Chapitre 1. La provenance des Œuvres
p. 133-159
Texte intégral
1Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le marché français est alimenté essentiellement par deux sources : la première, que l’on pourrait qualifier d’interne, est constituée par les tableaux conservés dans les collections privées parisiennes ou provinciales et mis sur le marché à l’occasion d’une succession ou d’une vente volontaire. La seconde source est externe, constituée d’importations, provenant principalement d’Angleterre, de Flandre et de Hollande et dans une moindre mesure, de l’Italie. Ces importations sont le plus souvent le fait de marchands1.
Les achats à l’étranger
2Le mouvement des œuvres, tant de l’étranger vers la France que dans le sens inverse, s’avère encore aujourd’hui mal connu. En effet, si les enquêtes quantitatives sont possibles dans le champ anglais, elles restent en revanche beaucoup plus difficiles en ce qui concerne la France, puisque nous ne disposons pas de données émanant des services des douanes pour l’Ancien Régime, tout au moins en matière de commerce d’art et plus particulièrement du tableau qui nous occupe ici. Pourtant, de tels documents ont existé, l’importation de tableaux et de bordures, considérés comme marchandise de mercerie par les douanes de terre, étant soumise au paiement d’une taxe fixée par le tarif de 16642. Un arrêt du 23 novembre 1688 avait complété cette législation douanière instituant que pour les tableaux « venant de la Flandre Autrichienne », la Belgique actuelle, « la livre paye 20 sols »3. On notera que le montant de ces taxes était calculé en fonction du poids des marchandises importées, ce qui peut sembler pour le moins paradoxal dans le cas des tableaux ! Celles-ci variaient également en fonction des lieux de douanes ; ainsi, « Par le Tarif de la douane de Lyon, les Tableaux de Flandre, sur bois, payent 25 f. du quintal ». Un arrêt du 3 juillet 1692 avait fixé les droits de sortie pour les « tableaux de toutes sortes sans enrichissement [bordure]..., comme mercerie, à raison de 3 livres le cent pesant ; & s’ils sont déclarés pour les Pays étrangers, seulement 2 livres ». Au cours du XVIIIe siècle, la distinction entre deux tarifs est toujours de règle. À leur entrée dans le Royaume de France, les tableaux venus de l’Étranger, « payent au poids » lorsqu’ils sont dépourvus de bordure, alors que « les tableaux encadrés payent à l’estimation », comme le rappelle le conseiller collectionneur François Tronchin au marchand Jérôme de Vigneux, en 17784. On avait donc intérêt à les faire venir dépourvus de cadre. Pour s’épargner le montant de ces taxes qui grevaient lourdement ces importations, certains marchands parisiens, parmi lesquels Donjeux et Boileau, mais également le duc de Choiseul, choisirent d’expédier leurs acquisitions faites à Amsterdam, à la faveur de la vente du célèbre cabinet Braamcamp en 1771, par voie de mer. Bien mal leur en prit, le bateau qui ramenait les trésors de ce cabinet vers la capitale française fit naufrage, emportant à jamais « les morceaux capitaux » de cette collection5.
3Seuls quelques rares documents permettent d’entrevoir la circulation des œuvres. C’est le cas de demandes de passeports consignées dans les archives du ministère des Affaires étrangères pour la période 1762-17826. Cependant, celles-ci ne forment pas des séries continues et concernent toutes des envois exceptionnels. De plus, les informations fournies, très vagues, ne permettent pas de connaître le détail de ces expéditions. Les importations faites par le commerce d’art, à coup sûr nombreuses, nous échappent donc presque totalement. Pourtant, les marchands français prirent très tôt l’habitude d’aller s’approvisionner directement sur les places étrangères, en effectuant des tournées régulières, principalement en Hollande et en Angleterre, voire en Allemagne.
La Hollande, la Flandre et l’Angleterre
4Au XVIIIe siècle, la Hollande et la Flandre constituent une source d’approvisionnement prioritaire pour la plupart des marchands qui trouvent là un moyen commode d’alimenter leur commerce alors même que Paris s’affirme comme l’une des plaques tournantes du commerce du tableau nordique. Les relations commerciales entre Paris, Amsterdam, La Haye et Anvers sont attestées de longue date. Le volume de ces échanges s’amplifie même durant cette période. Dans la première moitié du siècle, des marchands du pont Notre-Dame, tels Jourdan, Gilles et Savinien de Mortain entretenaient des relations d’affaires avec la Hollande et la pratique des tournées commerciales est attestée pour les plus célèbres marchands de tableaux du XVIIIe siècle. Gersaint, à partir de 1733 et jusqu’en 1749, se rendit à douze reprises en Hollande. Il effectuait généralement ses tournées soit au cours de l’été, soit à l’automne7. Ajoutons que celles-ci rencontraient un écho publicitaire dans le Mercure de France, visant à annoncer la mise en vente, en boutique ou le plus souvent aux enchères, des tableaux, dessins et autres objets rapportés de ces voyages. Gersaint n’est cependant ni l’initiateur, ni l’unique bénéficiaire de cette pratique. Les marchands français de la génération suivante poursuivent cette tradition commerciale. Ainsi, Pierre-Charles-Alexandre Helle et Pierre Remy effectuent ensemble des tournées en Hollande pour acquérir des dessins et des tableaux avant 17628. Ce dernier recevait d’ailleurs régulièrement des tableaux envoyés par ses correspondants hollandais, comme le montrent les Mémoires du peintre J. Ch. von Mannlich. Il raconte que le duc de Deux-Ponts le fit « monter en voiture avec [lui] pour aller chez M. Remi fameux Marchand de tableaux, qui venait d’en recevoir d’holande un trasport (sic) considérable...»9. Citons encore Nicolas-François-Jacques Boileau, dont la présence dans ce pays est attestée en 176810. Chargé d’acquérir des tableaux pour le duc de Choiseul, il fit, selon Grimm, de fréquents voyages dans les Pays-Bas11. Parmi les familiers du marché hollandais, citons également Sollier, l’un des plus importants marchands de la période12 et Paillet qui, à l’occasion de l’un de ses séjours, en 1777, acheta différents tableaux pour l’architecte collectionneur Bélisard qui n’acquitta sa dette qu’en 178413. D’après Wille, un autre marchand de tableaux français se déplaçait fréquemment pour ses affaires, le dénommé Langlois14. Il présenta à Wille, en 1769, un Loth et ses filles, d’Adrien van der Werff, que le graveur jugea de belle qualité15. Toutefois, c’est Le Brun qui semble avoir fréquenté le plus assidûment le marché hollandais ; il aurait selon ses propres dires, effectué vingt-trois voyages dans ce pays16.
5Les ventes qui se déroulent fréquemment à Amsterdam, à Anvers ou à Bruxelles sont le prétexte de certains de ces voyages. Dans ses Souvenirs, E. Vigée-Lebrun rappelant sa visite en Flandre en 1782, en compagnie de son mari, précise qu’il eût lieu à la faveur de la mise en vente à Bruxelles « de la superbe collection du prince Charles...»17. De rares correspondances, ainsi que les annotations manuscrites de catalogues de ventes, nous permettent de connaître la participation de quelques peintres-marchands à des ventes hollandaises. Une lettre de Louis-François Colins au marquis de Voyer, nous apprend qu’il s’est rendu à Amsterdam en 1757, pour assister à la vente Loote, où il espérait acheter plusieurs tableaux de maîtres hollandais qu’il destinait à ce grand collectionneur. Espoir déçu en raison des prix élevés atteints par ces tableaux18. De même, à l’occasion de la dispersion du cabinet du comte de Wassenaer Obdam, à La Haye en 175019, nous trouvons parmi les acheteurs, le peintre Aved, un familier des ventes hollandaises. Il se porte acquéreur de tableaux de Rembrandt, Dou, Breughel, Wouwerman, Adriaen van Ostade, Dusart. Nous y rencontrons également un certain « Colyns » qui pourrait bien être le marchand Colins, que nous venons de voir en correspondance avec le marquis de Voyer, ainsi qu’un dénommé Julliot, peut être le marchand mercier parisien.
6En avril 1765, Huquier et Basan sont à Bruxelles où ils assistent à la vente de la collection du prince de Rubempré. Ils y achètent pour leur compte et pour un collectif de marchands constitué de Joullain, de Boileau et d’eux-mêmes, douze tableaux parmi lesquels, des œuvres de Gryeff, Coypel, Solimena, Teniers et Mieris qui seront ensuite remis en vente à Paris20. Comme on peut le voir dans cette liste, outre les tableaux flamands ou hollandais, on recherche également certains tableaux français.
7Les Français furent sans doute beaucoup plus nombreux à fréquenter les ventes d’Amsterdam, de La Haye ou d’Anvers, mais comme ils se faisaient le plus souvent représenter par des courtiers ou des correspondants locaux, les catalogues de vente ont rarement conservé la trace de leur passage21. Le Journal de Wille nous en fournit pourtant une illustration. Ne pouvant assister à une vente qui se déroulait à Leyde en septembre 1766, le graveur demanda à l’une de ses relations, M. van den Velden, de se porter acquéreur en son nom de quelques tableaux, un Metsu, deux Frans van Mieris et un Jan Steen, le tout pour un peu « plus de 3300 livres ». Bien qu’il ait acheté ces tableaux sur catalogue, Wille s’en montra très satisfait22.
8Si la Hollande, terre traditionnelle du commerce d’art et destination commode en raison de sa situation relativement proche de Paris, eut la faveur des marchands français, elle n’eut pas l’exclusivité de ces relations commerciales. Certains étaient des familiers de l’Angleterre. Augustin Ménageot connaissait bien ce pays, pour y avoir séjourné à partir de 1741 et même exercé pour la première fois les fonctions de courtier d’art pour le compte de l’amateur William Draper23. Il y organisa une vente de son fonds en 175524. Son ami, l’expert Pierre Rémy, entretint lui aussi des liens très étroits avec le commerce d’art anglais, particulièrement avec le collectionneur-marchand Robert Bragge, qui venait lui-même régulièrement sur le continent. Rémy avait sans doute noué des relations d’affaires avec les amateurs et les marchands à l’occasion d’un séjour dans ce pays, à une date qui doit se situer avant 175725. La présence du marchand Basan est également attestée à Londres, notamment en 177026. Vers 1775, c’est au tour du peintre-marchand Guillaume Martin de faire « le voyage d’Angleterre », non pas dans la perspective d’acheter, mais pour y vendre des tableaux. C’est pourtant l’inverse qui se produisit : « dans son voyage d’Angleterre, au lieu de s’être défait de ses tableaux, il en avoit au contraire acheté d’autres pour beaucoup d’argent, lesquels furent les uns et les autres gâtés dans le trajet ; qu’il voulut à son retour se deffaire de presque tous ses tableaux et les faire vendre à l’hôtel d’Aligre ; mais il n’y a pu parvenir. Il paya fort cher les frais de vente quoiqu’il eût vendu qu’une petite partie et à vil prix...»27. L’Angleterre était, semble-t-il, un terrain plus favorable aux achats qu’aux ventes, si l’on en croit une autre histoire arrivée à P. Rémy, qui avait tenté en vain d’y vendre, quelques années plus tôt, un tableau de Véronèse acheté en société avec Jean-Baptiste Slodtz28.
9D’autres marchands parcouraient l’Allemagne à la recherche de tableaux à vendre. Gaucherel de Vigneux, marchand de tableaux d’origine française établi à Mannheim depuis 1765, en relations d’affaires avec la place de Paris, recevait régulièrement la visite d’un marchand parisien dont le nom n’est malheureusement pas précisé29. Le même Vigneux effectuait de fréquentes tournées en Hollande où il avait des « commissionnaires »30. Il envisagea même en 1781, de passer l’hiver en Italie pour ses affaires31. Il fait donc figure de véritable voyageur de commerce. Ces tournées de marchands sont encore attestées vers la fin du siècle où Thiéry recommande aux « étrangers amateurs » à la recherche de tableaux de qualité de visiter les boutiques de Donjeux, Dulac, Le Brun, Lenglier et Paillet, précisément parce que leur fonds est régulièrement renouvelé et enrichi : « Ces Messieurs, dit-il, faisant de fréquens voyages, tant en Hollande qu’en Angleterre, on est toujours sûr de trouver chez eux de belles choses et de toutes les écoles »32.
10Tout au long du siècle, cette pratique s’amplifia et un certain nombre d’amateurs allèrent eux-mêmes prospecter ce marché, surtout au lendemain de la fin de la Guerre de Succession d’Autriche. Le comte de Vence, qui avait guerroyé en Flandre, était en relation d’affaires avec le marchand de La Haye, F. Furet auquel il avait acheté plusieurs tableaux33. On sait par ailleurs que des tableaux importants du cabinet de Johannes Lublinck, amateur d’Amsterdam, furent achetés par Randon de Boisset et le duc de Choiseul34. On sait aussi que ce dernier chercha à acquérir en son entier, le cabinet de Govert van Slingelandt, Receveur général de la Hollande, mis en vente à La Haye, en mai 176835. C’est toutefois le Stathouder qui l’emporta pour 50.000 florins. Le duc de Choiseul n’eût pas davantage de chance, en 1771. Alors qu’il venait d’emporter de haute lutte quelques-unes des pièces les plus remarquables du cabinet Braamcamp, vendu à Amsterdam, il eut la malchance de voir ces trésors disparaître dans le naufrage du bateau qui les conduisait en France36. En 1774, c’est au tour de l’abbé Contry, « Ministre du duc de Modène auprès du Roy » de faire venir de Hollande à Paris, « 17 petits tableaux »37. La Flandre ne fut pas moins mise à contribution par nos amateurs. L’expert Rémy signale parmi les pièces les plus remarquables du cabinet du trésorier général de la Marine, M. de Selle (1761), « Une bataille de Wouvermans, tableau capital, que M. de Selle a fait venir d’Anvers »38. De même, en août 1763, le duc de Choiseul reçut des caisses de tableaux en provenance de Bruxelles39. Certains amateurs poussent même leurs investigations jusqu’en Allemagne. En 1783 le marchand Vigneux reçoit la visite d’un français, M. d’Espagnac40, qui, dit-il, de passage à Mannheim, « m’a acheté, tout ce que j’avois de l’École françoise »41. Mention d’un grand intérêt qui montre combien, à une époque où la demande est forte pour les maîtres français, particulièrement les contemporains, quelques amateurs avisés cherchent à rapatrier chez eux les œuvres de leurs congénères, espérant ainsi faire un meilleur profit.
11La correspondance de l’artiste collectionneur orléanais Aignan-Thomas Desfriches est un document éclairant sur ces importations de tableaux par les collectionneurs français. Des notes et impressions consignées à la hâte sur quelques feuillets nous autorisent à croire que Desfriches entreprit en 1753 une première tournée dans les Pays-Bas autrichiens, où il visita Gand, Bruxelles, Malines et Anvers. Toujours est-il qu’à partir de 1755, il est en relation avec quelques marchands hollandais. Cette année-là, il sollicite l’un d’eux, un certain Josephauff der Muer, établi à La Haye, pour qu’il lui procure des œuvres d’Hobbema et de Ruysdael42. Desfriches ne donnera pas suite, jugeant le prix demandé trop élevé. En 1766, nous en avons la preuve cette fois, Desfriches fait un long voyage en Hollande « par pure curiosité », dont il rapporte « d’excellents tableaux » de Ruysdaël, Van Goyen, A. Vandevelde, Wynants, etc. Rembrandt, et autres excellents maîtres dans la partie du paysage, en sorte que mon cabinet peut, à présent, être vu par les amateurs avec quelque distinction »43. Il entre alors en relation avec les marchands Fouquet et Palthe44 qui lui proposeront des œuvres. Ainsi, en septembre 1766, ce dernier lui offre deux tableaux de Van Huysum, provenant de la vente de Mme de La Cour, à Leyde, en lui précisant : « Un dessein de votre main cera (sic) le gain »45, ce qui peut nous surprendre au regard de la valeur que l’on attachait alors aux tableaux de ce maître, mais qui doit être replacé dans la perspective d’un marché du dessin très développé dans la Hollande du XVIIIe siècle. Or, les feuilles de Desfriches rencontraient alors un accueil favorable auprès des collectionneurs hollandais46. À nouveau, en octobre 1767, le même marchand lui expédie trois tableaux de Van Goyen, en échange desquels il sollicite à nouveau l’envoi de dessins47. Mais ces propositions ne sont pas à sens unique, Desfriches lui adresse à son tour, en plus des dessins demandés, un tableau d’Adrien Van Ostade dont il désirait se défaire, pour une somme qui ne devait pas être inférieure à 500 livres48. Il envisageait d’acheter un autre tableau signalé par le marchand chez un collectionneur local. Hélas, le marchand moins enthousiaste, lui laissa peu d’espoir : « Que dire du Van Ostade, pas grand chose49, on vous a trompé, ou vous vous aurez (sic) trompé vous-même, car il est totalement retouché, que voulez-vous que je fasse avec un tel tableau. C’est difficile de le vendre...»50. Le tableau fut montré au marchand Fouquet qui déclara le connaître et ne pas en vouloir, de même que le marchand français Boileau, qui séjournait alors en Hollande. Comment interpréter cette mésaventure ? Doit-on y voir un épisode classique des relations client-marchand ? Ou convient-il plutôt d’admettre que ces marchands avaient raison, Desfriches ayant été la dupe d’un commerçant peu honnête qui avait réussi à lui faire accepter un tableau bien connu sur la place de Paris, trop généreusement baptisé. Notons que Desfriches apparaît à la lumière de cette correspondance comme le type du collectionneur-marchand toujours à l’affût d’une bonne affaire. Ce ne fut cependant pas toujours le cas. Palthe le tient régulièrement informé de ses découvertes, et des ventes à venir dont il lui adresse les catalogues. En octobre 1768, il lui envoie « un esquisse » fait par son fils d’une Vue de Leyde de Van Goyen, « d’un beau fini, plein d’ouvrage, un beau ciel », pour qu’il puisse s’en faire une idée et peut-être en faire l’acquisition51. En avril 1768, Palthe cherche à tirer profit du marché des tableaux du cabinet Slingelandt qui venait d’échapper au duc de Choiseul. Il propose à Desfriches de jouer l’entremetteur, en indiquant au duc un autre cabinet composé de quarante-six pièces « peu connu mais colecté par un de nos premiers seigneurs de la République, colecté depui 60 à 50 années (sic) riche en piesses de nos meilleurs maitres tous estquis de Dou, Wouverman, Breughel de Velours, Schalken, Teniers, Ostade, Saftleven, Metsu etc, etc. », en précisant qu’il se contentera pour sa part d’une commission, et que le « Duc pourra envoier (et cela vaut bien la Pêne) un homme de Connessance » et il vera que tous sont des tablaux en etat et d’une grande beauté »52. Nous ignorons si Desfriches accepta ce marché. Les achats en Hollande ne se révélèrent malheureusement pas toujours judicieux, si l’on en croit une contestation entre Desfriches et le marchand d’Amsterdam, Fouquet, en 1772. Celui-ci avait troqué avec Desfriches contre d’autres tableaux, un van Ostade, dont l’authenticité avait été contestée par de « bons connoisseurs » de Paris. Peu satisfait de la tournure prise par cette affaire, le marchand hollandais avait trouvé en retour que les tableaux envoyés par Desfriches étaient « invendables, et ne pas valloir la moitié de mon tableau ». Il est fort possible que cette réaction doive être interprétée comme une preuve de la mauvaise foi du marchand. Néanmoins, ce dernier s’était débarrassé des tableaux en les renvoyant à Paris à leur ami commun, l’expert Pierre Rémy qui les avait glissés dans une vente publique, tout en se refusant à présenter deux d’entre eux pour des œuvres d’Andrea Locatelli, comme Desfriches l’espérait. Afin de régler ce différend à l’amiable, Fouquet proposa de reprendre le petit tableau d’Ostade53. Le collectionneur orléanais ne semble pas lui avoir tenu rancune de cet incident puisqu’il demanda dans le même temps au marchand de lui envoyer « quelques petits tableaux de maîtres » qui manquaient à sa collection. Fouquet chercha à le dissuader, arguant que, depuis la visite de Desfriches en Hollande, les prix « sont doublement changés » et que dans le même temps, « les frais de transport ce (sic) monte si haut, sur des tableaux d’un prix mediocre qu’il mange plus que le proffit »54.
12Une autre de nos sources d’information est constituée par la correspondance également bien connue de Jean-Baptiste Descamps (1714-1791), connaisseur s’il en est de la peinture des écoles du Nord. Il écrit à son ami le graveur Wille, en 1764 : « Je me dispose à partir pour voir de près toutes les beautés que la Flandre et le Brabant conservent, j’aurai bien du plaisir si je puis y trouver quelque chose digne de votre goût et de votre collection ; à tous cela j’ai recours à la providence qui veille pour les artistes qui achètent avec une bourse très étroite, c’est-à-dire plus par goût que par Caprice ; ce Pays stérile depuis longtemps, exposé aux incursions des Brocanteurs ne laisse à peine que très peu à glaner. Il ne faut cependant pas désespérer, j’y ay rencontré de bonnes choses à un prix ou nous pouvons risquer notre pécune, et comme mon intérêt est de ne pas vous ruiner je retournerai ma pièce trois fois avant de la laisser glisser »55. Sur ce terrain les avis divergent ; si le marché hollandais s’avérait incontestablement très actif, était-il pour autant intéressant pour un Français de s’y aventurer ? Tel n’était pas l’opinion du banquier Eberts, fournisseur de Caroline de Bade, qui séjourna à Rotterdam et à La Haye en 1761 pour visiter les cabinets des amateurs et les boutiques des marchands. Il en revint bredouille et horrifié par les exigences des uns et des autres56 et déclara : « J’ai renoncé aux tableaux de Hollande, ces bonnes gens s’imaginent que leurs morceaux pour sortir de la Patrie doivent être payés au poids de l’or, & je ne saurai en convenir, puisque les cabinets de Paris, m’offrent avec un peu de patience a peu près les mesmes choses a beaucoup meilleur compte »57. Dès 1748, le marquis de Voyer d’Argenson avait acheté au collectionneur marchand Willem Lormier, dix-sept peintures pour la somme alors énorme de 21.525 florins hollandais. Dans ce montant, deux tableaux de Jan van Huysum, comptaient à eux seuls pour 7.200 florins, prix considérable pour les œuvres d’un peintre encore vivant. Lormier réalisa la meilleure affaire de sa vie, son client s’en aperçut quinze ans plus tard, lorsqu’il eut les plus grandes difficultés à se défaire de ses tableaux58. Si nous faisons allusion à ces faits antérieurs à notre période c’est précisément parce que l’on tint Lormier, et indirectement son client, pour responsables d’avoir en quelque sorte faussé le marché59.
13Nous le voyons, pour un amateur, de tels achats « à la source » n’étaient pas toujours intéressants sur le plan financier, ni d’ailleurs sans présenter des risques comme l’a montré la mésaventure de Desfriches. Ce dernier n’en eût cependant pas l’exclusivité. Le collectionneur angevin Eveillard de Livois faisait lui aussi venir des tableaux de Flandre sans les avoir vus au préalable, ce qui ménageait parfois des surprises. Il écrit en 1777 : « Je vouderois (sic) que l’on eût oublié pour deux tableaus que l’on m’annonçoit de Flandres depuis près d’un an et qui me sont parvenus à Paris dernièrement avec assez de frais, que j’ai mieux aimé doubler en les renvoyant que de les garder »60. De même, Jean-Jacques Lenoir, autre collectionneur et ami du précédent faisait venir avec plus ou moins de bonheur des tableaux de Francfort61. Le graveur Wille se montre plus prudent ; il préfère renoncer à des œuvres que l’un de ses correspondants de Munich lui propose, jugeant la description du catalogue de la vente trop sommaire et d’autant, qu’il « n’achète rien sans le voir »62.
14Il n’est pas jusqu’à la Direction des Bâtiments du roi qui, suivant en cela l’évolution du goût contemporain, et à l’initiative du comte d’Angiviller, s’attache à combler les lacunes du Cabinet du roi en réalisant d’importantes acquisitions de tableaux nordiques. Celles-ci se font soit à Paris, où les tableaux des écoles du Nord ne manquent pas, soit à la faveur des grandes ventes hollandaises ou flamandes de la période. Le rôle joué par Paillet en cette circonstance, a été étudié par J. Edwards, qui a très justement souligné la part déterminante prise par cet expert « dans la formation du premier noyau de peintures nordiques » des collections royales63. Aussi, nous nous limiterons à rappeler certains exemples. En 1783, Paillet, qui a la confiance de d’Angiviller, est envoyé en Hollande pour participer à une importante vente publique. Dans une longue lettre, il rend compte du succès de sa mission : « J’ai un petit nombre de tableaux mais il est impossible de trouver chacuns (sic) meilleur dans leur genre. Je n’ay payé aucun objet plus chère que de 5 ou dix florains plus chers que les M[archan]ds ou particuliers et j’ai eut la satisfaction que plusieurs ont été redemandez après la vente aux courtiers que jay employé...»64. Mots importants qui montrent tout l’intérêt des achats sur le marché hollandais où la confidentialité de l’acheteur étant mieux préservée, le risque de surenchère était moindre. De plus, Paillet s’était fait représenter par un acheteur connaissant les pratiques locales, capable de déjouer les pièges. Les collections royales s’enrichirent en cette circonstance d’œuvres d’Adrien Van de Velde, Jean-Baptiste Weenix, Gerard Dou, Philips Wouwerman, Jan Both, Adam Pynacker, d’un Karel Dujardin, regardé comme un chef-d’œuvre et d’une « grande et superbe » marine de Jacob van Ruysdaël, soit des œuvres capitales de tous les peintres les plus recherchés par les amateurs. Profitant de ce séjour, Paillet visite les boutiques des marchands et les cabinets des collectionneurs et réussit à acheter un Manège de Wouwerman ainsi qu’un Pynacker « de la plus belle qualité et rare a trouver si fin », chez le célèbre amateur amstellodamois Neyman, dont la collection de dessins avait été dispersée à Paris en 177665. Mais sa plus grande réussite fut l’acquisition du tableau de Van der Heyden de la collection Brandt, réputé comme « le plus capital et connu de toute la République », pour lequel Randon de Boisset, avait proposé quelques années auparavant la somme considérable de 100 louis d’or, sans parvenir à l’emporter. En plus de sa qualité exceptionnelle, ce tableau présentait le grand avantage d’être « d’une étonnante conservation et d’une grandeur peu comune, jamais personne ni a mis la main ». Venant de la famille même du peintre, ce tableau offrait en plus toutes les garanties souhaitées. La lettre dans laquelle Paillet rend compte avec enthousiasme de ses acquisitions offre l’avantage de nous faire entrer dans les pratiques du commerce. Il raconte qu’il doit de rapporter pour le roi, dans ses bagages, « le plus précieux tableau de Slingelandt », au fait d’avoir surpris une conversation entre ses plus proches voisins, le marchand français Le Brun et un Hollandais. Ce dernier ayant déclaré que « le plus beau tableau de ce maître étoit à La Hays chez un Banquier juif », Paillet n’eut de cesse de s’emparer de ce chef-d’œuvre. Il « prit une barque de nuit et à dix heures du matin, le tableau a été découvert et en ma possession ; [alors que] le prince d’Orange le marchandait 200 à 200 florins depuis plusieurs mois »66. Il poursuit en disant espérer pouvoir convaincre le marchand Danoot67 de Bruxelles de lui céder son beau tableau de Ruysdael. Enfin, il termine sa lettre en ajoutant qu’il a également fait l’acquisition d’un tableau de Cuyp « qui ne doit estre possédé que d’un Souverain ». Ce n’est toutefois pas toujours par la voie la plus directe que les œuvres de qualité gagnent les cimaises des collections royales et parfois elles suivent un curieux chemin, comme le montre l’histoire d’un paysage de Wouwerman. Demeuré très longtemps en vente chez le marchand Boileau sans trouver preneur au prix demandé, soit 1.500 livres, il arriva que le marchand se lasse et fasse « une de ces reversions [vente-troc ?] fréquentes entre marchands ». Ainsi le tableau retourna en Flandre, où il fut racheté par un certain « M. Clément qui n’étoit pas brocanteur », qui le ramena en France et le revendit avec un bénéfice honorable au marquis de Marigny, en assurant à celui-ci qu’une « circonstance le forçoit à se défaire d’un tableau qui n’étois jamais sorti de Flandre, ny du Cabinet de ses Pères »68. La morale à tirer de cette histoire, c’est que le novice réussit parfois là où le rusé marchand a échoué et que les tableaux ont leur vie propre qui échappe à toute logique économique.
Les achats en Italie
15Au début du XVIIIe siècle, le voyage des collectionneurs français en Italie, pour y rechercher des tableaux ou des antiques, est encore une pratique très répandue. Nous citerons comme exemple parmi tant d’autres, celui du collectionneur aixois Jean-Baptiste Boyer d’Eguilles, mort en 1710, qui dit-on : « [...] séjourna en Italie des années entières… » et en rapporta « une quantité de Tableaux choisis des trois Écoles, Romaine, Vénitienne et Lombarde...»69. Cependant, au regard du siècle précédent, les amateurs du XVIIIe siècle se tournent moins volontiers vers l’Italie, tout au moins pour y rechercher des tableaux ou d’autres œuvres d’art. Il existe pourtant des exceptions notables, tels Crozat, le duc de Saint-Aignan ou le bailli de Breteuil. Nous savons par Mariette, combien la collection de dessins de Crozat s’enrichit à la faveur de son séjour italien en 171470. À la différence de l’exemple précédent, les achats italiens du duc de Saint-Aignan et du bailli de Breteuil sont liés à leur carrière diplomatique. Sur les acquisitions du duc de Saint-Aignan (1684-1776), nous possédons le témoignage de l’auteur anonyme du Nécrologe des artistes et des curieux. Il nous rappelle que « C’est en parcourant l’Italie qu’il acquit ces précieux tableaux de Carle Maratte, le Guide, Lanfranc, Philippe Laur, le Mêle [Mola] et autres que nous avons vus », ajoutant qu’il « fut guidé dans ses acquisitions par des principes sûrs et par un discernement peu commun »71. C’est en effet à la faveur de son ambassade à Rome (1732-1740), que le duc de Saint-Aignan forma en partie sa collection qu’il enrichit après son retour en France. Elle fut dispersée le 17 juin 1776, lors d’une vente publique à l’hôtel de Saint-Aignan, rue du Temple72. Hélas, si l’on excepte les œuvres des pensionnaires de l’Académie, il est impossible de distinguer parmi les 400 tableaux qui composaient à terme cette collection, ceux qui furent acquis à l’occasion de l’ambassade romaine. Quant au bailli de Breteuil, ambassadeur de Malte auprès du Pape (1758-1777), grand amateur de peinture, au goût très éclectique, il constitua une seconde collection durant son ambassade à Rome73. Il réunit dans son cabinet romain, aussi bien des œuvres de ses contemporains (Hubert Robert, Laurent Pécheux, ...) achetant « de tems en tems quelques petits tableaux »74 aux pensionnaires de l’Académie de France, que des tableaux italiens des XVIe et XVIIe siècles, voire du début du Settecento, d’artistes romains (Pietro Bianchi), napolitains (Solimena), ou vénitiens (Rosalba Carriera). La source essentielle pour connaître les achats italiens du bailli de Breteuil est la correspondance du père Paciaudi. Celui-ci écrit en février 1759, au comte de Caylus : « On offre au bailli un tableau amirable ; je n’ai jamais vu de pareil, on le prétend du Dominiquin, je ne le crois pas ; mais quel qu’en soit l’auteur, c’est un chef-d’œuvre. Il m’a dit qu’il vous en ferait le détail. À la vérité, le prix de 1.000 écus romains qu’on en demande est exorbitant, il serait payé à ce qui me semble à 600 livres »75. Malgré ce prix jugé élevé, le bailli de Breteuil conclut cette acquisition qui suscita l’enthousiasme de Natoire. De même, en janvier 1760, le père Paciaudi fait l’éloge du cabinet de Breteuil en ces termes : « Dans peu de temps, il aura un cabinet choisi de tableaux admirables ; il vient d’en acheter trois, un Poussin qu’on dit son chef-d’œuvre, un Tintoret et un Benedetti [Castiglione ?] qui étaient dans un recueil ; en outre, quantité d’autres petits tableaux de bons auteurs »76. On aurait tort de penser, s’agissant d’une collection formée et installée à Rome, que ces achats « romains » du bailli de Breteuil n’eurent aucune incidence sur le marché français. Nous savons en effet qu’en 1766, le bailli envoya une partie de ses tableaux à Paris pour « les faire vendre publiquement... sans qu’on sache d’où ils viennent » et qu’il en tira même un bénéfice substantiel77. Par ailleurs, nous savons que le bailli emporta en France certaines des œuvres de sa collection romaine lorsqu’il fut nommé ambassadeur de l’ordre de Malte à Paris, en 1777. Le reste de sa collection sera transporté à Paris bien plus tard en 1780, moment où Breteuil sollicite un passeport « pour faire venir d’Italie à Paris... une Caisse de Tableaux »78. Certains y seront vendus par les soins de Paillet, en mai 1780, en même temps que des œuvres provenant du duc de Chabot, de Watelet et de d’Angiviller79, collectionneurs de l’entourage du bailli. Enfin, le reliquat de la collection fut dispersé en vente publique après son décès, au mois de janvier 1786. Gageons enfin que le cardinal de Bernis, grand amateur d’art dut acquérir un certain nombre de tableaux, pour sa collection, à la faveur de son ambassade romaine de 1769 à 179480.
16Mentionnons parmi les autres exemples d’acquisitions ou d’œuvres provenant d’Italie, les envois du baron de la Houze (ou House) « chargé des affaires du Roy à Rome » qui obtient, en juin 1762, un passeport pour faire venir de Naples « deux caisses contenant quarante tableaux », à destination de sa terre de Gascogne. Le même enverra l’année suivante, de Rome cette fois, « 7 ou 8 tableaux »81 pour la même destination. Assurément nous aimerions en savoir davantage sur les goûts du baron de la Houze et sur la nature précise de ces envois82. Nous sommes encore moins renseignés sur le dénommé Martin Floriot qui emporte de Rome pour la France, en avril 1764, « quarante-six tableaux de grandeurs diverses et de sujets différents, ouvrages modernes estimés par le commissaire des antiquités Winckelmann, 111 écus »83. Citons enfin le cas plus connu de l’abbé de Veri auditeur de Rotte qui, au mois d’août 1772, obtint un passeport « pour une caisse contenant cinq ou six tableaux » envoyés de Rome à Paris « pour son usage »84. On voit à travers ces quelques exemples que c’est souvent à la faveur d’une mission diplomatique que certains amateurs forment ou enrichissent leur collection. Le marquis de Marigny, mit également à profit son célèbre voyage en Italie de décembre 1749 à septembre 1751, pour y faire quelques emplettes en tableaux. Il y acheta notamment un Paysage de Nicolas Berchem85. C’est vraisemblablement vers la même époque que Dezallier d’Argenville entreprit à son tour ce voyage initiatique qui lui procura « l’acquisition d’excellents morceaux »86. Citons encore l’exemple de Randon de Boisset qui effectua plusieurs séjours en Italie, dont un, d’une durée de un an, en 176387, comme le rappelle l’auteur de l’Avertissement au catalogue de la vente de sa bibliothèque en 177788. Les grands amateurs ne sont pas les seuls à joindre aux plaisirs du voyage traditionnel l’acquisition d’œuvres d’art, comme le montre le cas de l’architecte Charles de Wailly. L’auteur du catalogue de sa vente, en 1788, rappelle en effet que « La plupart de ces Tableaux ont été achetés en Italie...»89. C’est vraisemblablement à l’occasion de son séjour à Gênes en 1771, alors qu’il travaillait pour le marquis Spinola, qu’il enrichit sa collection de plusieurs toiles de l’école génoise. D’après la même source, il aurait aussi reçu en présent du marquis Spinola, à l’issue de ces travaux, un Repas chez le pharisien de Véronèse90. Mentionnons enfin le comte d’Orsay, qui se rendit en Italie en 1775 avec la ferme intention d’y recueillir des objets pour sa collection en voie de développement et en rapporta des antiques fort discutables, de nombreux dessins ainsi que des tableaux anciens et modernes91.
17Il existe également des cas qui pourraient être qualifiés de contre-exemples, tel celui du comte d’Hautefort, dont il est question dans une lettre du cardinal de Bernis au ministre des affaires étrangères, Vergennes en octobre 1775 : « Vous vous rappellerez peut-être que j’ai eu l’honneur de vous écrire il y a quelques mois au sujet d’un tableau que M. le comte d’Hautefort avoit acheté moyennant un contrat de rente viagère qu’il ne paye point et ne payera vraisemblablement jamais. Ce tableau est à Rome ; le marchand voudroit qu’il lui permis de le reprendre en renonçant aux arréages de la vente qui étoit convenue. Cet arrangement est fort raisonnable, il devrait même être du goût de M. le comte d’Hautefort ; mais le Pape n’a voulu rien permettre au marchand du tableau en question sans que le Roi en fût prévenu et sans que Sa Majesté y eût donné son consentement. J’ai besoin d’une réponse sur cet article »92. Ainsi, une simple transaction commerciale privée devint-elle une affaire diplomatique, nécessitant un arbitrage royal. Soulignons à ce propos qu’il était des plus hasardeux pour un non connaisseur d’acquérir des tableaux sur le marché italien, comme le laisse entendre une note du comte d’Angiviller, au sujet de tableaux proposés à la Direction des Bâtiments du roi par un officier russe qui les avait rapportés de Venise, croyant avoir réalisé une bonne affaire93. L’auteur de la note ajoutait que « Paris est inondé de tableaux de cette espèce achetés par des non-connaisseurs sur parole de Peintres italiens qui se font un jeu « di minchionare i francesi e altri [...] »94. On ne recherche pas seulement des tableaux de maîtres anciens en Italie ; en effet, quelques amateurs passent directement des commandes à certains artistes. En 1762, Wille dit avoir écrit à Florence au peintre védutiste Giuseppe Zocchi, afin qu’il lui réalise « deux tableaux pendants » dont il lui adresse les mesures95.
18Lorsqu’il est question d’enrichir les collections royales, c’est encore vers l’Italie que l’on se tourne pour rechercher des pièces dites « de grande curiosité », les seules dignes de figurer dans une galerie princière. Ainsi, en 1783, on recommande au comte d’Angiviller l’acquisition d’un « beau tableau du Guerchin » dont le seul handicap est son prix très élevé. De Naples, où se trouvait vraisemblablement ce tableau, un attaché d’ambassade écrit au comte : « Opposant finesses italiennes à finesses italiennes, j’ai obtenu un rabais considérable ; j’ai amené le vendeur de 9.000 ducats qui étaient son dernier mot, à 7.000 [...] J’espère que dans six mois nous aurons le Guerchin pour 6.000 ducats, mais je vous préviens Monsieur le comte, qu’il faudra de l’argent comptant »96. De même, vers 1772, lorsque Le Brun conseille au prince de Conti d’enrichir sa collection de tableaux des maîtres de l’école d’Italie, il lui conseille de recourir aux services d’un « marchand du centre de l’Italie qui connû le local, la valeur et l’originalité, sans cet enthousiasme trompeur ou partial aussi dangereux que l’ignorance et l’aveuglement, et qui sait profiter des hazards qui se rencontrent... », plutôt que de rechercher des tableaux sur le marché romain, ville où l’amateur ne manquera pas d’être trompé. Ce serait d’après lui, « un moyen sûr d’avoir quelque bonne suite d’italiens »97.
19Malgré ces quelques exemples, la période est incontestablement moins favorable aux acquisitions dans la Péninsule. D’ailleurs, on commence à juger que le voyage en Italie n’est plus indispensable à la formation des artistes, la France ayant sur son sol, particulièrement à Paris, ce qui est nécessaire à l’épanouissement des arts, à la formation du goût et à l’éclosion des talents puisqu’elle compte désormais autant de grands peintres que l’Italie. La dépendance à l’égard de cette dernière, déjà battue en brèche sous Louis XIV, s’estompe dans la France du XVIIIe siècle. C’est donc tout un mouvement qui se dessine, dont le désintérêt progressif des amateurs pour les tableaux des écoles d’Italie n’est que l’une des manifestations. La désaffection que connaissent alors les œuvres de cette école, concurrencée par les peintres des écoles du Nord, les problèmes liés à l’authenticité de certains tableaux italiens, expliquent sans doute, pour une bonne part, l’appel moindre à l’Italie. Il existe cependant d’autres raisons, à commencer par la raréfaction des pièces de qualité irréprochable disponibles sur le marché et la législation protectionniste des différents États de la Péninsule, en matière d’art, qui ôte tout espoir aux collectionneurs ayant encore du goût pour la grande peinture italienne, de pouvoir les exporter. Pourtant, certains marchands ou amateurs continuent de prospecter ce marché en recourant à des moyens détournés et peu légaux. C’est ce que sous-entend l’auteur du Manuel bibliographique des Amateurs : « Il est défendu de sortir de l’Italie des tableaux des grands maîtres ; pour éluder cette défense, on a imaginé de peindre d’autres sujets par-dessus, et lorsque ces Tableaux, ainsi déguisés, ont passé les frontières et échappé aux visites, on enlève le masque, et la première Peinture reparoît. On raconte à ce sujet qu’un Tableau, ainsi défiguré, fut vendu 9 livres 10 sols à un Amateur de Paris, qui, l’ayant netoyé, et enlevé un grand arc-en-ciel qui le couvroit presque en entier, trouva un chef-d’œuvre de Raphaël, duquel il a refusé 80.000 livres »98. Cette histoire ressemble étrangement à la découverte d’un pseudo-Raphaël annoncée par Le Roy de La Faudignère dans le Journal de Paris99.
20Durant cette période, l’attraction de l’Italie est donc sur son déclin. Inversement, le rayonnement du marché parisien est tel que l’on n’hésite pas à envoyer dans la Capitale une galerie italienne, la collection du comte Suderini, pour y être vendue en décembre 1783. Toutefois, cette vente fut annulée à la suite d’une cabale orchestrée par le marchand Le Brun.
Commandes et achats aux artistes : de l’atelier ou de l’exposition publique au cabinet du collectionneur
21En préliminaire, il convient de distinguer le marché de la commande du marché de l’offre, ce dernier correspondant à ce que les économistes appellent le marché ouvert ou le marché « on spec ». L’achat « à la source », entendons par là directement auprès de l’artiste, sans intermédiaire connu, peut être soit l’objet d’une commande, soit un tableau acheté dans l’atelier sans avoir de client au départ, ou bien encore dans le cadre d’une exposition publique en plein air (foires) ou au Salon. Cette pratique, difficile à saisir, nous échappe en grande partie dans sa réalité financière. Dans la plupart des cas, c’est seulement une fois l’œuvre intégrée au cabinet de l’amateur que nous établissons le rapprochement avec le tableau exposé, mais rien ne vient confirmer un achat direct, ou une commande.
Expositions publiques et privées
22Pendant longtemps, – exception faite des ateliers d’artistes et des foires-, les expositions publiques jouèrent un rôle important dans la mise en relation de l’artiste avec son public ou son client potentiel. L’Académie de Saint-Luc remplit ponctuellement cette fonction, en organisant de 1751 à 1774 sept expositions, visant à concurrencer le Salon de l’Académie royale. Ces manifestations se déroulaient dans des lieux variés, l’Arsenal, l’hôtel d’Aligre, puis l’hôtel Jabach, rue neuve Saint-Merry, ce qui montre bien les difficultés rencontrées pour leur organisation face à une Académie toute puissante qui, se sentant menacée dans une de ses prérogatives essentielles, mit tout en œuvre pour étouffer les velléités de sa concurrente100. L’acharnement des académiciens à faire interdire l’exposition libre organisée au Colisée en 1776101, soit précisément à l’époque de la suppression (provisoire) des corporations, en témoigne. Toutefois, J.J. Guiffrey a bien montré qu’il était difficile d’y voir, comme l’a fait E. Bellier de la Chavignerie, la « dernière manifestation publique de la vieille Communauté des maîtres-peintres » ; la plupart des peintres exposants n’ayant aucun lien avec l’Académie de Saint-Luc102. Guiffrey lui, la considère comme une exposition particulière dont l’initiative revint à Marcenay de Ghuy et au miniaturiste de Peters.
23D’autres expositions se tenaient en plein air, telle l’Exposition de la Jeunesse qui se déroulait sur la place Dauphine et sur le pont Neuf, le jour de la Fête-Dieu, au long du parcours de la procession Saint-Barthélemy103. En cas d’intempérie cette manifestation était reportée à la petite Fête-Dieu (ou octave). Dévolue dans un premier temps au commerce « des tableaux des plus grands Maîtres que des Marchands soumettaient aux regards & aux désirs des riches amateurs », cette exposition de courte durée, qui avait l’inconvénient de se dérouler « dans un endroit découvert & incommode », connut une mutation radicale. Avec la mise en place de nouvelles structures (boutiques plus nombreuses, ventes publiques) pour le commerce de l’art ancien, celui-ci fut remplacé par « les productions des Jeunes artistes qui veulent mettre le public à portée de juger de leurs progrès, & désirer de mériter son estime [...] »104. C’était même la seule possibilité pour les artistes débutants d’exposer. Mais ne nous y trompons pas, le niveau de cette exposition restait modeste et il est difficile d’en mesurer les incidences sur la formation et sur l’orientation des collections contemporaines. Elle joua cependant un rôle non négligeable, permettant à certains collectionneurs moins fortunés ou clairvoyants, d’acquérir des œuvres de jeunes artistes peu connus, voire inconnus, dont certains accéderont par la suite à la célébrité (tels François Le Moyne, Jean-François de Troy, Noël Nicolas Coypel, Jean-Baptiste Siméon Chardin et Jean-Baptiste Oudry), ou d’artistes n’appartenant à aucune Académie, comme Pierre-Charles Duvivier, Mlle Surugue, ou le paysagiste Simon-Mathurin Lantara. Cette exposition mit surtout le public français en contact avec les œuvres de peintres étrangers de passage à Paris, à qui elle était traditionnellement ouverte, comme le paysagiste allemand Ferdinand Kobell, « peintre de S.A.S. l’Électeur Palatin »105.
24Toutefois, ce type d’exposition en plein air, où les œuvres étaient présentées dans des conditions précaires, accrochées « aux tentures et tapisseries exigées par la Police sur le passage de la procession du saint Sacrement »106, comme nous le voyons sur un dessin de Gaspard Duché de Vancy (Musée Carnavalet, fig. 8) datant de 1783107 et sur une aquarelle de Gabriel de Saint-Aubin, ne pouvait soutenir la comparaison avec le Salon. Celui-ci s’imposa très vite comme « la première exposition régulière, gratuite et ouverte à tous, d’art contemporain en Europe »108. Si le but officiel du Salon n’est pas de vendre, mais d’assurer par l’exposition publique la promotion des artistes de l’École française, il n’en demeure pas moins qu’il est le lieu où les contacts se nouent, où les commandes se passent, où certaines acquisitions se concrétisent, même si ces opérations financières n’eurent pas pour cadre le Salon lui-même. Rendant compte du Salon de 1763, l’auteur d’un article inséré dans le Mercure note, à propos du Père de Famille de Greuze, qu’il « appartient à M. le Marquis de Marigni ; celui-ci étoit encore à l’Auteur lors de l’ouverture du sallon »109. Les collectionneurs en sont des habitués, certains se font même un point d’honneur d’enrichir leur cabinet uniquement par ce moyen, y trouvant à satisfaire à la fois leur goût pour la peinture moderne et leur intérêt financier, tel cet amateur [le médecin Cochu ?] qui fait part aux lecteurs du Journal de Paris de son expérience personnelle en 1781 :
« [...]. Comme j’aime particulièrement cet art, j’ai un petit Cabinet de notre École proportionné à ma fortune, & quand mon économie m’a mis en état de l’augmenter, j’attends avec impatience l’ouverture du Salon, bien sûr d’y trouver toujours quelques tableaux appartenant à leurs Auteurs, & je traite avec eux, car j’aime mieux acheter l’ouvrage d’un Artiste de cet Artiste même, que d’un Marchand quel qu’il soit ; parce que joint à ce que je puis l’avoir à meilleur compte, j’ai encore le plaisir de traiter avec un homme dont les procédés doivent être nobles comme son Art, ce qui n’est pas un petit avantage ; mais j’ai été bien souvent embarassé pour savoir si tel ou tel tableau appartenoit à son Auteur ; car le Livret n’en dit pas un mot. J’ai été forcé de m’adresser à différentes personnes, & cet embarras m’a fait manquer plus d’un tableau charmant que j’avois en vue. Un de mes amis, à qui je contois ce désagrément, me dit en souriant : Vous êtes bien étourdi, comment, vous ne pouvez imaginer que tous les tableaux dont il n’est pas dit dans le Livret qu’ils sont du Cabinet de M***, ou du Cabinet de M. un tel, appartiennent nécessairement à leur auteur ? En vérité je vous croyois plus de jugement. Je fus le premier à rire de ma sottise, je le remerciai de son observation, bien résolu d’en profiter […] »110.
Fig. 8 – Gaspard Duché de Vancy, L’Exposition de la Jeunesse, place Dauphine, 1783, mine de plomb sur papier, 21,3 x 27,5 cm, Paris, Musée Carnavalet.

Cliché Photothèque des Musées de la Ville de Paris-Roger-Viollet.
25Il faut relativiser quelque peu l’importance des acquisitions qui suivaient l’exposition au Salon. Un certain nombre des œuvres exposées, tout au moins celles des artistes les plus en vue, étaient prêtées par leur propriétaire111 ; ce qui montre bien que la transaction avait eu pour cadre, l’atelier. Pour l’amateur de peinture moderne, la commande reste le moyen habituel et le plus sûr garant de la satisfaction des deux parties. Elle suppose parfois des relations privilégiées entre le peintre et son client. Paillet rappelle comment le marquis de Véri prenait plaisir à ouvrir son cabinet aux artistes « à s’entretenir avec eux, à les voir imaginer & exécuter pour lui de nouvelles productions, tous les jours plus piquantes & plus intéressantes...»112. Le reproche adressé par Diderot à certains amateurs, tel M. de Laborde, de n’avoir pas voulu se priver temporairement de certaines œuvres pour en faire profiter les visiteurs du Salon, est une autre preuve de ces achats précédant l’exposition au Salon113. Il restait néanmoins un nombre important d’œuvres disponibles à la vente. Lorsque Nicolas-Bernard Lépicié expose au Salon de 1775 son Atelier d’un menuisier, il dit que « les applaudissements qu’il a reçus ont fait désirer à plusieurs personnes d’en faire l’acquisition ». Hélas pour le peintre, le duc de Deux-Ponts auquel ce tableau était destiné, mourut entre-temps et Lépicié ne pouvait dès lors accéder aux propositions de l’un ou l’autre de ces amateurs avant d’avoir reçu l’assurance que l’héritier du commanditaire renonçait au tableau114. Il arrive aussi que le Salon serve indirectement à la promotion d’œuvres dont la vente est déjà programmée. Ainsi, les héritiers de Carle Vanloo exposent au Salon de 1765, les six esquisses et le plafond destinés aux Invalides, représentant la Vie de Saint Grégoire, en faisant spécifier, à la suite de la description de ces œuvres dans le catalogue de la vente, que ces tableaux « seront livrés aux Acquéreurs à la clôture » du Salon115. Ce cas était en fait particulier, car il s’agissait de ne pas priver le public de la vision de tableaux dont l’exposition avait été souhaitée par l’artiste lui-même.
26Dans un texte célèbre, Diderot a parfaitement souligné cette fonction du Salon : « Combien de tableaux seraient demeurés des années entières dans l’ombre de l’atelier, s’ils n’avaient point été exposés. Tel particulier va promener au salon son désœuvrement et son ennui qui y prend ou reconnaît en lui le goût de la peinture. Tel autre qui en a le goût, et n’y était allé chercher qu’un quart d’heure d’amusement, y laisse une somme de deux mille écus [...] »116. Toute l’Europe des amateurs accourt au Salon, toute l’Europe des collectionneurs vient y faire son marché. En 1776, le marquis de Véri s’y porte acquéreur de sept tableaux d’Aubry, de Bounieu et de Théaulon117. Toutefois, le Salon ne peut être considéré comme représentatif de « l’État présent de la peinture en France » puisqu’il est réservé aux seuls membres de l’Académie Royale. Il n’en demeure pas moins que le Salon est l’un des rouages essentiels du marché de l’art moderne. D’où l’attention de plus en plus grande portée par les artistes aux commentaires des critiques ; ceux-ci faisant ou défaisant les réputations sont susceptibles de modifier les relations peintre-client. Dans ce processus, les marchands jouent également un rôle. En s’interposant entre l’artiste et le client, ils installent, à côté de l’exécution déterminée par une commande précise, la production pour le marché et la demande « anonyme »118. Ils accentuent ainsi les rapports de dépendance du créateur par rapport au consommateur et influencent les modes.
27Certains salons littéraires jouent également un rôle similaire, à une autre échelle cependant, car le public admis y est beaucoup plus restreint et sélectionné. Entrent dans cette catégorie les fameux dîners du lundi de Madame Geoffrin, réservés aux artistes, peintres, sculpteurs, musiciens qui, à la différence des gens de lettres, étaient jusque-là tenus à l’écart des réunions mondaines. Mais la grande originalité de la célèbre salonnière aura été d’ouvrir ces rencontres aux étrangers de passage à Paris. Elle favorisa ainsi le cosmopolitisme en mettant en relation les artistes avec des amateurs de toute l’Europe, leur fournissant du même coup des débouchés. La Tour, Boucher, Vernet, Vien, Lagrenée, Drouais, Carle Vanloo, Bouchardon, Cochin, devaient en être tour à tour les bénéficiaires. Marmontel, l’un des familiers de ce salon constate : « Mme Geoffrin a contribué par l’établissement de ses lundis à faire faire une grande partie des tableaux de l’école française moderne qui orne aujourd’hui les cabinets de l’Europe »119. Chez Mme Geoffrin, la promotion de l’art français était assurée par la rencontre avec les créateurs et l’exposition permanente de leurs œuvres sur les murs de son hôtel où était représentée la fine fleur de l’École française : Carle Vanloo, Vien, Vernet, Drouais, Boucher, Greuze, Oudry, Lagrenée, Leprince, Robert, ainsi que quelques maîtres moins connus. Un amateur voulait-il acquérir un tableau de l’un de ses « poulains », aussitôt « on le portait ce jour-là chez Madame Geoffrin »120. Dans une lettre à son ami Stanislas-Auguste Poniatowski, roi de Pologne, elle lui confie le secret de ses relations privilégiées avec les artistes : « ... nos peintres ne se gouvernent pas comme on voudroit ; je suis devenue leur amie parce que je les vois souvent, les fais beaucoup travailler, les caresse et les loue et les paye très bien »121. Ses commandes, bien connues, révèlent une véritable politique d’encouragement à la création contemporaine par les prix élevés payés aux artistes pour obtenir des œuvres « exécutées sous ses yeux »122. Elle note ainsi dans ses carnets : « Vien, quatre tableaux pour mon cabinet. 6.000 livres ; Vernet, Une marine, 2.400 livres, la Bergère des Alpes du même : 1.800 livres, Van Loo, trois tableaux pour ma chambre à coucher »123. Elle acquit aussi très régulièrement des œuvres de Louis Lagrénée l’aîné, comme le montre le Livre de raison de cet artiste124. Mme Geoffrin affectionna tout particulièrement les petits tableaux de dévotion très poétiques, composés par cet artiste dans l’esprit des œuvres bolonaises du Seicento, de l’Albane ou de Guido Reni, dont les prix s’échelonnaient entre 600 et 720 livres. La répétition de certains de ces sujets montre à l’évidence qu’elle servait d’intermédiaire dans le cas de certaines de ces commandes.
Le Salon de la Correspondance : un exemple « d’exposition libre »
28L’idée de cette institution originale que l’on peut regarder comme la première « exposition libre », réalisant une sorte de compromis entre le salon littéraire et le salon d’exposition, revient à Claude Pahin de la Blancherie (1752-1811). En fait, son projet pour le moins ambitieux, était constitué de deux volets : un ouvrage périodique, les Nouvelles de la République des Lettres et des Arts et une « assemblée ». Celle-ci poursuivait principalement deux buts : servir de « rendez-vous, de point de réunion & de communication à tous les savans, les gens de lettres, les artistes, les amateurs, & les voyageurs distingués nationaux ou étrangers qui se trouvent dans cette Capitale »125 et mettre « sous leurs yeux les livres, les tableaux, les pièces de méchanique, les morceaux d’histoire naturelle, les modèles de sculpture & enfin toutes sortes d’ouvrages anciens ou modernes dont on voudra faire connoître ou apprendre promptement l’existence, la valeur ou l’auteur »126. La faculté d’exposer comme de discourir était offerte à tous et principalement aux débutants, aux étrangers de passage et même aux académiciens qui ne dédaignèrent pas de fréquenter ces assemblées. Elles se déroulèrent entre 1779 et 1787, avec une grande régularité, tous les mercredis, au domicile de Pahin de la Blancherie, à l’ancien collège de Bayeux, rue de la Harpe. Ce jour-là, entre 8 heures et midi, « les artistes, ou les particuliers qui auront un intérêt quelconque à mettre sous les yeux de l’assemblée des ouvrages en différents genres, soit qu’ils en soient auteurs, ou propriétaires seulement, pourront disposer des salles destinées à cet usage, pour les y placer de manière avantageuse ». Une seule condition était requise, que l’on y expose uniquement des livres autorisés et « en fait de peinture & de sculpture que des ouvrages de la plus grande décence ». Chaque semaine, Pahin de la Blancherie rendait compte, par la voie du Journal de Paris, de ce qui avait été présenté à l’occasion de la dernière « assemblée ». Les œuvres des artistes modernes, français ou étrangers, tels Dean, peintre paysagiste anglais, Hubert Robert, Lagrenée le jeune, Fragonard, Boucher, Moreau l’aîné, Casanova et Briard, y côtoyèrent de nombreuses œuvres de maîtres anciens, notamment, des tableaux de Roos d’Italie, G. van den Eeckhout, Molenaer, Breenbergh, Pieter Neefs, Poelenburgh, Grevenbrœck, Breughel de Velours, Adriaen van der Werff, Lancret, Parrocel, Ribera, et bien d’autres127. Cette confrontation des anciens et des modernes, que le Salon officiel ne permettait pas, constituait l’une des originalités de cette assemblée, favorisant ainsi une émulation qui dut être de quelque conséquence sur l’évolution esthétique de certains artistes, mais également sur l’orientation de certains cabinets de collectionneurs. D’autant que l’un des buts de cette exposition, était de favoriser l’expertise des œuvres présentées, voire leur vente. Dans les Nouvelles de la République des Lettres et des Arts de 1784, il est clairement dit que « la plupart des objets exposés sont à vendre »128. On peut donc raisonnablement penser que certaines des œuvres exposées changèrent de main en cette circonstance.
Achat direct ou commande aux artistes
29Une anecdote, rapportée par le peintre allemand Mannlich, témoigne de l’intérêt porté par les amateurs aux dernières créations des artistes. Il raconte comment Carle Vanloo, qui travaillait alors à son Sacrifice d’Iphigénie pour le roi de Prusse, était obligé de s’enfermer dans son atelier dont la porte « quoique fermée [était] sans cesse assiégée par les plus empressés »129. Réservant en effet la primeur de sa première présentation au Salon, il se montra intraitable, allant même jusqu’à envoyer « à tous les Diables » l’Archevêque de Paris. Ce qui ne manqua pas de susciter une certaine hilarité chez ceux qui assistèrent à la scène et qui aurait décidé le Roi de s’abstenir d’une telle visite. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on voit se développer la pratique de l’exposition particulière dans le cadre de l’atelier. Ainsi, Greuze, pour des raisons bien connues, conviait souvent par la voie d’une annonce dans la presse, les amateurs à venir découvrir ses dernières créations. L’Année littéraire rapporte combien l’exposition de l’Accordée de village fut un succès « populaire » : « On s’y porte en foule ; on se presse, on s’écrase, et ce n’est pas sans peine qu’on perce le rempart des badauds qui empêchent qu’on ne le voie bien, et qui le voient très mal eux-mêmes, en le regardant de trop près »130. Son exemple fut suivi par d’autres académiciens, comme le montrent deux annonces ; la première émanait de Joseph-Marie Vien, chez qui l’on pouvait voir, outre un plafond sur toile représentant Zéphyr et Flore, œuvre de commande, plusieurs petits tableaux de chevalet représentant des « sujets gracieux [peints] avec toute la légèreté dont ils sont susceptibles ». Le peintre entendait montrer ainsi, qu’il n’était pas l’homme d’une seule manière, celui « qui excelle dans le ton mâle de l’histoire » mais qu’il était aussi capable de répondre à des attentes différentes. L’autre annonce émanait de Jean-Baptiste-Marie Pierre, alors professeur de l’Académie royale, qui espérait tirer profit de l’exposition dans son atelier de deux œuvres de commande, et donc indisponibles, l’une destinée au roi de Prusse, l’autre à l’église Notre-Dame de Bonne-Nouvelle d’Orléans, pour placer quelques-uns de ses petits tableaux de cabinet à sujets mythologiques ou allégoriques dans lesquels, il avait fait passer « toute la force et l’expression qu’on admire dans ses grands », ce qui constituait pour le moins un appel à la consommation131. Les académiciens bénéficiant de l’exposition régulière au Salon n’avaient pourtant pas besoin de cette forme de publicité pour entrer en relation avec leur clientèle et conclure des ventes, ce qui n’était pas le cas de la majorité des artistes et notamment des maîtres peintres de l’Académie de Saint-Luc. Après les menées de l’Académie pour obtenir l’interdiction du jeune Salon du Colisée ils n’eurent dès lors guère d’autres possibilités que de vendre leurs œuvres dans le cadre de leur atelier ou de leur boutique.
30Une telle pratique n’était cependant pas réservée aux peintres régnicoles. Les artistes étrangers séjournant à Paris y eurent souvent recours pour se faire connaître et vendre leurs œuvres. N’ayant pas d’atelier, ni souvent même de résidence, ils exposaient soit à leur domicile de passage, soit dans des lieux plus spécialisés. Ainsi en 1780, le peintre allemand Wagner132 présente à l’hôtel des Chiens, rue du Mail, ses tableaux représentant des vues remarquables de la Suisse, œuvres mises en vente, même si l’annonce insérée dans le Journal de Paris ne le précise pas133. C’est en revanche dans un lieu traditionnel du commerce de l’art, une salle de l’hôtel de Bullion, que le dénommé Royer, choisit d’exposer plus de quatre cents dessins, précisant que le prix en sera marqué sur chacun d’entre eux134.
31En matière de peinture contemporaine, la commande demeure naturellement la première source d’enrichissement des cabinets. Nous voyons ainsi Wille commander un tableau à Vien, en 1761135 et deux pendants au peintre de batailles Francesco Casanova, en 1762136. Malheureusement, il n’est fait aucune allusion au prix payé. Nos meilleures sources d’information en la matière, sont les rares « livres de raison » d’artistes conservés, tels que ceux de Louis-Jean-François Lagrenée, ou celui plus connu de Joseph Vernet. Le premier de ces documents répertorie l’abondante production de Louis Lagrenée l’aîné, depuis son retour de Rome en 1755, soit 457 œuvres au moins. Si ce manuscrit ne permet pas de connaître la date de l’exécution des œuvres, il précise en revanche les sujets des tableaux, leur prix, et surtout il nous renseigne sur la clientèle du peintre. Nous y trouvons, outre Mme Geoffrin déjà citée, les noms des plus grands collectionneurs de la période : le comte de Caylus, Harenc de Presle, La Live de Jully, Jean de Jullienne, le chevalier Damery, Radix de Sainte-Foix, le comte de Merle, Vassal de Saint-Hubert, Pâris de Montmartel, Madame de La Haye, le baron de Besenval, le marquis de Véri, Blondel d’Azincourt, le comte du Barry, le comte de Chabot, le vicomte de Cossé, et le notaire Fortier. Nous y rencontrons également des financiers tels que Jean-Joseph de Laborde, et Boulogne de Prémenville, un homme de lettres, Diderot, une favorite royale, la comtesse du Barry, le marquis de Marigny et au moins deux peintres marchands, Le Brun et Dulac, qui destinaient vraisemblablement ces tableaux à la revente. Parmi la clientèle étrangère de l’artiste, les Russes (Catherine II, le comte Schouvalov) figurent au premier rang, en raison du séjour du peintre à Saint-Pétersbourg en 1760-1762, puis les Suédois (le comte de Creutz) et les Anglais, sans oublier le roi de Pologne. Une constatation s’impose, les prix sont nettement majorés pour la clientèle étrangère. Plus connu, le « Livre de vérité » de Joseph Vernet, commencé en 1735 et continué jusqu’en 1788, est un véritable carnet de commandes d’un artiste dont la réputation est internationale. Il mériterait de longs commentaires et surtout une édition critique137. Là encore, ce livre de raison est un résumé de tout ce que la France et l’Europe du XVIIIe siècle comptaient comme amateurs et comme collectionneurs. Nous relevons également parmi les clients de Vernet, pour la période 1764-1773, au moins un marchand de tableaux, Destouches, installé « quai de la Mégisserie ou de la Ferraille, au coin de la rue de la Sonnerie »138 et, pour les années 1774-1786, « M. Devoage marchand de tableaux »139 et Hamon, qui était un simple intermédiaire. Le « Livre de vérité » précise en effet que les tableaux commandés, une Tempête au clair de lune et son pendant « qui est un calme », étaient destinés à « M. Midy de Rouen »140. Durant les mêmes années nous rencontrons également le nom de Vigneux, le marchand de Mannheim déjà mentionné141.
32Grands amateurs de peinture française, les souverains allemands passèrent fréquemment des commandes aux artistes. C’est le cas de la margrave Caroline de Bade qui s’adresse à son agent Eberts en 1759, pour obtenir de François Boucher, deux scènes de pastorales de format carré. Cette commande permet d’envisager la méthode de travail du peintre qui compose « à la demande ». Caroline de Bade souhaitait que ces deux tableaux soient en quelque sorte un condensé de l’art de Boucher. Le peintre répondit aux désirs de sa commanditaire, en glissant dans ses compositions « un peu de tout, des figures, des animaux, des fleurs & des ruisseaux. La composition en sera gracieuse, le dessin correct & le coloris charmant, il n’y a pas à en douter »142. Ainsi virent le jour l’École de l’Amour et l’École de l’Amitié, tableaux conservés aujourd’hui à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe143. Notons que cette commande demeura un peu isolée, car la margrave, collectionneuse ardente, manifesta toujours sa préférence pour les œuvres des maîtres anciens, principalement hollandais.
33Résidant fréquemment à Paris et parfaitement au fait des manifestations artistiques de la capitale, Christian IV, duc de Deux-Ponts, collectionneur francophile, commanda directement des œuvres aux artistes. À l’occasion de son dernier séjour à Paris, il avait ordonné à Nicolas-Bernard Lépicié un tableau dont le sujet était « le premier aveu d’amour d’un jeune homme à une jeune fille », exposé au Salon de 1775 sous le titre de l’Atelier d’un menuisier144 et un autre à « Mlle Vigée » c’est-à-dire à Élisabeth Vigée-Lebrun, représentant « une dame espagnole chantant assise sur un sopha, un jeune espagnol l’accompagne à la guitare »145. La mort du commanditaire étant survenue avant la livraison, les artistes inquiets confièrent la défense de leurs intérêts à Joseph Vernet, très lié avec le duc de Deux-Ponts, afin qu’il intercède auprès de l’héritier. Notons que Lépicié demandait 100 louis pour son tableau et Élisabeth Vigée-Lebrun 50 louis pour le sien.
Notes de bas de page
1 J.-B.P. Le Brun, Catalogue de la vente [anonyme] du 11 décembre 1780 (Lugt 3193), p. 3 : « C’est de la plupart des beaux cabinets qui ont été vendus jusqu’à présent en France, qu’est sortie une partie des tableaux dont nous donnons le catalogue, l’autre moitié a été tirée du pays étranger et joint à la valeur réelle l’attrait de la nouveauté [...] ».
2 Savary des Bruslons, 1723, II, p. 1643-1644.
3 Ibidem, éd. 1761, IV, p. 873, article « Tableaux ». L’édition de 1723 du même ouvrage précisait simplement que « S’ils viennent du dehors, ils payent, les cadres compris, 20 s, la livre pesant, conformément à l’Arrêt du 23 novembre 1688 ».
4 Genève, B.P.U, Papiers Tronchin, Ms 192, f° 15r° et 15v°, Tronchin à M. de Vigneux, le 17 mars 1778.
5 M. Furcy-Raynaud, 1904, II, p. 241. Lettre de Pierre à Marigny, Paris, 12 septembre 1771.
6 Paris, Archives du Ministère des Affaires étrangères, MD, France 2033 et 2034.
7 G. Glorieux, 2000, II, p. 405. Sur les achats de Gersaint en Hollande voir principalement, G. Glorieux, 2002-1, p. 301-314.
8 L’expert Helle mentionne l’une de ces tournées dans son exemplaire du catalogue de la vente du peintre Manglard, en 1762 (BNF, Est. Yd. 48). Evoquant Rémy, il constate qu’« Il en a joint plusieurs autres [dessins] qui lui restoient des acquisitions que nous avions faites ensemble en Hollande et que nous nous sommes partagées ».
9 J. C. von Mannlich, 1989, I, p. 202.
10 Il est question de lui dans une lettre du marchand de Leyde, Palthe à Desfriches, du 3 octobre 1768. Collection Ratouis de Limay, copie déposée au Musée des Beaux-Arts d’Orléans par la Société des amis du Musée.
11 Grimm, 1877-1882, IX, p. 451, février 1772. « […] ce ministre l’enrichissait [son cabinet] non-seulement des nouvelles acquisitions qu’il étoit à portée de faire en France, mais aussi de débris précieux qu’il enlevait de temps en temps à la Hollande, où le peintre et brocanteur Boileau faisoit des voyages à cette intention ».
12 A.N., O1/1913 (1), Correspondance des Beaux-Arts, 1775.
13 Lettre adressée par Paillet à Jeanne Dery, le 4 juillet 1777 (A.N., O1/1914, 1777, f° 250). La conclusion de l’affaire intervint le 16 octobre 1784 (A.N., MC, XXXV, 875, « Transaction entre M. Bellisard et S. Paillet »). Cité dans J. Edwards, 1996, p. 23.
14 Dans la liste des maîtres de la Communauté de Saint-Luc, nous trouvons un seul personnage portant ce nom, Jean-Baptiste Langlois, peintre, reçu le 5 mai 1747 (J.-J. Guiffrey, 1915, p. 343).
15 J.-G. Wille, 1857, I, p. 407, le 28 mai 1769.
16 Le Brun, 1792-1796, I, p. 79. Notice consacrée à « Jan van Hagen ».
17 E. Vigée-Lebrun, [1926], p. 54
18 Poitiers, B.U., Archives d’Argenson, P. 142, Lettre de Colins [François-Louis ?], datée d’Amsterdam le 21 mars 1757. Je remercie Anne Leclaire de m’avoir signalé ce document qui sera publié dans son livre à paraître sur les collections du marquis de Voyer d’Argenson.
19 Il s’agit de Johan Hendrik van Wassenaer Obdam (1683-1745). Sa vente eut lieu à La Haye, De Hondt, 19 août 1750 (Lugt n° 736 : 71). Notes manuscrites sur l’exemplaire de ce catalogue conservé à la B.N.F., Est (Yd 507 8°).
20 La présence de Huquier à cette vente est attestée par un passage du Journal de Wille (1857, I, p. 286, le 10 avril 1765), où il dit : « Nous allâmes nous autres hommes chez M. Greuze, de là chez M. Huquier, marchand d’estampes, qui part demain à Bruxelles assister à la vente du prince de Rubempré... ». Quant à Basan, il est mentionné comme acheteur dans cette vente sous le nom de « Bassan parysien » dans l’exemplaire du catalogue conservé à la B.N.F., Est. (Yd 62a). La vente à Paris eût lieu entre le 1er et le 6 juillet suivant (Lugt n° 1471).
21 G. Glorieux, 2000, II, p. 415 souligne cette difficulté à propos des achats de Gersaint dans les ventes publiques hollandaises. Le nom du marchand n’apparaît jamais sur les exemplaires annotés des catalogues de ces ventes.
22 J.-G. Wille, 1857, I, p. 330 (31 août 1766), p. 332 (18 septembre 1766), p. 338 (11 décembre 1766).
23 N. Willk-Brocard, 1998, p. 162.
24 Ibidem, p. 163.
25 Ce séjour est attesté par une mention dans le Catalogue des Tableaux qui composent le Cabinet de Monsieur le ***, par P. Rémy, Paris, [1757], p. 15. Il écrit dans la notice du lot n° 11, à propos d’un tableau d’architecture de Pannini : « Les Anglais l’ont beaucoup emploïé, & ses plus beaux ouvrages sont en Angleterre. Pendant le séjour que j’ai fait dans ce Païs, j’en ai vus en grand nombre... ».
26 J.-G. Wille écrit en effet dans son Journal (1857, I, p. 453) à la date du 23 août 1770 : « M. Basan, revenu de Londres, vint nous voir ».
27 J.-J. Guiffrey, 1874-1875, p. 345, déposition d’Aimard Dubord.
28 A.N., MC, LXXXIII, 464.
29 Genève, BPU, Papiers Tronchin, Ms 192, f°14, Mannheim, 16 fevrier 1778.
30 Ibidem, f° 43, lettre de Vigneux à Tronchin, Paris, 7 août 1781.
31 Ibid., lettre du 7 août 1781 : « ... comme j’en suis sollicité par un ami sénateur de Boulogne qui a formé un cabinet d’école flamande de ma propre collection de Mannheim, et qui a mis en train quelques seigneurs de chés luy et de villes de ses environs, il m’engage fort d’apporter avec moy une portion de tableaux flamands et hollandois, m’assurant que je les vendray. C’est ce qu’il faudra voir […] ».
32 L.-V. Thiéry, 1789, p. 14.
33 Ce marchand rappelle dans une lettre à la Margrave de Bade, à titre de référence, qu’il a « souventes foÿs envoyez des tableaux pour le conte de Vense [Vence] à Paris, et pour le Chevailler (sic) Chawp à Londres (deux grands connoisseurs), pour des pris sis föy plus haut que ceux-ci, et dont la qualitez estoit en virons egale, de surplus je reste guarrand de l’autentisité (sic) des tableaux, que jay l’honneur de vous envoyer » (G.A.K., F-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 97, lettre de La Haye, le 4 décembre 1761)
34 C. Bille, 1961, p. 117.
35 Lettre de Palthe à Desfriches, Leyde, 20 avril 1768, collection Ratouis de Limay, copie déposée au musée des Beaux-arts d’Orléans par la Société des Amis du Musée.
36 M. Furcy-Raynaud, 1904, II, p. 241. Lettre de Pierre à Marigny, Paris, 12 septembre 1771.
37 Paris, Arch.du ministère des Affaires étrangères, MD, France 2034, f° 84v°, passeport du 27 septembre 1774.
38 P. Rémy, Catalogue de la vente de Selle, Paris, 1761, Avertissement, p. 2.
39 Paris, Arch.du ministère des Affaires étrangères, MD, France, 2033, f°55, passeport du 9 août 1763 « pour des caisses contenant des Tableaux qui viennent de Bruxelles à Paris ».
40 On peut se demander s’il ne s’agissait pas de l’abbé René-Marc Sahuguet d’Espagnac, personnage que les mémoires du temps présentent comme un libertin, un intrigant, un agioteur peu scrupuleux et qui fut le principal acteur de l’affaire de la Nouvelle Compagnie des Indes, l’une des grandes affaires financières d’avant la Révolution. Voir Jean Bouchary, 1939-1942, II, p. 9.
41 Genève, BPU, Ms Tronchin 192, f° 56v°, de Mannheim le 15 mars 1783.
42 Ratouis de Limay, 1907, p. 30.
43 Lettre de Desfriches à Natoire, Orléans, juillet 1768 (publiée dans J. G. Dumesnil, 1858, II, p. 178), où il évoque un voyage passé.
44 Ratouis de Limay, 1907, p. 31. Jean Palthe, peintre et collectionneur dont le cabinet sera dispersé en vente publique à Leyde, le 20 mars 1770 (Lugt, 1811).
45 Lettre de Palthe à Desfriches, Leyde, 16 septembre 1766, collection Ratouis de Limay, copie déposée au Musée des Beaux-arts d’Orléans par la Société des amis du Musée.
46 M. C. Plomp, 2001, p. 154.
47 Lettre de Palthe à Desfriches, Leyde, 9 octobre 1767, collection Ratouis de Limay, copie déposée au Musée des Beaux-arts d’Orléans par la Société des Amis du musée.
48 Lettre de Palthe à Desfriches, Leyde, 23 février 1768, collection Ratouis de Limay, copie déposée au musée des Beaux-arts d’Orléans par la Société des Amis du musée. Dans cette lettre, le marchand accuse réception des dessins et du tableau envoyés par Desfriches.
49 Mots soulignés dans l’original.
50 Lettre de Palthe à Desfriches, Leyde, 5 septembre 1768, collection Ratouis de Limay, copie déposée au Musée des Beaux-arts d’Orléans par la Société des Amis du Musée.
51 Ibidem, Leyde, 23 février 1768, collection Ratouis de Limay, copie déposée au musée des Beaux-arts d’Orléans par la Société des Amis du Musée.
52 Lettre de Palthe à Desfriches, Leyde, le 20 avril 1768, collection Ratouis de Limay, copie déposée au Musée des Beaux-arts d’Orléans par la Société des Amis du Musée.
53 Lettre de Fouquet à Desfriches, Amsterdam, 4 juin 1772, collection Ratouis de Limay, copie déposée au musée des Beaux-arts d’Orléans par la Société des Amis du Musée. Cette affaire a été évoquée par M. Cuénin, 1997, p. 204, mais probablement avec une erreur d’interprétation en ce qui concerne le rôle joué par Rémy.
54 Ibidem.
55 A.N., 219 AP/1, Papiers Wille, dossier 1, lettre de Rouen du 4 septembre 1764.
56 G.A.K., F-. A, Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 41, lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Amsterdam, le 16 juin 1761.
57 Ibidem, lettre d’Eberts à Caroline de Bade, Genève le 26 octobre 1761.
58 Lettre du marquis de Voyer à Watelet, Paris, août 1763 (?), Poitiers, BPU, Archives d’Argenson, P. 100.
59 Voir sur cet achat et le collectionneur marchand Lormier, E. Korthals Altes, 2000- 2001, principalement p. 269-277.
60 G. Faroult, 1999 (2000), p. 157, lettre 1 de Livois à Jean-Jacques Lenoir, 14 mars 1777.
61 Ibidem.
62 J.-G. Wille, 1857, I, p. 406, le 13 mai 1769. À M. de Lippert, conseiller des révisions et du commerce de S.A.S. de Bavière, secrétaire de l’Académie Electorale des sciences de Munich.
63 J. Edwards, 1996, p. 138.
64 A.N., 01/ 1917, f°323
65 F. Basan, Catalogue d’une belle collection de dessins Italiens, Flamands et Hollandais et François.., Hôtel d’Aligre, fin du mois de juin 1776, Paris, 1776.
66 Lettre de Paillet à d’Angiviller, Anvers le 6 octobre 1783 (A.N. O1/1917, f° 324r°).
67 Sans doute le banquier Daniel Ignace Danoot. Sur ce personnage voir I. Decobecq, 2006.
68 J. Guiffrey et L. Courajod, 1873-3, p. 397.
69 Bibliothèque de l’Arsenal, Portefeuilles de Bachaumont, Ms 3505, f° 70, « Eloge de Monsieur Boyer d’Aguille », non daté.
70 P.-J. Mariette, 1851-1860, II, p. 47.
71 Publié dans la Revue Universelle des Arts (R.U.A., XIII, 1861, p. 346).
72 Sur cette collection et sa dispersion nous renvoyons à M. Le Moël et P. Rosenberg, 1969, p. 51-67. Voir également A. Bréjon de Lavergnée, 1997-1, p. 52-58 et S. Yavchitz-Koehler, 1987, p. 369-378.
73 Il avait dû, en effet, se séparer de son premier cabinet lors d’une vente qui eût lieu à Paris les 9 et 10 juin 1760, afin de subvenir aux dépenses nécessaires à son installation à Rome. Ce catalogue, dont un exemplaire manuscrit est conservé à Paris (B.N.F., Mss, N. acq. fr., 4665), est signalé par S. Yavchitz-Koehler (1987, p. 378, note 58).
74 Lettre de Natoire au marquis de Marigny (Archives du Ministère des Affaires Étrangères, Correspondance diplomatique, vol. XI, p. 273), citée par S. Cavaglia-Brunel, 2002, I, p 205.
75 A. Serieys, 1802, p 25
76 Ibidem, p. 122. Lettre à Caylus du 23 janvier 1760.
77 Archives de l’ordre de Malte à Rome, dossier « bailli de Breteuil », année 1766, pièce n° 142, citée par S. Yavchitz-Koehler, 1987, p. 76. Pas plus que cet auteur nous n’avons retrouvé de trace de cette vente « publique ».
78 Paris, Archives du Ministère des Affaires Étrangères, MD, France, 2034, f° 154v°, demande du 23 avril 1782. Il s’agissait visiblement d’une régularisation, car la demande de passeport précise que ces tableaux sont arrivés à Paris pendant le mois de septembre 1780.
79 Comme l’a démontré S. Yavchitz-Koehler (1987, p. 377, note 31), il ne s’agissait pas de tableaux provenant du baron de Breteuil (comme le précise une note manuscrite sur l’exemplaire de ce catalogue conservé à La Haye RKD), mais bien du bailli.
80 Voir V. Larre, 2002, p. 51-62.
81 Paris, Archives du Ministère des Affaires étrangères, MD, France 2033, respectivement, f° 43v°, du 24 juin 1762 et f° 56 du 8 septembre 1763.
82 Le baron de la Houze occupera par la suite les fonctions de ministre de France à Copenhague à partir de 1779. Nous remerçions Jérome Cras aux Archives des Affaires étrangères de nous avoir fourni cette information.
83 A. Bertolotti, 1880-1881, II, p. 79, 12 avril 1764.
84 Paris, Archives du Ministère des Affaires Étrangères, MD, France 2034, Passeports. France et divers États, 1768 à 1783, f° 60v°, passeport du 10 août 1772.
85 J. Guiffrey et M.L. Courajod, 1873-3, p. 390, à propos du n° 6 du catalogue.
86 P. Rémy, Catalogue de la vente d’Argenville..., Paris, 1778, p. iv.
87 Paris, Archives du Ministère des Affaires Étrangères, MD, France 2033, f° 56v°. Du 19 septembre 1763, « Brevet de permission à M. Randon de Boisset Receveur Général des finances, à l’effet d’aller en Italie, ce pour un an ».
88 Catalogue de la vente de la bibliothèque de Randon de Boisset, Paris, De Bure fils aîné, 3 février 1777.
89 Catalogue de la vente de Wailly, Paris, 24 novembre 1788. Il s’agit de six tableaux attribués à Giulio Cesare Proccacini et de six autres attribués à Castiglione.
90 Ibidem, lot 3. Ce catalogue précise qu’il « est connu pour le petit du grand qui est à Gênes au palais Durazzo ».
91 Les exportations d’antiques sont connues par une lettre du consul de France à Civitavecchia adressée au cardinal de Bernis, le 28 janvier 1778, reproduite par J.F. Méjanès, dans cat. expo., Paris, 1983-2, p. 22. Quant aux exportations de tableaux, signalées dans ce même ouvrage, elles ont été découvertes par O. et G. Michel dans les archives romaines (Rome, Archivio di Stato, Camerale primo, vol. 690, f° 173v° et 174r° et ibid. Camerale secundo, A.12, n° 29. Il y est fait mention de peintures « parte copie, parte originale » et de « casse de quadri antichi e quadri moderni »).
92 A. de Montaiglon et J. Guiffrey, éd., 1887-1912, XIII, 1774-1779, p. 150.
93 A.N., O1/1916 (3), f° 91. « Observations sur la note de M. Le Roy concernant les tableaux proposés à acheter, 18 mars 1782 ».
94 Ibidem. Souligné dans l’original.
95 J.-G. Wille, 1857, I, p. 186, le 30 janvier 1762. P.-J. Mariette (1851-1860, VI, p. 158).
96 A.N., 01/ 1917, f° 271, de Naples le 23 août 1783.
97 J-.B. P. Le Brun, « Projet d’aménagement pour le cabinet de S.A. Sérenissime avec quelques Réflexions sur les Tableaux en général et qui serait suivi d’un Catalogue intéressant sur chaque objet composant la ditte Gallerie », Paris, Bibl. INHA-coll. Doucet, Papiers Tripier-Lefranc, carton 52, f° [8-9].
98 Manuel bibliographique des amateurs..., 1780, II, p 42. Anecdote rapportée à propos du lot n° 194 (dessin de Raphaël représentant le triomphe de Silène) du catalogue de la vente du cabinet du marquis de Calvière, reproduit dans ce volume (B.N.F., Réserve des Imprimés, Q.4248).
99 Journal de Paris, dimanche 4 mai 1777, p. 2. Lettre aux auteurs du Journal. Cette histoire est rapportée par Bachaumont, Mémoires secrets, t. XXIV, 1780. Additions… du 14 novembre 1777, p. 254-255.
100 J. J. Guiffrey, éd., 1872, p. v.
101 J.-J. Guiffrey, 1875.
102 J.-J. Guiffrey, Livret de l’exposition du Colisée (1776)…, Paris, 1875, p. 1-2.
103 E. Bellier de la Chavignerie, 1864, p. 38-67.
104 L’Avant-Coureur, n° 23 du lundi 5 juin 1769, p. 353.
105 L’Avant-Coureur, n° 27 du lundi 2 juillet 1770, p. 401.
106 E. Bellier de la Chavignerie, 1864, p. 39.
107 L’Exposition de la Jeunesse, 1783. Mine de plomb sur papier, 21,3 x 27,5 cm, Paris, musée Carnavalet.
108 T. Crow, éd. 2000, p. 7.
109 B.N.F., Est., coll. Deloynes, vol. 8, « Description des tableaux exposés au Sallon du Louvre avec des remarques par une Société d’amateurs..., Paris, 1763 » (Mercure de France de septembre 1763), p. 60.
110 Journal de Paris, p. 950, n° 236 du 24 août 1781.
111 Le fait est facile à vérifier, les noms des propriétaires étant précisés dans les livrets des Salons.
112 Paillet, Catalogue de la vente du marquis de Veri, Paris, 1785, avertissement, p. [ii].
113 Diderot, éd.1995, p. 15.
114 G.S.M., Kasten Blau 433/6. « Mémoire de N.B. Lépicié » [non daté mais joint à une lettre de Joseph Vernet sur le même sujet, datée du 24 mai 1776].
115 Catalogue de la vente Carle Vanloo, Paris, 12 septembre 1765, lot 6, adjugés 500 livres à « M. Silvestre ».
116 Diderot, « A mon ami Monsieur Grimm », Salon de 1767, publié dans B. Saint Girons, 1990, p. 319.
117 C. B. Bailey, 1983 (1985), p. 75 et note 76.
118 A. Becq, 1982, p. 138.
119 Marmontel, Mémoires, cité par J. Chatelus, 1991, p. 315.
120 Éloges de Madame Geoffrin, par Morellet..., suivis de lettres de Madame Geoffrin et à Madame Geoffrin et d’un essai sur la conversation de Morellet.., Paris, 1812, p. 57, cité par J. Chatelus, 1987-2, p. 404.
121 Ch. de Mouÿ, 1875, p. 219, lettre XXXII, Mme Geoffrin au roi, 13 mars 1766.
122 Marquis de Ségur, [1897], p. 55.
123 Ibidem, p. 56. Cet auteur publie en appendice (p. 403-407), un « Extrait des Carnets de Madame Geoffrin ». Ceux-ci ont été publiés depuis par G. de Lastic Saint-Jal, 1957, p. 50-57.
124 Paris, Bibl. INHA-coll. Doucet, Ms 50. « État des tableaux faits par monsieur Lagrenée depuis son retour de Rome », publié par E. de Goncourt, 1877.
125 Pahin de la Blancherie, 1779.
126 C’est nous qui soulignons.
127 Pahin de la Blancherie, 1779, p. 10.
128 Pahin de la Blancherie, Les Nouvelles de la République des lettres et des Arts, 11 juillet 1781, p. 4-5.
129 J.Ch. Mannlich, 1989, I, p. 50.
130 L’Année littéraire, 1761, lettre IX, p. 309, cité dans Diderot, éd. 1984-2, p. 165.
131 Ces deux exemples sont cités dans J. Chatelus, 1991, p. 29-30.
132 À cette date, on ne peut y reconnaître Johan Georg Wagner (1744-1767), un élève de Dietrich.
133 Journal de Paris du 25 juin 1780, p. 772.
134 Journal de Paris du 2 août 1776, p. 934. Ces deux exemples sont cités par J. Chatelus, 1987-2, p. 41-42.
135 J.-G. Wille, 1857, I, p. 158, le 2 mars 1761.
136 Ibidem, p. 203. 14 août 1762.
137 La seule édition de ce texte précieux (manuscrit conservé à la Médiathèque Ceccano d’Avignon), pour l’histoire du marché, du goût et des collections, remanié dans sa forme, ainsi que du journal de Joseph Vernet est celle, bien imparfaite, de L. Lagrange, 1864, p. 321- 436. Citons parmi les études récentes s’appuyant sur ce document, l’article de S. Wuhrmann, 2001, p. 403-421.
138 L. Lagrange, 1864, p. 444.
139 Ibidem, p. 356, n° 304, [en 1783 ?] : « un tableau de 3 pieds dix pouces et demy de large, sur 3 pieds un pouce six lignes de haut, le sujet a ma fantaisie, le prix et (sic) de 4000 l ».
140 L. Lagrange, 1864, p. 357, n° 312, le 24 août 1786.
141 Ibidem, p. 448.
142 G.A.K., F.-A., Papiers de Caroline de Bade, 5A n° 41, lettre d’Eberts à Caroline de Bade, 3 janvier 1760.
143 Cat. expo, Paris, 1986-1987 (1), p. 288-291.
144 J.-J. Guiffrey, rééd. 1869-1872, Livret du Salon de 1775, p. 12, n° 21. L’Atelier d’un menuisier. Tableau de 2 pieds 6 pouces de large, sur 2 pieds de haut.
145 G.S.M., Kasten Blau 433/6. Lettre de Vernet à Pachelbel, Paris, 24 mai 1776, accompagnée des mémoires détaillés de N.B. Lépicié et de « Mlle Vigée ».
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