La sérigraphie, entre estampe et multiple : l’exemple des éditions Denise René
p. 135-142
Texte intégral
1La sérigraphie est une technique dérivée du pochoir : elle consiste à réaliser une impression à travers un écran de soie dont certaines parties ont été au préalable obturées. L’encre, étalée à travers l’écran au moyen d’une raclette, se dépose sur le support à travers les parties de l’écran laissées vierges1. Son principe fut développé en Angleterre vers le milieu du XIXe siècle avant d’être importé en France, où elle était utilisée, pour l’impression des étoffes, notamment dans la région lyonnaise. L’impression sur papier semble avoir été expérimentée pour la première fois aux États-Unis au début du XXe siècle, à une date qui demeure incertaine2 : elle fut utilisée, dans un premier temps, à des fins commerciales, pour imprimer des affiches. Les formes nettement découpées et uniformément encrées de couleurs vives se prêtaient en effet fort aisément à l’imagerie publicitaire. Anthony Velonis3 fut le premier à saisir l’intérêt plastique de cette technique à laquelle il initia de nombreux artistes. Le terme de « serigraph » aurait été inventé par Carl Zigrosser4, conservateur au département des estampes du Philadelphia Museum of Fine Arts combinant le latin seri (soie) avec le grec graphein (dessiner). Pendant la guerre, la sérigraphie était utilisée par l’armée américaine pour réaliser des panneaux signalétiques et marquer le matériel.
2Il faut attendre les années 1950 pour que les artistes, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, s’emparent de cette technique qui permet des impressions de couleurs vives, avec des aplats francs, susceptibles d’être imprimés non seulement sur du papier mais également sur d’autres supports. Dès cette époque, à Paris, Raymond Haasen dispensait à l’École Estienne des cours sur la sérigraphie à l’intention des imprimeurs et des artistes5. En France, les premières sérigraphies furent réalisées à des fins de reproduction : l’imprimeur sérigraphe Wilfredo Arcay reproduisit ainsi, en 1953, Composition mécanique d’après Fernand Léger, planche éditée par les Éditions Art d’aujourd’hui, dirigées par André Bloc (1896-1966)6. Le développement rapide de cette technique en France à partir des années cinquante s’explique par plusieurs facteurs : le regain d’intérêt pour l’abstraction géométrique, style qui se prête particulièrement bien à cette technique d’impression, le rôle d’éditeurs tels André Bloc et Denise René qui surent tirer parti de ce procédé pour leurs éditions, la présence d’un imprimeur sérigraphe de talent en la personne de Wilfredo Arcay7, l’intérêt des artistes d’avant-garde de l’époque, au premier rang desquels Victor Vasarely, pour cette technique qui permettait une large diffusion de leur travail. À travers l’exemple des éditions Denise René, c’est le statut des œuvres réalisées en sérigraphie, entre estampes et multiples, que nous interrogeons.
3En France, les éditions de la galerie Denise René ont contribué à introduire cette technique dans le domaine artistique. La galerie Denise René ouvrit ses portes en 19448. Elle s’orienta progressivement vers l’abstraction formelle. Autour de l’abstraction géométrique, Denise René fit dialoguer des artistes de différentes générations : elle fit ainsi voisiner les pionniers de la première génération d’artistes abstraits tels Hans Arp, Alberto Magnelli, Sophie Taeuber, Auguste Herbin, avec de jeunes artistes qu’elle révéla : Robert Jacobsen, Jean Dewasne, Richard Mortensen, Victor Vasarely.9 Dessinateur-graphiste de formation, Vasarely s’était formé à Budapest, dans l’atelier d’un ancien élève du Bauhaus, Sandor Bortnyik. Arrivé à Paris en 1930, il réalisa alors des travaux publicitaires. Vasarely souhaitait créer à Paris une nouvelle école d’arts appliqués inspirée du Bauhaus. Jusqu’en 1947, il emprunta, selon ses propres termes, quelques « fausses routes » figuratives, avant d’avoir la révélation de l’abstraction en passant par la schématisation des formes.
4L’activité de la galerie culmina avec l’exposition historique, Le Mouvement, en 1955, qui rassembla les œuvres de Duchamp, Calder, Vasarely, Jacobsen, Tinguely, Soto, Agam, Pol-Bury, et jeta les bases de l’art cinétique. À partir de 1952, outre des peintures, Denise René présentait dans sa galerie des tapisseries puis des sérigraphies à partir de 1953 : ces œuvres créées en séries, permettaient une diffusion élargie de l’art des artistes de la galerie, au premier rang desquels Vasarely. Les sérigraphies étaient éditées en planches isolées ou dans des albums. Étaient imprimées en sérigraphie également les cartes de vœux de la galerie et les affiches. La première édition fut un album de 12 planches de Vasarely Album n° 1 imprimées par Wilfredo Arcay, numérotées à 150 exemplaires. Il sera suivi de l’album Venezuela, composé de 12 planches en 1956. Ce portfolio faisait écho à l’expérience architecturale du peintre avec l’architecte Carlos Raul Villanueva. En 1957, parut un album de recréation d’œuvres de Mondrian, à l’occasion de l’exposition consacrée à cet artiste. En 1959, un portfolio consacré à Arp remporta également un grand succès. Dès lors, tous les artistes de la galerie ont réalisé des éditions : Auguste Herbin avec l’Album Herbin édité en 1957, Olle Baertling, Les Triangles, 1961, Lajos Kassak, Kassak Vasarely en 1961, Richard Mortensen Album 7 à Venise, 1961, Michel Seuphor, Gradus ad Parnassum en 1960, Victor Vasarely Erebus en 1974. La présentation de ces œuvres sous la forme d’albums répondaient également à une préoccupation esthétique : en tournant les pages, le spectateur peut en effet avoir l’illusion de la troisième dimension. La sérigraphie se prête ainsi parfaitement à l’esthétique cinétique « grâce au mouvement, le contenu plastique d’un album s’inscrit dans la durée »10.
5Le développement de la sérigraphie en France fut également lié à la présence d’un artiste imprimeur sérigraphe de talent, Wilfredo Arcay11. Originaire de Cuba, Arcay arriva à Paris avec une bourse d’études en 1949, après avoir réalisé des travaux publicitaires à La Havane. Après le coup d’état de Batista, sa bourse fut supprimée. Il fut alors engagé par André Bloc, le fondateur de la revue Architecture d’aujourd’hui : celui-ci recherchait un sérigraphe et monta un atelier à Meudon en 1951. Arcay s’installa ensuite à Vélizy en 1953. Il travailla avec plusieurs grands noms de l’abstraction (Arp, Delaunay, Léger etc.) à la réalisation d’albums reproduisant des œuvres originales, édités par André Bloc : Maîtres d’aujoud’hui en 1953 et Jeunes peintres d’aujourd’hui en 1954. Il collabora également pendant ces années avec le groupe Espace, et pour la revue Architecture d’aujourd’hui. C’est tout naturellement qu’il entra dans le cercle de Denise René à partir de 1955 : il initia plusieurs grands noms de l’abstraction à la sérigraphie, parmi lesquels Arp, Vasarely, Mortensen, Seuphor, Albers, Le Parc… et imprima toutes les éditions de la galerie. Arcay contribua à faire entrer la sérigraphie au rang des techniques d’estampe, alors qu’elle était, jusque-là, principalement reléguée aux travaux publicitaires. Les œuvres sorties de son atelier sont le fruit du travail conjoint de l’artiste et de l’imprimeur sérigraphe. Vasarely définit ainsi en 1957, le rôle de l’imprimeur :
Il ne s’agit pas de reproduire, mais bien de « re-créer » (...). Pour dominer tout cela [difficultés techniques] et une foule d’impondérables qui se présentent inévitablement en cours d’exécution, il était nécessaire qu’Arcay fût un véritable homo faber, inventeur à tout instant, avec la performance d’un athlète, avec l’adresse d’un danseur, pondéré et agile, réfléchi et décisif à la fois. Humble devant l’œuvre qu’il déchiffre, en sériant les problèmes, Arcay va réussir le miracle de « rendre » le modèle, tout en créant une nouvelle œuvre. (...). Avec ses contemporains, Arcay s’enthousiasme de « collaborer ». Par collaboration, entendons le désir de dissiper les réticences et les craintes du créateur toujours farouchement fidèle à son œuvre originale. La planche une fois tirée, l’auteur porte volontiers à son propre crédit les gains provenant des suggestions obstinées de « l’exécutant ».12
6L’imprimeur partait d’un modèle fourni par l’artiste, le plus souvent une gouache, un croquis dans le cas de Vasarely, un collage dans celui de Mortensen. Le choix des couleurs se faisait en concertation avec l’artiste. Puis l’imprimeur découpait manuellement des caches correspondant aux formes du dessin. Chaque coloris nécessitait un passage différent. Ce procédé était parfaitement adapté à la création d’œuvres composées de lignes, d’aplats, de formes géométriques.
Il ne s’agit pas de « reproduire », mais, en étroite collaboration avec l’artiste, « recréer » une œuvre en estampe (...). C’est ainsi qu’au cours de l’impression, l’artiste a la possibilité de changer une forme, une couleur, comme il le ferait dans l’élaboration d’une œuvre originale. Souvent, il arrive que l’artiste et moi-même donnions libre cours à notre inspiration en changeant les couleurs, en bouleversant les données initiales.13
7La vente des valeurs sûres de la galerie que sont Arp et Vasarely, ainsi que les éditions lui ont permis de fonctionner correctement. Les sérigraphies étaient vendues sous le terme d’édition. Le terme d’estampe ne figure pas dans les documents annonçant ces productions, qu’il s’agisse d’annonces dans les revues spécialisées comme Art et architecture d’aujourd’hui ou de plaquettes éditées par la galerie14. Cette stratégie n’était pas nouvelle : après guerre, plusieurs galeristes tels Maeght virent dans l’édition un moyen de diffuser auprès d’un public élargi en raison de leur moindre coût, l’art des artistes de la galerie.
8Parallèlement, à partir de la fin des années 1950, se développèrent les éditions de multiples : les plasticiens de l’époque, souvent par souci de faire connaître plus largement leur production, furent amenés à concevoir leurs travaux en série, sans toutefois que ces objets ainsi créés ne soient assimilés à des reproductions. En 1959, Daniel Spoerri fonda, dans cet esprit, les éditions MAT (Multiplication d’art transformable). Denise René, après y avoir été réticente, se lança dans l’édition de multiples au début des années 1960. Ce terme de multiple est défini dans les plaquettes éditées par la galerie présentant ce type de production :
L’idée de « Multiple » découle de la tradition classique de l’édition d’art originale, adaptée aux nouvelles formes de la création artistiques et aux techniques actuelles. Par « Multiple », nous entendons une œuvre d’art en trois dimensions éditée en nombre limité, exécutée sous le contrôle de l’artiste, numérotée et signée par lui. Chaque « multiple » est donc un exemplaire original, destiné à répondre aux aspirations culturelles d’un plus grand nombre.15
9Pour Denise René, le multiple est donc un objet en trois dimensions, ce qui le distingue des estampes. En revanche, ses autres caractéristiques – le tirage limité exécuté sous le contrôle de l’artiste, la signature, le caractère original de l’œuvre ainsi réalisée malgré sa production en série – sont communes avec les estampes. La sérigraphie peut être employée pour réaliser des multiples.
10En 1966, fut inaugurée la galerie « Denise René-Rive gauche », première galerie d’art européenne consacrée aux éditions de sérigraphies et de multiples. Un département de la galerie, dirigé par le frère de Denise, René Bleibtreu, fut consacré aux éditions. Les deux galeries, « Rive droite », et « Rive gauche », se répondaient par l’organisation d’expositions communes montrant en même temps des œuvres multiples et originales d’un même artiste. La première exposition fut consacrée à Vasarely. Par ce type de production, la galerie cherchait à rendre accessible à de nouveaux acquéreurs l’art qu’elle défendait. La galerie joua alors le rôle d’éditeur : elle devait trouver de nouveaux diffuseurs, à la frontière entre l’art et le design
11Les éditions étaient vendues dans les galeries Denise René, à Paris, Düsseldorf et New York. Les acheteurs potentiels étaient prévenus des nouvelles éditions par des bulletins de commande envoyés à tous les clients, et par des annonces dans les revues spécialisées. L’originalité des éditions Denise René fut leur diffusion dans d’autres circuits commerciaux que les circuits traditionnels du marché de l’art. Elles étaient ainsi commercialisées dans les rayons design de chaînes de grands magasins en France et aux États-Unis. Le magasin Bloomingsdale’s à New York réalisa ainsi une copie à taille réelle de la galerie du boulevard Saint-Germain en septembre 1969, pour la vente des multiples et des éditions de Denise René.
12Dans les années 1970, les éditions de multiples et de sérigraphies continuèrent à constituer un appui financier pour la galerie. Leur vente était censée compléter les revenus générés par celle des originaux. Mais de construction coûteuse et difficiles à stocker, elles étaient commercialisées à des prix qui les rendaient inaccessibles à la nouvelle clientèle des classes moyennes visée, tout en suscitant la méfiance des collectionneurs d’originaux. Au milieu des années 1970, la crise toucha le marché de l’édition, notamment en raison de l’inflation des tirages. En 1973, la galerie de Düsseldorf arrêta la production de sérigraphies pour laquelle elle s’était lourdement équipée.
13L’orientation des artistes de la galerie vers le cinétisme, à partir de 1955, fut déterminante dans le développement de la sérigraphie. Cette technique se prêtait en effet admirablement bien aux effets d’optiques recherchés par les artistes. L’objectif de ces plasticiens était également de créer un art accessible à tous, multipliable et réalisable mécaniquement à partir de maquettes fournies par l’artiste pour les besoins les plus divers (sérigraphies, peintures murales, tapisseries, objets en 3D…).
Les multiples sont devenus aujourd’hui une réalité. Il s’agit d’albums, de tableaux, de reliefs, d’objets et de sculptures « originaux » qui ont la particularité de se présenter, non pas en un unique exemplaire, mais en 15, 50, 200 ou 1 000. L’artiste, de nos jours, a réussi à sauvegarder la qualité dans le nombre, permettant pour ce faire, à tout le monde, l’acquisition d’œuvres de valeur, au prix accessible.16
14Dans son Manifeste jaune paru en 1955, Vasarely développe l’idée d’une œuvre transformable capable d’atteindre un plus vaste public grâce à sa faculté de recréation. L’artiste, selon lui, conçoit une œuvre qui doit pouvoir être recréée sous diverses formes, estampes, tapisseries, fresques, vitraux, mosaïques… à la manière d’un compositeur qui écrit une partition qui pourra être jouée par divers instruments. Il précise les conditions de cette recréation. Sa manière d’aborder la sérigraphie est révélatrice de cette conception. Vasarely trouva en Arcay un parfait interprète de ses idées. L’artiste confiait au sérigraphe un motif géométrique dessiné au crayon sur du papier millimétré. Ce dessin était accompagné d’un nuancier de couleurs peintes à la gouache. Sous chaque couleur, figurait un numéro. Ces numéros étaient reportés dans les différentes parcelles du motif géométrique. Un certain nombre d’inscriptions manuscrites accompagnaient ce dessin, précisant notamment les dimensions que devait atteindre l’estampe. Il pouvait être accompagné d’une gouache. À partir de ces différents éléments, le sérigraphe concevait les caches correspondant aux différentes formes composant le dessin. Chaque planche nécessitait une dizaine de passages. Les couleurs étaient imprimées de la plus claire à la plus foncée, pour terminer par le noir qui sertissait les formes. Aucun BAT n’était réalisé. L’artiste contrôlait le résultat final en fin de tirage. S’il n’était pas content du résultat (ce qui était rare), notamment s’il n’était pas satisfait d’une nuance de couleur, il était possible de réimprimer une forme dans une couleur différente, par un jeu de superposition. Chaque planche devait alors subir un nouveau passage. Les couleurs pouvaient varier d’une planche à l’autre, tout en étant apposées sur un même motif17. La sérigraphie demeure cependant trop limitée pour Vasarely, qui prône une diffusion élargie de l’art, et son intégration dans les cités.
Aujourd’hui, nous ne vivons que l’enfance des multiples. Nos sérigraphies restent encore – par leur conception – des gravures et lithos des prédécesseurs. Il s’agit toujours des « beaux-arts », de « l’art pour l’art » dans le circuit élargi de la fonction poétique. Simplement, à la place d’un unique tableau sur le mur d’un unique amateur, nous voyons maintenant cent tableaux semblables sur cent murs de cent amateurs différents. C’est considérable, mais ce n’est pas encore tout. L’amateur est à peine plus participant qu’au passé. De plus, l’exécution technique des multiples se situe toujours au niveau de l’atelier ancestral du peintre-artisan. Enfin, cette forme de diffusion se révèle insuffisante pour changer la face des cités vieillies où nous vivons. Il faut aller au-delà de nos limites.18
15Toutefois, cette conception généreuse de l’art se heurte à la logique commerciale de la galerie et à la frilosité des collectionneurs. La question de la limitation du tirage des éditions Denise René est révélatrice de ces tiraillements. Denise René souhaitait en effet limiter les tirages, alors que certains artistes, suivant les idéaux développés par Vasarely, prônaient des tirages illimités. Dans les années 1960, Vasarely a entrepris, dans cette optique, la réalisation de planches dites universitaires. Il s’agissait de sérigraphies réalisées par Arcay, ni numérotées, ni signées, vendues 60 F, alors qu’elles valaient normalement 2 000 F. Ce fut un échec commercial, les amateurs boudant ces planches non signées au tirage important, et le grand public ne saisissant pas l’intérêt de ces œuvres.
16Les premières utilisations de la sérigraphie en France à des fins de reproductions d’œuvres d’art originale et la part importante du travail de l’imprimeur dans la création des œuvres conçues au moyen de cette technique soulevèrent, parmi les critiques, la question de l’originalité des œuvres ainsi créées. Certains d’entre eux estimaient en effet que les œuvres ainsi créées étaient moins originales que si les artistes avaient manié eux-mêmes le stylet et la raclette. Il est vrai qu’à la différence de la taille-douce ou de la lithographie, la sérigraphie nécessite toujours l’intervention d’un technicien travaillant sous le contrôle de l’artiste. Françoise Woimant souligne ainsi le rôle de l’imprimeur :
La sérigraphie est d’une exécution souvent fort complexe qui en fait l’affaire du sérigraphe. Le technicien travaille alors sous le contrôle de l’artiste d’après un modèle qui peut être soit une maquette soit une œuvre à reproduire. Il en résulte une certaine ambiguïté sur la plus ou moins grande originalité de ces œuvres. Il est de toute évidence fort regrettable de ne pas voir plus souvent figurer sur l’estampe le nom ou le cachet du sérigraphe19.
17Toutefois, à une époque où les artistes commencent à privilégier l’idée au détriment de l’exécution qui pouvait être confiée à des techniciens, cette question de l’originalité de l’œuvre d’art créée au moyen de ce procédé devient caduque. L’intégration de la sérigraphie dans le champ de l’estampe, bien que contestée à l’époque par certains critiques et amateurs d’estampes, fut ainsi défendue par les responsables du Cabinet des estampes de la Biliothèque nationale notamment Jean Adhémar. Dans son répertoire des éditeurs d’estampes français paru en 1972, Françoise Woimant place ainsi, sur le même plan, les éditions Maeght, qui faisaient plus appel à des techniques traditionnelles, lithographie et taille-douce, et Denise René qui s’orientait vers la sérigraphie et l’édition de multiples : elle attribue au développement de cette technique, un essor de l’édition au début des années 197020.
18Les éditions de sérigraphies de la galerie Denise René, hormis la relative nouveauté de la technique, s’apparentent donc aux éditions réalisées dans d’autres techniques diffusées à la même époque : elles ont pour fonction de diffuser l’œuvre des artistes à un moindre prix. La technique de la sérigraphie fut particulièrement bien adaptée à l’esthétique développée par les artistes de la galerie qui surent en exploiter à merveille les possibilités plastiques. Par ailleurs, les sérigraphies constituèrent l’origine des multiples, par la caractéristique même de cette technique permettant l’impression, sur des supports autres que le papier, et en raison du caractère impersonnel recherché de ces impressions. Les sérigraphies des éditions Denise René demeurent toutefois dans le champ de l’estampe de part leur nombre limité et leur diffusion, qui bien qu’élargie à la décoration, resta dans le champ commercial de la galerie.
Notes de bas de page
1 M. Caza, Les Techniques de la sérigraphie, Paris, 1963.
2 R. et D. Williams, « The early history of the screeprint », The Print Quarlerly, Vol. III, Décembre 1986, n° 4. p. 287-321, et R. et D. Williams, « The later history of the screeprint », The Print Quarlerly, Vol. IV, Décembre 1987, n° 4. p. 379-403.
3 A. Velonis, Silk screen technique, New York, [ca 1939].
4 C. Zigrosser, The book of fine prints ; an anthology of printed pictures and introduction to the study of graphic art in the West and the East, New York, [ca 1956].
5 S. Bacot, « La sérigraphie d’art en France », Nouvelles de l’estampe, n° 72, 1983, p. 9-14.
6 Fr. Woimant et M. Elgrishi-Gautrot, « Répertoire des ateliers de sérigraphie d’art en France », Nouvelles de l’estampe, n° 72, 1983, p. 15-32.
7 E. Pernoud, « Wilfredo Arcay. 1925-1997 », Nouvelles de l’estampe, n° 153, 1997, p. 47-48.
8 Denise René l’intrépide. Une galerie dans l’aventure de l’art abstrait. 1944-1978. Exposition présentée au Centre Pompidou, 4 avril – 4 juin 2001. Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2001.
9 C. Millet, Conversations avec Denise René, Paris, 1988.
10 V. Vasarely, « La sérigraphie », Architecture et art d’aujourd’hui, n° 12, Avril 1957.
11 Wilfredo Arcay. Exposition rétrospective des sérigraphies réalisées par Wilfredo Arcay. Espace Cardin, 12-15 Mars 1986. À l’occasion de cette exposition une plaquette dactylographiée fut diffusée.
12 V. Vasarely, « Arcay et la re-création », Architecture et art d’aujourd’hui, n° 12, avril 1957, p. 12-15.
13 Cl. Bouyeure, « Techniques », Cimaise, n° 113-114, décembre 1973, p. 108-109.
14 Cf. Annonce publicitaire parue dans la revue Architecture et art d’aujourd’hui, n° 11, 1957, p. 37.
15 Introduction de la plaquette publicitaire éditée par la galerie Denise René. Mini collection 1971. Paris, Éditions Denise René, 1971.
16 V. Vasarely, Manifeste de 1953 cité dans Plasti-cité l’œuvre plastique dans votre vie quotidienne, Paris, 1970.
17 Je remercie Jérôme Arcay de m’avoir montré les maquettes de Vasarely et de m’avoir expliqué la manière dont son père, Wilfredo Arcay, travaillait à partir de ces maquettes, au cours d’un entretien qui a eu lieu le 19 janvier 2007.
18 V. Vasarely, « Le Multiple », dans Plasti-cité l’œuvre plastique dans votre vie quotidienne, Paris, 1970.
19 Fr. Woimant, « La sérigraphie d’art et les ateliers d’imprimeurs sérigraphes en France », Nouvelles de l’estampe, novembre-décembre 1983, p. 4-9.
20 Fr. Woimant, « Répertoire des éditeurs d’estampes français 1972 : Introduction », Nouvelles de l’estampe, novembre-décembre 1972, n° 6. p. 9-11.
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