Introduction
p. 9-44
Texte intégral
« Il faut lire les travaux des historiens avec les mêmes précautions critiques qu’on lit les documents. L’instinct naturel pousse à y chercher surtout les conclusions et à les adopter comme vérité établie ; il faut, au contraire, par une analyse continuelle, y chercher les faits, les preuves, les fragments de documents, bref les matériaux. On refera le travail de l’auteur, mais on le refera beaucoup plus vite, car ce qui perd du temps, c’est de réunir les matériaux ; et on n’acceptera de ses conclusions que celles qu’on trouvera démontrées. »1
1Dans la violente polémique provoquée par le livre de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel, certains des universitaires et des chercheurs qui se sont exprimés se sont vus reprocher d’avoir condamné l’ouvrage sans l’avoir lu. C’est un reproche qui ne peut être fait aux contributeurs du présent recueil. À partir d’approches différentes, ils ont procédé à des lectures particulièrement soigneuses, qu’on croise ici. Ajoutons que, pour fournir au lecteur le maximum d’éléments d’appréciation, plusieurs annexes bibliographiques sont jointes à cette introduction, sur lesquelles nous reviendrons.
La thèse
2On sait qu’à la parution de cet Aristote au Mont-Saint-Michel, des organes de presse éminents (Le Monde, Le Figaro, etc.) ont applaudi ce qu’ils ont appelé une thèse courageuse, alors que la plupart des médiévistes, rappelant, comme le font ci-après Jean Jolivet et Abdelali Elamrani-Jamal, que cette thèse remontait à Renan, se sont indignés qu’on puisse faire abstraction des acquis de plus d’un siècle d’études médiévales. Essayons d’abord de préciser de quelle thèse il s’agit. Là encore, il faut lire attentivement le livre et ne pas se contenter des articles qui lui ont été consacrés ou des propos modérés de la quatrième de couverture.
3Dans son introduction Sylvain Gouguenheim déclare qu’il va discuter ce qu’il appelle l’« opinion commune » : l’Europe a une dette envers le monde arabo-musulman de l’époque abbasside qui aurait assimilé l’essentiel du savoir grec, l’aurait transmis aux Européens, et ainsi serait à l’origine du réveil culturel et scientifique du Moyen Âge puis de la Renaissance ; corollairement, la pensée, la culture, l’art européens auraient pour origine, au moins partiellement, la civilisation des Abbassides. Gouguenheim souligne alors que l’opinion qu’il va s’efforcer de réfuter contredit la thèse des « racines grecques » et de l’« identité chrétienne » du monde occidental, dont on sait qu’elle n’est pas étrangère à une certaine actualité politique. Il accuse donc certains médiévistes d’avoir mis une « civilisation abbasside » en lieu et place de la civilisation grecque. Si on laisse de côté le fait qu’aucun historien sérieux n’a jamais soutenu une telle opinion, on ne peut refuser a priori une certaine légitimité au fait de la combattre malgré tout.
4Mais les choses se compliquent si on compare cette déclaration d’intentions à la conclusion. Gouguenheim y oppose les civilisations chrétienne et islamique : la première « combinait l’héritage grec et le message des Évangiles, l’esprit scientifique et l’enracinement dans une tradition religieuse dont l’Église se voulait garante. L’autre était fille du livre de Dieu, du Livre incréé. Elle était fondamentalement amarrée à son axe central, le Coran ». Et il ajoute qu’il existe une « structure intellectuelle propre à la foi chrétienne d’où est né le savoir européen »2. On comprend alors que Gouguenheim ne se propose pas simplement d’établir que les racines de la civilisation européenne sont grecques et ne doivent rien à peu près rien à la civilisation islamique, mais de montrer que, contrairement au monde occidental, le monde islamique, du fait de sa religion, ne pouvait pas intégrer le savoir grec puis le dépasser. C’est ce qu’il affirme quand il dit que « la façon dont l’héritage grec fut exploité constitue un solide critère d’identification des civilisations médiévales chrétienne et islamique »3. En fait sa conclusion montre que son objectif, ou l’un de ses objectifs, est finalement d’établir qu’il existe entre ces civilisations une hiérarchie qu’on peut établir à partir de « leur rapport aux textes sacrés et <du> ; degré de liberté laissé à la raison humaine »4.
5Même si on n’éprouve pas la moindre sympathie pour un tel objectif, on peut avoir quelque curiosité pour son argumentaire ; pour qu’il réussisse une entreprise aussi risquée, on attend de l’auteur qu’il développe une démonstration habile et particulièrement serrée. Or il faut bien le reconnaître : sur le strict plan de la technique argumentative, la déception est grande.
6Les silences sur les faits embarrassants, les incohérences, l’usage de concepts mal définis, les interprétations tendancieuses, les inventions pures et simples, les erreurs factuelles, pullulent. Les règles les plus communément admises du travail universitaire sont bafouées ; quant à celles de la vulgarisation, évoquée par l’auteur dans certaines interviews, elles le sont tout autant.
7Nous donnons ci-dessous quelques exemples particulièrement caractéristiques de la rhétorique mise en œuvre dans Aristote au Mont-Saint-Michel. Bien entendu, nombre d’entre eux sont développés dans les contributions qui suivent, auxquelles, alors, nous renverrons pour une démonstration plus serrée.
Les silences
81) En présentant son entreprise, Gouguenheim affirme que tout s’est joué dans la première partie du Moyen Âge (entre les VIe et XIIe siècles) : son étude porte sur cette seule période. Et il ajoute qu’à partir du XIIIe siècle les faits sont trop bien établis pour qu’il vaille la peine de les reprendre5. La formule est sibylline. Or aucune explication supplémentaire n’est donnée. Est-ce à dire que Gouguenheim admet, comme tous les spécialistes, qu’à partir du XIIIe siècle les références aux œuvres des philosophes arabes se multiplient, et que c’est grâce aux analyses d’Avicenne et aux commentaires d’Averroès que le monde latin a compris une bonne partie d’Aristote et d’abord sa Physique et sa Métaphysique, (sans oublier son De anima) ? Mais voilà qui serait en contradiction avec l’affirmation que « l’orthodoxie sunnite /…/ a donné à la falsafa une orientation assez éloignée de la science naturelle d’Aristote6 » et que « même le domaine de la philosophie islamique (Avicenne et Averroès) resta en partie étranger à l’esprit grec. »7 Gouguenheim ne s’étend pas davantage sur ce point qui n’est pas secondaire puisque c’est par cette simple phrase qu’il justifie d’arrêter son étude au XIIe siècle. Ajoutons que la contribution de Jean Jolivet montre ce qu’a de rudimentaire le paysage philosophique médiéval (arabe et latin) qui nous est donné, caractère rudimentaire qui est dû soit à l’ignorance de l’auteur qui n’a pas lu les ouvrages sur lesquels il s’appuie, (Oui et non de Pierre Abélard, les Questions naturelles d’Adélard de Bath ou l’étude de Albert Nasri Nader sur les mu’tazilites), soit à son projet idéologique.
92) Tout l’ouvrage est construit sur une distinction entre la religion musulmane (l’islam), la société musulmane (l’Islam) et les lettrés de langue arabe (toutes religions confondues)8, distinction qui est présentée comme allant de soi. C’est en distinguant l’Islam et la société des lettrés que Gouguenheim peut affirmer que puisque beaucoup des traductions faites à partir du grec l’ont été par des chrétiens d’obédiences diverses ou par des païens, l’Islam n’a rien apporté d’important au monde latin. Cette distinction, dont la pertinence n’est nulle part discutée ne va nullement de soi, alors que la plupart des spécialistes parlent un monde arabo-musulman, de langue arabe donc, dont sont issus les traductions et textes des lettrés musulmans, chrétiens, païens ou autres qui en faisaient partie. C’est ce que rappelle aussi Marie-Geneviève Balty-Guesdon. Qu’il soit pertinent de parler des communautés, chrétiennes ou autres, à qui il conviendrait d’attribuer telle ou telle traduction demanderait assurément à être argumenté, ce qui n’est fait nulle part.
Les incohérences
10Pour prouver que la civilisation islamique est décidément inférieure à sa rivale chrétienne Gouguenheim ne recule devant aucune incohérence.
Ainsi il souligne que « la falsafa se heurtait à un obstacle immense » avec l’idée de création incompatible avec l’idée de causalité développée chez les Grecs ce qui obligeait à une conciliation entre l’usage de la raison et la prophétie, « quasi impossible »9. Mais il ne nous explique pas pourquoi cette quasi impossibilité ne s’étend pas au monde chrétien, pour qui la création est un article de foi et qu’elle y est aussi peu discutable que dans le monde musulman.
Se proposant d’« évaluer à sa juste mesure ce que la civilisation arabo-musulmane retient du savoir grec » il constate que son hellénisation n’a pas été un phénomène général : elle n’a pas touché la société ni les mentalités collectives et est demeurée circonscrite à quelques membres des élites intellectuelles10. Cette constatation est à l’évidence tout aussi valable pour le monde médiéval chrétien.
Voulant donner une idée du « filtre » à travers lequel les musulmans ont fait passer le savoir grec, il prend l’exemple l’astronomie, qui « avait été développée par les Grecs dans un esprit rationaliste » et que les musulmans auraient orienté vers l’astrologie divinatoire11. C’est évidemment faire bon marché de toute l’astronomie arabo-musulmane. Et quand Gouguenheim ajoute qu’à l’inverse l’Église chrétienne a sans cesse condamné le déterminisme astral, il oublie (ou ignore) qu’au XIVe siècle, même le philosophe chrétien considéré comme l’adversaire le plus résolu des astrologues, Nicole Oresme, croyait à l’influence des astres sur le monde sublunaire, tout comme, un siècle plus tôt, Thomas d’Aquin12. Dans son analyse de l’ensemble de ce passage Régis Morelon met en évidence à la fois les limites de l’information de Gouguenheim sur le sujet et la volonté constante de solliciter les faits pour appuyer une idéologie christiano-centrique et anti-islamique.
Les concepts mal définis
11C’est là un des procédés rhétoriques favoris de Gouguenheim : ou bien il semble considérer que le contenu du concept va de soi, alors qu’il est au mieux problématique ; ou bien il en donne une définition très insuffisante. C’est ce que note John Tolan à propos de « esprit grec » et de « identité culturelle », ce dernier concept étant analysé dans ses rapports avec celui de « racine » par Max Lejbowicz.
12Nous ajouterons un autre exemple, dans un domaine, l’histoire des sciences, que Gouguenheim semble particulièrement mal maîtriser. Il affirme : « on peut dater du temps de St Thomas d’Aquin et de St Louis les débuts de la science moderne, dont les Européens seuls sont à créditer. »13 Laissons de côté la question de l’identité de ceux à qui il pense : Roger Bacon ? Pierre de Maricourt ? Laissons aussi de côté le fait qu’il crédite Vitellion du calcul en optique des angles de réfraction en fonction des angles d’incidence alors que ce dernier se borne à recopier les tables de Ptolémée ; il oublie par ailleurs de dire que la Perspectiva de Vitellion est largement inspirée par le Kitāb al-Manāzir d’Ibn al-Haytham14. Revenons à la notion, ô combien vague ! de « débuts de la science moderne ». Elle renvoie clairement à une théorie du précurseur illustrée au début du XXe siècle par Pierre Duhem et récusée aujourd’hui par tous les historiens des sciences15. Pierre Duhem attribuait à Jean Buridan et Nicole Oresme, à des philosophes du XIVe siècle donc, le titre de pères de la science moderne16. Gouguenheim remonte, lui, au milieu du XIIIe siècle. Pourquoi pas, à partir du moment où l’on ne sait pas ce qu’est le début de la science moderne et où l’on ne dit pas en quoi elle se distingue d’une science qui n’est pas moderne ? Il n’en reste pas moins que, si l’on veut que ce début soit médiéval, il paraît extrêmement difficile de trouver un critère qui permettrait de l’attribuer au monde latin et non au monde arabo-musulman.
Les interprétations tendancieuses
13L’interprétation tendancieuse la plus évidente concerne la Maison de la Sagesse où, tout en faisant l’impasse sur les travaux de Dimitri Gutas17, Gouguenheim dit s’appuyer sur le travail de Marie-Geneviève Balty-Guesdon. La rectification que donne cette dernière est sans appel : bien loin d’être « un conte », la Maison de la Sagesse fut le lieu d’un rapprochement entre pensée philosophique et pensée religieuse pour l’islam ; et dire qu’elle était « réservée à des musulmans spécialistes du Coran et d’astronomie »18 est un travestissement des faits.
Les inventions pures et simples
14Le personnage de Jacques de Venise occupe une place centrale dans le livre de Gouguenheim. Dans leur contribution respective, le Père Bataillon et Sten Ebbesen montrent que le mépris pour les règles de la codicologie et de la paléographie a conduit Gouguenheim à faire de son Jacques de Venise un personnage de roman, fort éloigné de celui que les historiens ont patiemment essayé de camper à partir des quelques traces encore subsistantes.
Les erreurs factuelles
15À côté des multiples imprécisions et erreurs dont on vient de parler, la grossière confusion entre le mathématicien et astronome Thābit ibn Qurra (824 ou 836-901) et l’évêque melkite Théodore Abū Qurra (v. 750-v. 825), signalée par M.-G. Balty-Guesdon et par R. Morelon, paraît presque vénielle.
16Au terme des études qui suivent le lecteur pourra apprécier ce qui reste de la « démonstration » de Gouguenheim : sur le plan scientifique très peu de choses, en tout cas rien qui ne soit connu de longue date. Et c’est ce qui explique la violence des réactions à ce qui n’est apparu à beaucoup que comme une entreprise idéologique camouflée derrière une apparence d’ouvrage scientifique. Il est d’ailleurs intéressant de constater, comme le lecteur pourra le faire à partir de l’annexe II de cette introduction, que les défenseurs de Gouguenheim se bornent à nier, sans tenter de les réfuter, les arguments de leurs adversaires, et se placent délibérément sur le terrain idéologique.
17Certains, tout en admettant les défauts de l’ouvrage, ont cru pouvoir le défendre en en faisant un ouvrage de vulgarisation. Les responsables de ce mauvais livre seraient en définitive les spécialistes qui, négligeant de s’occuper de vulgarisation, auraient laissé le champ libre à un non spécialiste, tout de même agrégé d’histoire et professeur d’histoire médiévale à l’ENS de Lyon ; l’ouvrage de Gouguenheim serait ainsi, faute de mieux, le meilleur ou le moins mauvais19. On ne peut accepter cette défense sauf à admettre que faire un ouvrage de vulgarisation autorise à écrire selon ses humeurs et ses aprioris, en bref à écrire à peu près n’importe quoi. Pour un tel travail, difficile car, tout en étant simplificateur, il doit éviter de faire pencher une balance particulièrement sensible, deux qualités sont indispensables : la compétence et l’honnêteté. Tous les médiévistes qui se sont exprimés à ce sujet admettent aujourd’hui que Gouguenheim ne possédait pas la première. Pourquoi devrait-on le créditer de la seconde ?
18Plus préoccupante est l’attitude de la grande presse. Certes la compétence médiévistique des chroniqueurs spécialisés qui ne suivent que d’assez loin l’évolution de la recherche, y compris au Monde et au Figaro, est limitée. Il est d’autre part bien connu que les exigences de la presse et de la recherche divergent complètement. Là où le chercheur au terme d’un travail patient avance une hypothèse dont au mieux il montre qu’elle est plus probable que l’hypothèse inverse, le journaliste privilégie les idées simples, l’opposition binaire vrai/faux, voire le sensationnel qui peut surgir ex nihilo de son clavier. Rémi Brague avec qui nous sommes d’accord sur ce point le remarque : « Le résultat de ce divorce entre spécialistes et médias est que le marché du prêt-à-penser est entre les mains de gens fort peu compétents, dont personne ne prend soin de rectifier les allégations quand c’est nécessaire. D’où la présence sur ledit marché de plusieurs légendes au gré des modes. »20 De fait des journaux prestigieux ont rendu compte favorablement, voire ont porté aux nues le livre de Gouguenheim, et leur enthousiasme interroge le citoyen sur la soumission des médias aux idéologies à la mode. C’est d’ailleurs pourquoi, en accord avec les recommandations de Rémi Brague, nous avons décidé, dans le présent ouvrage de rectifier « les allégations de <ces> ; gens fort peu compétents ».
19Plus sérieusement, c’est de scandale qu’il faut avoir le courage de parler à propos du prix attribué à l’ouvrage de Gouguenheim par l’Académie des sciences morales et politiques21. Le fait que, semble-t-il, aucun spécialiste d’histoire et de philosophie médiévales n’ait fait partie de la commission qui a décerné cette récompense n’est pas une excuse. L’Académie dit elle-même sur son site22 qu’elle « attache une particulière importance à cette partie de son activité [l’attribution des prix] », et qu’ainsi « elle remplit l’une des missions que lui a confiée la Nation en 1795, celle de ‘suivre (…) les travaux scientifiques et littéraires qui auront pour objet l’utilité générale et la gloire de la République’ ». On voit mal comment la République se grandit en couronnant ce qui n’est finalement qu’une falsification historique écrite pour promouvoir une idéologie suspecte. Les académiciens qui sont à l’origine de cette décision aberrante ont pris le risque de déshonorer leur institution.
20Finalement cette polémique, qui n’a strictement aucune raison scientifique, mais qui a des mobiles sociaux et politiques, illustre jusqu’à l’absurde la difficulté qu’a la société actuelle de comprendre la véritable nature de la recherche, notamment historique. C’est ce problème, un grave problème de société, qui est au centre de la contribution de Max Lejbowicz.
21Comme nous l’avons dit plus haut, deux annexes sont jointes à la présente introduction.
22L’annexe I donne une liste des travaux majeurs sur les traductions gréco-latines et arabo-latines médiévales. Elle permet au lecteur intéressé de suivre l’évolution de la recherche en ce domaine et de prendre connaissance de son état actuel.
23L’annexe II recense, par ordre chronologique, les réactions suscitées dans les différents médias par la parution du livre de Gouguenheim. Elle fait le point, au 31 décembre 2008, sur une des plus vives polémiques intellectuelles de ces dernières années, polémique dont le lecteur pourra ainsi prendre connaissance de façon détaillée.
24En fin d’ouvrage, est donnée, également en annexe, une bibliographie de Sylvain Gouguenheim illustrant la partie de la contribution de Max Lejbowicz consacrée au parcours scientifique de l’auteur d’Aristote au Mont Saint-Michel.
25Le présent ouvrage a été préparé par une journée d’études organisée le 4 octobre à la Sorbonne par l’Unité Mixte de Recherches « Savoirs, Textes, Langage » CNRS-Universités de Lille 3 et Lille 1 et par l’Équipe d’Accueil « Groupe de Recherches Antiquité, Moyen Âge, Transmission Arabe » de l’Université de Paris 1. C’est à l’issue de cette journée qu’a été prise la décision de publier un livre répondant scientifiquement à celui de Sylvain Gouguenheim. L’auteur et les contributeurs sont très reconnaissants aux deux équipes de recherche et aux Presses universitaires du Septentrion de les avoir soutenus dans cette entreprise difficile.
Annexe
Annexe I. Travaux majeurs sur les traductions gréco-latines et arabo-latines médiévales et sur leurs diffusions
Par « majeur » nous entendons des travaux qui ont apporté du neuf au moment de leur parution, quitte à avoir depuis vieilli. Les éditions de texte ont été omises pour ne pas allonger les listes ; elles sont mentionnées dans les études citées. Pour des raisons de concision, nous avons négligé les articles et avons été très sélectifs pour les contributions à des ouvrages collectifs. Dans la mesure du possible et en dépit de son arbitraire, nous avons essayé de respecter le terminus ad quem que Sylvain Gouguenheim s’est imposé dans son Aristote au Mont-Saint-Michel, le XIIe siècle ; l’astérisque signale une publication absente de la « Bibliographie sélective » de cet ouvrage. Lorsqu’une étude traite conjointement des deux types de traductions, grécolatines et arabo-latines, elle reçoit de surcroît un deuxième astérisque et n’apparaît que dans la première liste. Comme il n’y a pas d’ouvrage qui, mentionné dans la « Bibliographie sélective » (sans astérisque), appartiendrait aux deux listes (un « second » astérisque), la confusion n’est pas possible.
L’ordre suivi est chronologique.
Sur les traductions faites à partir du grec
** Amable Jourdain, Recherches critiques sur l’âge et l’origine des traductions latines d’Aristote et sur des commentaires grecs ou arabes employés par les docteurs scolastiques, Paris, 1819 (éd. revue par Charles Jourdain, Paris, 1843, réédition, New York, Burt Franklin Reprints, 1960 et 1974)
** Charles Haskins, Studies in the History of Mediaeval Science, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1924, 1927 (avec des additions et des corrections), 1960
** Marshall Clagett, Archimedes in the Middle Ages, Wisconsin, University of Wisconsin Press, puis, à partir du t. II, Philadelphia, PA, The American Philosophical Society, 1964-1985, 5 t. en 10 vol.
* Leighton Durham Reynolds et Nigel Guy Wilson, Scribes and Scholars : A Guide to the Transmission of Greek and Latin Literature, Oxford, Oxford University Press, 1968, 1974, 1983, 1991 ; traduction française par Claude Bertrand mise à jour par Pierre Petitmengin, avec une préface de Henri-Irénée Marrou, D’Homère à Érame. La transmission des classiques grecs et latins, Paris, CNRS, 1984, 1986, 1988 et 1991 ; il en existe aussi une traduction italienne, Padoue, 1969 et 1973
* Lorenzo Minio-Paluello, Opuscula. The Latin Aristotle, Amsterdam, Adolf M. Hakkert, 1972
** Bernard G. Dod, « Aristoteles latinus », dans Norman Kretzmann, Anthony Kenny, Jan Pinborg, (éd.), Cambridge History of Later Medieval Philosophy, 1982, Cambridge / New York / Melbourne, Cambridge University Press, 1982, 19842, p. 45-79 (contient p. 74-79, la liste des traductions d’Aristote et des commentateurs aristotéliciens faites aux XIIe et XIIIe siècles)
* Tullio Gregory, « The Platonic inheritance » et Michael Lapige, « The Stoic inheritance » dans Peter Dronke, (éd.), History of Twelfth-Century Western Philosophy, 1988, Cambridge / New York / Melbourne, Cambridge University Press, 1988, p. 54-80 et 81-112
* Anna Carlotta Dionisotti, Anthony Grafton, Jill Kraye, (éd.), The Uses of Greek and Latin. Historical Essays, The Warburg Institute (“Warburg Institute. Survey and Texts”, XVI), 1988
* Michael W. Herren, Shirley Ann Brown, (éd.), The Sacred Nectar of the Greeks : The Study of Greek the West in the Early Middle Ages. Actes du colloque de York, 1986, Londres, King’s College London Medieval Studies, 1988
** Geneviève Contamine, (éd.), Traduction et traducteurs au Moyen Âge, actes du colloque international du CNRS, IRHT, 26-28 mais 1986, Paris, Éditions du CNRS, 1989
** Menso Folkerts, Euclid in Medieval Europe, Winnipeg, The Benjamin Catalogue for History of Science, 1989 mis à jour sur le site http://www.math.ubc.ca/~cass/Euclid/folkerts/folkerts.html
** Jacqueline Hamesse et Marta Fattori, (éd.), Rencontres de culture dans la philosophie médiévale. Traductions et traducteur de l’Antiquité tardive au XIVe siècle. Actes du colloque international de Cassino, 15-17 juin 1989, Louvain-la-Neuve/Cassino, Université Catholique de Louvain/Università degli Studi Cassino, 1990
* Guglielmo Cavallo, Giuseppe De Gregorio et Marilena Maniaci, (éd.), Scritture, libri e testi nelle aree provinciali di Bisanzio. Actes du Colloque d’Erice, 18-25 septembre 1988, Spolète, 1991, 2 t.
Danielle Jacquart, (éd.), Les voies de la science grecque. Études sur la transmission des textes de l’Antiquité au dix-neuvième siècle, Genève, Librairie Droz, 1997
** Danielle Jacquart, La science médicale occidentale entre deux renaissances (XIIe s.-XVe s.), Aldershot, Ashgate, 1997
*Ysabel de Andia, (éd.), Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient en Occident. Actes du colloque international de Paris, 21-24 septembre 1994, Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 1997
** Steve G. Lofts et Philipp w. Rosemann, (éd.), Éditer, traduire, interpréter : essais de méthodologie philosophique, Louvain-la-Neuve / Louvain, Éditions de l’Institut Supérieur de Philosophie / Éditions Peeter, 1997 (pour la section « Questions de traduction »)
*Rita Beyers, Jozef Brams, Dirk Sacré et Koenraad Verrycken, (éd.), Tradition et traduction. Les textes philosophiques et scientifiques grecs au Moyen Âge latin. Hommage à Fernand Bossier, Leuven, University Press, 1999
** Jacqueline Hamesse, (éd.), Les traducteurs au travail, leurs manuscrits et leurs méthodes. Actes du colloque international organisé par le ‘Ettore Majorana Centre for Scientific Culture’, Erice, 30 septembre-6 octobre 1999, Turnhout, Brepols, 2001
** Jacqueline Hamesse et Danièle Jacquart, (éd.), Lexiques bilingues dans les domaines philosophiques et scientifiques (Moyen Âge – Renaissance). Actes du Colloque international organisé par l’École Pratique des Hautes Études - IVe section et l’Institut Supérieur de Philosophie de l’Université Catholique de Louvain, Paris, 12-14 juin 1997, Turnhout, Brepols, 2001
* Jean Irigoin, Le livre grec des origines à la Renaissance, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2001
* Jean Irigoin, La tradition des textes grecs. Pour une critique historique, Paris, Les Belles Lettres, 2003
* Pascal Boulhoul, La connaissance de la langue grecque dans la France médiévale VIe-XVe siècle, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2008 ; l’ouvrage est suffisamment intéressant pour être mentionné, bien que sa parution soit postérieure à Aristote au Mont-Saint-Michel.
* Sten Ebbesen, Greek-Latin Philosophical Interaction. Collected Essays of Sten Ebbesen, Ashgate, Aldershot, 2008, vol. 1 ; un volume 2 est prévu en 2009 : réunit des articles dont la publication s’étend sur ces trente dernières années.
Il faut réserver une place à part à la première traduction de la Bible en grec, essentielle pour aborder l’hellénisme des premiers chrétiens. Une traduction abondamment introduite et annotée est en cours de publication depuis 1986 :
* Marguerite Harl, (éd.), La Bible d’Alexandrie, Paris, Éditions du Cerf ; elle doit comprendre 27 volumes ; elle en est à son vingt-cinquième.
Les participants à cette entreprise ont publié plusieurs volumes d’études :
* Gilles Dorival, Marguerite Harl, Olivier Munnich, La Bible grecque des Septante. Du judaïsme hellénistique au christianisme ancien, Paris, Éditions du Cerf / Éditions du CNRS, 1988
* Marguerite Harl, La langue de Japhet. Quinze études sur la Septante et le grec des chrétiens, Paris, Éditions du Cerf, 1992
* Gilles Dorival et Olivier Munnich, (éd.), Selon les Septante. Trente études sur la Bible grecque des Septante. En hommage à Marguerite Harl, Paris, Éditions du Cerf, 1995
Voir aussi :
* Alexis Léonas, L’aube des traducteurs. De l’hébreu au grec : traducteurs et lecteurs de la Bible des Septante, IIIe s. av. J.-C.-IVe s. apr. J.-C., Paris, Éditions du Cerf, 2007 : l’un des points de départ de la Bible chrétienne.
Sur les traductions faites à partir de l’arabe
* Moritz Steinschneider, Die Europäischen Übersetzungen aus dem Arabischen bis Mitte des 17. Jahrhunderts, Graz, Akademische Druck-und Verlagsanstalt, 1956 (réunit deux études parues en 1904 et 1905)
* José María Millás Vallicrosa, Las traducciones orientales en los manuscritos de la Biblioteca Catedral de Toledo, Madrid, CSIC, 1942
* Hugo Monneret de Villard, Lo studio del Islam in Europa nel XII en el XIII secolo, Vatican, Cité du Vatican, 1944
* José María Millás Vallicrosa, Estudios sobre historia de la cienca española, Barcelone, CSIC, 1949, rééd., Madrid, CSIC, 1991 et Nuevos estudios sobre historia de la cienca española, Barcelone, CSIC, 1960, rééd., Madrid, CSIC, 1991
* Paul Kunitzsch, Arabische Sternnamen in Europa, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1959
Richard Lemay, Abū Ma’shar and Latin Aristotelianism in the Twelfth Century, Beyrouth, The American University of Beirut, 1962
* Heinrich Schipperges, Die Assimilation der arabischen Medizin durch das lateinische Mittelalter, Wiesbaden, Franz Steiner Verlag, 1964
* L’Occidente e l’Islam nell’Alto medioevo, actes du colloque international de Spolète, 2-8 avril 1964, Spolète, Centro italiano di studi sull’alto medioevo, 1965
* Paul Kunitzsch, Der Almagest. Die Syntaxis Mathemetica des Claudius Ptolemäus in arabisch-lateinischer Überlieferung, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1974
* Jean Jolivet, (éd.), Multiple Averroès. Actes du Colloque International organisé à l’occasion du 850e anniversaire de la naissance d’Averroès, Paris 20-23 septembre 1976, Paris, Les Belles Lettres, 1978 (deux sections se rapportent plus spécialement à notre propos : « Averroès commentateur des Grecs » et « L’influence d’Averroès »)
* Gerberto. Scienza, storia e mito. Actes du Colloque international de Bobbio, 25-27 juillet 1983, Bobbio, Archivum Bobiense, 1985
Juan Vernet, La cultura hispanoárabe en oriente y Occidente, Barcelone, Editorial Ariel, 1978, traduit en français par Gabriel Martinez-Gros, Ce que la culture doit aux Arabes d’Espagne, Paris, Sindbad, 1985, 19892, Sindbad / Actes-Sud, 20003 (Gouguenheim ne mentionne que les deux premières éditions françaises, sans en préciser le traducteur ; Gabriel Martinez-Gros devait par la suite adresser de dures critiques à Aristote au Mont-Saint-Michel : voir Le Monde du 25 avril 2008, « Une démonstration suspecte »)
* José S. Gil, La escuela de traductores de Toledo y los colaboradores judíos, Tolède, Instituto provincial de investigaciones y estudíos toledanos, 1985
* Albert Zimmerman et Ingrid Craemer-Ruegenberg, (éd.), Orientalische Kultur und europäisches Mittelalter, Berlin / New York, Walter de Gruyter („Miscellanea Mediaevalia“, 17), 1985
* Werner Bergmann, Innovationen im Quadrivium des 10. und 11. Jahrhunderts. Studien zur Einführung von Astrolab und Abakus im lateinischen Mittelalter, Stuttgart, Franz Steiner Verlag Wiesbaden, 1985
* La diffusione delle scienze islamiche nel Medio Evo europeo, convegno internazionale, Roma, 2-4 ottobre 1984, Rome, Accademia Nazionale dei Lincei, 1987
* Charles Burnett, (éd.), Adelard of Bath. An English Scientist and Arabist of the Early Twelfth Century, Londres, The Warburg Institute (“Warburg Institute. Survey and Texts”, XIV), 1987
* Dimitri Gutas, Avicenna and the Aristotelian Tradition. Introduction to Reading Avicenna’s Philosophical Works, Leiden, Brill, 1988
Danielle Jacquart et Françoise Micheau, La médecine arabe et l’Occident médiéval, Paris, Maisonneuve et Larose, 1990, 19962
* Pierluigi Pizzamiglio, (éd.), Gerardo da Cremona, Crémone, Annali della Biblioteca Statale e Libreria Civica di Cremona, 1992
* Salma Khadra Jayyusi, (éd.), The Legacy of Muslim Spain, Leiden / New York, Brill, 1992, 2 t.
Marie-Thérèse d’Alverny, Avicenne en Occident, avant-propos de Danielle Jacquart, Paris, Vrin, 1993
* Marie-Thérèse d’Alverny, La connaissance de l’Islam dans l’Occident médiéval, Aldershot, Ashgate, 1994
* Marie-Thérèse d’Alverny, La transmission des textes philosophiques et scientifiques au Moyen Âge, Aldershot, Ashgate, 1994
* Dionisius A. Agius et Richard Hitchcock, The Arab Influence in Medieval Europe, Reading (GB), Ithaca Press, 1994, 1996
* Jean Jolivet, Philosophie médiévale arabe et latine, Paris, Vrin, 1995
* Menso Folkerts, (éd.), Mathematische Probleme im Mittelalter. Der lateinische und arabische Sprachbereich. Actes du Colloque international de Wolfenbüttel, 18-22 juin 1990, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 1996
* Olivier Guyotjeannin et Emmanuel Poulle, (éd.), Autour de Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an mil. Album de documents commentés, Paris, École des chartes, 1996
* Charles Burnett, Magic and Divination in the Middle Ages: Texts and Techniques in the Islamic and Christian Worlds, Aldershot, Ashgate, 1996
* La escuela de traductores de Toledo, Tolède, Diputación Provincial de Toledo, 1996
* Charles Burnett, The Introduction of Arabic Learning into England, Londres, British Library (“The Panizzi Lectures”, 1996), 1997
* Charles Burnett, The Coherence of the Arabic-Latin Translation Programme in Toledo in the Twelfth Century, Berlin, Max-Planck-Institut für Wissenschaftsgeschichte, 1997, repris dans Science in Context, 14 (2001), p. 249-288
* Gerhart Endress et Jan A. Aertsen, (éd.), Averroes and the Aristotelian Tradition. Sources. Constitution and Reception of the Philosophy of Ibn Rushd (1126-1198). Proceedings of the Fourth Symposium Averroicum, Cologne 1996, Leyden / Boston / Cologne, Brill, 1999 (Voir surtout les deux sections “Averroes, the Commentator” et “Averroes and the Latin Tradition”)
* Graziella Federici Vescovini, Filosofia e Scienza classica, arabo-latina medieval e l’Età moderna. Actes du colloque international, 26-27 janvier 1996, Louvain-la-Neuve, Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales, 1999
* Isabelle Draelants, Anne Tihon et Baudouin van den Abeele, (éd.), Occident et Proche-Orient : Contacts scientifiques au temps des Croisades. Actes du Colloque international de Louvain-la-Neuve, 24-25 mars 1997, Turnhout, Brepols, 2000
* Menso Folkerts et Richard Lorch, (éd.), „Sic igitur ad astra“. Studien zur Geschichte der Mathematik und Wissenschaften. Festschrift für den Arabisten Paul Kunitzsch zum 70. Geburstag, Wiesbaden, Harassowitz Verlag, 2000
* Gerbert, moine, évêque et pape : d’un millénaire à l’autre, Actes des journées d’étude d’Aurillac, 9-10 avril 1999, Aurillac, Association cantalienne pour la commémoration du pape Gerbert, 2000
* Jean-Baptiste Brenet, Transferts du sujet. La noétique d’Averroès selon Jean de Jandun, Paris, Vrin, 2003.
* Jan P. Hogendijk et Abdelhamid I. Sabra, (éd.), The Enterprise of Science in Islam : New Perspectives, Boston, MIT Press, 2003 (surtout pour les contributions de Paul Kunitzsch et de Charles Burnett)
* Max Lejbowicz, (éd.), Les relations cultuelles entre chrétiens et musulmans au Moyen Âge. Colloque organisé à la fondation Singer-Polignac, 20 octobre 2004, Turnhout, Brepols, 2005
* André Bazzana, Nicole Bériou, Pierre Guichard, (éd.), Averroès et l’averroïsme (XIIe-XVe siècle). Un itinéraire historique du Haut Atlas à Paris et à Padoue, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2005
* Andreas Speer et Lydia Wegener, (éd.), Wissen über Grenzen. Arabisches Wissen und lateinisches Mittelalter, Berlin / New York, Walter de Gruyter („Miscellanea Mediaevalia“, 33), 2006
* Jean Jolivet, Perspectives médiévales et arabes, Paris, Vrin, 2006
* Jean-Baptiste Brenet, (éd.), Averroès et les averroïsmes juif et latin. Actes du Colloque international, Paris, 16-18 juin 2005, Turnhout, Brepols, 2007
Annexe II. Des îlots de savoir dans un océan d’humeurs et de rumeurs
Il nous a paru intéressant de donner une liste de la plupart des réactions suscitées par le livre de Gouguenheim. L’ordre suivi est chronologique, mais certaines pièces n’ont pu être exactement datées. Il en va des sites web comme des organismes vivants : certains sont réaménagés au fil du temps en modifiant l’accès à leurs pages ; d’autres disparaissent. La liste a été arrêtée au 31 décembre 2008.
Roger-Pol Droit, « Et si l’Europe ne devait pas ses savoirs à l’islam ? » et « Jacques de Venise, passeur oublié », Le Monde du 4 avril (voir infra, Alain Gresh). Dès le surlendemain de sa parution, le texte du premier article est intégralement repris, à la virgule près, à la page http://chistusfiscus.hautetfort.com/archive/2008/04/05/nous-nedevons-rien-a-l-islam.html, mais avec un titre qui choisit d’affirmer des certitudes « Nous ne devons rien à l’Islam » ; pour l’analyse de ce changement et des raisons qui l’ont rendu possible, voir http://crm.revues.org/index11113.html#ftn1.
Stéphane Boiron, « Les tribulations des auteurs grecs dans le monde chrétien », Le Figaro du 17 avril ; accessible à l’adresse http://www.lefigaro.fr/livres/2008/04/17/03005-20080417ARTFIG0 0491-les-tribulations-des-auteurs-grecs-dans-le-monde-chretien-.php. Un compte rendu du livre de Gouguenheim à partir des propos tenus le 12 septembre 2006, à l’université de Ratisbonne, par le pape Benoît XVI.
Jean Birnbaum, « Polémiques sur les ‘racines’ de l’Europe » accompagné d’une interview de Sylvain Gouguenheim, « On me prête des intentions que je n’ai pas », Le Monde du 25 avril.
Gabriel Martinez-Gros et Julien Loiseau, « Une démonstration suspecte », Le Monde du 25 avril.
Appel collectif d’historien-(ne) s, « Prendre de vieilles lunes pour des étoiles nouvelles, ou comment refaire aujourd’hui l’histoire des savoirs », Le Monde du 25 avril (extraits).
« Gouguenheim au Mont Saint-Adolf », http://in-nocence.org/public/read.php?3,4716, du 25 avril au 2 mai, des internautes favorables aux thèses défendues par Gouguenheim ont échangé leur point de vue et leurs informations. Il serait trop long de suivre dans le détail toutes ces interventions. Un extrait en donnera un aperçu : « Fallait s’y attendre... Ce qui ne laisse pas beaucoup d’espoir pour la qualité intellectuelle de ce qu’on appelle ‘la communauté universitaire’, du moins en Europe... Un Gouguenheim en fait encore partie, mais pour combien de temps ? Décidément, l’élite est à chercher ailleurs... »
Max Gallo, France-Culture, Esprit public du dimanche 27 avril : « Dans Aristote au Mont Saint Michel, Sylvain Gouguenheim, un très bon médiéviste, professeur à l’École Normale Supérieure, démontre que la vulgate selon laquelle la connaissance des philosophes grecs nous est venue par l’intermédiaire de l’islam est pour le moins à reconsidérer, en tout cas à discuter puisqu’il fait état de la traduction des œuvres d’Aristote au Mont-Saint-Michel par un personnage qui se nomme Jacques de Venise. Et malheureusement cette thèse fort intéressante ne va pas pouvoir être discutée calmement puisque dans Le Monde de cette semaine, j’apprends qu’il y a une pétition d’une quarantaine de médiévistes déclarant que monsieur Gouguenheim n’est jamais que l’un de ceux favorables à la thèse du choc des civilisations, que ce livre est un scandale, d’extrême-droite, etc. Bref, dès lors que l’on n’est pas tout à fait d’accord avec la doxa, avec ce qui règne, même quand on est un médiéviste indiscutable, il devient dangereux de faire de l’histoire. » Le texte est repris d’une page de Christine Tasin, http://christinetasin.over-blog.fr/categorie-10071192.html, après vérification dans les archives sonores de l’Esprit public : http://www.touslespodcasts.com/annuaire/actualites/internatinal/630-episode305028.html.
Pierre Assouline, « L’affaire Aristote, chronique d’un scandale annoncé », 27 avril, http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/04/27/laffaire-aristote-chronique-dun-scandale-annonce/. Bon résumé de ce qui est devenue dès cette date l’« affaire Gouguenheim », avec une conclusion qui ressemble à l’œuf de Christophe Colomb : « Le comble, c’est que rien n’atteste que Jacques de Venise ait jamais mis les pieds dans cette abbaye ! Il eut peut-être fallu commencer par là. » Le souhait est d’autant plus remarquable qu’il n’émane pas d’un médiéviste.
Appel lancé lundi 28 avril par les enseignants, chercheurs, personnels, auditeurs, élèves et anciens élèves de l’École normale supérieure, Lettres et sciences humaine.
Alain de Libéra, « Landerneau terre d’Islam », Télérama du 28 avril ; accessible aux adresses http://www.telerama.fr/idees/landerneauterre-d-islam-par-alain-de-libera,28252.php et http://revuedeslivres.net/index.php?idH=223. La réponse d’un des médiévistes mis en cause par Gouguenheim.
Jean-Yves Grenier, « Aristote au Mont-Saint-Michel, savant et ambiguë », Libération du 29 avril, accessible à l’adresse http://www.liberation.fr/culture/livre/323869.FR.php. Est-ce que l’auteur est compétent pour qualifier de « savant » le livre dont il rend compte, lui qui adhère sans réserve à l’hagiographie que Gouguenheim consacre à Jacques de Venise ? En revanche, lecteur attentif, il est apte à en déceler les faiblesses argumentatives : « Cette grille de lecture [celle de Gouguenheim] n’est pas sans ambiguïté. S’il est en effet bien certain que la longue histoire culturelle de l’Europe est marquée par une lecture sans cesse remaniée de l’héritage de l’antiquité gréco-romaine [on note tout de même le peu de place accordée à Rome dans l’ouvrage visé], il est tout aussi certain que la pensée grecque a beaucoup moins fécondé la civilisation arabo-musulmane, elle-même influencée de son côté par des traditions orientales que l’Occident n’a jamais connu. Constater cette différence ne doit pas conduire à opposer de façon caricaturale un Orient islamique limité dès ses débuts aux principes coraniques et un Occident chrétien très tôt tourné vers la rationalité. C’est finalement l’ultime paradoxe de cet ouvrage que de procéder à un jugement comparatif sur deux civilisations en usant du critère de l’hellénisation du savoir, procédé que l’auteur lui-même dénonce avec justesse dans les dernières pages comme une dérive ethnocentrique qui ‘dénature la civilisation musulmane’. » Dieu reconnaîtra les siens !
Collectif international de 56 chercheurs en histoire et philosophie du Moyen Âge, « Oui, l’Occident chrétien est redevable au monde islamique », Libération du 30 avril.
Éric Aeschiman, « Aristote, un détour arabe contesté », Libération, 30 avril accessible à l’adresse http://www.liberation.fr/ culture/010179794-aristote-un-detour-arabe-conteste ; montre bien la dimension extra historique du livre de Gouguenheim, selon lequel : « L’islam n’a non seulement pas eu le rôle qu’on lui prête, mais n’a pas su mettre à profit les penseurs grecs pour son propre développement en raison d’une incapacité structurale à accéder à une certaine forme de rationalité. »
Thierry Leclère, « Polémiques autour d’un essai sur des racines de l’Europe », Télérama, 2 mai ; accessible à l’adresse http://www.telerama.fr/idees/polemique-autour-d-un-essai-sur-les-racines-de-l-europe,28265.php : « Même si Gouguenheim s’en défend », son livre nourrit « le choc des civilisations. »
Youssef Seddik, « Grecs et Arabes : déjà d’antiques complicités », Télérama du 2 mai ; accessible à l’adresse http://www.telerama.fr/idees/grecs-et-arabes-deja-d-antiques-complicites,28445.php, par l’auteur notamment de Nous n’avons jamais lu le Coran, 2004, de Qui sont les barbares ? Itinéraire d’un penseur de l’islam, 2007 et de L’arrivant du soir : cet islam de lumière qui peine à devenir, 2007, tous parus à La Tour d’Aigues (84), Édition de l’Aube. Il conclut son intervention par : « Sylvain Gouguenheim oublie en effet, ou feint d’oublier, que l’espace du savoir arabe dont il parle n’était pas régi par les normes et les frontières des nationalités et des appartenances territoriales, ethniques ou religieuses. La grande majorité des théoriciens de la grammaire arabe étaient persans. Les jurisconsultes qui ont fait passer les prescriptions coraniques dans les sommes juridiques venaient de tous les horizons du vaste empire. Médecins, chimistes et alchimistes, géographes, philosophes et théologiens de Fès, Kairouan, Alexandrie, Mossoul ou Bagdad ne se reconnaissaient qu’une appartenance commune, celle qui leur faisait consigner en arabe leur pensée et leurs découvertes. Peu importe qu’ils aient été musulmans ou chrétiens, sabéens ou juifs. Dès le début de l’islam, un des pères de l’Église, saint Jean Damascène (676-749), de son vrai nom Mansour Ibn Sarjūn, était tout à la fois vizir auprès du calife Marwān et grand pourfendeur de ce qu’il appelait l’hérésie islamique, sans que cela l’ait conduit au bûcher. »
Pascal Riché, « Baston chez les médiévistes autour de l’apport de l’islam », http://www.rue89.com/2008/05/02/baston-chez-lesmédievistes-autour-de-lapport-de-lislam. Résumé goguenard de la polémique, qui souligne le rôle de sites d’extrême-droite.
Alain Gresh, « Un historien au service de l’islamophobie », Le Monde diplomatique, 7 mai, accessible à la page http://blog.mondediplo.net/2008-05-07-Un-historien-au-service-de-l-islamophobie. L’auteur découvre avec amusement « les compétences en matière d’histoire médiévale » de Roger-Pol Droit, qu’il n’avait pas jusqu’ici soupçonnées.
Marie-Geneviève Balty-Guesdon, http://memoireduvent.canalblog.com/archives/2008/05/15/9191388.html. Voir dans le présent livre, sa contribution « La Maison de la Sagesse ».
Sylvie Nony, « Fitna II », Mediapart, 7 mai, http://www2.mediapart.fr/club/blog/sylvie-nony/070508/fitna-ii. Témoignage d’une enseignante, qui parle aussi des limites de la culture classique et conclut : « Notre espoir est dans le partage de l’aventure humaine et du mouvement des idées au sein des cultures, passées ou contemporaines. À condition d’éviter deux écueils : une lecture identitaire bien sûr, mais aussi une lecture œcuménique qui amènerait à conclure que tout est dans tout et qu’aujourd’hui est la continuité d’hier. »
Maurice-Ruben Hayoun, « Quelles sont les racines culturelles de l’Europe ? », 18 mai, http://www.relatio-europe.eu/la-revue/debats-et-idees/116-debats/3356--debat-savoir-grec-et-influences-arabesen-Europe. Point de vue nuancé d’un spécialiste, qui insiste sur l’« héritage oublié » de Gouguenheim, le judéo-christianisme. Peut-être aurait-il pu aller plus loin : Est-ce que cet oubli n’est pas nécessaire à la thèse défendue par Gouguenheim, pour qui les Sémites ne peuvent pas assimiler la raison grecque ?
Sylvain Bourmeau, « L’affaire Gouguenheim ou comment on réécrit (mal) l’histoire », Mediapart, 8 mai http://www2.mediapart.fr/journal/culture-idees/080508/l-affaire-gouguenheim-ou-commentreecrit-mal-l-histoire.
Anonyme, « Le Goff défend Gouguenheim », L’Express, 15 mai 2008 : « Le grand historien Jacques Le Goff a été outré par les attaques contre Sylvain Gouguenheim et son livre Aristote au Mont-Saint-Michel (Seuil). S’il juge ‘intéressante mais discutable’ la thèse de ce livre, qui minimise le rôle des Arabes dans la transmission du savoir grec, il déplore la ‘véhémence’ des critiques - l’auteur a même été accusé de sympathies pour l’extrême droite - et relève que ‘peu des principaux médiévistes’ ont signé la pétition anti-Gouguenheim. En témoignage de soutien, Jacques Le Goff envisage de consacrer l’un de ses prochains Lundis de l’Histoire, sur France-Culture, à un autre ouvrage de Gouguenheim, Les Chevaliers Teutoniques (Tallandier). » Ainsi fonctionnent les médias : selon eux, afin de soutenir un Gouguenheim attaqué pour son Aristote, Le Goff projette de s’appuyer sur Les Chevaliers Teutoniques … Qui saura jamais ce que l’intéressé juge ‘intéressant et discutable’ dans Aristote ? Voir plus bas, à Avvenire.
Christine Tasin, « Sylvain Gouguenheim, mis au ban de l’Université par la bien pensance », Riposte laïque, numéro 42, mise en ligne le 20 mai http://www.ripostelaique.com. Voir dans le présent livre la contribution de Max Lejbowicz, « La prison des mots et des passions. »
Avvenire, journal de la Conférence épiscopale italienne : 1 / Le 21 mai, « Polemica in Francia : il medioevo non fu musulmano », avec une photo de Jacques Le Goff et un chapeau : « Gouguenheim in un saggio ridimensiona l’opera degli arabi nel traghettare la sapienza greca in Occidente. Et i colleghi (tranne Le Goff) l’attaccano. Dans un essai, Gouguenheim réduit l’apport des Arabes dans la transmission de la science grecque en Occident. Et ses collègues, sauf Le Goff, l’attaquent. » On note l’amalgame entre « musulman » et « arabe », tandis que Le Goff devient le porte-drapeau des pro-Gouguenheim sans qu’il ait produit la moindre analyse sur le livre contesté. 2 / Le 29 mai, « Aristotele ‘arabo’ ? Politically correct », avec cette fois le buste d’Aristote. Le livre de Gouguenheim est réputé instaurer un authentique débat historique, tandis que ses contradicteurs ne sont mus que par idéologie. Dans le corps de l’article, ceux-ci deviennent des « intellectuels multiculturalistes », tandis que les pro-Gouguenheim sont des « eurocentristes ». L’essentiel de l’argumentation reprend un passage du livre de Rémi Brague, Au moyen du Moyen Âge, qui, antérieur à celui de Gouguenheim, demande notamment de bien distinguer « musulmans » et « Arabes »…
http://benoit-et-moi.fr/2008/printable/0455009a4e0a83616/0455009ab20d04311.php : reproduit et traduit les deux articles de l’Avvenire et conclut : « Sans rentrer entièrement dans le fond du sujet, il convient de souligner que si le débat semble avoir été effectivement animé, il est étrange que l’on n’ait entendu que des "seconds couteaux"... et pas "une personnalité du calibre de Rémy (sic) Brague". Au moins, c’est ce qu’il me semble. Je devrais ajouter : une fois de plus. Doit-on obligatoirement lire la presse italienne pour avoir accès à ses lumières ? Ce qu’il a à dire dérange-t-il à ce point ? » Voir plus bas, l’analyse que l’autorité ainsi sollicitée a menée sur cette « affaire ».
Charles de Miramont, « Précision sur Jacques de Venise », 21 mai, http://in-nocence.org/public/read.php?3’6318,6379 : donne un aperçu du ms d’Avranches 232 qui contredit l’usage que Gouguenheim en fait.
Florian Louis, « L’affaire Aristote : retour sur un emballement historiographico-médiatique », Acta, 22 mai ; accessible sur http://www.fabula.org/revue/document4195.php. Se livre à une analyse détaillée du livre de Gouguenheim et des réactions qu’il a suscitées ; ce serait même une analyse scrupuleuse si elle n’était pas d’une candeur désarmante : « Le scriptorium de l’abbaye du Mont-Saint-Michel fut au XIIe siècle le lieu d’une vaste entreprise de traduction et de commentaire de l’œuvre d’Aristote du grec au latin qui, à en croire S. Gouguenheim, connut dès ses débuts une importante diffusion, ce qui lui permet d’affirmer que’ la place du Mont-Saint-Michel apparaît essentielle dans le processus de diffusion de la pensée d’Aristote’ dans l’Occident médiéval (p. 120). La démonstration de S. Gouguenheim aurait pu s’en tenir là, et n’aurait sans doute guère fait de remous. Mais l’auteur va beaucoup plus loin : non content d’avoir mis en lumière les ferments d’hellénité endogènes à l’Occident médiéval, il entreprend en contrepoint de montrer que le monde musulman en fut lui dépourvu, ou plus précisément qu’il ne put, ne sut ou ne voulut les faire fructifier. » Le livre de Gouguenheim est une falsification à deux faces : elle peut transformer l’Islam en épouvantail parce qu’elle a transformé l’abbaye du Mont-Saint-Michel en attrape-tout de la haute culture.
André Burguière, « L’essai qui fait scandale. Mais qui a traduit Aristote ? », que complète Grégoire Leménager, « Une violente polémique », dans Le Nouvel Observateur, 22 mai, accessible sur http://bibliobs.nouvelobs.com/2008/05/22/une-violente-polemique. En prétendant que « Cet essai, dont les quatre premiers chapitres sont passionnants, tourne au réquisitoire quand il revendique pour l’Europe des racines authentiquement grecques », Burguière se montre un piètre médiéviste et un bon analyse politique. Au final, l’essentiel du livre de Gouguenheim lui échappe : le réquisitoire qu’il dénonce est directement lié à la falsification de l’histoire médiévale qu’il ne remarque pas. Leménager est un simple écho de la polémique en cours.
Blaise Dufal, « Choc des civilisations et manipulations historiques. Troubles dans la médiévistique », sur le site du Comité de vigilance face aux usagers de l’histoire, à la page http://cvuh.free.fr/spip.php?article180 et sur celui de Mediapart http://www2.mediapart. fr/club/edition/usages-et-mesusages-de-lhistoire/article/030508/aristote-au-mont-saint-michel-choc-de ; voir aussi sur http://cvuh.free.fr/spip.php?article193 le débat qui s’en est suivi entre Dufal et un des historiens visés, Thierry Camous, Gouguenheim préférant rester silencieux. Vigoureuse analyse sociologique des dérives idéologiques de Gouguenheim et de ses supporters.
Max Lejbowicz, « Saint-Michel historiographe. Quelques aperçus sur le livre de Sylvain Gouguenheim », http://revuedeslivres.net/index.php?idH=225 ou http://crm.revues.org/index2808.html : outre que sa « Bibliographie sélective » est inexacte et lacunaire, Gouguenheim n’a pas lu Adélard de Bath, un des traducteurs arabo-latins sur lequel il s’appuie pour étayer sa thèse.
Frédéric Valloire, « Islam – Occident, l’histoire interdite ? », Valeurs actuelles, 6 juin 2008.
La perle suivante donne un bon aperçu des « débats » qui animent la blogosphère : http://linfoaveclesdents.hautetfort.com/archive/2008/06/09/sous-les-paves-aristote.html : « Malgré mon a priori favorable pour un ouvrage (celui de Gouguenheim) ayant énervé à ce point le microcosme post-soixante-huitard, je ne pouvais pas donner un avis objectif sur le corps du délit sans l’avoir préalablement parcouru. (…) Simon de Venise, le héros de l’ouvrage de Sylvain Gouguenheim, réalise une traduction d’Aristote en latin qui connaît une diffusion exceptionnelle. » Sacré Simon !
Ceaux Pascal et Christian Makarian, « Que devons-nous aux philosophes arabes ? », L’Express du 12 juin, interview de Gouguenheim dans un numéro qui consacre une série d’articles à l’Islam. La couverture annonce : « Islam. Les vérités qui dérangent ». En s’en tenant à notre sujet, on apprend que Gouguenheim « vient de recevoir l’appui d’historiens polonais de l’université Copernic de Torun, qui font référence à la censure des recherches à l’époque soviétique. ‘Est-ce que l’historiographie française se dirige vers ces pratiques ?’ s’inquiètent-ils. » Merveilleuse labilité de la mémoire ! Aucune instance gouvernementale n’a émis le moindre diktat à l’encontre de Gouguenheim. Ce sont des spécialistes qui, librement et sans rien attendre des instances officielles, se sont opposés aux dérives d’un de leur confrère. Est-ce là un schéma qui appartient « à l’époque soviétique » ? Quant à l’interview lui-même, accessible à l’adresse http://www.lexpress.fr/outils/imprimer.asp?id=510622, il se déroule selon un schéma bien rodé. Gouguenheim a voulu mettre à la portée du grand public les découvertes des spécialistes ignorées du grand public et même de « la plupart des manuels de base ». Ce ne sont pas des journalistes qui vont le contredire.
Une mise au point de Rémi Brague parue dans la Nef de juin, voir http://nicomaque.blogspot.com/2008/07/aristote-au-mont-saintmichel.html (voir plus bas).
Avis du comité d’experts composé de membres extérieurs au Conseil scientifique de l’École normale supérieur de Lyon et du directeur du centre d’histoire et d’archéologie médiévale réuni le 19 juin. Le Monde du 11 juillet : « Après avoir rappelé ‘la liberté d’opinion et d’expression qui caractérise l’activité des enseignants chercheurs’, le comité a ensuite regretté que ‘les thèses présentées dans l’ouvrage n’aient fait l’objet d’aucune présentation scientifique au sein de l’École ou de l’équipe de recherche de l’auteur’. Il a invité Sylvain Gouguenheim ‘à participer à des discussions scientifiques autour des thèses développées dans son ouvrage’ ». Jusqu’à nouvel ordre, l’intéressé n’a pas répondu à l’invitation qui lui a été faite.
Paul-François Paoli, « L’historien à abattre », Figaro, 15 juillet 2008 ; accessible à l’adresse http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2008/07/08/01016-20080708ARTFIG00553-l-historien-a-abattre-.php. Le niveau et le ton de l’article sont précisés dans le début : « ‘Racines’, ‘grecques’, ‘chrétienne’ : des mots malsonnants aux oreilles d’une gauche bien-pensante pour laquelle l’Europe ne peut être que sans identité ni frontières. » C’est une manière de reconnaître que ces trois mots fonctionnent comme des talismans ; l’auteur qui s’en réclame est d’emblée au-dessus de tout soupçon.
Jacques Verger, compte rendu d’Aristote au Mont-Saint-Michel, Cahiers de Civilisation Médiévale, 51 (2008), p. 182-184. Les usages académiques ont été bousculés : quelques années – l’intervalle qui sépare d’ordinaire les sorties d’un ouvrage du numéro de la revue spécialisée qui en publie la recension - ont été réduites à quelques mois. Sans doute y avait-il urgence. Un connaisseur rompu à l’exercice relate à l’adresse d’autres connaisseurs sa lecture de Gouguenheim. Sous le vernis de la bienséance, le résultat n’est pas brillant. D’abord la présentation de l’auteur : « ni helléniste ni arabisant », Gouguenheim ne peut se prévaloir « d’une recherche originale » ; il est « dépendant de ses sources d’informations mais a pu aussi les sélectionner en fonction des thèses qui lui tiennent à cœur : on aurait parfois aimé que la parole fut donnée aux tenants des positions qu’il récuse, mais sans les exposer vraiment. » Ensuite « les réserves » ; elles sont au nombre de quatre. 1 / « Si les traductions de Jacques de Venise (…) avaient suffi aux besoins culturels de l’Occident, pourquoi les grandes entreprises ‘espagnoles’ que symbolisent les noms de Gérard de Crémone et Michel Scot auraient-elles pris une telle ampleur ? » Une comparaison de la diffusion et du succès des traductions gréco-latines et arabolatines s’imposait. « Faute de cette comparaison systématique, l’affirmation de la primauté absolue des traductions faites directement sur le grec ne peut emporter la conviction. » 2 / L’hellénisme des Latins ? « Les théologiens du XIIIe s. mettront plus d’ardeur à rédiger des Contra errores Graecorum qu’à rechercher dans l’orthodoxie les marques encore présentes de l’Église primitive. Significatif à cet égard me paraît le fait que pratiquement aucun des grands intellectuels médiévaux, d’Abélard à Oresme en passant par Albert le Grand et Thomas d’Aquin, n’a cherché à apprendre lui-même le grec. Et plus largement, on ne peut pas dire que la IVe croisade et la prise de Constantinople en 1204 traduisent une attitude de respect et de sympathie vis-à-vis du legs hellénique. » 3 / Que vaut l’insistance de Gouguenheim à préciser l’appartenance religieuse, chrétienne ou juive, de nombreux traducteurs gréco-arabes, via souvent un intermédiaire syriaque ? « Peut-on affirmer (…) qu’ils appartenaient à un univers culturel totalement différent de celui des musulmans arabophones, qui étaient, de toute façon les destinataires principaux de ces traductions ? » Quant aux Latins, « ils concevaient (les textes traduits de l’arabe) comme des vecteurs parfaitement légitimes, soit de la science et de la sagesse grecques, soit d’une science et d’une sagesse spécifiques, quoique dérivées des précédentes et en facilitant par conséquent l’accès. » 4 / Plus grave : « Par une sorte de glissement essentialiste, l’auteur passe alors de l’Islam médiéval à une sorte d’Islam intemporel, en soi. Pour des raisons à la fois linguistiques (…), psychologiques et religieuses l’Islam aurait été irrémédiablement rétif au rationalisme, à la science, à la découverte, autocentré sur ses convictions religieuses et son système théologico-juridique. (…) De telles affirmations (…) relèvent plus de la littérature d’humeur que de la démonstration scientifique et rendent impossible le débat qu’elles prétendaient instaurer. » Ce n’est pas dit mais les mœurs de la tribu n’en sont pas moins ainsi faites : un rapport de thèse libellé en ces termes ne permettrait pas au candidat d’accéder à une chaire de l’enseignement supérieur.
Marc Riglet, entretien de Sylvain Gouguenheim, Lire, juillet - août 2008, p. 58-59 accessible à la page : http://www.lire.fr/entretien.asp/idC=52683&idTC=4&idR=201&idG
Louis-Jacques Bataillon, « Sur Aristote et le Mont-Saint-Michel. Notes de lecture », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 92 (2008), p. 329-334 (repris dans le présent volume avec l’accord de l’auteur et du directeur de la revue, le Père Gilles Berceville).
Henri Madelin, « Une Europe encore incertaine », Études, 409/1-2 (juillet-août 2008), p. 113-115. Aperçu sur trois livres qui traitent de l’Europe, dont celui de Gouguenheim. L’auteur souscrit aux différentes fables que raconte ce dernier : un Jacques de Venise Montois, les arabisants qui dénigrent le Moyen Âge latin, des Arabes frustrés de voir un pan glorieux de leur histoire leur échapper… Il n’en vante pas moins « une Europe multiculturelle dès ses origines. » Comprenne qui pourra !
Jérôme Cordelier, « Les mystères du Mont-Saint-Michel », Le Point, 31 juillet, accessible à la page http://www.lepoint.fr/actualitessociete/les-mysteres-du-mont-saint-michel/92. L’« affaire Gouguenheim » a conduit Le Point à faire un reportage sur l’abbaye. Son journaliste a notamment interrogé sur la version de Jacques de Venise défendue par Gouguenheim, Jean-Luc Leservoisier, conservateur du patrimoine littéraire à Avranches, auteur des Manuscrits du Mont-Saint-Michel, Rennes, Éditions Ouest-France, 1996 et coauteur, avec Monique Dosdat de L’Enluminure romane au Mont-Saint-Michel, Rennes, Éditions Ouest-France, 20062 : « C’est du pur roman ! On sait trois fois rien sur Jacques de Venise. Son nom est cité seulement dans deux lignes de la chronique latine de l’abbé Robert de Torigni entre les années 1128 et 1129, où il est dit que celui-ci a traduit les œuvres d’Aristote. Mais en aucun cas il n’a pu venir au Mont-Saint-Michel à la fin des années 1120, période de troubles extrêmes qui culminèrent avec l’incendie de l’abbaye par les habitants d’Avranches en 1138. »
XIe Rendez-vous de l’histoire de Blois, 10 octobre « Polémique sur les ‘racines’ de l’Europe - Retour sur l’‘affaire Gougenheim’ », débat animé par Jean Birnbaum, journaliste au Monde des livres, avec Patrick Boucheron, maître de conférences en histoire médiévale à Paris 1, Roger-Pol Droit, journaliste au Mondes des livres et chercheur au CNRS, Annliese Nef, maître de conférence en histoire de l’Orient médiéval à Paris 4 et Dominique Urvoy, professeur d’islamologie à Toulouse 3. Voir le compte rendu du débat dans Thomas Wieder, « Penser l’‘affaire Gouguenheim’ », Le Monde du 17 octobre 2008 et les remarques d’un habitué de ces Rencontres, qui enseigne l’histoire et la géographie dans le secondaire, à l’adresse http://www.nonfiction.fr/article-1634-p1-rendez_vous_de_lhistoire_de_blois_2008_choses_vues.htm.
Prix Victor Cousin (médaille) de l’Académie des sciences morales et politiques décerné à Aristote au Mont Saint-Michel de Sylvain Gouguenheim (novembre 2008). Le jury était composé des membres de la section de philosophie de l’Académie (pour nos commentaires, voir l’introduction).
Interview de « Sylvain Gouguenheim, auteur maudit (nouveau Rushdie) » http://www.resiliencetv.fr/modules/smartsection/item.php?itemid=1436, publié par LSA Oulahbib le 4 décembre 2008. L’interviewer s’en prend préalablement à « un dénommé Pierre Assouline » (voir plus haut l’auteur ainsi visé) et cite longuement, à l’appui de son interviewé, « un article savant, écrit par Émile Saisset en 1847 » : il démontre bien involontairement que le savoir historique de Gouguenheim, daté de plus de cent soixante ans, ne se renouvelle pas.
Rémi Brague (Paris I/LMU), « Grec, arabe, européen. À propos d’une polémique récente » http://www.resiliencetv.fr/modules/smartsection/item.php?itemid=1361. On apprend de bien curieuses choses dans cet article ! Dans un discours prononcé à l’occasion de l’ouverture du festival de musique sacrée de Fez (disponible sur Internet : www.Ma/eug/sections/speeches/full_text_of_king_s7700/view), l’actuel roi du Maroc soutient que Gerbert d’Aurillac a acquis son savoir mathématique à l’Université de Fez ! Étonnez-vous, après avoir entendu ces sornettes, que le royaume peine à accéder à la modernité… L’article se termine par ce jugement que Salomon n’aurait pas désavoué : « L’affaire Gouguenheim aura eu au moins le mérite d’attirer l’attention d’un vaste public sur une question historique de grand intérêt. Elle était jusqu’alors, soit confinée aux monographies savantes, soit au contraire abandonnée aux bateleurs médiatiques qui en présentent des caricatures tendancieuses. Le livre de S. Gouguenheim, se plaçant sur le terrain de la bonne vulgarisation, se proposait de rectifier les secondes en puisant dans les premières. Il n’est pas l’ouvrage définitif et exhaustif dont on pourrait rêver. Mais tant que ce livre parfait restera au pays des rêves, celui de S. Gouguenheim a l’avantage de contester quelques certitudes trop rapidement acquises. » Pareille complaisance appelle un rectificatif. Aristote au Mont-Saint-Michel en apporte de multiples preuves : Gouguenheim ne rectifie nullement « les caricatures tendancieuses » en puisant dans « les monographies savantes ». Il s’en prend plutôt à quelques « monographies savantes », qu’il s’est contenté de parcourir et qu’il résume de manière partiale ; et, en procédant ainsi, c’est lui qui sombre dans « les caricatures tendancieuses ». Par ses analyses simplistes, ses multiples défauts de documentation et ses options idéologiques, il empoisonne le débat public dans une conjoncture qui n’est guère favorable au dialogue des civilisations. Loin d’être de la « bonne vulgarisation », son livre est un essai polémique qui favorise les pires stéréotypes. On ne peut pas ne pas se demander : Pour qui roule Rémi Brague ?
http://libri.factotus.it/filosofia/filosofia-antica-medievale-orientale/aristotele-contro-averroe-il-mito-delle-radici-islamiche-dellasocieta-occidentale/dettaglio/id-1847048/ : annonce la sortie, le 1er janvier 2009, d’un livre de Sylvain Gouguenheim titré Aristotele contro Averroè. Il mito delle radici islamiche della società occidentale, Rizzoli ; un titre aussi provocateur porte à penser que Gouguenheim s’enferme dans ses ignorances et ses préjugés.
http://www.lepost.fr/article/2008/12/17/1359854_sylvaingouguenheim-met-un-pave-dans-la-mare-de-la-pseudo-filiation.html : les soubresauts de la polémique par un monomaniaque.
Richard Bastien et Monique David, « Notes de lectures sur Sylvain Gouguenheim », Égards, revue de la résistance conservatrice, n° 22, le 19 décembre 2008 : se réfère à Jacques Le Goff et Rémi Brague pour prendre le parti de Gouguenheim.
Sylvain Piron, « Sur une falsification historique », Revue de Synthèse, 129 (2008), p. 617-623 : la compétence du médiéviste mise au service des exigences du citoyen : ravageur !
Notes de bas de page
1 Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, 1898. Nous nous référons à la réédition parue à Paris, Éditions Kimé, 1992 (p. 189 pour la citation) : elle est préfacée par Madeleine Rebérioux, qui situe l’ouvrage à l’époque de sa parution et rappelle les oppositions qu’il a rencontrées. En dépit des polémiques, cet « essai sur la méthode des sciences historiques (p. 18) » reste essentiel pour la formation de l’historien ; voir Guy Bourdé et Hervé Martin, Les écoles historiques, Paris, Éditions du Seuil, 1983, p. 144-150 et Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Points-Histoire, 20012 (1e éd : 1983), p. 55-77.
2 Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont-Saint-Michel, p. 200.
3 Ibid., p. 19.
4 Ibid., p. 22.
5 Ibid., p. 12.
6 Ibid., p. 147.
7 Cf. la quatrième de couverture, qui résume les p. 148-149.
8 Ibid., p. 21.
9 Ibid. p. 151.
10 Ibid. p. 21.
11 ibid. p. 145.
12 Thomas Litt, Les corps célestes dans l’univers de Saint Thomas d’Aquin, Louvain / Paris, Publications universitaires / Béatrice-Nauwelaerts, coll. « Philosophes médiévaux, VII », 1963. Nicole Oresme, De configurationibus qualitatum et motuum, prima pars, chap. 36-40 in Marshall Clagett, Nicole Oresme and the Medieval Geometry of Qualities and Motions, New-York, Madison, 1968.
13 Gouguenheim, Aristote, p. 199.
14 Voir Gérard Simon, L’expérimentation chez Ptolémée et Ibn al-Haytham dans Régis Morelon et Ahmad Hasnawi (éds), De Zénon d’Élée à Poincaré. Recueil d’études en hommage à Roshdi Rashed, Louvain-Paris, Peeters, 2004, p. 363-376, notamment p. 372.
15 Il est aujourd’hui admis que l’histoire des sciences, et plus généralement l’histoire des savoirs, exigent une mise en contexte philosophique, religieuse etc. de l’œuvre, ce que Gérard Simon après Foucault appelle « les aprioris du savant ». L’historicité de ces aprioris ôte tout sens à la notion de précurseur. Voir Gérard Simon, « De l’histoire des sciences aux savoirs contemporains », Le Débat n° 162, (nov.-déc. 1998), Paris, p. 107-130.
16 Pierre Duhem, Études sur Léonard de Vinci. IIIe série. Les précurseurs parisiens de Galilée, Paris, Hermann, 1913, rééd. Gordon and Breach Science Publishers, 1984. Pour Buridan, voir les études XIII et XIV, p. 3-259, et pour Oresme l’étude XV, p. 346-405.
17 Dimitri Gutas, Pensée grecque, culture arabe. Le mouvement de traduction gréco-arabe à Bagdad et la société abbasside primitive (IIe-IVe /VIIIe-Xe siècles), traduit de l’anglais [Greek Thought, Arabic Culture, 1998] par Abdesselam Cheddadi, Paris, Aubier, 2005.
18 Gouguenheim, Aristote, p. 134.
19 Voir l’article de Rémi Brague cité dans l’annexe II.
20 ibid.
21 Voir l’annexe II
22 http://www.asmp.fr
Auteurs
Professeur émérite, UMR STL - CNRS Université de Lille 3
Docteur, UMR STL - CNRS Université de Lille 3
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