La prison des mots et des passions. L’itinéraire d’un médiéviste
p. 133-170
Texte intégral
1. Un itinéraire rectiligne
1Arrivé aux dernières pages de son livre sur Hildegarde de Bingen, Sylvain Gouguenheim regrette que « le grand public découvre » aujourd’hui cette grande figure du monde médiéval « au travers d’ouvrages qui ne répondent pas toujours aux exigences scientifiques souhaitables en pareil domaine. » Il en déduit quelques lignes plus loin que : « Les conditions d’un divorce entre le monde des historiens et celui des amateurs sont recréées. »1 Deux genres de livres d’histoire sont ainsi posés, chacun d’eux ayant, sur le même sujet, ses auteurs et son public. Ces citations sont extraites d’une thèse dirigée par un des meilleurs spécialistes de l’histoire religieuse médiévale, André Vauchez2 et le livre ainsi sollicité a été précédé d’articles sur le même thème, parus dans des revues spécialisées, Hagiographica et la Revue Mabillon3 : le signataire de cet ensemble de travaux n’appartient manifestement pas au monde des amateurs.
2Franchissons les années. Le récent livre du même historien, Les chevaliers teutoniques, a suivi un cheminement savant encore plus marqué qu’Hildegarde : il adapte une HDR, Par-delà le pape et l’empereur. L’Ordre teutonique en Prusse dans la première moitié du XIIIe siècle, soutenue en 2003, dont le président était André Vauchez, déjà nommé, et le rapporteur, un médiéviste spécialiste du monde germanique, Michel Parisse ; et il a été également précédé par des travaux d’érudition que le signataire a fait paraître non seulement dans des revues spécialisées, mais aussi, cette fois, dans les actes d’un colloque de la SHMES et dans un volume de Mélanges offert au rapporteur de sa HDR.
3Entre ces deux ouvrages, se placent Les fausses terreurs de l’an mil dont la thématique s’apparente en partie à celle de La Sibylle du Rhin et qui, là encore, s’est accompagnée d’un article paru dans une revue spécialisée et d’une contribution à un colloque. Toutes ces publications posent l’auteur en médiéviste spécialiste du monde germanique. Ses compétences en ce domaine ont été reconnues : il a participé à un ouvrage de synthèse sur l’Allemagne médiévale et a donné des contributions de germaniste à des dictionnaires consacrés au Moyen Âge.
2. Le dérapage : « l’amateurisme d’un professionnel »
4Et voici que, dans cet itinéraire balisé et honorable d’une quinzaine d’années, l’auteur ouvre tout à coup un nouveau champ de recherches. Sans fréquenter les lieux où s’élabore le savoir de cet autre champ, sans s’embarrasser d’esquisses ou de travaux préalables, comme il l’avait fait pour ses précédents ouvrages, il publie dans une collection réputée pour son sérieux un ouvrage ambitieux de 280 pages qui, consacré à la formation de la culture de l’Europe médiévale latine, est censé établir que les « racines » d’une Europe définie comme chrétienne sont grecques. Pourquoi pas ? Sauf que, pour un historien qui avait jusqu’ici respecté les exigences de sa discipline, il se met d’emblée dans une position inconfortable : nouveau venu dans ce champ d’études, il prétend être en mesure de rectifier les résultats que les spécialistes y ont obtenus depuis des décennies. Pour mémoire, et dans un ordre d’idée quelque peu différent de celui annoncé par le sous-titre de l’ouvrage : ce sommet de la culture qu’est la raison grecque a travaillé en profondeur et sans discontinuité le monde médiéval latin, alors qu’en contraste il n’a fait qu’effleurer un monde arabo-islamique rétif aux productions rationnelles. La conclusion a le tranchant d’un couperet : les écrits arabophones n’ont pas eu d’incidences majeures sur la vie intellectuelle des médiévaux latins du XIIe siècle – terme de son « enquête » et période par excellence des traductions médiévales, qu’elles soient gréco-latines ou arabo-latines. Est-ce qu’entre-temps, il n’a pas oublié l’écart qu’il soulignait naguère et qui sépare dans la pratique historienne le monde des professionnels de celui des amateurs ? Je n’insiste pas sur la démonstration de son récent amateurisme et renvoie sur ce point, en plus des contributions rassemblées ici aujourd’hui, aux études déjà publiées ou à paraître4. À ceci près qu’au regard de son cursus, nous avons affaire à « l’amateurisme d’un professionnel » et que cet oxymore se charge de connotations particulières. L’historien qui s’abandonne à ces facilités se rend coupable, comme tous les amateurs, d’insuffisances, mais il est aussi animé, ce qui n’est pas le cas de l’amateur au sens strict, d’intentions inavouées : le renoncement à la méthode qu’il possède ne peut pas ne pas avoir une signification intrinsèque.
5Pour expliquer son dérapage, il serait possible de formuler une première hypothèse : il aurait jugé que ses confrères arabisants5 n’étaient en quelque sorte que des amateurs et qu’il lui incombait, à lui, nouveau venu dans ce champ des études médiévales, la lourde mais exaltante tâche de les ramener dans le bercail du professionnalisme. Sa méconnaissance du dossier est trop flagrante pour qu’il soit besoin d’insister sur cette supposition. Il n’en reste donc qu’une seconde : son récent amateurisme trahit la hâte de celui qui, pour des raisons qui restent à déterminer, met a priori en cause l’orientation prise par les travaux des spécialistes. Je reviens largement sur ce point par la suite. Pour l’instant, je veux souligner que son manque de qualification dans la défense et l’illustration d’une thèse qui se veut originale ruine le principal argument qu’il a par la suite avancé dans des interviews pour s’opposer à la levée de boucliers que la médiocrité et l’arrogance de son Aristote ont provoquée. À l’entendre, il a voulu porter à la connaissance du grand public des travaux érudits à la diffusion confidentielle6. En se soumettant aux questions d’un journaliste, Gouguenheim est assuré d’aborder différents sujets – les conditions de professeur, de chercheur, d’éditeur, etc. – avec les mesquineries qu’en pareil cas l’interrogé en difficulté prête à ses confrères tandis qu’il en est miraculeusement exempt. Il évite par ce biais d’entrer dans le vif du sujet : la qualité du savoir qu’il produit. Il convainc d’emblée ceux qui, par leur condition, sont plus à même de comprendre les conditions réservées au savoir que le savoir lui-même : tandis qu’ils comprennent tout de suite celles-là, ils ne peuvent pénétrer instantanément dans les arcanes de celui-ci. Ce genre d’entretiens relève probablement d’un « plan média » préparé, avec toutes les précautions nécessaires, avec l’aide d’un homme de loi. Est-il besoin de rappeler que le vulgarisateur, puisque vulgarisateur il doit y avoir, a non seulement assimilé le dernier état du savoir sur le thème qui le retient, mais qu’en plus, il n’en trahit pas le fond bien qu’il en simplifie l’accès ? Il ne lui revient pas d’établir le nouveau paradigme de la discipline à laquelle il apporte occasionnellement sa contribution.
6L’ambiguïté des entretiens dont je viens de parler affleurait déjà tout au long de son livre. Je n’en prends qu’un exemple. Il déclare qu’avec son Aristote, il a voulu : « donner à un public aussi large que possible, en dépit de leurs aspects techniques ou érudits, des éléments d’information et de comparaison issus des travaux de spécialistes, souvent peu médiatisés » ; non sans ajouter aussitôt : « Mon intention n’est pas polémique, sauf à considérer comme tel le souci de réfuter des discours faux. »7 Faut-il comprendre que les spécialistes, ces mines de savoir, tiennent des discours faux ? Et qu’il appartient à l’amateur de repérer ces erreurs pour les réfuter ? Le propre de Gouguenheim est de ne jamais choisir entre ces deux propositions. Sur le sujet de son livre, il ne veut pas être un spécialiste, ni davantage un amateur. Il se croit « simplement » doué de préscience : il connaît la vérité d’un dossier avant d’avoir examiné les pièces qui le constituent. Il n’a pas à maîtriser la documentation réunie par les spécialistes ni à démonter patiemment l’argumentation de ces derniers : il est par définition l’homme qui, en fonction de sa préscience, est « naturellement » apte à séparer le bon grain de l’ivraie dans les travaux des spécialistes. En somme, il incarne un des avatars du Savoir absolu à l’ère du consumérisme.
7Gouguenheim a rencontré dans son entreprise pseudo-démystificatrice l’appui de deux grands titres de la presse quotidienne, plus sensibles à son statut professionnel qu’à l’amateurisme de ses propos, plus séduits par le contenu de sa thèse que convaincus par la solidité de sa démonstration ou la pertinence de ses preuves. Par l’intermédiaire des plumes de Roger-Pol Droit et de Stéphane Boiron, dont les compétences de médiéviste ne sont pas aveuglantes, Le Monde et Le Figaro l’ont soutenu avec l’ardeur des néophytes8. L’épisode illustre à merveille les pages qu’Antoine Prost a consacrées au « double marché de l’histoire » et aux parasitages de la recherche par les médias9. Il ne faut pas s’étonner de la vigoureuse contre-attaque des chercheurs aussi inconsidérément mis en cause10, laquelle a été suivie par une curieuse effervescence dans la blogosphère. Aux yeux d’un public qui, au-delà de la polémique du jour, n’avait pas en main les pièces essentielles du dossier et n’était pas à même d’en saisir les tenants et les aboutissants, Gouguenheim devenait un intrépide Tintin au pays des Soviets. Il était l’innocent livré aux griffes de faux savants, tout entiers tendus vers un objectif unique : sacrifier ce chef-d’œuvre de la culture qu’est l’« Europe helléno-chrétienne » sur les autels des hordes islamiques, autrement dit de la barbarie du XXIe siècle.
8Je ne m’étends pas sur ces semaines de remue-ménage. Tout au plus mentionnerai-je l’entretien donné par Gouguenheim à Christine Tasin dans Riposte laïque11, en notant que la journaliste affiche son appartenance au Mouvement républicain et citoyen présidé par Jean-Pierre Chevènement12. En dépit de la qualification de la Riposte où elle travaille, Christine Tasin admet celle de l’Europe que son interviewé propose et, sans désemparer, elle rapproche « le lynchage » dont, à l’en croire, il est l’objet, d’affaires qui ont défrayé ces derniers temps la chronique : celle de Robert Redeker, celle des caricatures de Mahomet, celle d’Olivier Pétré-Grenouillot… Excusez du peu : les exigences de rigueur que les critiques de Gouguenheim mettent en avant sont parées des oripeaux de l’obscurantisme ; et l’amateurisme de l’auteur d’Aristote au Mont-Saint-Michel devient le parangon de la vérité. Ce renversement des positions trouve son achèvement chez un compagnon de route du même Jean-Pierre Chevènement, Max Gallo. À suivre l’académicien, Sylvain Gouguenheim a eu le courage de s’opposer à la doxa universitaire13. Par une étrange inversion, les tenants d’« une Europe helléno-chrétienne culturellement pure » réduisent à de l’opinion la recherche menée à l’Université et au CNRS et placent la science du côté de celui qui, pour les connaisseurs et dans les présentes circonstances, est, au mieux, un amateur. Comment en est-on venu à ce paroxysme d’incohérence ?
9Ce même académicien fournit la clé de l’énigme en en dévoilant bien malgré lui l’arrière-plan. Écrivain prolixe, il a signé un pamphlet dont le titre claque comme la profession d’une foi qu’il estime de nos jours en passe de disparaître, Fier d’être français14. Pourtant, quel historien travaillant sur l’histoire de la France n’a pas établi des rapports singuliers avec l’objet de son étude ? Ce qu’il ressent va bien au-delà de la fierté, même si elle n’en est pas absente. C’est un sentiment de proximité, de familiarité même, avec un héritage qui participe à la constitution de sa propre identité15. Au lieu de quoi, Max Gallo, tout à sa complaisance, confond fier d’être français et faire le fier d’être français : « Il est temps, écrit-il, de redresser la tête et de hausser la voix, de monter sur le ring et de boxer à la française »16 ! Ses propos sont à l’avenant. Il morigène « la veulerie de ses élites (celle de la France) »17 « devenues les pédagogues du renoncement »18 et qui, « corrompues »19, se complaisent dans la « capitulation »20. Pour décrire la diffusion dans le corps social de choix aussi délétères faits au plus haut niveau, il ne se contente pas de parler de « la lâcheté des commentateurs »21. Il remet en circulation le néologisme sémantique que Voltaire avait créé dans Candide pour désigner et dénigrer les journalistes et les écrivains médiocres, « les folliculaires »22 ; il ne s’aperçoit pas qu’en faisant dériver le latin folliculus de folium, « la feuille », et non de follis, « le sac »23, ce maître des Lumières s’inscrit dans la lignée d’Isidore de Séville… Je ne suivrai pas l’académicien dans ses dérapages linguistiques ni dans ses exhibitions pugilistiques.
10Cependant, en claironnant ce que Gouguenheim se contente de traiter mezza voce, il communique à certains passages de celui-ci une résonance particulière : « L’autodénigrement n’est pas absent des critiques adressées à la chrétienté médiévale ; on y trouve aussi parfois (souligné par moi) des éléments volontairement démoralisateurs, dont la diffusion est utilisée à des fins politiques plus mortifères que constructives. » Ou encore : « On méconnaît souvent (souligné par moi), ou l’on dévalorise, le passé européen tandis que l’on vante celui de l’Islam. »24 « Autodénigrement », « démoralisation », « fins politiques mortifères », « méconnaître », « dévaloriser » : je ne connais aucun médiéviste arabisant actuel dont la recherche pourrait être décrite avec les mots empruntés à ces champs lexicaux calamiteux. Or, Gouguenheim les y parque tous, en dépit des tonalités quantitatives qu’il introduit dans ses propos. Les adverbes « parfois » et « souvent » utilisés pour dénoncer la même dérive sont pris dans des acceptions trop différentes pour ne pas remplir une fonction autre que rhétorique. Pour connaître le fond de la pensée de l’auteur, il faut les éliminer des phrases qu’ils nuancent inégalement.
11L’académicien et l’universitaire défilent donc sous une bannière commune, même s’ils ne marchent pas au même rythme25. Et s’il n’y a rien à attendre des roulements de tambour du polémiste, on aurait pu espérer que son partenaire de parade dépasserait les allusions désobligeantes et justifierait ses jugements par l’analyse des textes qui, selon lui, seraient si pitoyables. Au lieu de faire cette mise au point, il consacre une annexe de son livre au Soleil d’Allah qui, aux dires de Sigrid Hunke, illumine l’Occident, alors que les élucubrations de cette fanatique obscurcissent la recherche médiévale. Même un journaliste acquis à la cause des Racines grecques de l’Europe chrétienne, a trouvé choquant ce complément26. Pour ma part, je considère qu’il réalise une plongée dans les égouts de l’édition et les bas-fonds de l’intelligence et qu’un tel avilissement est indissociable du projet de Gouguenheim. Il s’en prend dans cette même annexe à Lluís María de Puig et à Edward Said. Il suggère par là que les délires d’une nationale-socialiste sont de même nature que le rapport d’un parlementaire européen soucieux d’un enseignement de l’histoire adapté aux temps présents, d’une part,27 et, de l’autre, que la dénonciation de la collusion de l’orientalisme avec le colonialisme formulée par un universitaire palestinien conduit, par le tohu-bohu de l’histoire, à faire carrière aux États-Unis28. Mais fidèle à sa manière, Gouguenheim opère par simples juxtapositions. Il ne soutient pas formellement ces alliances contre nature ; il les insinue. Il ne se livre pas à une analyse en bonne et due forme ; il se contente de distiller son venin : l’annexe où sont cités Lluís María de Puig et Edward Said s’intitule « L’amie d’Himmler et le ‘soleil d’Allah’ ». Il eut été souhaitable que Gouguenheim, à partir du moment où il cite María de Puig, fasse une présentation du texte qu’il incrimine, outre qu’il aurait pu ne pas se contenter d’en donner les références administratives ; il était utile d’en communiquer aussi l’adresse à laquelle il est aisément accessible29. J’en extrais un passage – le premier paragraphe de l’Introduction de l’Exposé des motifs ; il donne un bon aperçu du reste de l’étude :
« Aujourd’hui tout le monde parle de la nécessité d’un dialogue entre les civilisations, entre les cultures, entre les religions ; et des personnes lient ces dialogues à la prévention du terrorisme. Une pléthore de colloques et conférences se suivent sur cette question. Mais certains font l’erreur de considérer les civilisations comme des blocs homogènes et prétendent qu’un bloc occidental et chrétien fait face à un bloc arabo-musulman. Il est encore plus grave de relier le terrorisme à une quelconque culture ou religion. La réalité est bien plus complexe et beaucoup de cultures et de religions cohabitent, tant en Europe qu’au sud de la Méditerranée. »
12Il faut être malintentionné pour trouver à redire à ces remarques.
13À défaut de mener un examen rigoureux et de proposer des solutions sereines, le pamphlet de l’académicien et les insinuations calomnieuses de l’universitaire mettent le doigt sur l’une des principales difficultés de la société française de notre temps : réconcilier la France du XXIe siècle avec son passé ; faire en sorte que son aventure nationale, grandeurs et bassesses confondues, continue à s’exprimer dans l’actuelle conjoncture européenne et, au-delà, mondiale. J’énonce donc mon hypothèse de travail : avec son Aristote, Gouguenheim a voulu répondre à une crise de l’identité nationale en continuant à pratiquer la discipline où il s’était formé et illustré, l’histoire médiévale. Taraudé par les modalités de la présence française dans la culture mondialisée, il a chaussé des lunettes de patriote français pour écrire, non sur l’Europe médiévale, comme l’aurait voulu son cursus d’universitaire et de chercheur, mais sur une Europe chrétienne, qu’il a forgée à sa convenance, comme je crois le montrer par la suite. Et dans un geste qui est celui du secouriste lançant dans l’urgence à un naufragé une bouée de sauvetage, il a doté de racines grecques cette Europe chrétienne qu’il imagine si injustement calomniée par les arabisants30. Il n’est guère intéressé par la connaissance du grec par les Arabes, ni par celle du grec et de l’arabe par les Latins médiévaux, comme le prouve le nombre d’approximations et d’erreurs qui émaillent son ouvrage, un nombre proprement exorbitant au regard de sa formation et de ses fonctions31.
3. L’historien contre l’histoire
14Ce fervent de l’Europe chrétienne n’est pas à un paradoxe près. Il ignore presque tout du christianisme et de son histoire. Il le réduit à n’être qu’un mot d’ordre, qu’un slogan. Il faut bien reconnaître que les origines du christianisme sont, horresco referens, sémites – sauf à vouloir renouveler la tentative de Marcion de déjudaïser le christianisme et de liquider la notion de double canon qui voit dans le Nouveau Testament l’accomplissement de l’Ancien32. Et il faut le reconnaître avec ces monuments de la chrétienté contemporaine que sont l’École biblique et archéologique de Jérusalem33, le pape Pie XI et son : « … nous sommes spirituellement des sémites »34 et le concile Vatican II avec sa déclaration Nostra aetate. J’extrais deux passages du Préambule de cette déclaration :
« L’Église croit, en effet, que le Christ, notre paix, a réconcilié les Juifs et les Gentils par sa croix et en lui-même des deux a fait un seul. (…) Du fait d’un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux Juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l’estime mutuelles, qui naîtront surtout d’études bibliques et théologiques, ainsi que d’un dialogue fraternel. »35
15Il est affligeant de devoir le rappeler. Jésus est un juif natif d’« une bourgade ordinaire des collines de basse Galilée »36, Nazareth, dont la langue usuelle, et notamment celle de son enseignement, est l’araméen – et plus précisément, pour un spécialiste, une forme galiléenne de l’araméen occidental37 ; Jésus a, si je puis dire, aggravé son cas : il a acquis quelques rudiments d’hébreu biblique en fréquentant la synagogue de son village natal38. Il a tout au plus utilisé dans ses activités d’artisan un grec de type pratique et commercial, qu’il a abandonné lorsqu’il a entamé sa vie de prédicateur39. Les recherches bibliques de ces dernières décennies sont on ne peut plus nettes : le maniement privilégié de l’araméen par Jésus dénote son appartenance à l’une des cultures sémitiques dont cette langue est le vecteur. Je me contente de citer la formule percutante d’un des biblistes qui s’est illustré dans cette voie : « Il est plus correct de voir en Jésus un juif réformateur qu’un archétype de chrétien », avec, pour conséquence de l’élargissement aux Gentils du message initial, ce tour de force imposé aux fidèles dès le premier siècle : « Judaïté de Jésus et nouveauté christologique doivent être pensées dialectiquement. »40 À partir du moment où Gouguenheim prétend qu’il est impossible de transcrire en une langue sémitique, l’arabe, le génie d’une langue indo-européenne, le grec41, il aurait dû généraliser son pseudo-diagnostic et retrouver la même impossibilité dans le circuit linguistique de sens opposé, celui que les apôtres et les évangélistes ont parcouru en diffusant en grec une révélation énoncée initialement en araméen – et énoncée par celui qui, en bonne orthodoxie chrétienne, est le Fils de Dieu.
16En face de Jésus et une génération après lui, se dresse le prêtre Flavius Josèphe, le juif hellénisé par excellence, dont la portée en histoire est, en comparaison, bien moindre. Il appartient au patrimoine de la littérature grecque et incarne pourtant, beaucoup mieux que son devancier, ce que d’aucuns appellent « les racines grecques de l’Europe ». Quant à l’apôtre Paul, il n’est plus depuis longtemps le champion du pagano-christianisme qui s’est dressé face aux tenants du judéo-christianisme selon le schéma que l’hégélianisant Ferdinand Christian Baur avait imaginé au XIXe siècle pour montrer l’heureuse synthèse de ces oppositions dans l’Église de Rome42. L’Apôtre est un de ces nombreux juifs hellénisés du 1er siècle qui n’en voit pas moins dans Jésus la réalisation d’une des grandes figures du judaïsme, étrangère à l’hellénisme, le Messie – un Messie qui, s’il instaure le règne de la Grâce, n’est intelligible qu’en référence à l’ancienne Loi43. Au-delà de ces thèmes différenciateurs, restent les formes et les modèles littéraires par lesquels ils s’expriment. Gilles Dorival conclut la récente synthèse qu’il a consacrée à ce sujet en remarquant qu’ : « Il n’y a pratiquement pas d’écrit chrétien (des premiers siècles) qui ne présente une affinité avec les formes littéraires païennes (donc grecques) et juives. »44 Autrement dit, les premiers chrétiens ont réalisé ce que Gouguenheim décrète impossible pour les penseurs arabes : l’osmose entre une culture d’expression sémite et une culture d’expression indo-européenne.
17Un enseignement se dégage de cet aperçu : il faut ranger dans la catégorie des fictions européocentriques, pour ne pas dire indo-européocentriques des « racines » du christianisme qui seraient exclusivement grecques. Tout au plus pourrait-on se risquer de parler, pour filer la métaphore végétale proposée, du tronc grec de l’arbre chrétien aux « racines » juives45 ; à moins qu’au nom des réalités du greffage, on fasse du judaïsme le porte-greffe ; de l’hellénisme, le greffon ; et du christianisme, la greffe… Reformulé à la lumière de ce savoir-faire d’arboriculteur, le sous-titre d’Aristote au Mont-Saint-Michel deviendrait Le greffon grec de l’Europe chrétienne. En gagnant en précision, ce genre de métaphore perd en intelligibilité.
18Il est à première vue étrange que l’auteur d’un livre remarqué sur les chevaliers teutoniques ait fait l’impasse sur la langue maternelle de Jésus : cet ordre religieux trouvait l’une des justifications de ses combats dans la révolte qui a secoué la Judée au IIe siècle av. J.-C., celle des Maccabées en guerre précisément contre l’hellénisme. En 1209, le pape Innocent III établit entre les teutoniques et les Maccabées un parallèle, qui est repris en 1221 par son successeur, Honorius III. Eux-mêmes se font appelés les novi Maccabei dès 1212 et la lecture des livres des Maccabées fait partie de leurs lectures spirituelles46. Proches d’eux, du moins dans un premier temps, se trouve l’ordre des hospitaliers, qui surenchérit : à les entendre, leur ordre a été créé par les Maccabées eux-mêmes47... Les teutoniques, et encore plus les hospitaliers, se sont donné des « racines » sémitiques avec la bénédiction papale. Une pareille filiation, loin de diminuer leur ardeur de croisés, l’a amplifiée. Elle démontre par l’absurde la sottise de ces classifications linguistiques quand elles sont conçues comme des sources d’antagonismes irréductibles : au temps des croisades, teutoniques et hospitaliers, sémites d’adoption, ont combattu des sémites de souche. Mais il est vrai qu’au final leur vainqueur fut un chef de guerre d’origine kurde, donc indo-européenne, le fameux Saladin48 ! Examinée à l’aune de ces critères linguistiques, l’histoire devient une pantalonnade.
19Un siècle et demi après l’insurrection maccabéenne, à l’époque de Jésus donc, les tensions entre l’hellénisme et le judaïsme étaient toujours vives ; elles s’étaient de surcroît compliquées avec la soumission du royaume de Judée à une Rome expansionniste49. Cette nouvelle venue a obligé les autochtones à redéfinir leur identité en en dissociant les niveaux d’expression (politique, religieux, culturel)50. Sans m’étendre sur ce sujet, j’adopterai un instant le point de vue de Gouguenheim, en rappelant quelques faits de langue ignorés de son ouvrage. Selon les Actes des Apôtres : « C’est à Antioche que, pour la première fois, les disciples reçurent le nom de ‘chrétiens’. »51 La ville a beau être hellénophone, la forme christianoi est d’une grécité douteuse au regard des normes classiques. D’une part, le suffixe – ianus est latin ; d’autre part, le radical christ- ne renvoie pas au nom d’une personne, comme le voudraient les règles de composition classiques pour indiquer une affiliation, mais à un titre, le Messie, qui, en araméen mešîhā, hébreu māšîah, signifie celui qui a reçu l’onction, en l’occurrence, ici, l’onction divine. Le grec dispose du verbe khríein, « effleurer », « enduire » mais, dès lors que la cérémonie d’onction n’appartient pas à la tradition de cette aire linguistique, ó Khristós, le Messie, ne peut se comprendre que comme « le Pommadé » et oí khristianoi comme « les pommadéistes »52 ! C’est la force des chrétiens des premiers siècles que d’avoir repris à leur compte ce sobriquet pour en faire un titre de gloire si éclatant qu’un agrégé d’histoire en oublie au XXIe siècle l’origine. Plus rapidement : en 381 le concile œcuménique de Constantinople décerne à la ville où il s’est réuni le titre de « nouvelle Rome »53 ; et l’Empire byzantin s’est appelé pendant toute la durée de son existence l’« Empire des Romains » - endonymie dont le Coran se fait l’écho54. Enfin, la désignation grecque de la fête chrétienne par excellence, paskha, est un calque de l’araméen pashā’, qui lui-même reprend l’hébreu pèsah. Autrement dit, aux premiers siècles, Jérusalem, Athènes et Rome en sont rapidement venues à mêler des éléments de leurs cultures à ceux d’un christianisme en voie de formation, même si, dans le droit fil du combat des Maccabées, « Hellène » a été synonyme de « païen » et « hellénisme », de « paganisme »55. Un historien averti devrait s’y reprendre à deux fois avant de parler « des racines grecques de l’Europe chrétienne. »
20Mais, réflexion faite, le travestissement hellénique du christianisme originel et l’impasse sur la complexité identitaire de l’Empire byzantin corroborent ma lecture du dernier livre de Gouguenheim : il marque, au regard des précédents, une régression méthodologique qui aboutit au pire amateurisme. Les impératifs scientifiques qui l’avaient guidé dans ses travaux antérieurs ont cédé la place aux constructions idéologiques. Puisqu’il fait des familles linguistiques un facteur discriminant dans l’histoire des cultures56, il est bien obligé d’occulter les commencements du christianisme et de taire la translatio linguae d’est en ouest, puis, plus tard, la translatio imperii d’ouest en est dont ils ont été le cadre : il fait comme si le christianisme naissant parlait une seule langue, un grec fantasmé, c’est-à-dire dépourvu de paganisme, de latinisme et de sémitisme. Il peut ainsi mettre en avant cette autre fiction indo-européocentrique, la thèse d’une opposition radicale de l’aire islamique à l’hellénisation sous les Abbassides.
21Si le Gouguenheim d’Aristote au Mont-Saint-Michel n’accorde qu’un intérêt distrait aux débuts du christianisme et un intérêt à peine plus marqué à la connaissance du grec des médiévaux arabes et latins, à quel mobile a-t-il obéi pour concevoir et réaliser ce livre, en le mettant à l’enseigne des Racines grecques de l’Europe chrétienne ? Sous couvert d’étude médiévale, et sous prétexte d’examiner les rapports de l’Islam avec la chrétienté, il est bien le personnage que j’évoquais plus haut, celui que tourmente une identité de la France et, au-delà, de l’Europe, qu’il juge aujourd’hui gravement menacée. Comment n’aurait-il pas été entendu avant même d’avoir été lu par un des chantres d’un Occident « sans frontière » identifié à « une modernité en constante évolution »57 ? Comment n’aurait-il pas été suivi par certains de nos compatriotes qui vivent douloureusement l’érosion du « socle républicain égalitaire », centralisateur, « autoritaire et guerrier », qui, depuis la naissance de la IIIe République et jusqu’à l’épopée gaulliste, a unifié la diversité française58 ?
4. Les mots et les concepts
22Arrivé à ce stade, il convient d’aborder le problème épistémologique auquel j’ai fait allusion à plusieurs reprises, celui que pose l’usage du mot « racine » pour désigner ce qui est estimé être l’origine d’une formation historique. Gouguenheim lui-même exprime des réserves sur un tel usage, bien qu’au final il s’y rallie.59 Même s’il estime « trop imagée et imprécise » la métaphore de la racine, même s’il estime ce terme « insatisfaisant », force est de constater que, d’une part, il le juge indispensable à l’historien, sous peine d’« une impasse scientifique » ; et que, d’autre part, il ne fait même pas l’effort d’en rechercher un meilleur. En dépit de sa circonspection, il n’ouvre pas une enquête afin de savoir si ses prédécesseurs n’ont pas également ressenti une gêne devant un tel usage et si, à partir de là, ils ne se sont pas montrés plus créatifs que lui en proposant un mot mieux adapté à l’expression des continuités historiques. Son manque de curiosité pour les éventuelles prospections lexicales de ses confrères conforte l’intégration, au sous-titre du livre, du mot trouvé pourtant litigieux dans le corps de l’ouvrage. Que valent ses hésitations si ce mot litigieux est finalement élevé au rang d’emblème ? Ses réserves ne sont finalement qu’une de ces roueries dont il est coutumier. Il poursuit :
« Le thème des racines vient ainsi rencontrer celui de l’identité. L’historien ne doit pas hésiter à distinguer ce qui fait la spécificité de telle culture, de telle civilisation. C’est peut-être même l’un des buts et des intérêts profonds de sa démarche… (…) Nier la notion d’identité – issue presque inévitable si l’on rejette les racines – introduit une confusion entre des phénomènes distincts et entrave la réflexion. (…) Les identités culturelles sont, comme tous les autres objets d’étude de l’historien, à déceler, à établir, à construire à partir des sources, des traces, des témoignages laissés par les sociétés. »60
23Ainsi la notion de racine devient le préalable obligé pour admettre celle d’identité. « Racine » et « identité » forment un couple dont la négation rendrait impossible la pratique historienne (je ne tiens pas compte de son « presque inévitable » qui relève de l’afféterie). L’historien est décrété être « un spécialiste d’identités » ; il obtient ce précieux sésame et en fait son objet privilégié d’étude grâce à l’existence de « racines ».
24Je m’en tiens pour l’instant au mot « racine ». Gouguenheim n’est pas le seul à s’en servir dans le sens indiqué. Il suffit de se rappeler des polémiques pas trop anciennes qui ont fait l’actualité lors de la rédaction du préambule du Traité établissant une Constitution pour l’Europe : ce qui était en jeu était la présence de l’adjectif dans l’expression « les racines chrétiennes de l’Europe », non la validité du substantif ainsi qualifié. Dans la version définitive du Traité, l’expression controversée a cédé la place aux « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe »61 sans que la disparition du mot « racine » puisse être attribuée à une méfiance à son endroit, si du moins on lit le résumé, lapidaire à souhait, des débats qui ont conduit à cette modification62.
25D’honorables historiens utilisent eux-mêmes le mot « racine », comme le montrent les livres de biblistes cités à la note 45 ; ne pratiquant pas leur discipline, je ne peux m’appuyer sur eux pour tester la validité de cet usage. Je ne peux pas davantage m’appuyer sur le livre de Gouguenheim, auquel je conteste l’appartenance au genre historique, du moins tel que les spécialistes le pratiquent. J’en choisis donc deux autres, écrits par des médiévistes fidèles, eux, à leur formation et à leur discipline Les racines de l’Europe de Michel Rouche et Les racines chrétiennes de l’Europe de Bruno Dumézil63.
26Les deux auteurs procèdent en historiens. À les lire, les enchaînements qui conduisent d’un état socioculturel initial à un état final, du VIe au IXe siècle pour l’un, du IVe au VIIIe siècle pour l’autre, ces enchaînements n’ont rien de nécessaire. Et c’est bien là que le bât blesse. L’unité religieuse de l’Europe occidentale des VIIIe et IXe siècles n’était pas inscrite dans les événements des siècles antérieurs ni dans les attitudes religieuses adoptées précédemment. Elle résulte d’une série de choix de natures fort diverses – actions missionnaires, prêches, négociations politiques, ralliements diplomatiques, alliances matrimoniales, aléas des guerres, législation, conversions - dont le champ d’application s’est progressivement restreint, pour engendrer finalement un ensemble historique inédit où les livres fondateurs du christianisme, compris à la lumière du magistère romain en voie d’affermissement, ont occupé une place centrale.
27Il est clair qu’à parler strictement, le mot « racine » ne rend pas compte des conjonctures qui se sont succédées au cours de ces segments d’histoire : une suite de choix s’y sont opérés, où la contrainte, la liberté et le hasard se mêlent dans des proportions variables. Ces enchaînements ne relèvent aucunement d’une croissance végétale, pour qui, faut-il le rappeler, le type de fruits est inscrit dans celui des racines. Ou, en délaissant la facilité des métaphores au profit de la fermeté du langage analytique : un antécédent n’a pas en histoire un conséquent mais une gamme de conséquents virtuels. Le conséquent effectif ne découle pas linéairement d’un antécédent ; il est médiatisé par un réseau d’intelligences et de volontés, qui, d’un ensemble de possibles, en choisit un, plus ou moins confusément, et le fait exister avec plus ou moins de bonheur. Quand le processus qui conduit d’un antécédent à un conséquent défini est parvenu à son terme, on peut parler de causalité, à ceci près que le passage de l’un à l’autre a connu une phase d’indétermination, où plusieurs conséquents étaient en concurrence. S’il y a une causalité en histoire, elle ne peut être que rétrospective : elle ne passe pas d’un antécédent à un conséquent mais remonte d’un conséquent obtenu à un antécédent imposé. Le conséquent est, en histoire, une création. Ou, pour recourir à la métaphore litigieuse pour la pervertir, il est un fruit qui engendre ses propres racines. Cette évocation d’une production végétale d’une espèce inédite présente l’avantage de marquer nettement la frontière qui sépare la croissance biologique de l’aventure humaine et qui fait de ces deux ordres de phénomènes des réalités sans commune mesure.
28Ces réflexions synthétisent des notes de lecture et, tout en rendant à chacun son dû, je souhaite montrer l’importance d’un débat, auquel malgré tout certains historiens se montrent peu réceptifs. Dans le dernier chapitre de l’essai qu’il a consacré au passage de l’Empire romain au christianisme, Paul Veyne essaie de répondre à la question décidemment prenante : L’Europe a-t-elle des racines chrétiennes ?64 Il est aussitôt renvoyé à une autre : Existe-t-il des racines en histoire ? « Faux problème », dit-il, la société étant pour lui une « réalité hétérogène, contradictoire, polymorphe, polychrome », et inapte à avoir « quelque part des ‘assises’, des ‘racines’«65. En développant ce qui pourrait constituer le contenu de la culture européenne, il oppose à « racine » « épigénèse » : celle-là implique une préformation à partir d’un germe, donc, une finalité, ce qui est inconcevable en histoire ; alors que celle-ci, qui implique un développement « se constitu(ant) au fil du temps par degrés imprévisibles », lui paraît acceptable66. Il ne se demande pas pourquoi une expression comme « l’épigénèse de l’Europe » sonne curieusement, alors que, pour désigner la formation de l’Europe, elle possède pour lui une légitimité dont est dépourvue l’expression admise par certains « les racines de l’Europe ». Peut-être qu’en poussant plus loin son enquête, il aurait dénié à ce type d’image l’aptitude à exprimer les réalités de l’histoire : les faits humains sont trop spécifiques pour être décrits à l’aide de mots empruntés à la botanique ou à la biologie.
29Plus systématique, et autrement profonde, est la réflexion que Reinhart Koselleck a menée il y a un tiers de siècle, et qui, depuis lors, a rencontré les faveurs de nombreux historiens67, sans atteindre malgré tout deux d’entre eux, qui se placent aux extrémités du territoire de la tribu, Paul Veyne d’un côté et Sylvain Gouguenheim de l’autre68. Pour faire du temps historique une réalité proprement humaine, Koselleck rompt avec les analogies biologiques. Il forge deux concepts qui « renvoient à la temporalité de l’homme et ainsi, en quelque sorte méta-historiquement, à la temporalité de l’histoire. »69
30Premier concept : celui du « champ d’expérience », où chaque individu récapitule sélectivement le passé, en joignant « l’élaboration rationnelle et des comportements inconscients qui ne sont pas ou plus obligatoirement présents dans (son) savoir »70.
31Second concept : celui d’« horizon d’attente », où chaque individu se donne une image du futur.
32Quant au présent, il est défini comme une tension entre ces deux directions temporelles, tension dont l’intensité varie selon les individus et selon les époques71.
33Pour l’historien qui se collette avec les faits, l’analyse paraît bien abstraite ; elle revêt sa charge d’humanité si elle est rapprochée de l’expérience imaginaire que Joseph Schumpeter avait proposée près de soixante ans avant l’essai de Koselleck, en comparant les débuts du christianisme à ceux de l’islam ; et ce conditionnel contrefactuel éclaire si directement mon propos, que je ne peux que citer intégralement le passage où il est décrit :
« Il suffit d’imaginer ce qui se serait produit si le Jihad72 avait été prêchée aux ‘pêcheurs de Galilée’, si peu combatifs de nature, et aux ‘petites gens’ de Palestine. Est-il vraiment illégitime de supposer qu’ils n’auraient pas répondu à l’appel, parce qu’ils ne pouvaient pas y répondre, et que, eussent-ils tenté de le faire, ils auraient échoué misérablement et conduit leur communauté à la ruine ? Inversement, si Mahomet avait prêché l’humilité et la soumission à ses cavaliers bédouins, l’auraient-ils écouté ou lui auraient-ils tourné le dos ? Et si, malgré tout, ceux-ci l’avaient suivi, n’est-ce pas leur communauté qui aurait péri ? »73
34Le champ d’expérience et l’horizon d’attente des « pêcheurs de Galilée » ou du « petit peuple » de Palestine et, d’autre part, le champ d’expérience et l’horizon d’attente des « cavaliers bédouins » diffèrent si profondément que, pour les premiers, il a fallu trois siècles pour atteindre la tête de l’État sur le territoire duquel ils pratiquaient leur religion et prendre ainsi possession des institutions d’un Empire pluriséculaire. Tandis que les seconds ont créé un nouvel Empire en même temps qu’ils propageaient leur foi ; l’État a été coextensif au territoire où se déroulaient leurs pratiques religieuses : grâce à elles, ils ont fait une irruption fracassante dans une histoire universelle dont ils n’avaient jusqu’ici fréquenté que les marges. Les chrétiens se sont coulés dans un empire qui les a précédés ; ils l’ont transformé, mais en abandonnant la langue du fondateur de leur religion, et en adoptant les langues usuelles, latine et grecque, de cet empire qu’ils faisaient leur. En contraste, les musulmans ont forgé de toutes pièces une nouveauté impériale, omeyyade puis abbasside, dont la langue a été celle de leur révélation ; la promotion de l’arabe et des Arabes est inséparable dès l’origine d’une double expérience, religieuse et impériale.
35Héritages et anticipations ne modèlent pas à tout jamais la manière dont les membres d’une culture donnée vivent le présent. Le champ d’expérience et l’horizon d’attente qui ont accueilli avec ferveur le Sermon sur la Montagne s’infléchissent quand ils se confrontent à l’exercice du pouvoir suprême. Certains chrétiens ont au IVe siècle tourné le dos à la réalité impériale qui leur était proposée : elle ne correspondait pas à leur attente ; et, voulant rester fidèles à leur mémoire et aux formes primitives du christianisme qu’elle leur transmettait, ils ont grossi les rangs d’un monachisme qui connaît, à partir de cette époque, un développement sans précédent74. L’excellence chrétienne ne s’incarne plus dans le martyr mais dans le moine. Un nouveau genre historique consacre cette nouveauté, celui qu’Athanase d’Alexandrie inaugure avec sa Vie de saint Antoine (v. 360) : « Le genre hagiographique prend le relais de la littérature martyrologue. »75 Un peu plus tôt, et dans un autre registre, Irénée de Césarée avait prononcé un discours d’apparat pour les trente ans de règne de Constantin. Reprenant les formes du panégyrique, il en avait délibérément modifié l’application : il n’y traite pas des actes héroïques de l’empereur, ni des vertus qui les ont rendus possibles, mais des actes pieux de son héros et des vertus dignes de Dieu qu’il manifeste76. Il pose ainsi le socle d’un césaro-papisme peu évangélique auquel l’Europe occidentale a échappé, sans éviter une militarisation, au moins partielle, de ses mœurs. Cette nouvelle étape a propagé des comportements ainsi décrits par un fin connaisseur : même si « la loi du Christ » doit être « comprise comme un enseignement de douceur et de miséricorde (…), durant l’ère féodale, la foi la plus vive dans les mystères du christianisme s’associa, sans difficultés apparentes, avec le goût de la violence et du butin, voire avec la plus consciente exaltation de la guerre. »77 Jean Flori a remarquablement dégagé les différentes étapes qui ont conduit du pacifisme des premiers chrétiens à la légitimation de la violence dans l’Europe chrétienne78. 0n aurait souhaité que Gouguenheim n’ignore pas cette genèse guerrière de l’« Europe chrétienne ».
36En terre chrétienne, comme partout ailleurs dans le monde, la violence ne s’est pas cantonnée aux champs de bataille. Elle est entrée dans les bibliothèques pour y détruire les ouvrages rédigés par des auteurs qualifiés d’hérétiques. Marcion déjà nommé, Arius79, Nestorius80, Origène81, pour m’en tenir aux premiers siècles, posaient des problèmes de fond, dont la solution a fait progresser la doctrine orthodoxe82. Leurs écrits n’en ont pas moins été détruits, totalement ou partiellement. Sur ce fond mêlé de violence et de pacifisme, la prodigieuse construction qu’est la Cité de Dieu d’Augustin, inaugure un nouvel âge mental dans l’histoire de la latinité. La cité de Dieu, pérégrine mais liée à la stabilité de l’éternelle demeure, est si étroitement imbriquée à la cité de la terre en proie à la libido dominandi, qu’elles sont toutes les deux mêlées et enchevêtrées, « perplexae invicemque permixtae »83. Tel qu’Augustin le conçoit, le christianisme dans ses manifestions historiques est sommé de penser conjointement l’utilité d’une chose et de son contraire – conception qui situe les analyses de Gouguenheim sinon en dehors du christianisme, du moins en dehors de l’augustinisme.
37Il apparaît donc que le champ d’expérience et l’horizon d’attente sont en prise directe avec les fluctuations des besoins et des désirs des hommes. Ils sont recréés à chaque génération, à chaque moment important d’une vie individuelle ; et, en se recréant, ils s’exposent à être modifiés, sinon transformés, voire métamorphosés84.
38Pour Gouguenheim, on l’a vu, les « racines » sont une autre manière de parler de l’identité. Il les fait « se rencontrer » et, une fois réunis, ces deux thèmes aideraient l’historien à caractériser les cultures. Avec les « racines », l’identité d’une culture plonge dans le passé. Avec l’identité, les « racines » reçoivent une détermination. La démarche est étrange. Est-ce que l’identité serait une entité transhistorique qui persévérerait dans son être tout au long des siècles ? Est-ce que les « racines » seraient des entités informes qui auraient besoin de l’identité pour être révélées à elles-mêmes ? Ce genre de questions ne l’a pas effleuré, bien qu’il jaillisse de la nécessité, pour tout historien, de réfléchir aux concepts grâce auxquels il ordonne son savoir.
39En conclusion de ce passage, Gouguenheim invoque l’inconscient collectif de Jung, qu’il juge opportun de reformuler : les « racines » identitaires ou, allez savoir, les identités enracinées seraient des « structures collectives de l’inconscient individuel »85. On espérait des analyses plus fermement conduites sous la plume de celui qui oppose l’assimilation latine de la « raison grecque » à « l’hellénisation manquée de l’Islam » ! Il est vrai que ces « structures collectives de l’inconscient individuel » s’accommodent d’une collecte assez lâche des données historiques et s’accompagnent d’extrapolations hasardeuses de nature essentialiste. C’est pain bénit pour celui qui connaît sa conclusion avant d’avoir procédé à l’analyse. « Racine » et « identité » aboutissent à d’aussi piètres résultats, parce que, prises telles quelles, sans recherche lexicale ni élaboration conceptuelle, elles appartiennent au groupe de ces « mots détestables » dont parle si bien Paul Valéry :
« … qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu’ils ne parlent ; qui demandent plus qu’ils ne répondent ; de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée de Théologie, de Métaphysique, de Morale et de Politique ; mots très bons pour la controverse, la dialectique, l’éloquence ; aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités infinies qu’aux fins de phrases qui déchaînent le tonnerre. »86
40Comment tirer profit de cette description implacable ? Et donner plus de sens que de valeur au mot « identité » pour faire en sorte qu’il réponde aux questions posées au lieu d’en provoquer de nouvelles ? Là encore, en s’informant des débats qu’il a suscités.
41La production relative au thème de l’identité est immense ; mais elle a connu un tournant décisif avec le séminaire qui s’est déroulé en 1974-1975 au Collège de France sous la direction de Claude Lévi-Strauss87. La plupart des auteurs, qui depuis lors l’abordent, s’en réclament – sauf, encore une fois, Veyne et Gouguenheim.
42L’essentiel se résume en quelques phrases, deux très exactement, mais leur portée est immense. Quelles que soient les sociétés considérées, aucune ne tient « pour acquise une identité substantielle ; elles la morcellent en une multitude d’éléments dont, pour chaque culture, bien qu’en termes différents, la synthèse pose un problème. »88 Les traits singuliers d’une société donnée sont donc observables et passibles de description ; mais ils ne peuvent se fondre dans un ensemble organique qui serait inhérent à la culture de la société en question. La conséquence de cette synthèse recherchée et jamais réalisée, de cette synthèse en quelque sorte asymptotique, est immédiate, si je puis dire : « L’identité est une sorte de foyer virtuel auquel il est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il ait jamais d’existence réelle »89. L’identité est donc avant tout un opérateur conceptuel. Elle permet de penser des spécificités culturelles sans acquérir une réalité autre qu’abstraite. Mais elle rappelle aussi la manière dont Koselleck conçoit le présent : une tension entre un champ d’expérience et un horizon d’attente. Si le rapprochement que je propose est fondé, l’identité, bornée par un passé et un futur, est également coextensive aux instants d’un déroulement temporel : ils disparaissent au moment où ils adviennent ; elle s’évanouit au moment où elle se forme. Dans cette autre acception, l’identité, et plus précisément le sentiment que chaque individu a de la sienne, oscille entre deux pôles : la soumission à une tradition qui édulcore et pétrifie le passé pour en faire un tranquillisant à usage interne et un excitant à usage externe, et l’adhésion à une histoire, qui dynamise et vivifie le passé pour en faire un fortifiant dans tous les cas de figure ; et elle s’établit le plus souvent dans une des mille positions intermédiaires entre ces extrêmes. Elle renvoie à la conscience que l’individu a de sa biographie, de sa lignée, de son entourage et de la société à laquelle il appartient, que cette conscience s’aligne benoîtement sur les modèles en usage ou qu’elle les soumette partiellement ou totalement à une analyse critique, jusqu’à, le cas échéant, les rejeter. Elle est, chez chaque individu, l’expression de sa liberté, asservie ou assumée, partiellement ou totalement. Cette manière de concevoir l’identité en fait une réalité dynamique, qui est à tout moment en instance de création et de recréation. Elle est un mouvement ininterrompu qui reformule le passé de ceux qui s’en réclament en fonction des conjonctures qu’ils rencontrent et des perspectives d’avenir qu’ils se donnent.
43Appliquées à la France et à l’Europe actuelles, qui affolent les souverainistes, les analyses conjointes de Koselleck et de Lévi-Strauss devraient aider à surmonter les peurs et les phobies. Au temps de l’émergence des peuples asservis et des concurrences des mémoires, au temps de la mondialisation, les identités ne peuvent que vivre sur le mode des métamorphoses et que déboucher sur une nouvelle étape de l’aventure humaine90.
44Sylvain Gouguenheim a eu son regard trop obscurci par des choix a priori pour affronter avec pertinence ce genre de problèmes. Puisse-t-il se ressaisir, prendre son temps et exercer son ouïe pour entendre, au-delà de la rude franchise qui les enveloppe, les remarques qui lui sont adressées en toute confraternité. Il lui appartient de se libérer des chaînes qu’il s’est forgées et qu’il s’est imposées, et qu’il tente d’imposer aux naïfs, aux ignares ou aux jean-foutres ; des chaînes qui entravent sa propre recherche et s’opposent à l’épanouissement de la vie civique.
Annexe
Bibliographie thématique de Sylvain Gouguenheim
Sylvain Gouguenheim, La Sibylle du Rhin. Hildegarde de Bingen, abbesse et prophétesse rhénane, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996
Sylvain Gouguenheim, « La place de la femme dans la création et dans la société chez Hildegarde de Bingen », Revue Mabillon, nvelle série, 2 (1991), p. 99-118
Sylvain Gouguenheim, « La sainte et les miracles. Guérisons et miracles d’Hildegarde de Bingen », Hagiographica, 1995, p. 1-20
Sylvain Gouguenheim avec Clémence Thévenas Modestin, « Jean de Roquetaillade et Hildegarde de Bingen », dans Jean de Roquetaillade, Liber ostensor quod adesse festinant tempora, édition critique sous la direction d’André Vauchez par Clémence Thévenas Modestin et Christine Morerod-Fattabert, Rome, École française de Rome, 2005, p. 923-927
Sylvain Gouguenheim, Les fausses terreurs de l’an mil. Attente de la fin des temps ou approfondissement de la foi ?, Paris, Picard éditeur, 1999
Sylvain Gouguenheim, « Les terreurs de l’an mil ont-elles existé ? », L’Histoire, n° 228, janvier 1999, p. 44-49
Sylvain Gouguenheim, « L’invention d’un mythe : les terreurs de l’an mille. Étude et critique historiographique d’Abbon de Fleury à Richard Landes », dans Archivum latinitatis Medii aevi (Bulletin du Cange), tome LVII, 1999, p. 111-190
Sylvain Gouguenheim, « Adson, la reine et l’Antéchrist », dans Patrick Corbet, Jackie Lusse et Georges Viard (éd.), Les moines du Der (673-1790), Actes du colloque international d’histoire, Joinville – Montier-en-Der, 1er–3 octobre 1998, Langres, Éditions Dominique Guéniot, 2000, p. 121-132
Sylvain Gouguenheim, Les chevaliers teutoniques, Paris, Éditions Tallandier, 2007
Sylvain Gouguenheim, Par-delà le pape et l’empereur. L’Ordre teutonique en Prusse dans la première moitié du XIIIe siècle, Habilitation à diriger des travaux de recherches soutenue en 2003, jury : Michel Balard, Joachim Ehlers, Jean-Marie Moeglin, Werner Paravicini, Michel Parisse (rapporteur), André Vauchez (président)
Sylvain Gouguenheim, « Ernest Lavisse et l’histoire de l’Ordre teutonique », Francia, 31, 3 (2004), p. 29-48
Sylvain Gouguenheim, « L’empereur, le grand maître et la Prusse : la Bulle de Rimini en question (1226/1235) », Bibliothèque de l’École des chartes, 162 (2004), p. 381-420
Sylvain Gouguenheim, « L’Ordre teutonique en Prusse au XIIIe siècle. Expansion de la chrétienté latine et souveraineté politique », dans Miguel Angel Ladero-Quesada, Patrick Henriet et John Tolan (éd.), L’expansion occidentale (XIe-XVe siècles). Formes et conséquences, actes du XXXIIIIe Congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 97-113
Sylvain Gouguenheim, « La Papauté a-t-elle voulu inféoder la Prusse ? La bulle de Riéti et ses aléas (3 août 1234-1er octobre 1243-1250) », dans Sylvain Gouguenheim, Monique Goullet, Odile Kammerer, et alii (éd.), Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, Paris, Éditions Picard, 2004, p. 265-272
Sylvain Gouguenheim, « Les grands traits de la vie politique » et « Les structures politiques du royaume » dans Michel Parisse (éd.), L’Allemagne au XIIIe siècle. De la Meuse à l’Oder, Paris, Picard éditeur, 1994, p. 19-43 et 45-69
Sylvain Gouguenheim, « Germanie », « Hildegarde de Bingen », « Hortus deliciarum » et « Rupert de Deutz » dans André Vauchez et Catherine Clément (éd.), Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, Cambridge / Paris / Rome, James Clarke / Éditions du Cerf / Città nuova, 1997
Sylvain Gouguenheim, seize contributions sur l’Allemagne médiévale dans Claude Gauvard, Alain de Libéra et Michel Zink (éd.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, PUF, 2002
Le site http ://lamop.univ-paris1.fr/W3/Bh. html annonce un Dictionnaire du monde germanique aux PUF qui contient plusieurs contributions de Gouguenheim.
Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Éditions du Seuil (« L’Univers historique »), 2008
Notes de bas de page
1 Sylvain Gouguenheim, La Sibylle du Rhin. Hildegarde de Bingen, abbesse et prophétesse rhénane, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, p. 202. Le verbe « recréer » renvoie aux p. 183-185 : le XIXe siècle redécouvre, grâce aux savants travaux des Bénédictins de Solesmes, l’œuvre et la personnalité d’Hildegarde ; les publications médiocres ou même tendancieuses sur l’abbesse rhénane continuent à paraître sans tenir compte de ce nouvel état de la question.
2 Gouguenheim, La Sibylle du Rhin, p. 11.
3 Pour les références aux publications de Gouguenheim, voir l’Annexe de la présente contribution.
4 Max Lejbowicz, « Saint-Michel historiographe. Quelques aperçus sur le livre de Sylvain Gouguenheim » aux adresses http ://revuedeslivres.net/index. php?idH=225 ou http://crm.revues.org/index2808.html ; Louis-Jacques Bataillon, « Sur Aristote et le Mont-Saint-Michel. Notes de lecture », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 92 (2008), p. 329-334, étude reprise dans ce volume ; et Sylvain Piron, Revue de Synthèse, 2008 (à paraître). Pour les lacunes de sa documentation, voir l’Annexe I de l’Introduction.
5 Par « arabisant », j’entends dans ces pages le médiéviste qui étudie, sinon le monde arabe, du moins les traductions arabo-latines réalisées pendant le Moyen Âge et évalue leur influence sur la vie intellectuelle de l’Europe.
6 Voir son entretien avec Marc Riglet, Lire, juillet - août 2008, p. 58-59 accessible à la page http://www.lire.fr/entretien.asp/idC=52683&idTC=4&idR=201&idG ; et également, infra, la note 12.
7 Gouguenheim, Aristote, p. 10.
8 Les références sont données dans l’Annexe 2 de l’Introduction.
9 Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Points-Seuil, 1996, p. 47-52 et plus spécialement la p. 50.
10 Jean Birnbaum, « Polémiques sur les ‘racines’ de l’Europe » et Gabriel Martinez-Gros et Julien Loiseau, « Une démonstration suspecte » dans Le Monde du 25 avril ; Collectif international de 56 chercheurs en histoire et philosophie du Moyen Âge, « Oui, l’Occident chrétien est redevable au monde islamique », Libération du 30 avril ; et Thierry Leclère, « Querelle d’héritage », Télérama du 7 mai 2008.
11 Christine Tasin, « Sylvain Gouguenheim, mis au ban de l’Université par la bien pensance », Riposte laïque, numéro 42, accessible sur le site http://www.ripostelaique.com.
12 Voir http://christinetasin.over-blog.fr/, http://saintesmaville.canalblog.com/et http://mrc-17.site.voila.fr/index_communiquesdepartementaux.html : elle a été candidate MRC dans la troisième circonscription de la Charente Maritime aux législatives de 2007, puis à la mairie de Saintes aux municipales de 2008.
13 France-Culture, Esprit public du dimanche 27 avril (lire un extrait des propos tenus dans l’Annexe 2 de l’Introduction).
14 Max Gallo, Fier d’être français, Paris, Fayard, 2006 ; réédité la même année, Paris, Le livre de poche ; je suis cette dernière édition.
15 Sans sombrer dans les sortilèges de l’ego-histoire, voir là-dessus Prost, Douze leçons, p. 94-100 et 160-168.
16 Gallo, Fier, p. 113 ; cette péroraison reprend l’exorde, p. 11 : « Il faut bien que quelqu’un monte sur le ring et dise’Je suis fier d’être français !’Qu’il réponde coup pour coup, du poing et du pied, à ceux qui, du haut de toutes les estrades, condamnent la France pour ce qu’elle fut, ce qu’elle est, ce qu’elle sera. » Les règles de la rhétorique sont plus faciles à respecter que celles de la raison…
17 Gallo, Fier, p. 18.
18 Gallo, Fier, p. 60 ; aussi : p. 62, 64, 65, 68 (deux fois), 69, 70, 111.
19 Gallo, Fier, p. 34.
20 Gallo, Fier, p. 60.
21 Gallo, Fier, p. 18.
22 Gallo, Fier, p. 73, 93, 101.
23 Voir Le Littré, s. v.
24 Gouguenheim, Aristote, p. 217 et 17.
25 Il reste qu’Aristote au Mont-Saint-Michel a reçu un accueil enthousiaste auprès d’un public qui, débordant très largement le chevènementisme, est beaucoup moins honorable que lui.
26 Riglet, « Gouguenheim s’explique », p. 59.
27 Lluís María de Puig a été responsable du rapport sur la Coopération culturelle entre l’Europe et les pays du sud de la Méditerranée qui a été présenté le 8 novembre 2002 à la Commission de la culture, de la science et de l’éducation de l’Assemblée européenne.
28 Comparé au dernier livre d’Edward W. Said († 2003), Réflexion sur l’exil et autres essais, traduit de l’américain [Reflections on Exile, Londres, 2000] par Charlotte Woillez, Arles, Actes Sud, 2008, celui de Gouguenheim est provincial et collet-monté.
29 http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/doc02/FDOC9626.htm. Voir Gouguenheim, Aristote, p. 218, n. 11 et 261, n. 7 (avec chaque fois une faute d’orthographe sur le prénom).
30 Cette veine a été excellemment exploitée par Blaise Dufal, « Choc des civilisations et manipulations historiques. Troubles dans la médiévistique » (voir l’Annexe II de l’Introduction)
31 Pour une approche raisonnée et documentée de la connaissance de la culture grecque chez les Arabes, voir : Franz Rosenthal, Das Fortleben der Antike im Islam, Zürich / Stuttgart, Artemlis Verlag, 1965 et traduit en anglais The Classical heritage in Islam, translated from German by Emil and Janny Marmorstein, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1965, plusieurs fois réédité depuis mais toujours pas traduit en français ; et Dimitri Gutas, Pensée grecque, culture arabe. Le mouvement de traduction gréco-arabe à Bagdad et la société abbasside primitive (IIe-IVe / VIIIe-Xe siècles), traduit de l’anglais [Greek Thought, Arabic Culture, Routledge, 1998] par Abdesselam Cheddadi, Paris, Aubier, 2005. Ces deux ouvrages fondamentaux sont ignorés de Gouguenheim.
32 Adolf von Harnack, Marcion, l’évangile du Dieu étranger. Contribution à l’histoire de la fondation de l’Église catholique, traduit de l’allemand [Marcion : Das Evangelium vom fremden Gott. Eine Monographie zur Geschichte der Grundlegung der katholischen Kirche, Leipzig, 19242] par Bernard Lauret et suivi des contributions de Bernard Lauret, Guy Monnot et Émile Poulat, avec un essai de Michel Tardieu, « Marcion depuis Harnack », Paris, Éditions du Cerf, 2005 ; la contribution de Bernard Lauret, « L’idée d’un christianisme pur » est particulièrement éclairante.
33 Naissance de la méthode critique. Colloque du centenaire de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, Paris, Éditions du Cerf, 1992.
34 Pie XI, « Déclaration à un groupe de pèlerins de la Radio catholique belge », La Documentation catholique, 39 (1938), col. 1460.
35 http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vatii_decl_19651028_nostra-aetate_fr.html. Voir le numéro spécial du SIDIC, XXVIII, 2 (1995), à l’occasion du trentième anniversaire de Nostra Aetate accessible en ligne : http://www.sidic.org/en/reviewViewReview.asp?id=125.
36 Voir dans l’ouvrage de Meier cité à la note 50, la p. 18.
37 Il s’agit de Joachim Jeremias, que commente Meier cité dans la note suivante, p. 166-167 et 387.
38 John P. Meier, Un certain juif Jésus. Les données de l’histoire, traduit de l’anglais [Jesus. A Marginal Jew. Rethinking the Historical Jesus, New York, 1991-2001] par Jean-Bernard Degorce, Charles Ehlinger et Noël Lucas, Paris, Éditions du Cerf, 2004-2006, 3 t., t. 1, Les sources, les origines, les dates, p. 155-168 et 376-388 ; et p. 167 pour le type d’araméen.
39 Meier, Un certain juif Jésus, p. 161-162 et 382-383 ainsi que 168 et 387-388.
40 Daniel Marguerat, « La ‘troisième quête’ du Jésus de l’histoire », dans Recherches de science religieuse, 87 (1999), p. 397-421, repris dans le recueil du même auteur, L’aube du christianisme, Genève / Paris, Labor et fides / Bayard, 2008, chap. 3, p. 111-136 (122 et 134) ; il est également accessible à l’adresse : http://www.unil.ch/webdav/site/theol/shared/pagesperso/marguerat/articles/quete.pdf, où les deux citations se trouvent respectivement aux p. 9 et 16. Formulation assez semblable chez Joseph Longton, « Jésus », dans Centre : Informatique et Bible, Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Turnhout, Brepols, 20023 rev. et aug. (1e éd. : 1960), p. 675-682 (676) : « Il faut maintenir la relation dialectique entre les deux pôles (le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi). »
41 Gouguenheim, Aristote, p. 136-137 et 139-142. Heureusement que les juifs d’Alexandrie ont été plus ouverts que lui aux transferts entre langue sémite et langue indo-européenne : Alexis Léonas, L’aube des traducteurs. De l’hébreu au grec : traducteurs et lecteurs de la Bible des Septante (IIIe s. av. J.-C.-IVe s. apr. J.-C.), Paris, Éditions du Cerf, 2007.
42 Sur cette histoire : Simon Claude Mimouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques, préface par André Caquot, Paris, Éditions du Cerf, 1998, chap. V.
43 Sur la complexité de Paul, voir Luigi Padovese, « L’antipaulinisme chrétien au IIe siècle », Recherches de science religieuse, 90 (2002), p. 399-422 accessible à l’adresse http://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/article_p.php?ID_ARTICLE=RSR_023_0399. Heureuse synthèse dans Marie-Françoise Baslez, Saint Paul, artisan d’un monde chrétien, Paris, Fayard, 20082 rev. et aug. (1e éd. : 1991). Sur la fascination exercée par l’apôtre même en dehors du cercle des fidèles, Jean-Michel Rey, Paul ou les ambiguïtés, Paris, Éditions de l’Olivier, 2008.
44 Gilles Dorival, « Les formes et modèles littéraires », dans Bernard Pouderon (éd.), Histoire de la littérature grecque chrétienne, Paris, Éditions du Cerf, 2008, t. 1, 138-188 (180).
45 Voir François Blanchetière, Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien (30-135), Paris, Éditions du Cerf, 2001 et Frédéric Manns, Les racines juives du christianisme, Paris, Presses de la Renaissance, 2006.
46 Gouguenheim, Les chevaliers, successivement, p. 105, n. 22, p. 111, n. 40, p. 24, n. 19 et p. 60, n. 26 (l’auteur ne semble pas savoir que le canon catholique compte deux livres des Maccabées) ; voir aussi p. 120 et 129, etc. Sur la lutte menée par les Maccabées contre les souverains séleucides, qui dépasse très largement l’enjeu linguistique, voir Édouard Will et Claude Orrieux, Ioudaïsmos – Hellènismos. Essai sur le judaïsme judéen à l’époque hellénistique, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1986.
47 Alain Demurger, Chevaliers du Christ. Les ordres religieux-militaires au Moyen Âge (XIe-XVIe siècle), Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 194 et 342.
48 De fait, certains historiens ont attribué les qualités de Saladin à ses origines indoeuropéennes ; voir le récent et remarquable livre d’Anne-Marie Eddé, Saladin, Paris, Flammarion, 2008, p. 708-709, qui se réfère à Carole Reynaud-Paligot, Races, racismes et antiracisme dans les années 1930, Paris, PUF, 2007.
49 Blanchetière, Enquête, p. 60-62 ; p. 158-164 et Meier, Un certain juif, p. 379-383 ; plus généralement, Mireille Hadas-Lebel, Jérusalem contre Rome, Paris, Éditions du Cerf, 1990.
50 Hervé Inglebert (éd.), Histoire de la civilisation romaine, Paris, Presses universitaires de France, 2005, chap. IX, Les participations à la romanité.
51 Actes des Apôtres, 11, 26 ; je reprends la traduction faite sous la direction de l’École Biblique de Jérusalem.
52 Étienne Trocmé, « Les premières communautés : de Jérusalem à Antioche », dans Jean-Marie Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez et Marc Venard (éd.), Histoire du christianisme des origines à nos jours, Paris, Desclée, T. I, 2000, Le nouveau peuple (des origines à 250), p. 61-95 (84) ; Blanchetière, Enquête, p. 147-148. Sur les problèmes qu’a posés aux juifs l’adoption de ce mot par les chrétiens : Marguerite Harl, Gilles Dorival, Olivier Munnich, La Bible grecque des Septante. Du judaïsme hellénistique au christianisme ancien, Paris, Éditions du Cerf / CNRS, p. 283-284.
53 Concile de Constantinople I (381), canon III, dans Giuseppe Alberigo (éd.), Les conciles œcuméniques. Les décrets, t. II, 1, Paris, Éditions du Cerf, 1994, p. 88-89.
54 Coran, sourate 30, al-Rûm (littéralement les Romains ; en fait, les Byzantins) ; voir Khashayar Azmoudeh, « Byzance, Byzantins », dans Mohammad Ali Amir-Moezzi (éd.), Dictionnaire du Coran, Paris, Robert Laffont / Bouquins, 2007.
55 Voir l’histoire des couples Hellènes / Barbares, Chrétiens / païens et Homme / nonhomme dans Reinhart Koselleck, « Zur historisch-politischen Semantik asymmetrischer Gegenbegriffe », dans Harald Weinrich (éd.), Positionen der Negativität, Munich, Wilhelm Fink Verlag, 1975, p. 65-104, repris dans Reinhart Koselleck, Vergangene Zukunft. Zur Semantik geschichtlicher Zeiten, Francfort / Main, 1976, III, 1 ; et aussi Reinhart Koselleck, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, traduit de l’allemand par Jochen Hoock et Marie-Claire Hoock, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 20002 (1e éd. : 1990).
56 Gouguenheim, Aristote, p. 177 : « L’histoire des langues, comme le phénomène des héritages linguistiques, permet d’identifier des espaces de culture commune, des filiations entre ces espaces ou, au contraire, des discontinuités. »
57 Roger-Pol Droit, L’Occident expliqué à tout le monde, Éditions du Seuil, 2008, p. 89-100.
58 Pierre Nora, « Le nationalisme nous a caché la nation », Le Monde, 18-19 mars 2007.
59 Gouguenheim, Aristote, p. 177 et 178 : « Le terme de « racine » est à l’origine une simple métaphore que l’on peut trouver – à juste titre – trop imagée et imprécise pour servir d’outil à un discours scientifique. Néanmoins, il recouvre une réalité concrète : il existe, au sein des sociétés humaines et de leurs cultures, des permanences, des traits de longue durée. (…) Nier l’existence de racines revient à nier la prolongation des sociétés à travers le temps, autrement dit le fait d’avoir une histoire. Rejeter l’idée contenue dans le terme ‘racine »’, aussi insatisfaisant soit-il, oblige à évacuer le temps… et conduit, semble-t-il, à une impasse scientifique. »
60 Gouguenheim, Aristote, p. 179.
61 Voir le Journal officiel de l’Union européenne, du 16 décembre 2004, p. 3, accessible à la page http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2004:310:0003:0010:FR:PDF. Sur l’attachement de l’Église catholique à la cause de l’Europe, voir l’exposé synthétique d’Andrea Riccardi, « Europe », dans Philippe Levillain (éd.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, 20032 (1e éd. : 1994), p. 645-650, qui donne une bibliographie.
62 Voir le résumé des débats au sein de la Convention européenne et de la Convention intergouvernementale à la page http://europa.eu/scadplus/cig2004/debates2_fr.htm#PREAMBLE.
63 Michel Rouche, Les racines de l’Europe. Les sociétés du haut Moyen Âge (568-888), Paris, Fayard, 2003 et Bruno Dumézil, Les racines chrétiennes de l’Europe. Conversion et liberté dans les royaumes barbares, Ve-VIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005. Ce choix circonstanciel ne doit pas conduire à penser qu’après les biblistes, les médiévistes ont l’apanage du mot. Sans chercher à être exhaustif : Gérard-François Dumont (éd.), Les racines de l’identité européenne, préface de José María Gil-Robles y Gil-Delgado, Président du Parlement européen, Paris, Economia, 1999 ; George L. Mosse, Les racines intellectuelles du Troisième Reich, Paris, Calmann-Levy, 2006 ; Yves-Charles Zarka (éd.), Aux racines du libéralisme, Paris, PUF, 2008 ; Jean Guilaine, Les racines de la Méditerranée, Fayard, 2008 ; etc. Il a existé une collection « Racines et modèles » dirigée par Jacques Sys († 2003) aux Presses universitaires de Lille puis aux Presses universitaires du Septentrion, qui fut active de 1993 à 2001 avec une dizaine de livres édités.
64 Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Paris, Albin Michel, 2007, p. 249-266.
65 Veyne, Quand notre monde, p. 249.
66 Veyne, Quand notre monde, p. 262, n. 2, où il indique que le mot « épigénèse » lui a été soufflé par Jean-Claude Passeron.
67 Je note que Prost, Douze leçons, p. 180-181, présente ces deux concepts dans un sous-chapitre intitulé Fondements et implications de l’imputation causale ; et je postule que cet ouvrage a été le livre de chevet des historiens au temps de leur formation.
68 Reinhart Koselleck, « ‘Erfahrungsraum’ und ‘Erwartungshorizon’ – zwei historische Kategorien » dans Ulrich Engelhardt, Volker Sellin, Horst Stuke (éd.), Soziale Bewegung und politische Verfassung. Beiträge zur Geschichte der modernen Welt, Stuttgart, Klett Verlag, 1976, p. 13-33, repris dans Koselleck, Le futur passé, III, 5.
69 Koselleck, Le futur passé, p. 311.
70 Ibid.
71 J’ai également consulté Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, 1889. La troisième partie contient des remarques sur le statut de la causalité dans les comportements humains qui, pour suggestives qu’elles soient, ne m’ont pas semblé exploitables en histoire. Je n’ai pu avoir accès à Jean Hyppolite, « Vie et philosophie de l’histoire chez Bergson », Actas del Primer Congreso Nacional de Filosofía (Mendoza 1949), Universidad Nacional de Cuyo, Buenos Aires, 1950, t. II, p. 915-921, qui m’aurait peut-être dessillé les yeux.
72 J’ai corrigé le texte : il met Jihat au féminin et redouble le « t » de combatif.
73 Joseph Schumpeter, « Zur Soziologie der Imperialismen », Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, 46 (1919), p. 1-39 et 275-310, repris dans Joseph Schumpeter, Impérialisme et classes sociales, traduit de l’allemand par Suzanne de Segonzac et Pierre Bresson, révision de la traduction et présentation par Jean-Claude Passeron, Paris, Champs / Flammarion, 19842 (1e éd. : 1972), sous Ie titre « Contribution à une sociologie des impérialismes », p. 39-154 (81-82), dont il constitue la première des trois parties. Veyne, Quand notre monde, p. 264, évoque cette expérience imaginaire à partir de la citation qu’en a faite Jean-Claude Passeron, Le raisonnement sociologique. L’espace non-poppérien du raisonnement naturel, Paris, Albin Michel, 20062rev. et augm, p. 453 (1e éd. : 1991).
74 Voir les contributions de Pierre Maraval, « Le monachisme oriental » et de Jacques Biarne, « Moines et rigoristes en Occident » à l’Histoire du christianisme, t. II, Naissance d’une chrétienté (250-430), p. 719-746 et 747-768.
75 Dorival, « Les formes », p. 175 ; Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine, éd., trad. et notes par Gérard J.M. Bartelink, Paris, Éditions du Cerf, 20042 (1e éd. : 1994).
76 Voir l’introduction de Pierre Maraval à sa traduction d’Eusèbe de Césarée, La théologie politique de l’Empire chrétien. Louanges de Constantin, Paris, Éditions du Cerf, 2001, p. 25-29, 34-36 et 48-57 ; et aussi Gilbert Dagron, Empereur et prêtre. Étude sur le « césaropapisme » byzantin, Paris Gallimard, 1996, p. 145-153.
77 Marc Bloch, La société féodale, Paris, Albin Michel, nombreuses rééditions depuis sa parution en 1939 ; je cite d’après celle de 1968, p. 66. Ce passage est partiellement cité dans Veyne, Quand notre monde, p. 250.
78 Jean Flori, Guerre sainte, jihad, croisade. Violence et religion dans le christianisme et l’islam, Paris, Seuil / Histoire, 2002 (livre absent de la « Bibliographie sélective » d’Aristote au Mont-Saint-Michel).
79 Ephrem Boularand, L’hérésie d’Arius et la « foi » de Nicée, Paris, Letouzey & Ané, 1973, 2 vol.
80 Luigi I. Scipioni, Nestorio e il concilio di Efeso. Storia, dogma, critica, Milan, Universita Cattolica del Sacro Cuore, 1974.
81 Henri Crouzel, Origène, Paris / Namur, P. Lethilleux / Culture et vérité, 1985, chap. 2, « Œuvres d’Origène ».
82 Vue d’ensemble dans Rémi Gounelle, « La transmission des écrits littéraires chrétiens », dans Pouderon, Histoire, 113-188 (114-114) ; et, à l’échelle mondiale, Fernando Báez, Histoire universelle de la destruction des livres. Des tablettes sumériennes à la guerre d’Irak, traduit de l’espagnol (Venezuela) [Historia universal de la destrucción de libros. De las tablillas sumerias a la guerra de Irak, 2004] par Nelly Lhermillier, Paris, Fayard, 2004 : les aires chrétiennes ne font pas preuve d’une retenue particulière, pas plus que les aires musulmanes d’une fureur remarquable.
83 Augustin, La Cité de Dieu, I, préambule et chap. XXXV.
84 Voir la note 54 pour l’analyse des couples Hellènes / Barbares, Chrétiens / Païens et Homme / Non-homme.
85 Gouguenheim, Aristote, p. 180. Je n’insiste pas sur sa discussion des positions adoptées par Marcel Détienne, Comment être autochtone, 2003 et Les Grecs et nous, 2005 : c’est l’hôpital qui se moque de la charité.
86 Paul Valéry, Fluctuations sur la liberté, 1938 ; je cite d’après Paul Valéry, Regards sur le monde actuel et autres essais, Paris, Folios/Essais, 2006, p. 55 ; cet extrait a été utilisé par Pierre-André Taguieff, « L’identité nationale saisie par les logiques de racisation. Aspects, figures et problèmes du racisme différentialiste », Mots. Les langages du politique, 12 (1986), p. 91-128 (92).
87 Claude Lévi-Strauss (éd.), L’identité, Paris, Quadrige / PUF, 1983 (1e éd., 1977).
88 Lévi-Strauss (éd.), L’identité, Avant-propos, p. 11.
89 Lévi-Strauss (éd.), L’identité, Conclusions, p. 332.
90 Tzvetan Todorov, La peur des barbares. Au-delà du choc des civilisations, Paris, Robert Laffont, 2008.
Auteur
Docteur, UMR STL - CNRS Université de Lille 3
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2011