Précédent Suivant

Postface

p. 313-325


Texte intégral

– I –

1Les études rassemblées dans La Naissance du paradigme herméneutique portent sur la constitution d’une approche critique et interprétative des documents en philologie, philosophie, théologie et histoire. Elles caractérisent la tentative propre au XIXe siècle allemand de fournir une réflexion approfondie sur les difficultés de la compréhension des signes renvoyant à une référence absente et le plus souvent passée, sans abandonner l’ambition de constituer en ce domaine une connaissance et sans renoncer à travailler dans l’horizon d’une méthode. Inspirant largement une interrogation sur le statut et les possibilités du savoir historique, l’ouvrage exposait le caractère paradoxal de son objet, à la fois présupposé et devant être cependant reconstruit. De Schleiermacher à Droysen1, l’option des sciences interprétatives s’y déployait dans des esquisses théoriques qui ne connurent pas leur contrepartie dans la pratique disciplinaire. Au contraire, peut-on dire, la tendance des sciences historiques, mais aussi de la philologie ou de la linguistique historique, a privilégié la dimension des faits sur le travail de leur reconstitution. On peut même se demander si un modèle de recherche « herméneutique », assumant pleinement les incertitudes du questionnement du sens et de sa reconstruction, eût jamais existé. Quelle que soit l’opinion que l’on se formera à ce sujet, la ligne de force qui se dégage nettement du livre, à l’exception sans doute de Humboldt sur lequel il faudra revenir, est que le vecteur d’une autoréflexion des sciences historiques fut dans une large mesure la philologie classique : Schleiermacher, Schlegel, Boeckh et Droysen se sont formés et diversement illustrés dans cette discipline.

2A travers ses deux activités axiales de la critique, qui établit les faits textuels dans leur forme la plus acceptable et statue sur leur authenticité, et de l’herméneutique, qui en dégage la signification, la philologie a joué en effet un rôle déterminant dans la formation des concepts, des pratiques savantes et des règles de fonctionnement de l’histoire. En s’ouvrant, de Friedrich August Wolf à August Boeckh, à des objets hétérogènes très éloignés des textes de sa tradition, la philologie a encadré et orienté le savoir historique après même que celui-ci se fut émancipée d’elle. L’histoire antique, comme l’avait souligné Arnaldo Momigliano2, fut déterminante pour la conception du cadre général de l’activité historique et de ses périodisations, mais aussi par l’héritage philologique qu’elle léguait à l’histoire.

3Plus généralement, la place acquise par l’étude des langues classiques dans les lycées et les Universités allemandes au XIXe siècle, avec le niveau de spécialisation déjà atteint par ces disciplines3, constituait de facto l’horizon savant de toute recherche, comme antérieurement la rhétorique l’avait peut-être été. Dans une certaine mesure, l’histoire s’est constituée en discipline non seulement contre la rhétorique, mais aussi contre la philologie classique qui imprégnait la formation des historiens. Mais en se dégageant progressivement de la dimension des textes et de leur exclusivité documentaire, elle n’en restait pas moins profondément marquée par un mode de réflexion inspiré du « paradigme herméneutique »4. C’est de lui qu’elle recevait une conscience méthodologique, vite complétée et corrigée par d’autres sources, sociologiques et économiques5.

4Résumons : l’approfondissement philosophique des questions philologiques, chez Schleiermacher, mais aussi chez Friedrich Schlegel, qui eut en cette affaire un rôle décisif, transforma une discipline auxiliaire, consacrée au traitement de la forme et du sens des textes anciens, en un instrument méthodologique original, dont la portée s’étendait à des pratiques variées, notamment à l’histoire. L’approfondissement herméneutique de la recherche du sens dégageait la conscience du statut singulier des sciences de la culture, à savoir des sciences dont l’objet est individuel et accessible indirectement à partir de signes. Depuis l’unité d’un questionnement pouvait être appréhendé un ensemble cohérent de savoirs paradoxaux, impliquant à la fois l’intervention de la subjectivité savante et son effacement apparent devant l’objet reconstitué.

5Entre l’herméneutique logique de l’Age classique et l’herméneutique philosophique du XXe siècle, les études rassemblées dans La Naissance du paradigme herméneutique démontrent la consistance et la portée d’une herméneutique d’inspiration philologique pour la constitution et la méthodologie d’un nouvel ensemble de sciences liées à l’histoire, la culture et aux manifestations de l’esprit6.

– II –

6Si l’on veut pouvoir définir la portée de ce modèle, il convient de se demander si la dimension herméneutique extraite des approches philologiques fut plus déterminante que la référence constante à un type d’objet relativement homogène, les « textes ».

7On peut remarquer à cet égard que la référence au texte n’est pas une exclusivité du XIXe siècle, mais qu’elle s’y produit alors sur un mode singulier. Longtemps, la lecture du monde s’est faite sur le modèle du texte des Écritures saintes, l’Écriture ou le texte pris absolument, le référent universel de toute tentative de déchiffrement – et ce texte-là était lui-même inscrit dans une histoire du salut qui impliquait au premier chef ses lecteurs. Un tel texte était irréductible à un ensemble de signes discrets déposés sur un support et ordonnés selon la grammaire particulière d’une langue connaissable. Il contenait un message de vérité et une promesse de salut interpellant son lecteur. Avec la mise en place toujours plus systématique de procédures rigoureuses pour traiter les textes, avec l’ambition d’ériger une méthode d’interprétation rationnelle appuyée sur un travail critique, le statut du texte se trouva transformé.

8Depuis la philologie humaniste et les progrès de l’art critique, le texte est devenu une réalité désacralisée, un objet établi selon des critères et des procédures faisant l’objet d’un consensus assez large (au-delà des polémiques ordinaires des philologues entre eux). Il s’est identifié de plus en plus au résultat auquel aboutissait un éditeur. Il a pris place dans la masse des livres produits. On sait que cette transformation ne pouvait épargner le statut même des Écritures saintes, qui durent être soumises au même traitement que tout texte, confessant par là leur inscription dans un contexte historique et linguistique particulier ainsi que la traversée de l’histoire, parfois agitée, de leur transmission.

9Le mouvement qui entreprend, à partir de Schlegel et de Schleiermacher, d’approfondir les implications de l’activité philologique dans son rapport à l’historicité des œuvres produites et à la difficulté de leur compréhension insiste sur les conditions d’un nouveau savoir historique plutôt qu’il ne s’appuie sur la forme dorénavant prise par l’objet « texte ». À cet égard, il s’agit bien de l’apparition d’un nouveau projet intellectuel, porté par la philologie textuelle et largement nourri de celle-ci, mais nullement conditionné par elle. C’est pourquoi les reproches adressés à cette herméneutique méthodologique de s’en tenir par trop à un modèle scripturaire ne portent pas véritablement contre les tentatives présentées ici. Ce que représente le texte transmis, critiqué et établi, c’est un processus de réflexion et de discussion déposé dans l’apparat. Le texte philologique se présente comme le résultat provisoire d’une confrontation de possibilités fournies tantôt par la tradition manuscrite, tantôt par la conjecture ingénieuse d’un prédécesseur, recensées et analysées par l’éditeur, qui fait ses choix. La démarche qui part de l’examen d’un donné putativement doué de sens et s’efforce de lui restituer ou conférer la forme la plus satisfaisante eu égard à certaines priorités qui peuvent varier selon la lisibilité, la fidélité aux manuscrits ou à la cohérence escomptée par l’éditeur, peut fort bien structurer le rapport aux traces du passé dont s’occupe l’historien. Les points communs l’emportent sur les évidentes différences, puisque l’histoire ne saurait réduire son champ aux documents textuels. Au contraire, quand elle a affaire à des textes, elle en fait des documents. Mais ceux-ci sont néanmoins toujours à interpréter à partir de traces et de témoignages que nous avons. Sans un « donné », aussi indéterminé soit-il, pas d’histoire. La constitution de l’objectivité historique est non moins perspective que celle du philologue et suppose non moins que celle-ci une reconstruction faite de règles et d’hypothèses, fondée sur un art du jugement. Loin de demeurer sujette à une conception figée du texte, la philologie appliquait à son objet un mode de raisonnement conjectural. Etant donné un texte supposé doué de sens, à quelles conditions peut-on lui conférer sa meilleure forme et l’interpréter au mieux de sa visée signifiante ? Cette forme de jugement, depuis l’horizon d’une réflexion entièrement renouvelée, stimulée sans doute par la refondation de la philosophie par Kant, voire par les développements de la philosophie post-kantienne, rendit possible le questionnement herméneutique pour lui-même. Le modèle philologique joua le rôle essentiel d’un fil rouge méthodique, sans enfermer la recherche du sens dans un cadre préétabli.

– III –

10Le cas de Wilhelm von Humboldt peut ici servir de contre-épreuve. Malgré des proximités occasionnelles avec Schleiermacher, notamment au moment de la mise en place de l’Université Royale de Berlin, il ne partage pas sa formation philologique et moins encore son horizon théologique7. Ce qui constituera le centre de l’intérêt de Humboldt, ce sont les langues et non les textes, et même les langues en tant qu’elles sont parlées, qu’elles se transforment au cours de l’histoire. L’anthropologie règle l’étude des langues centrée sur l’interlocution, à distance de deux formes d’objectivation représentées par les grammaires et les textes. Pour le dire autrement, c’est en rapportant les règles grammaticales, fournissant les conditions de production des énoncés valides d’une langue donnée, aux textes qui témoignent des énoncés effectifs produits historiquement et fixés sur un support, que Humboldt entend dépasser la coupure entre la grammaire générale et la philologie, entre la logique des langues et l’étude des textes.

11En proposant d’identifier une lignée herméneutique partant de Humboldt et non de Schleiermacher, Jean Quillien entendait donner corps à une conception de l’herméneutique indexée non sur les textes mais sur les formes culturelles et historiques, adossée à l’anthropologie plutôt qu’à la théologie8. Si les propositions théoriques rassemblées dans La Tâche de l’historien en 1821 présentent effectivement des affinités avec les principes de l’herméneutique de Schleiermacher, il est clair qu’elles visent à établir les conditions et les limites de la connaissance du passé en tant que tel et non particulièrement des textes. Plutôt que l’attitude excessivement respectueuse devant un texte jamais complètement désacralisé (puis ultérieurement devant l’être ou la tradition) qu’il soupçonne dans la lignée allant de Schleiermacher à Gadamer en passant par Dilthey et Heidegger, Jean Quillien invite à penser l’herméneutique dans la logique des sciences compréhensives de l’homme, en bifurquant, après Dilthey, en direction de Cassirer (plutôt que de Heidegger) et de Eric Weil (plutôt que de Gadamer)9. C’est tout à fait plausible, puisque Dilthey lui-même envisageait d’accomplir pour la religion ce que Humboldt avait réalisé pour le langage10 et que Cassirer se réclame expressément de Humboldt pour son projet de philosophie des formes symboliques. Mais le nom même d’herméneutique, que Dilthey utilise peu, et dont Humboldt et Cassirer se passent, entraîne une certaine confusion. Il s’agit sans doute de ne pas abandonner à un seul mode de pensée (la « philosophie herméneutique » justement) une problématique liée à l’histoire et à la compréhension, mais cela ne peut se faire sans cultiver quelques ambiguïtés, puisque Humboldt est revendiqué lui aussi par Heidegger et par Gadamer11.

12La continuité la plus établie concerne bien, comme Ada Neschke a raison de le rappeler, celle qui existe entre Humboldt et Droysen et débouche sur la prétention à établir l’histoire comme science. En effet, Droysen se réfère explicitement à l’essai de Humboldt, qu’il tient pour le « Bacon des sciences historiques »12. Cette continuité a l’avantage de souligner plus fortement l’enjeu cognitif de l’établissement de sciences interprétatives. La formule humboldtienne de « comprendre par la recherche » ne prend tout son sens qu’adossée à une activité comparative et explicative correspondant au versant critique que la philologie associait à l’herméneutique. Cette dimension n’est pas abandonnée au profit d’une quelconque intuition de l’historicité, mais s’articule à l’effort de produire une compréhension ajustée à l’individualité historique, animée et orientée par des intérêts de connaissance correspondant aux questions qu’une époque, à travers ses historiens, pose à celles qui l’on précédée.

– IV –

13Depuis la première parution de ce volume, dont la conception remonte au milieu des années 80, la recherche portant sur l’herméneutique et son histoire a connu un essor continu : le continent de l’hermeneutica generalis a été quasiment redécouvert et l’interprétation du rôle de l’herméneutique dans l’œuvre de Schleiermacher s’est précisée et différenciée.

14L’herméneutique antérieure à celle de Schleiermacher était peu connue, mais non inconnue. L’article dense et érudit de Wolfgang Hübener, notamment, suggérait la diversité et la complexité de la « tradition herméneutique », et le cours de Peter Szondi, mû par une intuition sûre, accordait à l’herméneutique de Johann Martin Chladenius et de Georg Friedrich Meier une place très importante13. La situation a cependant radicalement changé depuis une quinzaine d’années14. D’une part, les connaissances en ce domaine se sont considérablement accrues, le corpus concerné excédant très largement ce que l’on avait imaginé et l’herméneutique se trouvant bien plus généralisée qu’on ne l’avait soupçonné. Au-delà de Spinoza et de Chladenius, de Dannhauer, Clauberg et Meier, on a commencé de redécouvrir une grande variété d’auteurs et de traités entre-temps totalement oubliés, percevant mieux la place de la logique et du droit dans la formation des instruments herméneutiques, alors que la tradition historiographique, largement déterminée par Dilthey et son article de 1900 sur « La naissance de l’herméneutique », tendait à accorder une place déterminante à la généalogie théologique15.

15D’autre part, ces recherches historiographiques ont parfois été animées par un intérêt théorique original concernant la rationalité de l’interprétation et la déclinaison de ses modalités. Les travaux d’Axel Bühler, de Lutz Danneberg et notamment d’Oliver R. Scholz tendent à établir les visées de connaissance et la méthode de la compréhension et de l’interprétation des textes16. Il s’agit pour ces auteurs de reprendre la question de la portée cognitive de la compréhension sans renoncer à en souligner les limites. En réfléchissant sur les règles que l’interprète doit nécessairement présupposer pour engager son activité, ils ne retombent assurément pas dans une position purement empirique, recueillant les préceptes légués par la tradition pour surmonter des problèmes locaux, mais dégagent l’horizon universel qui rend possible une interprétation qui ne soit pas centrée sur les états du sujet interprétant, mais sur la reconstitution des significations de l’objet à interpréter. Loin d’accomplir un travail purement généalogique, ces auteurs ont pu faire apparaître certaines structures rationnelles qui renvoient à une logique de la connaissance. Par là, ils ont pu mettre en évidence des analogies suggestives entre la logique herméneutique de la première modernité et les réquisits posés par la philosophie analytique, notamment chez H.P. Grice, W.O. Quine, D. Davidson ou D. Lewis. L’attention portée à la fonction de « l’équité herméneutique » dans la démarche interprétative des auteurs des Lumières dégageait bien une structure essentielle du problème, au point que la logique et philosophie du langage contemporaine, apparemment sans relation directe avec ce précédent, mais mue par la nécessité de la chose, l’a redécouverte sous le nom du « Principe de charité ». Les réflexions de Quine et de Davidson sur l’interprétation « radicale » soulignent le caractère décisif de tels concepts17. Ce faisant, au-delà de leur aspect parfois polémique, ces travaux, dont le versant historiographique entend rectifier l’image de l’histoire de l’herméneutique présentée par Dilthey ou Gadamer, ont le mérite de rappeler que l’interprétation n’est pas seulement un mode d’être de l’existant fini, mais aussi une forme de visée de connaissance, ayant ses concepts, ses problèmes et ses limites propres. N’y voir que la réduction de l’interprétation à une « technologie » relève à cet égard d’une myopie regrettable18. Une philosophie de l’interprétation qui ne se préoccuperait jamais des buts et des résultats de l’interprétation, mais les abandonnerait, comme une trivialité, à l’arbitraire ou au « génie » de chacun, constitue objectivement une régression, quelle que soit par ailleurs la légitimité d’une thématisation particulière du sujet interprétant et des implications ontologiques de l’activité interprétative.

– V –

16Dilthey avait situé la « naissance » de l’herméneutique comme une conséquence du principe de la référence à l’Écriture seule affirmé par la Réforme19. Dans quelle mesure peut-on dire que l’herméneutique comme mode de poser les problèmes du sens « naîtrait » avec Schleiermacher ? Est-ce que les travaux historiographiques de la dernière décennie ne remettent pas en question l’hypothèse formulée par ce livre ? Est-ce que, par ailleurs, la place de l’herméneutique textuelle n’est pas surévaluée dans la formation de ce nouveau « paradigme » ?

17En ce qui concerne l’ancrage de l’herméneutique de Schleiermacher dans la tradition de celle de l’Aufklärung, il est établi que la plupart des concepts et des connaissances qui y sont mobilisés ressortissent au savoir commun des Lumières. Il y a là une continuité, que Solger en son temps avait déjà remarquée, et que des auteurs comme Hendrik Birus ou Gunter Scholtz ont rappelée20. A cet égard, la recherche récente a confirmé cette dépendance, allant jusqu’à contester à Schleiermacher non seulement son originalité, mais aussi la pertinence de ses reprises. Ainsi, il aurait abandonné le principe de l’accommodation propre aux courants les plus modernes de la théologie de l’Aufklärung pour s’en tenir à une demi historisation et rester au seuil d’une critique vraiment scientifique en suivant encore le principe de l’analogie de la foi, central dans l’herméneutique issue de la Réforme21.

18Pour autant, dans sa formation aux côtés de Johann August Eberhard, dans son étude des manuels de Johann August Ernesti et Samuel Morus, Schleiermacher a transformé les éléments doctrinaux qu’il apprenait et le cas échéant reprenait par une capacité propre à lui de les rapporter à d’autres concepts apparemment très éloignés et de les repenser dans un cadre plus vaste. On le voit bien quand on prend par exemple ses deux discours académiques sur le concept d’herméneutique, ou encore sur la critique philologique : chaque fois, il s’agit de développer un cadre d’intelligibilité qui soit en mesure d’intégrer des options apparemment exclusives l’une de l’autre, comme celles de Friedrich August Wolf et celle de Friedrich Ast22.

19Plus que la reprise de tel ou tel élément de la tradition, ce qui aurait dû toutefois être davantage remarqué par la critique est le maintien par Schleiermacher d’une articulation entre la logique de la connaissance et l’interprétation, autrement dit entre la Dialectique et l’Herméneutique23. De fait, l’une ne va pas sans l’autre, mais si l’herméneutique peut bien revendiquer une priorité pour tout ce qui relève du langage humain, elle ne possède aucunement le dernier mot ; elle ne fait au contraire que faciliter, en levant les difficultés de compréhension des discours et textes proférés dans une langue particulière, l’accès à la véritable saisie du contenu conceptuel et informatif de ces messages, lequel relève de la logique. L’insistance de Schleiermacher sur le conditionnement de tout savoir par un cercle linguistique donné et une situation historique spécifique ne débouche pas sur un perspectivisme relativiste ou sur une apologie univoque du style et de l’individualité moderne. Elle s’accorde au contraire avec un horizon commun de connaissance dont la visée, au titre de savoir pur, est fermement maintenue à côté des registres pragmatique de l’action et ludique de la satisfaction esthétique.

20Le maintien d’une logique de la connaissance, héritière de la métaphysique rationaliste, mais repensée en termes kantiens, associée à une étude spécifique des ordres du langage dans leur aspects de régularité (interprétation grammaticale) et de singularité (interprétation technique) reprend et transforme à certains égards le trivium de logique, grammaire et rhétorique, qui avait structuré l’enseignement universitaire depuis le Moyen Âge. Mais cette réorganisation des savoirs présente chez Schleiermacher un caractère critique qui est en rupture avec l’organisation que celui-ci pouvait avoir rencontrée chez Ernesti. Dans le manuel de philosophie de ce dernier en effet, l’Initia Doctrinae Solidioris24, la métaphysique précède la dialectique en déployant ses trois espèces : psychologie, ontologie et théologie naturelle25. Avec Schleiermacher, qui suit en cela Kant, la perspective est renversée et les disciplines de la métaphysique spéciale reçoivent un statut problématique, pensé depuis la dialectique comme logique de l’apparence. Mais Schleiermacher ne va pas jusqu’à subordonner la dialectique et ses implications métaphysiques à l’herméneutique. Au contraire, il reste plutôt fidèle en ce sens à Ernesti et à l’herméneutique rationnelle des Lumières pour laquelle il s’agissait toujours de comprendre ce que d’autres ont pensé26. Ces pensées étant comprises à partir du discours d’autrui, il importe d’en éprouver la prétention à la validité, ce qui est l’office de la dialectique27. La tâche de l’herméneutique chez Schleiermacher est également de lever les ambiguïtés et les difficultés de compréhension qui tiennent au discours afin de dégager le terrain pour l’argumentation et la recherche controversée et commune du vrai. Qu’elle ait également une fonction esthétique ne compromet aucunement son rôle premier d’auxiliaire de la logique. Ce rôle est du reste décisif puisqu’il fait de l’herméneutique le marqueur de l’historicité de la connaissance.

21L’articulation de l’herméneutique à la dialectique n’a pas toujours été perçue par les commentateurs, ce qui a conduit à des lectures tronquées28, promenant Schleiermacher dans les parages d’un individualisme existentialiste ou lui conférant des allures post-structurales29. Schleiermacher fut certainement un théologien, bien que d’un genre assez particulier30. La conscience de soi est chez lui l’accès immédiat à cet autre qui sera nommé « Dieu » tant dans sa Doctrine de la foi que dans sa Dialectique, malgré la différence de perspective qu’il adopte en chacun de ces ouvrages. Il exprime par là, contre une bonne partie de l’idéalisme philosophique, le rejet d’une philosophie « à partir d’un seul principe » qui serait la subjectivité et prend parti du même coup pour une conception de la finitude. Mais cela veut-il dire pour autant qu’il délaisse tout projet métaphysique ou qu’il s’aligne sur le projet kantien d’une métaphysique de la liberté ? Dans une lignée qui évoque au contraire davantage Ernesti ou Eberhard que Kant, Schleiermacher conçoit la connaissance comme la détermination en commun des concepts réels, autrement dit il la voit entée sur l’être. La finitude se loge dans l’inscription de chacun dans un cercle linguistique, mais surtout, dans le temps qu’il faut pour connaître, dans le fait que nous sommes pris dans l’aventure de la connaissance qui nous a précédés et dont nous ne verrons pas le bout selon toute vraisemblance. Mais Schleiermacher pose la réalité de ce savoir commun tant pour la nature (ce qu’il ne développe pas) que pour l’histoire, qui fait l’objet de son éthique descriptive31.

22Si l’on considère la réorganisation des savoirs ambitionnée par Schleiermacher, son engagement herméneutique excède les contraintes de l’enseignement d’un professeur de théologie ou le savoir-faire d’un philologue. Le sens aigu des problèmes qui animait son appropriation des règles et des méthodes de lecture marquait manifestement un approfondissement. A cet égard, le bouillonnement consécutif à la lecture de la philosophie kantienne ou à la rencontre de Friedrich Schlegel a favorisé une transformation de la problématique. Mais l’innovation qui se dessine ne réside pas seulement dans l’option en faveur des textes pris dans leur étrangeté historique et linguistique. Elle repose sur une remise en chantier plus générale des conditions de la compréhension, dans le souci de maintenir un horizon d’intelligibilité universel et dans la conscience simultanée de la fragilité de celle-ci, toujours inextricablement emmêlée de non-compréhension.

 

23En permettant une confrontation précise aux œuvres peu connues de Boeckh ou de Droysen ou l’étant encore trop peu comme celles de Schlegel, Schleiermacher ou Humboldt, La Naissance du paradigme herméneutique contribuait de façon décisive à la réouverture de la question herméneutique, contestant, comme la redécouverte de l’herméneutique générale, mais différemment, la mainmise de l’herméneutique philosophique sur leur héritage conceptuel commun. L’examen de l’engagement herméneutique accompli par les grandes figures évoquées dans ce volume restitue la portée et l’intensité d’une entreprise dont l’inspiration, les concepts et formes de savoir qu’elle a suscités n’ont pas toujours été remplacés. Si l’on considère en effet les deux autres déterminations de l’herméneutique, on n’y retrouve pas l’équilibre recherché par les sciences de l’esprit et indispensable à l’établissement d’une connaissance du monde culturel entre le souci pour le particulier historique et l’exigence d’une démarche réglée, entre l’herméneutique et la critique. L’herméneutique « philosophique », avec son insistance sur la finitude de l’interprète, insiste à juste titre sur le primat de la dimension historique qui relativise toute prétention à l’objectivité, mais renonce trop vite à celle-ci : l’humilité devant le donné de la tradition laisse le champ à une apologie de l’autorité du contenu qui est un déni du jugement critique. L’herméneutique d’inspiration logique, si elle s’astreint à réfléchir les conditions de l’interprétation par un certain nombre de règles nécessaires, manque d’instruments fins pour appréhender les objets les plus individuels comme des textes où peuvent jouer des effets d’ironie, de mise en fiction, de contradictions locales qui peuvent mettre en échec ses présomptions de rationalité. L’herméneutique d’inspiration philologique offrirait à la fois le souci de la particularité de son objet au point d’en faire le point de départ de l’interprétation et l’exigence de règles partageables pour parvenir à une reconnaissance commune et contradictoire des significations. Loin d’être une simple « méthodologie » accessoire et superficielle et loin d’être une étape intermédiaire sur la voie royale de l’herméneutique « philosophique »32, elle offre des ressources conceptuelles pour envisager, sous d’autres modalités et sous bénéfice d’une refonte, une science interprétative des formes de l’esprit et de la culture. Si l’on considère ce qui s’est perdu avec la radicalisation ontologique de l’herméneutique entre Dilthey et Heidegger et qui n’a guère été sauvé par Gadamer ou par Ricoeur, ce livre garde toute son actualité.

Notes de bas de page

1 Avec les apports des contributions de Christian Berner et de Jean-Claude Gens, le domaine s’étend dorénavant de Kant à Dilthey. On remarquera que si cette extension souligne à juste titre la portée épistémologique de l’herméneutique méthodologique, elle concerne des auteurs qui ne partagent pas l’inspiration philologique.

2 A. Momigliano, Essais d’historiographie classique et moderne, Paris, 1983.

3 Voir H. Flashar, K. Gründer, A. Horstmann (éds), Philologie und Hermeneutik im 19. Jahrhundert I. Zur Geschichte und Methodologie der Geisteswissenschaften, Göttingen, 1979 ; M. Bollack, H. Wismann (éds), Philologie et herméneutique au 19e siècle II, Göttingen, 1983.

4 On pourrait discuter s’il s’agit là bien d’un « paradigme herméneutique » ou plutôt d’un « paradigme philologique » en herméneutique, qui le distingue des inspirations logique et phénoménologique, et s’il renvoie essentiellement à une époque (le XIXe siècle) ou si sa validité peut être revendiquée au-delà, ce qui paraît bien être le cas. En projetant une unité sur des projets différenciés, le titre suggère en tout cas à raison la permanence d’un questionnement et la fécondité des concepts investis pour s’y confronter.

5 Ainsi, chez Boeckh, l’économie antique commence à recevoir toute son importance, voir Die Staatshaushaltung der Athener, Berlin, 1817, 2 vol. ; traduit en français par Laligand, Économie politique des Athéniens, Paris, 1828, 2 vol.

6 Voir à ce sujet mon étude « La méthode des sciences de la culture », Methodus, 1, 2006, p. 38-60.

7 Humboldt s’est acquis une grande connaissance de l’Antiquité grecque et romaine avec Christoph Gottlob Heyne et Friedrich August Wolf auquel il suggèrera même son programme de « Science de l’Antiquité », mais, à la différence de Schleiermacher, il ne s’est pas imposé dans ce domaine. Son intérêt allait à la civilisation grecque dans son ensemble, prise comme un cas exceptionnel dans l’histoire, plutôt qu’à certains monuments particuliers, même s’il a cherché à traduire Pindare et surtout l’Agamemnon d’Eschyle. Voir Jean Quillien, Humboldt et la Grèce, Villeneuve d’Ascq, 1983. Les textes de Humboldt et de Schleiermacher relatifs à la question de l’Université ont été traduits par André Laks dans L. Ferry, J.P. Pesron et A. Renaut (éds), Philosophie de l’Université, Paris, 1979.

8 Ci-dessus, J. Quillien, « Pour une autre scansion de l’histoire de l’herméneutique. Les principes de l’herméneutique de W. von Humboldt », p. 71 ss.

9 Comme le rappelle Quillien, Humboldt est rarement présent dans les histoires ou anthologies de l’herméneutique ; on rappellera cependant, outre Joachim Wach en 1926, Manfred Riedel dans Verstehen oder Erklären ? Zur Theorie und Geschichte der hermeneutischen Wissenschaften, Stuttgart, 1978, qui lui consacre un chapitre, et Kurt Mueller-Vollmer, The Hermeneutic Reader, Oxford, 1986, qui en donne des extraits (mais il est vrai qu’il s’agit là d’un éditeur de Humboldt).

10 Lettre de 1859 à son père, dans Clara Misch (éd.), Der junge Dilthey. Ein Lebensbild in Briefen und Tagebüchern 1852-1870, Leipzig, Berlin, 1933, p. 76.

11 Voir les textes fournis dans le dossier du volume Humboldt, Sur le caractère des langues nationales, Paris, 2000, p. 183-197, et D. Di Cesare, vers la fin de son ample présentation de la pensée humboldtienne du langage en introduction de Über die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues und ihren Einfluss auf die geistige Entwicklung des Menschengeschlechts, Paderborn, 1998. Contre la lecture de Gadamer, voir J. Simon, Signes et interprétation, Villeneuve d’Ascq, 2004, pp.113-131.

12 Voir, outre le texte de U. Muhlack, le livre de S. Caianiello, La « duplice natura » dell’uomo. La polarità come matrice del mondo storico in Humboldt e Droysen, Catanzaro, 1999, et dorénavant, ead., Scienza e tempo alle origini dello storicismo tedesco, Naples, 2005.

13 Les deux textes sont cités dans l’avant-propos de ce volume, le cours de Szondi venant d’être mis à la disposition du lecteur français grâce à une traduction de Mayotte Bollack ; pour une réflexion sur ce cours, voir mon étude « Philosophie, Philologie und Hermeneutik bei Peter Szondi », Internationales Jahrbuch für Hermeneutik 5, 2006, p. 347-357. Plusieurs ouvrages de Jean Greisch ont abordé l’herméneutique de G.F. Meier, dont L’Âge herméneutique de la raison, Paris, 1985, et Le Cogito herméneutique. L’herméneutique philosophique et l’héritage cartésien, Paris, 2000.

14 Parmi une riche littérature, on retiendra Guido Canziani, Yves Charles Zarka (éds), L’interpretazione nei secoli XVIe XVII, Milan, 1991 ; Werner Alexander, Hermeneutica generalis. Zur Konzeption und Entwicklung der allgemeinen Verstehenslehre im 17. Und 18. Jahrhundert, Stuttgart, 1993 ; Axel Bühler (éd.), Unzeitgemässe Hermeneutik. Verstehen und Interpretation im Denken der Aufklärung, Francfort, 1994 ; Reimund Sdzuj, Historische Studien zur Interpretationsmethodologie der Frühen Neuzeit, Wurzbourg, 1997 ; Klaus Petrus, Genese und Analyse. Logik, Rhetorik und Hermeneutik im 17. und 18. Jahrhundert, Berlin, 1997 ; Jan Schröder (éd.), Entwicklung der Methodenlehre in Rechtswissenschaft und Philosophie vom 16. bis zum 18. Jahrhundert, Stuttgart, 1998 ; Oliver Robert Scholz, Verstehen und Rationalität. Untersuchungen zu den Grundlagen von Hermeneutik und Sprachphilosophie, Francfort-sur-le-Main, 1999 ; Manfred Beetz, Giuseppe Cacciatore (éds), Hermeneutik im Zeitalter der Aufklärung, Cologne, Weimar, Vienne, 2000 ; Jan Schröder (éd.), Theorie der Interpretation vom Humanismus bis zur Romantik - Rechtswissenschaft, Philosophie, Theologie, Stuttgart, 2001 ; A. Neschke-Hentschke et alii (éds), Les Herméneutiques au seuil du XXIe siècle. Evolution et débat actuel, Louvain, 2004 ; Jörg Schönert, Friedrich Vollhardt (éds), Geschichte der Hermeneutik und die Methodik der textinterpretierenden Disziplinen, Berlin/New York, 2005, à quoi il faut ajouter les nombreux et substantiels articles de Lutz Danneberg. Sur quelques-uns de ces titres, voir mon rapport de lecture paru dans Archives de philosophie 59, 1996, pp. 670-678 ; concernant J.C. Dannhauer et J. Clauberg, voir Jean-Claude Gens (éd.), La Logique herméneutique du XVIIIe siècle, Argenteuil, 2006.

15 Voir à ce sujet mes études « Dilthey et la naissance de l’herméneutique en 1900 », dans F. Worms (éd.), Le Moment 1900 en philosophie, Lille, 2004, p. 169-184, et « Wie Flacius zum ersten Hermeneutiker der Moderne wurde. Dilthey, Twesten, Schleiermacher und die Historiographie der Hermeneutik », dans J. Schönert, F. Vollhardt (éds), Geschichte der Hermeneutik und die Methodik der textinterpretierenden Disziplinen, Berlin/New York, 2005, p. 265-280.

16 On pourrait également mentionner les travaux de Werner Strube ou de Klaus Petrus, qui témoignent d’une appropriation productive de ces problématiques.

17 Voir W.O. Quine, Le Mot et la chose, trad. par J. Dopp et P. Gochet, Paris, 1979, et D. Davidson, Vérité et interprétation, traduit par P. Engel, Nîmes, 1986. Sur ces questions, voir le numéro de la Revue de Métaphysique et de Morale rassemblé par Christian Berner, « Ethique et interprétation », 2001.

18 J.C. Gens, « La redécouverte contemporaine de la logique herméneutique du XVIIe siècle », op. cit., p. 13. L’idée que Bühler réduirait « l’herméneutique à un simple intentionalisme » (ibid., p. 11) n’est pas argumentée, la présupposition d’un intentionalisme « simple » fait manifestement abstraction des problèmes liés à la question de l’intentio auctoris et de leur discussion, notamment par A. Bühler lui-même, « Der hermeneutische Intentionalismus als Konzeption von den Zielen der Interpretation », Ethik und Sozialwissenschaften 4, 1993, pp. 511-518 et 574-585, « Autorabsicht und fiktionale Rede », dans Fotis Jannidis, Gerhard Lauer, Matías Martínez, Simone Winko (éds), Die Rückkehr des Autors, Tübingen, 1999, 61- 75, « Die Funktion der Autorintention bei der Interpretation », dans J. Schönert, F. Vollhardt (éds), Geschichte der Hermeneutik und die Methodik der textinterpretierenden Disziplinen, Berlin, 2005, 463-472, « Ein Plädoyer für den hermeneutischen Intentionalismus », dans Maria E. Reicher (éd.), Fiktion, Wahrheit, Wirklichkeit. Philosophische Grundlagen der Literaturtheorie, Paderborn, 2006, (sous presse), ou encore L. Danneberg, Hans Harald Müller, « Der ‘intentionale Fehlschluß’- ein Dogma ? Systematischer Forschungsbericht zur Kontroverse um eine intentionalistische Konzeption in den Textwissenschaften », Zeitschrift für allgemeine Wissenschaftstheorie XIV, 1983, pp. 103-137 et 376-411.

19 W. Dilthey, Conception du monde et analyse de l’homme depuis la Renaissance et la Réforme, traduit par F. Blaise, Paris, 1999.

20 Voir Solger, lettre à Tieck du 1.I.1819, dans K.W.F. Solger, Nachgelassene Schriften und Briefwechsel I, L. Tieck, F. von Raumer (éds), Brockhaus, Leipzig, 1826, p. 702, Hendrik Birus (éd.), Hermeneutische Positionen, Göttingen, 1981 et Gunter Scholtz, Ethik und Hermeneutik. Schleiermachers Grundlegung der Geisteswissenschaften, Francfort, 1995.

21 Voir Lutz Danneberg, « Schleiermachers Hermeneutik im historischen Kontext – mit einem Blick auf ihre Rezeption », dans Dieter Burdorf, Reinold Schmücker (éds), Dialogische Wissenschaft : Perspektiven der Philosophie Schleiermachers. Paderborn 1998, pp. 81-105 ; « Schleiermacher und das Ende des Akkommodationsgedankens in der hermeneutica sacra des 17. und 18. Jahrhunderts », dans Ulrich Barth, Claus-Dieter Osthövener (éds), 200 Jahre « Reden über die Religion », Berlin/New York 2000 (Schleiermacher-Archiv 19), pp. 194-246 ; O.R. Scholz, « Jenseits der Legende. Auf der Suche nach den genuinen Leistungen Schleiermachers für die allgemeine Hermeneutik », dans J. Schröder (éd.), Theorie der Interpretation vom Humanismus bis zur Romantik - Rechtswissenschaft, Philosophie, Theologie, Stuttgart, 2001, pp. 265-285.

22 Ces discours sont traduits respectivement dans Schleiermacher, Herméneutique, trad. Chr. Berner, Paris, Lille, 1989, pp. 155-188 ; et Critique et herméneutique dans le premier romantisme allemand, trad. D. Thouard, Villeneuve d’Ascq, 1996, pp. 315-328.

23 Voir sur la systématique de Schleiermacher Chr. Berner, La Philosophie de Schleiermacher. Herméneutique, dialectique, éthique, Paris, 1995, et Schleiermacher, Dialectique, traduit et introduit par Chr. Berner et D. Thouard, Paris, 1997.

24 J.A. Ernesti, Initia doctrinae solidioris, Leipzig,51769 [1736].

25 Ibid., pp. 115-290. La dialectique suit en exposant l’art de trouver le vrai et de juger du vrai et du faux, soit d’abord la logique (définitions, termes, propositions et syllogismes) et l’examen qui comprend une herméneutique (De libris legendis, interpretandis, dijudicandis, pp. 389-400) et une théorie de la dispute (De disputatione, pp. 400-404).

26 Ibid., § 148, p. 189 : In omnibus librorum lectione haec sine dubio prima esse cura debet ut eos intelligamus, h. e. ut ea legentes cogitemus, quae ipsi auctores in scribendo cogitarunt.

27 Ibid., § 167, p. 400 : Disputare est rationibus argumentisque in utramque partem allatis, quid verum falsumque sit, quaerere. Una igitur veritas est, quae disputando quaeritur, cujus inventio nisi est disputandibus proposita, vana et inanis omnis disputatio censenda est. § 168 : Ut disputatio recte procedat, illud inprimis requeritur, ut quod ait alter ac tuetur, reprehendat alter et neget. Quod ut fieri possit, is, qui reprehensionem suscipit, debet id, quod alter ait, recte intelligere, et, quid rem causamque contineat, scire, ne non tam de rebus, quam de verbis pugnet : quo disputationis genere nihil inutilius esse atque absurdius potest.

28 Sa prise en compte permettrait une réévaluation du rapport à Platon, celle-ci étant compliquée par le fait qu’il s’agit à la fois d’un texte, objet de la philologie et de l’herméneutique, et d’une philosophie dont la reconstruction systématique par Schleiermacher l’a peut-être conduit sur la voie de son propre système. Tous ces éléments sont présents dans les contributions de A. Laks, A. Neschke et U. Zimbrich, la difficulté étant précisément de trouver comment aménager le Platon du philologue avec celui du philosophe, ce qui n’est pas sans incidences pour l’appréciation du rôle du platonisme dans le « tournant herméneutique » (s’il en fût jamais) chez Schleiermacher, tel que le propose A. Neschke. Aller jusqu’à voir dans « la compréhension particulière que Schleiermacher a de Platon » ce qui « fonde l’herméneutique comme partie du système » (Neschke, p. 111) suppose que « herméneutique » soit entendu au sens moderne de philosophie de la finitude, et non au sens schleiermachérien (voir notamment les pages 115 et suivantes). On pourrait en effet argumenter que le platonisme inspire au contraire plus volontiers une tendance « idéaliste » hostile à la médiation herméneutique, que ce soit chez Kant, chez Hegel ou plus encore chez les néokantiens qui ont eux aussi promu une « renaissance de Platon », voir sur ce point K. Chr. Köhnke, Entstehung und Aufstieg des Neukantianismus. Die deutsche Universitätsphilosophie zwischen Idealismus und Positivismus, Francfort sur le Main, 1986. La parution d’une traduction par M.-D. Richard des Introductions aux dialogues de Platon, Paris, 2004, est à cet égard à signaler. A mon sens, l’inspiration aristotélicienne est non moins grande chez Schleiermacher, et s’exerce de façon critique contre l’appropriation idéaliste de Platon, voir à ce sujet dans Eilert Herms, Menschsein im Werden. Studien zu Schleiermacher, Tübingen, 2003, et le volume Aristote au XIXe siècle, D.Thouard (éd.), Villeneuve d’Ascq, 2004.

29 Voir G. Vattimo, Schleiermacher filosofo dell’interpretazione, Milan, 1968 ; Manfred Frank, Das individuelle Allgemeine. Textstrukturierung und Textinterpretation nach Schleiermacher, Francfort, 1977, et « Le texte et son style. La théorie du langage chez Schleiermacher », dans M. Bollack (éd.), L’Acte critique. Sur l’œuvre de Peter Szondi, Lille-Paris, 1985, pp. 15-39. Pour une prise en compte des contraintes systématiques de la philosophie de Schleiermacher pour une appréciation de son herméneutique, voir les ouvrages cités de G. Scholtz (1995) et Chr. Berner (1995).

30 Il partage avec l’Aufklärung le peu de compréhension pour la question du mal, les miracles et la révélation, avec ses contemporains le peu d’intérêt pour l’Ancien Testament. Sa critique des dogmes comme des formes figées d’une croyance subjective est plus virulente dans les Discours sur la religion de 1799, alors que dans sa Doctrine de la foi, il en propose une réinterprétation depuis l’expérience subjective. A la différence du mouvement historique et critique en théologie, il a participé à la critique sans en tirer forcément toutes les implications, comme l’expose ici l’étude de Kurt Nowak ainsi que du même, Schleiermacher, Göttingen, 2001 ; et Denis Thouard, Schleiermacher. Communauté, individualité, communication, Paris, 2007.

31 On peut lire chez Gunter Scholtz, Ethik und Hermeneutik, une prise en compte systématique de l’horizon métaphysique de la pensée de Schleiermacher, qui le distingue fondamentalement de l’historicisme de Droysen ou de Dilthey.

32 Ainsi Jean Grondin, L’Herméneutique, Paris, 2006. Mais la présentation n’est guère différente dans M. Ferraris, Storia dell’ermeneutica, Milan, 1988 ; J. Grondin, L’Universalité de l’herméneutique, Paris, 1993 ; F. Bianco, Introduzione all’ermeneutica, Rome, 1998 ; E. Hufnagel, Einführung in die Hermeneutik, Sankt-Augustin, 2004, etc.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.