Copies-fantômes et culture de l’imitation au début de l’époque moderne en Europe
p. 47-64
Remerciements
J’exprime ma vive gratitude envers Sophie Raux pour son rigoureux travail d’édition et de traduction, envers Isabelle Decobecq pour les informations qu’elle m’a communiquées, et envers Neil De Marchi pour ses remarques essentielles.
Texte intégral
1Au cours du XVIe siècle, on assiste à un remarquable développement de ce que l’on pourrait définir au mieux comme une culture de l’imitation dans les Pays-Bas. Celle-ci était concentrée à Anvers, l’un des centres commerciaux, financiers, économiques et artistiques majeurs du début de l’Europe moderne1. Alors que le marché anversois évoluait vers une forme de développement hautement compétitif, on remarque également un accroissement de la demande pour la peinture ainsi qu’un rapide développement de l’industrie de la gravure. L’une des conséquences de cette hausse de la demande a consisté en un élargissement de l’offre en matière de substituts à la peinture sur panneaux, depuis la peinture à la détrempe sur toile bon marché jusqu’à tous les types d’estampes, dont les gravures colorées et les gravures sur bois. Le degré d’importance de ces substituts permet de définir le niveau de sophistication et de développement d’un marché. En d’autres termes, à partir du moment où l’on trouve de nombreux vendeurs, de nombreux acheteurs, une absence de monopoles, une grande quantité de produits de substitution pour des œuvres indisponibles ou inabordables, ainsi qu’un bon fonctionnement de l’information (transparence élevée et symétrie), nous sommes en présence d’un marché de l’art bien développé et compétitif2.
2La production à large échelle de copies et de copies-fantômes dans l’industrie de la gravure procède, en partie, de la volonté d’évaluer la peinture en fonction de caractéristiques liées au sujet, et non pas en fonction de l’analyse du style ou de la manière telle qu’elle est couramment pratiquée de nos jours par les professionnels du marché de l’art et par les connaisseurs. Le fait de ne retenir qu’un nombre limité de caractéristiques fiables et identifiables pour l’évaluation est la conséquence directe du fonctionnement de marchés peu transparents et à l’asymétrie d’information ; d’où le développement de nouveaux médias, notamment l’émergence de types inédits de gravures à Anvers et de peintures à la détrempe sur toile à Malines. Produire des « originaux » et les attribuer à des maîtres dont l’œuvre est bien connu et recherché, fut une stratégie de copistes pour s’approprier une part de l’aura (et de la valeur) des vrais originaux. De tels originaux fonctionnent comme des copies, mais sans qu’un original correspondant n’existe nécessairement. Ces originaux prennent ainsi le caractère de copies-fantômes, une nouvelle catégorie que j’aimerais introduire ici. La copie-fantôme est comme le « simulacre » baudrillardien (l’image d’une simulation) qui est souvent défini comme une copie sans original, ou pour citer Gilles Deleuze « le simulacre est une image sans ressemblance »3. La pratique de la copie et de la copie-fantôme dans la peinture est étroitement liée à celle de l’industrie de la gravure et pour mieux la comprendre, il faut revenir sur le contexte du développement des marchés de l’art en Europe4.
L’émergence des marchés de l’art
3Pour résumer brièvement ce développement, c’est à Florence et à Bruges, au XVe siècle, qu’apparurent les premières traces d’un marché primaire et de la vente au détail de peintures. Si Bruges était un centre exportateur net, Florence était l’inverse. Traditionnellement, ce furent les artistes faisant aussi office de marchands qui furent impliqués dans le marché primaire. Le marché secondaire, ou de revente, suivit habituellement le marché primaire avec un décalage d’un siècle ou davantage, comme ce fut le cas à Anvers. Des marchands spécialisés dans la vente de peintures sur le marché de la revente ou marché secondaire apparurent à leur suite. Le marché tertiaire (et la combinaison des deux modèles précédents) apparut à la fin du XVIe siècle. Les témoignages les plus évidents concernant le recours aux ventes aux enchères pour le marché de la revente sont attestés à Amsterdam au XVIIe siècle, à Londres à la fin du XVIIe siècle, et à Paris au XVIIIe siècle.
4Quand le marché de la revente rejoignit le marché primaire, on vit l’apparition de marchands spécialisés, commissaires-priseurs et marchands priseurs qui s’attachèrent au maintien ou à l’expansion des marchés. Pour les marchands, la matière première primordiale, outre leurs peintures et gravures, est l’information. Les marchands préférèrent souvent offrir une faible transparence en ce domaine quand ils furent autorisés à le faire. Quand de nouveaux secteurs du marché secondaire apparurent, favorisés par l’émergence de l’industrie de la gravure, les marchands adeptes d’une faible transparence eurent « l’avantage de l’information » qui leur permettait de saisir le cours des ventes et de remporter un profit supérieur à celui de leurs collègues plus enclins à la transparence. Mais le bénéfice de ce type d’information s’affaiblit lorsqu’il y eut davantage de marchands se livrant concurrence pour des parts de marché. L’avantage de la compétition entre marchands désireux de partager l’information avec les acheteurs se développa quand les marchés devinrent plus transparents. En conséquence, les marchands ouverts à la transparence subsistèrent sur des marchés bien organisés, alors que l’avantage de l’information (et de la compétition) déclina pour les marchands adeptes d’une faible transparence5.
5Dans certaines villes, le marché primaire de l’art eut toujours une propension à l’importation assez importante ; d’autres villes eurent tendance à être, ou devinrent avec le temps, des centres exportateurs net de peintures. Cette différence est démontrée dans le Tableau 1, qui présente les estimations du pourcentage du nombre d’artistes par rapport à l’ensemble de la population (en milliers) pour des villes différentes et à des périodes différentes. Les marchands, dans les villes importatrices net (Florence, Valence, Londres, Amsterdam jusqu’en 1650, Paris jusqu’en 1764, c’est-à-dire celles dont la proportion est égale ou inférieure à 1) ont eu tendance à fonctionner d’abord comme des centres intermédiaires et d’arbitrage à travers l’espace géographique. Les marchands dans les villes exportatrices net furent moins concernés par l’information locale mais ils avaient besoin d’une information extérieure pour concevoir des stratégies afin de prendre des parts de marché en d’autres lieux, qui, à leur tour, maintiendront la capacité de production intérieure en peinture.
Le complexe de production d’Anvers-Malines
6Aux XVIe et XVIIe siècles, Anvers et sa proche voisine Malines (Mechelen) constituaient un remarquable complexe pour la production et l’exportation de tous les types d’images, notamment peintures et gravures. Si l’activité des principaux marchands d’art à Anvers, tels que Van Immerseel-Foumestraux, Forchondt, et Musson-Fourmenois, est déjà connue depuis un certain temps, la capacité de production d’Anvers commence à faire l’objet d’une attention renouvelée de la part des chercheurs6. Quant à la ville de Malines, elle n’a jamais suscité le même intérêt. Plusieurs études archivistiques relatives à certains aspects de la guilde des peintres sont apparues au fil des ans7. Toutefois, la ville a souvent été marginalisée comme centre producteur d’images, peut-être parce qu’un large secteur de sa production consistait en copies et copies-fantômes.
Tableau 1. Nombre de peintres en milliers d’habitants, par ville, 1470-1764

Source : N. De Marchi, H. J. Van Miegroet, « History of Art Markets » dans V. Ginsburgh, D. Throsby (éd.), Handbook on the Economics of Art and Culture, Amsterdam, Londres, Tokyo, 2006, p. 114.
7Comme nous avons déjà pu le démontrer ailleurs, Malines était un centre de production de peintures et faisait partie avec Anvers d’un complexe artistique et économique unique. Nous avons pu estimer que la production annuelle pour le complexe Anvers-Malines était de l’ordre de 9 000 à 15-18000 pièces pour Anvers (comme à Amsterdam), auxquelles s’ajoutent respectivement 16 000 à 23 5000 pièces pour Malines au milieu du XVIe siècle ou 7 000 à 10 200 pièces au début du XVIIe siècle8. Au total, le complexe brabançon eut à l’époque une capacité de production, calculée au bas mot, de 25 à 40 000 peintures par an, au milieu du XVIe siècle, et de 16 à 27 000, vers 1630, ce qui est bien plus productif que ce que l’on a couramment imaginé.
8Les deux villes se complétèrent mutuellement de trois manières. Premièrement, il n’y avait de pas de chevauchement de spécialités par type de produits. La plupart des artistes de Malines travaillaient à la détrempe (watervef) sur fines toiles de lin, alors que les peintres d’Anvers préféraient peindre à l’huile sur panneau ou sur toile. Cette spécialisation permettait aux artistes de chaque ville de tirer avantage de l’économie d’échelle et d’affiner des usages spécifiques à leurs méthodes respectives, dont la production de copies en séries et de copies-fantômes. Une remarque du même ordre s’applique à l’industrie de la gravure, en pleine expansion, à Anvers, dans la seconde moitié du XVIe siècle.
9Deuxièmement, les peintres de Malines comptaient largement sur les marchands d’Anvers pour commercialiser leurs œuvres dans toute l’Europe et au-delà. De nombreux peintres-marchands s’occupaient de peintures à Malines, mais les archives attestent que le contrôle de la vente et de l’exportation des tableaux sur les marchés étrangers était principalement exercé par les négociants d’Anvers. Ce dispositif était quasiment inévitable. Anvers était quatre à cinq fois plus grande que Malines. De plus, pendant une bonne partie du XVIe siècle, la ville possédait une population de marchands étrangers résidents, et sa foire jouissait d’une réputation internationale. Malines n’avait aucun de ces avantages commerciaux.
10Finalement, bien que les peintures à l’huile d’Anvers et les détrempes de Malines fussent disponibles selon un éventail de prix accessibles, il y eut peu de recoupements entre ces deux gammes de produits. Selon les données du XVIIe siècle, la majeure partie des peintures de Malines étaient vendues entre 8 et 60 stuivers (0,4 à 3,0 florins), tandis qu’à Anvers, relativement peu de peintures à l’huile avaient un prix égal ou inférieur à 3 florins9. Il est permis de penser que les peintres à la détrempe de Malines alimentaient un marché dont la courbe de la demande – et plus précisément, la courbe de sensibilité au prix – était davantage élastique, plus plate et bien inférieure à celle que rencontraient les peintres d’Anvers. Ainsi, les deux villes pouvaient couvrir ensemble toute la gamme des prix et toucher les acheteurs situés dans les niveaux inférieurs et supérieurs de la pyramide des richesses10.
11Cependant, un problème majeur se pose par rapport à cette configuration. Tant que le marché local de la peinture est sollicité, les grands ateliers, bien organisés, à Anvers et à Malines, pouvaient s’occuper de leurs propres commerces, jusqu’à la vente vers l’utilisateur final. Le marché secondaire, dans sa première phase, fut dominé par des marchands d’occasions, auxquels succédèrent plus tard des marchands spécialisés en gravures et peintures. Dès que les marchés locaux furent saturés ou que la demande locale diminua, les exportations devinrent cruciales afin de maintenir la production (et l’emploi). Pour présenter cette situation plutôt complexe, en un résumé quelque peu simplifié, deux solutions privilégiées s’offraient : fermer de nombreux ateliers et réduire la production de manière drastique, ou maintenir la production au niveau précédent, mais exporter et explorer de nouveaux marchés à l’extérieur des Pays-Bas.
12L’exploration de nouveaux marchés étrangers et l’organisation de l’exportation de peintures et de gravures allaient au-delà de la compétence des producteurs et des marchands locaux. Toutefois, parmi le milieu anversois des négociants internationaux, une nouvelle catégorie de marchands d’art émergea, capables de prendre en charge ces questions. Remarquablement organisés, ils possédaient des réseaux de distribution internationaux, en relations avec des agents-commis bien adaptés, sur place, dans des villes majeures, telles que Paris, Vienne, Hambourg, Séville, et aussi étendues qu’en Nouvelle-Espagne et Asie (Japon et Chine).
Culture de l’imitation et attribuabilité11
13Expédier des images à travers le monde semble avoir été moins problématique que d’émettre un jugement sur les mérites de la peinture et de la gravure. Les marchands apprirent également une précieuse leçon de leurs acheteurs : l’attribuabilité est prise en compte, pas l’anonymat. Sans signature, ou même sans attribution possible, une peinture (ou une gravure) se retrouve isolée et doit être jugée sur ses mérites, une notion qui comporte de sérieuses limites dans son application au XVIe siècle. Cette limitation était contournée dans l’industrie de la gravure par l’ajout de toutes sortes d’informations (du moins en apparence), dont les noms de l’inventeur, du graveur et de l’éditeur. En comparaison du marché secondaire pour la peinture, le marché de la gravure semble avoir été moins asymétrique et davantage transparent. En quoi est-ce important ? C’est précisément l’efficacité de l’information et la transparence élevée qui ont permis l’expansion des marchés de l’art internationaux. Cependant, est-ce que la lettre dans les gravures (nom de l’inventeur, …) contribue vraiment au bon fonctionnement de l’information ?
14L’attribution n’est pas une science exacte, car elle repose sur des attitudes variables envers le collectionnisme, envers les notions d’« original », de « copies », d’« auteur » ou d’« inventeur », envers des pratiques telles que la participation du maître à l’œuvre… Au fil des siècles, l’un des thèmes majeurs de la littérature artistique fut le débat sur l’attribuabilité, avec pour questions centrales et récurrentes : qui fait l’attribution et pour qui ? Aux XVIe et XVIIe siècles, de nouvelles catégories d’acheteurs émergèrent, dont de nombreux marchands qui pour certains étaient plus intéressés par l’acquisition de biens matériels que par le connoisseurship. Ceci conduisit, paradoxalement, à un accroissement de la demande pour des originaux et des copies attribuables (les connaisseurs s’en moquent, ils « savent »). L’attribuabilité pour ces acheteurs signifiait que de la valeur pouvait être imputée à une peinture ou une gravure sur la base de la réputation de son créateur (ou inventeur). Une simple image peut bénéficier de la valeur de l’ensemble de l’œuvre d’un artiste, même s’il ne s’agit pas de sa meilleure pièce. D’où l’importance de la rendre identifiable à travers la typologie du sujet dans la peinture, ou à travers « la révélation de l’inventeur » dans la gravure. Nous connaissons tous les stéréotypes bien ancrés conduisant à associer une imagerie étrange et surréaliste à l’œuvre de Bosch, ou des scènes paysannes à l’œuvre de Bruegel. Mais quelle relation révèle-t-on quand l’inventeur est mentionné sur une gravure ? L’identification de l’auteur ? L’existence d’un original perdu ou inaccessible ? Ou une construction à partir de cet original ? Dans quel but ? La question de l’authenticité ne se pose que pour les acheteurs lorsqu’il n’y a pas d’éléments tangibles et sûrs concernant la paternité de l’œuvre. Les marchands étaient peu enclins à communiquer l’information relative aux peintures ou aux gravures. La plupart du temps, ils gardaient les œuvres originales hors de la vue du public des acheteurs.
15Par exemple, des marchands peu ouverts à la transparence, tels que Chrisostomo Van Immerseel (qui expédiait d’importantes cargaisons vers la Nouvelle-Espagne), gardaient certaines des meilleures œuvres de Jan Bruegel, en tant qu’« originales » ou principaelen derrière des portes closes, hors de la vue de ses clients12. Ces principaelen peuvent être de vrais originaux, ou « considérés comme des originaux », la distinction n’étant pas toujours claire. Le terme est emprunté au milieu bancaire. Le principael en peinture est l’équivalent du principal en banque : un capital qui doit être conservé intact, tandis que seuls les revenus générés par les intérêts peuvent être utilisés. Un document d’archive révèle que les marchands d’art, sans exception, considéraient tous les peintures originales qu’ils acquéraient comme un capital, produisant des revenus. Elles n’étaient pas vendues immédiatement, mais gardées dans la boutique. Elles étaient utilisées pour tirer profit de copies en séries, comme – pour citer Van Immersel – les formes du cordonnier13. Le marché de la copie répondait également aux attentes de la demande provenant de plusieurs marchés émergents en Europe, aux Amériques et notamment en Nueva España. Il est important de souligner que sur ces marchés, on trouve principalement une hausse de la demande pour des peintures attribuables qui ne soient pas nécessairement des œuvres originales.
Copie-fantôme et appropriation de la valeur
16Il est nécessaire de nous arrêter quelque peu sur la question de la valeur, et plus particulièrement sur la manière dont elle est exprimée à travers les prix dans les différents secteurs d’un marché compétitif et selon des moments précis dans le temps. En ce qui concerne la peinture, le sujet et les matériaux (en plus du coût de la main-d’œuvre) demeuraient les facteurs déterminants du prix, jusqu’à ce que les notions d’inventeur et d’auteur soient progressivement prises en compte dans la seconde moitié du XVIe siècle. La même tendance peut être observée pour la gravure, où l’identification de l’inventeur était couramment révélée. En fait, le principe de « la peinture à la manière de », de la contrefaçon, ou comme nous allons le voir, de la copie-fantôme, ne peut rencontrer le succès que dans un milieu où les notions d’inventeur et d’auteur ont une reconnaissance et sont valorisées. Le fait de faire une attribution à un inventeur ou à un auteur – ici aussi la distinction n’est pas toujours évidente – doit être tenté afin de s’approprier la valeur assignée à un type de sujet spécifique ou à n’importe quelle autre particularité significative (ou identifiable). J’aimerais attirer l’attention sur une conséquence étrange de l’importance de l’authenticité dans le contexte d’un marché à l’information imparfaite et de faible transparence. Dans ces marchés, des copistes astucieux peuvent essayer de s’approprier une part de l’aura des vrais originaux, en faisant leurs propres « originaux » et en les attribuant à un maître dont l’œuvre est largement connu et apprécié. Mais pourquoi de jeunes artistes ont-ils préféré produire des copies et des copies-fantômes plutôt que leurs propres œuvres originales ?
17Les copies s’approprient de la valeur par le biais d’allusions explicites à la réputation et à l’invention. Le sens du renversement, auquel se rattachent les originaux jouant le rôle de copies, était courant dans la culture visuelle du XVIe siècle. Walter Benjamin a affirmé que l’anonymat de la copie fait perdre de la valeur à l’original. Si la copie affranchit l’image de sa base rituelle, l’œuvre perd aussi l’aura de son unicité (Einmaligkeit), et sa valeur de culte (Kultwert)14. Les originaux fonctionnant comme des copies originales attestent que les notions d’inventeur et d’auteur ont changé et qu’elles commencent à compléter les critères plus anciens de l’estimation. Si ces notions étaient connues de manière sporadique au XVe siècle (pensons à Van Eyck, par exemple), les critères les plus courants de l’évaluation étaient encore le caractère sacré du sujet (une sainte icône) et le coût des matériaux (des pigments onéreux tels que l’outremer, la peinture à l’huile sur panneau ou la tempera sur toile).
Tableau 2 : Certains facteurs produisant de la valeur, ajoutés aux coûts des matériaux et de la main-d’œuvre
XVe siècle | XVIe siècle | XVIIe siècle |
Invention | ||
Désignation à la vente | ||
Attribution/réputation | Attribution/réputation | |
Typologie de sujet | Typologie de sujet | |
Identification de l’inventeur | Identification de l’inventeur | |
Sujet | Sujet | Sujet |
Matériaux | Matériaux | Matériaux |
Source : N. De Marchi, H. J. Van Miegroet, « Pricing Invention », dans V. Ginsburgh, P.-M. Menger (éd.), Studies in the Economics of the Arts, Amsterdam, 1996, p. 54.
18Durant le XVIe siècle, les critères de l’évaluation devinrent plus complexes. Le coût de la main-d’œuvre, le sujet et les matériaux étaient toujours des facteurs déterminants pour le prix, mais les notions d’invention et d’auteur furent progressivement ajoutées. En fait, l’invention et son auctorialité implicite devinrent les catégories privilégiées dans l’initiative artistique, notamment parce qu’elles permettaient une estimation plus rapide dans un marché peu transparent. Le Tableau 2 montre comment les catégories de l’évaluation s’ajoutèrent progressivement à travers les siècles.
19La pratique étendue de la copie, de la paraphrase, et même de la contrefaçon à large échelle, d’après Bosch au XVIe siècle, ou Bruegel au XVIIe siècle, indique qu’une partie du public accordait souvent pour leurs attributions, davantage de poids à une « invention » reconnaissable en fonction du type de sujet, au détriment des autres critères. Jeffrey Muller, en commentant le phénomène d’originaux frauduleux, a cité Felipe de Guevara à ce propos15. Guevara remarquait dans ses Comentarios de la Pintura (ca. 1560) que les copistes n’imitaient que des éléments superficiels du style de Bosch, sans aucune « discrétion ou bon jugement », et sans comprendre le contexte de la typologie boschienne. Cependant, comme l’a souligné Muller, la notion personnelle de Guevara de la paternité, était purement définie en termes d’« invention », en ignorant la manière comme élément de l’authenticité. Cette première notion a dû s’inscrire dans le contexte de la réception de l’art de Bosch en Espagne, ce qui peut expliquer les nombreuses copies de basse qualité et les faux expédiés vers la péninsule Ibérique16.
20On peut relever deux types de relations entre ces concepts pour lesquels le phénomène des copies-fantômes semble pertinent : premièrement, les critères de l’estimation et de l’authenticité, et deuxièmement, les pratiques artistiques. Dans le premier cas, la présence de ces copies suggère que la terminologie n’était pas fixée à la fin du XVIe siècle. Des originaux présentés comme des copies tiraient en fait avantage d’une norme hybride que nous avons déjà appelée « identification de l’inventeur fondée sur le type de sujet ». Dans le second cas, il semble bien que ce phénomène résulte de décisions pragmatiques prises par des artistes novices ou moins connus.
21De nombreux artistes débutants pouvaient probablement s’offrir un meilleur train de vie en peignant ou en gravant des pseudo copies dans le style d’artistes célèbres, plutôt qu’en revendiquant leur propre style17. Dans ce milieu, la copie-fantôme pouvait remporter du succès, car elle affirmait que la peinture produite était une copie faite d’après un original non accessible. En fait, il s’agissait d’un original qui ressemblait à une copie d’après un original non existant. Il y a de nombreux artistes à qui l’on peut attribuer des peintures faites « dans le style de ». Van Mander, par exemple, cite un fils illégitime du célèbre Pieter Coecke, Pauwels van Aelst, dont la réputation ne reposait pas sur ses propres œuvres, mais sur celles qu’il avait magistralement réussies à copier d’après Jan Gossaert18. À Anvers, Pieter Bruegel le jeune a dû faire face à des choix auxquels de nombreux autres artistes ont dû être également confrontés : produire des créations originales et se contenter d’un revenu modeste ; accepter le statut relativement anonyme d’assistant ou de journalier dans un atelier ; ou travailler dans le style reconnu d’un maître réputé en jouissant des avantages de la « reconnaissance de la marque ». Le choix n’a pas dû être difficile, d’autant qu’avec le temps, il était possible d’évoluer vers un style plus indépendant, mais avec une situation plus rassurante du point de vue économique. Cette attitude était partagée par les principaux éditeurs tels que Hieronymus Cock, qui a nettement favorisé l’attribuabilité et la reconnaissance du nom19.
22Il n’est pas étonnant que Bruegel dans ses premières années ait produit des dessins nettement boschiens (Fig. 1) pour des gravures, telles que Les grands poissons mangent les petits (1556), L’Allégorie des sept Péchés capitaux (1556) 57), Elck (1558), L’alchimiste (1558) et L’Allégorie des sept Vertus (1559)20. Les différents états et les copies remaniées des Grands poissons mangent les petits, par exemple, témoignent de stratégies commerciales conscientes, voire même politiques, se jouant du goût du public pour l’attribuabilité, et sans grand respect pour la réelle paternité21. Quand Bruegel réalisa son dessin pour Les gros poissons mangent les petits, seuls son nom et la date furent inscrits dans l’angle inférieur droit. Aucune référence à Bosch ne figurait sur la feuille22.
23Toutefois, des mentions relatives à Bosch figuraient dans le premier état gravé par Pieter van der Heyden pour Cock, où l’inscription « Hieronijmus. Bos. Inventor » apparaît au-dessus du monogramme de Van der Heyden, dans l’angle inférieur gauche de l’estampe (Fig. 2). La référence à Cock est signalée en bas à droite, avec la date de 155723. Le nom de Bruegel, qui figure à l’origine, sur le dessin de Vienne a disparu. De nombreuses spéculations ont eu cours sur ce qui aurait pu causer cette modification, dont une affirmation assez répandue selon laquelle certains éléments de la composition auraient été empruntés à un dessin perdu de Bosch « à condition que l’inscription sur l’estampe soit exacte »24.
24Mais qu’en serait-il si Bruegel avait simplement produit une composition boschienne ou une copie-fantôme que Cock souhaitait vendre comme étant de l’invention de Bosch ? Lorsqu’en 1619, une copie retravaillée en sens inverse fut publiée à La Haye par Hendrick Hondius (1573-1650), la mention « H. Bos. Inv. » figurait encore en bas à gauche25. Or, dans les états suivants (E-F) de la planche de Hondius, publiés un peu plus tard à Amsterdam par Claes Jansz Visscher (1587-1652), le nom de Bosch avait disparu, et l’inscription « P. Bruegel inven. » avait été gravée au-dessus des traces de 161926. Il n’est pas étonnant que ce changement se soit produit à une période où l’art de Bosch n’était plus en grande faveur, éclipsé par une industrie artisanale florissante d’œuvres d’après Bruegel, copies, copies-fantômes, variantes et imitations, provenant d’Anvers, où elles étaient produites et commercialisées avec une énergie sans faille par la famille Bruegel27.
25Cette « restauration » de l’invention bruegelienne au XVIIe siècle a certainement été motivée par des raisons commerciales. En effet, elle doit être également considérée dans l’ambiguïté du contexte des attributions, aux XVe et XVIe siècles, qui se heurta à la tendance croissante de la valorisation de la signature, un autre signe légalisé dans un environnement peu transparent. Albrecht Dürer a lancé plusieurs poursuites judiciaires à l’encontre des graveurs qui pirataient ses compositions, dont un procès le 7 février 1506 contre Marc Antoine Raimondi à Venise, et un autre en 1512, contre un étranger qui vendait des gravures à Nuremberg avec un faux monogramme du maître28. Ici, la notion d’attribuabilité en fonction du monogramme, de l’inscription ou de la signature est fondamentale, puisque le délit du faussaire n’est pas d’avoir copié la composition, mais la signature de Dürer, une entité légale dont l’importance dérive de pratiques mercantiles29. Bien que les notions d’attribuabilité et de réputation existassent déjà au XVe siècle – pensons à Jan Van Eyck ou Rogier van der Weyden – les législateurs ne commencèrent à aborder la question de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur que dans les dernières décennies du siècle30.
Fig. 1 : Pieter Bruegel, Dessin pour Les grands poissons mangent les petits, avec la signature de l’artiste en bas à droite.

Vienne, Graphische Sammlung der Albertina.
Fig. 2 : Hieronymus Cock (éditeur), Pieter Van der Heyden (graveur), Les grands poissons mangent les petits, avec l’inscription “Hieronymus Bosch Inventor” dans l’angle inférieur gauche, remplaçant la signature de Bruegel, 1556.

26L’importance accordée à la valeur commerciale de l’attribuabilité et de la réputation aide également à comprendre pourquoi les privilegien, ou privilèges d’invention (droits d’auteur), étaient recherchés par les artistes qui estimaient avoir droit au mérite distinctif. Rubens essaya d’obtenir des privilèges généraux dans tous les pays où l’on pouvait vendre des gravures d’après ses peintures31. Dürer, un siècle plus tôt, fut l’un des premiers à user de tels privilèges, mais comme le suggèrent les procès qu’il a intentés, il a également joué un rôle dans l’interprétation complexe des notions de copies, droits d’auteur, attribuabilité et valeur de l’invention, qui s’élaborent au XVIe siècle.
Copie-fantôme et réalité virtuelle
27L’introduction de la copie-fantôme comme nouvelle catégorie critique de l’analyse des pratiques de la peinture et de la gravure au début de la période moderne paraît en contradiction avec les écrits théoriques ou l’arrière-plan historique, traditionnel et largement rebattu, esquissé comme un contexte pour l’art. Les théoriciens de l’art ne sont pas supposés accorder beaucoup d’intérêt aux réalités du marché ; ils partagent, avec une majorité d’historiens de l’art et de professionnels des musées, une obsession manifeste pour l’identification de l’attribution. En fait, nombre de leurs propos tendent à affirmer l’importance de la paternité comme une catégorie privilégiée de l’initiative artistique. Toutefois, Peter Jaszi affirme que la paternité « est une construction politique, sociale et économique plutôt qu’une catégorie réelle et naturelle »32. Jaszi soutient ce point de vue dans le cadre d’une réflexion sur les concepts fondateurs associés à la doctrine du droit d’auteur. Cette perspective n’est pas totalement dénuée de fondement. Au XVIe siècle, c’est une obsession du même ordre pour l’attribuabilité, déterminant l’identification de l’auteur et de l’inventeur, qui explique l’insistance de Dürer sur la protection de la propriété intellectuelle tout comme elle clarifie l’essor de la copie-fantôme. Pour le moins, tout cela nous apporte un éclairage sur des structures privilégiées, noyées dans des circonstances socio-économiques et historiques.
28La « copie » pratiquée de longue date, comme la « copie-fantôme » nouvellement introduite, ré-affirment la revendication croissante, à partir du XVIe siècle, du rôle privilégié accordé à l’identification de l’auteur et à la reconnaissance de la marque. Mais alors qu’une copie implique une présence (l’original), une copie-fantôme renvoie toujours à une absence, puisqu’il s’agit d’une œuvre originale simulant le fait d’être une copie d’après un original qui n’existe pas. Pour paraphraser les termes de Baudrillard, feindre de ne pas avoir ce qu’on a (copie) laisse intact le principe de réalité : la différence est toujours claire33. Tandis que la copie-fantôme (simulation) remet en cause la différence du « vrai » et du « faux », du « réel » et de l’« imaginaire ». En d’autres termes, une copie peut être examinée face à un original existant, face à la réalité. Une copie-fantôme suppose l’existence d’un original confirmé avec lequel elle ne peut pas être confrontée. En fait, la réalité est simulée et n’a pas d’existence. Elle est de l’ordre du virtuel.
29Les idées présentées dans ces lignes peuvent à la fois réconforter et inquiéter. Comme dans n’importe quelle étude centrée sur des questions analytiques ou conceptuelles, les résultats obtenus ne peuvent pas être aisément généralisés à d’autres secteurs du marché qui connaissent des conditions ou une réglementation du commerce différentes. L’aspect positif réside dans les retombées du point de vue herméneutique, notamment dans la capacité d’affiner notre compréhension de ce que constituent une copie et une copie-fantôme.
30La copie-fantôme en gravure est, en fait, une image de médiation, où la simulation se confond avec sa source, de façon fort semblable à ce qui se produit aujourd’hui avec l’Internet : une multiplication continuelle sans qu’il n’y ait le besoin ou la nécessité d’originaux correspondants. Les copies-fantômes sont des compositions originales, simulant le fait d’être des copies d’après des originaux non existants. Les marchands d’art ont dû contribuer à l’essor de ces copies-fantômes, non seulement parce qu’ils préféraient entretenir une faible transparence quand ils pouvaient le faire, mais aussi parce que leurs acheteurs insistaient pour avoir plus d’attributions, ou plutôt d’attribuabilité. Il s’ensuit que les copies-fantômes prospèreront dans un marché peu transparent et à l’asymétrie d’information. Ceci va dans le sens des conclusions plus anciennes relatives aux marchands internationaux qui gardaient leurs originaux hors de la vue du public des acheteurs, et considéraient leurs pratiques commerciales comme relevant du secret tout en offrant une information restreinte sur la manière dont les images sont produites et sur la façon de former leurs prix.
31Je n’ai présenté que quelques nouvelles hypothèses, mais les éléments pour vérifier ces affirmations existent en abondance. Les images qui nous sont parvenues demandent à être étudiées avec de nouvelles séries de questions à l’esprit, notamment en révisant les notions d’original, de copie et de copie-fantôme. L’ensemble de ces concepts et leurs catégories épistémologiques correspondantes doivent être structurées (et re-définies) dans des cadres chronologiques, géographiques et économiques bien spécifiques. Une remarque moins provisoire, en guise de conclusion, est que l’étude actuelle de la peinture et de la gravure, en tant qu’éléments d’une culture visuelle élargie et de son histoire, ne peut plus davantage échapper aux analyses longitidunales et approfondies des liens de causes à effets avec les questions économiques
Notes de bas de page
1 M. Limberger, « No town in the world provides more advantages : economies of agglomeration and the Golden Age of Antwerp », in P. O’Brien (éd.), Urban Achievement in Early Modern Europe. Golden Ages in Antwerp, Amsterdam and London, London, 2001, p 39-62.
2 Les marchés sont définis ici comme des arènes de concurrence dans lesquelles différents acteurs s’engagent avec flexibilité dans des stratégies expérimentales pour un gain relatif. Voir N. De Marchi, H. J. Van Miegroet, « Art, Value, and Market Practices in the Netherlands in the Seventeenth Century », The Art Bulletin, 1994, LXXVI, p. 452.
3 J. Baudrillard, « La précession des simulacres », Traverses, 1978, n° 10, p. 3-37 ; J. Baudrillard, Simulacres et Simulation, Paris, 1981. Voir également M. W. Smith, Reading Simulacra : Fatal Theories for Post-Modernity, Albany, 2001.
4 N. De Marchi, H. J. Van Miegroet, « History of Art Markets », dans V. Ginsburgh, D. Throsby (éd.), Handbook on the Economics of Art and Culture, Amsterdam-Londres-Tokyo, 2006, p. 69-122 (Chapitre 3).
5 « L’argument de la transparence » en relation avec les vendeurs aux enchères est pleinement développé dans N. De Marchi, H. J. Van Miegroet, « The Rise of Dealer-Auctioneers. Information and Transparency in Markets for Netherlandish Paintings », dans K. Jonckheere, A. Tummers (éd), Art Market and Connoisseurship in the Dutch Golden Age, Amsterdam, 2008, [sous presse].
6 Sur la production et les exportations, voir F. Vermeylen, Painting for the Market Commercialization of Art in Antwerp’s Golden Age, Turnhout, 2003 ; F. Vermeylen, « Exporting Art across the Globe. The Antwerp Art Market in the Sixteenth Century », dans R. Falkenburg, J. de Jong, D. Meijers, B. Ramakers, M. Westermann (éd.), Kunst voor de markt/Art for the market, 1500-1700, Nederlands Kunsthistorisch Jaarboek (1999) 50, Zwolle, 2000, p. 13-25 ; F. Vermeylen, « The Commercialization of Art : Painting and Sculpture in Sixteenth-Century Antwerp », dans M. W. Ainsworth (éd.), Early Netherlandish Painting at the Crossroads. A Critical Look at Current Methodologies, New York, New Haven, Londres, 2001, p. 46-61, avec un commentaire de J.-M. Montias, p. 62-65. Sur le nombre de peintres, voir ci-dessus, mais aussi, M.-P.-J. Martens et N. Peeters, « Artists by Numbers : Quantifying Artists Trades in 16th century Antwerp », dans M. Faries (éd.), Making and Marketing. Studies of the Painting Process in Fifteenth-and Sixteenth-Century Netherlandish Workshops, Turnhout, 2006, p. 211-222.
7 Voir notamment, E. van Autenboer, « Nota’s over de Mechelse Waterverfschilders », Mechelse Bijdragen, 1949, n° 11, p. 33-45 ; E. van Autenboer, « Mechelen in de 16de eeuw : Schade wordt toegebracht en hersteld », Handelingen van de Koninklijke Kring voor Oudheidkunde, Letteren an Kunst van Mechelen, 1985, n° 89, p. 197-242 ; A. Monballieu, « Documenten van het Mechels schilders-en beeldsnijdersambacht. I. De Rolle van 1564 », Handelingen van de Koninklijke Kring voor Oudheidkunde, Letteren an Kunst van Mechelen, 1969, n° 73, p. 88-106, et J. Denucé, « Documenten… II. Het rewest van 1562 en het probleem van de 51 of 150 ateliers », Handelingen van de Koninklijke Kring voor Oudheidkunde, Letteren an Kunst van Mechelen, 1971, n° 75, p. 71-82. Parmi les travaux remarquables plus anciens, voir E. Neeffs, Histoire de la peinture et la sculpture à Malines, Gand, 1876, 3 vol. Nous devons beaucoup à ces auteurs et notamment à A. Monballieu, R. De Smedt, ainsi qu’à J. Vander Auwera pour nous avoir présenté des documents aux archives municipales de Malines.
8 N. De Marchi, H. J. Van Miegroet, « The Antwerp-Mechelen Production and Export Complex », dans M. Mochizuki, A. Golahny, L. Vergara (éd), Essays in Memory of John Michael Montias, Amsterdam, 2007, p. 133-147.
9 Ces chiffres découlent des acquisitions de peintures malinoises par les Forchondts et par Musson. Voir J. Denucé, Kunstuitvoer in de 17e eeuw te Antwerpen. De Firma Forchoudt, Anvers, 1931 ; E. Duverger, Nieuwe gegevens betreffende de kunsthandel van Matthijs Musson en Maria Fourmenois te Antwerpen tussen 1633 en 1681, reprint de Gentse Bijdragen tot de Kunstgeschiedenis en de Oudheidkunde, 1969, n° 21.
10 Il n’est pas tout à fait juste de parler de courbes de la demande puisque ont été retenues bien plus que les quantités acquises à des prix différents pour le même bien. Même les peintures les moins chères ont été différenciées par auteur, dimensions et sujet.
11 NdT : Nous avons volontairement employé le néologisme « attribuabilité » pour conserver la nuance exprimée par l’auteur entre l’attribution (attribution) et la faculté d’être attribuable (attributability) que nous traduisons par « attribuabilité ».
12 Sur Van Immerseel et ses pratiques, voir N. De Marchi, H. J. Van Miegroet, « Exploring Markets for Netherlandish Paintings in Spain and Nueva España », Nederlands Kunsthistorisch Jaarboek, vol. L, 2000, p. 81-111.
13 Cette information provient de la correspondance entre Chrisostomo Van Immerseel et Marie de Fourmestraux. Le texte original est le suivant : « ick sal de principaelen sinnen hier/ hauden want met 2 mael de coppien is genoch. want men mach daer/geene principaelen senden (...) de principaelen moeten hier dienen als aen de schoenmaecker haeren leest. », Anvers, Stadsarchief, Insolvente Boedelkamer, IB 204, Lettre de Chrisostomus Van Immerseel à Marie de Fourmestraux (11 octobre 1634), fol. 159v ; et encore : « (...) de principaelen en dienen in geenderley manieren [?] gesonden wy/sullen der hier beter proffeyt mede doene in die daernaer noch meer/te doen coppieren (...) ». Chrisostomo ajoute : « Plus tard, vous apprécierez la sagesse d’avoir gardé les principaelen ici », Anvers, Stadsarchief, Insolvente Boedelkamer, IB 204, Lettre de Chrisostomus Van Immerseel à Marie de Fourmestraux (17 janvier 1635), fol. 173v.
14 La terminologie est empruntée à Walter Benjamin, Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit. Drei Studien zur Kunstsoziologie, (Edition Suhrkamp Verlag), Frankfort, 1963, p. 20-21, 53, n. 7. C (Cet essai parut également dans une traduction anglaise sous le titre légérement modifié « The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction » dans H. Arendt (éd.), Walter Benjamin, Illuminations, New York, 1968, p. 220). Bien que cette interprétation puisse sembler anachronique, le sujet central est la reproductibilité (Reproduzierbarkeit), les moyens, et les pratiques. Les différences avec les équipements mécaniques et photographiques ultérieurs ne sont que des différences de degrés. Voir aussi B. Witte, Walter Benjamin. An Intellectual Biography, (traduction anglaise revue et augmentée par J. Rolleston), Detroit, 1991.
15 J. Muller, Rubens : the Artist as Collector, Princeton, 1989, p. 142, se refère à l’édition de Felipe de Guevara, Comentarios de la pintura que escribió Don Felipe de Guevara, mentionnée dans F. J. Sánchez Cantón (éd.), Fuentes literarias para la historia del arte español, vol. I, Madrid, 1923.
16 Pour la totalité du passage reflétant la réception de Bosch en Espagne, voir Felipe de Guevara, Comentarios de la pintura que escribió Don Felipe de Guevara Gentil-hombre de boca del Senor Emperador Carlos Quinto, Rey de España. Se publican por la primera vez con un discurso preliminar y algunas notas de Don Antonio Ponz, quien of rece su trabajo al excelentisimo señor Conde de Florida-Blanca, protector de la nobles Artes, Madrid, Don Geronimo Ortega, Hijos de Ibarra y compañia, 1788, p. 41-44.
17 À comparer avec Z. Filipczak, Picturing Art in Antwerp, 1550-1700, Princeton, 1987, p. 45.
18 K. van Mander, The Lives of the Illustrious Netherlandish and German Painters, from the first edition of the Schilder-boeck (1603-1604), vol. I, Doornspijk, 1994, fol. 218v, p. 132-33 (édition avec une introduction et une traduction de H. Miedema).
19 Th.-A. Riggs, Hieronymus Cock (1510-1570) : Printmaker and Publisher in Antwerp at the Sign of the Four Winds, Ph. D. Yale, 1971 (University Microfilms, Ann Arbor, 1977). Voir également W.-S. Gibson, « Some Flemish Popular Prints from Hieronymus Cock and his Contemporaries », Art Bulletin, LX, 1978, pp. 673-81.
20 W.-S. Gibson, Bruegel, New York, Toronto, 1977, p. 44-64.
21 R. Van Bastelaer, The Prints of Peter Bruegel the Elder. Catalogue Raisonné (traduit et revu par S. Fargo Gilchrist), San Francisco, 1992, p. 190-91, n°. 139.
22 216 x 302 mm ; plume et encre grise et noire sur papier tacheté. Signé et daté en bas à droite : « 1556 breughel ». Vienne, Albertina, inv. no. 7875. Voir également W-S. Gibson, Op. cit. (note 20), p. 44-45, et R.-H. Marijnissen, Bruegel, Antwerp, 1988, p. 81-82. Concernant le changement (suspect) de l’attribution par Cock, du nom de l’inventeur, de Bruegel à Bosch, W.-S. Gibson remarquait que « His [Cock’s] reasons for omitting Bruegel’s name are unclear ; perhaps he wished to capitalize on the reputation of the older artist. » (W.-S. Gibson, Op. cit. (note 20), p. 45).
23 229 x 296 mm. Cette version, selon R. Van Bastelaer est l’état A (l’un des trois états A-B-C de la planche originale). Louis Lebeer a suggéré que le nom de Bosch a dû être ajouté après que la planche ait été complétée, car il est gravé sur des hachures déjà existantes. Voir L. Lebeer, Catalogue Raisonné des estampes de Bruegel l’ancien, Bruxelles, 1969, p. 59.
24 Th.. Riggs, Op. cit. (note 19), p. 322, n° 40.
25 À la différence des trois états (A-B-C) de la planche originale, cet état est le second de la planche copiée (le premier, selon Lebeer) d’une série de six (états A-F ; Van Bastelaer mentionne un premier état avec l’incription : « Hh [Hendrick Hondius] excud. » et « P. Bru. inv. », mais Lebeer doute de l’existence de ce premier état. Sur le second (?) état apparaît : « Hh excud. » et « H. Bos. inv. »). Les troisième et quatrième états sont devenus des pamphlets politiques, pour lesquels Hondius reçut 24 guilders des États-Généraux. Ils prennent pour cible la faction des pro Remonstrants de Johan van Oldenbarnevelt, qui fut executé le 13 mai 1619 sur l’insistance du stadtholder Maurice d’Orange. Voir N. Orenstein, H. Leeflang, G. Luijten, Ch. Schuckman, « Print Publishers in the Netherlands 1580-1620 » dans cat. exp. Dawn of the Golden Age : Northern Netherlandish Art 1580-1620, Amsterdam, Rijksmuseum, 1993, p. 167-200, plus particulièrement p. 187.
26 R. Van Bastelaer, Op. cit. (note 21), p. 192.
27 Sur la famille Bruegel et ses relations avec l’œuvre Pieter Bruegel l’Ancien, voir cat. exp. Bruegel Une dynastie de peintres, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 1980 (avec une importante bibliographie). Voir également Kl. Ertz, « Jan Brueghel de Oude », dans Kl. Ertz, Ch. Nitze, Breughel-Brueghel. Pieter Brueghel de Jonge (1564-1637/8)-Jan Brueghel de Oude (1568-1625). Een Vlaamse schildersfamilie rond 1600, Wesen, Vienne, Anvers, 1998 ; P. Van den Brink (éd.), Brueghel Enterprises, Maastricht, 2001.
28 J.-L. Koerner, The Moment of Self-Portraiture in German Renaissance Art, Chicago, 1993, p. 209. Voir aussi, L. Pon, Raphaël, Dürer and Marcantonio Raimondi, New Haven, 2004.
29 La notion de propriété intellectuelle et d’invention chez Dürer est exprimée dans le colophon en latin, imprimé sur la dernière feuille des éditions complètes, en 1511, de sa Vie de la Vierge, Grande Passion et Petite Passion : « Beware, you envious thieves of the work and invention [laboris et ingenii] of others, keep your thoughtless hands from these works of ours. We have received a privilege from the famous emperor of Rome, Maximilian, that no one shall dare to print these works in spurious forms, nor sell such prints within the boundaries of the empire… Printed in Nuremberg by Albrecht Dürer, painter » (cité d’après Koerner, Op. cit (note 28), p. 213). [Prenez garde à vous, voleurs envieux du travail et de l’ingeniosité [laboris et ingenii] des autres, éloignez vos mains maladroites de ces œuvres qui sont les nôtres. Nous avons reçu un privilège du célèbre empereur de Rome, Maximilien, pour que personne n’ose imprimer ces œuvres sous une forme fausse, et ne puisse vendre de telles estampes à l’intérieur des frontières de l’Empire… Imprimé à Nuremberg, par Albrecht Dürer, peintre]
30 R. Bowker, Copyright : Its History and Its Law, Cambridge, 1912, notamment p. 10-20.
31 N. Orenstein, H. Leeflang, G. Luijten, Ch. Schuckman, Op. cit. (note 25), p. 174
32 P. Jaszi, « Toward a Theory of Copyright : the metamorphoses of Authorship », Duke Law Journal, 1991, p. 455-502, et plus particulièrement p. 459.
33 J. Baudrillard, Op. cit. (note 3), 1981, p. 12-14.
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