VI. Quelques caractéristiques communes aux relations d’aide
p. 169-186
Texte intégral
« Il faut s’inquiéter du pouvoir des mots, sur le mouvoir de la peau ».
Jacques Prévert
1Nous avons repris dans ce chapitre ce qui, pour Carl Rogers65, est essentiel dans une relation d’aide.
L’enjeu majeur de toute relation d’aide est de favoriser chez l’autre la croissance
« L’intérêt que je porte à la psychothérapie m’a conduit à m’intéresser à tous les genres de relation d’aide. J’entends par ce terme, des relations dans lesquelles l’un au moins des deux protagonistes cherche à favoriser chez l’autre la croissance, le développement, la maturité, un meilleur fonctionnement et une plus grande capacité d’affronter la vie ».
2L’autre dans ce cas, peut être soit un individu, soit un groupe. On pourrait encore définir une relation d’aide comme une situation dans laquelle l’un des participants chercher à favoriser l’éclosion ou la mise en œuvre chez l’une ou l’autre partie, des ressources latentes internes, ainsi qu’une plus grande possibilité d’expression et un meilleur usage de ses ressources.
3Or, il est clair qu’une telle définition recouvre toute une série de relations dont le but général est de faciliter la croissance. Sans aucun doute, elle comprend les relations de la mère et du père avec leur enfant, comme celle du médecin avec son malade. La relation entre maître et élèves devrait s’inclure dans cette définition, bien que certains maîtres n’aient pas toujours pour but de favoriser la croissance.
Mes attitudes et mes sentiments sont plus importants que mon orientation théorique
4Les attitudes et les sentiments de l’aidant importent bien plus que son orientation théorique. Son savoir et ses techniques sont moins importants que ses attitudes relationnelles (demander, donner, recevoir ou refuser). Il faut noter également que c’est la façon dont ses attitudes et ses interventions sont perçues qui compte pour l’aidé, et que cette perception est souvent versatile. Elle devra donc être fréquemment clarifiée.
5Les attitudes qui consistent à se refuser en tant que personne et à traiter autrui comme objet, ont peu de chances d’être aidantes.
1. Comment créer une relation d’aide ?
6Voici les dix questions que se pose Carl Rogers et les réponses qu’il apporte.
a) Puis-je arriver à être d’une façon qui puisse être perçue par autrui comme étant digne de confiance, comme sûre et conséquente au sens le plus profond ?
7À travers cette question Carl Rogers s’interroge sur sa propre capacité à être congruent
« J’ai fini par comprendre qu’être digne de confiance n’exige pas que je sois conséquent d’une manière rigide mais simplement qu’on puisse compter sur moi comme un être réel. J’ai employé le mot ‘‘congruent’’ pour désigner ce que je voulais être. J’entends par ce mot que mon attitude, quelle qu’elle soit, ou le sentiment que j’éprouve, quel qu’il soit, serait en accord avec la conscience que j’en ai. Quand tel est le cas, je deviens intégré et unifié, et c’est alors que je puis être ce que je suis au plus profond de moi-même. C’est là une réalité qui, en référence à mon expérience, est perçue par autrui comme sécurisante ».
b) Mon expression du moi-même peut-elle être telle que je puisse communiquer sans ambiguïté l’image de la personne que je suis.
8Il semble que chaque fois que nous échouons dans une relation d’aide, notre échec a été dû à une réponse insatisfaisante à ces trois questions.
Avons-nous communiqué sans ambiguïté ce que nous ressentons et ce que nous comprenons ?
Avons-nous pu nous laisser aller à des sentiments positifs envers l’autre ?
Avons-nous pu rester nous-mêmes ?
c) « Suis-je capable d’éprouver des attitudes positives envers l’autre : chaleur, attention, affection, intérêt, respect ? »
9Cela n’est pas facile. Nous découvrons en nous-mêmes, et devinons souvent chez les autres une certaine crainte à l’égard des sentiments positifs venant de nous ou venant de l’autre. Nous redoutons d’être pris au piège de la dépendance si nous nous laissons aller à éprouver librement ces sentiments envers une autre personne.
d) « Puis-je avoir une personnalité assez forte pour être indépendant de l’autre ? Suis-je capable de respecter bravement mes propres sentiments, mes propres besoins aussi bien que les siens ? Puis-je posséder, et à la rigueur exprimer, mes propres sentiments comme une chose qui m’appartient en propre et qui est indépendante de ses sentiments à lui ? Suis-je assez fort dans ma propre indépendance pour ne pas être déprimé par sa dépression, angoissé par son angoisse, ou englouti par sa dépendance ? Mon moi intérieur est-il assez fort pour sentir que je ne suis ni détruit par sa colère, ni absorbé par son besoin de dépendance, ni réduit en esclavage par son amour, mais que j’existe en dehors de lui, avec des sentiments et des droits qui me sont propres ? Quand je peux librement ressentir cette force qu’il y a d’être une personne séparée, alors je découvre que je peux me consacrer plus entièrement à comprendre autrui et à l’accepter parce que je n’ai pas la crainte de me perdre moi-même ».
10Une réponse positive à chacune de ces questions justifie la nécessité d’un travail personnel sur soi. Ce que j’appelle le « nettoyage de la tuyauterie relationnelle » pour mieux gérer ce qu’on nomme le transfert et le contre-transfert. Et avoir ainsi la capacité de garder la bonne distance, la seule qui permet à l’autre d’être lui-même (fidèle à lui) et à moi d’être moi-même (fidèle à moi).
e) « Ma sécurité interne est-elle assez forte pour lui permettre, à
lui, d’être indépendant ? Suis-je capable de lui permettre
d’être ce qu’il est – sincère ou hypocrite, infantile ou
adulte, désespéré ou présomptueux ? Puis-je lui accorder la
liberté d’être ? Ou bien est-ce que je ressens qu’il devrait ou
suivre mes conseils, ou demeurer quelque peu dépendant
de moi, ou encore me prendre pour modèle ?

11Être capable de permettre à l’autre d’être ce qu’il est, suppose respect, tolérance et responsabilisation. Nous pouvons être aidé en cela par l’écharpe relationnelle qui symbolise la relation, le lien entre deux personnes. Chacune est responsable de l’extrémité de la relation... qu’il tient.
12Pouvoir être en empathie avec l’autre, c’est accepter d’abandonner jugement et projet sur lui (en ne prenant pas la responsabilité (ou le risque) de gérer le bout de sa relation).
13En acceptant mes propres sentiments sans les nier, je reste responsable de ce que je sens à mon bout de la relation.
f) « Puis-je me permettre d’entrer complètement dans l’univers
des sentiments d’autrui et de ses conceptions personnelles,
et les voir sous le même angle que lui ? Puis-je pénétrer
dans son univers intérieur assez complètement pour perdre
tout désir de l’évaluer ou de le juger ? Puis-je entrer avec
assez de sensibilité pour m’y mouvoir librement sans piéti
ner des conceptions qui lui sont précieuses ? Puis-je com
prendre cet univers avec assez de précision pour saisir non
seulement les conceptions de son expérience qui sont évi
dentes pour lui, mais aussi celles qui sont implicites et qu’il
ne voit qu’obscurément ou confusément ? Je pense à un
client qui me disait : Chaque fois que je trouve quelqu’un
qui, à un moment donné, comprend une partie de moi-
même, j’en arrive toujours à un point où je sais qu’il a
cessé de me comprendre... Ce que je cherche désespérément,
c’est quelqu’un qui se comprenne ‘‘lui-même’’ ».
14En acceptant de reformuler, de confirmer ce qui me vient de l’autre comme lui appartenant. En ne m’appropriant pas ce qui vient de lui, mais au contraire en le lui rendant quand il tente de le déposer sur moi pour solliciter mon accord.
g) « Suis-je capable d’accepter toutes les facettes que me présente
cette personne ? Puis-je la prendre comme elle est ? Puis-je
lui communiquer cette attitude ? Ou ne puis-je l’accueillir
que conditionnellement, acceptant certains aspects de ses
sentiments et en désapprouvant d’autres tacitement ou
ouvertement ? D’après mon expérience, lorsque mon atti
tude est conventionnelle, le client ne peut changer ou se
développer dans les aspects de sa personnalité que je ne
peux complètement accepter. Et quand plus tard, et quel
quefois trop tard, je cherche à découvrir pourquoi j’ai été
incapable de l’accepter avec toutes ses composantes, je
m’aperçois généralement que c’est parce que j’ai eu peur ou
que je me suis senti menacé en moi-même par quelques
aspects de ses sentiments. Pour être plus « aidant », il
faut que je me développe moi-même et que j’accepte ces
sentiments en moi-même ».
15Celui qui se sent reconnu et accepté tel qu’il est, peut aussi se reconnaître, et s’accepter tel qu’il est par lui-même.
16Est-ce que je me donne les moyens d’être perçu comme non menaçant, tout en acceptant d’être vécu comme tel par celui qui peut projeter sur moi des images anciennes de sa propre histoire ?
17Ai-je la possibilité de le rendre libre de toute dépendance à mon égard même s’il recherche aide ?
18Nous sommes en devenir. La vie n’est qu’une succession de naissances autour de rencontres et de séparations. Tout être se construit par rapport à l’autre, à des autres qui vont devenir interpellants, significatifs et structurants à différentes étapes de notre vie.
h) « Suis-je capable d’agir avec assez de sensibilité dans cette
relation pour que mon comportement ne soit pas perçu comme une menace ? »
19Un problème quasi paradoxal est soulevé par cette question, car c’est celui qui reçoit le message qui lui donne un sens, l’autre peut se sentir jugé, me trouver menaçant sans aucune corrélation entre mes comportements et mes conduites, surtout s’il a une dynamique interne de type paranoïde.
i) « Puis-je le libérer de la crainte d’être jugé par les autres ? »
20Presque dans toutes les phases de notre vie – à la maison, à l’école, au travail – nous dépendons des récompenses et des punitions qui sont liées aux jugements d’autrui : « C’est bien », « C’est vilain », « Cela vaut dix », « Cela vaut zéro », « C’est de la bonne psychothérapie », « C’est n’importe quoi, ce n’est pas de la psychothérapie ».
« De tels jugements font partie de notre vie depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse. » C. Rogers ajoute « Je crois qu’ils ont une certaine utilité sociale dans des institutions et des organisations telles que les écoles ainsi que dans la vie professionnelle. Comme tout le monde, je me surprends trop souvent à porter des jugements. Mais, d’après mon expérience, ils ne favorisent pas le développement de la personnalité, et par conséquent je ne crois pas qu’ils fassent partie d’une relation d’aide. C’est assez curieux, mais un jugement positif est aussi menaçant en fin de compte qu’un jugement péjoratif, puisque dire à quelqu’un qu’il agit bien suppose que vous avez aussi le droit de lui dire qu’il agit mal. Aussi j’en suis venu à penser que plus je peux maintenir une relation sans jugement de valeur, plus cela permettra à l’autre personne d’atteindre le point où elle reconnaîtra que le lieu du jugement, le centre de la responsabilité réside en elle-même. Le sens et la valeur de son expérience dépendent uniquement d’elle, et aucun jugement extérieur ne peut rien changer à cela. Aussi j’aimerais m’efforcer d’arriver à une relation où je ne juge pas autrui en mon for intérieur. Je crois que c’est là ce qui peut le libérer, faire de lui une personne qui prend ses propres responsabilités ».
21Nous aurons dans la pratique à tempérer tout cela. Il faudra tenir compte cependant pour ne pas rester trop angélique et tenir compte aussi de la structure de la personnalité de certaines personnes qui entretiennent les blessures du passé avec un acharnement redoutable.
j) « Suis-je capable de voir cet autre individu comme une personne qui est en devenir, ou vais-je être ligoté par son passé et par le mien ? »
22Si nous percevons l’autre comme quelqu’un de figé, déjà diagnostiqué et classé, enfermé dans son passé, nous contribuons ainsi à confirmer cette hypothèse limitée. Si nous l’acceptons comme processus de devenir, alors nous faisons ce que nous pouvons pour confirmer ou l’aider à réaliser ses potentialités.
23Au travers de son questionnement Carl Rogers pose l’essence même d’une relation d’aide centrée sur l’autre, d’une ouverture aux possibles de l’autre, d’une écoute active, d’un respect de la personne mais également de soi-même.
Le recevoir c’est être présent dans le présent.
2. Aspects significatifs de l’empathie
24L’empathie est l’ensemble des signaux qui circulent entre deux personnes où la bienveillance et le respect dominent. L’empathie circulera dans toute relation où une personne facilite le développement ou la croissance d’une autre, et l’aide à mûrir, à s’adapter, à s’intégrer, ou à profiter de sa propre expérience.
25Nous manifestons ou nous cherchons à manifester de l’empathie.
Lorsque nous convenons qu’une personne est plus pleinement et plus adéquatement vivante et plus productrice si elle se connaît et s’évalue elle-même. Si elle a conscience de ses sentiments, de ses attitudes et de ses motifs immédiats. Si elle se découvre progressivement à la lumière de sa propre expérience, au lieu de chercher à garder et à préserver une image préconçue de ce qu’elle devrait être. Si elle se fie à ses propres capacités, se repose sur celles-ci et se sent responsable de ses actions. Si elle est suffisamment lucide et responsable vis-à-vis d’elle-même, et se présente aux autres telle qu’elle est.
Lorsque nous désirons faire partager ces mêmes caractéristiques aux gens avec qui nous vivons. Par exemple « comme professeur, conseiller, médecin ou ministre, ou même comme père ou mère, conjoint ou ami » précise Carl Rogers.
26Chaque fois, que nous nous positionnons avec cette énergie, que nous servons de guide dans un contact direct, continu avec une personne, que nous conférons avec nos collègues ou camarades, ou que nous parlons sur le plan personnel et sans cérémonie avec des amis, nous pouvons dire que l’interaction a une certaine valeur positive ou négative liée à une empathie possible.
27Nous rejoignons là, par d’autres chemins la notion de quotient relationnel plus ou moins élevé que nous avons décrit plus haut.
28Pour parler de façon plus concrète, nos relations avec les autres peuvent être ouvertes ou réductrices, utiles ou inutiles, stimulantes ou inhibitrices. Elles ne sont pas neutres. Elles sont porteuses d’un courant, d’un mouvement qui les amplifiera et les reliera à quelque chose de plus vaste que l’univers personnel des deux « communicants ». On ne sort pas d’un tel échange, d’une telle relation comme on y est entré, on repart avec quelque chose de plus qui est de l’ordre de la liberté d’être.
29L’empathie fait surgir cette dimension supplémentaire chaque fois que sont réunis les six aspects suivants :
a) Compréhension empathique
30L’aidant comprend l’autre personne du point de vue même de celle-ci. Il reconnaît ou sent ce qui est réel ou significatif pour elle, à un moment donné. Il cherche à savoir comment l’autre personne voit les choses, ce qu’elle ressent d’elle-même, quelle est son attitude subjective vis-à-vis de tout aspect de sa vie. Il est capable de sentir ou de déduire les intentions et les sentiments conscients qui sous-tendent le comportement extérieur de l’autre. En réalité, il vit aussi dans un certain sens, l’expérience de l’autre, bien qu’il ne confonde pas les sentiments et perceptions de l’autre avec les siens propres.
31Maintenir une distinction nette entre sa propre façon de voir les choses et la façon de voir d’une autre personne me paraît, très important, très stimulant et souvent difficile. L’expérience accumulée dans ce genre de relation fait ressortir le fait que nous pouvons rarement être bien sûrs de ce qu’une autre personne veut dire ou ressent exactement. C’est toute la différence entre ce qui est dit et ce qui est entendu.
32Nous réagissons, nous nous comportons tous selon la meilleure idée que nous avons de ce que l’autre veut dire à ce moment-là, et si nous restons toujours disposés à corriger et à modifier notre jugement nous sommes en empathie. Cela non seulement augmente la possibilité de comprendre exactement les pensées et les sentiments immédiats de l’autre personne, mais contribue à la libérer, à lui permettre de changer sa manière de percevoir ou de formuler son expérience intime, d’examiner d’autres possibilités et de découvrir à son vécu, une signification nouvelle, plus profonde, plus intégrée et valable sur le plan personnel.
33Nous pouvons appeler compréhension empathique ce premier aspect de l’empathie. Le mot empathie a un sens qui ressemble à celui du terme familier et respecté de sympathie, mais il en diffère quelque peu. Les deux termes évoquent à la fois l’intérêt que l’on porte à l’autre, et l’effort que l’on fait pour l’atteindre, le rejoindre dans sa vérité profonde.
34L’empathie suppose que nous saisissions comment l’autre se sent intérieurement, comment sont les choses pour lui. Mais ce mot ne signifie pas que les pensées, les sentiments ou les difficultés de l’autre deviennent nôtres. Cela exclut le processus d’identification, par lequel nos sentiments ou soucis personnels ressemblant à ceux de l’autre personne « prendraient le dessus » et deviendraient peut-être à notre insu, les véritables mobiles de nos réactions.
C’est en faisant sien le problème de l’autre que l’on multiplie ses difficultés et que l’on entretient dépendance et ambivalence.
35Autrement dit, l’empathie suppose que nous sommes en syntonie, sur la même longueur d’ondes que l’autre personne, et que nous recevons son message tel qu’elle le communique. Cela ne signifie pas que nous adhérions, que nous amplifiions, transmettions ou poursuivions en nous-mêmes ce que l’autre a commencé. C’est là cependant, ce que le mot « sympathie » englobe jusqu’à un certain point.
36La sympathie nous porte spontanément vers l’autre et nous pousse souvent à le rassurer. Même si la tendance à rassurer est une réaction courante et compréhensible, (surtout quand l’autre est un proche) est-ce vraiment aider quelqu’un que de lui dire que son anxiété ou son inquiétude ne lui apporte rien de bon, que ses soucis n’ont aucun fondement dans la réalité, ou que d’autres éprouvent les mêmes difficultés ? Ou que c’est une difficulté passagère qui va se dissoudre avec le temps ?
37Rassurer avec sympathie sert surtout à réconforter le sympathisant66, et la personne ainsi rassurée en retire un soulagement temporaire ou superficiel qui laisse le problème en l’état.
b) Croyance en l’autre
L’autre possède ses propres forces de croissance, son mouvement de vie et les ressources de son histoire, l’empathie développe cette croyance et s’appuiera sur elle.
L’autre personne possède au fond d’elle-même une tendance à croître et à développer au maximum ses possibilités.
Ses mobiles et ses perceptions constituent pour elle une base sûre d’action utile, à moins que nous la réduisions à la défensive.
Nous ne pouvons pas vraiment porter ses responsabilités67 (bien que nous puissions être profondément responsable de notre conduite envers elle).
Nous pouvons faciliter et entretenir son aspiration fondamentale à un développement intégré plus vaste. Toutefois, tout effort tenté pour faire naître ou mettre en œuvre cette motivation est fatalement voué à l’échec. Nous devons simplement reconnaître ce mouvement sans en contrarier le développement. Cela rejoint le pouvoir de confirmation que l’aidant peut avoir dans une relation. Réveiller les énergies parfois endormies ou bloquées suffit à relancer dans la vie ou à accélérer le courant des élans, des intérêts ou des enthousiasmes défaillants de son interlocuteur.
c) Intérêt et respect sans réserve
38Cet aspect insiste sur l’importance d’un intérêt sans possessivité ou captation et un respect profond pour l’autre personne. Fort de son expérience en psychothérapie, Carl Rogers, nous l’avons vu plus haut, nous dit combien il est difficile de prendre le risque de s’attacher à une autre personne sans développer des conduites d’autoprivation ou une répression imaginaire trop réductrice.
39Dans plusieurs de ces textes il insistera :
« Puis-je en arriver, envers cette autre personne, à une attitude positive – chaleur, attachement, amour, intérêt, respect ? Ce n’est pas facile. Je constate chez moi, et je crois déceler souvent chez les autres une certaine peur de ces sentiments. Nous craignons de nous faire prendre au piège, si nous nous laissons librement aller à des sentiments positifs envers les autres. Ils peuvent nous en imposer. Cela peut nous exposer à des exigences, où nous risquons de voir notre confiance trompée, autant de choses que nous redoutons. Par réaction, nous cherchons à garder nos distances vis-à-vis des autres – à garder la réserve, attitude ‘‘professionnelle’’, des relations impersonnelles... »
40Nous pouvons ressentir un véritable soulagement d’apprendre, qu’au cours de certaines relations ou à certaines phases de ces relations, nous pouvons en toute sécurité nous attacher à autrui, ou entretenir des sentiments positifs envers une autre personne.
41L’intérêt et le respect mutuel peuvent déboucher quelquefois sur la tendresse et l’affection que vont éprouver l’un pour l’autre, l’aidant et l’aidé. Il leur appartiendra de trouver la bonne distance et la cohérence interne pour la vivre sans que cela parasite le travail d’accompagnement.
C’est l’autre qu’il faut prendre au sérieux plus que soi-même.
d) Acceptation de l’autre
42Cet aspect est étroitement lié au précédent. Notre respect et notre attachement pour l’autre devraient être sans réserve. Nous n’y mettons aucune condition. L’autre personne n’a pas besoin de gagner notre approbation ou notre sympathie en exprimant ou en supprimant certains désirs, en affichant telles attitudes et croyances plutôt que telles autres, en essayant d’apparaître sous tel aspect plutôt que tel autre. Nous n’imposons aucune condition, aucune obligation, nous n’avons pas à privilégier ou à donner une importance particulière à tel type de sentiment ou de comportement.
43De cette manière l’autre a toute liberté d’être ce qu’il est le plus profondément et le plus complètement à ce moment là. Il constate, dans ses relations avec vous, qu’il n’y a aucun danger à s’affronter lui-même ouvertement, à percevoir et à admettre les faiblesses qu’il voit en lui-même, tout comme son désarroi ou ses craintes. De même, il peut explorer et découvrir plus à fond ce qu’il aime vraiment chez lui-même ou chez les autres.
44C. Rogers pense qu’ainsi l’autre faisant l’expérience d’une acceptation inconditionnelle de ce qu’il est
« peut devenir plus pleinement la source de ce qu’il sent et pense. Il peut se faire logique ou illogique. Il peut fuir ou affronter la crainte ou la douleur. Il peut être triste et désespéré ou joyeux et exalté, armé et fâché ou aimant et généreux. Il peut être, en sentiments et en paroles, tout ce qui lui a semblé bon ou mauvais. Il peut arriver à se connaître lui-même et faire un choix conscient qui soit maintenant le sien. Il peut y réussir parce qu’il se sent évalué pour ce qu’il est à un moment donné et non par une norme, celle de laquelle il se rapprocherait ou s’éloignerait, celle à laquelle nous aimerions qu’il réponde ».
45Dans une autre conférence il complétera sa pensée.
« Nous avons tellement l’habitude, pour la plupart, de donner ou de recevoir des récompenses pour certains genres de comportements et de sentiments, à l’exclusion d’autres genres, qu’il nous est très difficile d’éprouver un respect et un attachement positifs et profonds pour une autre personne non sujette à des conditions ou réserves. Voilà peut-être un objectif que nous pourrions nous efforcer d’atteindre. Si nous pouvons nous en rapprocher, nous serons probablement récompensés, en constatant chez l’autre personne le développement et le changement qui s’inscrivent durablement en elle ».
46Cependant C. Rogers en nous proposant cette façon d’être semble oublier peut-être, toute la dimension du retentissement, du réveil en nous par le comportement et les conduites de l’autre, de blessures anciennes ou de situations inachevées qui peuvent nous entraîner malgré nous, malgré notre bonne volonté ou bonne intention, à développer des sentiments plus ou moins négatifs à l’égard de celui que l’on veut aider.
Je suis sûr de la sincérité de mes sentiments.
Je ne suis pas sûr de leur justesse.
Marivaux
e) Être accessible
47Un autre aspect de l’empathie, s’appelle la disponibilité. Nous voulons dire par là que l’aidant doit être prêt à communiquer des façons de voir qui émanent de lui-même, lorsque l’autre désire réellement ce genre de communication. En même temps, l’aidant doit maintenir une nette distinction entre ses propres pensées et les pensées et sentiments de l’autre. C’est peut-être dans les relations familiales et dans l’enseignement que cet aspect est surtout manifeste.
48Dans son désir de découvrir et de comprendre de plus en plus le monde qui l’entoure, l’enfant ou l’adulte peut désirer ardemment connaître nos perceptions, nos connaissances ou nos idées sur les événements qui l’intéressent ou le préoccupent immédiatement. Quel résultat différent pour lui s’il partage ces choses parce qu’il le veut et non parce que nous avons décidé qu’il doit ou devrait les connaître !
49Les pensées et les perceptions que nous communiquons, dans ce cas, s’évaluent plus en raison du partage de notre vécu, de notre témoignage que d’après leur contenu ou valeur intrinsèque68.
« Quelqu’un de réellement présent au présent de la rencontre, c’est quelqu’un qui montre plutôt ce qu’il est que ce qu’il sait ».
50Mais lorsque nous communiquons nos idées, nos sentiments et nos connaissances en faisant voir que c’est là une réalité ou une vérité que l’autre doit connaître et comprendre pour son propre bien, nous violons ou rejetons, je crois, l’empathie.
f) Être conséquent ou en état de congruence
51Enfin il y a l’invitation à être sincère ou simple à l’égard de l’autre personne. S’il importe beaucoup de manifester une compréhension empathique, un respect et un intérêt sans condition, et une généreuse accessibilité, je crois tout aussi important de n’afficher aucun de ces sentiments, si nous ne les ressentons pas vraiment. Extérioriser une certaine réaction quand intérieurement nous en éprouvons une autre, ne fait qu’embrouiller l’autre personne. Celle-ci ne sait pas, par exemple, si elle doit s’en tenir aux mots, au ton de la voix, à l’expression ou aux gestes. Elle se sentira probablement mal à l’aise, peut-être sans savoir pourquoi. Si nous insistons ou persistons, elle en viendra sans doute à se méfier de nous et à communiquer de façon de plus en plus superficielle. Même si nous sommes assez bon acteur pour la duper une fois, notre manque de simplicité se retournera contre nous. Si nous commençons à nous leurrer nous-mêmes, à perdre conscience de notre propre illogisme. Nous aurons alors besoin d’une véritable empathie pour nous aider à refaire notre propre unité ou cohérence.
52Si nous sommes conséquents, nous devenons parfaitement unifiés et entiers. Notre expérience fondamentale (notamment nos sensations, impulsions, désirs et besoins principaux), notre connaissance consciente et notre communication extérieure seront stables. Une telle logique intérieure peut signifier que nous sommes maintenant inconséquents avec ce qui était avancé hier, parce que notre expérience et nos sentiments actuels diffèrent de ceux d’alors. Si nous sommes réellement conséquents, nous allons vraiment donner l’impression d’être congruents (en accord) et fiables. L’autre a le sentiment qu’il peut se confier à nous, parce qu’il voit que nous sommes là que nous témoignons avec lui, avec ce que nous sommes, avec notre cheminement et notre propre évolution.
53Voici comment peuvent se résumer les travaux de Carl Rogers sur les qualités de l’empathie, et en particulier sur la fidélité à soi-même. Au mieux, cette fidélité se traduit par des attentions, une compréhension, une acceptation et une disponibilité profondes à l’autre, tout en respectant nos propres seuils de tolérance et valeurs. Nous pouvons rester ouverts et disposés à révéler nos réactions véritables à l’interlocuteur, à admettre nos aversions, nos réticences, nos erreurs et nos incompréhensions passagères quand il y a lieu.
Je ne devrais accepter ton aide que si je peux t’aider à m’aider.
3. Apprendre à reconnaître sa propre dynamique relationnelle
Il peut être important de partager, d’échanger sur nos peurs.
Elles sont là présentes, elles font partie de notre histoire.
Mais combien est-il encore plus important d’entendre les désirs qui se cachent derrière nos peurs et d’oser les reconnaître en acceptant q’ils ne soient pas tous réalisables.
54Toute démarche d’intégration à la relation d’aide supposera une appréciation de notre part, de notre propre dynamique relationnelle. Pour favoriser ce regard sur soi-même nous proposons de mieux cerner la dynamique relationnelle qui peut dominer chez nous et nous interroger sur une évolution possible.
55Il y a cinq grandes dynamiques relationnelles que chacun de nous propose à l’autre, dans toute tentative d’échanges et de partages.
« Dis moi ce que tu retiens je ne te dirai pas ce que tu es, mais je saurai comment tu souffres ! » (ma grand mère)
* La dynamique de l’éponge
56Celui qui la pratique absorbe tout : malheurs, catastrophes, épidémies, souffrances individuelles et collectives mais aussi les bonheurs petits et grands, dans la plus grande des confusions car ainsi tout est mélangé ! Tout ce qui arrive de par le monde, proche ou lointain… c’est pour lui ! Comme lorsqu’on mélange de l’eau potable avec de l’eau de vidange… rien n’est buvable à la sortie du tuyau ! Pour celui qui pratique la dynamique de l’éponge, quoiqu’il vive, le monde est souvent grisâtre ou a irrémédiablement mauvais goût !
* La dynamique du filtre
57Celui qui la vit, retient surtout le mauvais et laisse passer le bon… sans pouvoir le garder.
58Vivre avec un « filtre » est très décourageant et même épuisant. Cela vous donne le sentiment d’être vraiment nul dans tous les domaines. Quoique vous proposiez, offriez ou partagiez… l’autre n’en retient que le négatif. Fuyez avant que le désespoir ne vous dévitalise !
* La dynamique de l’entonnoir
59Simple comme un entonnoir, il ne garde rien. Il laisse tout passer le bon et le pas bon. Il traverse la vie en état de manque permanent ou totalement anesthésié. Il prétend n’avoir rien reçu, rien donné, tout gaspillé. Ce n’est pas lui bien sûr… c’est l’autre.
* La dynamique de la passoire
60Celui qui est l’adepte sait garder le bon et sait surtout passer le mauvais. Il trouve son compte à capter les rires, les douceurs, le positif, les possibles de l’existence. Il ne s’encombre pas de déchets, laisse la pollution à l’extérieur de lui ou de la relation. Il sait trier, dédramatiser et accepter beaucoup de la vie. C’est bon de vivre avec une passoire, il ne garde que le meilleur de la vie.
* La dynamique de l’alambic
61Celui là est le plus rare, le plus attachant peut être. Il sait recueillir, transformer le bon et le merveilleux dans tout ce qu’il vit. Dans toute rencontre ou expérience de vie il en retire l’essentiel, il en restitue le meilleur. Les alambics sont précieux, si vous en rencontrez un, gardez le… au plus près de vous.
62Changer de dynamique ou tout au moins en atténuer la répétition nous paraît être un des chemins possibles pour devenir plus cohérent dans l’aide que nous proposons.
Notes de bas de page
65 Carl Rogers « Le Développement de la personne ».
66 La sympathie apaise surtout l’aidant.
67 Chacun est responsable de ses propres sentiments. Chacun peut prendre la responsabilité de ce qu’il éprouve
68 C’est toute la force du témoignage, quand un des parents peut parler de lui comme une personne (et non au travers d’un rôle qu’il se croit obligé de jouer) quand il peut se signifier à son enfant dans ce qu’il a découvert, éprouvé ou ressenti dans telle ou telle situation de vie.
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2002
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L’espace public entre communication et imaginaire territorial
Jacques Noyer, Bruno Raoul et Isabelle Paillart (dir.)
2013
L’avènement des porte-parole de la république (1789-1792)
Essai de synthèse sur les langages de la Révolution française
Jacques Guilhaumou (dir.)
1998