L’éducation d’un regard, ou les différents modes d’appréciation de l’art de la gravure vers 1700
p. 289-297
Texte intégral
1L’importance de la gravure, et plus particulièrement de la gravure d’interprétation, dans la diffusion et la réception des œuvres d’art à l’époque moderne n’est aujourd’hui plus à démontrer. De nombreux travaux ont souligné en effet le rôle prépondérant qu’a joué cette technique dans la culture visuelle durant cette période, à l’instar de celui tenu par la photographie à partir du milieu du XIXe siècle1. Toutefois, il reste souvent difficile de dépasser, hormis dans quelques cas particuliers, cette considération générale à propos de cet art du multiple pour comprendre la fonction qui lui fut assignée aux XVIIe et XVIIIe siècles. Dans le cadre de ce colloque consacré à l’estampe « objet du multiple à la portée de tous », nous avons souhaité réfléchir, à travers la présentation de l’Abrégé de la vie des peintres de Roger de Piles et du Cabinet des singularitez d’architecture, peinture, sculpture et gravure de Florent Le Comte, publiés tous deux en 1699, sur la place qu’occupa la gravure en France dans l’appréciation artistique à la fin du XVIIe siècle. L’analyse de ces deux ouvrages, forts différents dans leurs conceptions et dans leurs buts, permettra ainsi de mettre en évidence les mutations qui, à partir de cette période, assignèrent à l’estampe un statut double, celui d’objet multiple et celui d’œuvre d’art, et donc, par conséquent, un double regard.
Piles et l’Abrégé de la vie des peintres
2Lorsqu’il publia, au mois d’avril 1699, l’Abrégé de la vie des peintres, Roger de Piles était loin d’être un inconnu. Il venait d’entrer, trois mois plus tôt, à l’Académie royale de peinture et de sculpture comme conseiller amateur, et s’apprêtait ainsi, après avoir longtemps combattu les idées de cette institution, à fonder les bases de ce qui allait devenir la doctrine artistique dominante du XVIIIe siècle. Dans cette perspective, l’Abrégé de la vie des peintres tient une place singulière dans la carrière de Piles : il constitue en quelque sorte le lien évident entre ses premiers écrits polémiques, comme les Conversations sur la peinture, dans lesquels il voulait prouver la spécificité du coloris face au primat du dessin, et son Cours de peinture par principes qui, reprenant les conférences prononcées à l’Académie royale entre 1700 et 1707, est une synthèse plus consensuelle de ses théories artistiques.
3L’Abrégé se présente à la fois comme un court essai théorique et une brève histoire de la peinture et de ses différentes écoles. Comme Piles le précise dans la préface, son ouvrage est une recension et un résumé de tous les principaux auteurs modernes (Félibien, Sandrart), afin d’aider les « curieux qui n’ont pas beaucoup de temps à donner à une lecture de plaisir, ou qui, ayant déjà lu les originaux, seront bien aises qu’on leur en rafraîchisse la mémoire ». Revendiquant une certaine subjectivité de goût dans ses appréciations, il fait de son premier chapitre, nommé l’Idée du peintre parfait, une sorte de clef de lecture pour comprendre ses jugements. L’Idée du peintre parfait fut rapidement considérée comme un ouvrage autonome, plusieurs fois réédité durant le XVIIIe siècle, et traduit en anglais dès 1706 ; il fut même publié à la suite des Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellents peintres d’André Félibien en 1725, créant parfois une confusion sur son auteur. Ceci témoigne de son succès, mais également de l’importance de cet ouvrage dans la théorie artistique de cette période.
4L’Idée du peintre parfait est une introduction aux autres parties de l’Abrégé, et en constitue le support théorique : ce court traité divisé en trente-trois petits chapitres doit, comme le précise le sous titre, « servir de règle aux jugements que l’on doit porter aux ouvrages des peintres »2 et ainsi aider le curieux et l’amateur à fonder leur goût d’une manière raisonnée. Après avoir défini différentes notions, comme celles de « génie », « nature », et « art », et avoir évoqué d’une manière synthétique un certain nombre de questions importantes concernant l’art du peintre d’histoire, de ses fins et de ses moyens, Piles termine cette première partie en consacrant trois chapitres aux dessins, aux estampes et à leurs usages, et enfin à la connaissance des tableaux. Ainsi remarque-t-il que les dessins, qu’il définit comme des « pensées que les peintres expriment ordinairement sur du papier (...), marquent davantage [que les tableaux] le génie du peintre et font voir si son génie est vif et pesant »3 ; les estampes permettent à chacun « de rafraîchir sa mémoire et fortifier ses connaissances, suivant l’inclination qu’il a pour les choses de son goût et de sa profession »4 ; enfin, la connaissance des tableaux, qui nécessite du génie de la part du bon connaisseur, « autant que du bon peintre »5, permet de juger de la qualité artistique d’une œuvre, de connaître le nom de l’auteur et de distinguer un tableau original d’une copie.
5Les trois derniers chapitres de l’Idée du peintre parfait analysent donc, non plus les qualités et les règles artistiques de la peinture, mais les conditions de sa réception. Les estampes, comme les dessins et les tableaux, constituent pour Piles un élément nécessaire et indispensable dans la connaissance et l’appréciation de la peinture. Ainsi, l’auteur après avoir brièvement fait l’historique de la gravure depuis son invention, évoque plus longuement des différents usages possibles de cet art, qu’il considère être celui de la mémoire par excellence. Il n’y a en effet, selon Piles, « personne de quelque état et de quelque profession qu’il soit qui n’en puisse tirer une grande utilité ; les théologiens, les religieux, les gens dévots, les philosophes, les hommes de guerre, les voyageurs, les géographes, les peintres, les sculpteurs, les architectes, les graveurs, les curieux de l’histoire et de l’Antique, et enfin ceux, qui n’ayant point pour profession particulière que celle d’être honnêtes gens, veulent orner leur esprit des connaissances qui peuvent les rendre plus admirables »6. Piles énumère ensuite les usages et avantages particuliers que chacune des différentes professions retire des estampes ; évoquant en dernier le cas des honnêtes gens qui « veulent se former le goût aux bonnes choses, et avoir une teinture raisonnable des beaux arts »7, il montre ainsi les liens indissociables entre la gravure et la connaissance de la peinture : « la vue des estampes les instruira promptement et agréablement de tout ce qui peut exercer la raison, et fortifier le jugement »8. De même, « elles leur apprendront les diverses manières dans la peinture et, ainsi, ils en jugeront par la facilité qu’il y a de feuilleter quelques papiers, et de comparer ainsi les productions d’un maître avec celles d’un autre »9. Cet usage n’est pas négligeable puisque, comme le précise Piles, « il est presque impossible d’amasser en un même lieu des tableaux des meilleurs peintres dans une quantité suffisante, pour se former une idée complète sur l’ouvrage de chaque maître ». Ainsi, conclut-il en affirmant que, par le moyen des estampes, on peut « voir sans peine les ouvrages des différents maîtres, en former une idée, en juger par comparaison, et contracter par cette pratique une habitude du bon goût et des bonnes manières, surtout si cela est fait en présence de quelque personne qui ait du discernement dans ces sortes de choses, et qui en sache distinguer le bon d’avec le médiocre »10.
6Ainsi donc les estampes étaient considérées par Piles comme un outil indispensable qui, se substituant avantageusement aux peintures dans un cabinet, offrait la possibilité d’acquérir à la fois les connaissances nécessaires à l’appréciation des œuvres d’art et ce que l’on a nommé au XVIIIe siècle un goût par comparaison.
Florent Le Comte et le Cabinet des singularités
7À l’instar de l’Abrégé de la vie des peintres, les trois tomes de Cabinet des singularités d’architecture, peinture, sculpture et gravure de Florent Le Comte, dont les deux premiers furent publiés en 1699 et le dernier l’année suivante, constituent également une sorte d’abrégé de la peinture et semblent s’inscrire dans la même perspective. Le long sous-titre de cet ouvrage, Introduction à la connaissance des plus beaux arts, figurés sous les tableaux, les statues et les estampes, et les intentions exprimées par Le Comte dans sa préface en témoignent également. Il y affirme, en effet, avoir voulu expliquer le plus nettement possible « la naissance, le progrès et la consommation des arts » et, « par le parallèle des plus grandes choses avec celles qui n’ont que de la médiocrité, donner la connaissance du bon et du mauvais goût sur les sentiments généraux que l’on eut de ces sortes d’ouvrages, avec les moyens d’en profiter »11. Tout comme Piles dans la préface déjà citée de l’Abrégé, Le Comte souhaite donc que son ouvrage serve « à exciter la curiosité de ceux qui s’attachent volontiers à la considération et au dénouement des plus excellentes choses lorsque, sans une recherche de plusieurs années, ils pourront en un moment connaître ce qui leur manque dans ce qu’ils possèdent ». Le Cabinet des singularités est ainsi présenté comme « une lecture utile aux curieux, rompant toutes les difficultés qui souvent embarrassent les véritables amateurs de ces sortes de science, dans la crainte qu’ils ont de n’en point posséder la connaissance »12.
8Si les intentions de Piles et de Le Comte peuvent être comparables, leurs ouvrages comportent toutefois des différences importantes : le plan de l’Abrégé suit une présentation historique traditionnelle, tandis que celui du Cabinet est bien plus complexe, répondant à des préoccupations multiples. Chacun des trois tomes est en effet divisé en deux parties distinctes, la première contenant des discours théoriques et des développements historiques sur la peinture ou la gravure, tandis que la seconde, comportant une pagination séparée, est consacrée à différents catalogues d’estampes.
9Le premier tome contient, dans sa première partie, une introduction historique sur l’architecture française depuis François 1er, un abrégé historique des principaux peintres et sculpteurs de l’Antiquité et de la Renaissance italienne, et enfin un développement particulier sur l’art de la gravure ; la seconde partie renferme, quant à elle, les catalogues d’estampes du cabinet du roi, de la collection de tableaux du prince Léopold Ier, des tableaux des Mays de Notre-Dame, de la galerie peinte par Vouet au Palais-Royal, et, pour finir, les œuvres gravés de Marot, Van der Meulen, Rubens, Van Dyck, des Carrache et de Nanteuil.
10Le second tome regroupe, d’une part, la suite de l’abrégé historique, abordant les artistes des écoles italiennes et flamandes des quinzième, seizième et dix-septième siècles, et, séparés, les catalogues de Mellan, Tempesta, Callot et Della Bella.
11Le troisième tome, publié en 1700, se divise également en deux parties distinctes : la première est consacrée à l’école française, et contient notamment les vies assez détaillées du Poussin, de Le Brun et de Mignard. Le Comte y a joint une liste de nombreux peintres étrangers et provinciaux, le compte-rendu du Salon organisé par l’Académie royale de peinture en 1699, et enfin le catalogue des portraits gravés des Sadeler. La seconde partie contient une dissertation sur l’histoire de la gravure et des graveurs italiens, allemands, flamands et français, et les œuvres gravés de Le Brun et de Raphaël.
12Le Cabinet des Singularitez apparaît souvent aujourd’hui complexe et déroutant, en raison du mélange, à l’intérieur du même ouvrage, de longs développements théoriques et historiques sur la peinture et la gravure, et de nombreux catalogues d’estampes d’après des grandes collections, des peintres ou des graveurs. Il mêle en effet un double registre, celui du discours et de la critique artistique, et celui, plus prosaïque, emprunté aux pratiques commerciales. Florent Le Comte a en effet cherché à combiner ces deux préoccupations. Ainsi, après avoir longuement évoqué la vie et les principaux ouvrages de Raphaël au début du second tome, il annonce au lecteur : « à la fin de son troisième volume, je me réserve à parler plus amplement de ce maître fameux dans le catalogue que je donnerai, où je particulariserai tout ce qui a été gravé d’après lui »13. On trouve en effet, à la fin du troisième tome, un long catalogue de l’œuvre de Raphaël par graveurs et par sujets (portraits, sujets de dévotion, sujets profanes, …). De même, parallèlement aux chapitres consacrés aux vies du Poussin et de Le Brun, Le Comte a également inséré les catalogues des estampes gravées d’après ces deux peintres. Cette pratique n’était certes pas totalement inédite. En 1645 déjà, le graveur et marchand d’estampes Pierre Daret avait publié la première traduction française de la vie de Raphaël par Vasari, à laquelle il avait joint un catalogue des estampes gravées d’après les œuvres de ce peintre14. Ce genre de catalogue d’œuvres gravés va devenir un élément courant, voire indispensable, des pratiques commerciales à partir de la première moitié du XVIIIe siècle, à l’instar de celles développées et systématisées par Edme Gersaint dans les années 1730, puis par Hecquet, Helle et Glomy dans les années 1750, comme l’ont montré les travaux de Kristoff Pommian, Patrick Michel et Guillaume Glorieux15.
13Florent Le Comte, qui se déclare dans la page de titre « sculpteur et peintre à Paris rue Saint Jacques, proche de la fontaine Saint Benoît au Chiffre royal »16, fut probablement marchand d’estampes. Il inséra d’ailleurs, dans le troisième tome, un avertissement dans lequel il indique qu’« il fait et vend des bordures de toutes les grandeurs, ovales, rondes, dorées ou non, garnies de leurs tableaux ou séparément, il colle généralement ce qui concerne la peinture, la sculpture et la dorure. Il achète, vend ou échange des estampes, desseins, tableaux, et autres curiosités »17. De plus, il précise également, dans le catalogue de l’œuvre de Della Bella, qu’il commercialise un livre dont les planches, en sa possession, furent exécutées par le graveur italien. On peut donc supposer que les catalogues d’œuvres gravés, placés à la fin de chaque tome, aient été rédigés avec une intention mercantile, comme cela se fera à partir de la première moitié du XVIIIe siècle à l’instar de Gersaint et de Hecquet.
14Mais si la perspective commerciale de l’ouvrage de Le Comte ne doit être écartée, on ne peut cependant en faire l’unique but et le seul mode de lecture de l’ouvrage. En effet, en bon marchand, Le Comte ne se contente de présenter au lecteur un simple recueil de catalogues, mais montre combien ils peuvent être des supports utiles à l’appréciation de l’histoire des arts du dessin, et plus particulièrement de la gravure, à laquelle il porte un intérêt particulier.
15Dès le premier tome de son ouvrage, Le Comte consacre plusieurs pages à la gravure d’interprétation pour en présenter à la fois les principes et les fins au public de quelques sentiments des graveurs mêmes de l’Académie18 : art du dessin, son but premier est celui de parvenir à une imitation, par ce moyen, de la peinture et du dessin et exige donc du graveur une parfaite formation d’après l’Antique, le modèle et les tableaux. Le graveur doit ainsi, lorsqu’il s’agit des tableaux des grands maîtres, s’assujettir le plus possible « se conformer à la manière des ouvrages qu’il veut imiter »19. Après avoir précisé les principes généraux, Le Comte poursuit sa présentation de l’art de la gravure en évoquant les questions techniques liées à cet art, notamment sur la qualité du cuivre utilisé pour la plaque, la manière dont il faut le préparer, ou encore le choix des burins. Il consacre ensuite un long développement à la conduite des tailles et à la manière particulière de rendre en gravure les cheveux, les sculptures, les étoffes, les métaux, les architectures, le paysage, les eaux, les rochers et les nuages, en mentionnant quelques exemples de graveurs dont le travail est à suivre. Il aborde ensuite la technique de l’eau-forte en soulignant sa particularité et son rôle dans la gravure d’interprétation, suivant en cela la pratique répandue dans les ateliers des graveurs français. Ces considérations techniques sur l’art de la gravure sont importantes, car elles montrent combien le discours sur les techniques a largement conditionné son appréciation artistique. Elles seront d’ailleurs reprises dans la plupart des écrits sur la gravure au XVIIIe siècle, à l’instar de Charles Nicolas Cochin qui, dans la réédition de 1745 du Traité des manières de graver en taille-douce d’Abraham Bosse, reprend in extenso certains passages du texte de Florent Le Comte20.
16À la fin de ce chapitre consacré à l’art de la gravure, Le Comte évoque la question du public, en remarquant qu’« à présent, tous sont généralement frappés de cette noble envie » de faire une collection d’estampes, et que « personne n’échappe au désir d’apprendre et d’admirer »21. Tout comme Piles, il constate que l’estampe est un instrument de connaissance :
Tous ceux qui peuvent faire des recueils le font avec plaisir, parce que sans se fatiguer l’esprit, ils se donnent une connaissance d’Histoire sainte et profane, ou de tous les arts libéraux ou mécaniques. Ceux qui aiment les portraits avec attache, voient revivre avec plaisir les morts et les absents22.
17Il distingue cependant trois catégories, ou états, d’amateurs et curieux d’estampes : le grand curieux, « qui peut avoir du plaisir sans se soucier du prix, ne saurait être trop difficile dans la recherche de belles épreuves, des véritables originaux, et de la belle impression », car il y a là « de la différence du tout au tout dans la même pièce, suivant qu’elle est conditionnée »23. « Ceux qui se ménagent, parmi lesquels on en trouve qui professent les arts, et qui en ont une parfaite connaissance. Ces personnes aspirent volontiers à se faire un amas des plus belles estampes, mais ils se mettent peu en peine de l’impression et de la propreté, pourvu qu’ils y trouvent l’expression du burin sans altération, afin de pouvoir prendre d’après, ce qui leur est nécessaire. Quant au troisième ordre, ce sont ceux qui n’ayant besoin des estampes que pour embellir des appartements, cherchent de les avoir dans leur caractère naturel, mais sans se soucier si ce sont des originaux ou non ».
18Cette distinction faite par Florent Le Comte reflète l’émergence à la fin du XVIe siècle de deux autres types de public, à côté du grand curieux qui collectionne les estampes : celui des amateurs et celui qui considère l’estampe comme un objet de consommation artistique. Ces deux publics auront chacun leur importance au XVIIIe siècle : le second, celui qui accroche les estampes au mur pour décorer et orner les appartements, était probablement également avide de nouveauté et d’estampes à la mode. Le premier, en revanche, qui « aspirent volontiers à faire un amas des plus belles estampes », est celui des honnêtes gens déjà évoqué par Piles dans l’Idée du peintre parfait. Voici comment les deux auteurs, avec sans doute des intentions quelque peu différentes, mettent en évidence l’émergence d’un nouveau public pour qui l’estampe a eu une double valeur artistique, celle de l’objet en lui-même et celle de l’image du sujet reproduit. Mais, à la différence de Piles, pour qui l’estampe est avant tout un objet de mémoire et de connaissances, Le Comte accorde à cet art une place et un statut à part entière, comme le prouve le long développement qu’il lui consacra. Celui-ci sera d’ailleurs repris, parfois même in extenso, jusqu’au début du XIXe siècle, alors même que les pratiques artistiques avaient complètement changées.
19Pour comprendre combien l’influence de Le Comte, comme celle de Piles, fut importante au XVIIIe siècle, on se contentera ici uniquement de citer Diderot qui, dans sa critique du salon de 1765, donnait ses « petites idées » sur la gravure :
Il y a un moyen de se connaître assez promptement en gravure, c’est de se composer un portefeuille d’estampes choisies pour cette étude : et ne croyez pas qu’il en fallût beaucoup, le seul Portrait du maréchal d’Harcourt, qu’on appelle le Cadet à la perle, vous apprendrait comment on traîte la plume, la chair, les cheveux, le buffle, la soie, la broderie, le linge, le drap, le métal et le bois. Ce morceau est de Masson et il est d’un burin hardi. Ajoutez-y les Pèlerins d’Emmaüs, qu’on appelle la Nappe, ramassez quelques morceaux d’Edelinck, de Visscher, de Gérard Audran ; n’omettez pas surtout la Vérité portée par le Temps de ce dernier. Ayez pour les petits sujets quelques estampes de Callot et de La Belle, ce dernier est riche et chaud, et puis exercez vos yeux24.
20Sans nul doute la gravure fut considérée par Diderot comme un art mineur face à celui de la peinture, où seuls les chefs-d’œuvre de la gravure, et plus particulièrement ceux de l’école française, occupaient la première place en raison de leur virtuosité technique et artistique. Le critique reprenait là une idée courante dans les années 1760, mais ses arguments se trouvaient déjà exprimées au début du XVIIIe siècle.
Notes de bas de page
1 Nous renvoyons ici aux analyses de S. Lambert, The image multiplied : five centuries of printed reproductions of paintings and drawings, Londres, 1987 et de W. B. Mac Gregor, « The authority of Prints : an early modern perspective », Art History, 22, 1999, p. 389-420.
2 R. de Piles, Abrégé de la vie des peintres, Paris, 1699, p. 1.
3 Ibid., p. 66.
4 Ibid., p. 78-79.
5 Ibid., p. 99.
6 Ibid., p. 78.
7 Ibid., p. 82.
8 Ibid.
9 Ibid., p. 83.
10 Ibid.
11 Fl. Le Comte, Cabinet des singularitez d’architecture, peinture, sculpture et gravure, Paris, 1699, t. I, préface non paginée.
12 Ibid.
13 Fl. Le Comte, Cabinet des singularitez d’architecture, peinture, sculpture et gravure, Paris, 1700, t. II, p. 65.
14 Voir notamment l’article d’A. Schnapper, « Raphaël, Vasari, Pierre Daret : à l’aube des catalogues », « Il se rendit en Italie » : études offertes à André Chastel, Rome, 1987, p. 235-241.
15 K. Pomian, Collectionneurs, amateurs et curieux. Paris-Venise XVIe-XVIIIe siècles, Paris, 1987 ; P. Michel, « Quelques aspects du marché de l’art à Paris dans la 2e moitié du XVIIIe siècle : collectionneurs, ventes publiques et marchands », dans M. North (éd.), Kunstsammeln und Geschmack im 18. Jahrhundert, Berlin, 2002, p. 25-46 ; G. Glorieux, À l’enseigne de Gersaint. Edme-François Gersaint, marchand d’art sur le pont Notre-Dame, Seyssel, 2002.
16 Cette indication est précisée sur la page de titre des trois tomes.
17 Fl. Le Comte, Cabinet des singularitez d’architecture, peinture, sculpture et gravure, Paris, 1700, t. III, avertissement non paginé.
18 Le Comte, Op. cit. (note 11), p. 138-158.
19 Ibid., p. 140.
20 A. Bosse, Traité de manière de graver à l’eau-forte et au burin, Paris, 1745, p. 106-116.
21 Fl. Le Comte, Op. cit. (note 11), p. 159.
22 Ibid.
23 Ibid., p. 160.
24 D. Diderot, Salon de 1765, Paris, 1984, p. 313. On se reportera notamment aux analyses de Ch. Michel, « Diderot et la gravure », dans cat. expo. Diderot et l’Art de Boucher à David, Paris, Hôtel de la Monnaie, 1984, p. 484-492.
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