Le chemin de Dilthey : de l’héritage de Boeckh et de Droysen à la fondation des sciences de l’esprit sur une logique herméneutique de la vie
p. 297-311
Texte intégral
1L’élargissement, fondamental pour Dilthey, du champ de l’herméneutique de la sphère du langagier à l’ensemble des productions historiques en tant qu’expressions de l’esprit humain est déjà accompli par Boeckh et Droysen1. Le premier à la fois par sa conception des sciences philologiques dont le champ en vient pratiquement à recouvrir celui des sciences historiques et dont l’essentiel de la méthode relève de la compréhension, et, comme on le verra, par ses propres travaux d’historien. Le second en distinguant de façon tranchée cette compréhension de l’explication propre aux sciences de la nature. Gadamer ne voit ainsi en Dilthey « que l’interprète » qui formule ce que pensaient déjà les membres de l’École historique lorsqu’il conçoit herméneutiquement la théorie de l’histoire2.
2Dilthey a néanmoins comme projet explicite d’aller au-delà d’une théorisation du savoir propre aux sciences historiques, qui relève à ses yeux d’une épistémologie régionale, pour fonder ces savoirs au niveau d’une théorie de la connaissance dont la généralité est antérieure à la distinction entre sciences de l’esprit et de la nature, et cela dans le cadre d’une philosophie de la vie. Afin de déterminer l’originalité effective de sa contribution au déploiement du paradigme herméneutique au tournant du XXe siècle par rapport à Boeckh et Droysen qui ont transformé l’herméneutique des Lumières en une herméneutique spéculative-idéaliste, et donc la part de ce que sa pensée leur doit et la part de ce qui excède un tel héritage, il faut d’autant plus commencer par revenir à la nature de leurs relations que la filiation déclarée de Dilthey à Schleiermacher passe aussi par la médiation de leur enseignement.
3La proximité de Dilthey à l’égard de Boeckh sur le plan aussi bien personnel qu’intellectuel contraste avec sa relation apparemment bien plus lointaine à Droysen. Dès son arrivée à Berlin où il poursuit ses études d’abord entreprises à Heidelberg, Dilthey écrit en novembre 1853 à son père avoir cherché à rendre visite à deux reprises à Boeckh, mais sans succès et avoir déposé sa lettre, manifestement d’introduction, à son domicile avant d’aller s’inscrire à son séminaire. « En chaire, confie-t-il dans sa lettre, Boeckh est un homme extrêmement aimable, un homme fin à l’allure attique, d’un calme et d’une nonchalance très agréable et confortable », et dont les jeux d’esprit sont plus destinés à l’amuser lui-même que son auditoire3. Un demi-siècle plus tard, dans le discours de 1903 où il fait le bilan de ses années de formation à Berlin, Dilthey met plutôt l’accent sur ses qualités intellectuelles : Boeckh unissait « la perspicacité et l’enthousiasme, l’esprit mathématique et l’esprit artistique, le goût le plus marqué pour tout ce qui peut se mesurer et se compter en matière de métrique, de finances, d’astronomie, et l’idéal »4.
4Mais Dilthey n’éprouve qu’un intérêt relatif pour son cours intitulé « Antiquitates Graecae et maxime politica Graecorum disciplina », un cours auquel il assistera à nouveau durant le semestre d’hiver 1855-56 en même temps qu’à un cours de Ranke sur le Moyen Âge : « Aussi intéressant qu’il soit, les disputes philologiques, à mes yeux dénuées de valeur en dehors de la considération de la méthode, restent chez lui aussi l’essentiel »5. Témoigne encore de cette distance la description qu’il fait de Boeckh en 1860 à l’occasion d’une fête estudiantine : « De sa meilleure humeur avec son grand collier de recteur, le vieux Boeckh déambulait après le repas, et son insatisfaction à l’égard de scolies aristotéliciennes était très amusante »6.
5L’importance de Boeckh pour l’élaboration de la pensée de Dilthey tient au fait que l’héritage de Schleiermacher lui a été en partie transmis par son enseignement oral. Cette transmission s’est faite de manière assez diffuse comme le laisse supposer la recension par Boeckh de l’édition de 1838 par Lücke des manuscrits schleiermachériens relatifs à l’herméneutique et à la critique. Boeckh y déclare en effet que son inspiration par les idées de Schleiermacher n’a pas pour origine ces écrits, mais des entretiens plus anciens, sans qu’il puisse faire la part de ce qui lui revient en propre et de ce qu’il lui a emprunté7. Quoi qu’il en soit, et en dehors de ses propres travaux plus tardifs sur Schleiermacher, Dilthey confirme le caractère déterminant de ces leçons en ce qui concerne la transmission à cette époque de la pensée herméneutique schleiermachérienne8.
6Elève de Friedrich August Wolf et de Schleiermacher, Boeckh assiste aux cours de ce dernier sur l’éthique, l’herméneutique et Platon. Et sa recension de 1808 des traductions schleiermachériennes des œuvres de Platon y verra un « chef-d’œuvre [ayant] enfin ouvert Platon à la science philologique9. Boeckh a lui-même appliqué la technique schleiermachérienne de l’interprétation à Pindare dont il édite les œuvres en 1811 et 1822. Mais au-delà de cette application et de ses travaux de philologue au sens étroit de ce terme, c’est aussi bien théoriquement que pratiquement que Boeckh procède à l’extension du champ de l’herméneutique au-delà de la sphère des discours écrits et oraux.
7Théoriquement, c’est-à-dire dans le cadre des leçons sur l’Encyclopédie et la méthodologie des sciences philologiques données à partir de 1809, l’herméneutique au sens strict ne désigne assurément qu’un des deux aspects de la méthode, dont la théorie constitue la première partie de l’Encyclopédie, sa « partie formelle », alors que sa seconde partie dite « matérielle » porte sur l’ensemble de la matière élaborée par la science10. La partie formelle, qui théorise « la méthode de la recherche philologique »11, comprend ainsi l’herméneutique au sens strict et la critique qui donnent ses principes à l’art philologique. Mais la méthode des sciences philologiques relève néanmoins d’une herméneutique au sens large dans la mesure où herméneutique et critique constituent pour Boeckh les deux modalités de notre compréhension d’un objet, puisque ce dernier peut être compris soit en lui-même, c’est-à-dire absolument, soit en relation à d’autres objets, c’est-à-dire relativement.
8Par ailleurs, et comme le rappelle aussi Dilthey, si le champ de la philologie recouvre l’ensemble des productions historiques de l’esprit humain, au point de « coïncider avec l’histoire au sens le plus usuel », la philologie désigne « l’ensemble des activités grâce auxquelles on parvient à la compréhension de l’historique »12, c’est-à-dire de ces productions. Et comme cette connaissance remonte des œuvres ou des produits aux activités dont ils résultent, la philologie vise, selon une expression déjà hégélienne et schleiermachérienne, à « connaître le connu », c’est-à-dire à le reconnaître13. L’affirmation diltheyenne selon laquelle l’homme ne se connaît pas par introspection, mais par l’histoire14, est donc déjà boeckhienne.
9Pratiquement, au-delà de la simple transposition de l’herméneutique schleiermachérienne aux œuvres de Pindare et de façon peut-être plus remarquable que Droysen et Dilthey qui seront plus des historiens des idées et de la politique, Boeckh réalise lui-même concrètement cette extension de l’herméneutique à celle des signes de la vie pratique, économique et sociale, de sociétés révolues. Boeckh constitue en effet un corpus des inscriptions grecques15, c’est-à-dire fonde l’épigraphie, et contribue à la connaissance de la vie économique antique par Les Finances de l’Etat des Athéniens (1817), et ses Recherches métrologiques sur les poids, les étalons monétaires et les mesures de l’Antiquité (1838). Même s’il faudrait examiner de plus près l’adéquation entre ses écrits théoriques et ses pratiques effectives, il n’en reste pas moins que ces travaux d’historien qui partent « d’en bas », comme le dit Dilthey16, donnent un autre poids à ses leçons.
10Mais l’enseignement de Boeckh est d’autant plus décisif qu’il a également été reçu par Droysen entre 1826 et 1831. Et s’il n’est pas anodin que ce dernier ait également été l’élève de Franz Bopp et de Hegel17, il est légitime de penser qu’une partie de l’héritage de Schleiermacher lui ait ainsi été également transmis par Boeckh. L’originalité des thèses de Droysen par rapport à cette transmission n’en est pas moins indubitable, et son impact sur l’élaboration de la pensée diltheyenne d’autant plus spécifique que celui de Boeckh a convergé avec l’inspiration, en un sens plus directe, que Dilthey a reçue de Schleiermacher en étudiant son œuvre et sa vie.
11À la différence de l’Encyclopédie de Boeckh, le terme d’herméneutique ne désigne plus une des dimensions de la méthodologie dont traitent les leçons de Droysen intitulées Enzyklopädie und Methodologie der Geschichte, et c’est essentiellement chez les élèves de Dilthey qu’il désignera plus tard le mode de connaissance des sciences dites, alors, de l’esprit18. Mais la compréhension reste, comme chez Boeckh, le concept central de sa réflexion sur la méthode des sciences historiques. Plus encore, la manière dont Droysen conçoit cette compréhension s’inscrit directement dans la continuité de Schleiermacher. Car c’est encore en partant de la compréhension du discours d’autrui qu’il définit la compréhension historique, et cela à des moments clés de son cours : lorsqu’il détermine la méthode historique en tant que compréhension et lorsqu’il en vient à la compréhension effective, c’est-à-dire définit le propre de l’interprétation avant d’en distinguer les divers modes19. D’un autre côté, si la structure formelle globale des leçons de Boeckh et de Droysen est identique puisque ce dernier consacre une première partie à la méthode et une seconde à la systématique20, l’originalité de Droysen se manifeste d’abord par la substitution de l’heuristique à l’herméneutique au sens étroit du terme. Comment l’entendre ?
12Alors que les historiens positivistes pensent pouvoir saisir les faits historiques objectivement en voyant dans la critique des sources l’essentiel du travail de l’historien, et que Boeckh rappelle que la compréhension, par exemple de la vie d’un peuple, implique d’en avoir une Idée – une Idée qu’il pense de manière à la fois hégélienne et schleiermachérienne comme le principe et le « noyau le plus intime » de ce peuple21 –, Droysen met au contraire l’accent sur le fait que la compréhension, « c’est-à-dire l’interprétation » qui constitue le « cœur » de la réflexion méthodique22, n’est possible qu’à partir d’un questionnement23. Et c’est cette thèse que redécouvriront aussi au siècle suivant Collingwood, l’École française dite des Annales et Gadamer. Du point de vue de la méthode, cela signifie donc la priorité de l’heuristique, qui détermine le champ des vestiges, sources et monuments, par rapport aux trois autres moments que sont la critique, l’interprétation et la topique (c’est-à-dire les divers modes possibles de l’exposition). Mais cette priorité repose elle-même sur deux principes dégagés par l’Historique et qui déterminent les caractères herméneutique et infini du savoir historique.
13Le premier de ces principes, c’est que la science historique ne peut prendre pour objet le passé, mais ce qui en subsiste actuellement – c’est-à-dire n’est pas encore passé – pour élaborer à partir de là une représentation de ce passé24. Et parmi tous les restes du passé, ceux qui demandent à être compris, ce sont ceux qui traduisent immédiatement une activité humaine, c’est-à-dire sont des extériorisations, expressions ou empreintes (Äußerung, Ausdruck, Abdruck)25 de celle-ci. En d’autres termes, le savoir historique a affaire non au passé, mais à des restes ou vestiges actuels, c’est-à-dire au présent, ou encore au passé tel qu’il survit aujourd’hui idéellement dans le souvenir et qu’il s’agit de « réveiller », à « des voix éteintes, des lueurs latentes » qu’il faut parvenir à faire « reluire dans l’obscurité vide du passé »26. Certaines phrases de Dilthey pourraient aussi bien avoir été écrites par Droysen, par exemple lorsque le premier écrit : « Lorsque la vie est passée, il ne reste rien d’autre que son souvenir […]. La saisie de ces restes est partout la même : le comprendre »27.
14Ce premier principe de la méthode détermine le second, c’est-à-dire la modalité du travail de l’historien : « L’essence de la méthode historique, c’est de comprendre en cherchant, c’est l’interprétation »28. Autrement dit, l’historien doit apprendre à penser historiquement29. Cela signifie deux choses. D’une part le fait que l’historien doit assumer le caractère relatif, « unilatéral » et « limité » de son « point de vue » en tant qu’il est déterminé par les pensées du peuple, de l’État et de la religion auxquels il appartient, et la critique de la naïveté de l’idéal positiviste d’objectivité que Droysen qualifie « d’objectivité d’eunuque »30.
15D’autre part le fait que le savoir historique doit être pensé en termes de création. Autrement dit, il ne s’agit plus seulement, comme le fait l’herméneutique schleiermachérienne, de comprendre les œuvres en les rapportant à l’activité créatrice de leur auteur. Comprendre ces restes, ces traces, c’est assurément les reconduire à l’intériorité du centre, de la force, dont elles sont la manifestation31, mais la compréhension relève également d’une création. Et c’est en ce sens que, comme Humboldt dans La Tâche de l’historien, Droysen n’hésite pas à comparer l’activité de l’historien et de l’artiste32. D’une telle création témoignent aussi les travaux d’historien de Droysen qui – comme on sait – ont en particulier renouvelé la conception que l’on se faisait de l’époque pour laquelle il forge le terme d’« hellénisme » en montrant qu’elle ne constitue pas une décadence mais la période « moderne du paganisme »33.
16Mais ce n’est pas seulement cette accentuation aussi bien du caractère résiduel du passé que du caractère créateur de sa compréhension que l’on retrouvera chez Dilthey34. C’est en second lieu la fameuse distinction entre expliquer et comprendre – et l’impossibilité de « comprendre » les êtres et les phénomènes de la nature35 – qui est déjà thématisée par Droysen36. Cette distinction, et la critique conjointe de la tendance positiviste à « naturaliser en histoire »37, sont particulièrement explicites dans la longue recension de l’Histoire de la civilisation en Angleterre (1857-1861) de Thomas Buckle38, traduite en allemand en 1861- 1862, que Droysen republie à la suite du Précis dès sa réédition de 1867.
17La recension pratiquement simultanée39 par Dilthey du même ouvrage s’inscrit dans le sillage des thèses de Droysen. Car, bien que le journal rédigé par Dilthey au cours des années 1860 ne fasse étonnamment pas mention de Droysen qui arrive en 1859 à Berlin, on remarquera d’une part que la recension de Buckle par Dilthey renvoie explicitement aux leçons de Droysen auxquelles il avait assisté deux ans plus tôt40. Son journal de mai 1860 note déjà : « Buckle se rend la tâche facile avec son histoire de la civilisation dans la mesure où il réduit carrément l’histoire des visions du monde à celle du savoir propre aux sciences de la nature. Étouffer les sphères des pensées religieuses et philosophiques : c’est monstrueux. Ce qu’il en dit relève d’un bavardage qui traduit une mécompréhension de l’histoire ecclésiastique de Neander et d’ouvrages de ce genre ». Peut-être sur l’incitation du cours de Droysen – Dilthey a manifestement lu Buckle avant sa traduction en allemand. Leur critique de Buckle trouvera d’autre part d’autant plus facilement son prolongement dans la critique diltheyenne de la Logique de Stuart Mill que « les premiers effets [de sa pensée] sur notre science passèrent par l’influence de Buckle »41.
18La dénonciation par Dilthey du « caquètement de l’induction et de la déduction » chez Comte, Mill et Spencer42 fait en ce sens écho à la récusation par Droysen de l’alternative selon laquelle tout savoir repose sur l’un ou l’autre de ces procédés. « Entre le ciel et la terre, écrit Droysen, il y a heureusement des choses qui se comportent vis-à-vis de la déduction aussi irrationnellement que vis-à-vis de l’induction, qui exigent aussi bien l’induction et le procéder analytique que la déduction et la synthèse, pour, par la mise en œuvre alternée de ces deux procédés, être appréhendées non totalement, mais progressivement, non complètement, mais en s’en approchant d’une certaine manière, c’est-à-dire des choses qui demandent à être non développées ou expliquées, mais comprises »43.
19Droysen ne conteste pas qu’il y ait dans le champ des phénomènes historiques, ou dans le champ éthique, du mesurable et du calculable, et donc l’utilité de l’outil statistique44 ; mais il affirme en revanche que cette approche des phénomènes en question manque « l’essentiel » de ce qui les constitue. La confusion de Buckle tient précisément au fait que, ne considérant pas la nature des choses qu’il entreprend de connaître, il ne voit pas qu’elles requièrent une méthode qui leur soit adéquate, de sorte que « la méthode se venge » puisqu’elle le contraint à n’énoncer que des trivialités45. Plus académique au début, la recension de Dilthey passe de l’ironie à une critique plus conceptuelle. Reprenant l’exemple de la régularité statistique de la proportion des convives d’un dîner qui préfèrent les petits pois aux navets, Dilthey écrit ainsi : « Nous ne pouvons nous attribuer la gloire d’avoir découvert cette loi ; nous la tenons d’un cuisinier dont l’expérience et la familiarité avec la question est indubitablement plus sublime »46. Conceptuellement, il pointe en particulier la confusion entre la régularité statistique de relations et la légalité. Aux yeux de Dilthey, une telle régularité est non seulement incapable de prendre en compte les actions véritablement signifiantes, mais elle est loin de résumer la nature des connaissances de la physique ; la connaissance de phénomènes comme la formation du système solaire ne met pas en évidence de régularités statistiques47. Et la recension s’achève en déclarant que s’il s’agit de saisir la raison des phénomènes historiques, on en apprend plus dans Polybe et Machiavel que dans Buckle.
20Une troisième dimension de la pensée de Dilthey est déjà fortement accentuée chez Droysen, en particulier dans sa recension de Buckle ; elle est relative non plus au point de départ et à la méthode du savoir historique, c’est-à-dire à la nécessité de comprendre des restes, mais à la finalité même de la compréhension : sa finalité pratique. Aux yeux de Droysen, la connaissance historique doit être pensée en termes d’appropriation et de Bildung. Et c’est en ce sens que, comme le faisaient déjà ses leçons sur l’encyclopédie, sa recension de Buckle cite le mot de Goethe : « Ce que tu as reçu en héritage de tes pères, acquiers-le, afin de le posséder »48, en opposant à ce travail d’appropriation de la Bildung, grâce auquel la vie devient plus « intense »49, la connaissance des « résultats » purement extérieurs de celle-ci : la connaissance de la civilisation50. Il faut l’entendre non seulement sur le plan individuel – comme lorsque Droysen affirme que la « compréhension croissante des hommes et du monde humain de l’étant et du devenu, ce qui nous est le plus propre, devient plus ample, profond, libre, et accède même à l’être »51 –, mais aussi, conformément à la thèse selon laquelle l’individu n’a d’existence que dans des communautés, sur le plan politique52.
21Une telle finalité est pensée sur l’arrière-plan de la conception idéaliste de l’esprit dans la mesure où, aux yeux de Droysen, si tout est « directement ou indirectement conditionné » dans le monde éthique ou historique, la vocation de l’esprit est justement « d’illuminer et de spiritualiser » ces conditions matérielles53, processus que Dilthey pensera de son côté en termes de « chemin de la facticité vers l’idéal »54. Et c’est encore vers cette dimension pratique que le Précis fait signe en affirmant que « l’histoire donne la genèse du “postulat de la raison pratique” que la raison pure n’a pu découvrir »55. Mais, déplorant que les historiens en restent à l’analyse des matériaux qu’ils accumulent et que les philosophes ne voient dans l’histoire que la matière d’une « exemplification » de la logique, c’est aussi en invoquant Kant que Droysen invite à scruter l’origine et donc le sens même de l’histoire, c’est-à-dire en appelle à ce que nous pourrions appeler un nouvel esprit historique.
22« Nous aurions besoin d’un Kant qui soumettrait à un examen critique non pas la matière historique, écrit-il, mais le comportement théorique et pratique envers et dans l’histoire, qui mettrait en évidence pour ainsi dire un analogon de la loi éthique, un impératif catégorique de l’histoire, c’est-à-dire la source vive dont jaillit la vie historique de l’humanité »56. Or c’est précisément là le projet diltheyen d’une « critique de la raison historique » à cette différence près qu’elle se démarque à un double égard de Droysen. Aux yeux de Dilthey en effet, la réalisation de ce projet implique une critique de la métaphysique qui déterminerait, entre autres, la pensée de Droysen d’une part, et l’élaboration d’une psychologie qui, seule, permettrait l’accès à cette « source vive » d’autre part – ces deux tâches étant indissociables.
23La critique explicite de Droysen par Dilthey pointe une double insuffisance de son Historique. La première concerne la portée de sa réflexion : elle se bornerait à considérer des questions d’ordre méthodologique. Si la préface de l’Introduction aux sciences de l’esprit ne nomme pas Droysen – peut-être parce que ce dernier est alors encore vivant –, mais de façon plus générale l’École historique, les manuscrits destinés à prolonger L’Edification du monde historique dans les sciences de l’esprit le comptent nommément parmi les représentants de cette école tout en lui reconnaissant un mérite : il est « le premier à avoir fait usage de la théorie herméneutique de Schleiermacher et de Boeckh ». Mais si Droysen a ainsi mis en évidence la dimension herméneutique des savoirs historiques, Dilthey ajoute immédiatement ce qui vaut comme une restriction : « En ce qui concerne la méthodologie ».
24Cette limitation est directement liée à une seconde insuffisance qui tient au fait que cette réflexion méthodologique repose sur le sol d’une métaphysique idéaliste obsolète aux yeux de Dilthey : « L’Historique de 1868 de Droysen s’oppose sciemment à Ranke bien qu’elle lui reste intérieurement apparentée du fait de l’idéalisme de l’époque en général ». Et, reconnaissant l’impact de Humboldt sur Droysen qui voyait en lui le « Bacon des sciences historiques »57, Dilthey poursuit : « Plus profondément encore que Humboldt, Droysen est pénétré par le caractère spéculatif de l’époque, par le concept d’idées agissantes dans l’histoire, d’une téléologie extérieure dans la configuration historique, qui engendre le cosmos éthique ». Il résulte ainsi de ce double défaut que « ces penseurs ne sont pas parvenus à édifier théoriquement les sciences de l’esprit »58 – sciences qui reçoivent par ailleurs pour la première fois cette dénomination dans la préface du second volume de l’Histoire de l’hellénisme (1843) de Droysen59… Il convient donc d’examiner la pertinence de ce diagnostic en particulier en ce qui concerne Droysen et la nouvelle voie que Dilthey invite à emprunter pour fonder les sciences de l’esprit.
25La préface à l’Introduction aux sciences de l’esprit précise l’intention de l’ouvrage au moment où elle pointe les « limites internes » de l’Ecole historique, des limites qui l’ont empêchée d’avoir, comme elle y aspirait, une « influence sur la vie », de transformer celle-ci. « Il manquait à l’étude et à l’exploitation qu’elle faisait des phénomènes historiques une mise en relation avec les faits de conscience, écrit Dilthey ; il leur manquait par conséquent une fondation sur le seul savoir qui, en dernière instance, soit sûr, bref, […] un fondement philosophique. Il manquait ici une relation saine à la théorie de la connaissance et à la psychologie »60. Sur l’arrière-plan du principe de phénoménalité, qui anticipe celui que la phénoménologie appellera principe d’intentionnalité et que rappelle la préface61, l’Introduction donne pour tâche à la psychologie, que Dilthey pense déjà en 1876 comme descriptive, de reconduire nos savoirs à la totalité concrète de l’ensemble de la vie psychique dont ils procèdent. Car aux yeux de Dilthey, l’activité d’un sujet créateur auquel Droysen reconduit le savoir historique62 se caractérise, comme le sujet transcendantal de Kant, par son abstraction. Cette reconduction qui constitue la tâche de la « phénoménologie de la métaphysique » à laquelle est consacrée toute la seconde partie de l’Introduction relève ainsi d’une herméneutique de l’histoire de la philosophie occidentale.
26On sait que Droysen a lu l’Introduction aux sciences de l’esprit63, mais il devait lui être d’autant plus difficile d’admettre la nécessité d’une fondation psychologique64 qu’elle signifiait l’incapacité des savoirs historiques à se fonder eux-mêmes, voire la méconnaissance de ce qui est historique65. Dans sa préface au second volume de l’Histoire de l’hellénisme, Droysen estime en effet que seule « une appréhension plus profonde du concept de l’histoire est susceptible de constituer le centre de gravitation à partir duquel les sciences de l’esprit, actuellement flottantes, trouveront une véritable assise et connaîtront un plus grand essor »66.
27Il faudra assurément attendre la décennie suivante, où s’affirment plus décisivement les contours de la pensée diltheyenne, pour que la psychologie compréhensive descriptive perde de son ambiguïté initiale, d’une part en se démarquant du psychologisme67 même si la compréhension et l’expression seront encore comprises en relation à l’expérience vécue, et d’autre part, sur le fond de recherches esthétiques, en donnant une nouvelle frappe au concept d’expression68. C’est aussi en ces années 1890 que Dilthey entre dans une analyse plus approfondie de la structure de la vie psychique, en particulier dans les Idées pour une psychologie descriptive et analytique.
28On peut néanmoins douter que Droysen l’aurait plus suivi dans cette direction dans la mesure où l’Historique considère à plusieurs reprises qu’on ne saurait confondre le savoir, par la physiologie, l’anthropologie et la psychologie, des conditions naturelles non pas externes, mais internes, de la vie historique, et le savoir proprement historique69. En revanche, aux yeux de Dilthey, cette distinction droyséenne, qui semble récuser par avance la pertinence de son projet fondationnel, repose sur une conception métaphysique de la vie et du savoir historiques. La compréhension de restes historiques découvre « une mobilité, une continuité des choses humaines qui […] fait signe vers quelque chose de plus vaste et de plus élevé », écrit Droysen : « À partir de l’histoire, nous apprenons à comprendre Dieu », c’est-à-dire une extériorisation créatrice70.
29Mais par rapport à des analyses d’ordre psychologique dont on pourrait trouver des équivalents à cette époque, l’originalité de la reconduction diltheyenne des savoirs théoriques à leurs sources vives est néanmoins manifeste dès l’Introduction dans la mesure où elle passe par la critique de la métaphysique qui en barre l’accès, et en particulier de la conceptualité grecque de cette métaphysique dont Dilthey pointe le caractère oculaire et donc objectiviste71. Cette critique relevant d’une phénoménologie de la métaphysique est d’autant plus essentielle qu’elle trouvera un double prolongement qui conduira Dilthey d’une réflexion sur l’herméneutique en tant que modalité de la connaissance propre aux sciences de l’esprit à la tentative d’élaborer une herméneutique de la vie antérieure à la distinction entre sciences de la nature et de l’esprit.
30On trouve en effet dans l’Introduction d’abord une amorce d’une première refonte de la théorie des catégories, qui visera en particulier l’abstraction des catégories de causalité et de substance, et se déploiera d’abord au cours des années 1890 à partir de l’expérience originaire de la résistance dont le moi fait l’épreuve et qui lui permet ainsi de se découvrir et de s’affirmer en tant que tel72. Jusque dans ses derniers manuscrits, Dilthey cherchera ainsi à penser la spécificité des catégories de signification, de signifiance, d’essence, de valeur73… C’est ensuite cette phénoménologie que prolonge la Théorie des visions du monde de 1911 en voyant dans des expériences affectives préthéoriques, qui constituent autant de compréhensions élémentaires du monde, l’origine des systèmes philosophiques qui se sont déployés au cours de l’histoire74. Pratiquement trente ans après l’Introduction, Dilthey cherche à nouveau à penser l’histoire de la philosophie, mais à partir de visions du monde qui sont finalement an-historiques.
31Si Droysen n’a pas suivi Dilthey dans son projet de fondation des sciences de l’esprit sur la psychologie, il est probable qu’il aurait été encore plus réticent à la lecture de la Théorie des visions du monde. Sur ce point, l’originalité de Dilthey se mesure d’autant plus qu’on compare cette théorie à la manière dont Droysen pense les différences d’ordre méthodologique en tant que « visions du monde ». Comme chez Trendelenburg75, le sens de cette expression est d’ordre métaphysique, et elle témoigne ainsi de l’intrication déplorée par Dilthey entre les considérations d’ordre méthodologique et la métaphysique. Droysen pense en effet la différence entre les méthodes physicienne et spéculative en tant que visions du monde, c’est-à-dire entre les « sciences exactes et spéculatives », à partir de la double mobilité de l’esprit : celle de son extériorisation et, au terme de ce déploiement, celle de son rassemblement ou de son retour à son identité. Et, à ses yeux, c’est la connaissance historique du monde éthique simultanément matériel et spirituel, qui permet de penser leur unité et de surmonter l’abîme qui s’est creusé entre ces deux « moments » de l’esprit que Droysen appelle aussi naturaliste et idéaliste ou supra-naturaliste. Le comprendre permettrait ainsi la « réconciliation » entre l’expliquer et le connaître76.
32On voit néanmoins que Droysen ne se contente pas de discuter des problèmes d’ordre méthodologique, et Schnädelbach n’hésite pas à affirmer qu’il entreprend une « fondation de cette méthode de l’Ecole historique sur le sol de l’histoire de la philosophie implicite de cette tradition ». Il nous semble qu’il faut au moins admettre que son Historique en tant que « théorie de la connaissance des sciences historiques » s’appuie sur une conception de ce qui est historique77 qu’il reviendra à Heidegger de thématiser pleinement.
33Car, aux yeux de Droysen, la compréhension est une catégorie non seulement épistémologique, mais sociale et politique, si ce n’est ontologique, puisqu’elle détermine l’être même des hommes. Là où Boeckh parlait déjà d’une « pulsion philologique » originaire comme une des premières conditions de la vie, Droysen écrit : « La compréhension est l’acte humain le plus humain de l’être humain, et toute action véritablement humaine repose sur la compréhension, aspire à la compréhension, et parvient à la compréhension. La compréhension constitue le lien le plus intime entre les hommes et la base de tout être éthique »78. Et il est remarquable que juste après avoir pointé la circularité d’une compréhension relative au fait que l’individu est compris dans le tout et le tout à partir de l’individu – une circularité qui ne concerne donc plus seulement les discours –, Droysen ajoute : « L’homme ne devient, conformément à sa disposition, une totalité en soi qu’en comprenant d’autres hommes, en étant compris par eux, dans les communautés éthiques (famille, peuple, État, religion) »79. Cette circularité de la compréhension le constitue donc dans son être, et elle peut en cela être qualifiée d’ontologique. Cela signifie non seulement que nos savoirs sont eux-mêmes toujours reçus et transmis, c’est-à-dire historiquement situés80, mais, comme le dira explicitement Dilthey dans l’Introduction, que la compréhension des restes est compréhension de traditions qui nous constituent81.
34Or c’est bien aussi en ces termes que, dans sa recension de Buckle, Dilthey oppose à une perspective comme celle de cet historien anglais ce qui, à ses yeux, caractérise en revanche « l’esprit allemand contemporain » : « Saisir l’homme en tant qu’être essentiellement historique, dont l’existence ne se réalise que dans la communauté »82. L’accent mis sur notre propre historicité pose à nouveau la question de savoir comment penser la relation entre la temporalité propre à notre être affecté originaire et la temporalité proprement historique. Mais il n’en reste pas moins que la thèse diltheyenne selon laquelle nous ne contemplons pas seulement le monde historique de l’extérieur car nous y sommes « imbriqués » et « vivons dans cette atmosphère » – la possibilité de considérer l’histoire reposant sur le fait que nous sommes des êtres historiques83 – semble n’être qu’un écho des leçons de Droysen lorsque ce dernier déclare à propos de notre identité personnelle : « Ce monde de faits et de configurations en lesquels nous croyons […] constitue comme l’ambiance, l’atmosphère [vitale] de notre moi, et simultanément l’enserre »84.
35Plus encore, et même si Droysen considère que la réflexion nous permet de nous libérer de cette immersion dans l’histoire, il comprend néanmoins cette historicité d’une manière qui va au-delà de l’idée selon laquelle nous ne comprenons que ce que nous avons créé85 et qui se verra simplement accentuée par Gadamer. Lorsque Vérité et méthode déclare : « En vérité, ce n’est pas l’histoire qui nous appartient, c’est au contraire nous qui lui appartenons »86, il est difficile de distinguer cette affirmation de celle de Droysen lorsqu’il écrit : « Notre savoir, et plus exactement, le contenu de notre moi relève d’abord de ce que nous avons reçu, de ce qui nous a été transmis, nôtre, comme s’il ne nous appartenait pas […] Il nous a, plus que nous ne l’aurions »87. Et bien qu’il n’ait alors eu à sa disposition que l’édition du Précis, on comprend que Heidegger – qui était également plus que réservé à l’égard de la dimension psychologique de la pensée de Dilthey – ait pu lui consacrer son séminaire du semestre d’été 1926.
36Par rapport à Droysen pour lequel la tâche des sciences historiques consiste à interpréter des restes ou des vestiges de manière créatrice – une tâche qui, face à l’expliquer, relève d’un comprendre et dont la finalité est éminemment pratique –, l’originalité de Dilthey tient d’abord à son exigence de fonder psychologiquement les sciences de l’esprit, mais aussi à sa critique de la métaphysique qui en est indissociable. Et c’est pourquoi l’œuvre majeure de Dilthey en tant qu’historien est l’histoire de la métaphysique à laquelle est consacrée la seconde partie de son Introduction aux sciences de l’esprit. Cette histoire, qui vise à découvrir sous le champ de ruines des systèmes métaphysiques un monde vécu recouvert par ces abstractions, a certes un caractère paradoxal dans la mesure où elle reconduit non à une métaphysique des Idées ou du logos comme chez Boeckh ou Droysen, mais à des tonalités affectives dont la temporalité n’est plus historique.
37L’exigence de fonder les sciences de l’esprit sur cette expérience originaire reconduit manifestement Dilthey dans une certaine proximité non tant de Humboldt que de la thèse schleiermachérienne selon laquelle c’est le sentiment comme « présence immédiate de toute l’existence indivise »88 qui constitue la condition de possibilité de l’expérience, c’est-à-dire d’un savoir impliquant, lui, le jugement. À ce niveau, il est permis de douter que l’herméneutique diltheyenne relève encore d’un projet de type fondationnel puisqu’il s’agit moins de mettre à jour un principe ultime, et en l’occurrence la pure activité d’un sujet transcendantal, que d’éclairer le mode sur lequel les choses ou le monde nous sont donnés. Mais, et enfin, cette phénoménologie de la métaphysique est aussi le point de départ à partir duquel Dilthey tente d’élaborer une nouvelle logique : une nouvelle doctrine de catégories proprement herméneutiques, c’est-à-dire capables de saisir la vie, une entreprise à laquelle sera aussi consacrée une bonne partie des recherches de Heidegger au cours des années vingt.
Notes de bas de page
1 Le fait que cet élargissement n’allait pas de soi, c’est ce que montre par exemple sa récusation par Heymann Steinthal, un des fondateurs de la Völkerpsychologie, qui, dans sa conférence intitulée « Die Arten und Formen der Interpretation » (1877), le refuse aux « productions muettes d’un peuple », comme les bâtiments, sculptures, peintures et outils, pour considérer que le seul objet de la philologie est constitué par les discours oraux ou écrits.
2 Wahrheit und Methode, Gesammelte Werke (Désormais abrégé GW suivi du tome et de la page), J.C.B. Mohr, Tübingen, 1990, tome 1, p. 202.
3 Der junge Dilthey. Ein Lebensbild in Briefen und Tagebüchern. 1852-1870, C. Misch (éd.), Leipzig et Berlin, B.G. Teubner, 1933, p. 10.
4 Gesammelte Schriften (désormais cité GS suivi du tome et de la pagination), Leipzig et Berlin, B.G. Teubner, 1924, tome V, p. 8, trad. M. Remi, Le Monde de l’esprit, Aubier-Montaigne, 1947, tome 1, p. 14.
5 Der junge Dilthey, op. cit., p. 21.
6 Der junge Dilthey, op. cit., p. 127.
7 Enzyklopädie, p. 75.
8 GS V, p. 329, trad. D. Cohn et E. Lafon, Cerf, 1995, Œuvres 7, p. 304 sq. (nous renverrons désormais aux volumes de ces œuvres traduites sous la direction de H. Wismann et S. Mesure en abrégeant Œuvres suivi du tome et de la page) et GS IV, p. 372. Et c’est en ce sens que les compléments tirés des manuscrits de La Naissance de l’herméneutique rapportent un peu plus loin la renaissance de l’herméneutique conjointement à Schleiermacher et à Boeckh (GS V, p. 333, trad. Le Monde de l’esprit I, op. cit., p. 334). Et, dans le même sens, GS VII, p. 95 sq., trad. L’Édification du monde historique dans les sciences de l’esprit, Œuvres 3, p. 49 sq.
9 « La Naissance de l’herméneutique », GS V, p. 329, Œuvres 7, p. 304.
10 Enzyklopädie, p. 53.
11 Enzyklopädie, p. 48.
12 Respectivement Enzyklopädie, p. 46 et GS V, p. 336, Le Monde de l’esprit I, op. cit., p. 338.
13 Voir respectivement le Brouillon sur l’éthique de Schleiermacher qui revient sur le fait que toute connaissance implique un acte de reconnaissance ou d’appropriation (trad. C. Berner, Éthique, Cerf, 2004, p. 237), Phänomenologie des Geistes, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989, p. 35, trad. Hyppolite, La Phénoménologie de l’esprit, Aubier, 1939-41, p. 28, et Enzyklopädie, p. 10, 33, 46 et 53.
14 GS V, p. 180, Le Monde de l’esprit I, op. cit., p. 186, et GS VII, p. 86 sq.
15 Corpus inscriptionum graecarum, 1825-1859.
16 GS XV, p. 273.
17 Sur la philosophie de l’histoire aux semestres d’hiver 1827-28 et 1828-29, sur « Logique et métaphysique » (1827), « Philosophie de la religion » (1827), et « Philosophie de l’esprit » (1827-1828).
18 Voir la lecture par Rodi de l’invitation diltheyenne à relier l’herméneutique et la théorie de la connaissance, Das Erkenntnis des Erkannten, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1990, p. 81.
19 « C’est une parole de temps révolus, souvent devenue à moitié incompréhensible, souvent à peine audible, que nous cherchons à comprendre de manière tout à fait semblable à la manière dont nous comprenons aujourd’hui tout autre parole et expression psychique » (Historik, P. Leyh (éd.), Stuttgart - Bad Cannstatt, 1977, désormais cité Historik suivi de la p. 27 et voir p. 163 sq.).
20 Historik, p. 57 et 399.
21 Enzyklopädie, p. 57.
22 Historik, p. 57.
23 « Seul le questionnement correct permet aux choses de parler » (Historik, p. 104). Et, dans le même sens : les faits « seraient muets sans le narrateur qui les fait parler », p. 236, et le § 91 du Grundriß der Historik (Historik, p. 446), trad. A. Escudier, Précis de théorie de l’histoire, Cerf, 2002 (nous renverrons désormais à cette traduction par l’abréviation Précis).
24 Historik, p. 31, par exemple.
25 « Natur und Geschichte », Historik, p. 477. Voir l’Encyclopédie des sciences philosophiques de Hegel dont la seconde partie de la Logique – la « Doctrine de l’essence » – thématise la relation du tout et des parties, de la force et de son extériorisation et donc de l’intérieur et de l’extérieur, trad. B. Bourgeois, La Science de la logique, Vrin, 1970, p. 225-230, 388-393 et les additifs, p. 567-574.
26 Historik, p. 67 sq., 397 et 422 (Précis § 5 et 6).
27 GS VII, p. 227 et voir dans le même sens p. 229.
28 Historik, p. 22 et 423 (Précis § 8).
29 Historik, p. 5, 64 (60).
30 Historik, p. 236.
31 Historik, Hübner (éd.), (1937), Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1960, p. 22.
32 Historik, p. 108, et dans le même sens, p. 27 et 57, et La Tâche de l’historien (1821), trad. A. Disselkamp et A. Laks, Presses Universitaires de Lille, 1985, p. 68.
33 Voir « Theologie der Geschichte », in Historik, Hübner (éd.), op. cit., p. 379, et plus largement son Histoire de l’hellénisme, trad. A. Bouché-Leclercq, Leroux (éd.), Paris, 1885.
34 Voir par exemple GS VII, p. 316 (le savoir historique relève d’une « nouvelle création de l’esprit »).
35 Historik, p. 22 et 423 (Précis § 9).
36 Historik, p. 29, 163 et 293.
37 « Kunst und Methode », in Historik, p. 484.
38 Histoire de la civilisation en Angleterre, trad. A. Baillot, Paris, Librairie internationale, 1865.
39 Parue dans la Berliner Allgemeine Zeitung du 29 mai 1862 et reprise en GS XVI, p. 100-106.
40 GS XVI, p. 105.
41 GS V, p. 57, « Sur l’étude de l’histoire des sciences humaines, sociales et politiques » (1875), in Œuvres 1, p. 70 et GS I, p. 109, Introduction aux sciences de l’esprit, Œuvres 1, p. 270.
42 GS XIX, p. 44.
43 « Erhebung der Geschichte zum Rang einer Wissenschaft », Historik p. 453 et 461, et en un sens analogue Précis § 10.
44 Historik, p. 463.
45 Historik, p. 464.
46 GS XVI, p. 104.
47 GS XVI, p. 105.
48 Faust, 1re partie, vers 682 sq. (Historik, p. 107).
49 Historik, p. 459 et GS I, p. 91, Œuvres 1, p. 251. Sur la finalité pratique, voir GS XXI, p. 23 sq. et GS I, p. 3 sq., Œuvres 1, p. 155 sq.
50 Historik, p. 460.
51 Historik, p. 461.
52 Ce qu’il faut aussi entendre à partir de l’idée selon laquelle l’homme politique est un « historien pratique » (Historik, p. 269). Comme on sait, Droysen prend une part active aux travaux du Parlement de Francfort en 1848.
53 « Natur und Geschichte », Historik, p. 477. Voir dans le même sens le thème de l’histoire comme oxydation de la terre, Historik, p. 15 et Schleiermacher pour lequel l’éthique est la science de la vie de l’esprit, c’est-à-dire de l’action de la raison sur la nature.
54 GS VII, p. 287 sq.
55 Historik, p. 444 (Précis § 82).
56 Voir « Theologie der Geschichte » qui préface le second volume de son Histoire de l’hellénisme (1843), Historik, Hübner (éd.), op. cit., p. 378.
57 Voir l’avant-propos du Précis, Historik, p. 419 et p. 52 sq.
58 GS VII, p. 114 et voir 115 : ils n’ont pas interrogé les présupposés de l’Ecole historique et ont simplement lié ceux-ci et la métaphysique de l’idéalisme (Œuvres 3, p. 68 sq.). Cette critique n’a pas empêché Dilthey de reconnaître la valeur des travaux de Humboldt et de Droysen. Dans sa lettre de juin 1859 à son père à une époque où il travaille sur le christianisme primitif, Dilthey écrit ainsi à propos de Humboldt : « J’aimerais pouvoir réaliser pour la religion ne serait-ce qu’un peu de ce qu’il a accompli dans ses recherches relatives à l’essence de la langue » (Der junge Dilthey, op. cit., p. 76). Il fera par ailleurs l’éloge des ouvrages historiques de Droysen dans les recensions qu’il en a fait, celles, par exemple, parues en 1876 et 1882 dans les Westermanns Monatshefte sur l’Histoire de la politique prussienne et l’Histoire d’Alexandre le Grand (entre-temps rééditées dans le volume XVII des GS).
59 « Theologie der Geschichte », Historik, Hübner (éd.), op. cit., p. 378.
60 GS 1, p. XVI sq., Œuvres 1, p. 147 sq.
61 Dilthey y précise que si « toute science est une science de l’expérience, [celle-ci] ne trouve sa cohérence originelle et par là même sa valeur que dans les conditions de notre conscience à l’intérieur de laquelle elle se produit, dans l’ensemble de notre nature » (GS 1, p. XVII et, dans le même sens p. XIX, Œuvres 1, p. 148 et 149).
62 « Personne ne pense à contester à la physique la désignation de science ou à douter de ses résultats scientifiques, bien qu’elle ne soit pas la nature, mais une manière de la considérer, ou à tirer un argument contre les mathématiques du fait que l’ensemble de son fier édifice ne se dresse qu’à l’intérieur de l’esprit qui sait, écrit Droysen. Notre sage langue tire du participe du terme savoir (wissen) la désignation de ce qui est certain (gewiss) ; elle n’appelle pas certain l’être extérieur et dit « objectif » des choses, mais l’étant qui est su, ce que l’on sait s’être produit » (« Natur und Geschichte », Historik, p. 478).
63 Briefwechsel II, p. 970, Deutsche Geschichtsquellen des 19. Jahrhunderts 25, 26, Stuttgart – Berlin, 1929.
64 Karl-Otto Apel est allé jusqu’à se demander si cette fondation psychologique ne signifiait pas une régression par rapport à Droysen (La Controverse expliquer et comprendre, trad. S. Mesure, Cerf, 2000, p. 13).
65 GS I, p. XVI, Œuvres 1, p. 147.
66 « Theologie der Geschichte », Historik, Hübner (éd.), op. cit., p. 378.
67 Voir d’une part GS V, p. 180, Le Monde de l’esprit I, op. cit., p. 186, et GS VII, p. 86 sq. et d’autre part GS VII, p. 84 sq., Œuvres 3, p. 35 sq.
68 GS VII, p. 205 sq. Sur l’évolution de la conception diltheyenne des concepts d’expérience vécue et d’expression, nous nous permettons de renvoyer à notre La Pensée herméneutique de Dilthey, Villeneuve d’Ascq, Septentrion, 2002, p. 51 sq., 113 sq. et 119 sq.
69 Voir Historik, p. 29, 36 et 53.
70 Historik, p. 28 sq. et 30 sq.
71 GS I, p. 179, 188 sq. et 423, trad. L. Sauzin, Introduction à l’étude des sciences humaines, Presses Universitaires de France, 1942, p. 228, 239 sq. et 517.
72 Voir « Beiträge zur Lösung der Frage vom Ursprung unseres Glaubens an die Realität der Außenwelt und seinem Recht » (1890), in GS V, trad. « De notre croyance à la réalité du monde extérieur », in Le Monde de l’esprit I, op. cit., et GS VIII, trad. L. Sauzin, Théorie des conceptions du monde, Presses Universitaires de France, 1946, p. 21.
73 Voir GS I, p. XVIII et par exemple 31, 360 et 365 -367 (Introduction à l’étude des sciences humaines, op. cit., p. 4, 47, 444 et 450-452), et à la même époque, le cours sur la logique in. GS XX, p. 201 sq. Sur la doctrine diltheyenne ultérieure des catégories de la vie, voir GS XIX, p. 359-388 et GS VII, p. 228-245.
74 GS VIII, p. 81, trad. Théorie des conceptions du monde, op. cit., p. 102. Sur ce point, voir Heidegger. Les Conférences de Cassel / Husserl-Dilthey. Correspondance, Vrin, 2003, p. 19-23.
75 Sur la spécificité du concept de vision du monde chez Dilthey par rapport à Trendelenburg, nous renvoyons à notre article « Une phénoménologie de la métaphysique. L’inspiration aristotélicienne de la fondation diltheyenne des sciences de l’esprit » in Aristote au XIXe siècle, D. Thouard (éd.), Villeneuve-d’Ascq, Septentrion, p. 141-156.
76 Historik, p. 32 sq., 424 (Précis § 13 et 14) et 468 sq.
77 H. Schnädelbach, Philosophie in Deutschland. 1831-1933, Francfort/Main, Suhrkamp, 1994, p. 71 sq.
78 Respectivement Enzyklopädie, p. 11 sq. et Historik, Hübner (éd.), op. cit., p. 26 (nous soulignons).
79 Historik, p. 424 et 398, voir aussi le Précis § 12.
80 Historik, p. 17 (« nous avons commencé par admettre que notre considération initiale de l’histoire est marquée par une multitude de présupposés, car nous sommes, chacun d’entre nous, en réalité un produit de l’histoire ») et 425 (Précis § 19).
81 GS I, p. 25, Œuvres 1, p. 180.
82 Der junge Dilthey, op. cit., p. 125.
83 Respectivement GS VII, p. 147 (Œuvres 3, p. 100), 277 et 278.
84 Historik, Hübner (éd.), op. cit., p. 31.
85 GS VII, p. 148, Œuvres 3, p. 102.
86 GW 1, p. 281.
87 Voir Historik, p. 106. Cette dimension n’est manifestement pas aperçue par Gadamer qui suit simplement Dilthey (Voir GW 2, p. 387, trad. L’Art de comprendre 1, Aubier – Montaigne, 1982, p. 49). La description par le Précis de l’acte de compréhension n’est par ailleurs pas sans évoquer rétrospectivement celle que Gadamer fera de l’expérience herméneutique en termes d’illumination et de fusion des horizons. Droysen décrit en effet cet acte comme relevant d’une « intuition immédiate, comme si l’âme plongeait en une autre âme, créatrice comme la conception dans l’accouplement » (Historik, p. 424 (Précis § 11), 398 et 107 sqq.).
88 Glaubenslehre, C. Stange (éd.), Leipzig, 1910, § 3, p. 8.
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