1. Comment mesurer la construction effective de la pensée historique chez des élèves de fin de scolarité obligatoire ?
p. 131-140
Texte intégral
1Les recherches en didactiques qui sont centrées sur les apprentissages posent d’une manière générale un problème de temporalités. En effet, à quel moment est-il pertinent, ou est-il possible, de mesurer les acquisitions effectives des élèves ? Une évaluation trop précoce, c’est-à-dire trop proche de l’activité d’apprentissage, peut-elle par exemple nous dire quelque chose de leur caractère durable ou non durable ? Est-il possible d’exclure que des apprentissages restent dans un premier temps sans effet visible, mais puissent être réinvestis ultérieurement par les élèves, parce qu’ils auraient soudain pris du sens ? À l’inverse, jusqu’à quand serait-il possible de renvoyer dans le temps cette mesure des acquisitions des élèves ?
2Ces questions se posent d’une manière accrue s’agissant des contenus scolaires relatifs aux sciences humaines, à la citoyenneté, au vivre ensemble. L’école d’aujourd’hui joue sans doute un rôle quant à ce que sera la société de ces trente ou quarante prochaines années. Mais comment mesurer ce rôle et l’effet social, à moyen et long terme, des apprentissages scolaires ? Et quel rapport établir entre cette perspective et les mesures immédiates du niveau des apprentissages des élèves qui prévalent dans le système scolaire ?
3On le voit donc, les temporalités multiples des recherches en didactiques, souvent déclinées en trois dimensions de durées, comme dans l’architecture braudélienne des durées courtes, moyenne et longue (Braudel 1985), peuvent tout aussi bien concerner l’échelle d’une observation de leçon qu’un processus d’apprentissage à moyen ou à long terme.
Brève présentation d’un projet de recherche
4Nous nous posons ces questions dans le cadre d’un projet de recherche sur la construction de la pensée historique par des élèves de fin de scolarité obligatoire, âgés de 12 à 15 ans dans le contexte genevois. La conception d’une histoire enseignée, renouvelée, à laquelle nous nous référons dans ce projet, est basée sur au moins trois postulats. Elle répond à un devoir d’universalité et ne s’enferme pas dans une échelle identitaire particulière, nationale ou autre. Elle est attentive à la pluralité des expériences et des points de vue, en ne développant pas seulement ceux des dominants et des vainqueurs. Enfin, elle s’intéresse à des situations de l’ailleurs et du passé pour les mettre en relation avec d’autres situations, notamment dans notre présent. Pour ce faire, elle cherche à mettre en exergue les différentes composantes d’une grammaire de l’histoire dont l’usage est censé permettre aux acteurs de sa transmission scolaire de sortir des lieux communs et de favoriser un renouvellement des contenus et des pratiques.
5Toute enquête sur les apprentissages des élèves, en particulier lorsqu’elle vise à mesurer leur construction effective dans une perspective de transformation des concepts disciplinaires qui sont à transmettre, implique d’abord un certain travail de clarification. Ainsi, l’histoire enseignée que nous souhaitons observer, qui dépend de cette grammaire spécifique de l’histoire, est constituée de plusieurs grilles de lecture des sociétés qui sont examinées par les élèves. Ces grilles de lecture portent respectivement sur les modes de pensée de l’histoire, notamment la comparaison, la périodisation et la prise en compte des usages publics de la discipline historique dans la société (Heimberg 2002) ; sur les questionnements fondamentaux, de nature anthropologique, qui se trouvent en amont de toute narration historique, notamment sur le statut de la vie et de la mort, les rapports entre les genres, mais aussi l’inclusion et l’exclusion, l’amitié et l’inimitié, ainsi que toutes les formes de domination (Koselleck 1997) ; sur les temporalités de l’histoire et la reconstruction des présents du passé, chaque acteur se situant entre un champ d’expérience, un horizon d’attente (Koselleck 1990) et un espace d’initiative, c’est-à-dire une marge de manœuvre plus ou moins grande dans son propre présent (Ricœur 1985) ; enfin, sur la pluralité des échelles, spatiales, temporelles ou de société auxquelles se référer pour faire surgir des significations diverses et enrichies (Le cartable de Clio, 2006). Dans cette perspective, des propositions d’organisation de manuels d’histoire, ou de ressources pédagogiques, sont examinées ci-après. Il s’agit d’élaborations récentes, ou en cours de publication, de moyens d’enseignement dans les contextes scolaires belge, francophone et italien.
6Ce projet de recherche entend analyser des productions d’élèves effectuées en aval de séquences d’enseignement-apprentissage relevant de ce renouvellement de l’histoire enseignée. Il est prévu que ces travaux portent par exemple sur des thématiques comme la première industrialisation, la Première Guerre mondiale ou la Shoah. Les données analysées s’inscrivent ainsi dans deux temporalités différentes. Tout d’abord, il s’agit d’observer des séquences didactiques, soit quelques heures de cours, conçues comme aussi novatrices que possible, et de chercher à établir ce que les élèves en ont effectivement retiré à brève échéance, dans l’immédiat, mais aussi, si possible, avec un petit recul temporel de quelques semaines. Ensuite, à l’échelle d’une année scolaire, il s’agit d’examiner rétrospectivement la manière dont les élèves perçoivent les documents qui ont été utilisés, les liens entre les différents thèmes qui ont été étudiés, la cohérence globale de leurs activités effectuées en classe d’histoire et leurs apprentissages dans cette discipline.
7L’analyse des données est centrée sur tout ce qui relève des modes de pensée de l’histoire, et de la capacité des élèves de les mobiliser dans leurs travaux et leurs argumentations, sur les liens qu’ils établissent, ou qu’ils n’établissent pas, entre les différentes situations étudiées dans le passé et sur la manière dont ils se constituent ou pas, au fil du temps, une conscience historique. Celle-ci, si elle se développe, doit leur permettre de percevoir explicitement leurs diverses identités et appartenances, mais aussi de s’inscrire eux-mêmes, d’une manière aussi consciente que possible, dans une dynamique des temporalités, entre leur propre champ d’expériences et leur propre horizon d’attentes (Koselleck 1990), entre les différents présents du passé qu’ils reconstruisent lorsqu’ils travaillent sur des faits d’histoire en lien constant avec leur propre présent et leur propre espace d’initiative.
Comment se pose la question des temporalités dans les recherches en didactiques
8Dans le cadre du projet de recherche susmentionné, relatif à la didactique de l’histoire, des questions de temporalité sont à affronter à plusieurs niveaux. Nous avons choisi d’y privilégier des séquences d’enseignement-apprentissage relativement conséquentes, se déroulant sur plusieurs leçons, et, autant que possible, une mesure des acquisitions des élèves après un certain décalage temporel et à l’échelle de l’année scolaire. Mais d’autres temporalités auraient bien sûr pu être prises en considération. Voyons-en quelques aspects qui méritent réflexion.
9Soulignons tout d’abord que l’histoire est elle-même une discipline qui porte sur la pluralité des temporalités, dont l’une des fonctions premières est justement de donner accès à cette épaisseur temporelle dans le regard critique que l’on peut porter sur les sociétés. Cette compétence, qui s’exerce sur les contenus de l’enseignement de l’histoire, consiste par exemple à périodiser les événements historiques, puis à examiner les rythmes des changements qui sont observés en les étudiant, mais aussi les ruptures et les continuités qu’ils révèlent ; à les inscrire enfin dans des durées courtes, moyennes ou plus longues dans lesquelles ils prennent chaque fois des aspects différents et des significations multiples (Prost 2002). En instillant la problématique des temporalités, et des rythmes du changement, dans ses observations sur les sociétés, le regard historien est ainsi porteur d’une dimension temporelle qui lui est spécifique.
10En outre, s’il existe une temporalité des apprentissages des élèves, comment ceux-ci se déroulent-ils effectivement dans le domaine de l’histoire ? Quel rapport leur progression entretient-elle avec la présentation chronologique des faits historiques dans le curriculum scolaire ? Est-il pertinent d’en avoir une conception spiralaire, les mêmes problèmes pouvant être posés à des niveaux de complexité successivement plus élevés ? Dans quelle mesure le degré de maturité psychologique et intellectuelle des élèves intervient-il dans la pertinence de leur faire exercer tel ou tel aspect de la pensée historique ? Dans le domaine de l’histoire enseignée, les travaux manquent pour pouvoir répondre à cette question d’autant plus complexe que les savoirs qu’il s’agit d’examiner ne sont pas linéaires et revêtent un certain degré de complexité. En outre, et de fait, la progression chronologique des thèmes d’apprentissage en histoire trouble encore davantage cette problématique puisqu’il n’y aucune raison de penser que la compréhension de faits de société remontant à des époques très lointaines soit a priori moins fastidieuse et plus accessible aux élèves des premières classes.
11Enfin, les élèves entretiennent un rapport interne ou externe avec l’histoire scolaire (Lautier 1997) ; ils inscrivent ou n’inscrivent pas leur propre expérience de vie dans le récit plus global de l’histoire qu’ils construisent et se représentent au fil de leur parcours scolaire. L’enseignement-apprentissage de l’histoire vise en fin de compte le développement d’une conscience historique qui mette en jeu, pour chaque situation présente ou passée, un rapport entre passé et avenir. Mais la réalisation de cet objectif dépend aussi de la manière dont chaque élève se projette ou non dans cette histoire qu’il étudie, une variable dont on peut se demander dans quelle mesure elle est appelée à se modifier avec le temps, en fonction d’événements externes ou de la maturation des élèves.
12En termes de micro-temporalités, est-il par contre possible de mesurer des apprentissages ponctuels sur une très courte durée ? Dans le domaine de l’histoire enseignée, et pour autant que l’on s’intéresse à des apprentissages un tant soit peu complexes reliés aux grilles de lecture de la grammaire de l’histoire scolaire, cela va d’autant moins de soi que les travaux en matière de didactique de cette discipline n’ont guère permis à ce jour de décomposer les savoirs et de décrire le cheminement de la construction des apprentissages. Il n’est donc pas aisé, dans ce domaine, de mesurer finement la progression des élèves. Ce travail de mesure est toutefois possible sur des échelles plus larges en suscitant des formes d’autoévaluation des élèves par lesquelles ils sont amenés à expliciter ce qu’ils ont appris et compris au fil de la séquence. Comme nous le verrons ci-après, ces procédures ont pour objectif de leur permettre de se rendre mieux compte par eux-mêmes des apprentissages qu’ils ont effectués.
13La pluralité des durées qui peuvent être prises en compte dans une analyse scientifique, qui sont souvent déployées sous la forme d’une triade (durées plus courtes, moyennes, plus longues ; ou dimensions micro, méso et macro), peut être elle-même conçue dans des cadres temporels différents. Par exemple, dans des recherches en didactiques, une telle triade peut être mise en exergue dans l’observation d’une seule leçon, en faisant porter l’attention du chercheur sur des durées brèves et des données fines dans le cadre d’une observation divisée elle-même en un certain nombre de séquences ou de moments significatifs. Elle peut au contraire concerner une temporalité plus large lorsqu’on interroge l’organisation et la programmation d’une année scolaire, ou lorsqu’on se demande ce que sont les effets cognitifs et la durée réelle des apprentissages des élèves. Ce qui est plutôt notre posture dans le projet de recherche susmentionné.
14Les données recueillies par une enquête, tout comme les observations et les analyses qu’elles impliquent, s’inscrivent également dans ces temporalités. Au même titre que l’historien, le chercheur en sciences de l’éducation a intérêt, dans ses investigations, à varier ses focales d’observation et les périodisations qu’il prend en compte. Elles peuvent correspondre, par exemple, à l’aboutissement ponctuel d’une séquence didactique, aux traces que laisse cette séquence après un décalage temporel déterminé, à une année scolaire proprement dite, voire à un cadre temporel plus long encore. S’il ne lui est pas possible d’aller si loin, le chercheur devrait au moins être amené à émettre des hypothèses explicites, et à en tenir compte dans ses analyses, sur ce qui pourrait être observé sur une plus longue durée et sur les limites de ses observations.
Prendre conscience des limites de l’enquête et relancer la réflexion
15La question de savoir dans quelle mesure un enseignement renouvelé de l’histoire répond réellement aux finalités démocratiques qui sont souvent affirmées à son propos est d’autant plus problématique que la recherche dans le domaine des didactiques de l’histoire est encore insuffisamment développée et manque de données empiriques et d’enquêtes abouties. Ces objectifs démocratiques valent pour un avenir relativement lointain, la société de demain, alors que tous les systèmes d’évaluation dont nous disposons sont en général circonscrits dans une durée bien plus courte.
16Dès lors, comment appréhender les processus d’apprentissage dans leurs durées et leurs temporalités à partir de constats ponctuels ? En effet, s’agissant de mesurer des apprentissages ou les effets d’une innovation pédagogique, les réalités pratiques de la recherche limitent les possibilités d’enquête dans la longue durée. Elles tendent ainsi à nous confiner dans des durées brèves qui ne permettent pas d’appréhender dans quelle mesure les élèves réinvestissent des savoirs à plus long terme. Cette réflexion sur les temporalités dans la recherche permet cependant d’en identifier certaines limites et de rendre plus pertinente, et mieux calibrée, l’analyse qui peut en être tirée. Elle incite à la prudence, mais aussi à relancer nos interrogations.
17Cette prise de conscience est ainsi une stimulation pour mieux considérer la problématique du temps dans l’enseignement lui-même. Elle suggère par exemple des pratiques d’évaluation rétrospective ne se contentant pas de mesurer des acquis ponctuels, mais encourageant les élèves à entrer dans une démarche réflexive sur leurs apprentissages afin qu’ils en prennent mieux conscience et les consolident. Dans le domaine de l’histoire, toutes les activités peuvent se terminer par une démarche d’écriture et de transmission, le plus souvent sous la forme d’un récit. Il est donc utile, pour pouvoir mesurer les apprentissages, de réfléchir à des démarches d’auto-évaluation permettant à la fois aux élèves de clarifier la réalité de ce qu’ils ont fait et appris, et à l’enseignant de tenter d’inscrire ces acquisitions dans une plus longue durée. On se demandera alors à quels constats les élèves ont abouti, au terme d’une séquence pédagogique, par rapport aux données factuelles qu’ils ont prises en considération, mais aussi en relation avec tel ou tel mode de pensée de la discipline historique, ou avec tel ou tel aspect des grilles de lecture que l’histoire scolaire mobilise dans ses analyses des sociétés du passé. On se concentrera sur leur argumentation et la manière dont ils raisonnent autour de questions historiques (Cariou 2005).
18Ces différents éléments ont évidemment une incidence sur l’orientation des recherches en didactiques, en particulier pour le projet susmentionné. Ils nous incitent notamment à mesurer des acquisitions d’apprentissage qui soient orientées vers ces pratiques d’autoévaluation, d’explicitation de ce qui est réalisé par les élèves et de formulation des constats auxquels ils ont abouti, toujours dans la perspective d’une consolidation temporelle de ce qui a été appris et compris. Ils mènent également à privilégier certains modes d’enseignement-apprentissage de l’histoire mettant suffisamment les élèves à contribution pour permettre la récolte de données empiriques qui soient susceptibles de nous faire mieux comprendre quels sont les mécanismes et les progressions de l’apprentissage dans cette discipline.
19Il s’agit donc dans ce projet de recherche, d’observer un enseignement de l’histoire conçu comme novateur et stimulant pour se demander, à partir des productions des élèves, et pour autant qu’elles n’aient pas été induites ou prescrites trop directement par l’enseignant, dans quelle mesure ce qui a été mis en place dans la proposition didactique a eu des incidences réelles sur les apprentissages des élèves, leur nature et leur durabilité, y compris dans une perspective d’avenir un peu plus lointaine que le seul temps d’une restitution quasiment immédiate.
20La question se pose aussi de savoir quels moyens d’enseignement peuvent le mieux aider, ou au contraire constituer un obstacle, pour développer un tel enseignement renouvelé. Et pour nous permettre, en situation de recherche, de mesurer les apprentissages effectifs des élèves. La comparaison de trois exemples européens récents (Jadoulle et al. 2005 ; Brusa et al. 2004 ; Perillo, 2002), même s’ils ne sont pas vraiment équivalents, nous permet de poser quelques jalons pour cette réflexion. Les deux premiers sont des manuels conçus pour accompagner l’enseignement de l’histoire alors que le troisième ne l’est qu’autour de la seule thématique de la Shoah. Leur examen côte à côte pose toutefois des questions tout à fait intéressantes. Nous n’évoquerons ici que celles concernant le dispositif didactique, à l’exclusion des problèmes de contenus. Faut-il, par exemple, que les auteurs proposent d’emblée aux élèves un récit de base qui constitue une synthèse de leur vision de l’histoire (Brusa) ? Vaut-il mieux au contraire mettre ce récit de côté dans un premier temps pour laisser les élèves se forger leurs propres représentations (Jadoulle) ? Est-il pertinent de partir chaque fois d’une question du présent qui serve d’élément déclencheur suscitant le besoin d’examiner le passé, pour effectuer des apprentissages relatifs à ce passé et revenir ensuite au présent (Jadoulle, Perillo) ? En outre, quand on entend les utiliser, des éléments déclencheurs contemporains, tirés de l’actualité, ont-ils leur place dans un manuel scolaire, quitte à y être figés (Jadoulle) ? Ou ne devraient-ils pas être redéfinis de cas en cas, dans un matériel moins stable qui accompagnerait le manuel, en fonction des différents contextes de société, de l’actualité et des situations scolaires ? En outre, quelle doit être la nature des activités proposées aux élèves ? Est-il par exemple pertinent de la baser sur un travail d’analyse d’un corpus de sources historiques de même nature (Brusa) ? Avec en fin de compte pour objectif de déboucher sur un travail de restitution écrite et synthétique de ses propres constats et de ses propres résultats (Brusa) ? Ce qui pourrait a priori être associé à l’idée d’autoévaluation déjà mentionnée. Enfin, est-il judicieux de présenter aux élèves les grandes thèses des historiens, y compris, et peut-être surtout, dans les cas où elles se contredisent, sous la forme d’extraits de monographies (Perillo) ?
21Ainsi, dans notre perspective de recherche, aussi bien la conception des séquences didactiques qui sont mises en place que celle des moyens d’enseignement qui sont utilisés jouent un rôle pour favoriser ou non la construction par les élèves de savoirs qui seront plus ou moins solides, plus ou moins susceptibles de s’inscrire dans une certaine durée. Certes, la recherche en didactique n’a pas vraiment les moyens de mesurer à long terme, par exemple à l’échelle d’une génération, les effets réels, en termes d’apprentissage et de construction du sens critique, des enseignements de sciences sociales. Mais elle peut s’efforcer de le faire sur une échelle de temps aussi large que possible.
22Pour des raisons pratiques, l’année scolaire est sans doute une unité temporelle naturellement plus accessible que d’autres pour l’établissement de données de recherche. S’y référer comme seule unité de temps, voire s’y enfermer, constituerait sans doute une limite et un obstacle pour toute enquête empirique. Toutefois, elle comprend plusieurs dimensions qui permettent de l’appréhender dans sa globalité comme dans des périodes plus courtes. Ces dernières peuvent être elles-mêmes assez différentes en fonction des séquences pédagogiques qui sont étudiées et du décalage temporel qui doit être éventuellement introduit pour la mesure des apprentissages effectifs des élèves.
L’échelle d’observation de la recherche n’est pas neutre quand on examine les pratiques scolaires en histoire
23La réflexion sur les temporalités des recherches en didactique des sciences sociales implique de prendre en considération le contexte de société dans lequel elles se développent. La prédominance d’enquêtes portant sur une temporalité courte n’est-elle ainsi que la seule conséquence des obstacles techniques et organisationnels qui compliquent toute recherche de longue durée ? Ceux-ci sont sans doute déterminants. Mais cela ne nous dispense pas d’une réflexion plus générale sur ces temporalités. Or, notre époque est justement marquée par l’émergence d’un régime d’historicité particulier, le présentisme, que l’historien François Hartog a décrit à partir de l’omniprésence de la mémoire et de l’obsession patrimoniale qui caractérisent nos sociétés, mais aussi et surtout en constatant que la lumière et l’espérance que notre passé projette vers notre avenir sont de plus en plus faibles et inexistantes, condamnées par une sorte de fatalité des leçons du passé. Du coup, ce passé qui n’éclaire plus est investi sur le plan émotionnel à travers des traces qu’il s’agit de préserver ; et l’historien voit son rôle s’orienter vers l’inventaire et la préservation de ces traces sans qu’il puisse développer en suffisance un travail de relation entre le passé et l’avenir (Hartog 2003). Compte tenu du fait que la crise des horizons d’attente frappe l’institution scolaire au même titre que le reste de l’espace public, il n’est donc pas indifférent de constater le poids pris, au sein des recherches, par des mesures de performance d’élèves inscrites dans des temporalités courtes.
24L’apprentissage de l’histoire n’est pas tenu pour autant d’accompagner cette tendance au présentisme ou de s’y adapter avec résignation. Certes, en ignorer l’existence serait tout à fait contre-productif tant il est vrai qu’on ne saurait penser un enseignement de sciences sociales sans l’inscrire dans le contexte de société et dans l’univers mental qui le caractérise. Cependant, autant pour l’enseignement que pour les recherches qui en interrogent l’efficience et les résultats, il n’y a aucune raison de tout restreindre à une temporalité immédiate en renonçant à toute perspective de moyenne ou longue durée.
25Cela dit, l’analyse de données ponctuelles inscrite dans une temporalité quasi-immédiate, n’est bien sûr pas inutile pour autant. Elle l’est d’autant moins quand le développement de recherches ultérieures rend possibles des comparaisons. Il faudrait simplement prendre garde à ne pas faire dire à ces données ce qu’elles ne peuvent pas dire.
Bibliographie
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Auteur
IFMES, Université de Genève.
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