IV. Différents types d’entretien
p. 113-156
Texte intégral
Comment concilier l’inconciliable. Par une attention passionnée.
1Au cours de la formation vont s’expérimenter et se vivre différents types d’entretien dont nous allons décrire les caractéristiques principales :
1. L’entretien d’accueil
2Que se passe-t-il entre deux personnes qui se rencontrent pour la première fois ?
3Comment s’apprivoisent-elles, s’influencent-elles, s’évitent-elles ?
4Où s’affrontent-elles ?
5Nous avons décrit plus haut quelques phases pour ce type d’entretien. Reconnaissance et découverte mutuelle, prise de contact (accueil, perception, ajustement) ou blocage, défense, évitement... Ce qui nous paraît important dans les premières rencontres, c’est la capacité de se définir en donnant des repères suffisamment clairs pour baliser le déroulement de l’échange. Les attitudes d’invitation, de stimulation, la capacité à recueillir (pouvoir redonner à l’autre ce qu’il a dit) seront appréciées par le « demandeur » qui a ainsi le sentiment que ce qu’il a exprimé n’est pas perdu, n’est pas tombé dans le vide.
6Au-delà de la rencontre peut donc se développer une relation dans la durée. Toute communication se fait à partir de territoires différents, même si la relation est proche. Proposer à l’autre de se définir (le plus rapidement possible) est souhaitable.
7Dans ses besoins par exemple !
Besoin de paroles et de silence
Besoin de solitude et besoin de convivialité
Besoin d’autonomie et besoin de dépendance.
8Oser se définir également dans ses ressources et ses limites :
« Voici ce que je peux donner, ce que je peux recevoir, ce qui n’est pas bon pour moi... ».
9Ce sera toute la difficulté de trouver et de construire la bonne distance, pour permettre à chacun de trouver un espace de partage.
Avant toute parole c’est l’impression globale de l’autre qui sera la première communication.
2. L’entretien « manipulatif »
10Ils sont plus fréquents dans la vie courante qu’on ne l’imagine. Ils cachent une directivité puissante. Ils visent à obtenir de l’autre un certain résultat. Comme par exemple arriver à lui faire dire..., à lui faire prendre conscience de..., à ce qu’il change sa conduite, sa façon d’être.
11Ce sont des entretiens d’influence, avec une polarisation de domination, quels que soient les alibis moraux ou professionnels, avancés. Nous retrouvons cette tendance chez quelques participants aux sessions de formation. Les manipulations les plus corrosives (et les plus efficaces parce que sincères) sont inconscientes, elles se font avec un automatisme fantastique qui déjoue très subtilement toutes les tentatives pour les éviter ou les déjouer.
12En situation de formation, nous allons œuvrer surtout sur les manipulations conscientes et intentionnelles.
13En effet, pour certains, se former à l’entretien, c’est avant tout réunir le maximum d’atouts pour atteindre un objectif personnel, convaincre, être efficace. Convaincre signifiera, par exemple, arriver « en entretien » avec un certain nombre d’idées sur l’autre ou sur une question, avec des attentes, ou un but à atteindre et tenter de les faire « passer », tout cela… chez l’autre.
14Convaincre pour « amener » l’autre à l’idée, au résultat que nous avons en tête. Lui faire accepter nos propositions, nos conseils, nos orientations, notre point de vue, une certaine façon de faire...
15Ce genre d’entretien dans une relation suivie est voué, à plus ou moins long terme, à un échec. Il développe en effet une dépendance à l’égard de l’aidant et contribue à entretenir l’ambivalence. La manipulation est parfois très subtile, il est difficile de s’en défendre et d’être lucide sur ce point46. Beaucoup d’entretiens « familiaux » et « parentaux » sont de ce type.
16Dans un processus de formation, par exemple, devant le désir de bien faire, d’être efficace, opérationnel de certains participants, il sera quelquefois difficile d’échapper au piège de l’entretien manipulatif plus ou moins conscient.
17L’agent de formation, lui aussi risque d’utiliser ce type d’entretien car il se sent investi d’une mission, « on attend quelque chose de lui ». Il désire la réussite de la formation qu’il propose. Il liera sa réussite comme « accompagnateur » à l’établissement d’une « bonne relation », c’est-à-dire, une relation qui lui paraisse gratifiante pour lui et pour l’autre. Soit qu’il donne beaucoup avec le sentiment d’être reçu, soit qu’il reçoive en retour les manifestations d’intérêt, d’acquiescement du formé. Le « développement » et la croissance du formé (à travers sa réussite, ses acquisitions, ses ajustements, voire son conformisme) sont dans le désir de l’agent de formation... et ce dernier risque donc de se laisser conduire par ce désir.
Si on ne met pas de balises dans une relation... on sera amené à mettre des barrières.
3. Les entretiens d’aide
Trop parler pour ne pas s’entendre ou trop s’écouter... pour ne pas se dire.
a) Définition et indication de l’entretien d’aide
18L’entretien « d’aide » a pour objectif la compréhension profonde (ou nouvelle) de ce qui se passe pour le demandeur, la découverte de la manière dont il éprouve la situation qui lui fait problème, la clarification progressive de son vécu et la recherche de moyens ou de ressources permettant un changement. L’intention de bien assumer ce type d’entretien ne suffit pas, il faut respecter certaines phases de son déroulement, en particulier celles décrites au chapitre VI.
19L’entretien d’aide
n’est pas une conversation (échange d’opinions)
n’est pas une discussion (répondre à des objections)
n’est pas une interview au sens journalistique du mot (pour avoir des informations)
n’est pas un interrogatoire (pour vérifier ou accuser)
n’est pas un discours de l’interviewer (complaisance à se dire)
n’est pas une confession (intrusion dans l’intimité).
b) Spécificité de la relation d’aide.
20Une relation d’aide peut s’exprimer de multiples façons. Elle peut être ponctuelle, circonstancielle ou se vivre dans la durée à l’intérieur d’une démarche d’accompagnement, d’assistance ou d’un processus thérapeutique. Nous parlerons plus loin et plus en détail de la relation de soutien et de la relation d’accompagnement. Pour l’instant on peut la définir comme une « relation spécifique » dans laquelle une personne sera assistée pour opérer son ajustement personnel à une situation à laquelle elle ne s’adapterait pas sans soutien ou sans apport d’un tiers.
21Ceci suppose que « l’aidant » est capable de plusieurs démarches.
22Outre la capacité de se décentrer, de développer une écoute active et de pouvoir recueillir l’expression du demandeur, cela supposera la possibilité de :
Comprendre le problème dans les termes où il se pose pour tel individu considéré comme « unique », dans une existence singulière.
Connaître les rapports de force, les contraintes circonstancielles qui environnent cet individu.
Lui permettre d’intégrer des compréhensions nouvelles, de mieux repérer ses ressources, de développer sa capacité de choix pour changer sa situation.

23Une modalité « pratique » de l’entretien en découle, il sera non-directif, c’est-à-dire, centré sur l’autre, non défensif pour celui qui assume la rencontre et cohérent dans sa progression, c’est-à-dire, tenant compte des contraintes ou des contradictions qui s’exercent sur le terrain (milieu de vie, pressions institutionnelles, ressources réelles...).
c) Entretien non directif ou entretien centré sur l’autre
24À l’origine de ces expressions on trouve les travaux de Carl Rogers. L’expression « non-directivité » fut souvent mal comprise, assimilée à laisser-faire, à une non-intervention, à de la passivité bienveillante et neutre. C’est pourquoi Carl Rogers a été amené à utiliser les termes de « centration sur le client » et plus encore « d’entretien non-défensif », afin d’éviter les contre-sens et de proposer l’ensemble des attitudes non-directives comme des positions actives.
25Pour Carl Rogers la centration sur l’autre suppose la possibilité de pouvoir proposer les attitudes suivantes :
Une attitude d’intérêt ouvert (disponibilité optimale, sans préjugés ni à priori), une manière d’être et de faire qui soit un encouragement continu à l’expression spontanée d’autrui :
« Que puis-je faire pour lui permettre d’en dire plus, d’aller plus loin ».
Une attitude de non-jugement (tout recevoir sans réserve évaluative, accueillir ce qui vient de l’autre sans critique ni évaluation, ni conseil).
Une intention authentique de comprendre autrui (dans sa propre langue, de penser dans ses termes, de saisir la signification particulière, originale que la situation a pour lui).
Une attitude de non-directivité dans le déroulement (c’est l’autre qui a l’initiative complète dans sa présentation du problème et dans son itinéraire), il n’y a pas de présupposé à chercher ou à vérifier. Il s’agit de laisser venir le discours de l’autre sans chercher ni à le modifier ni à l’orienter.
Un effort continu pour rester « objectif »47 et être lucide sur ce qui se passe tout au long de l’entretien.
Une attitude de non-défense et de lucidité sur ses propres sentiments.
26Toutes ces attitudes seront à moduler en fonction de la dynamique relationnelle proposée par le demandeur. Il sera quand même possible de « poser des exigences », de « refuser », de marquer sa position pour ne pas entretenir l’autre dans un système ou une illusion relationnelle de toute puissance qui serait malsaine pour lui48.
d) Recherche de cohérence
27Pour celui qui assume l’entretien, trois interrogations peuvent sous-tendre une recherche et une démarche de cohérence :
Où en suis-je au niveau du contenu :
Que me dit-il exactement ?
Puis-je reformuler clairement ce que je crois avoir compris ?
Où sont les polarisations dominantes de son discours ?
De quoi me parle-t-il ?
De qui ? et d’où ?
Suis-je clair sur les différents niveaux de son expression ? Sur ce qui s’est passé, sur son ressenti et le retentissement en lui ?
Où en suis-je au niveau de l’ici et maintenant ?
Que se passe-t-il entre nous dans ce lieu ?
Suis-je conscient de ce que je ressens à l’instant même où je l’éprouve ?
Suis-je conscient de ce qu’il peut ressentir lui-même par rapport à la situation présente ?
Y a-t-il des parasitages extérieurs ?
Où en suis-je dans ma relation avec cette personne qui est en face de moi ?
Est-ce que je veux le rassurer, me protéger ?
Me menace-t-il ?
Suis-je toujours en position d’aidant ou de demandeur ?
Où en suis-je au niveau de mon ressenti et de mes sentiments ?
Quels sentiments ai-je pour lui ?
M’irrite-t-il ?
Me sature-t-il ?
e) Progression
28Voici comment nous pouvons comprendre la dynamique d’un tel entretien et les phases qui nous paraissent à respecter.

29Nous considérons que A est le demandeur. La « demande » de A s’exprimera par un discours (D) qui peut être une question, une affirmation, une interrogation, un thème ou un sujet à débattre49.
30Nous avons donc la « position » de B qui assumera l’entretien.

31* Phase 1
32Favoriser au maximum l’expression de A, et lui permettre d’amplifier son discours.
33Tout le travail de B visera essentiellement à permettre à A de se dire.
34Que puis-je faire, que puis-je dire pour lui permettre d’agrandir son discours, d’en dire plus, de mieux cerner sa problématique, son désir, ses attentes.
35Dans cette phase il est souhaitable d’utiliser au maximum le vécu commun, de s’appuyer sur ce qui a déjà été dit entre le demandeur et celui qui assume : « Vous m’aviez dit tout à l’heure, l’autre jour... », « j’ai senti que ce qui s’est passé vous a touché, je ne sais si vous voulez en parler ? » Il s’agit de solliciter, d’inviter ou de stimuler pour ouvrir, de faire préciser pour aller plus loin.

36*Phase 2
37Recueillir
38Recueillir ce que dit A. Par des reformulations simples : « Vous voulez dire que... », « Si j’ai bien compris vous avez fait ceci ou dit cela... ».

39*Phase 3
40Clarification
41Clarifier les discours de A. Suivant les entretiens (et l’intensité de l’expression de A) au bout de quelques minutes B sera amené à dire « dans tout ce que vous m’avez dit, voici ce que j’ai entendu ».
42C’est la partie la plus difficile, la plus délicate, car il s’agit pour B de rassembler les morceaux du puzzle qu’est souvent le discours de A (même s’il apparaît très linéaire, très cohérent, très construit) et le renvoyer à A. Il peut pour cela, suivant la nature de l’échange, proposer plusieurs lectures du discours de A en mettant en relation les différents éléments de ses apports.

43* Phase 4
44Compréhension/aide
45L’entretien peut se poursuivre sur l’invitation à approfondir le point ou la problématique qui paraît centrale, sur la recherche de moyens pour faire évoluer la situation, sur comment A peut se définir en agissant...
46Ce sera une phase de focalisation active qui permettra d’approcher le noyau des enjeux qui sous-tend la problématique.
47Pour atteindre les quatre points développés ci-dessus, la bonne intention ou la bonne volonté ne suffisent pas. Cela exige une formation, une méthode et disons surtout un « entraînement ». Un des objectifs de la formation sera de créer des situations de training pour développer une sensibilité particulière sur ces différents points de repère. Comment stimuler ? Comment rassembler, retenir et redonner ? Comment clarifier ?50
f) Indications et contre-indications de l’entretien d’aide
48L’entretien d’aide n’est pas une panacée. C’est une approche possible parmi bien d’autres démarches. Toutes les fois qu’un entretien aura pour but de comprendre une personne, un problème humain, un comportement, de favoriser la prise d’une décision, de clarifier un choix, toutes ces fois-là, il sera indiqué comme utile.
49Il peut arriver qu’au cours d’un entretien à objectif différent, un problème nouveau apparaisse sur lequel une nouvelle compréhension est requise. Dans ce cas un certain laps de temps doit et peut être consacré au cours de l’entretien à la pratique d’une approche de compréhension centrée sur le demandeur, quitte à revenir ensuite aux objectifs premiers de l’entretien. L’entretien d’aide peut être moins efficace (du moins en apparence) dans les cas suivants :
Cas où les problèmes sont de l’ordre de la connaissance, de l’information.
Cas où l’autre a un pouvoir de réflexion affaibli ou insuffisant (petits enfants, personnes en fin de vie, déficiences mentales graves…). Mais cela reste discutable car souvent il suffit de trouver la porte par où être reçu !
Cas où l’autre ne veut pas participer à l’entretien (non coopération). Mais là encore, une exploration compréhensive de la méfiance de l’autre peut libérer une disponibilité, entraîner une ouverture, inviter à l’échange.
Les mots ne sont que les cailloux repères, ils ne sont pas le chemin.
g) Savoir écouter et savoir observer
50Nous rejoignons là les difficultés habituelles et les conditions de l’observation psychologique. Certains peuvent croire qu’être psychologue, éducateur ou aidant, c’est tenter de deviner les mobiles secrets, scruter les consciences ou encore anticiper les réactions. Attention alors aux risques de violer les défenses voire la personnalité profonde, de déséquilibrer une situation fragile.
51Nous pensons qu’observer des phénomènes relationnels ce sera tenter de saisir de quels sens, de quels messages ils sont porteurs sans les réduire à une explication formelle ou dogmatique. Et ainsi de les ouvrir, de les faire circuler, de les mettre en relation pour les rendre porteur de vie.
52Toute demande psychologique est un certain point de vue51 à partir duquel on observe et on tente de comprendre le réel de tous les jours, en sachant que nous ne percevons que quelques-uns de ces multiples aspects. La communication et ses nombreux avatars représentent une part de ce réel avec des enjeux importants au niveau de la santé, de l’épanouissement personnel et de la recherche du bonheur.
h) Les obstacles personnels les plus fréquents à l’écoute d’autrui
Le retentissement ou la résonance
53Qu’est-ce qui a été touché en moi ?
54Zone de bien être ?
55Zone de mal être ?
56Si ce que me dit l’autre résonne sur un mode positif ou négatif au point d’envahir ma pensée, je ne l’écoute plus, je n’entends que l’écho en moi de ce qu’il me dit.
Le ressentiment, la déception
Qu’est-ce qui a été satisfait ou insatisfait dans mes attentes.
« Je lui en veux de me dire cela » ou encore « Je supporte mal la déception », « Je ne m’attendais pas à cela ».
L’insécurité, l’incertitude sur moi, sur l’autre
– « Jusqu’où va-t-il m’entraîner ? »« Puis-je lui faire confiance ? »« Puis-je me faire confiance ? »
La démission ou renoncement
« Je ne crois plus en la possibilité d’évoluer de l’autre ».
L’intentionnalité, le désir vers l’autre
– « Je voudrais tellement qu’il s’en sorte... ».
L’intentionnalité, le désir sur l’autre
Quand j’ai un projet sur l’autre, « Je voudrais qu’il prenne conscience ».
– « Je souhaite qu’il comprenne les conséquences de ce qu’il dit, de ce qu’il fait ».
Quand mon désir est si puissant ou si aigu, que je ne peux entendre et recevoir celui de l’autre, parce que le mien occupe tout l’espace de notre échange.
Le désir de comprendre, de contrôler ce qui va se dire
– « Comment puis-je accepter de ne pas avoir le contrôle permanent de ce qui se dit ou se passe ? »
57Il sera difficile à beaucoup d’accepter ce que l’autre vous dit avec ses mots, son rythme, ses tâtonnements, ses contradictions...
Et bien sûr toutes les peurs...
58Les peurs innombrables inscrites dans notre histoire vont paralyser, freiner, tant qu’on n’a pas découvert que derrière toute peur il y a un désir.
Le pseudo-respect.
59Chaque fois que je pense à la place de l’autre qu’il ne peut pas, que ce ne sera pas bon pour lui, que c’est inutile, cela rejoint les censures et les interdits qui m’habitent.
i) Les obstacles à la perception et à l’observation des phénomènes relationnels
60Pour savoir observer et écouter, il faut un certain entraînement et un certain effort pour dépasser, aller au-delà des habitudes et des conformismes inscrits en nous.
61Nous rencontrons plusieurs obstacles :
La subjectivité
62Cela consiste à donner à ce qui se dit, aux faits, des significations personnelles, dont on habille le réel au lieu de le percevoir tel qu’il est. Certains états émotionnels ou passionnels intenses produisent dans notre perception des distorsions énormes (comme par exemple la projection que l’on dépose sur l’autre dans certaines relations amoureuses).
63Il y a aussi des relations, dans lesquelles je suis trop partie prenante, je serai donc atteint de surdité et de cécité sur certains points. Exemple de l’assistante sociale qui doit faire une enquête sur un couple qui envisage d’adopter un enfant, alors qu’elle même vient de faire une fausse couche !
La déformation professionnelle
64Quand nous isolons un aspect privilégié et connu dans la masse du réel. Quand nous ne disposons que d’un seul rôle pour traiter les diverses situations d’une vie complexe, et quand une focalisation trop technique trop formaliste ou bureaucratique dévitalise une relation dont les multiples richesses nous échappent.
Une compréhension trop intellectuelle de ce qui se dit
65Dans une conversation, nous risquons de ne retenir que l’aspect conceptuel (idée) au lieu de percevoir la totalité de la situation ou des attitudes et d’entendre tout l’arrière-plan émotionnel d’un vécu douloureux, difficile (l’écoute au niveau des mots occulte parfois les autres niveaux). Ces divers obstacles nous mènent à opérer une sélection dans le réel, à n’en saisir qu’un aspect correspondant à notre point de vue. Pour accéder au point de vue psychologique, il faut parfois s’arracher à une manière trop personnelle ou habituelle de voir, se décentrer de soi (de son point de vue), pour établir des liens, des mises en relation.
Égocentrisme et parasitisme d’une illusion de toute puissance
66Quand nous avons tendance à ramener ce que nous dit l’autre, à du connu, à du déjà expérimenté, à n’entendre chez autrui que ce qui nourrit notre propre point de vue. Quand nous voulons entraîner l’autre sur le terrain où nous nous sentons le plus sûr de nous. L’illusion que nous sommes la seule personne capable, le dernier recours pour l’aidé, ira à l’encontre de toute aide possible.
Nécessité d’une certaine orientation positive de l’attention
67Il apparaît nécessaire, pour accéder à l’écoute psychologique, de s’aider au-delà d’une connaissance du problème sur des savoirs plus informels. Par exemple l’écoutant pourra s’appuyer sur les forces vives du moi (pas seulement entendre ce qui ne va pas, mais permettre d’entendre tout ce qui va bien), et traduire en termes de ressources, de points d’appui, d’ancrage des événements des situations qui ont laissé une trace positive. Il tentera d’interpeller le sens des événements et de les baliser en termes de conséquences, d’une alternance entre phases positives ou négatives, ce qui permet de relativiser et de prendre du recul.
68En reliant les faits entre eux on leur donne un mouvement, ils s’inscrivent alors dans un ensemble, ils forment une séquence d’histoire, ils deviennent ainsi un point d’appui pour mieux entendre le réel.
Si vous ne vous occupez pas de vos besoins...
Vos besoins s’occuperont de vous.
4. L’entretien d’accompagnement de type psychopédagogique
* Ses caractéristiques et ses objectifs52
69Ce chapitre concerne plus particulièrement les éducateurs, assistants sociaux, travailleurs para-médicaux. L’entretien d’accompagnement psycho-pédagogique se déroule entre un étudiant et un formateur. Il fait partie du processus de formation dans lequel un étudiant sait qu’il aura à rendre compte, à évaluer son action, à s’inscrire dans une demande de supervision pour mieux lier son travail théorique et sa pratique (suite à un stage sur le terrain…).
70L’entretien de soutien ou d’accompagnement psychopédagogique dans sa dynamique relationnelle s’apparente beaucoup à l’entretien d’aide ; nous verrons plus loin que les variables situationnelles (situation de formation en milieu « scolaire ») imprimeront à cette dynamique des directions plus diversifiées.
71Ce qui nous paraît important de dire, c’est qu’il doit se fonder sur un choix réciproque des partenaires. Qu’il doit se répéter, c’est-à-dire, se reproduire à des fréquences régulières, connues des intéressés. Il s’inscrit donc dans une relation de durée.
72L’entretien de type psychopédagogique fait partie d’un processus de formation, et à ce titre, il est centré sur la réalisation d’un certain nombre d’objectifs. Ces objectifs peuvent s’exprimer en termes de buts à atteindre, de réalisations, ou plus simplement de sensibilisation et d’interrogations.
73Ce qui caractérise ce type d’entretien, c’est la négociation préliminaire sur la poursuite en commun d’un certain nombre d’objectifs, qui seront reconnus et acceptés comme repères ou balises du processus de formation.
74En voici quelques-uns, se rapportant à la formation des travailleurs sociaux (éducateurs spécialisés, assistants sociaux, personnel infirmier).
a) Développer la faculté d’observation autour de cinq démarches
Savoir percevoir
Observer
Noter
Décoder (donner un sens)
Rapporter des faits et proposer une analyse.
75L’interrogation et le partage portent sur la capacité à observer des comportements individuels ou de groupes.
76À partir de différentes techniques d’observation, de pouvoir élaborer une réflexion sur ses pratiques professionnelles.
b) Développer sa capacité à observer
77ce qui se passe entre :
l’étudiant et l’autre – ce peut être un enfant, un malade, un adulte en difficulté.
l’étudiant et le groupe
c) Capacité à utiliser l’observation comme méthode de travail et comme instrument de recherche.
d) Capacité à prendre des notes, vérifier et valider la compréhension des documents et des données théoriques reçues durant la formation.
78Au-delà de l’énumération des différents supports et matières qui participent à la formation du travailleur social (sociologie, psychologie, psychiatrie, pédagogie, droit, médecine générale, etc.) savoir repérer comment se fait la prise de notes et la relation (apprentissage, intégration, résistance, résonance, etc.) du formé à chacune de ces matières.
79Comment ce savoir nouveau vient-il s’ajouter, se confronter, menacer ou remplacer ses savoirs antérieurs ?53
* Favoriser l’intégration théorique-pratique
80Il s’agit là de s’interroger sur l’intégration des données et des acquisitions théoriques dans la pratique professionnelle. De savoir reconnaître et de pouvoir mettre en application les données théoriques dans l’acte professionnel.
81À partir des faits d’observation et du vécu professionnel, lui a-t-il été possible :
de rapprocher tel comportement de telle donnée théorique ?
de rattacher telle suite de comportements à des hypothèses théoriques de compréhension ?
de dépasser l’observation ponctuelle d’un événement pour le développer en étude de cas ?
d’illustrer et d’éclairer l’enseignement du Centre de Formation à l’aide d’exemples et de faits recueillis pendant l’exercice professionnel ?
de répercuter et d’exploiter des acquisitions théoriques dans la pratique professionnelle ?
* Acquérir une capacité de compréhension immédiate la plus souple possible
82En développant la capacité de compréhension immédiate du formé, lui permettre de s’actualiser plus rapidement face à une situation.
S’entraîner à reconnaître dans un comportement sa signification dynamique, à poser « un diagnostic sur le champ ».
Établir des liens, des rapprochements entre les faits observés.
Mettre en évidence le champ relationnel qui entoure une situation.
Repérer la dynamique des relations.
83Une évaluation des acquis et des compétences peut se faire à partir d’échanges directs avec les agents de formation et les formateurs, mais aussi à partir des notations sur les différents documents (bilans, études de situations).
* Observer le retentissement des conduites professionnelles
84Nous entendons par conduite professionnelle tout acte posé à l’égard d’un autre sur le terrain professionnel et qui justifie notre présence comme intervenant.
85En évaluant les effets d’une conduite ou d’une action posée dans le cadre professionnel, le formé accède à la conscience de ses responsabilités.
Signaler les effets vis-à-vis de l’autre, d’un enfant ou d’un groupe.
Découvrir l’existence de toute une gamme de conduites possibles en réponse à une situation donnée.
Justifier ce qui a fondé son choix pour telle ou telle attitude.
Relier ses conduites aux attitudes de base préconisées en formation.
Relever les effets produits par telle conduite ou par telle attitude. Apprécier les conséquences au regard des situations nouvelles produites par une action éducative...
* Mieux distinguer son rôle dans le processus de soins ou d’action thérapeutique
86En reconnaissant son propre rôle dans un processus de soins, le futur professionnel peut ainsi mieux articuler sa participation à l’ensemble d’une équipe. Cet aspect sera abordé à partir de la réalité vécue, rapportée par le formé. Peut-il percevoir ses ressources, ses difficultés et ses différents rôles en relation avec le déroulement de la formation ?
Découverte du rôle et de l’importance des attitudes relationnelles comme moyen de soins, comme moyen d’actualisation des possibilités et de dépassement des difficultés de l’autre.
Entraînement aux techniques d’intervention.
Créativité avec la mise en œuvre de moyens nouveaux et initiatives adéquates.
87L’évaluation portera sur la capacité à percevoir l’impact de son rôle dans ces différentes techniques d’intervention.
* Mettre en évidence son propre processus d’apprentissage
88Il s’agit là de s’interroger sur les moyens qui ont favorisé la découverte du processus d’apprentissage du formé.
À partir de son organisation face aux exigences de la formation (cours, travaux pratiques, recherches, etc.).
À partir de son organisation dans le temps et dans les moyens pris pour obtenir un résultat.
Par l’évaluation du niveau d’autonomie, de sécurité personnelle face à la formation et au milieu professionnel.
* Favoriser une capacité de synthèse
89En invitant à relier les faits d’observation entre eux, ainsi qu’aux cours théoriques par l’étude de cas, le formé sera amené à faire le portrait évolutionnel de la personne qu’il suit, à rédiger un tableau clinique. L’évaluation portera sur l’ensemble des liens que le formé est capable de faire à partir d’un fait ou d’un ensemble de faits. Il sera incité à s’intéresser aux problèmes liés à la recherche et aux possibilités d’approfondissement, indispensables à l’autonomie de chaque discipline54.
* Situer le rôle joué au niveau de l’équipe « soignante » (éducative, médico-sociale, soins infirmiers)
90Il s’agit là de reconnaître son propre rôle au sein de l’équipe de soins. Tout d’abord en tant que formé, impliqué dans l’action des autres professionnels et les impliquant de plus en plus par sa propre action et ses réflexions.
91Mais aussi comme intervenant à part entière, pleinement responsable d’un secteur, d’une action, d’une démarche « thérapeutique ». L’évaluation portera alors sur l’intégration, l’adaptation et la responsabilité du formé au sein d’une équipe, sur sa capacité et ses difficultés à collaborer avec d’autres adultes à une même tâche, sur l’opportunité des choix qu’il a fait face aux situations concrètes, sur la qualité de l’action proposée ou réalisée.
* Distinguer la spécificité de son rôle
92Reconnaître et accepter la spécificité de son rôle à l’intérieur d’une équipe interdisciplinaire. Les balises à proposer sont :
Acceptation de son rôle de soignant ou de travailleur social et de celui de ses collègues. Le formé a découvert sa place comme intervenant et se situe comme tel par rapport aux autres spécialistes de l’équipe médico-sociale, etc.
Interrogation sur l’image qu’il a de lui-même comme professionnel (identité professionnelle).
* Acquérir une capacité de réflexion et d’auto-critique
Découverte et acceptation de la nécessité d’une réflexion opérée par lui-même sur sa propre pratique.
Capacité à se remettre en question par rapport à ses attitudes et à ses conduites professionnelles.
Évaluation de la capacité d’auto-critique.
* Favoriser un esprit de recherche et d’approfondissement
93Repérer la capacité à être un agent de changement pour soi et pour les autres.
94Si nous nous sommes attardés plus longuement sur ce type d’entretien, c’est qu’il est pour nous la base de toute relation de formation qui suppose un accompagnement individualisé dans la durée.
95Nous pensons que toute formation aux relations humaines doit s’appuyer sur un processus de supervision et s’inscrire dans une relation spécifique qui est celle d’une rencontre régulière au cours de laquelle le supervisé « apporte » un matériel issu de son vécu de formé ou de stagiaire dans un service. Si le matériel est écrit et déjà partiellement « traité » par le formé (notation des faits et analyse personnelle sur ces faits) cela évitera que l’entretien ne dévie sur des aspects trop personnels, qu’il se « psychothérapeutise », par exemple. Il s’agit bien d’une aide psychopédagogique s’appuyant sur un vécu professionnel.
Se former pour devenir un agent de changement pour soi et pour son environnement immédiat. Avec l’espoir d’inscrire ce changement dans une évolution.
5. L’entretien dirigé ou de guidance55
96C’est un entretien dans lequel celui qui assume le rôle d’écoutant et de guidance va « diriger » de façon systématique le matériel apporté par le demandeur, en lui donnant les moyens de l’exploiter au maximum, pour en tirer un enseignement, un savoir nouveau...
97Il utilise pour cela des procédures de recentration, de focalisation, de visualisation, de projection à partir des informations et des données mises en commun et surtout à partir de l’intention exprimée par le demandeur56.
98Donnons un exemple où le demandeur exprime une peur :
« Je ne sais pas ce que j’ai, j’ai peur, je me sens mal à l’aise, peu disponible dans mon travail ».
99L’aide dirigée :
– Accepteriez-vous de dire comment vous voyez, vous sentez, cette peur ?
– C’est une boule là (elle montre son ventre)
– Comment est-elle ?
– Ronde, bleue, lisse.
– Pourriez-vous prendre un peu de temps pour la regarder, l’observer, sentir d’autres signes venant de cette boule ?
– Elle n’a pas d’odeur, elle ne bouge pas, elle est fermée.
– Accepteriez-vous de voir ce qu’il y a dedans ?
– Oui (avec émotion). Il y a deux bébés. Il y en a un qui n’a pas de place. Il est en trop (Elle pleure). Celui qui prend beaucoup de place, c’est moi, j’ai encore besoin d’être là, tout petit. Je ne peux pas partir.
– Silence
– Je comprends maintenant pourquoi je n’arrive pas à avoir un enfant, je ne m’en sens pas capable.
– Silence
– Je découvre qu’il n’y a pas de place pour lui, en moi.
100Elle parlera sans discontinuité pendant quinze minutes, pour reconnaître sa « peur d’être coincée », de se sentir trop âgée si elle attend encore pour avoir un enfant, (elle a déjà trente-six ans). Elle dira aussi sa crainte d’être « trop infantile » pour pouvoir être mère.
101Sa peur dit à la fois son conflit et sa demande.
102Celui qui dirige ce type d’entretien doit tenter de rester centré sur le demandeur, en respectant le sens de sa démarche, mais en osant faire des propositions soit verbales, soit à partir de visualisation en s’appuyant sur des objets, des dessins.
103Nous voyons que dans l’entretien dirigé s’établit un échange au cours duquel celui qui assume la rencontre va introduire une direction, un sens au matériel apporté. Dans ce genre d’entretien celui qui assume va diriger, guider la démarche du demandeur dans le sens où il va « ordonner » le discours, le mettre en œuvre, lui donner un mouvement, une dynamique, une amplification – de façon à ce que ce discours, énoncé comme un puzzle, s’articule en une figure et devienne compréhensible pour celui qui l’exprime.
104Nous pouvons illustrer ce type d’entretien par un autre exemple concret.
105Voici comment s’est exprimée cette jeune femme de trente ans au début d’un entretien. Il s’agissait d’une première rencontre. Dès les premières phrases toute son attitude indiquait combien elle était dans la situation qu’elle décrivait et peu dans la rencontre ici et maintenant.
– Il y a quelques années j’ai jeté mes parents à la poubelle et puis j’ai continué ma route toute seule.
Ce matin, en me réveillant à six heures, je vois la poubelle devant moi, elle était là sous mes yeux.
– Vous pouvez passer à côté ou aller voir ce qu’il y a dedans ?
– Je ne sais pas, mais la poubelle est là !...
– Oui, la poubelle est là...
– Je peux l’éviter encore, mais elle restera là.
– Elle semble vouloir rester là…
– J’ai quand même envie d’aller voir, ça sent trop mauvais là-dedans.
– Auriez-vous envie de vous approcher ?
– Oui.
– Pouvez-vous le faire ?
– Oui, elle est grosse cette poubelle, il y a un couvercle gris et sale.
– Pourriez vous le soulever ?
– Oui. Oh, là, là, ils sont bien coincés là-dedans, ils n’ont pas bougé. C’est vraiment moche comme ils sont....
– Oui, comment sont-ils ?
– Ils sont raides et vieux. Ils n’ont jamais rien compris. Toujours à juger, à imposer, à priver (ton de plainte). Ils n’ont rien compris. Ils risquent de mourir là, tout vieux, sans comprendre, comme des momies. Moi, je ne peux pas leur donner la vie, ils me l’ont prise. Je ne peux rien, rien (elle crie) RIEN (silence).
Mais je ne peux pas les laisser là-dedans. Cette poubelle est trop sale, elle est trop triste (elle pleure). Elle est perdue, cette poubelle, toute seule.
– Que souhaiteriez-vous faire pour eux et pour cette poubelle ?
– Les sortir, les mettre dans un endroit où ils auront moins mal.
– Je vais les accompagner un peu pour qu’ils ne se perdent pas.
– Oui, les accompagner...
– Seulement cela, les accompagner sans me mêler à eux. Ils ont leur histoire et moi la mienne.
– Et vous la vôtre...
– Oui, mon histoire à moi, c’est quand même pas une histoire de poubelle...
Elle se tait (il y aura un long silence) puis se lève –
– Ça va j’ai compris.
106Nous le sentons bien, ce genre d’entretien n’apporte pas de réponse. Il ne propose pas de solution, nous dirons plutôt qu’il ouvre des chemins. Il permet au demandeur de mieux s’orienter, de sortir de quelques répétitions, de rechercher des moyens plus adaptés pour s’engager dans un changement durable comme une psychothérapie, une formation personnelle à long terme.... Il invite surtout à prendre en charge son propre changement par l’utilisation d’une approche symbolique médiatisée par la visualisation57.
6. L’entretien médical (malade - médecin)
107Ce type d’entretien obéit à des règles informelles codifiées, précises et extrêmement tenaces58, parce que cautionnées, entretenues par les deux parties. C’est un échange où les rôles sont définis, structurés, figés à l’avance. Le malade ou patient vient se faire confirmer ou infirmer ses inquiétudes. Et pourtant le médecin et le soignant ont chacun quelque chose à entendre et à dire de l’ordre de la maladie perçue comme un langage symbolique ou métaphorique.
108Ce qui est « présenté » au médecin est un symptôme, c’est-à-dire, un langage codifié irrationnellement dans l’ordre du symbolique par le corps du malade et qui sera codifié rationnellement dans l’ordre du prévisible par le médecin.
109Et pourtant...
110Combien de maladies, de productions somatiques (kystes, affections fonctionnelles, désordres organiques) n’avons-nous pas vu « se défaire » en dehors de toutes prévisions, de tout repère épidémiologique en aval ou en amont d’une symptomatologie pourtant bien cernée. Nous croyons pour notre part, que toute maladie est un ensemble de langages symboliques, métaphoriques qui cherchent à se faire entendre, pour tenter à la fois de dire et de cacher l’indicible.
111Nous distinguerons donc dans l’entretien médical ce qui relèvera :
de la présentation de symptômes par le patient (anamnèse...) et traitement-réponse par le médecin (ordonnance).
Ce qui dépendra de la relation, c’est-à-dire, à la fois du type de communication dominant (confiance, écoute, centration sur la personne et pas seulement de la maladie...) de l’ensemble des enjeux (gains, bénéfices, prix à payer, séduction, dépendance...) qui se jouent entre patient et traitant. Il y aura aussi la façon dont le médecin pourra aider le malade à entendre ce qu’il « dit » avec sa maladie. C’est d’ailleurs une situation paradoxale, car soigner signifie le plus souvent se donner les moyens de diminuer, de supprimer le symptôme et équivaut donc dans un autre ordre à « bâillonner », à faire taire ce qui tente de se dire par la médiation d’une maladie.
112Dans ce cas, l’entretien de type médical peut proposer un chemin possible pour tenter d’entendre le lieu où se vit et où se joue l’enjeu d’un message qui ne peut se dire qu’au travers d’une souffrance, d’un dysfonctionnement ou d’une mise en maux !
113Tous les signes d’une pathologie, d’une affection, d’un trouble portés, montrés, apportés par un malade peuvent être décodés et entrer dans un tableau ou une nosographie classique et traduits en termes de maladie. Ils peuvent faire l’objet d’une réponse de type traitement-soin. Ils peuvent aussi être entendus, réinjectés dans le circuit d’un échange portant sur leur sens, leur signification, leur origine à l’intérieur d’une grille d’analyse proposée par le médecin accompagnant.
114Une invitation peut être faite au malade, de mieux percevoir et entendre au delà des causes le sens d’une mise en maux59.
Meilleure écoute (et expression) d’un conflit intra-personnel entre plusieurs désirs en lui, entre plusieurs aspirations, choix de vie, entre plusieurs cultures… .
Meilleure écoute (et expression) des situations inachevées de son histoire quand un événement structurant ne s’est pas réalisé, n’a pas abouti dans le sens des attentes, des expectatives de l’intéressé.
Meilleure écoute (et expression) d’un vécu intime, d’un non-dit autour des pertes, séparations, ruptures, abandons inscrits au cours de son enfance, de sa vie d’adulte. Nous savons aujourd’hui combien la mort, la disparition, l’éloignement d’un être cher peut s’enkyster comme une violence et ouvrir ainsi des blessures qui ne cicatriseront jamais… dont le réveil est semblable à une implosion, et se traduire par une infection, une intoxication ou même se prolonger parfois au travers de somatisations graves.
Meilleure écoute (et expression) des messages de fidélités reçus par l’intéressé, des injonctions, des missions de réparation prises par lui pour tenter de soulager les blessures cachées de ses propres géniteurs ou ascendants60.
Meilleure écoute (et expression) des symptômes de filiation (appartenance à telle ou telle lignée, parentification (prise en charge de ses propres parents considérés comme des enfants en difficulté ou en souffrance).


La maladie est la meilleure solution possible pour un individu à un moment donné de sa vie et en fonction des éléments dont il dispose.
Grindler et Bandler
Quelques écoutes possibles dans la relation soignant/soigné
Avec tous ces langages, bien au-delà des mots... le discours de maux. Ah les langages du corps qui disent souvent l’inverse du discours manifeste.
115Pour ne pas se contenter de soi-nier, le soignant (s’il ne veut pas être aussi un soi-niant) devra se donner les moyens de mieux entendre au-delà des causes, des éléments déclencheurs le sens d’une maladie.
116Le malade envoie des signaux (symptômes) qui vont permettre au médecin de déceler telle ou telle maladie. Le malade ne les envoie pas n’importe quand, ni dans n’importe quel ordre, mais bien à l’intérieur d’une chaîne de signifiants qui fera que la maladie sera dépistée (entendue), plus ou moins précocement, plus ou moins tardivement. Parallèlement, à ces signaux qui permettent l’établissement du diagnostic, le malade envoie des signaux sous forme de questions qui vont dire aussi sa relation à la maladie et sa relation au pronostic.
117Prenons un exemple. Un médecin traitant vient de diagnostiquer un cancer du poumon assez avancé. Dans un premier temps il parle au malade « d’une infection des lobes supérieurs » qui devra faire l’objet d’un traitement de longue durée. Il envoie le malade à la radiographie. Après avoir été radiographié, le malade entend, pendant qu’il se rhabille, les infirmiers qui disent à propos de ses clichés :
« En voici un qui ne va pas embêter sa femme pendant longtemps encore ».
118Il revient chez son médecin qui lui dit que les radios confirment que son infection est importante et que le traitement sera long, sans ajouter quoique ce soit d’autre sur le diagnostic.
119Au moment de partir, sur le pas de la porte le malade se retourne et murmure :
« J’ai entendu les infirmiers dire : ‘‘En voici un qui ne va pas embêter sa femme longtemps...’’ Moi, j’ai besoin de savoir la vérité. Dans mon travail on dit les choses clairement (il est garagiste), moi j’ai besoin de savoir ce que j’ai exactement ».
120Nous pouvons entendre que cet homme a besoin de savoir. Mais savoir quoi ? (se rassurer, infirmer ce qu’il sait déjà), et qu’il n’est peut-être pas prêt à entendre (qu’il est par exemple atteint par un cancer, avec toute la mythologie qui entoure ce genre de maladie...). Car il a bien entendu le pronostic brutal des infirmiers ! .
121Dans cette situation, la vérité est aussi à trois dimensions :
Au niveau d’un fait : atteinte, diagnostic, pronostic.
Au niveau d’un imaginaire, des croyances, mythologies autour de telle ou telle maladie…
Au niveau d’un retentissement (impact sur son histoire intime, sur ses relations proches...).
122En matière de communication les trois dimensions sont toujours présentes. L’erreur des cliniciens, forts de leur savoir technique, sera de privilégier la première dimension, en oubliant les deux autres qui, elles, sont chargées de tout l’émotionnel et des « représentations » personnelles du malade.
123Donc, dire ou ne pas dire la vérité est un problème mal posé qui globalise trop, qui s’appuie sur des principes et qui devrait faire l’objet de ce que nous appelons « un dialogue à miroir » qui pourrait se traduire et s’énoncer ainsi :

Du côté du malade :
« Je vais vous dire dans un langage codé ce que vous pouvez me révéler, et cela prendra du temps. Aussi je vous demanderai d’être patient (c’est le malade qui demande au médecin d’être patient !) de prendre ce temps là avec moi, en acceptant de me dire quand même ce que j’ai tellement de mal à entendre, de me le dire même si je refuse de l’entendre parce que je le sais trop, mais de me le dire avec précaution pour que je puisse l’intégrer... ».
Du côté du médecin :
« C’est à travers ses questions et ses découvertes que je vais progressivement faire entendre au malade le sens de son vécu, les liens avec la maladie qu’il porte et la place, le retentissement qu’elle a sur sa santé, dans son histoire et l’impact sur ses relations proches... ».
124Il y aura ainsi des signes qui vont s’échanger, devenir des langages, qui vont s’apprivoiser avec lesquels chacun va avancer avec l’autorisation de l’autre.
Au-delà des soins médicaux, chirurgicaux pouvoir nommer ce qui se passe et proposer des soins relationnels.
125Inviter les médecins à proposer une mise en mots du vécu du malade, de son imaginaire, des représentations qu’il a de sa maladie
126Dans un autre domaine nous conseillons souvent aux infirmiers en formation de parler aux comateux et aux opérés encore en état de réveil anesthésique. En leur disant, par exemple, tout ce qui se passe pour eux, ce qu’on leur fait et même de parler de la couleur du ciel !
« Je vous ramène maintenant dans votre chambre ».
« Votre femme vous attend, elle sera là à votre réveil ».
127ou encore :
« Je vais changer votre drap ».
« Il fait beau dehors ».
« Des amis ont apporté des fleurs ».
128Oui, parler au malade inconscient, lui donner des signes du monde extérieur et le relier ainsi à la vie. Il y a quelques décennies nous étonnions souvent le personnel infirmier quand nous leur proposions de « parler », de mettre des mots, de nommer ce qui se passait autour de celui qui était encore dans le coma. De leur dire par exemple les choses de la vie, la couleur du temps, les petits événements de l’actualité, bref de rester relié à eux par un contact verbal, par la parole et surtout par un rythme et une présence (physique, énergétique, symbolisante).
129Pour l’accompagnement des mourants, nous invitons à utiliser différents langages porteurs de symboles : objets personnels, foulard, vêtements chargés d’odeur, photos... Nous proposons de dialoguer avec la famille à partir d’événements vécus en commun : naissance, entrée à l’école, déménagements, petits accidents, souvenirs d’incidents ou de faits significatifs (mariage, décès), et de se relier ainsi au malade à travers la chaîne de sa propre histoire et cela par la médiation d’objets porteurs de sens, qu’on lui donnera à toucher, à garder, à sentir...
Comment m’entendez-vous ? Je parle de si loin, de si près de mon histoire, pourrait dire un malade.
Comment puis-je vous dire ce qui m’étreint et vous le cacher avec autant de maux et si peu de mots !
7. L’entretien éducatif familial ou social
130C’est souvent le parent, l’enseignant, l’éducateur ou le travailleur social qui le provoque, qui demande l’échange avec un enfant, un adolescent, un parent…
131Il souhaite rencontrer l’intéressé à partir d’une demande qu’il a sur lui, et le plus souvent d’un désir de changement avec le souhait d’une réponse positive à ses propres attentes. Pour un travailleur social il s’agit d’une commande (mandat de l’institution qui l’emploie, pression de l’environnement, convocation par un directeur d’école, un proviseur… )61.
132Le parent ou le travailleur social étant le demandeur ce serait donc au « client » c’est-à-dire à l’enfant d’assumer l’entretien (être à l’écoute, se décentrer, favoriser l’expression, recueillir, clarifier ‘‘le dit’’ du travailleur social ou du parent) pour tenter de mieux entendre ce que cette personne veut lui dire. C’est donc au départ un entretien paradoxal et fréquemment voué à l’échec car le demandeur se veut écoutant de quelqu’un qui lui n’a rien demandé !
133Ainsi le parent ou le travailleur social vont se transformer le plus souvent en investigateur pour celui qu’ils veulent aider (et qui ne le souhaite pas nécessairement) pour l’inviter à se dire, se dévoiler, se chercher, se trouver et accepter de changer ou de se remettre en cause !
134Entretien de provocation, de stimulation, de forçage, entretien nourricier aussi où l’on tente d’alimenter par des questions l’expression d’un qui n’a pas demandé à être là.
135L’exemple le plus classique est celui de l’enfant à qui on demandera :
« Mais qu’est-ce qui ne va pas en classe ?, »
136Du jeune en difficulté qui se verra assener des :
« Mais qu’est-ce que tu veux faire dans la vie ? »
« Est-ce que tu crois que tu peux continuer comme cela...? »
137Dans cette situation c’est bien l’adulte qui est en difficulté, démuni, impuissant, réactionnel face au comportement du jeune. C’est donc lui qui a besoin d’être aidé pour mieux comprendre ce qui le dépasse dans le comportement du jeune, lequel ne peut ni l’écouter, ni l’entendre, ni lui permettre de diminuer son angoisse puisqu’il en est à l’origine !
138Les entretiens à vocation éducative, quand ils se déroulent dans cette dynamique se fourvoient dans une impasse, ce qui irrite encore plus les adultes.
139C’est ce qui fait mieux comprendre ce cri du jeune :
« Ah ! si mes parents ne confondaient pas toujours mes désirs et mes demandes... ». Il aurait pu ajouter « ni leurs désirs avec mes attentes ! ».
140Peut-être un jour en viendra-t-on à conscientiser qu’une relation a toujours deux bouts, que chacun est responsable de son bout et donc qu’il appartient aux parents de prendre soin de leurs angoisses et de leurs désirs.
141Ainsi, si un adulte est inquiet, préoccupé par le comportement d’un enfant, peut-être osera-t-il se signifier à lui en témoignant de son inquiétude, de sa gêne, de sa préoccupation et de son propre désir de faire quelque chose pour lui même et non de demander à l’enfant de le faire... pour lui.
142Démystifier ainsi un des malentendus les plus fréquents entre un adulte et un enfant, en dénonçant que ce type d’échange est voué à l’échec. Quand un parent ou un enseignant n’ose pas, par exemple, exprimer qu’il est angoissé, en échec, impuissant face aux comportements d’un enfant (vraisemblablement en souffrance, en difficulté s’il a des conduites atypiques, dérangeantes, associales…) et qu’il demande justement à ce même enfant de changer, de s’améliorer pour que lui l’adulte soit moins angoissé, en échec ou démuni !
143Nous savons bien que la dynamique de cet échange n’est jamais conscientisée, ni exprimée comme cela et qu’on laisse croire à l’enfant que c’est pour lui, pour mieux le comprendre, pour lui permettre d’être plus heureux, que l’on fait tout cela !

8. L’entretien de clarification des perceptions mutuelles
144C’est l’un des plus difficiles à assumer, à faire progresser car ce type d’échanges touche à la fois aux projections mutuelles et aux perceptions antérieures (images-écran) que chacun a sur l’autre !
145Quand deux personnes se rencontrent, elles s’envoient un ensemble de signaux qui sont autant de langages non explicités.
146Chacun de ces signes va toucher l’une ou l’autre zone que nous appellerons :

147A. Zone de bienêtre, de satisfaction
148B. Zone de malêtre, de gêne, d’insatisfaction
149Si telle personne est particulièrement réceptive en A, elle trouvera l’autre sympathique, attirant, intéressant...
150Si par contre elle le reçoit en B, elle le trouvera antipathique, inintéressant, voire menaçant.
151Parfois ces deux zones seront sensibilisées en même temps dans une rencontre, alors la personne se sentira ambivalente, en conflit intra-personnel vis-à-vis de l’autre.
152Viennent s’ajouter les images antérieures reçues (elle a entendu parler de l’autre positivement ou négativement) ou les attentes et les peurs liées à son rôle, à la fonction qu’elle exerce, au titre qu’elle porte...
153Va ensuite se créer, sans que l’un ou l’autre en soit conscient, une image-écran (Personne-Écran = PE1 ou PE2) qui va à la fois constituer la surface d’attirance et de rejet nouant ainsi les désirs et les obstacles à la rencontre avec les personnes réelles (PR1 et PR2).
154C’est sur cette image-écran, sur cette image projective mise en avant que seront investis éventuellement les aspects transférentiels de la relation, c’est-à-dire, ceux qui nous renvoient aux images et aux personnages importants de notre propre passé.
155Parfois sur cette image-écran (PE1 ou PE2) seront aussi « visualisés » les aspects de nous-mêmes considérés comme des manques ou encore comme des parties à rejeter, à nier en nous62 ou au contraire à améliorer.
156Si bien que l’autre sera l’objet d’une séduction ou d’un rejet, d’une appropriation ou d’une lutte sans même qu’il en sente, ou en découvre l’enjeu. Cet enjeu ne dépendant pas du tout de lui.
157L’entretien de clarification va viser :
d’une part à tenter de se dire mutuellement :
« Voilà comment je vous perçois ».
« Voilà ce que cela provoque en moi ».
« Voici quels sont mes attentes, mes déceptions, mes projets avec vous... ».
et d’autre part, de démystifier, si possible, les renvois à des personnages plus ou moins menaçants ou attirants de sa propre histoire :
« Vous m’avez fait penser à ma sœur qui voulait toujours avoir raison ».
ou « à mon père qui décidait pour moi ce qui était bon ou mauvais... ».
ou « à ma mère qui n’était jamais satisfaite quoi que je fasse ».
158Cet entretien est délicat à conduire car il implique fortement l’autre (celui qui est la surface de projection) qui aura tendance à se défendre, à entretenir les projections et les investissements dont il est l’objet, qui va vouloir se justifier, se dire, s’affirmer, prendre le contrôle de l’imaginaire sur l’autre :
« Mais non, c’est insensé, je ne suis pas comme cela, la preuve, c’est que j’ai fait... ».
« Vous n’avez rien compris à ce que j’ai voulu dire... ».
159Ces entretiens sont cependant quasi indispensables dans les relations de longue durée (personnelles ou professionnelles) pour assainir et rendre possible une relation de personne à personne, pour éviter de rester enfermés dans les images-écrans qui constituent la partie visible mais non essentielle d’une personne.
160Et déjà trouver une parole pour soi-même avant de l’adresser à autrui. Cela veut dire aussi négocier avec soi avant de négocier avec l’autre.
9. L’entretien de négociation
Pour mettre au grand jour sa nuit.
Jean Cocteau

161L’entretien de négociation est une relation triphasée de communication entre :
Soi
L’autre vu souvent comme un adversaire à combattre, à convaincre ou à séduire
Le problème à résoudre et qui n’est pas perçu de la même façon par chacun.
162Tout cela à l’intérieur d’un contexte institutionnel, social, économique, politique et culturel commun, même s’il se vit avec des différences.
163L’entretien de négociation est une situation de communication/confrontation entre deux ou plusieurs personnes avec un objectif déclaré explicitement différent, voire opposé. Chacune de ces personnes investissant la situation de négociation avec des enjeux personnels implicites qui ne sont pas toujours en relation directe avec les objectifs manifestes. C’est un entretien qui vise à dégager une solution acceptable pour chacun des protagonistes. L’entretien s’inscrit toujours dans un contexte institutionnel, familial, social, économique et politique dans lequel les protagonistes ont le plus souvent un statut, des rôles distincts et des rapports de force complexes. Ces rapports de force ne sont pas toujours en relation directe avec les rôles et les statuts apparents, ils seront aussi rattachés à l’histoire de chacun et à leur passé commun, aux rumeurs, aux mythologies qui circulent à l’intérieur d’un microcosme donné...
a) Différentes fonctions de l’entretien de négociation
164L’entretien de négociation a plusieurs fonctions qui parfois vont se concurrencer.
Fonction de production. La finalité de ce type d’entretien réside essentiellement dans la possibilité de transformer de l’information et par là même une situation acquise, afin de dégager par une décision (ou un ensemble de décisions) une solution novatrice et acceptable pour chacune des parties. L’entretien a pour vocation de produire un changement, d’introduire une autre façon de voir, de faire ou d’agir ensemble ou séparément.
Fonction de facilitation. Il permet de sortir d’une situation de crise, de blocage par le dépassement d’un conflit.
165Les phases-repères qui seront à prendre en compte seront les suivantes :
déséquilibre dans une situation acquise avec l’apparition d’un élément (personne ou fait) déstabilisant
état de crise, de tensions, de malaises (menaces latentes, rumeurs)
conflit et affrontement (durcissement des positions)
préparation de la négociation en énonçant les points d’accords et les points de désaccord et dépassement du conflit (recherche de cohérence).
instauration d’une nouvelle situation, de nouveaux échanges, de nouveaux rapports de force (changement).
166Il est important de rappeler qu’une crise surgit chaque fois qu’il y a soit un dysfonctionnement (dans les rouages institutionnels, dans une production, dans une relation de durée) soit encore un déséquilibre relationnel (l’une des parties ne se sent plus reconnue, payée en retour, se sent trop exploitée).
167En terme de relation interpersonnelle une crise se prépare chaque fois qu’il n’y a plus alternance des positions d’influence (positions hautes et basses).
168La crise se transforme en conflit souvent par l’inertie des structures en place, par la routine, les habitudes prises, par le refus des parties dominantes de changer, par l’incompréhension, le non-échange et le malentendu. Le conflit peut être dépassé par la négociation. Mais pour que la négociation puisse se faire, il faudra des facilitateurs, qui seront des moyens à mettre en œuvre de façon rigoureuse et progressive.
Il s’agira de proposer, avant toute rencontre entre les parties, que chacune d’elle ait pu élaborer un projet permettant la confrontation. Nous appelons cette phase celle de l’intra-négociation (négociation interne à chaque individu ou groupe) avant celle de l’inter-négociation (négociation entre les individus et les différents groupes).
Déterminer le lieu de l’entretien afin de satisfaire les exigences minimales et les susceptibilités maximales des négociateurs.
Déterminer une méthode de travail (élargir le problème) et démystifier les fantasmes mutuels au sujet des menaces, du pouvoir supposé et des intentions cachées (et toujours négatives !) prêtées à chacun.
Rechercher la participation de celui qui est considéré comme l’adversaire.
Ne pas remettre en discussion une décision commune acquise, pour créer ainsi des points d’appui communs, utilisables par les deux parties.
Repérer la progression de la négociation (synthèses partielles, usage des tableaux, papiers...) mettant en évidence les points d’accord.
Commencer à l’heure et respecter les engagements.
Terminer à l’heure et de préférence sur un objectif atteint.
Traduire les résultats dans un document ou un écrit transmissible et compréhensible pour tous ceux qui n’ont pas participé à la négociation.
Fonction de régulation. Cette fonction est essentiellement relationnelle, elle s’appuie sur des connaissances psychologiques prenant en compte les notions de pouvoir, d’autorité, de rapports de force, d’image de soi... Cette fonction consiste à maintenir, à garder opérationnelles les conditions de production et les conditions de facilitation, pour que la négociation puisse avancer.

169En matière de négociation, la fonction de régulation ne devrait pas porter sur l’analyse du comportement des individus. Elle se doit d’utiliser au contraire un pouvoir de confirmation. Par exemple : « En maintenant votre position le résultat sera celui-là, ce qui aura pour conséquence de… », « En introduisant cette demande nous savons que nous remettons en cause la décision déjà acquise au point 1 ».
170La régulation doit porter sur la recherche de cohérence et sur la mise en évidence des conséquences de telle ou telle position affirmée ou retirée.
171La prise de conscience recherchée ne porte pas sur les personnes, mais sur une meilleure connaissance du problème à résoudre, sur les contraintes qui l’entourent et sur les ressources et les limites de chacun.
172Pour qu’une négociation se réalise dans les meilleures conditions, les trois fonctions décrites ci-dessus doivent coexister dans l’entretien, mais cela suppose également comme prémices que chacune des parties arrive dans la situation de confrontation avec un projet et non pas seulement une stratégie d’opposition ou de rejet au projet des autres. L’espace de négociation sera compris entre le projet A et le projet B. Il y aura connaissance des points d’accord minima – ce qu’il y a de commun dans chacun des projets – et des différences (voire une mise en évidence des incompatibilités). La négociation portera donc sur les différences et la façon de les reconnaître, de les traiter et de les intégrer.
b) Attitudes de base pour conduire une négociation
173Il y a toujours le risque de quelques tentations inappropriées chez le négociateur comme :
Vouloir faire d’un différend ou d’un conflit une affaire personnelle (s’identifier au problème).
Vouloir faire perdre l’adversaire, le faire échouer ou le mettre en difficulté, (au lieu de l’aider à trouver une solution optimale pour lui, qui tienne compte de ses intérêts, de ses ressources et des nôtres).
Vouloir faire passer l’enjeu de l’échec (ou de la victoire) avant la résolution du problème.
174Il est très facile de considérer l’autre comme un adversaire ou un ennemi, il est beaucoup plus difficile d’avoir de l’estime pour lui. C’est l’estime mutuelle qui fera progresser la négociation... si elle est ressentie comme vraie.
175* Voici quelques attitudes profondes nécessaires chez le négociateur :
176– Attitude de respect et de valorisation de l’adversaire :
Il est intelligent (voire très intelligent – même s’il ne le montre pas)
Il est sensible (voire très sensible), vulnérable (comme vous) ce qui ne veut pas dire fragile.
Il sait peut-être décoder ce que vous voulez cacher, il est aussi (comme vous) influencé par les messages paradoxaux, par les attitudes de non-congruence...
Il vous sera reconnaissant de ne pas l’avoir humilié, enfermé dans ses contradictions ou ses maladresses. De ne pas l’avoir acculé à des excès.
177Vous n’êtes pas obligé de renforcer le pouvoir de l’autre en lui faisant la guerre ou en créant sans arrêt des rapports de force. Vous pouvez par contre lui prêter un peu de votre pouvoir pour l’aider à se sortir d’une situation difficile. Ce n’est pas en diminuant le pouvoir de l’autre que cela vous en donne davantage !
178Si votre choix est celui d’un jeu exigeant, les attitudes de défense et d’attaque doivent être mûrement réfléchies au préalable car elles provoquent un durcissement des positions, entraînent à se fermer à des solutions possibles et peuvent aisément conduire à des impasses (il y a risque d’escalade et surtout de perdre de vue les objectifs). On « perd toujours des plumes » à long terme en faisant la guerre psychologique, en restant dur et intraitable sur ses positions, en figeant l’adversaire sur les siennes, en ayant comme objectif implicite de faire perdre totalement l’adversaire pour le mettre à terre.
Convaincre, ce n’est pas vaincre l’adversaire, c’est vaincre avec l’adversaire les difficultés à surmonter ensemble.
Mieux percevoir les attitudes profondes et les points de fixation de l’autre, considéré comme celui qui peut accepter aussi votre point de vue.
179Même dans les conflits aigus, votre adversaire veut au moins sauver la face et s’en sortir de façon honorable pour lui-même.
180Les négociateurs sont des hommes, ils ne supportent pas de tout perdre sans réagir de façon oppositionnelle ou caractérielle et parfois violente. La violence de la réaction à retardement de votre adversaire est souvent à l’image de la défaite que nous lui avons fait subir. Si à la fin de la négociation les positions de déséquilibre sont plus aiguës qu’au début, le conflit se poursuivra sous des formes plus excessives ou plus cachées.
Que tente de dire chacun au-delà des accusations réciproques qu’ils se jettent à la figure ?
Comment parvenir à un accord sans disqualifier l’un et l’autre ou lui donner le sentiment qu’il s’est fait avoir ?
d) Qualités à développer chez le négociateur
Négocier c’est imaginer, générer, inventer et proposer des solutions qui procurent un bénéfice mutuel. (On pourrait appeler cela élargir le gâteau avant de le partager).
Négocier c’est rechercher, avant la prise de décision, le maximum de solutions envisageables. Le temps où l’on cherche ensemble des solutions novatrices (qui sont apparemment farfelues ou irréalistes) n’est pas du temps perdu, il permet au contraire de dépasser les critiques, les jugements de valeur, il favorise la rencontre de personne à personne. C’est un moment de créativité et d’apprivoisement mutuel.

Négocier c’est être capable de bon sens et d’humilité. C’est pouvoir rechercher le compromis sans la compromission. C’est se sentir responsable de sa propre ouverture à la fois vers les solutions proposées par l’autre et vers les solutions à créer ensemble.
Négocier c’est se sentir responsable de l’ouverture de l’adversaire, en particulier dans les situations tendues, choisir ensemble l’espace, le temps (le territoire comme le temps est chargé de significations symboliques qui sont à respecter).
181En aidant l’adversaire à se définir, à mieux énoncer son propre projet, on lui facilite la tâche quand il devra se prononcer et adhérer à une décision acceptable par chacun.
182Nous avons ainsi quelques balises permettant de favoriser un accord judicieux, efficace et à l’amiable.
e) Méthodologie pour la conduite des entretiens de négociation
183Quelques points de repères pour une méthodologie possible de la négociation.
Traiter séparément les questions de personnes et le différend.
Identifier le plus rapidement possible les points du conflit et les zones d’intolérance de chacun.
Se concentrer sur les intérêts en jeu et non sur les positions (qui sont souvent rigides).
Clarifier ce que chacun recherche pour pouvoir l’énoncer et le mettre à plat, de façon visible pour tous les protagonistes.
Imaginer des solutions qui représentent un bénéfice mutuel, en fonction des projets énoncés.
Proposer (parfois exiger) des critères objectifs (sortir des impressions, des intentions prêtées, des suppositions...) pour évoquer les avantages ou les risques de chaque solution avancée.
Tenter de ne jamais faire perdre complètement l’adversaire, lui donner la possibilité de gagner aussi, non sur vous, mais par rapport à ses attentes et aussi à l’image qu’il a de lui-même.
Mettre toutes ses énergies pour parvenir à un accord à l’amiable qui découle d’un consensus qui se dégagera des échanges.
Ne jamais menacer ou disqualifier l’autre.
Utiliser la confirmation (reconnaissance du point de vue de l’autre) pour ne pas entretenir et produire du réactionnel.
184Nous pourrions conclure ce petit chapitre en disant que le jeu optimal d’une négociation serait d’inscrire le différend dans son contexte global, en promouvant une attitude d’ouverture réciproque et en établissant une stratégie en fonction et en relation avec les contre-stratégies possibles de l’autre. Cela pourrait s’énoncer ainsi :
Je perds en partie mais j’ai autant que possible poursuivi et maintenu mes objectifs sur ce qui m’est essentiel, en respectant mon système de valeurs. Je gagne sur une autre partie qui me permet d’avancer vers d’autres projets qui ne concernaient pas directement la négociation. L’autre, l’adversaire gagne en partie, obtient des satisfactions dans des domaines vitaux pour lui. Il perd sur cette autre partie, désagrément, déceptions sur des enjeux moins vitaux. Il est souhaitable que l’adversaire ait pu, autant que possible, poursuivre et maintenir ses objectifs sur ce qui lui était essentiel en fonction de son propre système de valeurs.
185Les entretiens de négociation sont des échanges où la notion de respect, de ténacité, de fermeté et d’humilité doivent cohabiter avec beaucoup de lucidité et de réalisme. Il ne faudra pas craindre de passer du temps à susciter des échanges informels pour créer les conditions porteuses d’un partage et d’un affrontement qui ne soit pas destructeur, afin que se dépassent les conflits.
Dans le contact avec l’autre on est toujours deux. Si l’autre vous cherche ce n’est pas souvent pour vous trouver, mais pour se trouver lui-même. Et ce que vous cherchez chez l’autre c’est encore un peu de vous.
« L’éloge de la fuite », Henri Laborit
Notes de bas de page
46 Les conduites manipulatrices deviennent dans les relations de longue durée, de véritables systèmes relationnels qui piègent comme par avance toute tentative de changement. On le voit, par exemple, dans certaines relations mère-fille. Une mère demandera au téléphone un conseil à sa fille sur tel ou tel problème (aménagement, vacances, réception) et dès que la fille commencera à proposer une aide, celle-ci sera acceptée, avec des tas de conditions adjuvantes (dans lesquelles la fille dépensera une énergie folle) puis l’aide sera rejetée, disqualifiée, une autre solution totalement extérieure sera choisie. La fille sort de cet échange avec un sentiment renforcé d’inutilité, d’inexistence.
47 Être objectif en ce domaine, c’est savoir que l’on est toujours subjectif !
48 Nous pensons en particulier aux attitudes de recadrage, de déconditionnement en miroir – quand l’autre veut nous faire jouer un rôle qui lui permet de garder la maîtrise de l’échange… et de ne pas changer.
49 Cette position de demandeur n’est pas toujours reconnue, avouée ou affirmée par le demandeur.
50 Nous utilisons pour la phase trois ce que nous appelons le « secrétariat opérationnel ». Une façon de prendre des notes sous forme de schémas, de mise en relation des différents points énoncés dans l’échange.
51 Il existe beaucoup de grilles de décodage permettant de donner un sens ou de relier des signifiants entre eux. Ce qui domine aujourd’hui c’est le courant psychanalytique qui dans certains milieux, constitue un véritable impérialisme où il s’exerce parfois de façon terroriste. Il y a aussi tous les courants issus de la psychologie humaniste dont l’approche systémique et interéactionniste nous paraît très intéressante pour comprendre au-delà des personnes, la relation entre les individus.
52 Il s’agit là des entretiens individuels qui ont lieu en situation de formation entre un formateur et un étudiant. C’est le cas, par exemple, des travailleurs sociaux, des travailleurs en soins infirmiers.
53 Toute situation de formation devrait intégrer comment se fait (ou se défait) cette rencontre des savoirs.
54 Jusqu’à ces dernières années les travailleurs sociaux manquaient souvent de rigueur dans les tentatives de conceptualisation de leurs pratiques.
55 Le mot guidance me paraît être porteur d’une dimension dynamique. Cela ne consiste pas à guider mais à accompagner au plus près, à amplifier, à canaliser le discours de son vis-à-vis pour lui permettre de mieux trouver son chemin.
56 Ce type d’entretien s’appuie sur des approches de type Gestalt.
57 Voir l’ouvrage extrêmement passionnant de Anne Ancelin-Schützenberger, « Vouloir Guérir », Éd. Ères-La Méridienne, 1985.
58 Il est d’ailleurs étonnant de constater que les médecins – dont la formation est de type autarcique – n’ont pas de formation réelle à l’entretien, alors que c’est leur outil de travail essentiel. Les « modèles » reçus sont les entretiens pratiqués dans les consultations hospitalières qui n’ont aucun rapport avec l’entretien de cabinet ou la consultation de ville (à domicile).
59 Voir Les Mémoires de l’oubli. J. Salomé/S. Galland, Éd. Jouvence, 1989.
60 Voir tous les travaux autour de la psycho-généalogie (Anne Ancelin-Schutzenberger) de la communication transgénérationnelle et des secrets de famille (Serge Tisseron).
61 Quand un professeur, un enseignant convoque des parents pour leur parler de l’enfant « qui ne travaille pas assez, qui ne suit pas, qui provoque des problèmes en classe… ».
Qui est réellement en difficulté ?
Qui vit mal la situation ?
Qui aurait besoin d’être aidé, entendu ?
62 Le bon ou le mauvais objet intériorisé qui se trouve ainsi projeté sur l’autre… et traité comme nous appartenant encore.
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