas besoin de souligner les enjeux sociaux.
Notes de bas de page
1 Ajoutons que deux autres publications sont issues de ce colloque, toutes deux dirigées par Bertrand Daunay, Isabelle Delcambre et Yves Reuter :
– un recueil d’actes sous forme numérique, qui contient l’ensemble des communications envoyées avant le colloque : Le socioculturel en question, Villeneuve d’Ascq, CD-Rom ;
– Repères n° 38, Dimensions socioculturelles de l’enseignement du français, Lyon : INRP.
Auteurs
Théodile-CIREL (ÉA 4354), Université Charles-de-Gaulle – Lille 3, France
Théodile-CIREL (ÉA 4354), Université Charles-de-Gaulle – Lille 3, France
Théodile-CIREL (ÉA 4354), Université Charles-de-Gaulle – Lille 3, France
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Questions de temporalité
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Didactique du français, le socioculturel en question
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