1 On compte deux fois François Baroin qui fut porte-parole en 1995 et en 2010-2011.
2 « Par opposition à la parole individuelle, cri, protestation, la parole du porte-parole est une parole autorisée qui doit son autorité au fait que celui qui la parle s’autorise du groupe qui l’autorise à parler en son nom. Quand parle le porte-parole, c’est un groupe qui parle à travers lui, mais qui existe en tant que groupe à travers cette parole et celui qui la porte » (Pierre Bourdieu, cité dans Juhem et Sedel, 2016, p. 215).
3 Pierre Bourdieu (2001, p. 247) parle de « capital de fonction » pour désigner ceux qui, investis par l’institution, ne peuvent « posséder aucune autre “qualification” que celle que [leur] décerne l’institution ». « Et c’est encore l’institution qui contrôle l’accès à la notoriété personnelle en contrôlant par exemple l’accès aux positions les plus en vue (celle de secrétaire général ou de porte-parole) ou aux lieux de grande visibilité (comme aujourd’hui les grands “shows” à la radio ou à la télévision ou les conférences de presse) ».
4 « Le problème, c’est que comme il n’a pas de corps, cet être ne peut pas parler, au moins autrement qu’en s’exprimant par l’intermédiaire de porte-parole, c’est-à-dire d’êtres de chair et d’os » (Boltanski, 2009, p. 131).
5 Rappelons qu’il existe, à côté du porte-parole du gouvernement, un porte-parole de l’Élysée. La fonction est moins exposée que la précédente, même si certains titulaires du rôle ont été ou sont encore d’authentiques personnalités politiques (Michel Vauzelle, Hubert Védrine).
6 Ce n’est donc pas seulement l’individu porte-parole qui disparaît, c’est aussi l’acteur politique potentiel capable d’avoir des opinions et des stratégies personnelles. On pourrait parler, en s’inspirant librement du modèle de Kantorowicz, des trois corps du porte-parole : celui, idéal, abstrait, qui parle pour l’institution ; celui, politique, virtuel, qui doit s’effacer et attendre son heure ; celui, concret, de chair et de sang, que les médias traquent et que l’institution ignore.
7 L’Express (site Web) titre « Christophe Castaner, porte-parole et roi des perles » (13/7). Ouest-France (25/10) écrit que le « futur patron de LREM, est habitué aux bourdes ». Et la presse de fournir avec gourmandise la liste des lapsus commis : « parlementaires expérimentaux » pour « expérimentés » (18/5), « nous étions les despotes » pour « les dépositaires » (idem), « mettre en œuvre une polémique » pour « une politique », « ramadan » au lieu de « Bataclan » (Le Figaro, 11/8), « Muriel Pinocchio » pour « Pénicaud » (L’Express, édition numérique, 13/7).
8 À cela s’ajoute, comme le remarque avec pertinence Philippe Juhem (2016), la multiplication des dispositifs techniques d’énonciation (blogs, forums, réseaux sociaux…) qui bousculent le monopole symbolique classiquement conféré au porte-parole « officiel ». Si cette concurrence « darwinienne » pour l’accès à l’espace public touche moins un collectif comme le gouvernement que par exemple les mouvements sociaux faiblement institutionnalisés, elle s’observe aussi à cette échelle : les ministres aussi parlent, réagissent, tweetent, ils contredisent parfois le porte-parole du gouvernement, en tous cas ils le fragilisent.
9 J’emprunte cette idée à Nicolas Kaciaf, que je remercie très sincèrement (ainsi que Cédric Passard) pour leur lecture rigoureuse et bienveillante (et pour l’échange très enrichissant en ce qui me concerne qui en a résulté).
10 Une lecture même rapide des articles de presse mentionnant le « porte-parole du gouvernement » montre très clairement l’évolution sur plusieurs décennies. Le porte-parole n’a longtemps existé dans la presse qu’à travers ses propos, cités et commentés : il était une source. Sa personne ne retenait l’attention qu’aux moments de sa nomination et de son départ. Aujourd’hui, comme le montre l’exemple de Christophe Castaner, la performance du porte-parole est davantage commentée en référence à sa personne : il est devenu un acteur politique.
11 Notons au passage que si le rôle procure à ses titulaires en particulier les plus jeunes une visibilité précieuse pour réussir en politique, il comporte le risque d’enfermer dans une image peu valorisante car associée à la langue de bois la plus rigide (cf. les exemples précédents de J.-F. Copé, F. Baroin, L. Wauquiez, N. Vallaud-Belkacem…).
12 On voit ainsi s’esquisser cette évolution suggérée par Luc Boltanski (2009, p. 142) : « Il existe bien pour eux [les porte-paroles] une façon de chercher à se prémunir contre l’effet déréalisant de la performance institutionnelle et de tenter d’en atténuer la violence en l’incorporant, c’est-à-dire en s’ajustant aux situations, comme s’ils s’y trouvaient plongés en tant qu’individus ordinaires. Ils s’efforceront alors de modifier légèrement le vocabulaire, la syntaxe et jusqu’à l’hexis corporelle du sujet parlant de façon à rendre la parole institutionnelle plus “naturelle” et plus “vivante” – comme on dit –, comme s’il s’agissait de leur propre parole (c’est le “parler-vrai” des hommes politiques) ».