1. La question de l’invariance dans des recherches menées sur des temps longs
p. 35-46
Texte intégral
1Notre contribution1 prend appui sur une recherche en voie d’achèvement menée depuis cinq ans au travers de deux contrats de recherche, le premier avec la Direction de la Recherche du Ministère de l’Education (ERTe 1021, Démarches pédagogiques et lutte contre l’échec scolaire), le second avec l’IUFM du Nord-Pas-de-Calais (Effets d’un mode de travail pédagogique « Freinet » en REP) qui ont déjà donné lieu à plusieurs communications ou publications (Bertot 2004 ; Carra 2004 ; Cohen-Azria 2004 ; Delcambre 2005 a ; Delcambre et Daunay 2005 ; Giguère et Reuter 2003 ; Lahanier Reuter 2005 b ; Nonnon 2005 ; Reuter, dir, 2005…) dont deux centrées sur des questions de méthodologie (Lahanier Reuter 2005 a, Reuter et Carra 2005).
2Cette recherche a, parmi ses visées principales, celle d’évaluer les effets d’un mode de travail pédagogique2 (désormais MTP) « Freinet »3 instauré dans un groupe scolaire (Concorde) situé dans le REP de Mons en Baroeul (Nord). En effet, à la rentrée scolaire 2001, tous les maîtres de l’équipe précédente, de la petite section de maternelle au CM2, ont été remplacés par des maîtres – volontaires et cooptés autour d’un projet pédagogique – de la Régionale Nord-Pas-de-Calais de l’ICEM. Ce changement, impulsé par l’IEN de la circonscription, s’est fondé sur le désir de « relever » une école en péril du fait de sa réputation (résultats comparativement faibles et incivilités) entraînant une baisse des inscriptions, tout cela dans un milieu en grande précarité. La mise en œuvre de ce projet, accompagnée d’une évaluation menée par des chercheurs que souhaitait l’IEN, a été préparée par des négociations longues et complexes avec les différents partenaires impliqués.
3Le projet de recherche lui-même repose sur quelques grands principes que nous avons explicités par ailleurs (Reuter et Carra 2005), notamment la durée, les comparaisons synchroniques et diachroniques, la prise en compte d’une diversité de dimensions (apprentissages disciplinaires, violences, construction des valeurs, rapports au travail, devenir en sixième…) et le croisement de multiples techniques de recueil et de traitement des données…
4Cette durée – cinq années au minimum, soit la durée de la scolarité primaire – nous semblait nécessaire afin d’évaluer les effets de ce MTP sur les élèves en relation avec le temps passé dans ce cadre pédagogique, afin de préciser les variations de ces effets selon les dimensions prises en compte, afin de spécifier leur rythme ainsi que d’éventuels « effets – seuil » (à partir de quel moment ces effets commencent à se faire sentir ?) ou « effets-plafond » (existe-t-il une limite à ces effets ?). Ainsi, des rythmes différents ont été mis en évidence dans les apprentissages de l’écriture, que ce soit en orthographe ou en production textuelle4 : l’évolution des performances est très rapide en CP ; elle repose, dès la première année, sur des écarts nets avec les productions d’élèves issus d’une pédagogie classique. En CM1/CM2, les écarts sont également sensibles mais il faut attendre un peu plus longtemps (à partir de la 3e année) pour que des évolutions nettes apparaissent (Reuter, 2007, à par.). Cet effet-seuil s’observe également dans les récits sollicitant l’imaginaire et le vécu5 où c’est à partir de la quatrième année que les longueurs des textes produits à l’école Freinet atteignent le double de celles produites dans d’autres classes, pour ne retenir que cet indicateur parmi d’autres.
5Des effets-plafonds n’ont pas à proprement parler été mis en évidence, il faudrait vraisemblablement pour cela envisager une durée encore plus longue, de manière à comparer par exemple plusieurs années successivement des élèves en fin d’école élémentaire qui auraient fait la totalité de leur scolarité dans cette école (ce que ne permet pas de voir une recherche qui ne dure que cinq ans).
6Ce temps – cependant assez long comparé à nombre d’autres recherches – nous a permis de mettre en place des dispositifs de comparaison diachroniques (évolution) et synchroniques (avec des classes ne pratiquant pas cette pédagogie) fondés sur l’appréhension d’éventuelles variations référées à des invariants.
7Plusieurs types de comparaisons diachroniques sont possibles dans une temporalité longue :
Une comparaison avant/après le début de l’expérience : c’est la raison pour laquelle des informations ont été prises à la fin de l’année scolaire précédant l’arrivée de la nouvelle équipe, de manière à pouvoir suivre l’évolution d’élèves de quelques mois (les CM2 de la première année d’observation qui n’ont connu qu’un an de ce MTP) à quelques années (les CM2 de la dernière année d’observation ayant été immergés bien plus longtemps dans ce MTP).
Des comparaisons reposant sur des informations prises lors de « coupes » plus ou moins proches dans le temps, plus ou moins nombreuses, plus ou moins régulières, etc. Ainsi, les consignes d’écriture narratives6 ont été passées dans les classes de CM2 chaque année à peu près à la même période (février-mars) ; mais le texte descriptif qui a été recueilli du CP au CM2 était sollicité chaque année à une autre période scolaire, en juin, pour ménager aux CP une plus grande aisance dans la production textuelle (Reuter 2007, à par.). De même, les observations de rituels dans les classes de Maternelle ont été organisées en début/fin d’année scolaire mais en organisant à chaque période (dans la mesure du possible) deux prises rapprochées, la même semaine, en vue de minimiser le poids d’événements impondérables liés à l’atmosphère de la classe ou au stress des enseignantes dont l’activité était filmée (Delcambre 2005 b).
Des comparaisons reposant sur des observations en strict continu, sachant que ce strict continu est impossible sur une durée de cinq ans. Cependant quelques essais de ce genre ont eu lieu dans notre recherche : c’est le cas par exemple, de l’observation menée pendant une semaine en continu par J. Giguère (2005 a et b) dans des classes de CE2 et CM2 à l’école Hélène Boucher et dans des classes pratiquant une pédagogie classique et de projet. De moyenne durée, elles permettent de recueillir des données sur un temps didactique continu. Mais s’agit-il d’une observation en continu ou de coupes synchroniques larges (cf. ci-dessous) ? La frontière entre diachronie et synchronie, lorsqu’on considère des domaines d’action n’est pas aussi claire que lorsqu’on traite d’états ou de transformations de la langue en référence à la tradition linguistique où ces deux concepts ont pris naissance.
8Les comparaisons en synchronie reposent sur des observations d’états, sur des coupes plus ou moins larges. Un des problèmes principaux de ces formes de comparaison est la définition d’un état, notamment la question est de savoir quelle épaisseur donner à l’état considéré. Ainsi, lorsque des données sont constituées, elles peuvent, en apparence, donner l’impression d’être issues d’un temps d’observation ou de prélèvement court. C’est le cas par exemple lors de la comparaison de trois séquences de mathématiques dans deux écoles. D. Lahanier-Reuter (2007, à par.) construit des tableaux comparatifs sur la base de différents critères comme la répartition des tours des tours de paroles, leurs formes, les types d’intervention du maître en réaction au discours d’un élève, ou ses contributions à l’objet d’étude. Même si ces critères vont s’appliquer à un nombre de séquences réduit, ils sont le résultat d’un temps important d’observation. De plus cette immersion permet de reconnaître que les situations choisies sont « représentatives » ou du moins ne sont pas exceptionnelles au regard des observations déjà réalisées. C’est également le cas lorsque C. Cohen-Azria (2004, 2007) récupère à la fin d’une année scolaire la totalité des écrits réalisés dans le cadre des sciences dans trois classes de CE2 issus de trois écoles inscrites dans des pédagogies contrastées. Ces données sont mises en relation avec des observations de classes, même si tous les moments de productions n’ont pas fait l’objet d’observation. Ce recueil de données permet d’établir une comparaison des types d’écrits selon les classes et leurs pédagogies. Les résultats établis sur un an seront ensuite éprouvés au fur et à mesure des nouvelles observations (de classes et d’écrits) sans constituer systématiquement un corpus chaque année.
9Ces problèmes de définition des dimensions diachroniques ou synchroniques mis à part (ils nécessiteraient une réflexion spécifique et approfondie), c’est sur la question des invariants, qui nous paraît moins fréquemment traitée dans la littérature théorique, que nous souhaitons faire porter notre contribution. Dans cette perspective, après avoir précisé la notion de temps long qui nous semble loin d’être évidente, nous étudierons la construction des invariants au travers de trois aspects qui nous paraissent essentiels : les sujets, les tâches et les traitements.
Qu’est-ce qu’un temps long ?
10La caractérisation d’une durée nous semble donc loin d’être évidente, particulièrement en recherche. Elle dépend, à notre sens, d’au moins quatre éléments. Les trois premiers sont assez connus :
la question posée et ce que l’on veut savoir : ainsi, si l’enjeu de connaissance est de caractériser le mode d’enseignement d’un maître, on peut penser qu’un temps d’observation d’une heure est bref, voire insuffisant ; ce n’est pas le cas en revanche s’il s’agit d’analyser son mode de prise de contact avec une classe en début d’année ;
la comparaison avec d’autres recherches sur le même objet ;
les méthodes de recherche mises en œuvre : ainsi, sur l’objet « mémoire didactique » Matheron (2001) confronte différentes recherches dont les temps de recueil de données sont différents, puisque l’une d’elles s’appuie sur des observations de classe et l’autre sur une expérimentation…
11Mais nous pensons que cela dépend encore de la combinaison de trois dimensions temporelles à distinguer soigneusement :
le temps objet de la recherche : temps de ce l’on étudie qui, en didactique, peut se décliner en temps scolaire, institutionnel, didactique, temps vécu par les élèves tel qu’il peut être reconstitué par le chercheur, etc.
le temps du travail de recherche : temps de recueil, de traitement, d’interprétation des données ;
le temps d’exposition de la recherche : temps – oral ou écrit – consacré à la socialisation de la recherche.
12Ainsi, pour éclairer cette tripartition, on pourrait dire que la recherche coordonnée par Claudine Blanchard-Laville (2003) porte sur un temps court (huit minutes) mais avec un temps de travail et d’exposition (plusieurs articles, un livre) longs.
13Cette tripartition nous paraît utile non seulement pour caractériser plus finement la durée dont on parle en matière de recherche mais encore pour spécifier les problèmes tributaires de chacune des dimensions mentionnées et/ou de leur articulation.
14C’est en tout cas en regard de l’ensemble de ces critères que nous proposons de considérer que notre recherche relève d’un temps long. À partir de là se pose la question centrale que nous souhaitons traiter, celles des invariants auxquels sont référés les variations susceptibles d’étayer les interprétations. Il nous semble en effet que, dans nombre de cas, ces invariants sont plutôt postulés qu’effectifs. C’est ce que nous allons tenter de montrer au travers des sujets, des tâches proposées et des traitements.
L’invariance des sujets
15Nombre de facteurs sont en réalité oblitérés dans une recherche lorsqu’on mène des comparaisons, par exemple les changements inéluctables, même minimes, qui affectent un même maître, suivi sur plusieurs années. D’autres facteurs sont traités plus ou moins explicitement : ainsi, lors d’une étude longitudinale, la population d’une classe ne reste pas stable. Le chercheur doit faire des choix face à différentes situations ayant des répercussions sur la définition du groupe classe étudié. Ainsi, dans le cadre d’un questionnaire dont la passation a lieu chaque année, le chercheur prend-il en compte celui d’un nouvel élève arrivé en cours d’année ou au début de la deuxième année de la recherche ? Ces deux cas de figure donnent à construire le groupe classe de façon différente. Si un élève, inscrit durant toute sa scolarité dans la même école, est absent une fois lors de la passation du questionnaire, le chercheur choisit-il de lui faire passer le questionnaire dans des conditions différentes des autres élèves, ou de se passer de sa production ? Tout cela pèse d’un poids non négligeable sur la construction des résultats. Il est possible dans le cadre de notre équipe que des choix différents aient été réalisés amenant à parler du même groupe classe sur des bases parfois différentes.
16Mais c’est sur une autre question que nous aimerions attirer l’attention : celle de l’identité de la population qui sert à comparer. En effet, dans nombre de cas, nous avons comparé les élèves « Freinet » à une population de milieu équivalent soumis à un mode de travail pédagogique (MTP) plus classique. Cela soulève quatre problèmes au moins :
celui de l’articulation diachronie – synchronie dans la mesure où cette seconde population a pu être constituée « une fois pour toutes » sans être renouvelée chaque année, établissant ainsi une invariance temporelle discutable ;
celui des effets du dispositif de recherche sur les classes témoins et les évolutions de ces classes liées aux changements dans les équipes d’enseignants ;
celui de l’homogénéisation des formes du travail pédagogique mises en œuvre, ne tenant donc pas compte des variations du MTP « classique », considérées comme secondaires au prix d’une décision forte ;
celui de l’homogénéisation des résultats, alors qu’il existe des variations internes non négligeables (ne serait-ce que dans la dispersion des performances).
17À la différence du premier problème, les trois derniers ne sont pas liés stricto sensu à des variations temporelles : ils réfèrent plutôt à des variations internes à la catégorie « MTP Classique » construite pour permettre les comparaisons nécessaires à la recherche, catégorie considérée du point de vue des enseignants (problèmes 2 et 3) ou du point de vue des élèves (problème 3). Cependant, le fait que cette recherche porte sur un temps long joue comme un révélateur de ces variations, au même titre que d’autres variations fonctionnant plus explicitement sur l’axe temporel. On peut donc dire que ces variations quant à l’identité des sujets sont peu ou prou liées au temps long et à la structure comparative de la recherche.
18À ces questions sur l’invariance des sujets, il conviendrait d’ajouter l’effet, sur l’évolution des problématiques de recherche, du travail en équipe des chercheurs engagés dans un travail collectif de longue durée (diffusion de la littérature, élargissement des cadres d’interprétation). Ainsi on peut citer l’exemple de la thématique générale des relations entre individuel et collectif, initialement proposé et théorisé par A. – M. Jovenet (2006) qui montre la spécificité de l’école Freinet dans l’établissement de ces relations. Ce thème est repris sous diverses formes par C. Cohen-Azria (2006) dans son analyse du travail enseignant et dans la relation qu’elle établit entre implication individuelle dans les écrits scientifiques et construction d’une culture commune, par I. Delcambre (2006) dans ses analyses de la structure du dialogue pédagogique en Maternelle, par M. Pagoni (2006) dans sa description du fonctionnement des conseils, etc.
19On peut mettre en évidence trois formes au moins d’appropriation de problématiques au sein d’une équipe de recherche :
une appropriation intentionnelle qui repose sur la recherche de cohérences entre des points de vue différents, notamment de par leur construction disciplinaire (sociologie, psychologie, didactique, etc.) ;
une appropriation plus ou moins consciente, issue des discussions orales et de la circulation interne des écrits au sein de l’équipe de recherche ;
une cristallisation autour de phénomènes observés par un chercheur qui prennent sens, dans une forme d’interprétation a posteriori parce que des phénomènes équivalents sont repérés ou analysés par un autre chercheur.
20Ces formes d’évolution des problématiques individuelles issues du travail en équipe sont à distinguer de la mise en évidence d’une cohérence qu’on pourrait dire « objective », construite à propos d’objets d’études différents, avec des critères différents, ancrés dans des disciplines différentes, cohérence issue de la cohérence de l’école observée.
21Face au problème de l’invariance des sujets observés, nous n’avons trouvé que quelques garde-fous limités : la taille de la population servant à la comparaison, la spécification des dimensions sur lesquelles les contrastes entre les MTP nous paraissaient déterminants et, autant que faire se peut, des comparaisons aussi bien avec une population globalisée qu’individualisée (classe par classe). Il n’en reste pas moins vrai que l’invariance des sujets est loin d’être simple à construire…
22Quant aux problèmes posés par l’invariance supposée des sujets chercheurs, on peut s’accorder peut-être à les considérer comme inéluctables, rarement évoqués et méthodologiquement plus intéressants que contestables.
L’invariance des tâches
23Dans nombre de cas, nous avons proposé aux élèves, comme support du recueil de données, des tâches censées être identiques, parce que les mêmes pour tous et proposées aux mêmes « instants » du temps scolaire. Or, ceci tient d’une fiction relative, ici encore, pour de multiples raisons : de contexte (en fonction de ce qui s’est produit avant, dans la classe, l’école ou le quartier….), de relation au MTP (ce qui soulève les problèmes du sens de la tâche et de la recherche d’une distance « équivalente » aux pratiques habituelles), de relation au niveau scolaire (la même tâche, donnée comme nous l’avons fait en production de texte et en mathématiques du CP au CM2 ou en sciences en moyenne et grande section de maternelle n’a pas le même sens à chaque niveau), de relation à la mémoire des élèves (dans le cas d’une même tâche, donnée du CP au CM2 par exemple et reproduite chaque année de la recherche, certains élèves s’en souviennent, d’autres pas….) et de relation à la mémoire des maîtres (qui peuvent, plus ou moins consciemment, y préparer les élèves).
24Face à ces problèmes, nos « solutions » ont été les suivantes :
la construction, en amont, de tâches que nous avons estimées également éloignées des fonctionnements ordinaires des classes ; par exemple, le choix de consignes d’écriture a privilégié des domaines de savoir pertinents au regard de la discipline plus que conformes ou proches des pratiques pédagogiques Freinet (texte libre) ou à d’autres pratiques coutumières dans les classes (Reuter, Carra, 2005) ;
une prise importante d’informations quant au contexte ;
des entretiens permettant de revenir sur le sens que les élèves accordaient à la tâche et sur la mémoire qu’ils en manifestaient ;
des retours de recherche, les plus limités possibles, aux maîtres, au moins dans les premières années, quant aux critères que nous mettions en œuvre et quant aux résultats de leurs élèves.
25Il s’agit sans nul doute de solutions réduites, imparfaites et à discuter. Elles présentent néanmoins l’intérêt de ne pas pré-poser l’invariance des tâches.
L’invariance des traitements
26À ces deux premières dimensions s’ajoute – et ce n’est pas le moindre des problèmes – l’invariance postulée des traitements. Le croisement de données différentes produit des connaissances nouvelles, relativement inattendues. Le chercheur est alors amené à réaménager les critères pré-établis ou à leur accorder des valeurs différentes. En effet, lorsque, pour tenter d’analyser des évolutions selon les classes, on donne la même consigne (par exemple, en matière de productions d’écrits : « Décris ton école »), les critères de traitement changent de sens selon les niveaux : ainsi, l’apparition des « il y a » et des « listes » sont en CP des signes intéressants du développement de la compétence descriptive alors qu’à partir du CE2 leur maintien peut être jugé problématique. De même les réponses à la consigne de désigner parmi plusieurs traits, ceux qui forment le symétrique d’une figure, sont à interpréter également en fonction du niveau de l’élève : la désignation d’une forme semblable à la première – au contraire d’une forme symétrique – est interprétée comme une prise en compte intéressante en CP des invariants et au contraire comme une erreur en CM2. Il s’agit alors, dans la construction des résultats, d’intégrer ces variations de sens. De plus, le chercheur peut-être pris dans une tension entre construction par anticipation aussi complète que possible de ses indicateurs et prise en compte de phénomènes partiellement inattendus qui sont le produit de la recherche. C’est le cas lorsqu’on étudie les ressources linguistiques mobilisées par des élèves de moyenne et de grande section de maternelle pour décrire une situation scientifique. En fonction du niveau scolaire les indicateurs changent et certains peuvent apparaître ou disparaître selon les groupes d’âges ou les groupes d’élèves. C’est le cas dans la production d’adjectifs servant une description ou une argumentation.
27Des recueils de données complémentaires et différents (favorisés eux aussi par une durée longue, cette fois du temps de la recherche), comme par exemple des entretiens à propos de récits sollicités, peuvent amener à modifier la valeur accordée à un critère ou à la relativiser en fonction des déclarations des élèves. Ainsi, dans une des consignes que nous avions donnée (« Raconte une soirée que tu as réellement vécue et qui t’a marqué »), nous avions pris comme critères marquant le respect de la consigne : la présence d’un récit, le cadre temporel (la soirée) et la textualisation des émotions. Or, les entretiens révèlent que certains élèves (« Freinet », essentiellement) ont choisi un souvenir qui ne se passait pas lors d’une soirée en fonction d’un calcul quant aux dimensions de la consigne à privilégier, aux intérêts de leur texte et aux attentes du lecteur, estimant par exemple que le souvenir qu’ils retenaient alors était plus marquant pour eux et plus intéressant pour les lecteurs. Cela nous a donc amenés, dans certains cas, à distinguer respect de la consigne et attention à celle-ci et contrôle de la tâche. En d’autres termes, à intégrer – en fonction du croisement des recueils de données – la variation du sens de certains critères comme condition de la pertinence de certaines interprétations…
Conclusion
28Le temps long est à la fois une contrainte constitutive de la recherche centrée sur l’évaluation des effets d’un MTP (se doter d’un temps d’observation et de recueil de données suffisant pour répondre à la question posée) et un objet d’études (repérer les évolutions diachroniques, mettre en évidence des effets-seuils et des effets-plafonds).
29Dans notre proposition, les contraintes imposées par le temps long d’une telle recherche sont construites comme un objet d’étude méthodologique. Nous avons voulu montrer qu’une recherche longitudinale a besoin de construire des invariants auxquels se référer pour mettre en évidence les évolutions qui constituent son objet d’étude, et que ces invariants sont plus variables qu’on ne le pense, parce qu’ils sont eux aussi soumis au temps.
30Trois séries d’invariants ont été mis en évidence : les sujets, les tâches et les critères de traitement des productions d’élèves. Il est difficile de penser que les sujets (maîtres, élèves ou chercheurs) ne sont pas soumis au temps, et pourtant les recherches, pour identifier des évolutions, posent que les pratiques des maîtres et les groupes d’élèves témoins sont relativement stables et homogènes. Pour aller plus loin dans les spécificités didactiques des contraintes temporelles, les tâches, même pensées identiques par le chercheur, sont soumises à quantité de variations temporelles du côté des élèves (dans quel contexte de travail la tâche apparaît-elle ? A-t-elle le même sens selon les niveaux scolaires ? etc.), ce qui en modifie le sens ; d’autre part, les réponses des élèves à ces tâches, même semblables apparemment, ne peuvent être soumises à la même interprétation selon leurs niveaux dans le cursus, ou selon les types d’information dont le chercheur dispose sur le sens que mettent les élèves dans cette tâche et les choix qu’ils ont faits pour l’effectuer.
31La prise en compte de ces variations dans l’interprétation des résultats de la recherche permet de se garantir d’une illusion techniciste, et contribue à spécifier les recherches didactiques.
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Notes de bas de page
1 Nous remercions tout particulièrement Dominique Lahanier-Reuter et Bertrand Daunay pour leur contribution à l’élaboration de cette communication
2 Nous reprenons cette notion à Lesne (1979).
3 Les guillemets qui encadrent « Freinet » tout au long de cette contribution signalent d’un côté que les modalités pédagogiques mises en place se réclament du corps de principes construit par Célestin Freinet et, de l’autre, qu’il ne s’agit que d’une actualisation singulière de ces référents.
4 Il s’agit de textes descriptifs qui ont été les seuls à être proposés dans toutes les classes de l’école élémentaire (Reuter 2007, à par.)
5 Ces tâches d’écriture ont été proposées uniquement aux classes de CM1/CM2 (Reuter 2007, à par.)
6 Récits sollicitant le vécu et récits sollicitant l’imaginaire
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Questions de temporalité
Ce livre est cité par
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Questions de temporalité
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