V. Réflexions sur la communication systémique
p. 157-167
Texte intégral
« Oh celui-là il sait tout... mais il ne sait que ça ».
1Je me suis largement appuyé, avec leur accord, sur le résumé des travaux de Paul Watzlawick, fait par Alain Clément et Maryse Legrand.
2Ces quelques repères permettront de mieux comprendre les inter-relations (inter-influence, inter-dépendance) qui existent dans toute communication et de se centrer de façon plus sensible sur l’élément relationnel qui sous-tend tout échange.
1. Concept de « boîte noire »
3Ce concept généralement utilisé en électronique, permet d’étudier les relations entre les informations introduites dans une machine et celles qui en sortent sans en connaître la structure interne, ces relations permettent de comprendre la fonction de la machine dans le système dont elle fait partie (et par là-même de saisir le fonctionnement ou une partie du fonctionnement du système).
4Ce concept, utilisé pour étudier la communication humaine, nous permet de comprendre les comportements comme des informations adressées au système dont l’individu fait partie, sans connaître pour autant la structure intra-psychique de la personne. Pris comme informations adressées à un système, les « symptômes » deviennent « intelligibles » à l’intérieur d’un ensemble dont ils « disent » la dynamique et le sens.
5Afin de faciliter l’étude de la pragmatique dans les communications humaines, il convient d’énoncer, nous rappelle Paul Watzlawick un certain nombre d’axiomes.
* On ne peut pas ne pas communiquer
6Comme les paroles, les comportements sont des messages ; il ne peut pas ne pas y avoir de « non-comportements ». « Je me dis aussi quand je me tais ». « Je vous envoie des messages infra ou ultra verbaux avec toutes les ressources de mon corps... ».
7Dans un train, je peux faire comprendre, par mon attitude, à mon voisin que je n’ai pas envie de communiquer en lui adressant un message non verbal qui lui communique que je n’ai pas envie d’échanger. Mais nous ne pouvons pas limiter la communication à l’échange intentionnel, conscient ou réussi.

8Savoir s’il y a correspondance entre le message adressé et le message reçu appartient à un autre ordre d’analyse dont nous avons parlé plus haut, à savoir la capacité pour l’écoutant à se décentrer.
Surtout ne croyez pas à mon indifférence, si je vous réponds par du silence.
* Toute tentative de communication présente deux aspects complémentaires : le contenu et la relation
9Le contenu est une information transmise. Il peut avoir pour objet tout ce qui est communicable. La relation entre les partenaires nous indique comment comprendre le contenu et la façon dont il sera reçu ou repoussé.
10Au niveau de la relation, une ou plusieurs des assertions suivantes sont toujours en jeu.
« C’est ainsi que je me vois... ».
« C’est ainsi que je te vois... ».
« C’est ainsi que je te vois me voir... ».
« C’est ainsi que je vois que tu me vois... ».
« C’est ainsi que je vois que tu me vois te voir... ».
11Et ainsi de suite... dans un jeu de miroirs internes qui vont donner des impulsions en termes de freinage ou d’accélération, de confirmation ou de déni à tout échange « Je me vois disant oui à une proposition de l’autre que je ne sens pas sincère chez lui, mais à laquelle il lui paraît important que j’adhère... ».
12Communiquer c’est la difficile tentative de mettre en commun ce qui habite chacun en pouvant sauvegarder et respecter sa différence.
13La nature d’une relation va dépendre de la ponctuation des séquences de communication entre les partenaires.
14Dans un couple aux prises avec un problème conjugal, le mari peut adopter une attitude passive, la femme s’enfermer dans des critiques hargneuses.
Le mari dit que le repli est sa seule défense contre la hargne de sa femme.
La femme dit qu’elle critique son mari parce qu’il est passif.
15Le mari ne perçoit que les triades 2. 3. 4.- 4. 5. 6.

16La femme ponctue la séquence des faits selon les triades 1. 2. 3. - 3. 4. 5.
Trop près on étouffe
Trop loin on ne s’entend pas
La bonne distance si fragile, si éphémère, qui est à retrouver sans cesse.
* Les êtres humains usent de deux modes de communication : digital et analogique
17Le langage digital possède une syntaxe logique très complexe et très commode, mais manque d’une sémantique appropriée à la relation.
18Par contre le langage analogique possède bien la sémantique, mais non la syntaxe appropriée à une définition non-équivoque de la nature des relations.
19Les mots font partie du mode digital. Il n’y a pas de relation entre le mot et la chose qu’il désigne. Il s’agit d’un système de signes codifiés communément acceptés dans une langue donnée. Le mot « chat » n’évoque ni la forme ni le cri du chat. Et le mot amour ne dit rien des sentiments qui habitent celui qui dit « aimer ».
20La communication non-verbale fait partie du mode analogique, comme la totalité de la voix, des gestes, des mimiques, etc. C’est le langage privilégié des sentiments, des sensations et du ressenti immédiat.
21Le langage analogique est approximatif et peut être ambigu, un sourire peut exprimer la sympathie ou le mépris. Un regard peut être chargé de multiples significations et être reçu encore autrement de l’intention de celui qui le donne.
22Une difficulté de la communication va résider le plus souvent dans la traduction d’un mode (digital) dans un autre (analogique). « Comment te dire que je t’aime quand je déteste ce que tu viens de faire et que je t’en veux de l’avoir fait ! »
* Tout échange de communication est symétrique ou complémentaire, selon qu’il se fonde sur l’égalité ou la différence
23L’interaction symétrique est basée sur l’égalité ou la minimisation de la différence.
« Tu dis oui à un seul aspect de mon propos et je pense que tu es d’accord comme moi sur l’ensemble. Je donne à ton oui le même sens que je donne au mien »63.
24L’interaction complémentaire est basée sur la maximalisation de la différence.
« Je ne comprends pas que tu apprécies cette personne, tu lui fais trop confiance. Moi je ne pourrai jamais me confier à elle, parce qu’un jour elle m’a dit quelque chose qui n’était pas vrai ».
25Les positions relationnelles ne peuvent être simultanément équivalentes. Elles sont toujours en déséquilibre64. À chaque instant d’une relation, un des partenaires occupe la position « haute » et l’autre la position « basse », avec plus ou moins d’intensité.

26Ces positions « haute » ou « basse » ne sont pas synonymes de plus fort ou de plus faible, de bon ou de mauvais, mais situe la direction dominante de l’influence. P1 est en position haute s’il influence P2 (qui accepte ou subit l’influence).
27Ce n’est pas toujours l’un des partenaires qui impose une relation complémentaire à l’autre ; chacun d’eux va se comporter d’une manière qui présupposera et en même temps justifiera le comportement de l’autre ; leurs définitions de la relation sont concordantes même s’ils en sont insatisfaits. C’est ce qui explique que nous entretenons parfois, avec beaucoup d’énergie et de constante, des modes de relations dont nous souffrons ou que nous restimulons chez l’autre ce qui justement nous déplaît.
28Tout système relationnel satisfaisant ou insatisfaisant suppose la collaboration de chacun des protagonistes pour exister et durer. Cette collaboration n’est pas toujours volontaire ou consciente, mais elle est efficiente.
2. Définition de soi
29Il semble que toute tentative de communication ait pour fonction essentielle, de construire sans cesse une définition de soi (affirmation ou disqualification) et de la proposer à l’autre comme référence.
L’homme a besoin de communiquer avec autrui pour parvenir à la conscience de lui-même.
La rencontre de soi passe par la rencontre avec l’autre.
30Un individu P1 offre à un individu P2 une définition de lui-même. Il peut le faire d’une infinité de manières ; mais quel que soit le contenu de la communication, le prototype de sa méta-communication sera :
« Voici comment je me vois », complété parfois par un deuxième message, « Voici comment j’aimerais être vu ».
* Confirmation
31P2 peut confirmer la définition que P1 donne de lui-même. Toute personne a besoin d’être confirmée dans ce qu’elle est et dans ce qu’il peut devenir, par et pour les autres personnes.
* Rejet
32P2 peut rejeter la définition que P1 donne de lui-même. Le rejet, si pénible soit-il, présuppose que l’on reconnaisse ce que l’on rejette, il nécessite l’entrée en relation dans ce cas sur la base d’une confrontation et non nécessairement d’un affrontement.
* Déni
33Le déni par P2 ne porte pas sur la vérité ou la fausseté de la définition que P1 donne de lui-même. Il nie la réalité de P1 en tant que source de cette définition. Il nie son existence. Cette position est particulièrement pernicieuse (elle conduit à la folie, à la dépression) dans les relations proches et de longue durée.
* Affirmation
34Le conflit entre besoin d’approbation (reconnaissance par l’autre) et besoin d’affirmation (reconnaissance de soi) est le plus souvent impossible à gérer face aux personnes significatives de notre vie. S’affirmer sera prendre le risque de ne pas être approuvé par ceux justement dont nous avons recherché pendant longtemps l’approbation. Devenir adulte sera en quelque sorte renoncer à obtenir un quitus de ceux qui nous ont aidé à grandir.
3. La communication paradoxale
Il faut aussi parler de ce que l’on ne connaît pas...
C’est plein de surprises.
35Un paradoxe est une contradiction logique venant au terme d’une déduction, à partir de prémices correctes.
36Il existe trois types de paradoxes :
Paradoxes logico-mathématiques de type antinomie (connu des spécialistes sous le nom de paradoxe de Bertrand Russel relatif à la « classe de tous les membres qui ne sont pas membres d’elles-mêmes ». J’en épargne la démonstration... qui est un vrai casse-tête)
Définitions paradoxales (antinomie sémantique). L’exemple princeps est le paradoxe d’Épiménide le Crétois, cher aux sophistes grecs : « Tous les Crétois sont menteurs » Puisqu’il est Crétois lui-même, il ment. Mais c’est là précisément la vérité qu’il énonce. Ainsi s’il ment, il est véridique et inversement s’il dit la vérité il ment
Paradoxes pragmatiques (injonctions paradoxales ou prévisions paradoxales).
37Ces différenciations datent un peu. Aujourd’hui il suffit de se rappeler que :
Le domaine logico-mathématique et le domaine sémantique sont les deux domaines d’où a été extraite au départ la notion de paradoxe qui a fait florès en sciences humaines et de la communication.
La résolution du paradoxe de Russel est à l’origine d’un principe fondamental connu en mathématiques sous le nom de « théorie des types logiques » qui a donné naissance à la notion de métaconcept, reprise ensuite par les systémiciens. Son seul intérêt à retenir (pour ce qui nous occupe) est d’avoir été étendu à la notion de métacommunication envisagée comme issue possible pour s’en sortir face aux injonctions paradoxales.
L’étude des paradoxes (les deux premiers types ci-dessus) a été le point de départ des recherches des systémiciens qui se sont appuyés sur les premiers travaux de Bateson pour tenter de mieux comprendre les dysfonctionnements de la communication dans les familles à transactions schizophréniques.
38La notion de paradoxe pragmatique est employée à partir de 1967 par les pragmaticiens de l’école de Palo Alto disciples de Bateson (Watzlawick and Co) en remplacement du terme précédemment mentionné par Bateson (1956) sous la rubrique de double-blind (double-aveugle).
39De nombreuses traductions ont été proposées depuis, à ce vocable qui est repris y compris par les psychanalystes (Racamier, Anzieu) : double impasse, double lien, double entrave, double nouage, double contrainte.
40Les paradoxes étudiés sous leurs modes d’expression les plus serrés, les plus paradoxants et les plus pathogènes dans les communications gravement dysfonctionnelles (schizophrénies, perversions) se retrouvent sous des formes plus courantes et banales (dans les injonctions que je décris dans le système S.A.P.P.E).
41L’exemple le plus connu est le fameux « Sois spontané ! » avec ses variantes « Sois gentil ! Fais plaisir à maman ! », « Sois fort ! », « Sois sincère ».
« Si tu m’aimes, ne m’aime pas » (Titre d’un livre de Mony Elkaïm)
« Débrouille-toi ! Fais comme tu veux (mais veille surtout à ce que cela corresponde à ce que Je veux) ».
« Puisque tu vas finir par me quitter, (autant que tu le fasses tout de suite) et je vais te provoquer en ce sens ».
« Je m’en fous ! » (celui qui est réellement indifférent, n’a pas besoin de le clamer haut et fort).
« Moi je ne demande pas que tu sois le premier en classe, (ou que tu deviennes ingénieur) je veux juste que tu sois épanoui (ou que tu passes au moins ton bac) pour que tu puisses avoir le choix de choisir ce que tu veux plus tard, (c’est-à-dire faire des études comme moi !) ».
« C’est pas pour moi que je te dis ça, c’est pour toi... ».
42Les doubles messages sont fréquents dans la relation parent-enfant ou adulte-enfant : « Tu peux tout me dire. Tu peux me parler si ça ne va pas... tu sais que je suis là pour t’écouter ». Alors que généralement, l’enfant vit surtout l’expérience intime de n’être ni écouté ni entendu dans l’expression de son ressenti.
43Les paradoxes, en termes de relation, aveuglent doublement, celui qui l’énonce et celui qui le reçoit (quand je crois demander et que j’exige, quand je crois offrir et que j’impose ou que je m’approprie un droit de regard sur l’usage que fait l’autre du « cadeau » prétendument offert, de l’argent donné ou du service rendu...)
44Les paradoxes sont à considérer également en tenant compte des contradictions et des incongruences entre le niveau du langage verbal et celui du langage analogique (dire « je t’aime » en étouffant l’autre). Ces paradoxes ont été étudiés par Harold Searles dans son livre « L’effort pour rendre l’autre fou ».
45Il y a aussi (dans Mony Elkaïm) les doubles contraintes réciproques du genre :
– Pour qui sont ces fleurs ?
– Mais... pour toi !
_ Depuis quand m’offres-tu des fleurs ? Que veux-tu donc te faire pardonner ?
– Voyons chérie, j’en ai envie !
– Tu ne m’auras pas avec tes paroles doucereuses. Qu’est-ce que ça cache ?
– Mais enfin, je ne peux même plus te faire de cadeau maintenant !
– Si tu étais sincère, au lieu de commander une demi-douzaine de roses chez le premier fleuriste venu, tu te serais rappelé que ce sont les lilas que je préfère. À moins que tu n’aies simplement dit à ta secrétaire d’aller chercher quelques fleurs pour ta femme....
– Ce n’est pas ma secrétaire qui est allée les chercher. Je les ai choisies moi-même.
– Pourquoi n’as-tu pas pris de lilas ?
– J’ai oublié que tu les aimais.
– Tu vois bien ! Et tu prétends me faire plaisir ! Je n’en veux pas de tes fleurs !
Le mari lance alors le bouquet dans un coin du salon et sort en claquant la porte, tout en jurant à voix haute. Ce à quoi son épouse réplique en criant :
– Tu vois bien que j’avais raison, quand cesseras-tu de me torturer ?
46Nous faisons au plus court. Il y aurait tout un chapitre à développer sur ce sujet, de même que sur les injonctions et auto-injonctions.
47Quand cette femme s’écrie :
– « Oh moi, je n’ai pas de problème de communication avec mon mari, on ne se parle plus ».

48Elle veut dire par là qu’ils ne se disputent pas. Souvent la bonne communication est comprise comme le fait de s’entendre « bien », de se mettre « d’accord », d’éviter les conflits et les oppositions. Mais en même temps elle entérine une situation de tensions et de frustrations.
– « Ca ne sert à rien de lui parler, il ne répond jamais ».
_ « De toute façon je préfère lui donner raison comme cela j’ai la paix ! ».
49Une paix extérieure au détriment d’une paix intérieure ?
50Certains mots ont le pouvoir magique de signifier beaucoup et de ne rien dévoiler... ainsi en est-il du mot communication.
Ne pas confondre apprendre à communiquer et apprendre à convaincre.
Notes de bas de page
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