« Connaissance du connu » et science de la littérature. Remarques sur la théorie herméneutique d’August Boeckh
p. 273-279
Texte intégral
1L’une des principales tâches de la science de la littérature reste, comme par le passé, l’interprétation des œuvres littéraires, c’est-à-dire une compréhension qui soit fondée sur un savoir spécialisé et articulée en une argumentation intelligible. Comme par le passé : car même si l’herméneutique, qui se veut la doctrine de la compréhension adéquate de tout discours d’autrui, ne peut plus guère être à la hauteur de cette prétention en ce qui concerne les textes littéraires, le besoin de comprendre ces derniers d’une façon aussi adéquate que possible n’a fait que croître, comme en témoigne le nombre de publications relatives au sujet, qu’il s’agisse d’interprétations littéraires ou de réflexions scientifiques sur cette pratique. Ceci ne signifie nullement que la science de la littérature soit arrivée à une conception unanimement admise de la compréhension adéquate d’un texte littéraire ; au contraire, les divergences sont grandes et portent autant sur le but que sur la méthode de l’interprétation. Dans quelle mesure l’herméneutique, art ou méthode de l’interprétation adéquate, peut-elle rendre service à la science de la littérature ? La question de l’utilité de l’herméneutique, de ce dont elle est capable en tant que méthode, a été soulevée par A. Neschke dans son introduction à notre table ronde. Je me propose de reprendre ce problème en me situant par rapport à la science de la littérature, et plus précisément par rapport à l’interprétation littéraire.
2On a beaucoup dit et beaucoup écrit sur la relation entre science de la littérature et herméneutique : la connaissance de la plupart de ces écrits peut ici être présupposée. Car la science de la littérature a plus longtemps que les autres « sciences de l’esprit » (Geisteswissenchaften) relevé de la compétence de l’herméneutique. Les raisons en sont évidentes : la philologie était le terrain d’application incontesté de l’herméneutique, c’est là qu’elle a fait ses preuves et obtenu ses plus grands succès. Pourtant, la science de la littérature peut aujourd’hui se passer des services de l’herméneutique ; pour le dire un peu méchamment : l’herméneutique doit d’abord résoudre ses propres problèmes et décider ce qu’elle veut être ; philologique, et liée au texte, ou bien philosophique, que ce dernier terme engage une réflexion sur les conditions présidant aux processus de compréhension qui puisse servir de référence pour les herméneutiques particulières (juridique, littéraire, historique, etc.), ou une « herméneutique de la facticité » existentielle ancrée dans l’ontologie. L’ars interpretandi que l’herméneutique était à l’origine ne s’intéressait guère à la création littéraire de son temps ; ou alors, quand tel fut le cas (avec l’herméneutique « des Lumières » de Friedrich Ast), elle se fondait sur une conception de la littérature qui n’est plus actuelle pour nous. Quant à ce qui advient, dans la perspective de l’herméneutique existentielle, dans « la maison de l’être » en tant que création poétique, cela ne me semble guère avoir de contact avec une science de la littérature ; la question centrale de cette herméneutique, qui est de savoir si comprendre est la manière d’être de l’être-là, et jusqu’à quel point, me semble également peu pertinente du point de vue de la littérature.
3Les contributions à notre table ronde portaient sur les herméneutiques de Schleiermacher et d’A. Boeckh ; il s’agit là d’herméneutiques que la science de la littérature devrait réellement prendre au sérieux au vu de ses propres problèmes. Bien que la recherche ait encore beaucoup à faire dans ce domaine – de la préparation d’éditions sûres à l’évaluation et à l’analyse des notions de base essentielles que sont par exemple le style, la divination, ou le sens –, les herméneutiques de Schleiermacher et de Boeckh contiennent des thèses et des notions tout à fait actuelles pour la science de la littérature. Malheureusement, aucune position n’a été adoptée sur ces aspects de l’herméneutique au cours de la table ronde, dont l’ordre du jour était manifestement dominé par des problèmes plus importants. Les contributions se sont au contraire concentrées sur les aspects de l’herméneutique qui peuvent faire le plus douter de son utilité pour l’interprétation littéraire. Ces aspects ont été particulièrement développés dans la contribution d’A. Horstmann sur l’herméneutique d’A. Boeckh. C’est pourquoi je voudrais me borner ici à prendre position sur cette herméneutique, sans vouloir au reste critiquer la contribution d’A. Horstmann, qui nous en a fourni une présentation très claire et intéressante.
4Je me permettrai d’abord de rappeler, au risque d’être trivial, que les œuvres littéraires, tout en étant des textes, se distinguent fondamentalement dans leur forme et leur fonctionnement de ce qu’on appelle les textes pragmatiques ou référentiels, autrement dit de textes non purement littéraires. Certes, il n’est pas toujours simple d’indiquer positivement en quoi consiste cette différence, mais c’est un autre problème, qui ne nous autorise en aucun cas à minimiser son importance. Les textes littéraires sont des œuvres d’art, ils fonctionnent à leur niveau syntactique, sémantique et pragmatique d’une façon fondamentalement autre que des textes qui n’ont pas, ou ne revendiquent pas, de fonction esthétique. Il me semble toutefois que l’herméneutique, qui affirme que les textes littéraires relèvent également de sa compétence, sous-estime le caractère particulier, artistique de ces textes, et ne peut par conséquent fournir sur les textes littéraires que des connaissances dépourvues de valeur actuelle pour la science et l’interprétation de la littérature.
5Ainsi, pour Boeckh, les œuvres littéraires ne sont au fond que des monuments écrits, les signes d’une chose connue et qu’il s’agit de reconnaître ; elles ne nécessitent pas des opérations de compréhension spécifiques, mais une simple variation sur les règles générales de l’herméneutique. Ces règles générales abdiquent toutefois d’emblée et de façon explicite lorsqu’il s’agit de prendre en considération l’« originalité du matériau » et le « caractère sonore du langage », dans les cas où il s’agit d’art et de création littéraire. En effet, cette herméneutique s’appuie sur une conception de l’art qui considère l’œuvre comme l’apparence sensible de l’idée. L’« originalité du matériau » peut varier, mais l’idée qui trouve un corps dans l’œuvre d’art est dans son essence indépendante du matériau. C’est pourquoi Boeckh parle d’une « herméneutique de l’art » qui doit, par l’application particulière de la règle générale, « expliquer les œuvres d’art exactement de manière analogue aux monuments écrits »1.
6Laissons de côté la question de savoir si ce principe herméneutique est compatible avec une compréhension véritable des œuvres d’art. Nous nous limiterons au cas de la poésie. Selon Boeckh, elle est également un cas particulier de monument écrit, qui à ce titre relève de la compétence de l’herméneutique. Notons qu’il ne s’agit pas ici d’une compréhension philologique générale d’une œuvre littéraire, mais, conformément à la tâche assignée par Boeckh à l’herméneutique, de la compréhension de l’œuvre en soi. Pour ce faire, l’herméneutique aborde l’œuvre littéraire comme un « signe du connu ». On conçoit que l’herméneutique de Boeckh soit éloignée des arguties qui sont aujourd’hui de mise dans le domaine de l’esthétique : tout ce qui a été dit ou écrit, qu’il s’agisse d’histoire, de poésie ou de musique, est un signe du connu, tandis que les œuvres d’art (dont la poésie ne fait manifestement pas partie) coïncident avec le connu du point de vue de la forme2.
7Dans son essai intitulé Qu’est-ce que la littérature ?, Sartre, définissant la prose comme l’empire des signes, situe en revanche la poésie du côté de la peinture, de la sculpture et de la musique3 ; il témoigne ainsi de sa compréhension d’un trait spécifique de la pratique poétique qui, comme il est facile de s’en assurer, fait partie depuis plus d’un demi-siècle de la conscience esthétique des poètes. Le poète se tient avec la langue dans une relation analogue à celle que le peintre et le sculpteur entretiennent avec leur matériau, la couleur et la pierre. Depuis Mallarmé au moins, nous savons que les poèmes ne sont pas faits de pensées (ou d’idées), mais de mots. En poésie, le mot ne se présente pas seulement avec sa valeur de signe, il n’est pas (uniquement) le signe d’autre chose qu’en tant que mot il n’est pas, mais il possède une valeur propre de corps acoustique, graphique, et même articulatoire et moteur. On dit pour cette raison qu’en poésie tous les registres de la parole sont sollicités. Autrement dit, la langue, dans sa fonction esthétique, se distingue de son fonctionnement pragmatique en ce qu’elle ne se contente pas de désigner son objet ou son contenu, mais qu’elle participe à la production de cet objet grâce à des facteurs de sélection et de composition qui ont, pour les décrire de façon très générale, un caractère acoustique et rythmique – ou encore entrecroisent de manière extrêmement raffinée une série d’équivalences et de correspondances phonologiques et sémantiques. On dit que la poésie ne désigne pas (seulement) son objet, mais que, dans un sens, elle est elle-même ce qu’elle désigne. Ceci est évidemment exagéré, mais on ne peut nier que la poésie aspire à la similitude de ce qui est dit avec ce qui est visé. C’est bien pour cela qu’il est si difficile de distinguer en poésie entre le fond et la forme, étant donné que ce qu’on appelle les éléments formels sont justement des énoncés de contenu, et qu’inversement des éléments du contenu se concrétisent en éléments formels.
8Ce problème aussi complexe que passionnant qui est posé à la recherche sur l’esthétique littéraire moderne ne peut être approfondi ici. Mais ce que je viens de dire devrait suffire pour justifier ma position sur l’herméneutique d’August Boeckh, qui n’est appropriée, ni en tant que théorie ni en tant que méthode, à la compréhension adéquate des textes littéraires. Le passage qui suit, et qui a valeur de programme, me semble particulièrement caractéristique : « Nous ne tenons pas compte de la différence entre la désignation par le langage et la pensée désignée, dans la mesure où nous ne considérons pas l’aspect sonore du langage comme objet de l’herméneutique, mais uniquement les représentations liées aux mots »4. Or cet « aspect sonore du langage », comme de manière générale, le mode d’expression, est tout bonnement indispensable pour comprendre adéquatement les textes littéraires, et l’exclusion de ce domaine hors du processus de compréhension témoigne de la mauvaise volonté de l’herméneutique à comprendre la poésie en tant que poésie. Car même si la poésie n’est pas l’objet qu’elle désigne à la façon dont les tournesols de Van Gogh sont immédiatement des tournesols, il n’en reste pas moins qu’elle incarne – au pied de la lettre – l’accès à son objet. Mais Boeckh suppose manifestement qu’on peut opposer d’un côté « l’aspect sonore du langage » et de l’autre les « représentations » ou « contenus », et qu’on pourrait donc se concentrer sur les différentes représentations en tant qu’objets de la compréhension, quelle que soit la forme langagière qui les soutient.
9Un second problème se pose ici, qui conduit au-delà du premier. L’herméneutique part du principe que l’expression langagière désigne un objet (contenu, idée, etc.), lui-même extérieur au langage, transcendant le langage ; on ne peut l’atteindre dans son identité, son être « en soi », qu’au terme d’un parcours à travers les cercles ou la spirale de l’herméneutique et de la critique. Mais aujourd’hui, nous n’avons plus la certitude que, « conformément à la nature » comme le disait Boeckh, toute formation dans la langue repose sur un seul sens5. Le structuralisme et la sémiotique, mais aussi les derniers développements de l’herméneutique, ont jeté le doute sur la possibilité de reproduire identiquement ce qu’on appelle la signification ou le sens d’un message langagier ; nous ne pouvons même plus avoir la certitude que l’auteur d’un énoncé a voulu dire ce qu’il a dit, en d’autres termes nous doutons de l’identité originelle entre ce qui est dit et ce qui est pensé. L’herméneutique de Boeckh s’enracine pourtant dans cette certitude. Il est vrai que l’intention de l’auteur n’est pas (encore) pour lui la ligne directrice, le but et la mesure de toute « interprétation adéquate » ; en fait, son herméneutique se réclame du théorème que l’interprète doit comprendre un auteur mieux qu’il ne s’est lui-même compris6. Cependant, en tant qu’« organon de la philologie », cette herméneutique a pour tâche de favoriser la « connaissance du connu », « la connaissance de ce qui a été produit par l’esprit humain, c’est-à-dire du connu »7. Il faut reproduire dans son identité originelle la chose que l’auteur a une fois connue – en poésie, ce sont pour Boeckh des représentations. Lorsque Boeckh souligne qu’« il y a beaucoup de production dans la reproduction », il ne pense pas du tout à une application créative du connu, mais au fait de produire le connu dans sa pure identité originelle, d’où « la falsification des temps » et les malentendus ont été évacués.
10Cet ethos de la recherche est respectable, et même nécessaire. En outre, nous devons à Boeckh une définition très subtile et pertinente de la connaissance philologique. Ne serait-ce que parce qu’elle porte des jugements de valeur, celle-ci ne se contente pas de reproduire la connaissance d’autrui : il s’agit de reproduire « autrui comme quelque chose qui devient propre, si bien qu’il ne reste pas extérieur »8. Tout cela ne change rien au fait qu’il s’agit de reconnaître des idées que Boeckh aperçoit au-delà des apparences (l’idée de la famille, de l’Etat, etc.). Il est douteux que ce principe de recherche assure une compréhension juste ou bien productive de ce que le passé a connu et qu’on puisse le recommander aujourd’hui. En tout cas, on parle aujourd’hui dans ce contexte de logocentrisme producteur d’idéologie. Car une lecture de « la théorie de l’Antiquité », qui forme, après l’herméneutique, la seconde partie de son Encyclopédie, et où les règles générales de l’herméneutique trouvent leur application spécifique, fait bientôt apparaître que les idées dont Boeckh a cherché la réalisation dans l’histoire des différents domaines culturels de l’Antiquité, ne sont autres que les idées de la philosophie et de l’esthétique allemandes classiques. En divisant l’enseignement de l’Antiquité en vie de l’Etat, vie privée, religion/art et savoir, on pose des distinctions que l’Antiquité ne connaissait certainement pas sous cette forme. Boeckh prétend reconnaître le connu « en soi », dans son identité atemporelle et pure, mais en réalité il interprète de façon fragmentaire le matériel historique dont il dispose, en se référant aux valeurs éthiques et esthétiques qui sont actuelles pour lui. Ce sont ces valeurs qui le guident dans sa recherche et lui font redécouvrir dans l’Antiquité « une hiérarchie naturelle subordonnée à la volonté du père de famille »9 ; c’est au nom de ces valeurs qu’il s’en prend au « particularisme » des petites cités grecques qui a conduit la Grèce, et failli mener l’Allemagne, à leur perte10, ou qu’il fait l’éloge du travail qui libère l’esprit des chaînes de la matière, lorsque ce travail, comme dans l’Antiquité, est subordonné aux buts élevés de la vie de l’Etat et, en outre, « ennobli (sic !) par l’art ». L’art antique exprime également des idées « d’une manière qui, il est vrai, n’est pas conceptuelle, mais est immergée dans le sensible »11. Boeckh n’a même pas besoin de commencer par démontrer ces assertions, car il a l’évidence (ou l’esthétique de Kant) pour lui ; il est clair, dit Boeckh, qu’il en est ainsi12. Dans cette logique, il tire entièrement ses critères de jugements esthétiques de Schiller et de Winckelmann, qui redécouvrirent dans l’Antiquité leur propre idée de la beauté, consistant en « une fusion efficace de la matière et de la forme »13 et ne s’intéressèrent guère au reste. On a parfois l’impression que cette théorie de l’Antiquité, avec son appareil herméneutique, est pour Boeckh une occasion de s’entretenir avec ses contemporains des valeurs éthiques et esthétiques actuelles, beaucoup plus qu’elle ne se propose de dégager ce qu’on a reconnu dans le passé pour le fixer dans son identité originelle.
11Mais il n’est probablement ni pensable ni souhaitable d’envisager une autre relation avec le passé. Assurément, la version définitive de l’histoire de l’Antiquité aurait été depuis longtemps écrite. Pour la même raison, les œuvres littéraires ne cessent d’être réinterprétées. Ici encore, ce n’est qu’en apparence que le but est de reconnaître par l’interprétation l’idée ou la représentation sous-jacente à l’œuvre. L’histoire de la réception d’une œuvre littéraire s’enracine dans un besoin interprétatif dynamique, et ce besoin est étroitement lié aux normes et aux valeurs de la vie de l’interprète. Ainsi l’interprétation est déclenchée par des facteurs extérieurs au reste, et guidée par des questions qui sont bien posées au texte, mais ne sont provoquées qu’en apparence par celui-ci. La compréhension, à chaque fois nouvelle, à laquelle conduit chaque nouvelle interprétation, est issue du besoin de l’interprète de faire le point sur sa propre situation dans le monde où il vit. Du fait que les œuvres littéraires sont capables de réveiller ce besoin, la littérature devient un facteur éminemment social. L’interprétation de la littérature n’en est assurément pas pour autant une libre chaîne d’association dégagée de toute responsabilité envers le texte et de la compétence d’un savoir spécialisé. Elle doit en tout cas repenser et reformuler la compréhension qu’elle a d’elle-même et de ses buts. On peut constater que beaucoup de choses ont déjà été accomplies dans ce domaine. Mais la « connaissance du connu » ne peut en aucun cas servir de projet.
12Résumons-nous : l’herméneutique d’August Boeckh ignore le caractère esthétique des œuvres littéraires, dans la mesure où elle ne veut y voir que des monuments littéraires et qu’elle fait abstraction de tout « ce qui ne provient dans les œuvres que de l’originalité du matériau »14. Mais ce que l’herméneutique néglige dans ses règles générales ne pourra pas être récupéré par les applications particulières des herméneutiques spécialisées. Indépendamment du caractère contestable de sa méthode, il me semble que Boeckh suggère un parallélisme entre le général et le particulier d’une part, le contenu et la forme de l’autre qui, s’il garantit la connaissance du connu, n’assure pas la connaissance de l’œuvre d’art. L’intensité de la relation entre la « désignation par le langage » et la « pensée désignée », caractéristique des œuvres littéraires, ainsi que l’« aspect sonore » de la langue, se voient explicitement déniés par Boeckh le statut d’objet de l’herméneutique, la compréhension s’attachant exclusivement au niveau signifiant de la langue. Par conséquent, cette herméneutique déclare forfait lorsqu’elle a affaire à des œuvres littéraires et des œuvres d’art en général.
13Il y aura bientôt vingt ans que Peter Szondi a jeté les bases d’une « herméneutique littéraire », et il est très regrettable que la science de la littérature ait jusqu’à présent négligé d’élaborer cette esquisse pour en faire une théorie systématique de la compréhension en littérature. Pour Peter Szondi, cette « herméneutique littéraire » devait être « une théorie de l’interprétation qui réconcilierait la philologie et l’esthétique »15. Il ne s’agissait donc pas de compléter l’herméneutique traditionnelle en lui ajoutant un appendice littéraire et esthétique, ce qui serait revenu à construire une « herméneutique spécialisée » subordonnée à l’herméneutique générale, mais d’élaborer une théorie de la compréhension littéraire « qui fasse du caractère esthétique du texte à interpréter [...] une des prémisses de l’interprétation »16. Il est vrai que Szondi a laissé sa théorie à l’état d’ébauche, mais on peut considérer que ses études sur Hölderlin et sur Celan sont des interprétations issues de cette théorie. A mon avis, ces interprétations doivent leur force de persuasion et leur caractère à la distance que Peter Szondi maintient à l’égard de l’herméneutique traditionnelle (il n’y recourt que dans la mesure où c’est nécessaire pour la compréhension du texte), à son ouverture à tous les aspects linguistiques et sémiotiques de l’esthétique littéraire, à sa prise en considération du caractère individuel d’une œuvre d’art et à la subjectivité de ses réflexions et de ses conclusions. Dans ces conditions, le nom d’herméneutique que Peter Szondi a donné à sa théorie n’est plus guère qu’une réminiscence.
Notes de bas de page
1 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 81.
2 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 77 s.
3 J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? (1948), Paris, 1964 (Coll. Idées), p. 17.
4 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 81.
5 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 94.
6 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 87 s.
7 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 10.
8 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 19 s.
9 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 395.
10 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 267 s.
11 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 400.
12 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 55.
13 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 615.
14 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 81.
15 P. Szondi, Einjührung in die literarische Hermeneutik, J. Bollack et H. Stierlin (éds), Francfort/ Main, 1975, p. 25 ; trad. franç., par M. Bollack, Paris, 1989, p. 18.
16 Ibid., p. 13, trad. franç., p. 10.
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