Quelques milliers d’estampes à découvrir : la collection du musée des Beaux-Arts de Nancy
p. 243-258
Remerciements
Je tiens à remercier très chaleureusement trois personnes dont les connaissances et les recherches m’ont permis d’enrichir cette présentation, Céline Paul, Michèle Leinen et Sandrine Herman. Qu’elles trouvent ici l’expression de mon amitié et de ma reconnaissance. Sans oublier Maxime Préaud pour ses encouragements, ses conseils et son amicale présence.
Texte intégral
1La collection d’estampes du musée des Beaux-Arts de Nancy a connu une histoire mouvementée, et l’évolution de ce fonds, désormais important (environ 17 000 estampes au sein de quelque 23 000 œuvres graphiques), a été tant le fait de l’histoire que d’achats et de générosités. Constitué à l’origine de la création de l’établissement en 1793, le fonds graphique du musée, d’abord essentiellement centré sur le dessin mais présentant peu d’historiques prestigieux (point de Mariette ici, seulement quelques marques éparses, dont un ensemble de dessins provenant de la collection Chennevières) a peu à peu accueilli au fil des décennies quelques ensembles remarquables dans le domaine de l’estampe, confortant Nancy comme lieu de recherches et de découvertes.
Le premier fonds d’estampes du musée
2Le premier fonds d’estampes est lié aux saisies révolutionnaires opérées chez les Émigrés en 1792. La connaissance que nous en avons aujourd’hui doit beaucoup aux deux artisans des premiers inventaires dressés à Nancy, le peintre Joseph Laurent (1757-1826), premier conservateur du musée, et le notaire Jean-Baptiste Chargoit, homme de confiance du prince de Salm, qui manifestèrent un grand souci de rigueur dans les mentions accompagnant les gravures, en précisant notamment l’état de conservation des pièces ou une estimation de leur valeur marchande. Chargés de déterminer les œuvres dignes de figurer au musée pour leur vertu d’art et d’instruction, Laurent et Chargoit établirent, le 4 décembre 1793, une première liste administrative distinguant les estampes « qui doivent être conservées comme monument d’art » et « celles qui doivent être vendues ». Il s’agit d’un inventaire sommaire1 où sont répertoriées 43 estampes provenant de quatre collections (Chamisso, Servant, d’Ubexi et Cheville) ; mais seules 30 parmi elles furent estimées intéressantes pour le musée, les 13 gravures de la collection Cheville étant dès l’origine promises à la vente. Cette liste préliminaire témoigne du goût des amateurs et des valeurs esthétiques en cours, avec une primauté accordée aux gravures de traduction. Tous les genres sont représentés, de l’Histoire aux scènes de genre, avec une présence importante du paysage, sous forme de ruines et de vues topographiques, vues de port d’après Joseph Vernet, paysage gravé par Le Bas d’après Claude, vues de Rome et de ruines d’après Pannini. Les sujets de genre sont également appréciés, avec notamment quatre estampes d’après Greuze (Le paralytique secouru par ses enfants, La Dame bienfaisante, L’Accordée de village et La Malédiction paternelle), deux scènes de « conversation » anglaises, et une gravure d’après Wouverman évoquant les plaisirs cynégétiques. On trouve également des estampes aux sujets bibliques ou historiques, d’après Antoine Coypel (Le Sacrifice d’Isaac), Jean-Baptiste Santerre, Nicolas Poussin ou Pierre de Cortone… et trois estampes gravées par Gaspard Duchange d’après Corrège. Les 13 estampes écartées, toutes issues du fonds Cheville, révèlent quant à elles les mutations de la sensibilité. Les œuvres visées sont toutes à contenu peu édifiant, dont les sujets, passés de mode, justifient la faible estimation marchande. Les choix de Laurent étaient probablement dictés également par la valeur pédagogique des gravures, qu’il utilisait notamment pour la formation des élèves de l’École de dessin alors attenante au musée, et dont il avait également la charge. On ne sait rien cependant de la présentation des estampes dans le parcours du musée, qui était alors abrité dans la chapelle de la Visitation à Nancy.
3Dans le catalogue du musée du 20 décembre 17932 figurent donc 30 estampes, auxquelles s’ajoutent deux « Portraits de Louis XIV et de Louis XV » gravés par Drevet d’après Rigaud, provenant de la saisie Marcol. Néanmoins, un inventaire un peu plus tardif, daté du 30 mai 1794, révèle un fonds beaucoup plus conséquent, avec neuf collections désormais consignées (Du Montet, Cheville, Servant, d’Ubexi, Viomenil, Choisy, Marcol, Hofflize et Chamisso). La plus intéressante est sans conteste le fonds Du Montet, avec 36 numéros, qui témoigne d’une prédilection pour les scènes d’esprit rocaille conjuguée à un goût néo-classique fortement affirmé : dix estampes d’après Boucher, une d’après Patel, deux d’après Fragonard, qui côtoient sept académies, 37 têtes d’expression d’après Le Brun, et des gravures d’après Pierre, Doyen ou Suvée. Onze numéros concernent par ailleurs la collection Viomenil, où figurent notamment deux gravures anglaises et deux estampes d’après Angelica Kauffmann.
4L’État des tableaux et estampes qui composent le musée de Nancy, en 1807, mentionne quant à lui « cent trente gravures environ », sans autre indication, ce qui semble prouver que le nombre précis des estampes n’est plus connu du conservateur, cette information imprécise étant d’ailleurs reprise dans tous les documents ultérieurs. En 1807 cependant, les gravures semblent exposées dans une « galerie » (il faut rappeler que les gravures provenant pour la plupart de saisies étaient encadrées et aisément présentables). Néanmoins, les estampes ne suscitent visiblement qu’un intérêt relatif, faisant dire à Desmarets, président de la Commission du musée en 1827 : « La plus grande partie de ces gravures restées jusqu’à présent entassées dans un recoin obscur du Musée, tant elles sont peu dignes d’être exposées au grand jour, ne sont plus connues que du conservateur »3. Aucune acquisition n’avait d’ailleurs enrichi le fonds d’art graphique depuis 1794, et le jugement de Desmarets devait justifier la vente de la plupart des gravures en 1827.
5Après 1807, la correspondance des membres de la commission du musée pallie en effet le silence des inventaires : les lettres révèlent la volonté de se dessaisir d’une collection dite « embarrassante pour l’établissement »4. Les raisons de cette vente sont, sans doute, liées à un mauvais état de conservation général de ces collections (on mentionne notamment des verres brisés, des papiers jaunis et tachés), par ailleurs jugées « ignobles (...) quant au style ou quant au sujet », à la qualité moyenne des épreuves, et en vertu d’un argument économique, les recettes dégagées devant servir à l’acquisition et à la restauration d’œuvres jugées plus dignes du musée. Le 8 octobre 1827, 123 gravures furent donc dispersées à l’issue d’une vente publique qui eut lieu à l’Hôtel de la Comédie sous l’autorité de maître Jean-Pierre Joseph Lefèbvre, mais le catalogue de la vente ne mentionne malheureusement pas les titres des estampes. En recoupant un certain nombre d’informations, on parvient cependant à identifier parmi les œuvres vendues, quatre sujets de genre d’après Greuze de la collection d’Ubexi cédées pour 40 F, les portraits de Louis XIV et Louis XV gravés par Drevet de la collection Marcol, une Toilette d’Esther gravée par Beauvarlet, des Batailles d’Alexandre d’après Le Brun, une Agar répudiée, et probablement des paysages ainsi que les sujets anglais précédemment évoqués.
6Il reste pourtant difficile de reconstituer avec précision la liste des œuvres vendues en 1827, sinon que la différence entre les 129 gravures alors mentionnées dans les collections et les 123 cédées au cours de la vente prouve que la majorité des pièces a alors quitté le musée. Six estampes semblent donc avoir échappé à la vente. Les travaux menés en 2000-2001 en vue de la préparation de l’exposition consacrée au bicentenaire du musée5 n’ont permis d’en identifier qu’une seule à ce jour, la Fête donnée à Versailles gravée par Cochin à l’occasion du mariage d’une fille de France avec l’infant d’Espagne (inv. 452) de la collection Servant. Au début du XXe siècle, le dernier catalogue du musée (1909) ne mentionne plus aucune estampe. Et dans les trente années qui suivirent, l’intérêt ne parut guère plus marqué.
Les autres ensembles constitués aux XIXe et XXe siècles
7En dépit de quelques ajouts ponctuels, et d’envois de l’État dans les toutes dernières années du XIXe siècle, il faudra désormais attendre 1940 pour que le fonds d’estampes connaisse une sorte de renouveau, avec l’achat de la collection Lieure. Au gré des opportunités, la municipalité compléta donc ses collections d’estampes mais sans chercher à faire d’importantes acquisitions dans ce domaine. Au début du XXe siècle, mais à une date que ne précisent pas les inventaires, et que l’on peut imaginer être autour de 1908, on note l’entrée d’un ensemble d’une trentaine de gravures, que viennent rejoindre quelques enrichissements liés à des dons d’artistes comme par exemple 18 eaux-fortes de René Wiener, données par lui au musée en 1924, ou encore le legs d’Emile Friant en 1932, où figurent plusieurs dizaines d’épreuves de l’artiste, eaux-fortes, burins et pointes sèches, que viendront compléter diverses libéralités au cours de la seconde moitié du XXe siècle (Fig. 1). En 1938, M. Scheil, amateur originaire de Thionville, fait quant à lui don de 57 gravures, œuvres de Hess d’après Rembrandt, gravures en manière de crayon de Gilles Demarteau d’après Fr. Boucher, estampes d’après Fr. Lemoyne, J.-B. Greuze ou J.-S. Chardin.
8À ces ensembles de gravures européennes s’ajoute une série assez importante numériquement, et actuellement en cours de dénombrement et d’étude, d’estampes japonaises et d’œuvres sur papier d’Extrême-Orient, provenant de la collection Cartier-Bresson6, entrée au musée en 1936. On y trouve notamment de beaux tirages des XVIIIe et XIXe siècles, dont un ensemble de qualité d’œuvres de Kitagawa Utamaro (1753-1806), Torii Kiyonaga (1752-1815), Katsushika Hokusai (1760-1849), Utagawa Toyokuni (1769-1825), Keisai Eisen (actif entre 1791 et 1848), Totoya Hokkei (1780-1850), Yashima Gakutei (1786 ? -1868) (Fig. 2) ou Utagawa Hiroshige (1797-1858).
Fig. 1 : Emile Friant (1863 – 1932), Portrait de Victor Prouvé, 1883, eau-forte, 2e état.

Nancy, musée des Beaux-Arts, inv. 81.4.6
Fig. 2 : Yashima Gakutei (1786 ? – 1868), Femme musicienne, surimono, gravure sur bois polychrome, gaufrage et rehauts d’argent.

Nancy, musée des Beaux-Arts, ancienne collection Cartier-Bresson, legs en 1936
9En ce début de XXe siècle, la collection demeurait donc modeste, en quantité et en qualité, mais une première opportunité pour enrichir cet ensemble se présenta en 1940. À cette date, la ville eut en effet la possibilité d’acquérir une partie de la collection de Jules Lieure, un remarquable ensemble consacré à Jacques Callot (1592-1635). L’achat semble alors essentiellement dicté par la volonté de conserver à Nancy, ville de Callot, les témoignages les plus précieux de l’art de l’un des plus excellents graveurs lorrains. L’ensemble compte plus de 1 300 pièces tous états compris, parmi lesquels on distingue plus de 700 estampes originales (Fig. 3), ainsi que des œuvres de ses suiveurs et contemporains (Nicolas de Son, Nicolas Cochin, Sébastien Leclerc, Abraham Bosse…), et d’autres permettant d’évoquer l’artiste à travers les âges. La collection n’a jamais été étudiée à ce jour, pas plus, sauf erreur de ma part, que la personnalité de Jules Lieure (1866-1948), qui tout en menant une carrière administrative, fut surtout bien entendu le grand spécialiste de l’artiste, mais aussi un graveur amateur dont la production est aujourd’hui conservée à la Bibliothèque nationale de France. Cette collection, que le musée n’a finalement accueillie en ses murs qu’après la Seconde Guerre mondiale, a été scrupuleusement inventoriée, mais seules les pièces de Callot ont été montrées, notamment dans les expositions de Nancy7, le reste demeurant presque totalement inconnu des spécialistes.
Fig. 3 : Jacques Callot (1592 – 1635), Les Bohémiens en marche : l’avant-garde, eau-forte rehaussée de burin, premier état.

Nancy, musée des Beaux-Arts, inv. 40.1.353
10À la suite de cet enrichissement substantiel, la seconde moitié du XXe siècle allait voir l’entrée de plusieurs fonds importants. En 1976, la ville fit l’acquisition en vente publique d’un ensemble de 14 gravures de Claude Gellée, provenant de la collection du peintre et graveur paysagiste André Dunoyer de Segonzac, grand admirateur du Lorrain. Au cours des années 1970-1980, le musée présenta et accueillit des gravures d’Étienne Cournault, Antoine-René Giguet, Victor Guillaume ou Roger Marage… soit environ 70 pièces témoignant de la vitalité de la gravure contemporaine en Lorraine. Grâce aux Amis du musée (association Emmanuel Héré), plus de 400 œuvres dont 170 gravures sur bois, 24 eaux-fortes et burins, 92 gravures et trois lithographies du graveur Paul-Émile Colin (1867-1949) rejoignirent également les collections en 1997. Cet ensemble fut enrichi de quelques nouvelles œuvres en 2004, à l’occasion de la dispersion en vente publique d’une autre partie du fonds d’atelier de l’artiste, montrant notamment ses œuvres réalisées au canif sur bois de bout (Fig. 4). En 2004 toujours, 70 œuvres du graveur napolitain Enzo Frascione (né en 1929), dont le travail avait été montré à Nancy en 1991, entrèrent également dans les collections nancéiennes (dont 36 estampes illustrant sa production entre 1948 et 1998).
11Accompagnant ces enrichissements, le musée a également entamé une politique d’expositions et entrepris l’aménagement d’un premier cabinet d’art graphique dans les années 1980. Témoignant d’un intérêt nouveau pour les arts graphiques, et l’estampe en particulier, l’établissement organisa plusieurs expositions, notamment au cours des années 1950 (citons par exemples Peintres et graveurs lorrains en 1953, La gravure sur cuivre en Lorraine du XVIe au XXe siècle en 1956, Autour de Claude Gellée. De Paul Bril à Joseph Vernet durant l’été 1957 ou encore une exposition monographique consacrée à Laboureur, avec une petite introduction de Claude Roger-Marx en 1959), puis entre 1971 et 1993, des présentations monographiques consacrées à des artistes ou des collectionneurs lorrains, entre le XVIe et le XXe siècle (Étienne Cournault en 1971, l’œuvre gravé de Jules de Goncourt, sans oublier bien entendu Callot en 1992), ou à des artistes allemands présentés à Nancy dans le cadre des collaborations avec le Goethe Institut comme Ernst Ludwig Kirchner ou Max Ernst.
La donation de 1999 : un enrichissement exceptionnel
12En 1999, la générosité de deux frères originaires de Lorraine devait faire du musée des Beaux-Arts de Nancy le donataire de l’un des importants cabinets d’art graphique de France. Cette collection composée d’environ 2 500 dessins et un peu plus de 12 000 estampes, en majorité françaises, du XVIe siècle à nos jours, a été manifestement réunie dans un souci d’exigence et de qualité, qui préfère à la quantité, des pièces choisies pour leur rareté, leur intérêt plastique ou historique. L’acte de donation précise, dans son article II, que « cet ensemble a été réuni à partir de quatre critères conjoints ou séparés : la qualité esthétique des pièces ; leur peu de célébrité (la plupart n’ont jamais encore été reproduites) ; leur absence ou l’absence d’équivalents dans la plupart des cabinets d’Europe ; leur intérêt documentaire »8.
Fig. 4 : Paul-Emile Colin (1867 – 1949), La Paresse, 1893, gravure au canif sur bois de bout, planche pour la série des Sept péchés capitaux.

Nancy, musée des Beaux-Arts, inv. 2004.1.7
13La gravure originale y est préférée à la gravure de traduction, avec nombre de pièces rares et d’états exceptionnels. Cet ensemble choisi, fruit d’une longue et exigeante passion pour l’art de l’estampe, affirme par ailleurs sa prédilection pour l’art du XVIIe siècle (Simon Vouet, Claude Mellan, François Perrier, Jean Lepautre, Sébastien Bourdon, les Pérelle…) et la recherche des œuvres de petits maîtres aujourd’hui oubliés. Un bel ensemble illustre la production en Lorraine au cours du XVIIe siècle, sous les règnes de Charles III (duc de 1545 à 1608), Henri II (duc de 1608 à 1624) et Charles IV (duc de 1624 à 1675), période de grand essor et de prospérité, et moment fondamental pour l’art de l’estampe. La donation comporte de très beaux tirages de ou d’après Pierre Woeiriot, Nicolas Béatrizet, Claude Deruet, Jean Le Clerc, François Collignon, Nicolas Guillaume de La Fleur… Pour le XVIIe siècle par ailleurs, l’intérêt des donateurs s’est porté tout autant sur la production parisienne ou celle des « phares » comme Claude Mellan ou Grégoire Huret, que sur des artistes récemment redécouverts comme Pierre Brebiette (Fig. 5) ou des provinciaux de talent tels Jean Boucher de Bourges. La constitution de la collection pour le XVIIe siècle traduit autant la volonté de reconstituer des œuvres disparus, de retrouver des individualités, que de conserver des œuvres de grande qualité ou témoignant d’une histoire technique intéressante. Les donateurs ont eu à cœur de collectionner, à côté de noms célèbres (Nicolas Poussin, Jacques Stella, Sébastien Bourdon…), nombre d’artistes oubliés ou négligés, ces « petits maîtres » qui sont des maillons indispensables dans l’écriture d’une histoire de l’art plus nuancée. Le rassemblement des œuvres traduit et illustre ainsi tout le travail et les redécouvertes de plus de 50 années de recherches dans l’histoire de l’estampe, et plus largement de l’histoire de l’art, de l’étude du goût mais aussi des circuits d’échanges et de commercialisation. Cet ensemble est encore enrichi par une belle collection de recueils et de livres illustrés, au nombre desquels on peut par exemple citer Les Loges de Raphaël gravées par Nicolas Chaperon dans leur premier état, imprimé sur papier bleu et avec un bel étui de parchemin ancien, un album de 111 gravures d’après Vouet, la première édition des Segmenta de François Perrier…
14La seconde période de prédilection des donateurs, le XIXe et le début du XXe siècle, regroupe par ailleurs des ensembles remarquables illustrant la production de très nombreux artistes, avec un intérêt marqué pour des œuvres liées à l’histoire de la lithographie et à la gravure d’illustration (les Johannot, Célestin Nanteuil…), complétées par un ensemble d’ouvrages comportant des gravures originales. Mentionnons par exemple quelques ensembles intéressants autour d’artistes comme Jules Chadel, Bernard Naudin, Auguste Lepère et son élève Emile Laboureur, ou encore Aristide Maillol et Germaine Richier.
Fig. 5 : Pierre Brebiette (1598 ? – 1642), La nourrice au miroir, 2e état avec l’excudit d’Henri Bonnart.

Nancy, musée des Beaux-Arts, inv. TH.99.15.600 (1).
15À ces deux principaux ensembles s’ajoutent les œuvres d’artistes italiens ou des pays germaniques des XVIIe et XVIIIe siècles, ou encore des ensembles thématiques consacrés à des écoles régionales (la gravure lyonnaise), à l’iconographie des collectionneurs d’estampes ou à l’histoire des techniques (la gravure sur bois, la manière noire, la lithographie…).
16Les clauses juridiques ont en effet été spécifiées dans l’acte de donation du 28 juillet 1999. Les pièces « prêtes », c’est-à-dire déjà montées, sont mises à la disposition du musée sans réserve d’usufruit, les pièces non montées étant destinées à rejoindre les collections à mesure de l’achèvement du montage. L’article 7 précise quant à lui divers points essentiels à la conservation, à la mise en valeur et à la diffusion : conservation de la collection dans son intégralité, avec un numéro d’inventaire particulier et une marque de collection à sec (que l’on ne trouve en réalité apposée systématiquement que sur les dessins), réunion de l’ensemble des cartons de la donation dans la réserve du cabinet d’art graphique de manière autonome vis-à-vis du reste de la collection ; engagement à ne pas dépecer les carnets, albums et recueils, tant de gravures que de dessins, ainsi que les volumes illustrés, à conserver dans des systèmes d’emboîtement les pièces originales créées pour être isolées (faire-parts, cartes de vœux, menus… à conserver les montages actuels, unifiés et correspondant à trois formats courants. L’autorisation de prêt aux expositions est donnée pour une durée ne dépassant pas trois mois consécutifs et pour une durée cumulée ne dépassant pas un an sur cinq, et les photographies des œuvres doivent être fournies gracieusement aux historiens d’art ou érudits en justifiant la demande.
17Les pièces – je n’évoque ici que les estampes – sont classées à la fois de façon géographique et chronologique. À l’intérieur de ce cadre, le classement est à nouveau double, à la fois chronologique et par noms et courants. Sous le nom d’un artiste figurent ainsi à la fois les œuvres gravées de sa main, et les œuvres d’interprétation. Le fonds consacré à Simon Vouet en est un exemple remarquable, réunissant de manière presque exhaustive des travaux de ses élèves et collaborateurs chargés de la diffusion de son œuvre : Claude Mellan, Michel Dorigny, François Perrier… Les œuvres suivent également une logique générique, chronologique, et thématique : sujets religieux, sujets profanes, genres (portrait, paysage, ornement…), techniques (burin, manière noire, gravure en couleurs, gravure sur bois, lithographie – plus de dix cartons par exemple comptant en moyenne 30 pièces chacun, consacrés à l’histoire de cette technique, avec des œuvres réalisées par les procédés mis au point par Ch.-Ph. De Lasteyrie, G. Engelmann, A. Senefelder, Hullmandel ou Bergeret…) ou historiques, auxquelles s’ajoutent par exemple l’histoire des grands collectionneurs d’estampes ou celle des académies.
18Les pièces données en 1999 nous parviennent par ailleurs déjà montées et conditionnées, avec parfois certaines annotations au crayon précisant sur le montage les conditions d’acquisition de l’œuvre (qui peuvent être aussi bien la foire à la ferraille, qu’une galerie parisienne, ou un bouquiniste du Quai Saint-Michel) et des indications sur l’artiste, inventeur ou graveur, parfois avec un renvoi à l’un des ouvrages de référence, Inventaire du Fonds français, Meaume, ou Robert-Dumesnil. Mais tout le travail de recherche et de constitution de dossiers reste à effectuer, car la documentation afférente à cette collection ne figure pas dans la donation.
Les conséquences muséographiques : la création d’un espace de réserve et de consultation
19Faire vivre les collections d’art graphique du musée, brusquement enrichies, pose évidemment la question primordiale des entreprises de récolement et d’inventaire, de conditionnement et de restauration spécifiques aux œuvres sur papier. L’arrivée de la donation de 1999, accueillie en réalité à partir de 2001 au musée des Beaux-Arts de Nancy a été à la fois une chance immense mais aussi un défi en tous points. L’importance numérique de cet ensemble a notamment obligé le musée à se doter d’un véritable cabinet d’art graphique, réaménagé en 2001 par les soins de Laurent Beaudoin, architecte de la rénovation du musée, avec le savoir-faire de l’entreprise France-Lanord et Bichaton (Fig. 6). Les meubles de rangement en moabi, un acajou, sont ignifugés et conçus pour assurer le classement des pièces, avec plateaux coulissants dans les meubles bas, rayonnages en hauteur et porte-étiquette encastré sur chaque plateau. Afin de favoriser l’étude des pièces, une bibliothèque de recherche dans le domaine des arts graphiques, et plus spécifiquement de l’estampe, a par ailleurs été constituée, avec l’achat d’ouvrages incontournables comme les volumes de l’Inventaire du Fonds français. Une salle d’exposition de plus de 100 m2 située à proximité de la réserve d’art graphique permet en outre de présenter régulièrement les œuvres ou des expositions consacrées au dessin et à l’estampe.
Fig. 6 : Vue actuelle du cabinet d’art graphique, la salle de consultation

Quelles perspectives pour l’avenir ?
20La présence de ce fonds a en effet permis l’organisation d’expositions monographiques et thématiques destinées à faire connaître cette collection au public d’amateurs et de chercheurs, et d’en assurer la publication. Bien entendu, ces événements et publications ont pour préalable un travail approfondi qui s’inscrit dans le long terme et dont la première étape est constituée par la réalisation de leur inventaire. Si la collaboration d’étudiants de l’université de Nancy II ou de Strasbourg, ou le recrutement de personnels vacataires permet d’avancer dans la saisie des œuvres sur le logiciel Micromusée, si la plupart des pièces de la donation ont été montées et soigneusement annotées, l’étude scientifique des œuvres demeure néanmoins une activité difficile à mener en l’absence de personnel, mais aussi de moyens, notamment pour la numérisation des pièces et la réalisation des campagnes photographiques.
21En 2001, un florilège de la donation fut présenté et doté d’un catalogue qui avait pour premier objectif de faire connaître l’existence de cet ensemble9. En 2002, avec la complicité de Céline Paul, une nouvelle exposition fut consacrée aux « mystérieux du XVIIe siècle »10. Elle entendait célébrer d’une façon originale le 350e anniversaire de la mort de Georges de La Tour, redécouvert grâce à des pièces d’archives et à trois gravures conservées à la Bibliothèque nationale. L’objectif était de montrer comment l’estampe, qui est parfois et souvent le dernier témoin de créations évanouies, contribue à la redécouverte de peintres oubliés. L’exposition n’était pas scandée par des catégories issues de l’histoire de l’art (foyer lorrain, …) mais par des sections « romanesques » montrant comment on « écrit » l’histoire de l’art, à partir de quels indices et de quelles pistes travaille le chercheur s’intéressant notamment à des artistes inconnus ou méconnus, bref en établissant un parallèle entre l’historien d’art et le détective. L’exposition et le catalogue tentaient de montrer comment la recherche dans ce domaine pouvait être assimilée à une véritable enquête policière au cours de laquelle l’estampe fournissait à l’historien des indices et des énigmes pour redécouvrir des artistes et des œuvres qui auraient pu disparaître sans le témoignage de l’estampe.
22Après cette exposition, et des travaux consacrés cette fois au dessin, le musée a pu recruter en 2005-2006 une historienne de l’art en tant que chargée de mission à mi-temps, et lui confier la réalisation de l’inventaire des pièces du XVIIe siècle français issues de la donation de 1999. Cet inventaire, qui compte près de 3 000 pièces, a été réalisé sur informatique, et avec une couverture photographique numérique de l’intégralité des œuvres. Un important travail de recherche a permis de renseigner correctement les fiches informatisées, mais également de définir un profil de saisie des informations, adapté aux spécificités de l’estampe, et pouvant être adopté pour le reste des collections de gravures. L’objectif de cet inventaire est aussi d’en réaliser la publication sur papier, en éditant le catalogue sommaire raisonné de ces œuvres, classées selon un ordre alphabétique d’auteurs, celui du graveur ayant été privilégié. Les thématiques définies respectent les cadres de classement mis en place par Pierre-Jean Mariette dans son Abecedario : Ancien Testament, Nouveau Testament, Mythologie, Allégorie, Architecture, Décoration, Portraits, Scènes de genre, Paysages, Ornements, Illustrations, en enfin les albums ou recueils factices. Les notices donnent bien entendu le titre de l’épreuve, sa technique, ses dimensions, l’état et le numéro d’inventaire. La lettre est par ailleurs retranscrite dans son intégralité afin de répondre aux nouvelles attentes des chercheurs, qui pourront ainsi exploiter les éléments relatifs au dédicataire, aux devises, aux légendes explicatives ou encore aux commentaires littéraires. L’historique de l’estampe, les références bibliographiques et la mention des pièces en rapport présentes parmi les œuvres de la donation complètent chacune des notices11.
23Des recherches sont donc en cours, d’importantes opérations de numérisation et d’inventaire ont été entreprises, mais malheureusement comme dans beaucoup d’autres lieux, musées ou bibliothèques, le manque de moyens humains et techniques pose des difficultés. Aussi me semble-t-il essentiel d’envisager de nouvelles et fructueuses collaborations avec l’université et de favoriser la constitution de réseaux de spécialistes, historiens del’art, conservateurs et responsables d’institutions en France et à l’étranger, susceptibles de faire avancer avec régularité la connaissance de ces fonds. Un travail fort utile a ainsi pu être mené avec l’aide des étudiants des universités de Nancy et Strasbourg et d’élèves de l’École du Louvre. Il a permis de confier à de jeunes chercheurs certains travaux (catalogue des œuvres de Bernard Naudin, récolement et localisation des pièces de la collection Lieure par exemple dans le domaine de la gravure ; des entreprises similaires ont été menées sur la collection de dessins) mais il reste encore beaucoup à faire pour l’inventaire et l’étude de ce fonds désormais conséquent.
24Nancy compte également deux autres importantes collections d’estampes : celle de la bibliothèque municipale et celle du musée historique lorrain, lequel travaille actuellement au récolement de ses pièces, et où sont sans doute à attendre de belles découvertes. La richesse des fonds d’estampes nancéiens, et plus largement lorrains (comment oublier par exemple Epinal et son musée de l’image), la diversité des techniques et des époques qui y sont représentées, laissent donc entrevoir des années de travail. Des initiatives naissantes, des projets autour des fonds d’estampes ou des images populaires de Lorraine, témoignent depuis quelques années d’un intérêt renouvelé pour un domaine passionnant, exigeant, qui reste encore à faire connaître et aimer.
Notes de bas de page
1 Examen, description et appréciation des tableaux et estampes trouvés dans les maisons nationales ci-devant possédées par des émigrés, Nancy, Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, série L. 1694, 14 Frimaire an II.
2 Catalogue des tableaux, statues en marbre et en pierre et estampes rassemblés au musée de Nancy, et description du bâtiment choisi par les autorités constituées pour être le dépôt des objets ou monuments relatifs aux Beaux-Arts, Nancy, Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, série L. 1694, 30 Frimaire an II.
3 Lettre de Desmarets, 16 février 1827, Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle.
4 État de diverses estampes qui ne sont pas susceptibles de faire partie du musée de la ville de Nancy, 1827, Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle.
5 De l’an II au sacre de Napoléon. Le premier musée de Nancy, Nancy, musée des Beaux-Arts, 2001-2002.
6 Les œuvres firent l’objet d’un legs par Mme veuve Charles Cartier-Bresson en 1936. Son mari (1852-1921), un industriel lorrain, avait constitué une importante collection d’art d’Extrême-Orient, comportant non seulement des estampes, mais également des objets, du mobilier, des tissus…
7 Notamment Jacques Callot, Nancy, musée historique lorrain, 1992 (cat. sous la direction de P. Choné).
8 Acte notarié du 28 juillet 1999.
9 Une donation d’art graphique, Nancy, musée des Beaux-Arts, 2001 (cat. sous la direction de Bl. Chavanne et Cl. Gelly-Saldias).
10 Les mystérieux du XVIIe siècle, Nancy, musée des Beaux-Arts, 2002 (cat. sous la direction de S. Harent et C. Paul).
11 Cette publication (Catalogue des œuvres par Sandrine Herman, éditions du CTHS) a vu le jour en février 2008. Nous espérons qu’elle permettra à la fois de faire découvrir la richesse du fonds de Nancy, de rendre un nouvel hommage à cette exceptionnelle donation, et de fournir aux historiens un utile outil de travail.
Auteur
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Peindre, voir et croire dans les Alpes
La peinture murale en val de Suse (xive-xvie siècles)
Marianne Cailloux
2021
L’estampe un art multiple à la portée de tous ?
Sophie Raux, Nicolas Surlapierre et Dominique Tonneau-Ryckelynck (dir.)
2008
Formes de la maison
Entre Touraine et Flandre, du Moyen Âge aux temps modernes
Étienne Hamon, Mathieu Béghin et Raphaële Skupien (éd.)
2020
Lumières du Nord
Les manuscrits enluminés français et flamands de la Bibliothèque nationale d’Espagne
Samuel Gras et Anne-Marie Legaré (éd.)
2021