4. Les formes du grand temps (Révolutions Révélations)
p. 97-119
Texte intégral
« [...] et encore une fois croyez-vous que j’aie tant d’années à jeter par les fenêtres ?.. »
Claude Simon, Les Géorgiques
1L’écriture de Claude Simon engage, en des termes renouvelés, la question des rapports entre fiction et esthétique. Entre, d’une part, l’avènement de l’œuvre qui fait irruption, d’autre part, le dispositif technique-poétique des moyens et des effets de l’art ; entre l’inattendu que suscite le cours factuel de l’ouvrage et l’attendu d’un savoir-faire ; entre l’événement des formes sensibles et la science du sentiment (du grec aisthètikos de aisthanesthai : « sentir ») d’où légifère la théorie du Beau.
2Chez Claude Simon, fiction et esthétique s’inscrivent dans un rapport de médiation et non de sujétion ; il y va d’un mouvement ouvrier et non d’une mainmise. Le facteur à l’œuvre, c’est celui du « il est grand temps » qui requiert une écriture d’urgence, à toute extrémité, apte à capter in extremis ce que Proust nomme « cet ensemble de sensations qui est pour chacun de nous son corps conscient » (je souligne). Bref, chaque fois, l’écriture comme état d’exception.
3Procédons pas à pas, en sériant. Avec à l’horizon quelques points pour mémoire. Celui-ci d’abord, pierre de touche de la démarche, qui la risque et en fait le risque : tenter d’arracher le travail des formes sensibles aux enclos des systèmes, c’est entamer un procès qui n’aura plus de terme. C’est être porté à arracher le sentiment à la raison du beau ; la connaissance substantielle à la règle du goût ; c’est arracher la forme à la forme ; arracher le sensible au sensible... C’est partir à la recherche du « palpitement de la lumière, [des] mouvants contours des visages et des objets. Pas même les visages, pas même les objets, pas même les vides, plus que tout cela... »1. C’est s’efforcer de désigner ce qui, dans la facture des corps et des matières, déborde la tekhnè et relève en quelque sorte de la magie de l’œuvre : où faire (en) fait toujours plus. C’est aussi, par la tentative de se soustraire à l’encadrement canonique, inscrire toute activité artistique en terre d’exploration, dans une pratique.
4La position est toute d’ambiguïté. C’est celle de la corde raide. Dont il faudra se demander si elle appelle une esthétique. Et dans l’affirmative, ce que peut être une « esthétique de la corde raide ».
5[pas même les vides, plus] : superbe formule simonienne qu’il nous appartient d’examiner et qui, par la saisissante proximité d’un renversement, fait basculer « de l’autre côté » – (nég)entropie, négatif du monde. Formule qui contraint à s’interroger. Autorise-t-elle à considérer qu’il s’agit là de ce que Jean-François Lyotard nomme « le désastre de l'aisthesis » c’est-à-dire ce sentiment esthétique-limite où fait irruption le sublime ? Et à conclure avec le philosophe à l’« ontologie négative » plutôt qu’à une possible esthétique2 ? Ou bien préférera-t-on envisager avec l’écrivain que « la meilleure recette pour faire un chef d’œuvre est l’absence des recettes » « pratiques ou esthétiques »3 ? Qu’il surgit (le chef d’œuvre) de la précarité : assemblage, attelage, rythmique. Se constitue de sa propre syncope, de sa propre néantisation : par une sorte de non-esthétique ou d’anesthétique qui est un avancer-sur-le-vide, un tenir-de-par-la-tension même – du fil ; des bouts de fil qui peu à peu ordonnés tressent, tendent, la corde raide du faire infini. L’infini. Car c’est bien, à la fin des fins, le véritable ressort de l’art que ce faire-advenir-l’impossible : l’infini au lieu de la forme finie. Où il n’y a de forme que forme du mouvement et où tout art est d’équilibriste : l’écrivain tout au souci de faire tenir, faire un récit qui « tienne » (Flaubert) ; et le peintre (Cézanne en l’occurrence) tout à l’attention de travailler le « dessin de l’intervalle entre une pomme et le bord de l’assiette » parce que cet intervalle « participe aussi de la composition générale : le moindre détail y participe »4. Façon de dire, par cette esthétique de la non-esthétique, que c’est dans l’intervalle des représentations, au plus près du monde sensible – à un chromatisme, un ton, une nuance, une texture près – que surgit le monde : tout court. Dans le court-circuit des choses et des sujets.
Les mêmes formes pouvaient changer, s’enfler de leur propre substance [...]
Et ce fut là : hier, aujourd’hui, demain : la multiple infinité des réalités, toutes également possibles, toutes également vraies, surgies, leur présence en érection [...] – ce fut là, non plus illusoire, encore moins artificiel, mais la terre (emplissant la bouche de son goût géant et crissant sous les dents).5
6In(sou)tenable présent de l’art qui est présentation et don : d’instantéternité ; de vie-néant.
7On pense aux paysages de Turner qui n’ont pour dessin que le spectre de la lumière ; la couleur du temps, c’est-à-dire ce que les particules de couleur ont déposé de temps sur la toile. Quant aux lignes de Claude Simon, elles éveillent étrangement l’écho flaubertien du désir d’un « livre sur rien » et des métaphores qui l’accompagnent : « un livre sur rien, livre sans attache extérieure [...] un livre qui n’aurait presque pas de sujet, ou du moins où le sujet serait presque invisible »6.
Une esthétique de la corde raide : la pensée-corps
8La perspective qui n’en finit plus de bouger, par obliques, par relais, par tensions et interruptions, esquisse une triple dynamique. D’abord, celle du faire-sans-fin qui engage le processus d’une fructification (une mise en rapport des textes comme on le dit des terres) mais aussi d’une reprise : par quoi l’écriture tient autant de la tentative que de la réalisation, du ruiniforme que du construit. S’éclaire ainsi la marque plurielle de ces fictions en esthétique. Où, dans ce fieu qui a lieu toujours de nouveau, fieu du lieu-à-venir, la pratique force : forcément impose une dissymétrie entre le singulier système régissant du dehors la théorie du beau, et la multiplicité du sensible, des voix, des corps qui y jouent et s’y jouent.
9N.B. : Fructification et reprise, et pas l’une sans l’autre ; pas de fruit sans l’avarie, de pousse sans la perte. Jamais sans risque.
10L’écrire-sans-fin est donc de l’ordre de la variation, ou du ressassement. Mais le processus, s’il ne s’hypostasie pas en un accomplissement définitif (le livre, le tableau : une fois pour toutes), ne donne pas lieu pour autant à du « même ». La perspective s’ouvre d’une œuvre non-monolithe : œuvre-cristallisation, œuvre-gemme, œuvre-germe, rhapsodie, cheminement (des tableaux, des livres : tant de fois et toutes qui valent pour former constellation). On pense aux textes sériels de Michel Butor – 5 volumes de Génie du lieu7, 5 volumes de Matière de rêves, 3 pour les Improvisations, 5 pour les Répertoire – ou aux Paradigmes d’Albert Ayme captant, dans l’étendue de Suites qui superposent et combinent des plages, des trajets et des mémoires, les passages de la peinture8. Claude Simon désigne sans ambiguïté les enjeux de cette reprise : par rapport au signataire, la différence des œuvres :
[...] oui : écrire relève aussi du « ressassement ». Ce qui ne veut pas dire que l’on ne cesse d’écrire « le même livre ». Dirait-on d’un peintre qui fait plusieurs tableaux à partir d’un même modèle (nu, nature morte, paysage : les innombrables Montagne Sainte Victoire de Cézanne) qu’il peint le même tableau ?9
11et par rapport au même motif, la singularité des manières (des mains à l’œuvre) :
[...] il y a un constant renouvellement. Je ne crois pas (je pense à une conversation qui m’a opposé à Roger Caillois) que « tout a été déjà dit ». Selon qu’il est peint par Piero della Francesca, Rembrandt ou Cézanne, un visage d’homme (ou de femme) est chaque fois « autre ».10
12Ce renouvellement par l’exercice du seul style met l’accent sur l’aspect prétextuel du « sujet » et de sa « représentation ». Davantage. Il souligne qu’il n’y a d’art qu’à partir de l’art : désir d’œuvre et désir d’œuvrer. Paul Valéry :
Et si on me demande ce que j’ai « voulu dire », je réponds que je n’ai pas voulu dire mais voulu faire, et que c’est cette intention de faire qui a voulu ce que j’ai dit.
13Cependant que Malraux, Claude Simon le rappelle, dit combien
l’envie de peindre (ou le désir) [...] n’est pas tant suscitée par la vue du monde, des choses, que par la vue des tableaux dans les musées (ou les galeries de peinture).11
14Les intersections se précisent, subtiles. Il y a, certes, souci esthétique toujours, par tel désir d’imiter l’art et non pas la nature. Et aussi(tôt), il y a fictions anesthétiques car le refus de représenter (d’après nature) postule du même geste qu’il importe de laisser faire le faire – de ne pas le soumettre aux codes poétiques et culturels. Car avec le désir (de faire) qui substitue la science (des sentiments) et les procédures du savoir-faire, œuvrer c’est en effet forcer la pensée et les corps : les mettre à l’œuvre qui est principe d’effraction et de fractionnement. Et qui va contre la volonté de garde, de valorisation muséale et de commémoration de notre culture occidentale. Que la référence esthétique soit du côté de l’institution et non du côté de l’effervescence d’une pratique et de sa théorisation, Jean-François Lyotard l’énonce avec clarté :
L’esthétique est le mode d’une civilisation désertée par ses idéaux. Elle cultive le plaisir de représenter. Elle se nomme alors culture12 ;
15et Claude Simon stigmatise avec sarcasme :
C’est ainsi que les gens se font de la beauté une idée à la mesure de son insignifiance. Ils sont épris de beauté et, pour eux, la beauté c’est une poule entretenue qui n’a rien d’autre à faire qu’à bien s’habiller.13
16La dynamique anesthétique engage donc, d’abord, dans le travail des matières, une critique de la culture. Elle inaugure, non moins, et ce second aspect est corollaire du premier, l’exercice d’une activité sans finalité (c’est-à-dire sans pré-jugé). Par quoi le vouloir-faire valéryen qui est poiein14 – fabrique et invention du faire appliqué à faire – met en jeu toute une physique du texte ; lequel ne se réduit plus aux exigences externes de quelque téléologie (effets à produire ; attente du public ; témoignage et vouloir-dire) mais fructifie sur sa propre lancée. Devient son devenir. Paul Eluard : « Parler, sans avoir rien à dire », (Capitale de la douleur). Claude Simon : « On ne sait jamais de quoi on parle avant d’en parler »15.
17Parce que les fictions anesthétiques ne sauraient ignorer l’esthétique contre/avec laquelle, forcément, elles écrivent, c’est l’énoncé paradoxal, en effet, qui seul convient. Où se dit la nécessité du renoncement : désapprendre l’illusion d’un pouvoir (dire, penser) ainsi que l’illusion d’une unité de la personne. Non pas je écrit mais « il écrit » comme « il pleut ». Ou comme : « il arrive ». Car un renoncement au « soi », au quant à soi, est non moins nécessaire pour que l’écrire surgisse : événement. Evénement de l’écrire par quoi le signataire signe sa propre mort : passage, passé déjà. Signe la mort du propre. Ce qui se dit alors à l’œuvre, c’est le beau sur l’abîme. Un pas de plus : c’est la beauté sur l’abîme. C’est la perspective de la destruction que raconte l’art, par quoi le « beau » est beau de la menace qu’il com-porte de sa perte, l’œuvre relève d’un faire « à l’arraché ».
18Ceci ébranle singulièrement la conception moralisante qui sous-tend, plus ou moins implicite, tout système d’esthétique : c’est-à-dire la définition sélective du bien et du mal qui restreint, oriente, redéfinit (mais sans le dire) les qualités du monde visible ; le rend présentable c’est-à-dire représentable. Et humaniste : à l’« image de » l’humain car la raison (la morale) du beau a besoin du leurre d’un sujet préconstitué, qui fasse bloc et occulte ainsi la dé-faite du (par le) temps. Au contraire, dans les fictions anesthétiques, de l’inconnu – une inconnue comme on le dit en mathématiques – est à l’œuvre. Pas de maître à penser : il s’agit de « penser malgré la pensée »16, penser la tache aveugle de la pensée, dé-penser. Pas de maître d’écriture ni de belles-lettres mais une désécriture capable d’offrir le spectacle d’un univers « totalement dépouillé de tout, excepté de vérité et de cohésion », capable d’offrir « dans sa totale magnificence, sans commentaires ni restrictions, le monde visible »17. Pas de maître de ballet, si ce n’est la marionnette, celle dont Kleist explicite les avantages sur tout danseur « vivant » :
L’avantage ? En tout premier lieu un avantage négatif, mon excellent ami, je veux dire celui de ne jamais être affecté.
– Car l’affectation apparaît, comme vous savez, dès que l’âme (vis motrix) se trouve en un autre point qu’au centre de gravité du mouvement.18
19De fait, le « chemin décrit par l’âme du danseur »19, la ligne de passage du danseur c’est-à-dire la danse, le pas de danse, n’est autre que le mouvement du centre de gravité du corps qu’il convient de faire travailler à l’intérieur de la figure de sustentation. Façon, encore, de se mouvoir sur la corde raide – où l’avancée relève du même impératif. Et il importe de se souvenir ici que l’âme a du corps ; qu'elle constitue la partie essentielle d’une chose ; qu'elle est le noyau d’une statue, le centre d’une poutre, le petit cylindre de bois sous le chevalet du violon. Qu’une machine a une âme, tout comme la bouche du canon, ou le conducteur électrique. Et que c’est en ce lieu médian, dans sa concrétude, que joue le point d’application d’une œuvre. Jean-François Lyotard désigne par anima ce qu’il appelle la « pensée-corps » quant à la réception de l’œuvre picturale. De même dira-t-on, en ce qui concerne l’écriture de fiction, qu’il y va du lieu où la pensée fait corps - textuel, s’entend. Ce corps que le geste poïétique redonne au texte.
20Le geste poïétique des fictions anesthétiques redonne aussi le temps. Le temps de l’œuvre(r) qui permet d’écrire l’événement de l’écrire ; ce qu’il en advient, ce qu’il y advient : inattendu, impondérable, sur-prise, toujours plus toujours autre. À l’image, une fois encore, de la marionnette de Kleist dont on tire le fil d’un simple mouvement, tout droit, mais où « chaque fois que le centre de gravité décrivait une ligne droite, les membres, eux, évoluaient déjà selon des courbes », si bien que « souvent, sur une secousse purement accidentelle, une sorte de mouvement rythmique, analogue à la danse, animait l’ensemble »20. Où, donc, il n’y a pas mécanique coïncidence, mais : coïnci-danse.
21En restituant le temps de l’advenir des formes sensibles, l’écriture-sans-finalité capte, constitue, le temps à l’œuvre : sur la page comme sur la plaque photographique, le dépôt du temps dans le processus de modification des matières. C’est cela que Claude Simon tente de retenir et de faire déposer, tant entre les assemblages photographiques de l’Album d’un amateur que sur les lignes de ses romans : « voir s’écouler le temps »21. Là, par le bougé, qui échappera toujours à l'art, d’un daguerréotype où « deux des fougères géantes, à gauche, un peu floues, se sont légèrement balancées pendant le temps de la pose »22 ; ici, par le labeur géorgique de la plume, livré-échappé à l’effacement :
[...] les phrases, les traces laissées sur le papier par les mouvements de troupes, les combats, les intrigues, les discours, s’écaillent, s’effritent et tombent en poussière, ne laissant plus sur les mains que cette poudre impalpable, couleur de sang séché. Il écrit [...].23
22Rendus aux corps et au temps auxquels elles sont sujettes – et travaillant au corps cette sujétion – les fictions qui s’écrivent selon une esthétique de la corde raide offrent un monde réchappé : entre les règles de l’art et le néant de l’anesthésie ; entre la représentation et l’événement ; l’ordre et le désordre ; entre la mémoire et l'oubli. C’est là que se dessine et se renégocie, à chaque pas, la voie d’une fragile ligne de crête. Cheminement par quoi l’art n’est pas réponse, ne donne pas un sens, ne fait pas occultation. Mais constitue « l’être-œuvre » qu’est toute œuvre d’art selon Heidegger, c’est-à-dire le processus d’un « installer un monde » par quoi « Un monde s’ordonne en monde (Welt weltet) »24. Car ces fictions, si elles ébranlent l’ordre des prescriptions et des proscriptions, n’accueillent pas pour autant le tout-venant. Un discours s’esquisse ici, qui dit l’exigence d’une cohésion propre ; dit autre chose que le « beau », « beau » (de l’) autre, incommensurable, ce qu’il n’est pas ; ce qu’il ne peut plus qu’être : pluriel, inconstituable, friable sitôt, corps en gestation, voile du dévoilement, non pas forme mais formant, non pas apparence mais apparition – un procès sans fin : celui d’une division de l’intérieur. Au bord du néant, réchappée de la mort et en portant les signes, l’écriture sauve.
23Les gestes de l’art se trouvent du côté de la vie, de l’invention, de l’inachèvement. Ni ordre ni désordre, l’œuvre relève du faire l’ordre. Ou encore : une régulation interne. Par quoi l’exercice d’une écriture qui prend fait et cause pour elle-même induit le roman à auto-réflexion (et à auto-fictionnement). Et le roman, qui ne cherche plus à l’extérieur ses justifications, met en place son ordonnancement. Il sécrète sa propre économie : où la division du geste auto-désignateur devient vis motrix de l’organisme textuel. Le troisième aspect de la dynamique engagée apparaît : c’est la dynamique d’une immanence, une esthétique-à-mesure, un bricolage, un artisanat. Pas même. Pierre Soulages répond à Claude Simon qui lui dit tâtonner lorsqu’il écrit, et « user des méthodes artisanales » :
Tu as tort, un artisan sait très exactement ce qu’il va fabriquer : telle chaussure, telle table, telle poterie. Nous, nous ne savons jamais ce que nous allons faire – ou plutôt ce qui va se faire...25
24Pour le romancier, autrement dit, en repasser par le facteur ouvrier et par l’épreuve de l’écriture narrative, c’est engager une critique de l’esthétique sur le seul terrain capable de nourrir et faire fructifier cette démarche : celui de la prose romanesque – au sens où Walter Benjamin dit que « c’est dans la prose qu’apparaît le médium-de-la-réflexion »26. Où, par suite, ce qui se joue dans la remise sur le métier des formes sensibles est non seulement un questionnement du Beau, du goût, du sentiment, sous les espèces d’un discours critique (du culturel en ses représentations ; du roman en ses conventions), mais aussi l’activation d’une philosophie du roman. Celle-ci inscrit l’effervescente corrélation d’un travail poïétique et d’une réflexion processuelle. Le parallèle avec le romantisme allemand – « romantisme » doit s’entendre au sens étymologique de « ce qui est ordonné au roman » – permet d’éclairer en quoi médiation et méditation se conjuguent dès lors pour tenir la tension que comporte tout geste d’écriture de fiction :
Parmi toutes les formes de présentation, il en est une dans laquelle les romantiques trouvent la mise en œuvre la plus résolue de l’auto-limitation aussi bien que de l’auto-élargissement réflexifs qui, à ces hauteurs, perdent leur distinction et passent l’un dans l’autre. Cette forme symbolique suprême est le roman. Ce qui frappe avant tout dans cette forme, c’est son absence de contrainte et de règles extérieures. De fait, c’est en toute liberté que le roman peut réfléchir sur soi et refléter chaque fois à un niveau supérieur les divers degrés de conscience qu’engendrent des considérations toujours nouvelles. [...] pour cette raison précisément que le roman n’excède jamais sa forme, chacune de ses réflexions peut être en contrepartie considérée comme se limitant d’elle-même, n’étant pas limitée par une forme de présentation réglée. [...] les romantiques n’ont cessé de souligner la régulation interne et la pure concentration de la forme roman.27
25Creuset d’une esthétique à toute extrémité, cette écriture de prose qui n’adhère pas à des règles mais entreprend d’expérimenter, de modeler des matériaux littéraires dans des formes supérieurement utiles et efficaces, cette écriture intervient comme-une-écriture : dans l’intervalle de sa prise en compte (et de ses prises) – qui la déprend sitôt d’elle-même. Cette marche de la fiction sur la corde raide de l’anesthétique, marche qui se règle sur le mouvement même, entre (dis)traction et gravité, entre dé-pense et pesée, porte à une double priorité : à l’événement et à l'enfance de l’art. Car la survenue réitérée des formes au toujours-présent de l’œuvre, si elle ne va pas sans le débord de l’organisation du sensible qui fait de toute grande œuvre, classique ou moderne, un tremblement du sens, ne va pas davantage sans faire place à ce qu’il y a d’enfance dans la pratique artistique – au sens étymologique, où l’entend Jean-François Lyotard, infantia : « ce qui ne parle pas, ne se parle pas », et que les fictions anesthétiques tentent inlassablement de faire vibrer :
Nul ne sait écrire. Chacun, le plus « grand » surtout, écrit pour attraper par et dans le texte quelque chose qu’il ne sait pas écrire. Qui ne se laissera pas écrire, il le sait.28
26Ni silence ni parole mais entre (« pas même un vide, plus »), cette enfance de l’écriture n’est pas un âge de la vie et ne passe pas :
Elle hante le discours. Celui-ci ne cesse pas de la mettre à l’écart, il est sa séparation. Mais il s’obstine, par là même, à la constituer, comme perdue. À son insu, il l’abrite encore.29
27Écrire la séparation, écrire l’être-perdu de l’œuvre. Écrire pour faire entendre ce qui ne s’écrit pas : c’est cet entre qui échappe à l’argumentaire de la poétique et du beau, et que peut seul prospecter, infime, intersticiel, au bord du silence et sous la coupe de la coupe, le travail des fictions anesthétiques. C’est-à-dire une écriture qui fait voies de toutes parts ; des failles fait césures, des intervalles souffles, des interruptions rythmes – imprimant forme au passage. Une écriture de l’arabesque, telles « ces spirituelles [witzig] décorations fantasques » que Schlegel tient « pour une forme ou un mode d’expression tout à fait déterminé et essentiel de la poésie »30.
28Tel est le ressort qui, fondamentalement, tend l’écriture de fiction, met son existence entre résistance et « désistance ». Il fait de la prose poïétique – cette prose qui est prise de corps – un lieu singulièrement adéquat pour le travail des formes : lieu d’une mise en scène, mise en série de l’hétérogène et de son advenir. Cette prose, Benjamin la décrit comme « le sol générateur des formes poétiques qui se trouvent toutes médiatisées en elle et dissoutes, comme en leur terre nourricière canonique. Dans la prose, tous les rythmes sont liés et s’interpénètrent, ils se conjuguent en une unité nouvelle »31. Il en induit, quant à « la détermination ultime de l’Idée de l’art », le fameux axiome : « l’Idée de la poésie est la prose ». De la définition, on retiendra surtout, ici, l’image du retour à la terre : pas l’Idée sans la mise en rapport des textes ; sans la métaphore géorgique du travail et de la pousse ; de la perte et de la repousse. Œuvrer, c’est ouvrir de telles perspectives. Exemplaire entre tous ses livres, Les Géorgiques donne à lire de Claude Simon, à la lettre, un roman où se conjuguent, paysages sur pages, le cyclique retour du motif des saisons et la reprise concertée des scènes narratives.
L’écriture géorgique : où le roman fait terre et saisons
29Une césure saisissante ouvre le livre qui annonce, au titre de Virgile, à l’enseigne du poème latin, un « roman ». Et si j’emprunte à la poésie le mot de cesura, cette coupe ou « pause dans l’intérieur du vers venant après une syllabe obligatoirement accentuée » pour désigner l’espèce de brèche, d’intervalle, de syncope qui marque, entre le prologue et la première Partie, l’attaque (comme on dit en musique) du roman, c’est à dessein. Car le hiatus monte en voisinage contradictoire une suite descriptive, puis une suite événementielle. D’abord vient la description d’un dessin « à l’antique » :
La scène est la suivante : dans une pièce de vastes dimensions un personnage est assis devant un bureau, l’une de ses jambes à demi repliée sous son siège, le talon du pied soulevé, le pied droit en avant et à plat, le tibia formant avec la cuisse horizontale un angle d’environ quarante-cinq degrés, les deux bras appuyés sur le rebord du bureau, les mains tenant au-dessus une feuille de papier (une lettre ?) sur laquelle les yeux sont fixés. Le personnage est nu. [...] Un second personnage plus jeune, nu lui aussi, se tient debout de l’autre côté du bureau, dans la pose classique de l’athlète au repos [...]. De même que les corps nus sont dessinés avec une froideur délibérée détaillant des anatomies stéréotypées apprises sur l’antique, les objets qui les entourent, la pièce où se tiennent les deux personnages, sont figurés avec cette sècheresse qui préside à l’exécution des projets d’architectes proposant aux regards non pas des monuments déjà existants mais des combinaisons et des assemblages de formes nés de leur imagination, ne renvoyant qu’à eux-mêmes [...].32
30Après quoi vient le récit événementiel d’une suite d’actions que la cadence du cumul parataxique apparente aux « travaux » – au sens mythologique : herculéen – épreuves, exploits :
Il a cinquante ans. Il est général en chef de l’artillerie de l’armée d’Italie. Il réside à Milan. Il porte une tunique au col et au plastron brodés de dorures. Il a soixante ans. Il surveille les travaux d’achèvement de la terrasse de son château. Il est frileusement enveloppé d’une vieille houppelande militaire. Il voit des points noirs. Le soir il sera mort. Il a trente ans. Il est capitaine. Il va à l’opéra. [...] Il écrit plaisamment à un ami qu’il a pris trop d’embonpoint pour sa petite taille de cinq pieds neuf pouces. En 1792 il est élu à la Convention. Il écrit à son intendante Batti de veiller à regarnir les haies d’épine blanche. (pp. 21-22).
31Ce hiatus qui fait suivre la statique scène d’ouverture par l’épique narration signale que se contractent des alliances hors genres et que l’écriture du roman sera ici placée sous la coupe de la coupe. La composition d’ouverture présente ainsi une métaphore de la facture de l’œuvre. Car c’est le passage par l’atelier que propose la description du dessin à l’antique. Cette scène constitue une lecture du métier qui met en scène : mise en scène d’une mise en scène déjà, elle évoque moins le souffle du vivant modèle que la stature de l’art ; moins une représentation (une image) qu’une com-position signifiante : de traces, de gestes, de repentirs, qui fait d’un tel dessin un « code d’écriture » (p. 13). Le narrateur prend soin de le préciser : « [...] il ne s’agit pas là d’une toile inachevée, mais d’une œuvre considérée par son auteur comme parfaitement accomplie [...] » (p. 16). Le texte se déclare indicatif et non pas représentatif (p. 13, p. 16).
32Ainsi, au seuil du roman, le récit livre la clef de lecture : le texte, loin de thésauriser, est travaillé d’interruptions et d’interactions, c’est-à-dire travaillé par un processus de perte qui est le temps à l’œuvre ; le temps de l’œuvre. En train de faire et de se faire. C’est une perte paradoxale car constitutive de l’ouvrage dont elle organise l’alternance des récits et leurs altérations réciproques. Récit du régicide révolutionnaire devenu général d’Empire, qui écrit des lettres géorgiques mais aussi militaires, politiques et des mémoires ; récit du combattant volontaire engagé dans la guerre d’Espagne ; récit du cavalier dans la débâcle de 1940, qui est aussi le narrateur-biographe, écrivain-écrivant dont la main, éclairée « d'un jour frisant », « feuillette les cahiers format registre aux pages couvertes d’une écriture régulière » (p. 24. En italique dans le texte) – cahiers qu’il a hérités de l’ancêtre général d’Empire, et qui ont été découverts derrière une tapisserie au motif de guirlandes de feuillages.
33L’économie à l’œuvre contracte et court-circuite les épisodes ; agence l’architecture des corps, diégétiques, typographiques. Après le prologue, ouverture-ouvroir, cinq parties modulent la scansion du livre. Partie I : staccato des récits en entrelacs. Partie II : lento, monocorde, du récit d’une défaite annoncée. Partie III : reprise, presto, des récits entrelacés. Partie IV : lento monocorde du récit d’une révolution inaboutie (Espagne 1936-1937). Partie V : staccato des récits entrelacés (en dominante : la Révolution française, les frères ennemis) avec, au terme du volume, tressées serrées, travaux de terre travaux de guerre, les lettres géorgiques et les lettres militaires. Puis au final, ultime phrase du livre, LSM en solo, dans un tenu de la voix – poignante d’être ainsi interjetée, au bord de la page blanche, avec, derrière, toute la masse d’écrit :
« [...] et encore une fois croyez-vous que j’aie tant d’années à jeter par les fenêtres ?... » (p. 477)
34Voilà en quoi, d’abord, Les Géorgiques de Claude Simon est un roman du temps à l’œuvre, c’est-à-dire le heu d’un déplacement et d’une réflexion. Déplacement d’accent(s) : par quoi réinscrire « géorgiques » au titre de l’autre c’est, d’un bougé de la main qui tient papier et style, dire qu’il n’y aura jamais que de l’ouvrage à l’antique. À la manière de. De Virgile à Claude Simon, la même enseigne déstabilisée, dés-œuvrée, instaure l’œuvre-comme. Et : comme une œuvre. Œuvre d’œuvre. Non pas d’après nature ces géorgiques simoniennes, mais d’après l’art. Au titre du chant virgilien, le roman contemporain fait donc ici, pour commencer, la critique du roman. Du genre romanesque qui expose son pré-texte : qu’il est le produit de lectures et d’écritures ; que ces travaux des champs sont un labeur, un labour de l’écriture. C’est ce que symbolise l’activité épistolaire de l’ancêtre qui, pendant près d’un demi-siècle de tribulations à travers l’Europe qu’il « sillonne », « moissonn[e] les champs en esprit » (p. 366) :
[Il] labourait, plantait par procuration, usant non de charrues ou de herses mais de cette encre brune, couleur rouille, sur le papier grenu des innombrables lettres envoyées à Batti [...]. (p. 377)
35L’écriture romanesque sous la coupe de la coupe et qui ne souscrit plus au trompe-l’oeil ni à l’illusionnisme de la représentation, consacre désormais son travail à l’organisation du simulacre de l’art ; simulacre qu’emblématise la référence au théâtre à l’antique : à savoir la scène où se jouent, par l’intermédiaire de « personnages réels et sans pourtant plus rien d’humain, vêtus de péplums ou d’armures » (p. 228), des délégations, des inter-cessions, des trans-missions d’ordres, seul processus à ouvrir au monde de l’art – un monde « sans commune mesure avec celui des apparences » (p. 229).
36C’est dans ce mouvement de transport généralisé que s’inscrit l’envoi des lettres géorgiques du Général. Elles donnent au roman souffle organique, constituent aussi une adresse au lecteur : au corps lecteur ; lequel s’essouffle dans la traversée des perméables parenthèses, est saisi de vertige par l’allure narrative, reprend haleine aux césures, participe aux et des transports de cette physique du texte. Coupes et rythmes donnent à lire, à travers des comportements (diégétiques, historiques), le portement, au sens ancien de maintien, le port des corps. Densité, carrure, résistance physique. Mais aussi : de la lettre, la frappe ; du tracé, la pression ; de la pensée, le poids. Telle est bien, rythme c’est-à-dire empreinte et passage à la forme, l’essence de la littérature. À la forge de l’écriture, la matière en sa finitude forme organisme, croissance. Pousse infinie. Où géorgique devient le nom de l’écriture même.
37C’est pour cela, sans doute, que l’émotion est ici particulièrement (r)affinée : elle est, comme toujours chez Claude Simon, mais en ce cas avec une acuité singulière, l’émotion de l’écrire. L’infime et puissante motion de la main qui fait traces. Travaux minuscules poussant mot après mot. Travaux fabuleux qui font pousser partout des significations, des vies de personnages – « personnages réels et sans pourtant plus rien d’humain ». Tel est le statut – la statue, les ancêtres dont il ne reste que les fragiles écrits. Lesquels remettent en mémoire, à chaque page, que l’imposant édifice du livre ne tient qu’à l’infime poids de la main à l’œuvre.
38À l’image des ordres inlassablement donnés-écrits par l’ancêtre pour la mise en oeuvre des terres, advient dans le texte une remise en ordre qui n’a de cesse. Le roman devient « problématique assemblage », « fragile, éphémère et prodigieuse organisation » (p. 158). Toute une architecture concertée en régit avec soin les points de montage et de disjonction, suivant une nécessité interne, l’ordre à soi de l’écriture, c’est-à-dire le partage textuel qui s’indexe sur la temporalité du travail en cours et non sur quelque temps diégétique ou sur quelque chronologie établie. Les croisées internes sont lieu de potentialités où affleure une aptitude prosaïque à faire sens en tous sens. Les Géorgiques de Claude Simon, à la lettre, c’est toujours : il est temps. Il est grand temps.
La lettre du transport
39Ce roman est affaire de transport. De métaphore. L’écriture métaphorique assure les moyens du continuel déplacement qui fait fermenter le sens : qu’il s’agisse du transport de la main avançant sur la page, de celui qui assure la circulation géographique et narrative des protagonistes, ou du transport de l’imaginaire. Par quoi l’industrieux génie, militaire et civil, qu’est LSM, se trouve, toujours, ici et ailleurs – ailleurs par l’ici paginai –, moissonne en esprit et par procuration quand il est à la guerre, et lorsqu’il est aux champs rédige des Souvenirs (p. 373). Au commencement de l’action, il y a l’acte d’écriture qui donne son placet : non seulement les commandements quant à « ce paysage, [...] ces halliers qui pendant toutes ces années n’avaient existé pour lui que comme des choses pas tout à fait réelles, sans autre matière que l’immatérielle mémoire, abstraitement figurée, sur ce plan qu’il emportait partout avec lui » (p. 377), mais aussi les ordres de combats ou de cantonnements qui font l’objet d’envois épistolaires dont le texte a même corps typographique que le champêtre – « assemblages de mots qui par le seul effet d’un peu d’encre rose sur un morceau de papier réussissaient à faire avancer et vaincre des armées épuisées [...] » (p. 396).
40Il y a davantage, car au transport épistolaire s’attache une ambiguïté destinale : les lettres de l’ancêtre, adressées à Batti ou aux Conventionnels ou aux Chefs d’Armée, au terme d’un incroyable différé, lui reviennent à lui, l’héritier-lecteur-biographe qui en reçoit comme une incitation à écrire. Dès lors, erreur et pertinence, l’envoi des lettres, reçu tel un présent/cadeau du passé, travaille au corps l’écriture romanesque : comme si l’ancêtre écrivait, par-delà le temps, à l’arrière-arrière-arrière-petit-fils écrivain. Lequel a pour tâche non plus d’y répondre mais d’en répondre.
41L’écrivain en répond triplement. 1) Avec la prise en charge par le récit des écrits postés (ici, et en route vers leur destinataire) : ce qui confère à la lettre insérée dans le roman une étrange fonction d’indirection et au personnage de l’ancêtre un statut historique et romanesque à la fois. 2) Avec la prise en compte, sous signature d’auteur, du signataire LSM dont les écritures, en quelque sorte, se trouvent endossées (contresignées) par le livre. 3) Avec l’entreprise du roman entier qui met racines généalogiques tout en faisant pousses géorgiques, multipliant les rameaux de significations et les ramifications d’une histoire à l’autre. Fragile et résistant, le tissage arachnéen de l’écriture relie par mille liens mille riens les récits que ne cessent de se déplacer et de comptabiliser les délais de poste.
42Dans le jeu des envois et des différés, l’écriture maintient l’existence. Et les récits ensemble. La succession syncopée-articulée des textes fait ainsi de leur répartition une partition. Partition des voix ; partition de l’espace paginai – ponctué par la répétition de l’insert : « Il écrit », auquel fait pendant le syntagme « O raconte », venu d’une autre histoire (la guerre d’Espagne), d’un autre temps. D’un autrement dit. Par suite, plus de visions sans di-visions ; plus de positions sans compositions. Pas de bouts (de textes) sans boutures, ou greffes qui, avec le jeu des contextes (décontextualisation-recontextualisation) se mettent à pousser ensemble, forment concrétions (cum crescere) et concrets passages.
43Ainsi en est-il lorsque semblent se tramer (p. 74) des alternances à premier abord disruptives : entre les missives de LSM et une scène à l’opéra où l’on donne Orphée (scène appartenant à l’enfance du narrateur). Et voilà quelles tissent ensemble, c’est-à-dire métissent non seulement les thèmes majeurs de la mémoire et de l'oubli, mais surtout, les croisées des fils qui, en contrepoint, d’un bord à l’autre de la brèche, raccommodent. Accommodent. La voix-je du discours épistolaire devient la voix-elle du chant d’opéra. Cependant que la formule d’envoi « Adieu, je t’embrasse » anticipe le lyrisme orphique, lequel, à son tour, et sur les mots italiens, porte d’un même souffle jusqu’à Rome : c’est-à-dire jusqu’à la missive suivante.
44Sur cette page, il n’y a plus seulement réflexion métatextuelle d’un texte qui dit métaphoriquement ce qu’il fait au moment qu’il le fait : « de très loin la voix [...] confondue tout d’abord avec [...], puis s’en détachant, puis s’élançant, ondulant, se déployant ». Il y a surtout, de par les éléments hétérogènes qui croisent et croissent ensemble, une véritable hyperbole du retour(nement) – et c’est cela qui fait sens dans le texte avec une sève nouvelle. Par ordre d’apparition, récit d’un retour(nement) annoncé (« j’irai dans mon vieux château passer mes derniers jours et je pourrai encore jeter un regard en arrière »), retour(nement) effectué sur le passé de jeunesse (« j’en jette aujourd’hui un bien agréable en me rappelant ») ; scène du retour(nement) mythique d’Orphée descendu aux Enfers pour reprendre Eurydice. C’est là le dispositif par quoi le texte simonien, à revenir ainsi sur soi pour avancer, dit, en clef orphique, son fonctionnement : toujours il « est sur le point de se retourner puis se ravise ». En effet, on peut lire, au lieu de la suture, que le point de retour est aussi point-de-non-retour ; que là où il retourne, le texte disjoncte ; change de vue, change de visée. Car rien, en écriture, ne saurait être répété qui ne soit aussitôt décalé. Déjà ailleurs, autrement.
45Telle est la progression du texte de Claude Simon, où la répétition fait pousse nouvelle, où le retour est (re)nouveau. À la topique simonienne du paradoxe d’Orion « immobile à grands pas », fait écho ici le paradoxe d’Orphée qui retournant s’éloigne.
46Ce qui prévaut dans la conflictuelle croissance comme-une où le singulier s’entend aussi pluriel, le privé public, l’intime épique, l’unité multiple, le mono stéréo, c’est moins tel ou tel événement raconté – ou non-événement – que le surgissement (c’est-à-dire la substitution, le voisinage, la disparition, la résurgence) de tel ou tel élément. Autrement dit, non seulement l’événementiel devient écrit mais l’écriture fait événement textuel. À l’écriture des ordres de LSM répond en somme dans le roman l’ordre de l’écriture. Lequel n’est pas rigide contrainte mais fluidité des agencements. Et où, plutôt que d’ordonnancement, il conviendrait de parler de mobilité et flexion des formes. Du rythme du roman33.
47Jouant sur les tensions et rétentions, sur la plurivocité et les tonalités singulières, cette œuvre-opera (c’est-à-dire en travail) met en branle des forces non pareilles, en fait varier les points d’application, donnant ainsi du jeu à la structure romanesque. L’impératif chronologique s’y trouve subordonné à la succession rythmique, l’impératif catégorique débordé par les reprises diégétiques qui sont soit anté-posées soit postposées, amorces, pierres d’attente, pierres d’achoppement, pierres angulaires de la construction prochaine, puisque tout est en déplacement, que rien n’a « sa » place mais une position : com-position, décomposition, re-composition.
48L’écriture maintient que quelqu’un a été. Témoigne, télescopant Antiquité et Temps modernes, idylle et chant funèbre. C’est alors une écriture arrachée à l’effacement ; écriture-épitaphe à déchiffrer laborieusement, comme l’inscription sur la tombe de Marie-Anne (première femme de LSM, jeune morte). C’est, à mon sens, une des descriptions les plus sublimes du volume en ce qu'elle tente la recomposition lettre par lettre du texte gravé contre la décomposition des corps, des feuilles mortes, d’un cimetière dispersé ; c’est-à-dire, littéralement, donne à lire le poème-épitaphe dans la décomposition de ses vers fragmentés et dans leur dissémination en îlots de corps majuscules sur le cours de la narration en corps typo minuscule :
[...] lisant au fur et à mesure que son doigt suivait les lettres alignées MARIE ANNE... puis grattant la pierre de l’ongle, effritant les écailles jaunes des lichens, disant HASSEL..., la fin du nom tout à fait effacée, la pierre à cet endroit éclatée, les caractères redevenant lisibles un peu plus loin AUX BEAUX JOURS DE LA GRÈCE, puis la main aux doigts carrés comme des pelles, aux ongles noirs, descendant d’un cran, se déplaçant de nouveau de gauche à droite, d’un mot à l’autre, DANS SPARTE (la pluie continuant à tomber [...]) (p. 163)
49Dans le labeur archéologique, la main devenue outil jardinier fait lever de la terre l’ultime adresse – adresse antique comme les sentiments humains, ou plutôt les sentiments copiant les formules livresques « sur l’antique ». Adresse à l’épouse aimée qui télescope les époques séculaires cependant que cède sous les semelles le « magma végétal en train de se décomposer » (p. 162), l’inscription de mort (en) capitale (s) littéralement surnage dans la débâcle des sols, des temps, des littératures :
[...] AURAIT ÉTÉ CITÉE AVEC ORGUEIL, le doigt descendant encore d’un cran, faisant rapidement tomber une plaque de mousse (la pierre au-dessous incrustée de terre, brune), la voix épelant de nouveau ELLE EUT (et toujours la pluie multiple, infinie, ce grignotement menu, comme la matérialisation, la mise en bruit pour ainsi dire, de millions et de millions de nombres, de décimales contenues entre les claquements sonores, scandés, des grosses gouttes de plus en plus rapprochées, le temps découpé en millions de millions d’infinitésimales fractions, de secondes, d’années, de siècles...) EN TOUT PAYS, SOIT BERGÈRE OU PRINCESSE..., l’idiot toujours agenouillé redressant son buste, se retournant d’un bloc, dévisageant le visiteur, répétant avec une sorte de ferveur, de violence : PRINCESSE ! puis redisant ou plutôt concassant deux fois (et maintenant il y avait dans la voix quelque chose comme du défi, de l’exaltation, de la colère) : « Vous voyez ? Vous voyez ? », se penchant de nouveau, le doigt frôlant de nouveau la pierre, progressant par brèves saccades FIXE TOUS LES RE... (et sans doute savait-il lui aussi par cœur ce que les faibles stries creusées dans la pierre permettaient à peine de deviner, comme des fantômes de lettres, de mots, les traces rongées d’une douleur, REGARDS, d’un pleur) ET REÇU MÊME ACCUEIL, après quoi il y avait un vide, l’intervalle d’une ligne sans aucune trace de caractère gravé, rien que la pierre grise, froide, nue, l’idiot observant une pause, immobile, silencieux, comme si ses yeux courant sur la plage de pierre déchiffraient ce qui disait seulement le silence, le chagrin, puis le doigt, l’ongle bordé de deuil se remettant à suivre la ligne de caractères presque effacés qui se devinaient un peu plus bas, la voix disant en même temps ELLE VINT AU CALLÈPE, s’interrompant, le buste se redressant une seconde fois, les yeux perdus contemplant avec douleur autour d’eux le paysage invisible, le vallon noyé de pluie, de pleurs, se dissolvant, la voix enrouée (comme celle d’un animal, d’un sourd auquel on aurait appris à parler) répétant CALLÈPE !, la tête basculant en arrière, désignant du menton le ruisseau un peu plus bas, la prairie inondée, l’eau laquée, immobile, à la surface de laquelle les gouttes serrées dessinaient des cercles d’argent, et à la fin le buste se courbant de nouveau, le doigt carré rampant lentement d’un point de suspension à l’autre, puis filant rapidement, violemment, jusqu’au dernier mot, la voix devenue maintenant furieuse, chargée d’un réel désespoir, d’une réelle détresse, disant (mais moins vite que le doigt, ou peut-être les yeux du visiteur avaient-ils déjà parcouru la fin de l’inscription – pas lu : reconnu avant même d’avoir besoin de les voir les mots qu’il avait déjà entendus sortir un peu plus tôt de la vieille bouche édentée :)... ET VOICI SON CERCUEIL !, la pluie qui tombait drue maintenant ruisselant sur le visage [...]. (pp. 163-165)
50La convention poétique, ruiniforme, lettre morte en la banalité de son contenu, se charge, d’être ainsi disséminée-rassemblée, d’un singulier pathos, devient vitale. Infiltrée en tous points par des parenthèses perméables et par des signes qui la parasitent, faisant converger à la fin « pluie » et « pleurs », l’épitaphe est, à tous les sens, citation. Citation vitale comme on dit ailleurs citation militaire : mention au tableau d’honneur pour ceux qui tombent aux champs civils. Citation de vie, mais aussi : la vie comme citation. La vie ex-citée ; tronquée ; rendue-extraite par bribes. L’épitaphe-épigraphe c’est aussi – et là le passage atteint son acmé – la douleur dite par les mots d’autrui, l’intime par la citation, le singulier par le convenu, le propre par le figuré : la seule forme d’inscription (« d’excription » dit Jean-Luc Nancy34) possible n’étant plus que celle de la syncope, de l’arrachement, du détour par de l’autre. Par une autre histoire.
51Ce processus généralisé de scription et de transcription, au sens de transmission d’écrits par de l’écrit, n’est pas seulement le dispositif d’une vaste mémoire permettant de « toucher terre » sans y être totalement englouti. Sauvegarde, l’écriture marque l’être. Est sa marque, la mise à distance constitutive : de l’être typographique, indissociable de la frappe (tupos) lettrée, du battement, de la syncope qui momentanément ab-strait, prend du champ – par quoi il ek-siste. Où le coup d’écriture, autrement dit, qui donne ordre et forme, donne vie : fait terre – entre champs de batailles et champs de blé.
52On comprend par suite que la lettre typographique n’aille pas sans la lettre postale, la frappe du caractère sans le geste épistolaire car il importe, dans cette symbolique et cette économie textuelle, qu’il y ait envoi, adresse, destination. Et retour d’écriture. Liant la lettre au mouvement, « ces tumultueux va-et-vient au hasard desquels elles avaient été écrites » (p. 412), et au relationnement. Où l’un commande, l’autre relate :
Relisez ma lettre du 3 vendémiaire et répondez-moi article par article, je ne veux pas que vous fassiez la sourde oreille. [...] je ne vous demande que des jambes, des yeux et de me rendre compte. (p. 241. En italique dans le texte)
53Il s’agit d’un écrire à ; en direction de ; pour que l’écriture, devenant vecteur, porte. Ait une portée. Soit une trajectoire : le trajet dans le temps et l’espace par quoi chaque lettre fait date - donc histoire. Prend date, accuse réception, lieu, place. Un avoir lieu. D’où l’exigence d’un interlocuteur, ou plutôt des gestes de lecture et d’écriture déclenchés à distance, qui font de l’intendante Batti une entendante et une répondante.
54S’instaure ainsi, à coups d’écriture, un étrange rapport de domination et d’échange. Dans cette nouvelle version du lien maître-valet, la domination en est une et pas une, faisant de Batti « pour ainsi dire comme un autre frère. C’est-à-dire plus qu’une sœur ; non du même sang mais du même lait » (p. 405). L’intendante, la chienne, « la vieille jument » (p. 407) est aussi l'alter ego. Elle est, de même encre, une mémoire. Moins une correspondante qu’une dépositaire. Des ordres et des plans de LSM avec qui elle « n’échange » pas véritablement, ne rend pas coup pour coup d’écriture, mais rend compte – (« toutes les fois que vous ne serez pas exacte à m'écrire exactement tous les dix jours et à répondre à toutes mes lettres, je vous gronderai comme plâtre », p. 187. En italique dans le texte). Et atteste : de la réalisation, de l’exécution. Atteste de la vie : que ça germe, que ça pousse, que ça fructifie. Et pour ce faire, de sa reddition, de sa totale (ab)négation à elle qui supplée le maître, est son prolongement, ses jambes, ses yeux. Sa créature et sa volonté créatrice, suivant les quatre commandements majeurs qui font écho aux quatre chants virgiliens c’est-à-dire aux impératifs des cycles de la nature : leitmotive dans les lettres à Batti « à peu près uniquement consacrées à des ordres de semailles, de coupes de bois, de plantations ou de mises en bouteilles » (p. 412), à des ordres de saillies et de reproduction du bétail, aux soins du labourage, des arbres et de la vigne.
55Batti, telle une abeille au travail, a fonction fécondatrice : fait féconder les sillons, les génisses, élève l’enfant de LSM, « ce fils qui s’il n’était pas sorti de ses entrailles lui était donné pour ainsi dire par procuration » (pp. 407-408).
56Autant d’éléments par quoi l’écriture épistolaire fait vie ; non seulement donne ordre de (à la) vie mais aussi fait récit de vie. Avec ceci pour conséquence : toute écriture épistolaire dans le livre, en fin de compte, est géorgique – qu'elle soit agricole, militaire, politique, intime –, car elle est carrière : cours quotidien et saisonnier. La vie en travail. Et ce récit de vie a quelque chose de poignant dans l’inachèvement que lui confère la collecte des lettres : car du fait de l’absence des réponses de Batti, la correspondance se présente, malgré la situation dialogique, comme un monologue. Ou plutôt, elle transforme cette suite en un dialogue tronqué, sans réplique, telle une voix (au bord du) dans le vide. Et cette série épistolaire amputée détermine, en fait, admirablement, l’assignation des rôles et le jeu textuel de leur corrélation : elle, l’archive, la serve conservatrice des missives ; lui, le trait, le foudre d’écriture. Elle, la patience, la mémoire ; lui, l’impatience, l’événement. Elle, la garde. Lui : la dépense. Elle, au travail qui veille ; lui, aux exploits qui émerveille.
57Symbolique de l’écriture, la fécondation c’est aussi, sous la plume de Claude Simon, comme une mise en gloire, l’accouplement de deux libellules en plein vol. Dont la longue description fracture, en quelque sorte, une scène d’enlisement dans la terre marécageuse ; ouvre dans le texte une échappée en contrepoint, une stase – extase – où la (con)jonction, la (con) fusion forment, momentanément, un seul corps, une seule « œuvre ».
(sur le fond ombreux des pins les deux libellules suspendues immobiles, ciselées dans le soleil, reposant sur le frémissement métallique des ailes horizontales, se déplaçant parfois, changeant de palier, par de rapides translations, puis reprenant leur immobilité – et d’un coup, suivant une trajectoire rectiligne, légèrement oblique, l’une d’elles vient se placer au-dessus de l’autre, les deux formes impondérables, superposées, exactement identiques, jusqu’à ce que le long et mince abdomen du mâle s’incurve lentement, vienne s’ajuster à celui de la femelle, les deux paires d’ailes de mica continuant toujours à frémir, étincelantes, avec la même foudroyante rapidité, et un seul corps maintenant, soudé, un seul élégant bijou [...]) [...] le précieux bijou, le délicat chef-d'œuvre d’orfèvrerie au double abdomen entouré de sa vibration d’argent vacillant un instant, glissant sans se désunir sur le côté, remontant soudain en suivant une trajectoire désordonnée, sinueuse, comme secoué par quelque chose de foudroyant (mais quoi, dans l’agencement compliqué, éphémère et fragile des organes, les élytres, les corselets, les anneaux faits de matières (cornes, écaille, soie) apparemment insensibles : plaisir ? orgasme ? délivrance ? accomplissement ?), déséquilibré, furieux, emporté dans un vol incontrôlé, le flamboiement métallique s’évanouissant, disparaissant dans l’ombre, puis, presque aussitôt, une seule de nouveau suspendue immobile dans le soleil au-dessus de la clairière spongieuse, et quelques secondes après l’autre, à deux mètres environ sur la droite et un peu au-dessus, immobile aussi (et quelque part sous les anneaux, les corselets [...] quelque chose de modifié, quelque chose de nouveau, d’infiniment petit, d’infiniment fragile, qui déjà commençait à se nourrir, se former, grossir...) [...]. (pp. 427-428. En italique dans le texte)
58Cet emblème qui s’affiche tel, réel et merveilleux, nature et art (« élégant bijou »), trajectoire ailée et métaphorique, transport amoureux et transport des sens et matières (« métal », « mica », « argent » ; « organe », « orgasme »), s’inscrit dans un texte qui boucle en revenant sur ses traces et cependant progresse par infime modification (corps, seul, corselets ; bijou, deux paires, double), formant vecteur, cet emblème est aussi symbolique, on l’aura compris, de l’œuvre écrit. C’est un double discours qui se tient là, dans le commentaire de ce qui est en train d’advenir sur la page : celui de la croissance naturelle, celui de la croissance textuelle. Car c’est bien à un « chef-d'œuvre d’orfèvrerie » que travaille l’écriture simonienne qui organise, minutieusement et dans l’ampleur du livre, l’agencement compliqué des matières à récits, et qui procède selon les mêmes mouvements soudains de rapprochement, de superposition, d’éloignement des fragments d’histoires qui en constituent la trame. Si bien que le roman se révèle atelier, ouvroir : des significations, des sophistications de la langue qui inscrivent courts-circuits et longs-circuits, sèment, disséminent ; disent les unes par et/ou contre les autres, « quelque chose de modifié », « quelque chose de nouveau ». Disent, par cet emblème géorgique (transport amoureux) et scriptural (transport de sens et de sons), le processus même de la fécondation littéraire.
Le grand temps
59L’écriture de Claude Simon a cette force : elle se donne ainsi qu'elle est, en transit : comme-une-écriture. Soit parce qu'elle est écriture de l’autre et de l’autrefois (LSM) ; soit parce qu’elle est une autre écriture du même (toutes affaires de vie et de mort que les tribulations de LSM, de O, de S) ; soit enfin parce que toute écriture advient dans le décalage de son propre faire.
60La formidable critique esthétique que constitue le roman selon Claude Simon enseigne cette sagesse : écrire, c’est ne pas perdre le temps. Laisser au temps le temps de déposer. De faire (son) œuvre. L’activité épistolaire de LSM dans Les Géorgiques, prise entre instant et écart cyclique, soucieuse de prendre le temps de ne pas perdre le temps, est emblématique du geste, vital, qu’est l’écriture littéraire.
[...] pendant les pluies du mois de 9bre et de Xbre on pouvait remplacer avec succès une haie qui aujourd’hui ne prendra pas, voilà donc un an de perdu, vous croyez donc que j’ai beaucoup d’années à jeter par la fenêtre ? (p. 476)
Je vous recommande à vous beaucoup de jambes, surveillez bien les troupeaux pendant la pousse, sans cela je perds une année de jouissance et je n’ai pas d’années à perdre, (p. 217)
61Ce déchirement de l’être-au-temps, qui se hâte lentement lente festinans, et qui, au bord de l’abîme, reçoit encore forme de récits, est au fondement du registre toujours sauvé de l’écriture. C’est le temps du (il est) « grand temps ».
62L’écriture des Géorgiques relève de l’art d’un « être-en-commun » des récits, de la mise en commun des histoires. Où l’être, le sens, est le en : est « au-dedans de ce qui n’a pas de dedans »35 ; ce qui est à la limite, dedans-dehors, jadis-naguère ; qui partage et ajointe. C’est le heu où le sens (et l’être) s’expose. Un être-avec : tel est le régime de la composition ex-posée. Là où ça pousse en tous sens possibles, là l’écriture, prenant tous les risques, prend le parti d’en être. D’en naître.
Notes de bas de page
1 Simon, Claude, La Corde raide, Éd. du Sagittaire, 1947, p. 122.
2 Lyotard, Jean-François, « Anima minima », in : Moralités postmodernes, Galilée, 1993 ; voir aussi L’Inhumain, Causeries sur le temps, Galilée, 1998.
3 Simon, Claude, La Corde raide, pp. 66-67.
4 Colloque de Cerisy Claude Simon, édité par Jean Ricardou (1974) ; rééd. Les Impressions nouvelles, 1986, p. 117.
5 Simon, Claude, ha Corde raide, p. 122.
6 Flaubert, Gustave, Correspondance, Lettre à Louise Colet, Éd. Conard, t. II, p. 345.
7 Gyroscope, Gallimard, 1996, constitue le dernier ouvrage de la série.
8 Cf. Lyotard, Jean-François, Sur la constitution du temps par la couleur dans les oeuvres récentes d’Albert Ayme, Éditions Traversière, 1980.
9 Simon, Claude, in : Mireille Calle-Gruber, Claude Simon. L’inclasssable réancrage du vécu, op. cit.. p. 62.
10 Ibid., p. 74.
11 Ibid., p. 59.
12 Lyotard, Jean-François, « Anima minima », in : Moralités postmodernes, p. 199.
13 Simon, Claude, La Corde raide, p. 101.
14 Il s’agit de poiein, faire au sens de créer, et non de prattein le faire de la praxis.
15 Simon, Claude, La Corde raide, p. 177.
16 Cf. Nancy, Jean-Luc, Le poids d’une pensée, Le Griffon d’argile, Québec-Presses Universitaires de Grenoble « Trait d’union », 1991, p. 11.
17 Simon, Claude, La Corde raide, p. 117.
18 Kleist, Heinrich von, Sur le théâtre de marionnettes, traduction et préface de Jean-Claude Schneider, Séquences, 1991, p. 24.
19 Ibid., p. 21. En italique dans le texte.
20 Ibid., p. 19.
21 Album d’un amateur, p. 31.
22 Ibidem ; voir infra, « Le Temps en dépôt », p 201.
23 Simon, Claude, Les Géorgiques, Minuit, 1983, p. 76.
24 Heidegger, Martin, Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, 1962, p. 47.
25 Cité par Claude Simon dans sa Préface à Photographies, np.
26 Benjamin, Walter, Le Concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, Flammarion, 1986, p. 152.
27 Ibid, pp. 147-148.
28 Lyotard, Jean-François, Lectures d’enfance, Galilée, 1991, p. 9.
29 Ibidem.
30 Schlegel, Friedrich, Entretien sur la poésie (Athenaeum, 1800), repris dans Lacoue-Labarthe, Philippe ; Nancy, Jean-Luc, L’Absolu littéraire, Seuil, 1978, p. 323.
31 Benjamin, Walter, Le Concept de critique esthétique, pp. 152, 150.
32 Simon, Claude, Les Géorgiques, pp. 11-13.
33 Cf infra « Rythmes », pp. 121-148.
34 Nancy, Jean-Luc, Le Poids d'une pensée, p. 11.
35 Nancy, Jean-Luc, La Communauté désœuvrée, Bourgois, 1986, p. 226.
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