Variations des indicateurs dans une recherche longue : objets d’étude ou contraintes à gérer ?
p. 31-34
Texte intégral
1Dans cette introduction, il s’agit de mettre en lumière quelques questionnements méthodologiques que suscitent, dans une recherche longue, les variations des indicateurs ainsi que la manière dont les chercheurs se positionnent par rapport à ces variations. Nous traitons ce sujet à travers la lecture des trois articles qui suivent, à savoir : la question de l’invariance dans des recherches menées sur des temps longs (C. Cohen-Azria et al.) ; le temps immobile de la recherche (C. Scheepers) ; l’après coup en didactique de l’EPS : procédures et effets (A. Terrisse).
Le choix d’une temporalité longue
2En amont de la question des indicateurs, se pose celle du choix d’une temporalité longue. En effet, dans certaines recherches ce choix est dicté par la durée du processus observé. C’est le cas de la recherche de C. Scheepers qui a accompagné une même cohorte d’instituteurs tout au long de leur formation initiale, trois ans. Son objectif est d’expérimenter et d’analyser un dispositif de recherche-formation visant la constitution d’une communauté « d’enseignants-chercheurs » en devenir. C’est le cas également de la recherche présentée par C. Cohen-Azria et al. qui analysent les effets du mode de travail pédagogique alternatif (Freinet) en suivant un ensemble d’élèves pendant leurs cinq années de scolarité à l’école élémentaire. Ainsi, dans ces deux cas le recours à une temporalité longue paraît comme allant de soi, contrairement à des recherches où le choix est directement lié au parti pris sur les plans théorique et méthodologique. C’est le cas de la recherche d’A. Terrisse où il s’agit de recueillir des données à propos d’une séance (l’avant, le pendant et l’après), mais également de réaliser un entretien « d’après-coup » avec l’enseignant, c’est-à-dire longtemps (deux ans) après que la séance s’est déroulée. Les deux temporalités mises en évidence dans cette dernière recherche nous amènent à poser une question d’une portée plus générale : à partir de quand parle-t-on de temporalité longue sachant que celle-ci peut être très relative selon les objets et les buts de la recherche ? Par conséquent toute recherche en didactique n’est-elle pas une recherche « longue » ? Ne s’agit-il pas uniquement du choix de la valeur de l’unité de mesure ?
3Au sein de ce questionnement sur le choix de la temporalité, la question des indicateurs semble cruciale : certains indicateurs semblent plus sensibles aux divers choix de temporalité, leur variation nécessite d’être gérée, soit en limitant ses effets soit en la transformant en objet d’étude.
Les recueils de données : multiplicité et conséquences
4Plusieurs types temporels de relevés peuvent être utilisés dans une recherche longue : de début et de fin, ou selon des coupes plus ou moins proches et plus ou moins nombreuses, ou encore à intervalles réguliers durant le temps de la recherche, ou enfin selon une observation en strict continu.
5Comment gérer la multiplicité des données à recueillir et à analyser ? Le type d’indicateurs varie-t-il en fonction du type de relevés ? Les auteurs semblent sensibles à ces questionnements et tentent d’y apporter des réponses variées. Nous citons à titre d’exemple, C. Scheepers qui explicite son choix méthodologique de « tout archiver et de tout regarder, mais de hiérarchiser les traces recueillies, tout en faisant varier la finesse du grain d’analyse ». Elle structure les traces recueillies par rapport à ce qu’elle appelle les données « nodales » autour desquelles s’ordonnent des traces jugées secondaires.
6Le choix de structuration des données amène sans aucun doute une certaine stabilité des indicateurs liés à ces données. Cependant, une structuration faite à un moment de la recherche peut, en fonction de l’avancement des analyses, évoluer vers une nouvelle structuration qui impliquerait une nouvelle gestion des indicateurs. Entre désir de stabilité et prise en compte des distorsions, les évolutions demandent donc un suivi attentif.
Les sujets étudiés : entre variation et invariance
7Les recherches en didactique portent en premier lieu sur des systèmes (enseignement, formation) impliquant des sujets assujettis à des évolutions cognitives et parfois aussi identitaires. Ces bougés chez les sujets sont dans certains cas favorisés et accompagnés, ils représentent donc pour le chercheur un objet d’étude en soi. C’est le cas par exemple dans la recherche de C. Scheepers qui tente d’identifier et d’analyser les différents moments dans le phénomène de changement de posture chez les instituteurs engagés dans le dispositif expérimental.
8Certaines recherches, notamment celles sur les pratiques enseignantes, partent d’une hypothèse d’invariance de certains facteurs chez les sujets étudiés, pour essayer de comprendre les cohérences ou les stabilités repérées dans leur activité, ou bien pour accéder aux causes de certaines décisions « a rationnelles » observées dans cette activité. Ce dernier cas est ce que présente A. Terrisse dans son article en partant du fait que ce type de décisions constitue une réalité de la pratique quotidienne en EPS. La méthodologie de l’après coup permet ainsi de faire expliciter à l’enseignant des raisons privées, « déjà là », liées à sa propre expérience, et qui l’ont conduit, à un moment donné, à effectuer une modification de l’objet de savoir, modification non prévisible et non justifiée par une contrainte didactique.
9Le temps long permet aussi, dans d’autres recherches, des comparaisons d’évolutions ou d’états, dans la même population ou dans des populations différentes. Nous pouvons alors poser la question des conditions de pertinence pour ces comparaisons, sachant entre autres choses :
qu’un indicateur, sans même être l’objet de variations, peut, dans des conditions différentes, être l’indice de phénomènes différents ;
que les populations peuvent avoir des rythmes de variations très divers ;
que la comparaison de populations peut influencer la conception des indicateurs relatifs à la population de départ.
10C. Cohen-Azria et al. avancent à cet effet que le temps long est révélateur de variations impliquant certains problèmes, comme celui de l’homogénéisation des formes du travail pédagogique ou celui de l’homogénéisation des résultats. Même en tentant de mettre quelques « garde-fous », ils soulignent que l’invariance des sujets est loin d’être simple à construire.
11Nous terminons ce paragraphe par des questions davantage liées au fait que la recherche longue est aussi une affaire de relations humaines. Comment ménager d’un point de vue méthodologique le contrat avec les acteurs observés (notamment dans le cas d’une recherche impliquée) ? Quels effets sur les chercheurs et sur les sujets étudiés ? Quelles traces en garder dans les analyses et les résultats de la recherche ?
Les indicateurs et leurs variations : vers des questions ouvertes
12Le temps long de l’observation longitudinale conduit, en diachronie, à l’observation et l’étude d’évolutions. Ces évolutions, parfois imprévisibles, amèneraient inévitablement à modifier, perfectionner, compléter ou restreindre la liste des indicateurs au fil du temps, faut-il le faire ? Comment diriger rationnellement, de manière cohérente et opérationnelle l’évolution éventuelle du nombre et du contenu des indicateurs ? Cela ne contraint-il pas d’emblée à une observation et une glane complète, toujours délicate, du plus grand nombre d’informations qui pourraient correspondre à des indicateurs futurs ou à un réaménagement des indicateurs initiaux ?
13En partant de l’hypothèse que les indicateurs sont dynamiques, donc sujets à des variations, ne faut-il pas construire des outils de mesure de ces variations et également observer les invariances éventuelles et leurs causes ?
14À propos d’une étude longitudinale on est amené à distinguer quatre types de temporalité : celle de la conception de la recherche, celle du recueil des données, celle de traitement des données et celle de diffusion des résultats. Ces différentes temporalités, et notamment les deux dernières, amènent-elles les questions guides de la recherche à évoluer en fonction de facteurs externes ? Citons par exemple le développement des cadres théoriques, l’élargissement de la littérature diffusée, etc.
Auteurs
IUFM du Nord Pas de Calais, Équipe DIDIREM (EA 1547)
IUFM du Nord Pas de Calais, équipe théodile (EA 1764)
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