Le voyage en Grèce dans les Carnets d’Albert Camus : l’expression intime de la joie
p. 161-176
Texte intégral
1Les deux voyages en Grèce relatés dans les Carnets – le voyage inaugural de 1955 et celui, moins détaillé1, de 1958 – sont l’occasion de découvrir comment Camus se livre à lui-même en toute liberté : il s’agit d’y saisir une émotion personnelle, d’en garder le souvenir vivant. Les évocations des lieux témoignent du bonheur vécu, dans une succession de moments parfaits. Les notes des voyages en Grèce entrent en résonance intime avec l’œuvre antérieure et les préoccupations profondes de l’écrivain et dépassent la simple notation de voyage : la Grèce offre à Camus un temps de pause où l’homme des combats se laisse envahir par la sensation ; ces notes deviennent alors le lieu où se dire, et révèlent l’écrivain autant que le pays rencontré.
2En quoi le voyage en Grèce constitue-t-il une expérience particulière pour Camus ? Qu’est-ce qui le retient dans ce pays ? Qu’est-ce qu’il révèle de lui ? La lecture du Cahier VI où Camus évoque son voyage au Brésil fait mieux apparaître la spécificité grecque.
Un voyage cauchemardesque : le Brésil
3Le voyage jusqu’au Brésil effectué par Camus en 1949 représente en effet le parfait contre-exemple du voyage en Grèce et, à ce titre, il est intéressant de relever les oppositions entre Brésil et Grèce. Toute la traversée vers le Brésil est marquée par le vocabulaire de la maladie, du mal être, qui va jusqu’aux idées de suicide : fatigue, insomnie, somnolence. Ce mal être contamine le paysage qui est perçu négativement (sans relief, morne…), avec des termes qui là aussi relèvent de la maladie (l’anémie, la lèpre…) : « le ciel est bourré d’une mauvaise brume », le « soleil a l’air d’une maladie », il brille d’un « éclat mort » : dès le matin, la mer est « gluante – couverte de bave fraîche » ; à midi, elle semble une « énorme bouffissure avec l’éclat métallique des décompositions » (IV, 1011). Une fois sur terre, la déception, voire le dégoût, perdure. Dégoût qui va gagner le désir même d’écrire : « Fatigué de noter des riens. » (IV, 1039), note Camus.
4Ce malaise est provoqué à la fois par le paysage et la société : c’est un pays où l’humide corrompt tout (tandis que la sécheresse grecque guérit), où même la poussière qui emplit les narines devient « une boue suffocante » (IV, 1047) ; un pays où la sensation de pourriture, l’absence de transparence, provoquent une sensation d’étouffement. Camus y déteste la « lumière glauque de la forêt » (IV, 1046) où l’on « rampe » (IV, 1043) – alors qu’en Grèce, on est debout. Dans une lettre à Char, écrite de Sao-Paulo, Camus explicite son rejet : le Brésil est un « [p]ays trop chaud, […] où la nature mangera un jour les fragiles décors surélevés dont l’homme essaie de s’entourer. Les termites vont dévorer les gratte-ciel, […] et la vérité du Brésil éclatera enfin. »2 Pour lui, le Brésil incarne la démesure de la nature, dans laquelle l’homme est écrasé, impuissant. Mais c’est aussi le pays de l’indifférence à l’homme et à sa misère ; Camus se montre choqué par la relation de l’homme à sa terre et à la société, par le cynisme et l’hypocrisie – on regarde les blessés mourir sans soin dans la rue mais on déclare adorer les enfants –, par un catholicisme exacerbé, aux rituels dégradés, par les outrances de l’expressionnisme des danses. Camus revient d’ailleurs gravement malade de ce voyage : en octobre, il doit s’aliter et part se reposer à Cabris durant l’année 1950.
Un exact contrepoint : le voyage en Grèce3
5Le voyage en Grèce représente l’exact contrepoint du voyage au Brésil. C’est un voyage dont Camus avait depuis longtemps formé le projet : dès 1938, il avait prévu d’aller en Grèce avec ses amis d’Alger ; le projet resurgit en août 1939, à Alger toujours, comme il l’écrit à Blanche Balain : « je pars le 27 pour la Grèce »4, voyage que l’imminence de la guerre annule. Huit ans plus tard, Camus précise son attente dans Prométhée aux enfers : « L’année de la guerre je devais m’embarquer pour refaire le périple d’Ulysse. [...] projet somptueux de traverser une mer à la rencontre de la lumière. »5 Camus y revient encore, dans Retour à Tipasa (en 1952), soulignant ainsi son désir : « Le 2 septembre 1939, […] je n’étais pas allé en Grèce, comme je le devais. »6 Ce voyage longtemps rêvé va finalement s’accomplir en avril-mai 1955 ; il fait suite à un voyage en Algérie en février 1955 durant lequel Camus s’est rendu à Orléansville sinistrée par un tremblement de terre7. Le souvenir très proche de l’Algérie est perceptible dans les notes de voyage en Grèce, d’autant que la ville de Volos – où il se rend – vient d’être détruite à 80 % par un grave tremblement de terre.
6En 1955, Camus est invité par l’Union culturelle gréco-française pour un colloque sur « L’avenir de la civilisation européenne » à Athènes (28 avril 1955) ; il poursuit son voyage à travers la Grèce où il prononce une série de conférences8. Au moment de quitter la France, il se sent épuisé, découragé, à bout de forces, comme il l’écrit le 18 mars 1955 à Char : « Je ne vous ai pas fait signe car je suis, intérieurement, au bout de mon rouleau […]. »9 Le jour de son départ pour Athènes, le 26 avril 1955, il note dans son « Cahier » : « Navré et vidé de toute joie par F. » (IV, 1221) Mais le voyage en Grèce va remplacer le vide par la plénitude, l’abattement par la santé. Comment ? Tout d’abord par l’émotion intense éprouvée devant la beauté du paysage grec, mais aussi parce que Camus comprend profondément ce qui fait la Grèce10 et que, dans ce pays, s’accomplit un accord apaisé entre le monde et lui.
7Les premières impressions notées dans le Carnet indiquent quelles sont les sources de sa joie. Le moment de ce premier voyage, le printemps, est déterminant car il lui fait revivre la jubilation du printemps évoquée dans Noces à Tipasa et lui offre un paysage dans un temps de profusion exceptionnelle qui suscite son émerveillement. En effet, le printemps grec se caractérise par une brusque et brève explosion de fleurs sauvages et de couleurs dans tout le pays. Dès le premier jour, Camus se dit frappé par la végétation qui pousse dans les ruines sur l’Acropole : « les coquelicots d’un rouge sombre […] dont l’un pousse directement, solitaire sur la pierre nue […] ». (IV, 1222) C’est la même chose à Mycènes dont la forteresse est « couverte de coquelicots » (IV, 1225), ou à Délos : « Toute la Grèce que j’ai parcourue est en ce moment couverte de coquelicots et de milliers de fleurs » (ibid.). André Dhôtel, qui retourne en Grèce la même année 1955, évoque aussi son éblouissement devant le printemps grec : le choc éprouvé est d’autant plus grand que cette explosion de couleurs est indissociable de sa brièveté car, dès la fin mai, la chaleur a tué toute trace de cette féerie végétale. Dhôtel le souligne en utilisant dans ses descriptions le futur, annonciateur du dessèchement de la végétation : « Rien que des fleurs qui disparaîtront aux premières chaleurs. »11 Le second voyage de Camus, effectué au début de l’été 1958 ne lui permettra pas de revivre cet enchantement du printemps. Il note ainsi à la date du 1er juillet 1958 à Athènes : « Chaleur. Poussière » (IV, 1281). D’ailleurs, dans ce second voyage, on trouve moins de notes personnelles : Camus utilise constamment le « nous » ou le « on » pour indiquer qu’il se trouve dans un groupe12 et le manque de solitude lui pèse : à chaque fois qu’il dit « je » (et c’est rare), c’est pour signifier qu’il s’exclut du groupe : « Je quitte le bateau le matin tôt, seul […] », « À 6 heures je monte sur le pont […]. Tout le monde dort à bord », « Au matin je vais me baigner seul » (IV, 1275-1278). Ses notes sont brèves ; ce sont parfois juste des indications de faits ou une énumération des lieux ; le climat (vent violent, accostage difficile) limite le temps passé à terre.
8Mais en avril 1955, dès son arrivée, Camus se montre particulièrement sensible à la lumière grecque : la rencontre tant rêvée a donc bien lieu et comble une longue attente. La lumière grecque qui a frappé nombre de voyageurs en Grèce, rejoint chez Camus une thématique personnelle, celle du pays de midi, hautement valorisé dans toute son œuvre. En Grèce, la sécheresse de l’air offre une transparence qui ravit le regard du voyageur et guérit son corps : « Je vis ici en bon sauvage, naviguant d’île en île, dans la même lumière qui continue depuis des jours, et dont je ne me rassasie pas. »13, écrit-il à René Char depuis Lesbos.
9Bien avant ce voyage en Grèce, plusieurs textes de Camus font entendre comme un leitmotiv l’opposition entre la lumière grecque et la nuit de l’Europe. Par exemple, en 1946, dans Prométhée aux enfers, la lumière nourricière, la force vitale de la Grèce, s’oppose à la noirceur – physique et morale – de l’Europe, d’une « Europe humide et noire »14, encore marquée par les horreurs du nazisme. En 1948 aussi, dans l’émission « Ce soir le rideau se lève sur… René Char », Camus présente Feuillets d’Hypnos en saluant la force de vie d’une poésie qui surgit des décombres de la guerre, la lumière toute grecque qui imprègne ces poèmes traversés par le vent salubre, loin de « l’odeur de cave qui monte des villes en ruines »15 et des « hideux pressoirs de la haine »16 : « Seul vivant parmi les survivants, [conclut-il, Char poursuit] la dure et rare tradition de la pensée de midi. »17
10Le 27 avril 1955, lendemain de son arrivée à Athènes, Camus visite l’Acropole et « la lumière de 11h tombe à plein […] fait pleurer, entre dans le corps avec une rapidité douloureuse, le vide, l’ouvre à une sorte de viol tout physique, le nettoie en même temps. [...] les yeux s’ouvrent peu à peu et l’extravagante [...] beauté du lieu est accueillie dans un être purifié, passé au crésyl de la lumière. » (IV, 1221)18. Tous les verbes indiquent la position d’accueil de l’écrivain face au pays visité, l’ouverture du corps et de l’âme. Traversés par la lumière, ceux-ci se trouvent nettoyés des miasmes de l’Europe ; dans ce cahier où les notations physiques sont nombreuses, tout le corps se libère, respire ; Camus écrit à Char, le 11 mai : « Je vais revenir debout, enfin. »19, où « debout » s’entend – comme chez Char – dans sa double acception physique et morale.
11Le paysage grec offre également cette qualité indispensable qu’est le silence : « Le silence, vaste comme l’espace, est bon. » (IV, 1227). Il accompagne des moments privilégiés de solitude loin des autres et favorise l’accord entre le monde et l’écrivain, notamment lors des baignades.
12Mais ce qui revient constamment au cours de ces deux voyages en Grèce, c’est le sentiment de la perfection : « Tout ce que la Grèce tente en fait de paysages, elle le réussit et le mène à la perfection. » (IV, 1232 ; Delphes, 10 mai 1955). La formulation pourrait paraître excessivement laudative, accordant à l’homme un rôle démesuré dans la fabrique du paysage ; et pourtant, c’est exactement ce que le poète Odysseus Elytis salue dans son œuvre : cette façon particulière qu’ont les Grecs, ceux d’aujourd’hui comme ceux de l’Antiquité, d’apporter leur touche juste au microcosme dans lequel ils vivent. Elytis insiste sur le fait que la physionomie du pays est le produit de tout un peuple où chacun participe à l’harmonie de l’ensemble, en y apportant sa contribution, par un mur chaulé, une chaise en bois, un pot de fleur posé sur une marche, une entrée de galets blancs, dans un rapport apaisé au monde, un refus de l’hubris. Ce que Cornelius Castoriadis juge être l’essence même de la Grèce : « Ce que l’on a, si souvent et si naïvement, considéré comme son harmonie “naturelle” est le plus poussé et le plus extrême des artifices, parvenu à force d’art à effacer les traces de l’artificialité. C’est ainsi que le temple grec est savamment posé là où il apparaît comme ayant été, de toute éternité, appelé par le paysage. Il se rend après coup, partie naturelle et indispensable de celui-ci. »20 La joie « hilarante » de Camus devant l’Acropole provient justement de son admiration, moins du Parthénon lui-même que de l’aptitude des Grecs à composer avec le paysage, à l’utiliser comme partie prenante de la construction.
13La perfection grecque, due à l’équilibre entre la nature et ce qu’en fait l’homme, est redoublée dans de multiples microcosmes et constitue le paradoxe grec qui frappe tant Camus : « Ce monde des îles si étroit et si vaste me paraît être le cœur du monde. » (IV, 1230) Depuis Sounion, « [...] j’admire l’espace et la vastitude de ces paysages pourtant réduits. » (IV, 1223) : exacte antithèse du Brésil, pays véritablement immense mais étouffant. La configuration particulière de l’Égée, où chaque île, à la fois semblable et différente de ses voisines, recompose un monde en soi et une nouvelle forme de perfection (de cette harmonie entre terre, mer, ciel et hommes) contribue à accentuer ce sentiment : à Délos, note Camus, « […] je peux regarder sous la droite et pure lumière du monde le cercle parfait qui limite mon royaume. » (IV, 1230)
14Les microcosmes découverts lors de ses deux voyages en Grèce confirment la pensée de Camus : lui qui a souvent critiqué la démesure de l’Europe (les conflits récents, la folie des hommes qui ont tourné « le dos à la nature » : « [...] le monde a été amputé de ce qui fait sa permanence : la nature, la colline, la méditation des soirs. »21), et depuis longtemps loué le sens de la mesure chez les Grecs, fait l’expérience concrète d’un pays qui a créé un kosmos (mot qui désigne à la fois le monde et l’ordre, la forme), kosmos qui est équilibre tendu – jamais définitivement gagné – entre phusis (la nature) et nomos (la loi des communautés humaines). L’île grecque offre plus que d’autres lieux cette image vivante de l’autarkéia, fondement de la sagesse grecque antique et mise en forme concrète – politique, sociale et esthétique – d’une prise en compte conjointe de la beauté de la nature et du sentiment de la finitude tragique de l’homme. Comme le montre Castoriadis, « C’est contre l’expérience la plus forte possible de la plénitude de la phusis, […] à partir de la réalisation de notre non-accord, de [l’] étrangeté […] que nous représentons dans un kosmos qui se suffit à lui-même, que se constitue le monde grec. »22 Il s’agit pour les Grecs de reconnaître et d’affronter l’abîme et leur réponse aux catastrophes engendrées par l’hubris est « l’autolimitation […] qui a nom loi et justice. »23. « La création de la démocratie est philosophiquement, une réponse à l’ordre a-sensé du monde, et la sortie du cycle de l’hubris. »24
15C’est bien ce que développe aussi Camus dans la table ronde d’Athènes sur « L’avenir de la civilisation européenne » le 28 avril 1955 : il y explique ce que signifie pour lui la notion de mesure et en quoi elle est, à ses yeux, positive (dans un colloque parisien, elle serait jugée comme une « diabolique modération bourgeoise », précise-t-il juste avant) : « La mesure n’est pas le refus de la contradiction, ni la solution de la contradiction. La mesure, dans l’hellénisme, […] a toujours été la reconnaissance de la contradiction, et la décision de s’y maintenir quoi qu’il arrive. » Pour Camus, la mesure n’est donc nullement une facilité, « [e]lle suppose en réalité un héroïsme. »25 car elle fonde une société qui concilie droits et devoirs de l’individu et empêche les excès qui conduisent aux guerres et aux destructions.
16En Grèce, la liberté éprouvée par Camus tient sans doute à ce sentiment d’avoir trouvé « son » pays, un pays dont il partage les valeurs les plus profondes au moment où l’Algérie se déchire et devient une terre doublement perdue26 ; d’où ce « [s]entiment de liberté infinie à parcourir ainsi la mer en tous sens d’une île à l’autre. Et liberté nullement limitée du fait que ce monde des îles a des bornes. Au contraire cette liberté exulte dans leur cercle. La liberté ne serait pas pour moi de crever ce cercle et de cingler vers Sumatra. Mais d’aller encore de cette île nue à cette île d’arbres, et du rocher à l’île des fleurs. » (IV, 1231) Avec les poètes grecs contemporains27, Camus partage un même refus de l’exotisme : pour lui, le voyage en Grèce n’est donc pas recherche d’un dépaysement, d’un ailleurs, comme pour nombre de voyageurs qui partent vers l’Orient, mais bien espoir d’un retour chez soi.
17Et dès son arrivée à Athènes le 27 avril 1955, Camus, sur l’Acropole, éprouve le sentiment d’être de retour chez lui : « Sentiment étrange pendant toute la matinée d’être ici depuis des années, chez moi d’ailleurs, sans même être gêné par la différence des langues. En montant à l’Acropole redoublement de cette impression quand je constate que j’y vais “en voisin” sans une émotion. » (IV, 1221) Cette sensation s’impose même plus qu’à Tipasa qui, trois ans plus tôt, ne lui avait offert ce sentiment que dans un second temps. En effet, dans Retour à Tipasa, sa quête pour renouer avec les émotions de jeunesse s’était d’abord avérée décevante : la pluie de décembre, Tipasa boueuse, freinaient le retour de la joie ancienne. Il lui avait fallu attendre le lendemain pour voir le bonheur d’autrefois resurgir : « [...] je retrouvai exactement ce que j’étais venu chercher et qui, malgré le temps et le monde, m’était offert [...] »28 : lumière et silence. Le « souvenir de ce ciel ne m’avait jamais quitté », écrit-il alors ; « Pendant plus de vingt ans, j’ai parcouru cette vallée »29 ; on notera que vingt ans, c’est exactement la durée du voyage d’Ulysse et ce thème d’Ithaque, c’est-à-dire du retour au pays natal, où la « simple grandeur d’Ulysse »30 comme fidélité à ses limites, est éminemment valorisée, se retrouve dans toute l’œuvre. Ainsi, dans La Postérité du soleil, les légendes de Camus accompagnant les photographies du Vaucluse, re-dessinent le retour d’Ulysse à Ithaque : « Tous les soirs, je prenais ce sentier à peine tracé. […] Je voudrais reprendre ce chemin. Mon vieux chien mourrait de joie et je m’assiérais, comme un pauvre, sur la pierre de mon foyer. »31 Dans L’Homme révolté, Ulysse est retenu comme modèle de l’homme assumant et revendiquant sa condition humaine : « Nous choisirons Ithaque, la terre fidèle, la pensée audacieuse et frugale, l’action lucide, la générosité de l’homme qui sait. Dans la lumière, le monde reste notre premier et notre dernier amour. »32
18Le voyage en Grèce, qui apporte à Camus « une seconde révélation, une seconde naissance » (IV, 1231 ; Mikonos, 8 mai 1955) apparaît donc comme un retour à Ithaque, à « son » royaume. Camus, exilé en France (« temps de l’exil, de la vie sèche »33, écrit-il dans Retour à Tipasa) partage, là encore, avec ses contemporains grecs la condition de l’exilé et la nostalgie du retour. Le vœu qu’il avait formulé alors de « rejoindre les Grecs » dans leurs valeurs, est ici réalisé. Leur pays devient aussi le sien et le cahier de Grèce impose sa note juste : Camus révèle un pays en même temps qu’il s’y révèle à lui et à ses lecteurs : « j’y ai trouvé ce que je suis venu y chercher, et plus encore. »34
Le carnet et l’expression intime de la joie
19Le voyage en Grèce est source d’une joie qui n’est jamais brisée, mais au contraire rayonne et se prolonge durant tout le voyage et bien après le retour à Paris. Comment les notes révèlent-elles cette joie intime, qui atteint au plus profond de soi ?
20Il y a au départ une disposition de l’être, le désir de s’ouvrir au monde ou non ; la comparaison entre deux carnets de voyage en Grèce, celui de Camus et celui de Martin Heidegger, permettra de mieux cerner la position d’écoute de Camus et sa disponibilité.
21En 1962, Heidegger fait une croisière en Grèce : c’est son premier voyage dans ce pays. De ce séjour et des notes qu’il prend alors, naîtra Aufenthalte35 (séjours ou étapes). A priori, les points communs avec le premier séjour de Camus en Grèce sont importants : il s’agit pour tous les deux d’un voyage longtemps différé vers un pays qui est au cœur de leur pensée. Vers un pays érigé en modèle. Au cours de ce périple, l’un et l’autre prennent des notes personnelles qui vont longtemps rester dans la sphère privée, hors de toute publication. Et leurs textes ne seront publiés qu’après la mort de leur auteur : Aufenthalte est publié seulement en 1989, la même année que Carnets III de Camus. En outre, l’itinéraire du voyage de Heidegger en Grèce n’est pas très différent de celui de Camus.
22Cependant, leur horizon d’attente diffère : Camus espère trouver un lieu où reprendre des forces (physiques et morales). Il est immédiatement bien disposé à l’égard du pays qui l’accueille et perçoit les habitants comme venant vers lui. Heidegger, lui, part pour une méditation sur les dieux enfuis36, la Grèce étant pour lui essentiellement « le pays des dieux »37. Cette disposition de départ circonscrit la Grèce dans une vision personnelle qui a peu à voir avec la réalité du pays et ne se soucie nullement de son présent, « la Grèce actuelle pouvant faire obstacle à l’ancienne et l’empêcher d’apparaître »38. Son récit de voyage s’ouvre d’ailleurs sur cette déploration qui scande tout le texte : la civilisation moderne empêche le « séjour ». Pendant toute la croisière, Heidegger manifeste une fermeture à l’inconnu que constitue le pays traversé, un refus du contact, préférant souvent rester dans sa cabine plutôt que de descendre à terre. Ainsi devant Rhodes (où il reste sur le bateau pour « dialoguer avec Héraclite »39), Cos et Patmos. Les haltes du philosophe en Grèce se constituent donc en séjour de la pensée et ne sont pas des rencontres du monde. Le monde grec se trouve chez lui immobilisé, figé, soit dans des impressions de collège, soit dans les mythes ou dans des œuvres qui l’ont ouvert à la Grèce. Sa définition, fixée une fois pour toutes, la Grèce comme « le pays des dieux », refuse le temps des hommes, l’histoire et le politique. Alors que Camus éprouve partout de la joie, Heidegger va de déception en déception : la Grèce ne correspond pas à l’image qu’il s’en est faite : Corfou diffère complètement du « tableau qu’en a tracé le poète au VIe chant de l’Odyssée »40 ; à Ithaque, « beaucoup de choses ne collaient décidément pas avec l’image que j’avais sous les yeux depuis le temps du lycée de Constance »41 ; « Olympie ne mit pas en évidence le pays dans ce qu’il a de grec »42. Devant Mycènes qui enchante Camus – il y voit le lieu même qui invite à réfléchir –, Heidegger adopte une réaction défensive car Mycènes, c’est avant la Grèce. En dehors de Délos, rien ne répond à son attente ; c’est que, contrairement à Camus qui est dans une disposition d’ouverture au monde grec, Heidegger est gêné par la réalité du pays, qui entrave sa recherche de « l’invisible proximité du divin »43, du « séjour attenant au sacré »44. Dans ses notes, pas d’indication de date : c’est une autre façon de refuser le présent et l’insertion des hommes dans une histoire45.
23Si, dans leurs notes de voyage, Camus et Heidegger se centrent sur leurs impressions, mettant à distance la réalité politique de la Grèce qu’ils visitent, leurs démarches (et leurs raisons) sont pourtant diamétralement opposées : Heidegger se montre méprisant envers cette Grèce contemporaine, perçue comme un masque l’empêchant d’accéder à une certaine vision de la Grèce antique, tandis que Camus est à chaque pas ému ou admiratif devant les Grecs ; il retient la grâce des enfants, l’accueil simple et chaleureux des hommes du peuple qui lui offrent volontiers un verre et dansent. Camus perçoit bien la pauvreté du pays et le joug politique, mais il retient la liberté et la joie de vivre de la population. Dans son « Cahier », tous les Grecs sont évoqués positivement. Camus a toujours envie de s’associer, d’entrer dans leur cercle, ne voulant pas rester simple spectateur ; à Delphes, il note : « Si j’en avais le temps, j’aimerais apprendre [à danser le bouzouki]. » (IV, 1227).
24Bien que Camus soit soucieux de la situation politique de la Grèce et qu’il intervienne dans la presse pour y défendre la liberté d’expression et l’indépendance des Grecs46, le Cahier VIII met largement à l’écart cette dimension pour se centrer sur l’intimus, le plus intérieur, le secret de soi, de ses sensations. Les conférences le fatiguent, les mondanités lui pèsent et sont « [t]iempo perdido » (IV, 1222). Ces notes de Grèce évacuent quasiment les réflexions sur le social et le politique47, alors que Camus discute longuement à l’institut d’Athènes de la civilisation contemporaine et de son devenir, alors qu’il envoie de Grèce des articles à L’Express avec un post-scriptum sur le tremblement de terre de Volos. Mais dans les notes du Cahier prises à Volos le 4 mai, son attention est aussi retenue par la beauté de la mer toute proche : « Volos. 80 % des maisons détruites ou abattues. Toute la ville est sous les tentes. […] Je me demande comment on évitera l’épidémie. [...] Et la mer tout près, lisse et fraîche, au bord de la ville ruinée. » (IV, 1228) Le style télégraphique évacue la compassion ressentie : « Encore dans la ville. La messe célébrée dehors, la tente-hôpital, etc. Retour auto à Larissa. Autorail. Larissa pour Salonique. » (Ibid.) Le « etc. » suggère un développement ultérieur, qui aura en partie lieu dans l’article publié le 14 mai 1955 dans L’Express : « Cinquante mille personnes sont sans abri. […] L’eau est rare, les fosses septiques inexistantes et l’on craint l’épidémie. Des dons permettraient de précipiter l’adduction d’eau […]. »48 On voit bien la différence de style et de ton entre l’article de presse et le Cahier – qui n’est pas œuvre de journaliste et ose parler de beauté et de joie en pleine tragédie.
25Parfois, cependant, le réel douloureux résiste davantage : la visite au cap Sounion est ainsi représentative d’un moment où une réalité politique sombre s’immisce dans un « instant parfait ». Camus est saisi par la beauté grandiose de ce promontoire mais avec une réserve : « Parfait, sauf cette île en face de Makronissos, aujourd’hui vide il est vrai, mais qui a été une île de déportation dont on me fait d’affreux récits. » (IV, 1223) Si la journée passée dans ce lieu réussit à évacuer la vue et le souvenir de l’île de Makronissos49, camp de concentration où furent déportés et torturés résistants au nazisme et prisonniers politiques – dont Yannis Ritsos qui lui consacre un recueil50 de poèmes –, la vision resurgit le soir : « [...] à nouveau, avant de prendre la route, on aperçoit Makronissos. » (IV, 1224). Pourtant cette image ne parvient pas à compromettre le bonheur éprouvé. L’entrecroisement des moments de bonheur (la beauté de la lumière) avec le souvenir de Makronissos (« Dîner où j’obtiens des chiffres sur la déportation. [...] C’est de cela qu’il faut s’occuper ») montre que le souci de la réalité n’est pas totalement occulté51 mais qu’il est maintenu à l’arrière-plan, reporté à plus tard, pour laisser advenir la sensation, pour se laisser emporter par elle.
26Car dans les notes de ce voyage, ce qui prédomine, c’est l’expression intime : se dire à soi ; écrire pour ne pas oublier ces sensations de joie. Les notes sont donc centrées sur l’expression de la joie et de ce qui la suscite, donnant toute leur place au monde physique de la terre grecque52 (partout il perçoit un pur éclat de beauté, même dans les grandes villes qui, d’habitude, déplaisent à Camus : à Athènes, à Rhodes, autant qu’à Sounion, Argos ou Délos) et aux répercussions sensibles au plus profond de soi – qui font écho à sa jeunesse à Alger : « La mer : je ne m’y perdais pas, je m’y retrouvais. » (IV, 1083) Le voyage en Grèce lui procure l’occasion de se ressourcer : se réalise alors une communion profonde avec une terre, un peuple, une rencontre qui engage tout l’être. Un échange personnel, secret, avec le pays (devenu un double du pays natal), porté par le désir de se laisser envahir par la sensation dans une fusion amoureuse et sensuelle. Tout le sensible se trouve mobilisé dans cette joie qui est plaisir des sens auquel participent toucher, odorat, vue ; ainsi, à Mikonos : « [...] nous rencontrons l’odeur du chèvrefeuille » (IV, 1230)53 (qui fait resurgir le souvenir du parfum des chèvrefeuilles dans les jardins d’Alger). Sur le bateau devant Lindos : « […] odeur de Lindos, odeur d’écume, de chaleur, d’ânes et d’herbes, de fumée… » (IV, 1276). L’odorat, fréquemment sollicité, souligne la respiration retrouvée (chez un écrivain toujours menacé par la tuberculose et la perte du souffle), mais le verbe « sentir » joue aussi de ses deux acceptions et contribue à l’effet de synesthésie : au Pirée, « je suis heureux de sentir l’eau » (IV, 1229) ; à Salonique, « belle odeur du sel et de la nuit ». Contemplation, parfums, baignades concourent à l’expression de la sensualité. Le désir de contact avec l’élément revient constamment : le bain solitaire, même dans l’eau glacée, constitue un des rituels du voyage – souvenir encore des bains de l’enfance à Alger54 – mais le désir de la terre surgit aussi, comme à Égine, le 14 mai : « Je dors sur les dalles du temple, à l’ombre des colonnes » (IV, 1233)55. Toutes les sensations s’entremêlent pour dilater la joie : devant Mikonos : « Jusqu’à minuit, je la regarde [la lune], j’écoute les voiles, j’accompagne intérieurement le mouvement de l’eau sur les flancs du navire. » (IV, 1231) Tandis que l’expression récurrente chez Camus, « cœur serré », évoque constriction, fermeture, manque d’air, souffrance, le mot « joie » est dilatation, ouverture, respiration, souffle, bonheur. Les formulations qui se répètent, les formes de superlatif traduisent cette joie qui envahit l’être et le déborde : « [...] je me couche si heureux [sur le bateau à Mikonos] que je ne sens même pas ma fatigue » (IV, 1230) ; « Je cesse de noter ici ces jouissances qui désormais me submergent. Jouissance chaste, sobre, forte, comme la joie elle-même, et l’air qu’on y respire. » (IV, 1233)
27Nous sommes aux antipodes des notes de voyage de Heidegger dans lesquelles n’apparaissent pas une seule fois les mots « joie » ou « bonheur » ; le texte du philosophe évacue le corps et le « je » ; ce dernier s’efface, soit dans le « nous » qui désigne le groupe, soit dans de nombreuses formulations pronominales intransitives, la phrase évacuant les verbes transitifs qui instaureraient un contact entre le sujet écrivant et le monde : ainsi, Délos « se découvre sans retrait »56 – dans une manifestation quasi divine qui évacue la subjectivité du regard ; grâce à cette île, le voyage en Grèce « se transforma en séjour et s’établit à demeure »57. Chez Camus, au contraire, le sensible s’impose dans l’excès même du bonheur qui déborde dans les larmes : « Stupide envie de pleurer » (IV, 1233), note-t-il, au retour d’Égine. Excès à la mesure de l’attente : la Grèce dont le soleil et la lumière sont aptes à guérir le corps et l’âme, vient en effet assouvir une faim ancienne. La répétition de « enfin » (à plusieurs reprises dans ces notes) traduit cette longue attente : « Bonheur enfin, bonheur tout près des larmes. » (IV, 1230), accomplissement tout de suite associé à la crainte de la perte : « [...] je voudrais retenir contre moi, serrer cette joie inexprimable dont je sais pourtant qu’elle doit disparaître. Mais […] elle me serre aujourd’hui le cœur si franchement qu’il me semble que je dois pouvoir la retrouver fidèle chaque fois que je le voudrais. » (ibid.), un des objectifs assignés à ces notes de voyage.
28La Grèce permet donc de se dévoiler à soi, de revivre la plénitude des émotions de jeunesse mais elle offre aussi des raisons d’espérer, après la traversée de la nuit. La beauté retrouvée en Grèce constitue un socle où s’arrimer, d’où repartir : « Ces vingt jours de courses à travers la Grèce, je les contemple d’Athènes maintenant, avant mon départ, et ils m’apparaissent comme une seule et longue source de lumière que je pourrai garder au cœur de ma vie. » (IV, 1233)
29Dans la table ronde d’Athènes, Camus accuse la raison (cartésienne) d’avoir réduit la sensibilité humaine et se demande si la primauté accordée à la raison n’est pas responsable du « singulier échec moral »58 de la civilisation occidentale. Il rejoint là René Char pour qui ceux qui deviennent insensibles (c’est-à-dire anesthésiés), « hostiles aux frissons de l’atmosphère » sont aussi ceux qui « se soumettent sans retenue aux instances du mensonge et du mal »59 ; la poésie, elle, s’impose à Char comme une évidence du sensible, transmise par le corps. Elle « n’est pas formelle : elle est dogme mystérieux de la sensation, d’une évidence-vérité une fois pour toutes… »60, et à ce titre, elle lui apparaît donc comme une forme d’éthique. La tâche du poète consistera alors à ne jamais perdre contact avec le sensible : « Le poète ne peut pas longtemps demeurer dans la stratosphère du Verbe. Il doit se lover dans de nouvelles larmes et pousser plus avant dans son ordre. »61 Autant qu’une « morale de la beauté »62 – selon la formule de Pierre-Louis Rey –, la lecture de ces notes de Grèce nous invite à reconnaître une éthique de la sensation. L’homme sensible ouvert au monde s’oppose au philosophe enfermé dans sa pensée63.
30Georges Séféris termine son Journal sur sa traversée de Paris le 19 avril 1951 alors qu’il rejoint son poste à Londres : « Nous sommes sortis de Paris. Le temps toujours nuageux ; givre autour des arbres, du gui. Les voyageurs tuent le temps avec des illustrés ; personne ne lève la tête. Cela m’a paru bizarre ; j’oubliais que nous étions entrés dans les pays où l’on ne regarde pas le monde extérieur. »64 S’il est un Français qui offre bien un complet démenti à cette observation de Séféris, c’est Camus en Grèce : il s’ouvre à la Grèce de tous ses sens et fait l’expérience de la plénitude, d’une intensité qu’il n’osait plus espérer et qui lui redonne confiance en l’avenir. Il est bien, comme il se rêvait, un homme grec dans un monde chrétien.
Notes de bas de page
1 Les deux voyages ont la même durée (vingt jours) mais le second couvre deux fois moins de pages.
2 Albert Camus-René Char, Correspondance (1946-1959), Paris, Gallimard, 2007, p. 44.
3 L’Italie offrira aussi en août 1955, des moments de joie à Camus, surtout face aux trois temples grecs de Paestum qui feront renaître l’émotion éprouvée en Grèce alors qu’à Pompéi, il fustige les Romains comme « les casseurs de l’esprit grec » (IV, 1211).
4 Blanche Balain, La Récitante, t. I, Nice, La Tour des vents, 2000, p. 170.
5 « Prométhée aux Enfers », L’Été, OC III, p. 590.
6 « Retour à Tipasa », L’Été, OC III, p. 609.
7 OC IV, p. 1562, note 45.
8 Il fera ainsi à Athènes une conférence intitulée : « La tragédie aujourd’hui est-elle possible ? »
9 Albert Camus-René Char, Correspondance, op. cit., p. 132.
10 Je reprends ici le titre (et le sens) de l’essai de Cornelius Castoriadis : Ce qui fait la Grèce, I. D’Homère à Héraclite, Paris, Le Seuil, 2004.
11 André Dhôtel, « Les marbres, les pierres et les fleurs », Du Pirée à Rhodes, suivi de Printemps grec, Rezé-les-Nantes, Séquences éditeur, 1996, p. 43.
12 Il fait une croisière avec Michel Gallimard et sa femme et le couple Prassinos.
13 Albert Camus-René Char, Correspondance, op. cit., p. 134.
14 Ibid.
15 « Ce soir le rideau se lève sur... René Char », OC II, p. 764.
16 Id., p. 767.
17 Id., p. 764.
18 C’est nous qui soulignons.
19 Albert Camus-René Char, op. cit., p. 134.
20 Castoriadis, op. cit., p. 279-280.
21 « L’Exil d’Hélène », L’Été, OC III, p. 598-599.
22 Castoriadis, op. cit., p. 279-280.
23 Ibid.
24 Id., p. 291.
25 « L’Avenir de la civilisation européenne », OC III, p. 999.
26 « […] j’avais commencé par la plénitude. Ensuite étaient venus les barbelés, je veux dire les tyrannies, la guerre, les polices, le temps de la révolte. Il avait fallu se mettre en règle avec la nuit : la beauté du jour n’était qu’un souvenir. », écrivait-il à Tipasa en 1952 (« Retour à Tipasa », L’Été, OC III, p. 609).
27 Georges Séféris par exemple.
28 « Retour à Tipasa », L’Été, OC III, p. 611-612.
29 Id., p. 614.
30 Id., p. 600.
31 La Postérité du soleil, Genève, Engelberts, 1965 ; rééd. Camus, OC IV, p. 726.
32 L’Homme révolté, OC III, p. 323.
33 « Retour à Tipasa », L’Été, OC III, p. 710.
34 Albert Camus-René Char, op. cit., p. 134. Ce « plus encore » indique-t-il que l’Algérie est alors (la guerre a commencé en novembre 1954) un pays natal impossible, relégué au rang de souvenir et que la Grèce vient la remplacer dans l’imaginaire et l’affection de Camus ? Pierre-Louis Rey note en effet que, dans Actuelles III. Chroniques algériennes 1939-1958, Camus ne dit plus rien de l’Algérie entre juin 1945 et octobre 1955 : « Camus aurait-il oublié son pays natal ? », poursuit l’auteur. (P.-L. Rey, « Camus l’Algérien », Paris, L’Histoire, n° 349, janv. 2010, p. 12).
35 Martin Heidegger, Séjours Aufenthalte, s.l, Éd. du Rocher, 1992.
36 Aufenthalte s’ouvre, avec un poème de Hölderlin, sur la fuite des dieux, la désolation s’abattant sur l’habitation des hommes.
37 Heidegger, op. cit., p. 11.
38 Id., p. 13.
39 Id., p. 47.
40 Id., p. 17.
41 Id., p. 22-23.
42 Id., p. 33.
43 Id., p. 65.
44 Id., p. 69.
45 Philippe-Joseph Salazar, dans son « Manifeste » (in V. Allen et A. D. Axiotis, L’Art d’enseigner de Martin Heidegger, coll. « Pouvoirs de persuasion », Paris, Klincksiek, 2007), signale qu’en 1962, la Grèce est déjà aux prises avec les violences qui conduiront au régime des colonels.
46 En février 1949, alors qu’une guerre civile meurtrière déchirait la Grèce, Camus avait signé avec Breton un tract en faveur de dix intellectuels grecs risquant la peine capitale (OC III, p. 860). Le 6 déc. 1955, il publie un article pour défendre Michel Karaolis que les Britanniques ont condamné à mort (« L’Enfant grec », OC III, p. 1055).
47 Ceci rejoint la remarque de P.-L. Rey dans L’Histoire (n° 349) notant l’absence d’allusion au début de la guerre d’Algérie dans les Carnets : « On est tout de même surpris que ses Carnets ne soufflent mot du conflit. « 7 novembre 1954. “41 ans”, note-t-il. » (p. 12).
48 « Le Métier d’homme », L’Express, OC III, p. 1017.
49 Makronissos : cet îlot d’1,5 km2 a été, durant la guerre civile grecque et la dictature des colonels, utilisé comme lieu de déportation des opposants politiques, principalement les communistes et les militants de gauche. Ouvert en 1946, le premier camp avait déjà reçu fin 1947 plus de 20 000 prisonniers politiques. Ceux-ci ont continué à y être déportés jusqu’en 1957 dans les camps, et jusqu’en 1960 dans la prison militaire.
50 Yannis Ritsos, Temps pierreux Makronissiotiques, Paris, Ypsilon éditeur, 2008.
51 Camus réunira une abondante documentation sur ce camp ; voir OC IV, p. 1563, note 51.
52 Ainsi l’histoire antique qui affleure dans tous les sites que Camus visite est elle aussi mise à l’écart dans ses notes ; le carnet, où le « moi » se révèle dans sa relation aux lieux, dessine donc plutôt une géographie sensible.
53 C’est nous qui soulignons.
54 « La Mer au plus près », L’Été : « j’ai grandi dans la mer » (OC III, p. 616).
55 C’est nous qui soulignons.
56 Heidegger, op. cit., p. 49.
57 Id., p. 55.
58 « L’avenir de la civilisation européenne », OC III, p. 996 et 997.
59 René Char, Feuillets d’Hypnos, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1995, p. 177.
60 Entretien de Char avec Jacques Charpier, « Une matinée avec René Char », Combat, 16 février 1950.
61 René Char, Feuillets d’Hypnos, op. cit., p. 180.
62 Pierre-Louis Rey, Camus, une morale de la beauté, Paris, Sedes, 2000.
63 Cf : « […] faire mémoire de ce qui est propre au monde grec est une occupation de tour d’ivoire. » (op. cit., p. 43.)
64 Georges Séféris, Journal, Paris, Mercure de France, 1973, p. 244.
Auteur
Maître de conférences à l’université Paris Descartes, elle est membre du Centre de recherche « Écritures de la modernité (littérature, histoire, imaginaire) » de l’Université Paris-Sorbonne nouvelle (EA 4400-CNRS). Spécialiste de poésie du XXe siècle, et particulièrement de l’œuvre de Char, elle a publié une biographie intellectuelle de Char (René Char - Là où brûle la poésie, Aden, 2007) à partir d’une étude des manuscrits, des correspondances et des recueils. Les échanges avec les écrivains (dont, bien sûr, Albert Camus – qui fut un ami proche de Char) et les artistes de son temps tiennent une place importante dans cet ouvrage.
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