Chapitre 6. Le tableau et son prix
p. 267-287
Texte intégral
Le prix du tableau : un baromètre du goût ?
1La seconde moitié du XVIIIe siècle est une époque de mutations du marché de l’art. L’une des révolutions majeures de la période concerne la hausse notable du prix des tableaux, principalement des écoles nordiques, à partir de la fin des années 1750. Après avoir connu un fléchissement au moment de la guerre de succession d’Autriche, en raison du repli de la demande étrangère, les prix connaissent une progression spectaculaire, d’abord en Hollande, puis sur le marché français au lendemain de la paix1. Les observateurs sont unanimes et les témoignages de ce renchérissement progressif ne manquent pas. Le grand connaisseur Mariette note, à propos d’un paysage de Rubens adjugé 9.905 livres à la vente Tallard en 1756 : « Que les prix ont changés, ce tableau ne fut vendu chez M. d’Armagnac que 1.650 livres »2. Toutefois, les prix n’enregistrent une hausse spectaculaire qu’une dizaine d’années plus tard. Les facteurs conjoncturels devaient maintenir une certaine stabilité des prix entre 1759 et 1761, période de la Guerre de Sept Ans. On ne peut en effet dire que la vente du cabinet du comte de Vence, pourtant réputé, reportée à plusieurs reprises en raison de ces événements, ait été l’un des temps forts de la Curiosité sur le plan financier, même si les prix obtenus s’avérèrent assez soutenus. Le banquier Eberts, qui acheta à cette occasion un certain nombre de tableaux pour la margrave Caroline de Bade déçue de n’avoir pu obtenir, faute d’enchères suffisantes, tous les tableaux qu’elle convoitait, lui fait remarquer : « V.A.S. ne laissera pas d’être surprise du Goût qu’on a à Paris pour la peinture, et que la rareté de l’argent n’a pas encore pu ralentir. Qu’est-ce que cela auroit été si on avait diféré cette vente presqu’au retour de la Paix. Les anglois auroient peut être poussé certains morceaux jusqu’au double »3. C’est ce qui devait se produire peu après le rétablissement de la paix. L’intervention des grands acheteurs étrangers sur le marché parisien fut incontestablement un facteur de hausse. Mettra, l’agent du roi de Prusse à Paris, souligne en 1766 « le prix que l’affluence des étrangers a mis aux beaux tableaux »4. La reprise et la hausse spectaculaire des prix se confirment en effet avec la vente du cabinet de Gaillard de Gagny, Receveur général des Finances, en 17625. Eberts, qui suit cet événement pour la Margrave de Bade, témoigne de son étonnement, parlant du « feü qui a regné dans cette vente » et souligne qu’il n’a « jamais rien vû de pareil »6. Dès lors, les prix enregistrèrent une envolée spectaculaire pour atteindre leur plus haut niveau dans la décennie 1770, à la faveur des ventes Choiseul (1772), Blondel de Gagny (1776) et Randon de Boisset (1777). À ce point de vue, la vente du duc de Choiseul produisit un véritable émoi. Eberts, banquier, mais également collectionneur et surtout marchand, témoigne de sa stupeur : « Depuis que Paris offre des ventes on n’en a vû aucune qui puisse être comparée à celle de M. le duc de Choiseul… On se perd dans les réflexions sur la cause des prix extravagants, auxquels on a poussé les Tableaux de ce cabinet, dire qu’un Van der Werff grand comme la main vaille 12.000 livres, 3 vaches 8.000 livres, 10 ou 12 arbres 27.400 livres, 2 figures haut (sic) de 3 pouces, 14.000, plusieurs paysans hauts de 2 pouces 37.400 livres, un Greuze au-delà d’un Van Dyck, & c. & c. cela passe l’imagination »7. On peut penser que la personnalité du vendeur, pourtant en pleine disgrâce, ainsi que la qualité incontestable de la plupart des œuvres, furent sans doute les facteurs déterminants de cette réussite. Les tableaux, en majorité des écoles nordiques, venaient des collections les plus réputées. Les 147 lots de cette vente produisirent 450.000 livres. Neuf tableaux dépassèrent le seuil des 10.000 livres pour culminer à 37.400 livres pour deux Fêtes flamandes de David Teniers8. Eberts estime, en financier, le prix de revient de ce cabinet à 150.000 livres9, soit un bénéfice net de 300.000 livres, ce qui ne manqua pas d’enflammer les imaginations et de laisser croire à une réactualisation de la célèbre phrase de Coulanges à Madame de Sévigné : « C’est de l’or en barre que les tableaux ; il n’y eut jamais de meilleure acquisition. Vous les vendrez toujours au double quand il vous plaira »10.
2Avec le succès de la vente Choiseul, la collection de tableaux devient un objet spéculatif. Ce fait ne doit pas cacher une certaine réalité et notamment que certains tableaux restèrent en dessous de leur prix d’achat. Un Loth et ses filles d’Adrien van der Werff, artiste pourtant très recherché, provenant du cabinet Gaignat où il avait été payé 6.000 livres en 1768, n’atteignit que 5.260 livres. Néanmoins, cette dispersion produisit incontestablement un « effet Choiseul », comme le montrèrent les ventes suivantes. À l’issue de la dispersion du cabinet du joaillier Lempereur en 1773, Eberts note à l’attention de Caroline de Bade, « Il n’y a plus moyen, Madame de marquer des prix des cabinets de Tableaux, on les estime avant la vente suposé 2.400 livres un morceau qu’on est tout étonné de voir poussé à 6.000 livres. Tous nos estimateurs sont déroutés & moi le premier »11. En revanche, à l’issue de la vente Conti, le marché étant saturé, on assista à un repli stratégique du commerce, principal acteur de ces ventes. Mais celui-ci ne devait être que provisoire. En effet, à l’occasion de la mise en vente du cabinet Poullain en 1780, le président Haudry qui en fut le spectateur, écrit à son ami Desfriches qui l’avait chargé de commissions : « [...] Rien n’y est médiocre, tout y est admirable et tout y est d’un si beau choix qu’un pauvre petit aricottier comme moy qui voudra mettre à un tableau, 25, 30 ou même 50 louis, ne trouvera pas à les employer ; ainsi monsieur, il est fort douteux que je puisse vous faire avoir quelques morceaux de cette superbe collection [...]. C’est une erreur de penser que les excelentes choses soyent diminuées de prix, on a beau tailler bras et jambes aux financiers, aux richards, elles augmenteront tous les jours de valeur, bien loin de diminuer […] »12. En quelques décennies, le tableau valeur-plaisir avait cédé la place au tableau valeur de placement. À la balance des peintres de De Piles, dépourvue d’arrière-plan commercial, succède le Répertoire de F. Ch. Joullain (1783), suivi de sa Variation de prix concernant les tableaux (1786), écrits qui illustrent bien le changement du statut de l’œuvre peinte. Le cabinet de tableaux devient le capital de l’amateur clairvoyant, le secours de ses vieux jours, comme l’exprime un collectionneur de 84 ans qui s’exclame en sortant de la vente Poullain, à laquelle il vient d’assister : « [...] Les amateurs, dont le nombre s’est prodigieusement accru depuis quelque temps, ont mis le feu partout [...]. En vérité je suis tombé des nues, j’ai eu la satisfaction de voir les richesses de mon Museum triplées de valeur : j’en félicite mes héritiers. Il y a quarante ans [vers 1740] que l’on nous regardait comme des fous, nous autres curieux, quand nous mettions mille écus [environ 6.000 livres] à des tableaux que l’on vend aujourd’hui de dix à douze mille francs. Je n’en suis pas fâché, mais je vous dirai tout bas que je crois qu’il y a dans tout cela un peu de mode ou de vertige »13. Il est vrai que cette fièvre spéculative touchait principalement les maîtres anciens, hollandais et flamands et ne fit que raviver les critiques des connaisseurs qui déploraient que l’amateur fortuné consacre son argent à l’art ancien et néglige la peinture contemporaine et donc l’encouragement à la création. L’âge des spéculateurs était arrivé. On en vient donc à brocarder les faux « connaisseurs », pour qui le prix d’une œuvre vaut certificat d’authenticité, comme celui d’honorabilité pour son possesseur. Dès 1771 l’abbé Laugier, cite le cas d’un « gros bonhomme à millions [qui] me montroit un jour un tableau qu’il m’avoit vanté comme un chef-d’œuvre. Je n’y vois rien de merveilleux ? Mais savez-vous que je l’ai payé deux mille pistoles ? Cela prouve, lui ajoutai-je, que vous êtes riche, mais non pas que le tableau soit bon »14. Tel n’était pas l’avis du collectionneur mis en scène par Jean-François de Bastide dans Le Monde, pour qui : « ...[sa] propre expérience [l’a] convaincu que les ouvrages les plus chers sont toujours les meilleurs...»15.
3Plus on avance dans le siècle et plus l’intérêt pour le prix du tableau rencontre des échos dans les écrits contemporains, particulièrement à la faveur des ventes médiatiques telle celle du cabinet du duc de Choiseul, où les œuvres atteignirent des sommets. Nombreux sont les témoignages concernant cet emportement des amateurs ou sur ce que certains n’hésitent pas à qualifier de perversion du marché. En 1772, Eberts écrit à propos des prix obtenus lors de la vente Van Loo qui vient d’avoir lieu : « Si cela dure il faudra avoir des milions avant d’aimer la Peinture »16.
4Comment expliquer ce phénomène ? On peut légitimement se demander ce qui contribue à établir le prix d’un tableau. Plusieurs facteurs peuvent le déterminer, et surtout contribuer à sa hausse artificielle. Les phénomènes de mode y ont une part importante. Laugier, dont le préjugé était plutôt favorable à l’école italienne, mais qui néanmoins a la sagesse d’admettre Teniers au panthéon des « très-grand peintres »17, décrit bien ce phénomène : « Il y a encore, dit-il, le prix d’affection ou de préjugé. La manie prend, je le suppose à tous les curieux de Paris de s’affoler des tableaux Flamands. Aussitôt tous les prodiges des écoles Romaine, Vénitienne, Florentine & Lombarde échoueront contre un Paul Brill, un Breughel, un Teniers. Un goût capricieux, un esprit de mode, mettront l’enchère à toutes les petites naïvetés des Pays-Bas, tandis que les chefs-d’œuvre d’au-de-là des monts, trouveront à peine des acheteurs ». Il y a également et conjointement le jeu des acteurs du marché. Hier comme aujourd’hui, les marchands suscitent, soutiennent le cours des œuvres, surtout lorsqu’elles leur appartiennent. Un observateur étranger, le Bâlois Emmanuel Ryhiner (le père), rend les artistes et les marchands responsables de cette situation, dénonçant notamment leurs pratiques « occultes » à l’occasion des ventes publiques18. Le sujet détermine souvent le choix des amateurs et par voie de conséquence influe sur l’augmentation du prix des œuvres qui ont leur faveur : « Un petit cabinet rempli de cupidons & d’amours en exercice, vous le préfererez, à la grande collection du Palais-Royal. Boucher sera chez vous très-supérieur à Le Sueur & Poussin. Il en sera de vous comme de ces femelettes, qui préfèrent le plus petit divertissement d’un opéra à la plus magnifique tragédie [...] ». Laugier quitte le terrain trivial des flamands, faisant ici ouvertement allusion au « goût canaille » de certains amateurs : « un tableau enfin, il faut l’avouer en rougissant, qui présentera quelque sujet obscène, traité d’une manière libre et lascive : de tout cela il résultera des prix plus ou moins hauts, selon que la singularité sera plus ou moins piquante »19. On peut voir dans ces propos une allusion au goût des financiers-collectionneurs, grands amateurs de tableaux « gaillards », dont les Hasards heureux de l’escarpolette de Fragonard, peint pour le baron de Saint-Julien, constitue l’archétype.
5En ce qui concerne la peinture hollandaise, une autre réponse nous est fournie par Watelet dans son Dictionnaire. Sa démonstration repose sur la comparaison entre le prix de la peinture d’histoire et celui du « genre » hollandais, soit entre valeur-académique et valeur-mode attachée à la vogue de certains maîtres. L’auteur déclare : « Il s’en faut bien cependant que cette différence de prix soit toujours injuste. On ne paye pas le genre, mais la perfection de l’ouvrage ; on paye cher la bambochade Hollandoise qui est parfaite en son genre ; on néglige le tableau d’histoire qui, d’ailleurs embarassant par son étendue, s’élève à peine au-dessus de la médiocrité...»20. En d’autres termes, le genre abordé par l’artiste ne fait rien à l’affaire, ou du moins ne suffit pas à fixer un jugement ; le seul critère d’appréciation doit être la qualité de l’œuvre car « ... pourquoi l’amateur vuideroit-il sa bourse pour se procurer à grands frais l’ouvrage d’un artiste qui n’a eu que le talent assez vulgaire de réunir à un degré moyen les parties inférieures de l’art ?... ». En revanche, ce qui est choquant, de l’avis de Watelet, c’est de voir surpayer « une bambochade médiocre & mettre à bas prix un tableau de Raphaël, ou même du Carrache ou du Dominiquin ». Ainsi, les tableaux italiens de qualité demeurent, en dépit des modes, la valeur-étalon, la seule reconnue par les vrais connaisseurs : « ... les beaux ouvrages de ces grands maîtres & de ceux qu’on peut leur comparer restent toujours à un prix supérieur a celui des meilleures bambochades peintes par les Hollandois. On ne peut se plaindre de ce que peu de personnes en achètent : d’abord on en expose rarement en vente ; & ensuite il faut être fort riche pour y pouvoir mettre le prix »21. En effet, les maîtres italiens anciens conservent leurs amateurs, même au moment le plus fort de la gloire des « Flamands », comme le montrent les prix atteints par des œuvres de grande qualité en vente publique. C’est un tableau italien, il est vrai exceptionnel, le Jacob et Laban de Pierre de Cortone qui obtient le prix le plus élevé enregistré dans une vente au XVIIIe siècle, soit 36.001 livres chez le prince de Conti en 1777. De même, les œuvres de Véronèse, lorsqu’elles sont irréprochables, continuent à obtenir des prix confortables. En 1767, un Baptême du Christ du maître vénitien est adjugé 8.451 livres à un collectionneur français, M. de Villeminot, lors de la vente Jullienne. Certains maîtres bolonais du Seicento, tels Augustin Carrache, L’Albane et Guido Reni, sans obtenir des prix équivalents, se maintiennent néanmoins à un bon niveau. Certes, il s’agit là, pour certains du moins, d’exemples pris au début de notre période, mais contrairement à ce que l’on a souvent avancé, les beaux tableaux italiens continuent à obtenir des prix honorables, quoique très inférieurs à ceux des artistes flamands les plus recherchés, dans les années 1780, comme l’attestent les résultats de la vente Poullain. Il faut donc relativiser notre vision du déclin et du recul de la « grande manière » italienne sur le marché de l’art.
6Pour Diderot, au-delà de la qualité de l’œuvre peinte et de la notoriété de son auteur, les facteurs humains contribuent aussi à expliquer cette surenchère. C’est ce qu’il appelle le « prix de fantaisie » qui « n’a point de limites. Il dépend absolument du nombre, de la richesse, de la vanité, de la jalousie, et de la fureur des amateurs »22. Voici résumés les facteurs humains et économiques expliquant le succès ou à l’opposé l’échec d’une vente publique. Joullain exprime la même idée, lorsqu’il écrit « que toutes les productions des arts et des sciences ne sont nullement assujetties à une valeur intrinsèque, et que leur plus ou moins de prix dépend de la concurrence des amateurs et de la distinction de l’objet »23. Deux facteurs ont en effet contribué de manière déterminante à la hausse du prix des œuvres, l’apparition d’une clientèle française disposant de hauts revenus, les financiers, et la présence des amateurs étrangers, principalement anglais et russes.
7Le Brun, auteur du catalogue de la vente Poullain en 1780, se prononce à son tour sur la question du prix du tableau. Il intègre à ses Réflexions sur la peinture, qui ouvrent le catalogue proprement dit, un chapitre intitulé de manière significative : « De la valeur réelle et mercantile des tableaux et sculptures »24. Il explique la crue du prix de l’œuvre d’un artiste célèbre notamment par une production peu abondante, allusion aux œuvres de Gérard Dou25. Sa démonstration est en fait un plaidoyer pro domo visant à affirmer la supériorité du placement peinture sur tout autre26. La notion de peinture-placement ne fait pas pour autant sa première apparition ici. Dès 1767, Diderot avait montré, dans un texte abondamment cité, que l’accueil réservé par certains amateurs à la peinture moderne n’était pas dénué d’arrière-pensée spéculative : « Voici comment raisonnent la plupart des hommes opulents qui occupent les grands artistes : ‘La somme que je vais mettre en dessins de Boucher, en tableaux de Vernet, de Casanove, de Loutherbourg est placée au plus haut intérêt. Je jouirais toute ma vie de la vue d’un excellent morceau. L’artiste mourra et mes enfants et moi, nous retirerons de ce morceau vingt fois le prix de son premier achat »27. Il n’est pas improbable que de telles arrière-pensées puissent expliquer, en partie du moins, le succès rencontré par la peinture française moderne. D’autant que, parmi les acheteurs les plus actifs, on trouve en bonne place, les maîtres de l’heure, les financiers. On peut donc parler dans une certaine mesure, d’une peinture de parvenus. Les noms de Vernet, Greuze, Lagrenée et Fragonard figurent de fait, en bonne place au catalogue du cabinet du financier-collectionneur, de même que ceux de Dou, Van Huysum, Berchem, et Potter.
L’établissement du prix de l’œuvre peinte
8Sur quels critères cette valeur du tableau est-elle établie ? Nous touchons là au problème sous-jacent de l’expertise. S’il y a une augmentation du prix de la peinture à partir des années 1770, c’est bien sûr la peinture des maîtres des Écoles du Nord, voire dans une moindre mesure, celle des maîtres français contemporains, qui est concernée. Ceci, en revanche ne s’applique pas à l’école italienne, plus sujette à variations et à contestations, qui connaît, à partir des années 1760, en dépit de quelques belles réussites que nous avons signalées, une désaffection de la part des grands collectionneurs. On assisterait donc à partir de cette date, à une partition entre deux grandes catégories de peintures : celles de l’école d’Italie, dites « de grande Curiosité », destinées aux « vrais amateurs » et qui gardent leurs admirateurs inconditionnels, et la peinture nordique, plus facile, collectionnée par une nouvelle génération d’amateurs, moins exigeante quant au contenu intellectuel des œuvres, plus attentive en revanche au sujet, au faire, et... à la valeur financière. La réalité est sans doute beaucoup plus nuancée. Seule, l’analyse de la plupart des collections permettrait d’établir une cartographie plus exacte. Le discours de Le Brun dans sa préface au catalogue Poullain est pourtant sans équivoque : « Ainsi en achetant de beaux Tableaux, on s’assure une possession agréable & précieuse ; & l’on jouit d’un avantage que l’homme policé désire toujours, celui de jouir & d’accroître sa richesse »28. Ce changement de conception éclaire sans doute le comportement du prince de Conti, qui, après avoir tout essayé dans une vie bien occupée, donne une nouvelle dimension à son activité de collectionneur, en rassemblant à grands frais et en un temps record, l’une des collections les plus considérables du siècle (à défaut de pouvoir prétendre à être la plus riche). Sa dispersion démontra de manière éclatante que la peinture ne saurait être un placement à court terme ; elle sonna ainsi le glas d’une période de fièvre spéculative. Pour illustrer la vanité du placement peinture à cette époque, les exemples ne manquent pas. Citons parmi d’autres, le cas de Randon de Boisset qui acheta fort cher certaines œuvres de sa collection, entre autres, une Vierge à l’Enfant de Murillo, artiste alors très recherché. Payée 15.000 livres, elle n’en obtint que 11.000 lors de sa vente après décès en 1777. De même, un lot de quatre tableaux (un Jan Wijnants, un David Teniers, un Philips Wouwerman et un Adrien van de Velde), qu’il avait acquis pour 130.000 livres, rapporta seulement 63.000 livres à ses héritiers. Plus douloureux encore est le cas de cette Adoration des Rois de Rubens dont personne ne couvrit la criée à 10.000 livres, alors que cette œuvre avait coûté au célèbre amateur près de 40.000 livres, frais de restauration inclus29.
9Le prix d’une œuvre ne s’établit pas sur des bases empiriques, notamment sur les simples exigences (non fondées) d’un vendeur. Les difficultés rencontrées par Greuze pour vendre sa Piété Filiale dont, fort de ses succcès précédents, il demandait un prix trop élevé, le montrent bien. À l’opposé, la notoriété d’un vendeur, jointe à la qualité irréprochable des œuvres, peuvent provoquer la flambée des prix. On ne peut expliquer autrement le succès de la vente Choiseul en 1772, que Grimm qualifie de l’« un des phénomènes les plus singuliers de l’histoire des arts et de la brocanterie » et dont il rend compte en ces termes : « On espérait tirer au plus cent mille écus de cette vente, et la totalité a produit la somme de 443.174 livres. J’ai ouï dire à notre magicien Vernet que si cette collection avoit appartenu à quelque homme obscur, il n’en auroit pas tiré au-delà de 25.000 fr, et que tel tableau a été vendu 10, 15, 25.000 livres et au-delà, pour lequel il ne se soucierait pas de donner lui, plus de 6 fr. Si, comme je le pense il y a de l’exagération dans ce propos, il prouve toujours que les prix de cette collection ont été poussés au-delà de tout ce qu’on pouvoit espèrer [...] »30. Il explique ce succès par plusieurs raisons : la première étant que ce cabinet n’avait pas eu à souffrir de la concurrence du cabinet Crozat de Thiers acheté par Catherine II, ce qui « a laissé [à] tous les amateurs de ce pays-ci et des étrangers leurs fonds intacts » ; la seconde tenant à la composition de ce cabinet, presque entièrement à la gloire des Flamands31, les maîtres alors les plus recherchés, la troisième enfin, liée à la précédente, étant le fait que le duc avait banni de son cabinet « tous les sujets sérieux, tristes, tragiques, saints... ». Toutes les conditions étaient donc réunies pour que cette vente soit un succès.
Valeur estimée et valeur réelle : estimation à l’inventaire et prix en vente publique
10L’usage voulait que dans les inventaires après décès, les tableaux comme les autres objets soient estimés « un quart au-dessous de leur valeur ». C’est du moins ce que déclare Diderot à propos de deux chefs-d’œuvre de Van der Meulen appartenant à la succession de Carle Vanloo32. De nombreux historiens ont remarqué que les prisées des inventaires étant en général sous-estimées, de ce fait, le montant global déclaré d’une succession était inférieur à sa véritable valeur. La Coutume de Paris appliquait en effet ce que l’on appelle la crue, une « sous-estimation officielle, obligatoire et tarifée »33 qui, à Paris représentait le quart de la valeur du bien prisé34. Ces prisées à l’inventaire servant de mise à prix dans le cas d’une vente publique (fréquente), cette crue, « visait à tenir compte des frais de vente », comme le rappelle A. Schnapper35.
11En matière de tableaux, il est possible d’établir quelques statistiques dans les rares cas où nous disposons de l’inventaire et des prix obtenus dans les ventes aux enchères. Il en est ainsi pour les collections Blondel de Gagny36 et Randon de Boisset37.
12Dans le cas d’une collection prestigieuse, l’avantage d’une dispersion en vente publique pour les héritiers était évident. La réputation d’un cabinet et la concurrence entre amateurs français et étrangers faisaient que la prisée à l’inventaire, qui servait de base pour la vente aux enchères, était bien souvent dépassée. Lors de la dispersion du cabinet Blondel de Gagny, en 1776, tous les tableaux importants de l’école flamande ou hollandaise ont vu ainsi leur estimation de base multipliée par quatre ou six en moyenne. Parmi les français, Nicolas Poussin a vu la sienne multipliée par six et Santerre par deux et demie. À l’opposé, celle de Claude Lorrain a été revue à la baisse, de même que celle de Pierre de Cortone. Dans le cas de la vente Randon de Boisset, les écarts les plus significatifs vont par ordre d’importance, à Poussin (prix x 8,9), Cignani (prix x 3,6), peintre italien alors très apprécié, Watteau (prix x 4,5) et Jordaens (prix x 5,3). Comparativement, l’écart est moindre pour les tableaux des écoles du Nord dont l’échelle de valeur était mieux connue. Notons que dans ces deux cas, l’expert était Pierre Rémy.
13Si la vente publique est incontestablement une sanction pour les maîtres anciens, elle l’est peut-être encore davantage pour les peintres modernes qui voient ainsi leurs œuvres subir un double jugement, parfois contradictoire, celui de la critique des Salons pour les membres de l’Académie et celui du marché pour l’ensemble des artistes dont les œuvres sont proposées à la vente.
Prix à la commande et prix du marché de l’offre : l’exemple de la peinture française
14Très souvent, comme le souligne A. Schnapper38, il y a un écart très important entre le prix à la commande et le prix du marché de l’offre. Le cas des peintures de Greuze est particulièrement édifiant. Alors que La Live de Jully avait payé 120 livres l’Aveugle de cet artiste, en 1755, ce tableau fut revendu 2.300 livres lors de la dispersion de sa collection en 1770. De même, sa Blanchisseuse achetée 600 livres par le même collectionneur en 1761, obtint alors 2.399 livres39. C’est toutefois L’Accordée de village qui enregistra la hausse la plus spectaculaire. Payé 6000 livres à l’artiste par M. de Marigny, le tableau fut acheté par le roi, lors de sa vente après décès, pour 16.650 livres. Mais un tel exemple est-il significatif ? Les renseignements dont nous disposons pour connaître le prix payé à l’artiste sont rares, et les commandes des Bâtiments du roi sont un peu hors norme, elles ne sauraient donc servir d’étalon. De même, le prix d’une œuvre varie souvent en fonction du commanditaire ou de l’acheteur, comme le montrent les deux exemples suivants. Lorsque Madame Geoffrin commande à Carle Vanloo, La Lecture espagnole destinée à servir de pendant à la Conversation espagnole (Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage), elle note l’avoir payé 6.000 livres. On peut penser que le premier de ces tableaux avait dû être réalisé pour un prix approchant. Or, en 1772, Mme Geoffrin défraya la chronique en cédant les deux tableaux à Catherine II, pour la somme colossale de 36.000 livres40. À l’opposé, lorsque Wille achète « deux petits tableaux de M. Chardin », le premier représentant « un chaudron renversé, des oignons et autres », et le second, « un chaudron et un poëlon et autres », pour la modique somme de 36 livres, il prend soin de préciser : « C’est bon marché, aussi me les a-t-on cédés par amitié »41. Pas plus que les exemples précédents cet achat ne nous permet de connaître la cote réelle de l’artiste. Aussi, en sommes-nous réduits, pour bien des peintres, à nous contenter de quelques informations isolées qui ne sauraient donc en aucune façon refléter une tendance générale. Ainsi, en 1766, Wille commande à Greuze pour le comte de Moltke, « deux testes superbes représentant des filles » qu’il paie 40 louis42. De tels exemples sont hélas trop rares. Fort heureusement la correspondance échangée entre Caroline de Bade et son agent Eberts nous en fournit un certain nombre. Eberts note en 1767, à propos d’une série des Quatre Heures du Jour de Loutherbourg « estimés 2.000 livres dans la Note..., les vaillant [valant] certainement, car aujourd’hui il ne les feroit pas moins de 4.440 livres »43. En 1769, le même constate que le jeune artiste est, à la faveur du Salon, au « comble de la gloire » et il ajoute : « Comme ce jeune homme est de mes amis, s’il plaisoit à V.A.S. de se donner deux morceaux de sa façon, je pourrai les obtenir assez promptement & à bon compte, c’est-à-dire à 50 louis, deux moyens paysages, dont la couleur, les animaux, les ciels, & les figures surprendroient »44. Nous savons par la même source que le prix « ordinaire » pour deux Pastorales de Boucher « de 2 pieds en carré » (environ 0,65 m) semblables à celles que Caroline de Bade avait commandées au peintre en 1759, était normalement de 100 Louis. Or, le peintre des Grâces, flatté par cette commande et en relation d’amitié avec Eberts consentit à les laisser pour la moitié de cette somme45. En une autre occasion, Caroline de Bade s’intéressant à des œuvres de Boucher qui figuraient dans la vente Jullienne, Eberts estime deux paysages de ce maître valoir 300 livres46, alors qu’il considère comme « ordinaire » l’estimation de 600 à 800 livres pour une Vénus au bain du même peintre47. De même, deux Académies de Pierre, sont cédées pour 500 livres pièces toujours à Caroline de Bade en 176048. En revanche, pour obtenir un « morceau pareil à ceux qu’a gravé Lempereur », sans doute des tableaux d’histoire, le peintre disait ne « pouvoir s’y mettre à moins de vingt-cinq louis pièce ». Nous savons aussi par le Suédois Floding, chargé par son protecteur, le comte Tessin, de commander un tableau de chevalet à l’un des artistes de l’école française alors en réputation, que Deshays demandait 800 livres pour une toile de quatre pieds sur trois (1,29 m x 0,97 m), alors que Noël Hallé et Vien exigeaient 1.200 livres pour le même travail. Encore s’agissait-il pour ce dernier artiste, d’un prix préférentiel, son prix habituel pour ce genre d’ouvrage étant de 2.000 livres49. Floding nous apprend également que La Live de Jully avait payé 100 louis l’Intérieur de la nouvelle église de Sainte-Geneviève de Demachy exposé au salon de 176150. On voit ainsi que ces peintres, forts du succès rencontré par leurs œuvres au Salon, avaient bien élevé leurs prétentions. En fait, c’est toute l’école française moderne qui bénéficiait d’une reconnaissance marquée par la hausse des prix.
15Eveillard de Livois, amateur de peinture contemporaine, tient les financiers pour responsables de la hausse spectaculaire enregistrée par les œuvres de certains artistes, ce qui les met hors de portée des petits collectionneurs, catégorie à laquelle il appartient. Il écrit en 1777 : « Voilà, comme vous voyez, monsieur, l’école française qui se monte sur un ton dont les véritables amateurs ne pourront plus approcher. Les favoris de Plutus nous enlève[nt] tout, plus tôt par air, que par goût... ». Pour illustrer son propos, il cite en exemple les tableaux d’Etienne Théaulon : « ... c’est ce que je viens d’éprouver chez M. Théaulon où j’étois presque à genoux pour avoir un morceau du nouveau genre qu’il traite aujourd’hui, qui m’a séduit au point de m’en revenir en demandant la charité pourvu que je pus emporter le tableau destiné à un fermier général, qui tout rondement paÿe une toile de huit ou dix au plus mille écus ; c’est-à-dire cent pistolles par figure car il n’i en a que deux et un enfant »51. Cette appréciation sur les œuvres de Théaulon trouve une confirmation tant par leur place dans les cabinets des financiers que par leur prix important en vente publique. Chez le prince de Conti en 1777, deux petites scènes d’intérieur anecdotiques obtinrent 1.399 livres52 ; de même, chez Randon de Boisset, une Vieille femme à mi-corps se vendit 600 livres, alors qu’une Jeune fille à sa toilette du cabinet Nogaret en obtint 460. Ces exemples d’une cote soutenue témoignent de l’engouement pour cet artiste, dont on appréciait les tableaux raffinés de goût hollandisant.
16Les quelques listes ou Livres de raison de peintres conservés, constituent des sources plus sûres. Ils permettent de se faire une idée de la différence entre les prix à la commande et ceux du marché de l’offre. Bien qu’antérieur à la période étudiée, il nous faut mentionner le cas de Jean-Baptiste Oudry, pour lequel nous possédons deux listes d’œuvres proposées à la vente au duc de Mecklenburg-Schwerin et au roi de Suède, respectivement en 1732 et 173553. Une grande Chasse au cerf, de format 4,81 x 2,92 m est estimée 2.000 livres, une Scène animalière de 1,94 x 1,29 m, 600 livres ; un classique « Chien, en arrêt sur un faisan », toile de 1,62 x 1,29 m, 400 livres, deux pendants « de fruits », de 0,91x 0,74 m, 300 livres, alors que pour deux paysages en pendants de 0,97 x 0,64 m, Oudry demande 600 livres. Il est intéressant de confronter ces prix avec ceux obtenus par des œuvres comparables dans les ventes du XVIIIe siècle, voire par les mêmes œuvres. Ainsi, deux pendants représentant « des poissons », « peints à Dieppe d’après nature », proposés pour 1.200 livres en 1732 seront adjugés 306 livres seulement en 1773, à l’occasion de la vente de l’architecte « Vigné de Vigny et divers ». Plus intéressants encore sont les Livres de raison qui nous permettent d’envisager l’évolution des prix sur une longue période. C’est le cas du livre de Louis Jean-François Lagrenée, dit l’aîné (1724- 1805), artiste dont la brillante carrière officielle54 est à l’image de son succès auprès des collectionneurs. Celui-ci est mesurable au travers de son Livre de Raison et des prix atteints par ses œuvres en vente publique. Il est intéressant de confronter les prix à la commande et ceux obtenus aux enchères. Ainsi un Salmacis et Hermaphrodite payé par le duc de Chabot à l’artiste 600 livres à une date indéterminée, n’en obtient plus que la moitié à la vente de cet amateur en 1778. La même décrue affecte les tableaux commandés à l’artiste par le marquis de Véri, grand amateur de l’œuvre du peintre, dont il possédait treize tableaux. Deux grandes compositions ayant pour sujets les Grâces lutinées par les Amours et les Amours lutinés par les Grâces achetées 6.000 livres par cet amateur, se revendent 4.000 à sa vente en 1785, son Pygmalion au pied de sa statue payé 1.800 livres en obtient 760 livres et enfin deux pendants, Vénus et ses nymphes au bain et le Jugement de Pâris passent quant à eux de 3.600 à 1.781 livres55. Le plus souvent, malheureusement, la répétition de certains thèmes rend toute identification problématique et donc la comparaison impossible. À l’opposé, on soulignera la bonne tenue des œuvres appartenant au répertoire le plus classique de l’artiste. Une Madeleine est payée 1.523 livres à la vente Conti et une « Vierge en contemplation devant l’Enfant Jésus », 1.400 livres à la vente du peintre-miniaturiste Gros, en 1778, prix bien supérieurs à ceux de la commande, qui n’excèdent jamais 720 livres pour de tels sujets. Ces résultats confirment le succès des petits tableaux de cabinet.
17Il en est de même de Joseph Vernet qui fut certainement avec Greuze, l’artiste le plus cher de sa génération. Dès 1763, Eberts, qui avait recommandé à Caroline de Bade un tableau de Vernet du cabinet Peilhon, lui dit : « Cet artiste, actuellement à Paris, entreprend de faire un pareil tableau a 30 louis d’or, et je le juge actuellement dans sa grande force, il passera a la posterité. Si Votre Altesse Sérénissime, souhaitte s’en donner un ou deux morceaux, je les ordonnerai, et tacherai de les rendre très intéressants »56. Le peintre lui-même nous renseigne sur le prix de ses œuvres en 1765 : « Si l’on veut savoir le prix ordinaire de mes tableaux le voici : de quatre pieds de large sur deux et demi ou trois pieds de haut [environ 1,29 x 0,97 m], 1.500 livres chaque ; de trois pieds [environ 0,97 m] et la hauteur à proportion, 1.200 livres ; de deux pieds et demi [environ 0,80 m], 1.000 livres ; de deux pieds [0,64 m}, 800 ; de 18 pouces [0,48 m], 600 ; et plus grands et plus petits ; mais il est bon de dire que je fais beaucoup mieux quand je travaille en grand...»57. Dans la réalité, il existait un double marché pour les œuvres de Vernet, comme d’ailleurs pour celles de Lagrenée, un cours que nous qualifierons de « national », appliqué à des œuvres destinées au marché français et un cours international, nettement majoré. C’est du moins ce que laisse entendre le Suédois Floding lorsqu’il écrit à Tessin en 1760 : « Les ports de mer que M. Vernet fait pour le Roy lui sont payez sur le pied de 6.000 livres chacun, prix convenu ; il auroit été bien aise, à ce que l’on dit, d’en avoir davantage, vû que les Anglois lui offrent bien au-dessus [...] »58. Les prix obtenus par les tableaux du peintre en vente publique surprennent ; ainsi à la vente Jullienne, en 1767, un Vernet atteint 3.850 livres alors qu’il a été « fait à Rome par l’auteur vivant encore, pour 1.000 livres »59. Il est intéressant de confronter ces prix avec ceux, parfois nettement supérieurs, pratiqués à la même époque sur le marché en vente à l’amiable. Ainsi en 1765, la veuve Poulhariez, de Marseille, propose à Eberts la Tempête de Vernet gravée par Balechou pour 6.000 livres, ce qu’il juge « revoltant »60.
18Les exemples évoqués concernent tous des artistes consacrés. Qu’en était-il des peintres de second rang ? S’agissant d’un peintre débutant ou peu connu sur le marché, la situation était évidemment bien différente. Le peintre d’origine liégeoise Léonard Defrance (1735-1805) raconte comment Fragonard, qui avait facilité ses débuts sur le marché parisien, lui donna ce conseil avisé : « Je profitai de ce débouché, je fis des tableaux que je vendais aux marchands. Fragonard me conseilla de ne pas augmenter trop le prix ; il faut, me dit-il, que le marchand gagne et attendre qu’il ait lui-même établi une valeur plus forte, parce qu’alors il est obligé de la soutenir pour ne pas passer pour avoir survendu »61. On ne saurait en effet négliger le rôle des marchands dans l’établissement de la notoriété d’un peintre. Que son lieu d’intervention soit la boutique ou la salle de vente, il joua hier comme aujourd’hui, un rôle clef en créant ou en soutenant la cote d’un artiste.
La sanction du peintre contemporain par la vente publique
19Sanction de la collection dans son entier, et par là même du goût de son initiateur, la vente publique sanctionne également l’artiste. Fonctionnant selon le principe d’une bourse, la vente publique fait et défait les réputations et établit le prix du tableau. Un exemple significatif nous est fourni par les œuvres de Madame Vigée-Lebrun. Le Journal de Paris publie le 26 janvier 1778 la lettre suivante : « S’il est flatteur, Messieurs, pour une femme aimable de voir une foule d’adorateurs à ses pieds, rendre hommage à ses attraits & à son esprit, quels sentimens ne doit pas éprouver celle qui, comblée des dons de la nature, & joignant à la figure la plus interessante les talens les plus décidés, reçoit sous les yeux du Public amateur le prix dû à ses travaux. Ceux qui auront été comme moi témoins de la scène qui s’est passée samedi dernier, Hôtel d’Aligre, rue Saint-Honoré, devineront sans peine que je veux parler de Madame Le Brun qui, jeune encore, a vu tout le monde l’inviter par des applaudissements reitérés à continuer de marcher dans la carrière brillante de la peinture où ses premiers pas ont été marqués par des succès. Deux petites têtes d’étude qui la semaine dernière, exposées aux yeux des Amateurs, avoient fixé leurs regards, sans être éclipsées par les chef-d’œuvres des Peintres les plus célèbres qui les entouroient, ont été poussées hier & adjugées à 1.500 liv. [...]»62. Au mois de décembre suivant un Buste de femme grecque au pastel, de la même artiste, atteignait 652 livres63. Nous devons préciser que la vente était dirigée par son propre mari, l’expert Le Brun et qu’il semble bien que les œuvres mises en vente provenaient de son fonds de commerce64. Il est certain que leur mariage se révéla plutôt une entente commerciale, le marchand contribuant à lancer les œuvres de son épouse et exploitant sans vergogne son talent, celle-ci, en retour, lui amenant des clients. Par ailleurs, Madame Vigée-Lebrun bénéficiait d’un mouvement de hausse qui s’était précisé dès l’année précédente, comme l’atteste un article du même Journal de Paris, en mars 1777, dont l’auteur anonyme, fort des résultats obtenus en ventes publiques par des œuvres de peintres contemporains considérait « qu’il est flatteur pour les artistes de jouir de leur gloire de leur vivant...»65. À l’appui de ses dires, le même, rappelait une histoire significative rapportée par son père : « Le Moyne, le grand peintre, demandait au duc d’Antin, qui alors présidait aux Arts, une somme assez considérable pour des ouvrages du Roi. Le Duc étonné se retourne, le regarde & lui dit : comment, le Moyne, je crois que vous voulez vous faire payer comme si vous étiez mort ? »66. Au-delà de son caractère anecdotique, cette histoire est riche de sens ; elle montre bien que l’on entendait marquer la différence entre une peinture « historique » et une peinture moderne en pratiquant des prix différents. Que l’on soit prêt à payer autant, sinon davantage, l’œuvre d’un peintre vivant que celle d’un artiste disparu, étonne les contemporains ; ils jugent ce fait presque inconvenant, la tradition voulant que les tableaux d’un artiste n’augmentent qu’après son décès. Les exemples de Greuze et de Vernet apparaissaient donc comme autant d’entorses à la règle et donnaient tort à l’abbé Gougenot qui déclarait en 1748 : « Faudra-t-il donc attendre désormais la mort des habiles artistes pour mettre le prix à leurs ouvrages »67. Une lettre d’Eberts reflète bien le sentiment contemporain ; il écrit à propos de la vente du cabinet de M. de Marigny : « V.A.S. verra avec étonnement que M. Greuze Peintre plein de vie & de santé68 a été plus distingué que les plus célèbres Peintres défunt [...]. Il est beau de jouir de son vivant des honneurs de l’Immortalité »69.
20L’essor des ventes aux enchères avec catalogue et l’apparition des financiers, nouvelle clientèle fortunée au goût réputé « facile », contribuent aussi à bouleverser l’ordre établi. Sentiment que reflète bien un passage d’une lettre de Livois à propos du prix atteint par les œuvres de Greuze et de ses émules : « Je ne finirois point si je vous faisais les détails du ridicule de ses [sic] messieurs de genre, qui se croÿent maintenant au-dessus de l’antiquité »70. En plaçant le genre au-dessus de l’Histoire, le marché et les amateurs contemporains étaient comme en infraction par rapport à la vieille hiérarchie académique. On assiste donc à un renversement entre hiérarchie des genres et hiérarchie des prix, au profit de cette dernière ; celle-ci ne consacrant plus la suprématie de la peinture d’histoire qui devient alors purement théorique.
Le prix du tableau et le débat contemporain sur le luxe
21Vers 1780, au débat sur l’originalité et l’authenticité de l’œuvre qui avait marqué le milieu du siècle, succède celui sur le prix de l’art.
Le débat sur le prix du tableau
22Après Le Brun, c’est au tour de François-Charles Joullain de s’exprimer sur ce sujet dans deux opuscules, l’un à visée pratique intitulé Répertoire de tableaux, dessins et estampes, ouvrage utile aux amateurs (1783), l’autre écrit dans une perspective plus théorique, ses Réflexions sur la Peinture et la gravure, accompagnées d’une courte dissertation sur le commerce de la curiosité (1786). Dans le premier de ces textes71, Joullain s’attache à dresser une liste des principaux tableaux des trois écoles mis en vente durant une période considérée, avec leur prix et leur variation lorsque ces tableaux ont été présentés à plusieurs reprises en vente. On peut penser qu’en réalisant cet opuscule, son auteur avait en mémoire le Répertoire des catalogues de ventes publié par le peintre-marchand hollandais Gerard Hoet, en 1752, conçu dans une double perspective, d’une part publicitaire, afin d’assurer le succès de ses propres affaires, documentaire d’autre part, en mettant à la disposition des professionnels du marché des informations pour établir le prix des œuvres72. La brochure de Joullain constitue par sa forme et son contenu, l’ancêtre de nos argus modernes. Ce dont il se défendit pourtant, dans la querelle qui l’opposa à l’abbé Aubert, en argumentant que ce dernier « traita de Tarif un répertoire qui ne consistait qu’à présenter le tableau varié des caprices de la curiosité »73. A une époque de grande concurrence et de fuite des chefs-d’œuvre à l’étranger, l’abbé Aubert s’inquiétait de la publication d’un tel instrument qu’il jugeait dangereux, et qui selon lui, ne manquerait pas « d’assigner un taux aux objets que l’Étranger viendroit acquérir dans le Royaume...»74. Dans son second ouvrage, ses Réflexions. Joullain entend s’adresser au public des amateurs, des artistes et des marchands, qui tous, à un moment ou à un autre, sont liés au marché de l’art. Il y accorde une large place à l’évocation des structures du marché, égratignant au passage les mauvais marchands et s’attarde particulièrement sur les ventes publiques dont il décrit le fonctionnement. À la fin de son ouvrage, il insert une « Liste des principaux catalogues de ventes... publiés à Paris », ainsi qu’une « Variation de prix, concernant les tableaux », actualisation de son répertoire de 1783. L’importance accordée dans cet opuscule aux ventes aux enchères, n’a rien d’anodin ; il s’agit d’un véritable appel à son savoir faire75. Joullain était en effet particulièrement bien placé pour écrire un tel livre. Fils d’un célèbre marchand de tableaux et d’estampes, François Joullain, il était lui-même un expert reconnu. Ce n’est pas un hasard si cette période voit l’apparition de périodiques destinés à rendre compte des mouvements du marché et de ses fluctuations. En 1780, paraît pour la première fois un journal dont le long titre Manuel bibliographique des Amateurs contenant l’état de tous les objets anciens et nouveaux qui sont relatifs aux Lettres, aux Sciences, aux Arts, et qui se vendent journellement dans Paris, tels que les Livres, les Tableaux, les dessins, les Estampes, les Bronzes, les Médailles, les pierres gravées, les Curiosités naturelles et autres effets curieux, rares et précieux ; avec les prix exactement recueillis et comparés entre eux [...]. Ouvrages utile aux possesseurs de Bibliothèques et de cabinets, et à ceux qui se proposent d’en former76, explicite bien le but et l’ambition de son auteur. Son initiateur anonyme rencontra une forte opposition de la part des marchands, qui lui reprochaient de condamner leur commerce de manière irrémédiable, en livrant des informations capables d’éclairer les vendeurs sur les œuvres en leur possession, les privant ainsi de l’occasion de réaliser de trop bonnes affaires. Furent-ils entendus ? Toujours est-il que cette publication eut une existence éphémère, limitée à l’année 1780. Qu’en était-il de son contenu ? En dépit d’un titre alléchant, l’historien du livre y trouvera davantage son compte que l’historien de l’art. Seul le second volume de cette publication présente l’intérêt de regrouper les annonces de parution de gravures d’après des tableaux et de reproduire intégralement certains catalogues de ventes, tel celui du marquis de Calvière (1779). Il s’agissait donc d’un compromis entre les annonces de la presse périodique et le catalogue de vente.
23Cette attention grandissante portée au prix de l’œuvre peinte de collection, est attestée également, par l’apparition d’une rubrique « Prix » dans le Dictionnaire de Watelet et Lévesque. Ceux-ci mettent en évidence la balance de la postérité, et déclarent : « On a vu des tableaux de certains maîtres se vendre à très-haut prix de leur vivant, & se donner ensuite à très-bas prix ; c’est un juste arrêt de la postérité qui réduit à leur juste valeur des ouvrages, dont l’engouement des contemporains avoient exagéré le mérite. Nous sommes dès-à présent témoins de ces abbaissements de prix, pour des tableaux que nous avons vu faire »77. Inversement, « des ouvrages qui n’ont pu suffire à la subsistance des auteurs, sont portés à très haut prix par la postérité : nouvelle preuve de l’injustice des contemporains, qui n’ont que trop souvent prodigué le mépris aux vrais talens ; les récompenses, aux talens imaginaires ». Notons que ces réflexions s’appliquent à un domaine bien particulier de la collection, celui de la peinture moderne, dans lequel il est difficile de préjuger de la sanction de la postérité. Cet argument, selon Watelet, pourrait contribuer à expliquer la détermination des amateurs en faveur de la peinture hollandaise78. Il y aurait donc une garantie fondée sur une valeur établie par le temps, opposée à une variable à risque (la peinture française contemporaine), qui expliquerait le succès des peintres nordiques, valeur sûre, auprès des amateurs. À cet argument, on pourrait objecter deux réalités du marché de l’art, toutes deux bien attestées : d’une part, l’engouement d’une catégorie de collectionneurs qui se déterminent en faveur de la création contemporaine, et d’autre part, les fluctuations enregistrées sur le marché de la peinture nordique, marché qui n’était pas exempt de risques.
24Il convient de se demander quel type de peinture moderne a alors la faveur des amateurs : Boucher, Carle Vanloo, Leprince, Vernet, Loutherbourg ou Greuze ? Ce dernier artiste nous en fournit une excellente illustration. Pratiquant lui-même la politique du prix de vente élevé, il devait en être lui-même la victime. Après avoir demandé des prix jugés très vite excessifs, il eut à connaître un revirement. Bientôt certains collectionneurs se détournèrent de lui, jugeant ses prétentions trop élevées et les prix atteints par ses œuvres en vente publique, prohibitifs. Par contre coup, les possesseurs de tableaux de ce maître augmentèrent leurs prétentions, désirant s’en défaire au plus haut prix. Une lettre de Christian von Mechel79 à Caroline de Bade en 1770, est très éclairante à ce propos : son auteur déconseille à la margrave l’acquisition du Père de famille de Greuze, proposé par le banquier-collectionneur-marchand Eberts, en ces termes :
« [...] Je suis bien étonné du prix que prévoit M. Ebert du père de famille. L’attachement que je me fais honneur de professer pour les intérêts et les goûts de S.A. m’oblige à citer un fait à ce sujet, mais je désire instamment et pour différentes raisons n’être ni nommé ni compris dans cette commission. En 63 [1763] Mgr le duc de Praslin desira un tableau capital de Greuze, un semblable comme le Paralytique, trois fois plus grand et plus ouvragé que le Père de famille dans lequel apparament les propriétaires comptent de faire payer non le tableau le plus parfait de Greuze, mais son premier Tableau de réputation. Pour cela on me chargea de la commission, et M. Greuze rempli de joye de faire un sujet à sa guise me demanda 6.000 livres, sans que notre amitié y eut sa part. Ou depuis il a furieusement augmenté de prix, ou la folie de Paris, attache un Singulier (sic) à ce Tableau, l’un ou l’autre doivent être nécessairement la cause d’une disproportion si grande »80.
25Cette lettre ne révèle pas le montant de la commission escomptée par Eberts, agent habituel de Caroline de Bade pour ses achats de tableaux.
Le tableau de maître : un luxe avouable ?
26Au cours de la seconde moitié du siècle, le tableau de maître devient objet de luxe et à ce titre il est condamnable, à un moment où apologistes et détracteurs du luxe s’affrontent par publications interposées81. Les années 1770, c’est-à-dire à l’époque des grandes ventes, allant de celle du duc de Choiseul (1772) à celle de Randon de Boisset (1777), voient le prix des tableaux atteindre des sommets jusque-là inégalés, on constate l’apparition d’une réaction très vive dans l’opinion. Les prix atteints choquent, les premiers signes d’une contestation du marché de l’art, qui est en même temps celle du luxe, apparaissent, conduisant même parfois à un « refus éthique »82. Certains en appellent à la « conscience sociale » de leurs semblables. Rouillé d’Orfeuil est de ceux-là ; il stigmatise, en 1773, ces amateurs qui s’enorgueillissent d’avoir emporté de haute lutte les chefs-d’œuvre de l’art pour des sommes vertigineuses83. Il s’élève contre « ... la fureur, ou plutot folie des soi-disans originaux, qui ruine beaucoup de gens riches, (et qui), m’a toujours paru & me paroît encore inconcevable [...] on pourrait avoir cent très-beaux tableaux pour le prix qu’on met à un seul, qui souvent n’est pas agréable, & même souvent pas original, quoi qu’on en dise...»84. On relèvera ici l’allusion au prix des œuvres « flamandes ». Cette réaction ne fera que s’amplifier jusqu’à la fin du siècle.
27Avec L. S. Mercier on n’est pas loin d’un retour pur et simple à la condamnation morale de la Curiosité. Il dénonce avec véhémence « La manie coûteuse et insensée des tableaux et des dessins que l’on achète à des prix fous [qui] est bien inconcevable. Il n’y a point de luxe, après celui des diamants et des porcelaines, plus petit et plus déraisonnable : non qu’un tableau ne vaille son prix, mais parce qu’il est bizarre, ridicule, indécent de couvrir d’or des peintures dont l’utilité et la jouissance sont également bornées [...] ». Ce qu’il concède aux princes comme un devoir civique (la pratique de la collection en tant qu’encouragement à la création), devient chez le simple particulier le fléau des familles, car, dit-il : « c’est une folie de consumer son patrimoine en curiosités ; c’est un vice d’oublier ses parents et ses amis pour des peintures ou des gravures. Ces arts sont faits pour figurer dans des salons publics, et non dans des cabinets. L’amateur immodéré n’est qu’un maniaque [...] »85. Laissons donc aux princes, ce qui revient aux princes, telle pourrait être la morale de L.S. Mercier. Cependant ce serait ignorer qu’au XVIIIe siècle les véritables princes de la Curiosité ne l’étaient pas par le privilège de la naissance, mais par celui que confère le goût. Watelet insiste quant à lui sur la dégradation des « productions des Beaux-Arts » en « objets de spéculations et de charlataneries mercantiles pour ceux qui en font commerce »86. Il rend responsable de cette perversion les opérations de promotion qui se multiplient durant cette période87. La perception du prix de l’œuvre peinte varie néanmoins selon que l’on considère les prix atteints par les œuvres des maîtres anciens ou ceux obtenus par les peintres modernes. On retrouve, en France comme en Hollande, un même discours qui vise à rendre le goût dominant pour la peinture ancienne responsable de la décadence de l’art moderne. L’abbé Le Blanc dénonce ces « prétendus connaisseurs qui n’approuvent que ce qui est antique et qui préfèrent un tableau noir, où personne ne peut rien connaître, aux meilleures productions des peintres d’aujourd’hui...»88. On accuse le commerce et donc les marchands de tableaux, de favoriser ainsi le déclin de la peinture française contemporaine et notamment de la peinture d’Histoire89. Alors que l’on critique avec véhémence les excès de la pratique de la collection, on encense ce qui est le fruit du mécénat. L’annonce du contrat passé par le financier Laborde avec Joseph Vernet pour la réalisation d’une galerie, témoigne de cette ambiguïté90. Le Gazettin de Bruxelles du 31 octobre 1767, qui s’en fait l’écho, rend hommage au mécène en ces termes : « Il est beau de faire servir une grande fortune à la gloire des arts, et des artistes, conséquemment à sa patrie »91. On reprocha alors à Laborde, non pas tant sa magnificence, que d’avoir privé les visiteurs du Salon de la vision de ces chefs-d’œuvre, comme le montrent les attaques de Diderot qui dénonce le comportement « antipatriotique » du banquier92. Ne nous y trompons pas, le reproche adressé à Laborde cache une critique beaucoup plus insidieuse, celle du luxe, qui, cette fois n’est pas le fait de Diderot. En cette fin du XVIIIe siècle, le financier-collectionneur, donc l’amateur de tableaux, devient le bouc émissaire93. On s’attache alors à dénoncer sa fortune, son opulence, mais également sa moralité, la licence de ses mœurs et notamment son goût pour les tableaux aux sujets que la morale réprouve.
Notes de bas de page
1 E. Korthals Altes, 2000-2001, p. 268, et note 63. Cet auteur cite le cas de la vente du cabinet de Johann Henrik van Wassenaer van Obdam, dispersé le 19 août 1750 à La Haye, où de l’avis de Govert van Slingelandt, « Tout y a été d’une cherté affreuse ».
2 Notes en marge de l’exemplaire du catalogue Tallard conservé à Londres, Victoria and Albert Museum, National Art Library. Lot n° 141. Le tableau mis à prix à 3.000 livres fut adjugé « à Rémy pour l’Angleterre ».
3 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 41, lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Strasbourg, 28 février 1761.
4 P. Seidel, 1900, p. 206, lettre 5, Mettra au roi de Prusse, Paris, 21 juillet 1766.
5 Cette vente eut lieu le 29 mars 1762 et jours suivants. Le catalogue fut rédigé par P. Rémy (Lugt 1206). Ce cabinet, de modeste envergure, se composait de quatre tableaux italiens, de 12 français et de 31 flamands.
6 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 96, lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Paris, 1er avril 1762.
7 G.A.K., F.-A, Papiers de Caroline de Bade, Eberts à Caroline de Bade, 5A n° 42, Paris, 11 avril 1771 (date curieuse, mais bien portée comme celà dans l’original).
8 Lots n° 32 et 33.
9 On peut faire confiance à Eberts, parfait connaisseur du marché. Cette estimation est fondée sur les prix payés par le duc de Choiseul en ventes ; la plupart des tableaux de ce cabinet provenant de collections célèbres.
10 Citée par A. Schnapper, 1994, p. 75.
11 G.A.K., F.-A. Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 42, Eberts à Caroline de Bade, 20 mai 1773.
12 Lettre non datée [1780], citée par P. Ratouis de Limay, 1907, p. 27.
13 Journal de Paris, 25 mars 1780, p 350-351.
14 Abbé Laugier, 1771, p. 19.
15 J.F. Bastide, 1760-1761, III, p. 73.
16 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 41, lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Paris, 23 décembre 1772.
17 Abbé Laugier, 1771, p. 22, note (1).
18 Il écrit à son ami Desfriches, d’Orléans en mai 1777 : « Les artistes et les personnes qui en font le commerce, s’accordent entre eux pour décrier les meilleurs pièces qui viennent de l’étranger et dégoûter les acheteurs ; par contre, lorsqu’ils font l’éloge d’une pièce assez médiocre, on y met d’abord un grand prix, et, étant d’accord entre eux, ils font la loix et les acheteurs sont la duppe car on ne peut soutenir que ce n’est pas une grande folie de payer jusqu’à 40 mil.livres pour un seul tableau... ». Lettre de Ryhiner à Desfriches, 16 mai 1777, reproduite dans P. Ratouis de Limay, 1907, p. 134.
19 Abbé Laugier, 1771, respectivement p. 79 et 22.
20 Watelet et Lévesque, 1792, V, p. 184.
21 Ibidem.
22 Diderot, 1955-1970, XIV, p. 328, lettre de Diderot à Grimm.
23 F. Ch. Joullain, 1786, p. 190.
24 J.B.P. Le Brun, Catalogue raisonné des tableaux, dessins, estampes..., qui composaient le cabinet de feu M. Poullain.., Paris, 1780, p. xi
25 Ibidem, p. xi. : Il explique que : « Les ouvrages sont donc précieux, non seulement par leur mérite, mais encore par leur rareté ; car la rareté d’un objet suffit dans l’ordre ordinaire pour lui donner un prix & une valeur numéraire quelconque ».
26 Ibidem, p. xiii. Le Brun dit explicitement : « Ainsi la valeur d’un Tableau étant plus assurée que celle des autres objets de curiosités, elle assure aussi une possession plus certaine à son Acquéreur ».
27 Diderot, Salon de 1767 dans Diderot, Œuvres..., éd. 1970, VII, p. 29-30.
28 J.B.P. Le Brun, Catalogue de la vente du cabinet Poullain.., Paris, 5 mars 1780, p. xv.
29 Il s’agit respectivement des lots n° 18, 54, 58, 87, 136 et 28 du catalogue Randon de Boisset. Ces exemples sont cités par E. Duverger, 1967, p. 80-81.
30 Grimm, éd. 1829, VII, p. 467, avril 1772.
31 Les auteurs du XVIIIe siècle englobent sous le mot « Flamands », les productions des Pays-Bas et de la Flandre.
32 Lettre de Diderot à Falconet, 15 novembre 1769, citée par E. Dacier, 1909-1921. V- Catalogue de la vente Louis-Michel Vanloo (1772), p. 14.
33 A. Schnapper, 2004, p. 196.
34 Pour une définition de la crue, on consultera Claude-Joseph de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique, Paris, 1749, I, p. 617-618.
35 A. Schnapper, 2004, p. 196.
36 A.N., MC, LVII, 529, I.A.D.de Blondel de Gagny, 27 juillet 1776.
37 A.N., MC, LXXXIV, 546, I.A.D., Randon de Boisset, 18 octobre 1776.
38 Dans la préface de P. Michel, éd. 2002-2, p. 8.
39 C.B. Bailey, 2002, p. 47.
40 G. de Lastic Saint-Jal, 1957, p. 52. Cité dans cat. expo., Paris, 1984-1985 (2), p. 372
41 J.-G. Wille, 1857, I, p. 141, le 14 août 1760. La formulation du passage du Journal de Wille ne permet pas d’établir avec certitude s’il s’agit de tableaux achetés directement à l’artiste ou d’œuvres provenant d’un collectionneur, voire d’un marchand.
42 J.-G. Wille, 1857, I, p. 322, le 14 juin 1766.
43 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 96, Liste non datée, mais correspondant à la vente Jullienne, en 1767.
44 Ibidem, 5A n° 42, lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Paris, le 7 octobre 1769.
45 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 41. lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Paris, 4 décembre 1759.
46 Ibidem, 5A n° 96, liste avec estimation, non datée [1767], des tableaux susceptibles d’intéresser Caroline de Bade dans le cabinet Jullienne.
47 Ibid. « Vénus au bain par M. Boucher vaut 600 à 800 livres qui est le prix ordinaire des Tableaux de cette forme de ce maître ». Nous n’avons pas trouvé de tableau correspondant à ce sujet dans ce catalogue. Il est intéressant de comparer ces prix avec ceux à la commande, il est vrai, bien des années plus tôt. En 1745, Carl Reinhold Berch le secrétaire d’ambassade du comte Tessin lui écrit : « Boucher va plus vite [que Chardin] ; les quatre tableaux sont promis pour la fin du mois de mars. Le prix restera un secret entre V.E. et lui, à cause de la coutume qu’il a établie de se faire donner 600 livres pour ces grandeurs, quand il y a du fini [...] » (lettre de Paris, 27 octobre 1745, dans Scheffer, 1982, p. 104, n° 9). Les tableaux commandés alors pour la reine Louis Ulrique de Suède étaient les Moments du jour, soit des scènes de genre (huiles sur toiles de 0,64, x 0,53m). Sur cette commande, voir cat. expo., Paris-New York-Detroit, 1986-1987 (1), p. 81-82 et p. 226.
48 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 40, lettre de Fleischmann à Caroline de Bade, 8 septembre 1760.
49 Lettre de Floding à Tessin, Paris, 20 janvier 1760, publiée dans M. G. W. Lundberg, 1931-1932, p. 277.
50 Lettre sur le Salon de 1761, de Floding à Tessin, Paris, 23 novembre 1761, dans M. G.W. Lundberg, 1931-1932, p. 293.
51 G. Faroult, 1999 (2000), p. 157, lettre 1 : Livois à Jean-Jacques Lenoir du 14 mars 1777.
52 P. Rémy, Catalogue du cabinet du prince de Conti, Paris, 1777, lots 761 et 762.
53 Voir H. Opperman, 1977, I, p. 219-223.
54 Devenu académicien en 1755, puis Premier peintre de l’Impératrice à Saint-Pétersbourg, il remplaça Vien comme directeur de l’Académie de France à Rome de 1781 à 1787.
55 Livre de raison de Lagrenée, pub. par M. Sandoz, 1983, respectivement p. 369, n° 279 et 280 et p. 368, n° 265 et 266, et lots 14 et 15 et 16 du catalogue de sa vente.
56 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 41, lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Paris, 19 mai 1763.
57 Lettre de Vernet à M. Girardot, Paris, 6 mai 1765, publiée dans L. Lagrange, 1864, p 180.
58 Lettre de Floding à Tessin, Paris, 20 janvier 1760, dans M. G. W. Lundberg, 1931- 1932, p. 277-278.
59 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5 A n° 42, lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Paris, 11 avril 1767.
60 Ibidem, 5A n° 42, lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Paris, 3 septembre 1765. Sur la question des tableaux exécutés pour M. de Poulhariez, négociant de Marseille, voir F. Ingersoll-Smouse, 1926, I, p. 80, n° 580-581 ; p. 89, n° 695-696 et p. 90, n° 710- 711.
61 L. Defrance, 1980, p. 64, cité par P. Rosenberg, dans cat. exp., Paris, 1987-1988, p. 422.
62 « Lettre aux Auteurs du Journal », 26 janvier 1778, dans Journal de Paris, n° 29, jeudi 29 janvier 1778, p. 114.
63 Le Brun, Catalogue d’une belle collection de tableaux originaux des trois écoles..., Paris, salle des Augustins du grand couvent, 10 décembre 1778, lot 131.
64 Comme le précise une annotation manuscrite portée sur le titre de l’exemplaire de ce catalogue conservé à La Haye (RKD).
65 Abrégé du Journal de Paris. Années 1777, 1778, 1779, 1780, 1781, Paris, 1789, II, p. 282, 1er mars 1777, « Lettre du Marin sur la Peinture ».
66 Ibidem
67 L. Gougenot, éd. 1749, p. 38, cité par I. Tillerot, 2005, p. 304.
68 C’est nous qui soulignons.
69 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 16, Lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Paris, 30 avril 1782.
70 G. Faroult, 1999 (2000), p. 157, lettre 1, de Livois à Jean-Jacques Lenoir, du 14 mars 1777.
71 Il s’agit d’un opuscule de 113 pages, de format in-8°.
72 Parmi cette littérature commerciale et publicitaire destinée à valoriser les ventes et à mettre à la disposition des amateurs et du commerce, des instruments d’information et de travail, il faut citer également le Catalogue de tableaux vendus à Bruxelles depuis l’année 1773 avec les noms de Maîtres..., et la désignation du sujet, de la grandeur et du prix de chaque pièce en argent de change, avec l’extrait de la vie de chaque Peintre, Bruxelles, chez N. Alexandre, s.d. [1803], petit in-4°, de 320 pages.
73 F.-Ch. Joullain, 1786, p. 188-191.
74 Ibidem, p. 189.
75 La partie consacrée aux ventes publiques y occupe les p. 108-133.
76 Cette publication est très rare ; nous avons consulté l’exemplaire de la B.N.F., Réserve du Département des imprimés (Q4246 et 4246 bis (prospectus), Q 4248 et Q 4247).
77 Watelet et Lévesque, 1792, V, p 183.
78 Ibidem.
79 Christian von Mechel (1737-1817), graveur, éditeur et antiquaire allemand.
80 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 46. Lettre non datée, mais classée parmi la correspondance du mois de décembre 1770.
81 Pour un état de la question, nous renvoyons à A. Provost, 2002.
82 R. Moulin, 1995, p. 25.
83 Rouillé d’Orfeuil, 1773, p. 513 : « Comment peut-on se vanter d’avoir mis à quelque tableau, quand même il serait réellement unique et de la plus grande beauté, une somme avec laquelle on aurait pu soulager et secourir plus de 1.000 malheureux, qui sont nos semblables et qui souffrent ? ».
84 Rouillé d’Orfeuil, 1773, p. 513 : « Tableaux ».
85 L.-S. Mercier, éd. 1994, I, p. 806-808, chapitre CCCVIII. « Tableaux, dessins, estampes, etc. ».
86 Watelet et Lévesque, 1792, I, p. 317.
87 Ibidem, article : « Catalogue de tableaux, dessins, estampes, & c... », : « Les Catalogues, les descriptions, les éloges des Ouvrages qu’on expose en vente, et auxquels on joint après les ventes le détail des prix de chaque objet, sont composés la plupart de manière à exciter les désirs, à réveiller l’émulation des Amateurs ».
88 Abbé Le Blanc, Lettre sur l’exposition..., 1747, p. 74-75, cité par Ch. Michel, 1993, p. 305.
89 Dans le contexte hollandais, cette critique trouve davantage sa justification qu’en France. J. Van Gool, dans son De nieuwe schouburg der Nederlantsche kunstschilders en schilderessen, publié en 1750 impute le déclin de la peinture hollandaise du XVIIIe siècle au marché de l’art. Ceci l’oppose à Gérard Hoet. Sur ce débat, voir G. Glorieux, 2002-1, p. 415.
90 Cette commande portait sur la réalisation d’une série de huit tableaux sur le thème des Quatre Parties du jour sur mer et sur terre, destinée à orner la salle de billard du château de Méreville, à la Ferté-Vidame.
91 « On assure que M. de La Borde cy devant bancquier de la Cour vient de conduire un marché considérable avec M. Vernet, peintre célèbre de marines. Il luy a demandé huit tableaux pour orner une magnifique galerie, et luy donne cinquante mille écûs pour ce travail... ». Cité par L. Lagrange, 1864, p. 399.
92 Diderot revient sur cette question dans son Salon de 1769 où il fustige ceux qu’il nomme les « apprentis amateurs qui en sont encore à la première fureur d’une jouissance qu’ils ne veulent partager avec personne », avant de revenir sur le cas de M. de Laborde qui, dit-il, a fermé l’oreille au cri du public » (Diderot, éd. 1995, p. 15-16).
93 Sur la critique des financiers, voir Y. Durand, rééd. 1996, particulièrement p. 111- 117 et 179-199.
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