1 L’élaboration de ce texte a bénéficié du travail accompli dans le séminaire, co-animé avec Cléo Carastro et Manon Brouillet, qui préparait le colloque CorHaLi de juin 2015 organisé par l’Ehess, Modes iconiques : objets graphiques, objets textuels en Grèce archaïque. Sur la coupe de Nestor, discutée lors de ce séminaire, je renvoie à mon étude : « Une utopie narrative. La coupe de Nestor en Iliade XI », Mètis, n. s. 16, 2018, p. 43-63.
2 Pour se représenter cette forme d’unité, à la fois liée et lâche, ouverte à la variété et aux changements de perspective, à la concentration mouvante sur le hic et nunc renouvelé du poème dans sa temporalité interne, l’image qu’emploie Friedrich Nietzsche vaut toujours : « L’Iliade n’est pas une couronne, mais une guirlande de fleurs. » Il la développe dans sa leçon inaugurale de Professeur d’Université à Bâle donnée le 28 mai 1869, « Homère et la philologie classique », dont la traduction par G. Fillon (1992) est reprise dans F. Nietzsche, Le Cas Homère, Paris, 2017.
3 Absentes dans les scholies et les commentaires récents.
4 Les traductions des passages de l’Iliade reprennent celle que j’ai publiée dans Tout Homère, volume dirigé par Hélène Monsacré, Paris, Albin Michel-Belles Lettres, 2019.
5 Le mot désigne d’habitude un rocher, proéminent.
6 Ce repère dans la plaine de Troie est doté d’une tradition narrative au sein du poème, contrairement au rocher (voir J. Strauss Clay, Homer’s Trojan Theater. Space, Vision, and Memory in the Iliad, Cambridge, 2011, p. 104 sqq.). C’est un lieu de danger pour la ville. En VI, 433, Andromaque le mentionne comme l’endroit où l’armée troyenne devrait se rassembler car, près de lui, le rempart est le plus faible ; en XI, 167, il est mentionné dans un épisode de défaite des Troyens. « Ouvert aux vents » est aussi une épithète formulaire d’Ilion. Le figuier, signal de malheur pour les Troyens, est un condensé de la ville.
7 Les fontaines ont peu intéressé les interprètes, sauf pour la question de leur localisation, ou pour le contraste entre l’image de paix qu’elles offrent et le combat meurtrier qui va suivre (voir N. Richardson, The Iliad: a Commentary (G. S. Kirk, éd.), vol. 6, Cambridge, 1993, ad loc., p. 123 sqq. Fait exception l’étude de D. Bouvier, « Mourir près des fontaines de Troie. Remarques sur le problème de la toilette funéraire d’Hector dans l’Iliade », Euphrosyne 15, 1987, p. 9-29, qui, à raison, met en relation, par delà le contraste entre la beauté du lieu et la violence fourbe du duel qui va suivre, la mention des vêtements lavés autrefois et les préparatifs à venir pour les funérailles d’Hector.
8 Voir Hésiode, Théogonie, 775-792, l’eau froide de Styx, qui s’écoule dans un lieu entouré de pierres comme résurgence du fleuve Océan.
9 La formule « comme un feu embrasé » se retrouve dans une comparaison pour la force du combat (XI, 596, XIII, 673, XVII, 673, XVII, 1). « Feu embrasé » se dit du feu craché par la Chimère (VI, 182), des feux allumés par les Troyens devant le camp achéen en VIII, 563, métaphoriquement d’un danger extrême dont Ulysse saurait ? trouver l’issue (X, 246).
10 L’opposition nature / culture, souvent utilisée pour lire la poésie archaïque dans une reprise trop rapide et simplifiante de Claude Lévi-Strauss, est ici sans objet.
11 L’eau du Scamandre prend ainsi la qualité d’un indéterminé comme origine. Le « texte » d’Anaximandre (le fragment 1 Diels-Kranz) fait l’objet de vives discussions. Je reprendrais plutôt la lecture de Jaap Mansfeld, qui voit dans la présentation qu’en donne Théophraste, tel que Simplicius nous la livre, non pas l’explication d’un ordre, mais celle de la nécessité de la disparition de l’ordre des choses, et donc du monde, dans la lutte que se livrent les « étants », chacun entrant dans une relation d’injustice avec un autre et se trouvant châtié (« Anaximander’s Fragment: Another Attempt », Phronesis 56, 2011, p. 1-32).
12 Th. 740-745 :
740 Un grand abîme (khasma meg[a]). En une année portée à son terme
on n’arriverait pas au fond, dès qu’on est au dedans des portes.
Mais un ouragan suivi d’un ouragan emporterait là et là,
pénible. Terrifiant pour les dieux immortels aussi
est ce prodige. Et les maisons terrifiantes de la Nuit ténébreuse
745 sont dressées, dissimulées dans des nuages bleus de cyan.
13 Comme le montre la localisation, aux vers 744 sqq. des maisons de Nuit, au voisinage, non précisé, de la béance extra-mondaine.
14 Voir, pour l’interprétation de cette expression difficile, P. Rousseau, « Fragments d’un commentaire antique du récit de la course des chars dans le XXIIIe chant de l’Iliade », Philologus 136, 1992, p. 150-80.
15 Voir le texte particulièrement éclairant de P. Rousseau, « L’intrigue de Zeus », Europe 865, mai 2001, p. 120-58.
16 Dans une évocation iconique qui ne correspond à aucun épisode narratif du poème. Il s’agit d’une tonalité statique initiale, qui s’entend tout au long de la récitation, même si, matériellement, elle est en fait contredite par le contenu des épisodes successifs.
17 En nommant leur objet « les étants » (ta eonta), les constructions physiques reprennent un terme qui dans la langue épique désigne le présent (Il. I, 71 ; Th. 38). En choisissant ce terme, qui a une valeur temporelle, les cosmologies se donnent comme tâche d’expliquer dans sa totalité l’histoire, passée et future, des êtres présents qu’elles analysent. Elles le feront en donnant au temps la forme d’achevée et répétitive d’un cycle, ce qui n’est pas le cas dans l’épopée héroïque ou théogonique.
18 Voir le livre de L. Iribarren, Fabriquer le monde : technique et cosmogonie dans la poésie grecque archaïque, Paris, 2017.
19 Je renvoie aux analyses très précises de X. Gheerbrant dans Empédocle, une poétique philosophique, Paris, 2017.
20 Voir J. Bollack et H. Wismann, Héraclite ou la séparation, Paris, 1972.