1 Une version abrégée de ce texte a été présentée lors de la journée d’études « Faire voir : l’enargeia dans l’Antiquité et à la Renaissance », organisée par Florence Klein et Ruth Webb, et dans une conférence que j’ai donnée à l’Institut d’Estudis Catalans de Barcelone en mai 2015, sur l’invitation de C. Garriga : je remercie les organisateurs de ces rencontres et tous ceux qui y ont participé pour les observations qu’ils ont voulu m’adresser. Le présent chapitre avait déjà été donné aux éditeurs lorsque j’ai pu consulter S. A. Gurd, Dissonance: Auditory Aesthetics in Ancient Greece, New York, 2016, qui consacre des pages très intéressantes aux bruits tragiques, et en part. au passage des Perses que j’analyse à la fin de cette étude. J’ai également pris connaissance de l’article d’E. van Emde Boas, « Imagining Tragic Messenger Speeches: A Cognitive and Experimental Account », à paraître dans F. Budelmann et K. Earnshaw (éds), Cognitive Visions: Poetic Image-making and the Mind, Oxford trop tard pour pouvoir prendre en compte ses conclusions dans ce chapitre.
2 Le corpus des passages qui peuvent être définis comme des scènes de messager n’est pas toujours aisé à déterminer. Je m’appuierai sur la liste fournie par J. Barrett, Staged Narrative: Poetics and the Messenger in Greek Tragedy, Berkeley, 2002, p. 224, en y ajoutant un passage sophocléen qui, tout en n’étant pas une scène de messager stricto sensu, peut y être assimilé : celui où Tecmesse décrit le massacre des troupeaux chez Sophocle, Ajax, 201-330 (l’annonce synthétique de l’événement est d’ailleurs définie comme une ἀγγελία par le chœur au v. 222).
3 Voir O. Taplin, Pots and Plays. Interactions between Tragedy and Greek Vase-painting of the Fourth Century B.C., Malibu, 2007, no 33, p. 115-6 ; no 42, p. 137-8 ; no 43, p. 139-41, et en général J. R. Green, « Tragedy and the Spectacle of the Mind: Messenger Speeches, Actors, Narrative and Audience Imagination in Fourth-Century BCE Vase-Painting », dans B. Bergmann et C. Kondoleon (éds), The Art of Ancient Spectacle, Washington, 1999, p. 37-63.
4 Pseudo-Longin, Du Sublime, XV, 4 : la course de Phaéton sur le char du Soleil (Euripide, fr. 779 Kannicht) ; XV, 5 : le serment prononcé par les chefs thébains (Eschyle, Sept contre Thèbes, 42-6) ; XV, 6 : la bacchanale du Cithéron (Euripide, Bacchantes, 726) ; XV, 7 : les rites funèbres accomplis par Œdipe (Sophocle, Œdipe à Colone, 1586-666). Le même intérêt pour la nature visuelle de ces récits est témoigné par Philostrate, qui dans ses Images (notamment en Bacchantes, I, 17, Hippolyte, II, 24, Héraclès Furieux, II, 23) transpose souvent en peinture la narration d’un messager euripidéen ; voir à ce propos J. Elsner, « Philostratus visualizes the Tragic: some Ecphrastic and Pictorial Receptions of Greek Tragedy in the Roman Era », dans C. S. Kraus, S. Goldhill et H. Foley (éds), Visualizing the Tragic: Drama, Myth and Ritual in Greek Art and Litterature. Essays in Honour of Froma Zeitlin, Oxford et New York, 2007, p. 311-2.
5 S. A. Barlow, The Imagery of Euripides. A Study in the Dramatic Use of Pictorial Language, Bristol, 1986, en part. p. 61-78.
6 I. J. F. de Jong, Narrative in Drama: The Art of the Euripidean Messenger-speech, Leyde, 1991, en part. p. 63-116.
7 A. S. Becker, « Reading Poetry through a Distant Lens: Ecphrasis, Ancient Greek Rhetoricians, and the Pseudo-Hesiodic Shield of Heracles », AJPh 113, 1992, p. 5-24.
8 C’est le cas, notamment, de Soph. Trachiniennes, 896-7, Électre, 761-3 et Œdipe Roi, 1237-8, trois passages où le messager précise que la vision des faits aurait été bien plus terrible que ses paroles.
9 L’exemple le plus étonnant de ce procédé est la disparition d’Œdipe dans l’Œdipe à Colone, analysée par de Cremoux dans le présent volume, mais voir aussi : l’arrivée d’Antigone auprès du cadavre de son frère, qui passe inaperçue parce que le déchaînement d’une tempête a fermé les yeux du garde (v. 421) ; le suicide de Déjanire dans les Trachiniennes, que la nourrice n’a pas pu voir parce qu’elle était partie chercher de l’aide (v. 927-8) ; le passage, discuté, de l’OR où le suicide de Jocaste est doublement caché à la vue, d’abord par la porte fermée de sa chambre (v. 1244), puis par l’arrivée d’Œdipe, qui attire sur lui les regards des présents (v. 1252-4 ; pour le rôle que les bruits jouent dans ce passage, voir plus loin, n. 63). Les exemples ne manquent pas non plus chez Euripide : en plus d’Hippolyte, 1216-7 et d’Iphigénie à Aulis, 1582-3, que je citerai plus loin, voir le rajeunissement d’Iolaos en Héraclides, 853-5, qu’un « nuage obscur » a caché à la vue du messager.
10 Sur ce point aussi les interprètes se partagent. Pour certains, l’apparition physique produit un effet plus puissant que l’exposition verbale du messager (voir, par ex., Barlow, The Imagery of Euripides, p. 77) ; pour d’autres, c’est le récit qui prime sur la monstration théâtrale (voir, par ex., P. Walcot, Greek Drama in its Theatrical and Social Context, Cardiff, 1976, p. 33, cité par de Jong, Narrative in Drama, p. 173).
11 Pour la reconstruction du débat sur la valeur épistémologique de la vue et de l’ouïe, R. Marseglia, Le rôle dramatique de la vue et de l’ouïe dans la tragédie d’Euripide, Thèse de doctorat, Paris, 2013, p. 5-13, repris sous une forme abrégée en R. Marseglia, « Œdipe et Penthée, entre écoute et vision », dans H. Vial et A. de Cremoux (éds), Figures tragiques du savoir. Les dangers de la connaissance dans les tragédies grecques et leur postérité, Lille, 2015, p. 123-5.
12 Il est évident que, pour des raisons génériques et chronologiques, on ne peut pas faire recouper de manière trop rigide ces indications et les textes tragiques : ce qui a été considéré comme ἐναργές à partir d’une époque postérieure, et en parlant de genres non dramatiques, ne coïncide pas forcément avec les effets de présence réalisés par la parole théâtrale. Mais ce passage par les témoignages de l’antiquité reste tout de même nécessaire pour ne pas se fier uniquement à notre goût moderne dans le repérage de ce qui paraît « visualisable ». L’énumération d’une liste d’objets, par ex., n’est sans doute pas le premier moyen qui nous viendrait à l’esprit pour produire une narration particulièrement vivace, mais elle était bien considérée comme un vecteur d’enargeia dans l’Antiquité, comme nous le verrons plus loin.
13 Pour la combinaison d’ouïe et vision dans le corpus tragique, voir Marseglia, « Œdipe et Penthée », et surtout Marseglia, Le rôle dramatique. Le propos de Marseglia ne coïncide pourtant pas avec le mien, dans la mesure où il propose une analyse globale de la dialectique vue/ouïe dans cinq tragédies d’Euripide, en ne touchant que de manière marginale aux récits de messager (pour celui de l’Héraclès Furieux, voir p. 194-6, et pour ceux des Bacch., p. 310, 317-8). De Jong, Narrative in Drama, p. 144-8, passe aussi en revue les effets sonores répertoriés par les messagers euripidéens, mais en remarquant que « apart from the sound of human or divine voices, the messenger does not record much ‘noise’; his description are visual rather than auditive ».
14 Les questions introduites par πῶς sont répertoriées par de Jong, Narrative in Drama, p. 33 et n. 81. Pour τίνι / τῷ τρόπῳ, cf. Soph. El. 679, Trach. 878, Eur. Hip. 1171 ; voir aussi τίνα τρόπον HF 919 et τρόπῳ ὁποίῳ Iphigénie en Tauride 257.
15 Quintilien, Institution oratoire, VIII, 3, 68 si aperias haec quae uerbo uno inclusa erant. Pour la suite de ce passage, voir plus loin et n. 48.
16 La présence du point de vue du messager dans son récit est l’élément le plus fréquemment analysé par la critique : c’est pourquoi je n’en aborderai pas l’étude de façon détaillée. Voir plus loin, n. 26, pour un passage où le regard du messager est implicitement identifié avec celui des spectateurs.
17 Barrett, Staged Narrative, p. 90-6.
18 Sauf indication contraire, toutes les traductions sont personnelles.
19 Voir sur ce point D. J. Mastronarde, Euripides. Phoenissae, Cambridge et New York, 1994, p. 537-8. Des observations plus approfondies sur la « pathetic optic » exploitée dans l’historiographie et sur les possibles rapports intertextuels entre les récits de bataille de Thucydide et les récits de messager d’Euripide sont avancées par A. D. Walker, « Enargeia and the Spectator in Greek Historiography », TAPhA 123, 1993, en part. p. 356-7.
20 La même sollicitation est sans doute réalisée dans les passages où le messager insère le verbe de vision dans une expression impersonnelle – généralement, un infinitif de détermination – qui implique une visualisation large et indéterminée : voir Eur. Médée, 1167 et Bacch. 760 δεινὸν ἦν θέαμ’ ἰδεῖν, Andromaque, 1123 γοργὸς ὁπλίτης ἰδεῖν, IA 1581 θαῦμα δ’ ἦν αἴφνης ὁρᾶν, Rhésos, 310 ἄπλατον ἦν ἰδεῖν et, dans le corpus sophocléen, OR 1267 δεινὰ δ’ ἦν τἀνθένδ’ ὁρᾶν, ainsi commenté par Barrett, Staged Narrative, p. 202 : « the impersonal construction […] invites [us] to contemplate what follows as a scene as much for our own viewing as for that of the exangelos ». J’analyserai plus loin l’emploi des mêmes tournures impersonnelles à propos d’une manifestation sonore.
21 Barlow, The Imagery of Euripides, p. 62-3. D’autres exemples de descriptio loci dans les récits de messager euripidéens sont cités par de Jong, Narrative in Drama, p. 150-60, et M. A. Lloyd, « Euripides », dans I. J. F de Jong (éd.), Space in Ancient Greek Literature : Studies in Ancient Greek Narrative, Leyde, 2012, p. 353-6.
22 ΣbT Il. XIV, 226-27. La scholie est analysée par R. Meijering, Literary and Rhetorical Theories in Greek Scholia, Groningen, 1987, p. 44, et par R. Nünlist, The Ancient Critic at Work. Terms and Concepts of Literary Criticism in Greek Scholia, Cambridge, 2009, p. 155, 188.
23 Voir à ce propos J. Roux, Euripide. Les Bacchantes, Paris, 1970-1972, vol. 2, p. 479. Les questions que ce passage a soulevées à propos du point de vue du messager (comment fait-il pour suivre le déplacement des bacchantes et relater leurs exploits ?) sont discutées par Barrett, Staged Narrative, p. 118-20.
24 La distinction entre la perspective cartographique (ou à vue d’oiseau) et la perspective hodologique est analysée dans de nombreuses études sur la conception de l’espace dans l’Antiquité, voir, par ex., I. J. F. de Jong, « Homeric Hymns », dans de Jong, Space in Ancient Greek Literature, p. 44 et n. 14. Les deux points de vue peuvent évidemment être combinés dans une même tirade, par ex. (c’est le cas du récit des Suppliantes d’Euripide) quand le messager commence par présenter un tableau général de la bataille, pour détailler ensuite les exploits de différents champions.
25 Comme le remarque C. Collard, Euripides. Supplices, Groningue, 1975, vol. 2, p. 277, ce passage présente plusieurs points de contact avec deux autres récits de messager euripidéens qui décrivent le déroulement d’une bataille, en Eur. Hcld. 799-866 et Phéniciennes, 1090-1199. Les trois passages sont, à son avis, influencés par le récit de messager des Perses consacré à la bataille de Salamine (voir, en part., la mention du lever de soleil en Eschl. Pers. 386-7 et de l’ἕδραν εὐαγῆ qu’occupe Xerxès en Pers. 466), sur lequel je reviendrai plus loin.
26 Un bilan de la question et deux différentes interprétations des données textuelles sont présentés par Collard, Supplices, vol. 2, p. 280-4 (voir aussi C. Collard, « Notes on Euripides’ Supplices », CQ 13, 1963, p. 178-87), et par J. Diggle, « Supplices », dans Id., Euripidea. Collected Essays, Oxford, 1994, p. 59-89.
27 Comme cela a été remarqué (voir, par ex., de Jong, Narrative in Drama, p. 9-10), la coïncidence entre les yeux du messager et ceux du public est d’ailleurs soulignée d’entrée de jeu dans ce récit, puisque le messager s’est défini comme un θεατής au v. 652. Les véritables θεαταί, les spectateurs, sont donc implicitement appelés à s’identifier avec lui et à partager la vision du spectacle qu’il a eue depuis son point d’observation privilégié.
28 Pour la défense du pléonasme τρία τριῶν voir Collard, Supplices, vol. 2, p. 281-2.
29 Comme Collard le fait pour le passage des Suppliantes (voir supra, n. 24), V. Di Benedetto, Euripide. Le Baccanti, Milan, 2004, p. 400, suggère que ce récit des Bacchantes est inspiré de celui de la bataille de Salamine dans les Perses, et relève plusieurs points de contact entre les deux textes (entre autres, le motif du soleil qui se lève, noté ci-dessus). Sans exclure la possibilité que les Perses aient influencé les deux passages euripidéens à la fois, les rapports directs entre les Suppliantes et les Bacchantes semblent pourtant plus nets.
30 Cette impression est d’ailleurs confirmée par la suite de la tirade, où des champs lexicaux et des motifs typiques du domaine militaire sont appliqués aux bacchantes. Sur ce point, voir en part. Di Benedetto, Baccanti.
31 Ce sont les premiers éléments mentionnés dans le traité Du style de Démétrios, 209 : « l’ἐνάργεια naît d’abord de l’exactitude [ἐξ ἀκριβολογίας] et du fait de ne rien omettre ni retrancher, par exemple “comme un homme fait dériver l’eau dans un canal…” [Il. XXI, 257] et tout le reste de la comparaison. Elle est ἐναργής parce que toutes les circonstances concomitantes [τὰ συμβαίνοντα] sont dites et rien n’est laissé de côté ». La même idée se trouve chez Quint. IO, 8.3.66-69 et dans d’autres sources. Pour un traitement plus complet de la question, voir Meijering, Literary and Rhetorical Theories, p. 39-41, et R. Webb, Ekphrasis, Imagination and Persuasion in Ancient Rhetorical Theory and Practice, Farnham, 2009, p. 91-2.
32 Ainsi Collard, Supplices, vol. 2, p. 287.
33 Comme le relève Collard, Supplices, vol. 2, p. 288, il s’agit d’une évidente reprise homérique : en Il. XVI, 742-5, Cébrion tombe comme un plongeur (ἀρνευτῆρι ἐοικώς) de son char et Patrocle raille ensuite l’agilité de sa chute en employant le verbe κυβιστάω. La même image, ainsi que celle des « ruissellements de sang », est employée dans un autre récit de messager, en Eur. Phoen. 1150-2 εἶδες ἂν πρὸ τειχέων / πυκνοὺς κυβιστητῆρας ἐκνενευκότας· / ξηρὰν δ’ ἔδευον γαῖαν αἵματος ῥοαῖς (cit. Collard, Supplices), où la visualisation est ultérieurement facilitée par l’emploi d’un verbe de vision à la 2S, qui plonge davantage l’auditoire dans la scène décrite.
34 Suivant P. T. Stevens, Euripides. Andromache, Oxford, 1971, p. 230-1, je considère σφαγῆς comme un génitif dépendant de ἔκλυτοι, litt. « libérées de l’égorgement ».
35 Dans ce cas aussi, comme le relève Stevens, Andromache, la métaphore euripidéenne est une reprise de la comparaison en Il. XII, 278-89, où les pierres que lancent les Troyens et les Achéens de part et d’autre du rempart sont comparées à des νιφάδες… θαμειαί.
36 Un effet similaire est relevé dans ΣbT Il. XV, 712b : οἱ δὲ πληθύνειν αὐτὸν τὰς φωνὰς τῶν ὅπλων διὰ τὸ φαντάζειν τὸν ἀκροατήν, toujours à propos d’une liste d’armes, où le scholiaste remarque que, selon certains, l’accumulation sonore produite par l’énumération pousse l’auditeur à se former une image mentale de la scène. Pour un commentaire plus approfondi de la scholie en question, voir G. Rispoli, Dal suono all’immagine : poetiche della voce ed estetica dell’eufonia, Pise et Rome, 1995, p. 69.
37 Le terme μεσάγκυλον n’a qu’une autre occurrence en tragédie, en Eur. Phoen. 1141, toujours dans un récit de messager ; la seule autre occurrence tragique d’ἀμφώβολος se trouve en Soph. fr. 1006 Radt, limitée à l’attestation du mot.
38 Parmi les exemples cités par Meijering, Literary and Rhetorical Theories, p. 32-3, et A. Manieri, L’immagine poetica nella teoria degli antichi : phantasia ed ἐνάργεια, Pise et Rome, 1998, p. 187-8, voir ΣbT Il. XVI, 294a, pour qui l’adjectif ἡμιδαής, « à moitié brûlé », référé au navire de Protésilas, met sous les yeux la scène de manière évidente (ἐναργῶς) et ΣbT Il. IV, 141c, où la comparaison entre le sang qui coule de la blessure de Ménélas et la pourpre qui teint un mors en ivoire est censée fournir à l’auditoire une image particulièrement graphique (ὄψιν… γραφικὴν).
39 Soph. Ant. 1238-9 φυσιῶν ὀξεῖαν ἐκβάλλει ῥοὴν / λευκῇ παρειᾷ φοινίου σταλάγματος. Je rends par « vive » les nuances de l’adjectif ὀξεῖα, qui peut renvoyer à la fois à la vivacité de la couleur et à la rapidité du mouvement.
40 Soph. OR 1276-7 φοίνιαι… / γλῆναι γένει’ ἔτεγγον, 1278-9 μέλας / ὄμβρος χαλάζης αἱματoῦς [Heath : αἵματος mss.] ἐτέγγετο. Un passage très proche de l’OR, dont Sophocle a pu s’inspirer, est Eschl. Pers. 317-8 πυρσὴν ζαπληθῆ δάσκιον γενειάδα / ἔτεγγ’, ἀμείβων χρῶτα πορφυρᾷ βαφῇ, où la barbe de Matallos, définie par trois adjectifs en asyndète qui soulignent sa couleur fauve et son épaisseur, se teint d’un bain de pourpre au moment de sa mort.
41 Eur. Phoen. 1380-1 κάπροι δ’ ὅπως θήγοντες ἀγρίαν γένυν / ξυνῆψαν ἀφρῷ διάβροχοι γενειάδας. De Jong, Narrative in Drama, p. 193-4, dresse une liste complète des autres comparaisons contenues dans les récits de messager euripidéens, parmi lesquelles on relèvera au moins Eur. Med. 1200-1, où la chair qui se détache des os de Glauké est comparée aux larmes de résine qui se détachent d’un pin, dans une image qui s’impose efficacement à la vue. Pour les autres tragiques, voir, par ex., Eschl. Pers. 424-6, où les Perses assommés par les Grecs sont comparés à un banc de thons battus à mort par les pêcheurs ; Sept. 381 et 393-4, où Tydée est comparé d’abord à un serpent qui siffle, puis à un cheval qui attend le signal de la bataille ; Soph. Ant. 424-5, où les pleurs d’Antigone sont comparés à ceux d’un oiseau qui trouve vide son nid.
42 Eur. Hec. 560-1 μαστούς τ’ ἔδειξε στέρνα θ’ ὡς ἀγάλματος / κάλλιστα. Ces vers ont été largement commentés : voir au moins M. C. Stieber, Euripides and the Language of Craft, Leyde, 2011, p. 147-50, avec une synthèse de l’état de la question. Une comparaison avec une œuvre d’art apparaît aussi en Soph. Trach. 767-9, dans la tirade d’Hyllos assimilable à un récit de messager, où la tunique empoisonnée est dite adhérer étroitement aux membres d’Héraclès, comme si elle avait été modelée par un sculpteur : προσπτύσσετο / πλευραῖσιν ἀρτίκολλος, ὥστε τέκτονος, / χιτὼν ἅπαν κατ’ ἄρθρον (la leçon des mss. ὥστε τέκτονος et l’interprétation « like the work of a sculptor » sont défendues par J. C. Kamerbeek, The Plays of Sophocles. Trachiniae, Leyde, 1959, p. 167). Pour les comparaisons avec des œuvres d’art qui n’apparaissent pas dans un récit de messager, mais toujours dans la description d’une vision extra-scénique, qu’il faut donner à voir à l’auditoire, voir G. Ieranò, « Bella come in un dipinto: la pittura nella tragedia greca », dans L. Belloni, A. Bonandini, G. Ieranò et G. Moretti (éds), Le immagini nel Testo, il Testo nelle Immagini. Rapporti tra parola e visualità nella tradizione Greco-latina, Trente, 2010, p. 241-65.
43 Pour cette forme d’ἐνάργεια, fondée sur la mémoire culturelle des spectateurs et sur la réactivation de traces sensorielles déjà présentes dans leur esprit, voir R. Webb, « Mémoire et imagination : les limites de l’ἐνάργεια dans la théorie rhétorique grecque », dans C. Lévy et L. Pernot (éds), Dire l’évidence : Philosophie et rhétorique antiques, Paris et Montréal, 1997, p. 238-9.
44 Elles sont citées par Meijering, Literary and Rhetorical Theories, p. 49-50. Comme le relève Meijering, et comme j’ai pu le vérifier moi-même, les scholies tragiques offrent très peu de réflexions sur la capacité de la parole théâtrale à “mettre sous les yeux”. Lorsqu’elles emploient des termes liés à la notion d’ἐνάργεια, ou des expressions comme ὄψις τραγική, ὑπ’ ὄψιν τιθέναι, etc., elles se réfèrent, dans la plupart des cas, à ce que les spectateurs voient effectivement sur scène : ainsi, par ex., en Σ Eum. 64b Smith, où le scholiaste imagine (sans doute à tort) que des dispositifs mécaniques aient révélé l’intérieur du temple de Delphes. En Σ Soph. El. 1404 Pap., ce sont, en revanche, les cris hors scène de Clytemnestre qui sont considérés comme un procédé ἐναργές – et plus ἐνεργές qu’un récit de messager ! – pour présenter le meurtre, mais l’idée reste toujours la même, à savoir que la monstration tragique passe essentiellement par des moyens concrets de mise en scène. C’est seulement dans un petit nombre de scholies, en plus de celles examinées ci-dessus, qu’elle est mise en relation avec une formulation verbale, comme dans le cas de la synesthésie κτύπον δέδορκα en Sept. 103 (Σ Sept. 103b Smith μετήγαγε τὰς αἰσθήσεις πρὸς τὸ ἐναργέστερον), ou de la monstration indirecte de la disparition d’Œdipe, réalisée à travers la description des gestes de Thésée (Σ OC 1648 de M. τὰ ἄρρητα ὑπ΄ ὄψιν ἤγαγεν ὁ ἄγγελος ἐκ τῶν σχημάτων μηνύων).
45 Soph. Ajax, 308-9 ἐν δ’ ἐρειπίοις / νεκρῶν ἐρεφθείς ἕζετ’ ἀρνείου φόνου.
46 Voir en part. les homérismes relevés à propos d’Eur. Suppl. 692 et Andr. 1129 (d’autres emprunts seront signalés dans les pages suivantes). Évidemment, je me réfère non pas aux emprunts purement formels, comme le manque d’augment, mais aux reprises de passages précis, qui stimulent déjà chez Homère la visualisation de l’auditoire.
47 F.I. Zeitlin, « Art, Memory, and Kleos in Euripides’ Iphigenia in Aulis », dans B. Goff (éd.), History, Tragedy, Theory: Dialogues on Athenian Drama, Austin, 1995, p. 177.
48 Élien, Histoires variées, II, 44.25-26 τοῦ μέλους ἐναργεστέραν τὴν φαντασίαν τοῦ ἐκβοηθοῦντος ἔτι καὶ μᾶλλον παραστήσαντος.
49 Quint. IO VIII, 3, 68 apparebunt effusae per domus ac templa flammae et ruentium tectorum fragor et ex diuersis clamoribus unus quidam sonus, aliorum fuga incerta, alii extremo complexu suorum cohaerentes et infantium feminarumque ploratus.
50 Dem. Eloc. 219-20 κακοφωνία δὲ πολλάκις [scil. ἐνάργειαν ποιεῖ], ὡς τὸ “κόπτ’, ἐκ δ’ ἐγκέφαλος” [Od. IX, 290] καὶ “πολλὰ δ’ ἄναντα, κάταντα” [Il. XXIII, 116] μεμίμηται γὰρ τῇ κακοφωνίᾳ τὴν ἀνωμαλίαν· πᾶσα δὲ μίμησις ἐναργές τι ἔχει. Καὶ τὰ πεποιημένα δὲ ὀνόματα ἐνάργειαν ποιεῖ διὰ τὸ κατὰ μίμησιν ἐξενηνέχθαι.
51 Parmi les exemples cités par Rispoli, Dal suono all’immagine, et Manieri, L’immagine poetica, voir, par ex., ΣbT Il. IV, 452-53, qui se réfère à un passage où le fracas du combat est comparé à celui produit par la rencontre de deux torrents dans un ravin (ὡς δ’ ὅτε χείμαρροι ποταμοὶ κατ’ ὄρεσφι ῥέοντες / ἐς μισγάγκειαν συμβάλλετον ὄβριμον ὕδωρ). Le scholiaste souligne que dans ces vers « on peut entendre le bruit des fleuves », vraisemblablement grâce à l’allitération en – ῥ, et que l’onomatopée μισγάγκεια ajoute au caractère menaçant de la scène décrite.
52 D’autres exemples d’allitération seront cités plus loin. On pourrait aussi prendre en compte des figures de répétition comme Eur. HF 976-7 βοᾷ δὲ μήτηρ… βοᾷ δὲ πρέσβυς, Oreste, 1465 ἀνίαχεν ἴαχεν, qui en redoublant un mot associé au cri insistent sur l’intensité de sa dimension sonore.
53 On n’oubliera pas que Dem. Eloc. 217 cite justement un effet sonore pour exemplifier les παρεπόμενα τοῖς πράγμασιν qui produisent l’ἐνάργεια : la marche d’un campagnard décrite à travers le bruit de pas qu’on entend de loin, « comme s’il n’était pas simplement en train de marcher, mais de frapper le sol des pieds ».
54 Voir, par ex., la salpinx qui résonne en Eur. Hcld. 830 et Phoen. 1102, 1378, le choc des boucliers en Hcld. 832, les ἀλαλαί des vainqueurs en Phoen. 1395, joints aux gémissements des vaincus en Suppl. 719-20, le bruit produit par l’avancée de l’armée en Rh. 290. Les sons enregistrés dans la description de la bataille navale des Perses sont, en revanche, un cas beaucoup plus complexe, que j’examinerai dans la suite.
55 Comme le remarque P. J. Finglass, Sophocles. Electra, Cambridge et New York, 2007, p. 303, la « vividness » de ce compte rendu amènera, en effet, Clytemnestre à affirmer qu’elle a reçu des πιστὰ τεκμήρια de la mort de son fils (v. 774), tandis qu’Électre – présente, elle aussi, pendant le récit du faux messager – parlera de la mort d’Oreste comme d’une évidence manifeste (v. 831 φανερῶς).
56 Finglass, Electra, p. 316-9, analyse précisément tous les emprunts. Le passage homérique en question était souvent signalé pour son ἐνάργεια : voir, en part., Dem. Eloc. 210, qui attribue justement l’ἐνάργεια en question à la mention des divers συμβαίνοντα qui accompagnent l’action.
57 Voir, par ex., Soph. Ant. 426-7 ψιλὸν ὡς ὁρᾷ νεκύν / γόοισιν ἐξῴμωξεν, 1225-6 ὡς ὁρᾷ σφε, στυγνὸν οἰμώξας… / κἀνακωκύσας καλεῖ, Eur. Phoen. 1431-2 τετρωμένους δ’ ἰδοῦσα καιρίους σφαγὰς / ᾤμωξεν, IA 1547-9 ὡς δ’ ἐσεῖδεν… ἀνεστέναξε.
58 Il y a un seul cas, à ma connaissance, où le messager affirme avoir lui-même poussé un cri, joint à d’autres manifestations sonores de joie, en Eur. Suppl. 719-20 ἐγὼ δ’ ἀνηλάλαξα κἀνωρχησάμην / κἄκρουσα χεῖρας (cité par de Jong, Narrative in Drama, p. 77, comme un exemple des « interspersed criticism and engagement » des messagers). Eur. Or. 1396, 1455 (dans la monodie de l’esclave phrygien) et Rh. 799, où les personnages faisant office de messager poussent des interjections de détresse en même temps qu’ils débitent leur compte rendu, sont évidemment des cas sui generis, dans des récits de messager sui generis.
59 V. 932 ἰδὼν δ’ ὁ παῖς ᾤμωξεν… 936-7 οὔτʼ ὀδυρμάτων / ἐλείπετʼ οὐδέν, ἀμφί νιν γοώμενος… 939 πόλλʼ ἀναστένων… 941 κλαίων.
60 Pour la valeur du préfixe ἀντι-, ʻcontre’ et non ʻà la place de’, voir D. L. Page, Euripides. Medea, Oxford, 1964, p. 160, et E. D. Fraenkel, Aeschylus. Agamemnon, Oxford, 1962, vol. 2, p. 13-4, ad Ag. 17 ὕπνου ἀντίμολπον… ἄκος, qui est la seule occurrence ultérieure du terme en littérature.
61 Voir à ce propos D. J. Mastronarde, Euripides. Medea, Cambridge et New York, 2002, p. 355, et S. Pulleyn, Prayer in Greek Religion, Oxford et New York, 1997, p. 178-80, qui prend également en considération d’autres exemples tragiques d’ὀλολυγή.
62 Pour les rapports entre le κωκυτός et le θρῆνος voir, par ex., Eustathe, ad Il. VI, 301 (vol. II, p. 318, l. 10-14 Van der Valk), qui s’appuie explicitement sur notre passage : καὶ Εὐριπίδης “ἀντίμολπον ὀλολυγῆς κωκυτόν” εἰπὼν δηλοῖ, ὡς ὁ μὲν κωκυτὸς αὐτόχρημα θρῆνός ἐστιν, ἡ δὲ ὀλολυγὴ ἀπεναντίας αὐτῷ θεοῦ ἐπίκλησις καὶ εὐχή.
63 Voir plus haut, n. 8.
64 Voir A. de Cremoux, dans ce volume, pour ce passage et pour les autres cas où le messager présume du bruit, par un acte de déduction, qu’un certain événement s’est produit. Le corpus sophocléen présente un cas plus complexe, et mieux connu, de bruits se substituant à une vision dans le récit du messager de l’OT, déjà cité supra, n. 8. Lorsque Jocaste s’enferme dans la chambre nuptiale, de sorte que les présents – dont le messager – ne peuvent plus la voir, son désespoir n’est communiqué que par ses invocations et ses lamentations (v. 1245 καλεῖ τὸν… Λάιον, 1249 γοᾶτο δ’εὐνάς). Puis, c’est un autre bruit qui se substitue à la vision déjà bloquée par la porte fermée, au moment où Œdipe fait irruption dans le palais en criant (v. 1252 βοῶν) et empêche ainsi le messager de voir la fin de Jocaste. Pour l’état de la question sur ce passage très discuté et pour une interprétation générale, voir Barrett, Staged Narrative, p. 197-201, et Marseglia, « Œdipe et Penthée », p. 134-5.
65 Voir à ce propos de Jong, Narrative in Drama, p. 146-7 (d’après une observation de Weil), et Barlow, The Imagery of Euripides, p. 70-3, qui propose une comparaison éloquente entre l’effet que produit le récit d’Euripide et la profusion de détails visuels grâce à laquelle le taureau est décrit en Sénèque, Phèdre, 1035-54.
66 Eur. Suppl. 710 ἔρρηξε δ’ αὐδὴν ὥσθ’ ὑπηχῆσαι χθώνα, cité par de Jong, Narrative in Drama, p. 145.
67 Pour les passages homériques voir de Jong, ibid., et Collard, Supplices, vol. 2, p. 292. Pour les autres effets d’écho dans les récits de messager, voir Pers. 390-1 ἀντηλάλαξε… πέτρας ἠχώ (que j’analyserai plus loin) et Eur. Andr. 1144-5 κραυγή… πέτραισιν ἀντέκλαγξε, ainsi que le motif similaire de la maison qui résonne, en Eur. El. 802 et Med. 1179-8. Un écho apparaît aussi en Soph. Trach. 787-8, dans la tirade d’Hyllos, où ce sont les cris et les gémissements d’un seul homme, Héraclès, à être répercutés par les rochers et les pics des montagnes. Mais ce motif est vraisemblablement introduit, dans ce cas aussi, pour mettre davantage en relief la puissance sonore des manifestations de détresse du héros à l’agonie.
68 En plus des exemples cités ci-dessus, tous liés à une manifestation surnaturelle, voir aussi le passage des Sept cité plus haut, v. 386 χαλκήλατοι κλάζουσι κώδωνες φόβον et Pers. 391 φόβος δὲ πᾶσι βαρβάροις παρῆν, sur lequel je reviendrai plus loin. L’association entre le bruit et la peur n’est évidemment pas limitée aux seuls récits de messager. Pour une analyse de ces deux thèmes dans les Sept contre Thèbes, voir, par ex., G. Ieranò, « La musica del caos: il lessico dei suoni nei Sette contro Tebe di Eschilo », dans L. Belloni, V. Citti et L. De Finis (éds), Dalla lirica al teatro: nel ricordo di Mario Untersteiner (1899-1999), Trente, 1999, p. 323-53. Pour un examen global de la puissance émotionnelle attribuée à l’ouïe, voir Marseglia, Le rôle dramatique, p. 10-1.
69 Pour un traitement plus détaillé de ce passage, je renvoie une fois de plus à l’étude d’A. de Cremoux dans ce volume.
70 Voir, pour le domaine visuel et l’expression δεινὸν θέαμ’ ἰδεῖν, les observations avancées supra, n. 19.
71 Voir aussi le début de l’extrait cité ci-dessus, Eur. Hip. 1021 τις ἠχώ… ὡς βροντή, où l’emploi adjectival de l’indéfini ainsi que la comparaison introduite par ὡς semblent exprimer la même nuance d’incertitude. Pour l’Andr. et l’OC, l’emploi du pronom τις « to add a touch of mystery » est noté par Stevens, Andromache, p. 233, avec d’autres parallèles.
72 Le récit de Salamine (v. 353-432) n’est, à son tour, qu’un des mouvements dont se compose cette longue scène de messager (v. 246-514). Son examen global est proposé par J. Barrett, « Narrative and the Messenger in Aeschylus’ Persians », AJPh 116, 1995, p. 539-57, repris et augmenté dans Barrett, Staged Narrative, p. 23-55.
73 J’emprunte à M. Gondicas et P. Judet de La Combe, Eschyle. Les Perses, Chambéry, 2000, cette traduction de πάντες… ἐκφανεῖς ἰδεῖν, qui met bien en relief la luminosité visuelle attachée à l’apparition des Grecs.
74 Nous avons vu plus haut (n. 24 et 28) que le même effet de lumière réapparaît au début d’autres récits de messager euripidéens, toujours dans un contexte militaire ou presque-militaire, et que la reprise de ce motif a amené Collard et Di Benedetto à postuler une influence directe du récit de Salamine sur Euripide.
75 C’est surtout sur ἠχῇ, qui a paru redondant juste avant κέλαδος, que se sont appuyées les interventions des éditeurs. Mais H. D. Broadhead, Aeschylus. The Persae, Cambridge, 1960, p. 122, et A. Garvie, Aeschylus. Persae, Oxford et New York, 2009, p. 191, suggèrent à raison de garder le texte transmis, avec ses tautologies.
76 Des passages parallèles sont cités par Garvie, Persae.
77 Voir supra et n. 66.
78 Garvie, Persae, p. 191-2.
79 Plutarque, Flaminius, 4.12.3-6 οἱ μὲν ἀλαλάξαντες ἐπέβαινον ἐρρωμένως… οἱ δ’ ὄπισθεν ἀπὸ τῶν ἄκρων ἀντηλάλαξαν (à propos de deux contingents détachés de l’armée de Flaminius) et Pyrrhos, 32.5.1-4 ὁ δὲ Πύρρος εἰσιὼν μετ’ ἀλαλαγμοῦ καὶ βοῆς…, ὡς οἱ Γαλάται… ἀντηλάλαξαν οὐκ ἰταμὸν οὐδὲ θαρραλέον, εἴκασε ταραττομένων εἶναι τὴν φωνήν.
80 Σ 395 Dindorf τὰ τῶν Ἑλλήνων ἐξέκαιεν καὶ ἀνήγειρεν ἡ σάλπιγξ, reprise, par ex., dans la traduction de P. Mazon, Eschyle, vol. 1, Paris, 1921 : « les appels de la trompette embrasaient toute leur ligne ».
81 Broadhead, The Persae, p. 123. Une liste de passages parallèles est fournie par L. Belloni, Eschilo. I Persiani, Milan, 1988, p. 172, et par Garvie, Persae, p. 193, parmi lesquels voir au moins Eur. Phoen. 1377-8 ἀνήφθη [Diggle : mss. ἀφείθη] πυρσὸς ὣς Τυρσηνικῆς / σάλπιγγος ἠχή, dans un récit de messager, avec les remarques de Mastronarde, Phoenissae, p. 534-5. On rappellera également que la synesthésie vue / ouïe est considérée comme un vecteur d’ἐνάργεια en Σ Sept. 103b Smith (citée plus haut, n. 43), à propos d’un passage où le chœur affirme “avoir vu” le bruit de l’armée campée sous les remparts.
82 Garvie, Persae.
83 Un autre passage où la préparation de la vision par l’audition est employée pour produire un effet de suspens dramatique extrêmement poignant est Soph. Ant. 1206-19, dans le récit de messager qui relate la mort d’Hémon, qui mériterait un traitement au moins aussi détaillé, mais que je n’ai pas le temps d’analyser ici. Je me limiterai à souligner que le passage commence par mentionner les gémissements indistincts qu’un serviteur de Créon entend de loin, en s’approchant de la grotte où est emprisonnée Antigone, et que Créon lui-même finit par percevoir, croyant y reconnaître la voix d’Hémon (l’incertitude liée à l’ouïe, dont nous avons parlé plus haut, joue ici un grand rôle). Créon ordonne alors à ses suivants de le devancer, pour voir si c’est bien de la voix de son fils qu’il s’agit, et c’est seulement quand ils pénètrent dans la grotte qu’est décrit le tableau visuel longuement retardé par cette audition incertaine : Antigone pendue, Hémon la serrant dans ses bras.
84 Je m’appuie ici sur la thèse avancée par J.-C. Riedinger, « Technique du récit et technique dramatique dans le récit du messager d’Euripide », Pallas 42, 1995, p. 31-54 (mais sans prendre en considération les bruits), à savoir que les récits de messager ne sont pas une greffe narrative plus ou moins étrangère au drame joué, mais présentent des structures, comme la péripétie, qui sont celles des tragédies elles-mêmes.