Herméneutique et dogmatique chez Schleiermacher
p. 223-236
Texte intégral
1. Introduction
1Les histoires de l’herméneutique présentent en général le défaut de traiter l’herméneutique isolément, en la détachant de la dogmatique à laquelle elle est pourtant toujours associée. Or, de même qu’on ne peut écrire l’histoire d’un concept que si l’on considère l’ensemble du champ conceptuel auquel il appartient, de même réussir l’histoire d’une discipline scientifique suppose qu’on ne perde pas de vue le rapport qu’elle entretient avec les disciplines voisines. Ceci vaut de manière éminente pour l’herméneutique, qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle, avait explicitement le statut d’une discipline auxiliaire, et ne constituait nullement une science autonome. C’est pourquoi il faut toujours s’interroger sur la relation de l’herméneutique, en tant que théorie de la compréhension et de l’interprétation, au savoir dogmatique et systématique. D’abord, ce savoir donne à la théorie herméneutique ses fondements ; ensuite, il détermine la tâche et le domaine de compétence de l’interprétation. Ce n’est qu’avec la « philosophie herméneutique » fondée par Heidegger que l’herméneutique en vient à fusionner avec la dogmatique et la systématique : son « herméneutique de la facticité » est simultanément, en tant qu’analyse de l’être-là (Dasein), la philosophie systématique1. L’herméneutique devient ici Prima Philosophia, philosophie fondamentale. Mais pour Dilthey encore, la philosophie systématique et l’herméneutique étaient séparées. Cette dernière était tout au plus une partie de celle-là. A plus forte raison l’herméneutique n’était-elle, chez Schleiermacher, qu’un domaine particulier de son système théologique et philosophique, et nullement le plus important. Tout au contraire, sa pensée philosophique et théologique a informé son herméneutique. Alors que pour la philosophie moderne, l’activité philosophique consiste à interpréter, l’« interprétation » n’était aucunement philosophie chez Schleiermacher, elle se tenait seulement à son service. C’est pourquoi toute interprétation correcte de son herméneutique doit traiter de sa philosophie et de sa théologie comme un ensemble. Le problème ne peut ici qu’être esquissé. Etant donné que la théologie n’a jusqu’ici que peu retenu l’attention dans la discussion de l’herméneutique de Schleiermacher, c’est sur elle que je mettrai l’accent.
2. L’herméneutique dans le contexte de la philosophie et de la théologie
2Schleiermacher déclare lui-même avoir été incité à construire une théorie herméneutique par le cours d’exégèse qu’il professait depuis 1804 (Herm. K, p. 123). Il devait à cette occasion découvrir l’insuffisance de toutes les herméneutiques antérieures, et la carence de principes sûrs en ce domaine. D’où sa résolution de fonder enfin l’herméneutique comme « science »2. Cependant, ces indications autobiographiques ne doivent pas faire oublier que des motifs plus profonds, dans la pensée philosophique et théologique de Schleiermacher, appelaient la construction d’une herméneutique.
3Le criticisme kantien avait laissé inassouvi, à la fin du XVIIIe siècle, le besoin spéculatif des philosophes de la jeune génération. C’était là la condition d’un renouveau de l’étude de l’ancienne métaphysique, et tout spécialement de la métaphysique platonicienne. Les efforts de Schleiermacher pour se réapproprier de manière compréhensive la philosophie antique, en particulier Héraclite et Platon, fut l’une des voies qui conduisit à l’herméneutique. L’autre découlait de son scepticisme à l’égard du nouvel idéalisme spéculatif de Fichte et de Hegel, qui promettait un système définitif et une connaissance absolument sûre de l’absolu. Encore jeune étudiant en théologie, Schleiermacher avait écrit à son père que l’on ne pouvait s’approcher de la vérité que par l’écoute patiente des témoins3. Ceci devait rester un trait caractéristique de son attitude. Il redoute que toute philosophie ne conduise à des constructions conceptuelles unilatérales et au dogmatisme, si elle ne recherche pas l’explication vivante avec les autres philosophies. Philosopher de manière productive implique la compréhension des autres philosophies, et par conséquent une herméneutique. En discutant avec Platon, Schleiermacher tente donc de résister au criticisme en retrouvant la philosophie spéculative. En insistant de manière générale sur la compréhension des positions philosophiques étrangères, il s’efforce de corriger la prétention démesurée de l’idéalisme spéculatif contemporain. La philosophie spéculative doit être philosophie vivante, analogue au dialogue platonicien. Cette position médiane, entre le criticisme et l’idéalisme absolu, requiert une herméneutique. Et c’est parce que sa philosophie exige une herméneutique que Schleiermacher a assigné une place à l’herméneutique dans le schéma de son propre système. L’herméneutique vient compléter les théories de la pensée et du savoir relevant de la dialectique et de l’éthique. En effet, la dialectique, qui déploie l’être, les principes du savoir, renvoie à l’herméneutique, parce que toute pensée est individuelle et unilatérale, et a pour cette raison besoin d’être corrigée par la compréhension (Dial. J, p. 261). Quant à l’éthique, qui thématise le devenir historique du savoir, elle renvoie à l’herméneutique parce qu’elle favorise le processus de la communication et la diffusion d’une forme définie de moralité, à savoir la communauté scientifique (Sittenlehre, p. 356). Le rang assigné à l’herméneutique découle de sa classification comme discipline « technique ». A ce titre, elle n’est pas une science « spéculative » ; en revanche, elle présuppose à la fois un savoir spéculatif (une théorie de la pensée), et un savoir empirique (comme la linguistique, par exemple). Combinant ces branches, elle est en mesure de procurer sur la base de ces connaissances, en tant qu’art et doctrine de l’art, les règles d’une pratique définie, à savoir l’interprétation (Sittenlehre, p. 356 ; Herm. L, p. 260 ; Herm. K, p. 159).
4La théologie de Schleiermacher n’appelait pas moins que sa philosophie une herméneutique. L’exigence découle ici de la position dogmatique de Schleiermacher. Car ses cours d’exégèse, dont l’herméneutique est issue, obéissaient naturellement eux-mêmes à un motif théologique. Pour expliciter ce point, il faut jeter un rapide coup d’œil sur la situation de la théologie au XVIIIe siècle. Le déisme des Lumières avait engendré une théologie rationnelle, qui justifiait ses assertions en invoquant non le canon biblique, mais la raison. La critique biblique, de son côté, traitait l’Ecriture sainte comme un recueil profane, en la soumettant à des études historiques et philologiques. Les deux parties se confortaient mutuellement : plus on se satisfaisait des vérités rationnelles du déisme, mieux on pouvait examiner la Bible de manière purement historique, indépendamment de tout préalable dogmatique. Inversement, plus la Bible se révélait être non pas l’œuvre inspirée de Dieu, mais une œuvre humaine, plus on devait chercher à fonder la théologie sur la connaissance rationnelle. Ce développement avait rendu impossible une théologie dogmatique fondée sur la révélation du Verbe divin. La théologie était tendanciellement déchirée : d’une part, une poignée de vérités issues de la raison, d’autre part, des vérités historiques au sujet desquelles le doute est permis. Autrement dit, la théologie était scindée en philosophie et en histoire (ou philologie). Le point médian, que la dogmatique théologique aurait dû occuper, restait vide.
5Dès 1799, Schleiermacher avait réagi de manière productive à cette situation dans ses Discours sur la religion, et fondé un nouveau paradigme en théologie. Il y justifiait de manière neuve la religion positive, c’est-à-dire les figures historiquement données, et individuelles, de la piété : la religion, si elle n’est pas religiosité déterminée et individuelle, n’est qu’une construction de la pensée (comme le déisme, le panthéisme et la métaphysique). Le positif, dans les religions, n’est plus désormais leur contenu doctrinal rationnel, mais la forme individuelle du sentiment et de l’intuition de l’univers (l’absolu, Dieu). Dans la mesure où la religion effective, qui relève du sentiment et de l’intuition, est maintenant distinguée de la théologie, la théologie dogmatique redevient possible : fondamentalement, elle ne concerne ni les vérités de la raison, ni des vérités de fait problématiques. Sa légitimité lui vient plutôt de la religion individuelle donnée. Elle est la formulation conceptuelle, dans la langue, d’une figure individuelle de la piété.
6Une telle dogmatique a besoin d’une herméneutique. C’est ce qu’indique clairement une comparaison avec Hegel, qui avait aussi surmonté l’abstraction et la vacuité de la théologie rationnelle en renouant avec la positivité de la religion chrétienne révélée, mais qui justifie la religion historiquement donnée tout à fait différemment de Schleiermacher. Hegel interprète en effet le contenu doctrinal de la religion chrétienne – et avant tout la christologie – comme des vérités spéculatives de la raison. Le christianisme est vrai, non parce qu’il est piété vivante, mais parce qu’il recèle en lui, sous la forme de la représentation, toute la profondeur du concept philosophique. La légitimation de tous les énoncés théologiques repose donc chez Hegel sur la raison – et non, comme chez Schleiermacher, sur la religion donnée. C’est justement pourquoi la compréhension précise des données historiques, et donc l’herméneutique, est un élément constitutif de la théologie de Schleiermacher.
7L’herméneutique occupe une place tout à fait importante dans le système théologique de Schleiermacher. A titre de doctrine de la méthode exégétique, elle est « le centre proprement dit de la théologie exégétique » (Kurze Darst., § 138). Pour comprendre exactement la portée de cette classification et le rapport entre herméneutique et dogmatique, on doit avoir présent à l’esprit les grands traits de ce système4. Schleiermacher distingue la théologie philosophique de la théologie pratique, entre lesquelles il situe la théologie historique, dont l’objet est le développement historique du christianisme, et qui se subdivise pour cette raison en trois parties, correspondant aux trois principales phases de ce développement : 1. la « théologie exégétique » concerne l’origine, le christianisme primitif ; 2. l’« histoire de l’Eglise » considère le cours postérieur de son histoire ; 3. la « théologie dogmatique » et la « statistique ecclésiastique », enfin, traitent de l’état actuel du christianisme. L’herméneutique et la dogmatique, bien qu’extérieurement séparées (l’une considère l’origine, l’autre le présent), présentent pourtant des liens étroits. D’abord, l’ensemble de la théologie historique a « reposé pour la plus grande part sur l’interprétation » (Kurze Darst., § 88) : l’herméneutique n’est donc pas seulement appelée par l’exégèse. Ensuite, les deux questions de l’origine et de l’état actuel du christianisme sont intimement unies ; car la « fin dernière » de la théologie chrétienne est d’exposer « l’essence particulière » du christianisme (Kurze Darst., § 84) ; or la théologie historique, dont le thème est la manifestation dans le temps de cette essence, y contribue. Comme l’essence du christianisme « se laisse voir de la façon la plus pure » (Kurze Darst., § 84) dans son état le plus primitif, la dogmatique, qui considère le présent, doit aussi se tourner vers le Nouveau Testament, et la théologie dogmatique s’associer à la théologie exégétique. Il est donc tout à fait logique que la dogmatique de Schleiermacher trouve sa principale référence dans le Nouveau Testament, à côté des professions de foi (Glaubenslehre, § 27). L’importance de l’herméneutique pour la théologie de Schleiermacher apparaît ici clairement : la théologie chrétienne doit expliciter l’essence du christianisme ; elle y parvient principalement grâce à des considérations et des recherches de type historique.
3. Herméneutique générale et herméneutique historique
8Schleiermacher passe (d’ailleurs à tort) pour le fondateur d’une herméneutique générale, et c’est à ce titre qu’il a retenu l’attention des philosophes. Mais on ne doit pas s’imaginer que son herméneutique générale prétende se substituer aux herméneutiques spéciales, et les rende superflues. Ces dernières devaient seulement en recevoir leurs fondements scientifiques. Les cours sur l’herméneutique le montrent clairement. Car Schleiermacher les professait en règle générale à la faculté de théologie, développant, d’une part, une herméneutique générale et philosophiquement fondée, et montrant, d’autre part, l’application et l’usage qui devaient en être faits en relation avec l’exégèse du Nouveau Testament5.
9La méthode d’exégèse théologique a donc pour base la philosophie. Ceci reflète un renversement général intervenu dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Tant que les herméneutiques étaient liées à des domaines définis (théologie, jurisprudence, histoire, poétique), autrement dit tant qu’il y avait des herméneutiques spéciales, celles-ci portaient l’empreinte des dogmatiques et des savoirs systématiques correspondants. Or avec l’émergence, au moment des Lumières, d’une herméneutique générale – avant même Schleiermacher –, le fondement est désormais assuré par la philosophie, qui prend le relais. Le primat éclairé de la philosophie se concrétise institutionnellement au début du XIXe siècle avec la fondation exemplaire de l’Université de Berlin par W. v. Humboldt. Les anciennes « facultés supérieures » (théologie, jurisprudence, médecine) sont réduites au rang de simples « écoles spéciales », tandis que l’ancienne faculté philosophique, qui n’avait joué auparavant qu’un rôle secondaire, est désormais le centre de l’Université6. La philosophie constitue ainsi le fondement de toutes les sciences, qu’elle unifie. De manière analogue, l’herméneutique philosophique devient chez Schleiermacher le fondement de toutes les herméneutiques spéciales, y compris de l’herméneutique théologique.
10L’herméneutique générale de Schleiermacher est une partie de sa philosophie. L’une et l’autre se constituent simultanément. Si je vois bien, c’est avec les Discours sur la Religion qu’est pour la première fois affirmée l’existence d’une polarité qui deviendra le « principe d’organisation » de l’herméneutique7, à savoir la distinction entre interprétation psychologique et interprétation grammaticale. Nous lisons dans ce texte que « tout produit de l’esprit humain » peut « être considéré et connu d’un double point de vue », d’une part comme « un produit de la nature humaine », d’autre part comme un « produit de l’histoire »8. Là est l’origine de la distinction, dans l’herméneutique, entre interprétation psychologique (technique) et interprétation grammaticale, où le concept de « grammatical » renvoie à la discipline intitulée grammaire dans le cadre des arts libéraux, tandis que le concept de « psychologique », de son côté, présuppose l’ancienne doctrine cicéronienne selon laquelle le style est le miroir de l’âme9.
11Quoi qu’il en soit, Schleiermacher élabore son herméneutique en même temps que sa philosophie. Dans les deux cas, la méthode de la quadruplicité lui sert à construire la relation entre les éléments. Le schéma de son système du savoir, par exemple, s’obtient par le croisement d’une paire, « formelle » ou « méthodologique » (Spéculation-Empirie) ; il en va de même pour les procédures herméneutiques, où la partie de concepts matériels est constituée par la Langue (Universel) et l’Auteur (Individuel), la partie méthodologique par le couple Divination et Comparaison. Cette herméneutique, construite à l’aide d’une méthode philosophique empruntée à l’Antiquité, opère la fusion d’éléments préexistants dans l’herméneutique des Lumières, et leur donne une forme nouvelle et rigoureuse10.
12Ainsi, seule la pensée philosophique de Schleiermacher, et non sa pratique exégétique dans le domaine de la théologie, a déterminé la systématique de son herméneutique générale. Il souligne dans l’esquisse de son système théologique que l’herméneutique doit être fondée philosophiquement (Kurze Darst., § 133). Naturellement, l’exégèse du Nouveau Testament pouvait à ses yeux servir de pierre de touche, et témoigner de la pertinence du fondement philosophique. Dans son herméneutique théologique conçue comme herméneutique spéciale, ainsi que dans l’application de l’herméneutique au Nouveau Testament, il illustre ce point et montre que tous les éléments fondamentaux de l’herméneutique philosophique trouvent ici leur application.
13Que l’interprétation grammaticale, qui éclaircit le sens littéral du discours ou de l’écrit sur la base d’une connaissance de la langue, ait une importance fondamentale pour l’interprétation du Nouveau Testament, cela va de soi. Il est cependant important de noter la difficulté suivante : le Nouveau Testament, écrit en grec, est pourtant encore partiellement pensé en hébreu. Parce qu’elle est unique, cette situation linguistique exige d’emblée une herméneutique théologique spéciale. « Le nouvel esprit chrétien surgit dans le Nouveau Testament à travers un mélange linguistique où l’hébreu est la souche, qui a d’abord permis au nouveau d’être pensé, tandis que le grec y a été greffé. C’est pourquoi l’herméneutique du Nouveau Testament doit être traitée comme une herméneutique spéciale. Comme le mélange des langues est une exception, un état qui n’est pas conforme à la nature, l’herméneutique du Nouveau Testament, en tant qu’herméneutique spéciale, ne découle pas de règles issues de l’herméneutique générale (Herm. L, p. 27 s., cf. Kurze Darst., § 127). Par là, l’interprétation grammaticale est exposée à une certaine incertitude, car on peut souvent hésiter sur le sens des mots, et les méthodes grammaticales, où les procédures comparatives prédominent généralement, exigent dans ce cas une grande part de divination11.
14L’interprétation psychologique a aussi une fonction dans l’exégèse du Nouveau Testament, bien que nous soyons peu renseignés sur la « nature particulière » des auteurs et sur leurs actions. Schleiermacher admet que la Bible est déterminée, comme tout autre texte, par les deux composantes de la langue et de l’auteur qui utilise cette langue, seuls les mythes ne portent la marque d’aucune individualité, et c’est la raison pour laquelle ils ne peuvent être soumis à une interprétation psychologique. Mais Homère et l’Ancien Testament relèvent déjà de la compétence de l’interprétation psychologique, puisque l’individualité se reconnaît aux particularités et aux divergences du style (Herm. L., p. 22, 145). La grande tâche de l’interprétation psychologique, cependant, commence avec le Nouveau Testament, car le style de chacun des écrits canoniques reflète la religiosité individuelle, la situation spécifique et l’intention de l’auteur. L’examen psychologique, qui prête attention à l’« atmosphère » et au « ton » des écrits, établit par exemple si nous avons affaire à un écrit « historique » ou « didactique » (Herm. L, p. 243 ss., 27) ; de l’interprétation psychologique relève ce qu’A. Boeckh développera plus tard sous le nom d’« interprétation générique » (cf. cependant Herm. L, p. 75), celle-ci doit par exemple expliquer quelles étaient les questions qui préoccupaient l’auteur, et quelles étaient celles de ses adversaires (Herm. L, p, 142).
15Dans son traité Sur les écrits de Luc (1827), Schleiermacher procède de manière presque uniquement « psychologique ». Sur la base d’une analyse stylistique, il cherche à montrer que Luc travaille à partir d’un matériau hérité qu’il recompose dans son Evangile, et que son récit ne reflète en aucun cas un témoignage personnel. L’interprétation psychologique, concentrée sur le style, est donc ici au service de la critique des sources. Cependant, elle sert aussi médiatement un intérêt dogmatique. En montrant que cet Evangile n’est pas l’expression d’une croyance individuelle, mais fait parler des témoins authentiques, elle lui confère une dignité supérieure. L’importance de l’écrivain croît « si l’on ramène son œuvre à des œuvres antérieures, celles des témoins directs de l’événement qui étaient plus âgés, et aussi mieux doués intellectuellement que lui » (SW, I/2, p. XV).
16Comme l’exégète du Nouveau Testament ne doit pas seulement rapprocher l’usage des mots, mais aussi la « composition » des écrits et de leurs parties et « le mode d’écriture » (SW, I/2, p. 325), son interprétation s’accompagne d’une comparaison continue. Mais la « divination » joue aussi pour lui un rôle essentiel. C’est à elle par exemple que revient en dernière instance de décider si le Nouveau Testament annonce réellement une nouvelle religion, ou atteste seulement une forme de religion traditionnelle. Car à la différence de Platon, les écrivains bibliques n’ont pas créé de nouveaux concepts, de sorte que l’élément spécifiquement chrétien ne peut immédiatement être saisi au moyen d’une interprétation grammaticale et comparative (Herm. L, p. 567, 44). Une large « culture » historique est au contraire requise pour que l’on soit capable de comprendre de manière divinatoire la nouveauté du christianisme (Herm. L, p. 57 s.). Schleiermacher a montré sur l’exemple du concept de δὶκαὶοσύνη quelles sont, dans le détail, les difficultés que la divination permet de surmonter : le concept de « justice » peut parfois être utilisé « historiquement » dans le Nouveau Testament, c’est-à-dire avec la même signification que dans l’Ancien Testament, tout en remplissant une autre fonction. Mais il peut aussi recevoir « dialectiquement » une nouvelle signification, qui est opposée à l’ancienne (Herm. L, p. 139). Une chose est sûre : l’herméneutique théologique spéciale et les propres travaux exégétiques de Schleiermacher montrent que toutes les procédures herméneutiques philosophiquement développées sont aussi utilisées pour l’interprétation du Nouveau Testament, même l’interprétation psychologique – et précisément cette dernière. La justesse de la déduction philosophique du système herméneutique est confirmée par là, ainsi que l’exactitude de l’affirmation, récurrente chez Schleiermacher, selon laquelle le Nouveau Testament n’exige pas d’autres règles herméneutiques que les textes profanes (SW, I/2, p. 224 ; Kurze Darst., § 119 ; Glaubenslehre, I, p. 72, 151 s.). Par cette maxime, Schleiermacher s’inscrit dans le prolongement de la théologie des Lumières, mais son herméneutique théologique spéciale associe simultanément cette démarche moderne et éclairée aux intérêts de la théologie dogmatique. L’herméneutique théologique philosophiquement ancrée parvient à aplanir le conflit entre théologie chrétienne et science philologique et historique.
4. Intérêt philologique et intérêt dogmatique
17On a reproché à Schleiermacher de séparer l’herméneutique de la discussion des enjeux et de négliger l’aspect de l’application12. En soumettant l’interprétation du Nouveau Testament aux règles de l’herméneutique générale, une discipline purement philologique, sans considérer la parole de l’Evangile comme un préalable, Schleiermacher semble confirmer ce jugement : il est manifeste que l’exégèse est seulement historique et philologique, et reste séparée de la dogmatique. En fait, les choses se présentent de manière très différente. L’herméneutique théologique de Schleiermacher tient expressément compte de la théologie dogmatique, et essaye d’harmoniser l’« intérêt dogmatique » avec l’« intérêt philologique ». A ce problème est spécialement consacré un passage détaillé de l’herméneutique (Herm. L, 79-83, § 22-34). Schleiermacher y reprend les deux positions telles qu’elles s’affrontaient à l’époque dans la discussion : d’un côté se tient « la perspective dogmatique », « qui considère le Nouveau Testament comme l’œuvre d’un écrivain », et part « de la personnalité déterminée du Saint-Esprit comme écrivain » – c’est le supranaturalisme, dont la théologie s’opposait à celle des Lumières. De l’autre côté se tient « la perspective philologique », qui isole dans le Nouveau Testament « chaque écrit de chaque écrivain » – c’est la nouvelle recherche biblique des Lumières, représentée par exemple par J.S. Semler (Herm. L, p. 22, 24). Schleiermacher critique l’un et l’autre parti de façon à montrer simultanément leur justesse et leur unilatéralité. La philologie doit reconnaître qu’en dépit de toute leur diversité, les écrits néotestamentaires possèdent aussi des traits communs, parce qu’ils dépendent d’une origine commune. Dans le cas contraire, elle restera « en deçà de son propre principe » et ne constituera pas une recherche philologique proprement dite (Herm. L, § 25). Mais d’autre part, la perspective dogmatique doit reconnaître que, à côté des traits communs, existe aussi la « formation individuelle » des écrits néotestamentaires, qui pour cette raison sont œuvre humaine, dans le cas contraire, elle trahira aussi son propre principe et se détruira elle-même, « parce qu’elle doit alors attribuer au Saint-Esprit les indéniables changements de ton et modifications de point de vue » (Herm. L, § 26). Dès qu’on prend conscience de la diversité effective du canon biblique, on doit renoncer à la thèse de l’inspiration du Verbe sous peine de détruire la doctrine du Saint-Esprit en prêtant à celui-ci les humeurs d’un homme lunatique.
18La critique biblique des Lumières avait fait éclater le canon néotestamentaire en un agrégat de points de vue théologiques divergents et, ce faisant, sapé la dogmatique traditionnelle. Inversement, le supranaturalisme avait cherché à démontrer que la Bible était le Verbe de Dieu lui-même, dans son unité, qui le soustrait à toute contradiction. Schleiermacher surmonte ces deux positions en introduisant un point de vue supérieur. Le canon testamentaire n’est ni un mélange de textes contingent, une simple multiplicité, ni une unité inconsistante, nous y reconnaissons bien plutôt différents points de vue rattachés à une origine commune. Une manière de voir véritablement « philologique » ne doit pas négliger l’unité, une manière de voir dogmatique doit se limiter à extraire de tous les écrits la part commune qui constitue l’essentiel du christianisme. Or c’est précisément cette part commune que la philologie découvre aussi de son côté, à condition de travailler de manière conséquente.
19Les points de vue dogmatique et philologique, étant compatibles, peuvent tous deux être utilisés par les exégètes. L’exégète doit même les appliquer tous les deux. Car, sans « explication philologique », il ne pourra avoir « bonne conscience » ; il n’est pas honnête de ne pas prendre en considération la critique biblique moderne et les perspectives qu’elle ouvre. Mais sans « interprétation dogmatique », sa tâche n’est pas menée à son terme, car il pratique l’exégèse en théologien (Herm. L, p, 83, § 32). Les deux démarches doivent être séparées, afin de ne pas mutuellement se gêner, dans la mesure où l’une et l’autre sont justifiées (Herm. L, § 34). Mais elles doivent aussi être liées : le travail philologique fournit comme le fondement, l’interprétation dogmatique érige la demeure (Herm. L, § 32). L’intérêt dogmatique est donc ce qui guide effectivement l’exégèse du Nouveau Testament, et c’est pourquoi Schleiermacher souligne qu’un « authentique canon herméneutique » doit enseigner ce qu’il y a de commun à tous les passages qui sont en rapport (Herm. L, § 30).
20Schleiermacher affirme que la foi doit déjà être présupposée pour que l’on considère le Nouveau Testament comme Ecriture Sainte (Glaubenslehre, § 128). Et il exige de l’exégète qu’il possède d’emblée un « intérêt pour le christianisme » qui soit de type théologique (Kurze Darst., § 147). Le « point de vue dogmatique » résulte de ce que nous appelons aujourd’hui « précompréhension ». Cependant, il découle simultanément d’une règle de l’herméneutique générale, à savoir de l’exigence de comprendre le particulier à partir du tout et vice versa, recommandation qui vaut aussi pour l’exégèse théologique (Herm. L, p. 211, 246, 258 ; Kurze Darst., § 136). Certes, l’unité du Nouveau Testament n’est pas du même type que l’unité des dialogues platoniciens, que Schleiermacher a cherché à mettre en évidence. Le Nouveau Testament s’apparente plutôt aux productions de l’école socratique, car dans les deux cas, il y a, outre l’unité, des différences (Herm. L, p. 82 s.). Il n’en reste pas moins que le canon néotestamentaire peut et doit être considéré comme un tout. Le philologue qui s’appuie sur l’herméneutique générale, et le théologien dogmatique, qui poursuit son intérêt, vont à la rencontre l’un de l’autre et pour cette raison parviennent finalement au même résultat : ils saisissent ce que la religion du Nouveau Testament a de spécifiquement chrétien, et la nature du christianisme primitif. L’herméneutique fondée philosophiquement travaille au bénéfice de la dogmatique, de cette façon, l’herméneutique théologique de Schleiermacher réconcilie science et dogmatique13.
5. Résultat
21L’herméneutique théologique et la dogmatique sont chez Schleiermacher séparées : la première est au service de l’exégèse et aide à donner l’idée du christianisme primitif. L’autre systématise les doctrines de la piété chrétienne moderne, en l’occurrence protestante. Mais elles sont cependant liées dans la mesure où toutes deux visent l’essence du christianisme. Cette affinité se manifeste déjà dans le fait que l’opposition des deux points de vue se réintroduit de manière similaire à l’intérieur même de l’herméneutique théologique, avec la distinction déjà mentionnée entre le point de vue philologique et le point de vue dogmatique sur la Bible.
22Une analyse plus précise de la relation entre herméneutique et dogmatique montre qu’elles se conditionnent réciproquement.
231. D’un côté, l’herméneutique est le fondement de la dogmatique, car celle-ci doit s’appuyer sur le canon testamentaire. Or l’herméneutique, avec la critique, établit l’amplitude du canon par une procédure qui reste ouverte (Kurze Darst., § 110 ss., Glaubenslehre, II, p. 298), l’herméneutique détermine ce qu’est le contenu proprement chrétien du Nouveau Testament. Elle extrait celui-ci d’écrits rarement « didactiques », et jamais « systématiques », de manière à ce que la dogmatique puisse se l’approprier (Glaubenslehre, I, p. 152). Dans cette mesure, la dogmatique dépend de l’hermé-neutique. « C’est pourquoi la dogmatique ne trouve son terme qu’avec la théorie de l’interprétation de l’Ecriture » (Glaubenslehre, I, p, 153, cf. Herm. L, p. 56 s.).
242. Mais d’un autre côté, la dogmatique rend possible et fonde l’herméneutique. Car c’est la position dogmatique de Schleiermacher qui permet, et même exige, que la Bible soit interprétée sur la base d’une herméneutique générale de type scientifique. Le recours aux méthodes scientifiques est théologiquement justifié. C’est pourquoi Schleiermacher tire des paroles de Paul (« un esprit et de multiples dons ») que le Saint-Esprit fonde, outre l’unité de la foi, la diversité et l’individualité des formes de la croyance (Herm. L, § 24). C’est donc à bon droit que la recherche philologique du canon attire aussi l’attention sur les divergences. Et de même que le Christ unit à sa nature divine la nature humaine, et qu’il apparaît plongé dans les petites contingences quotidiennes, de même le noyau essentiel du texte de la Bible est enveloppé de faiblesses linguistiques extérieures (Glaubenslehre, II, p. 295). Certes, le Nouveau Testament est effectivement inspiré du Saint-Esprit (Glaubenslehre, § 130). Mais ce n’est pas là une « inspiration verbale », Le Saint-Esprit est l’impulsion, la force de la foi, qui part du Christ. Le mot, le texte de la Bible est quant à lui le reflet de cette foi, qui tombe dans le domaine de la langue (Herm. L, p. 22-24). Dans un traité critique sur la Lettre à Timothée (1807), Schleiermacher exprime ce point de vue de la manière suivante : ce n’est pas la divinité du Verbe biblique qui rend divin le christianisme, mais inversement le Verbe doit sa divinité à la divinité du christianisme (SW, I/1, p. 226). C’est pourquoi la dogmatique ne peut se référer à des passages isolés que de façon « médiate » (Glaubenslehre, I, p. 152). La lettre et l’esprit, le verbe et la religion, ne sont donc pas parfaitement identiques chez Schleiermacher. Le Verbe est une présentation et une interprétation de la foi sous-jacente. Telle est la condition pour pouvoir d’un côté recommander et intégrer l’étude philologique de la Bible, et de l’autre, enseigner à considérer le tout et l’essentiel du canon. La dogmatique procure donc sa légitimation à l’herméneutique et lui assure son assise.
25Il s’ensuit que la position de l’herméneutique est beaucoup plus forte dans la théologie de Schleiermacher que dans sa philosophie. Dans le cadre de la philosophie, l’herméneutique se rapporte en effet à la dialectique et à l’éthique seulement comme la compréhension à la pensée proprement dite, comme la reproduction du savoir à sa production. Naturellement, le progrès de la connaissance est aussi dépendant de la compréhension, mais la compréhension n’est pas philosophie au sens strict, elle est seulement à son service. Dans le cadre de la théologie, en revanche, l’interprétation est elle-même une activité théologique, et l’herméneutique et la dogmatique se conditionnent réciproquement. Cette différence dans la position de l’herméneutique résulte de la différence entre la philosophie et la théologie : seule la première possède un savoir spéculatif, tandis que l’autre ne peut jamais renoncer à son ancrage historique (la « théologie philosophique » n’est pas non plus une pure science spéculative, mais réunit des éléments a priori et des éléments empiriques (cf. Kurze Darst., § 32 ss.). Critiquer le système philosophique de Schleiermacher sous prétexte qu’il fait de l’herméneutique une discipline seulement « philologique » et non philosophique reviendrait à exiger de lui qu’il conçoive sa philosophie sur le modèle de sa théologie. Or un concept de la philosophie qui réduirait celle-ci à n’être que l’interprète de la tradition était encore parfaitement étranger à Schleiermacher.
26Schleiermacher a résumé la tâche de l’herméneutique dans une formule : « comprendre l’énoncé d’abord aussi bien, et ensuite mieux que son auteur » (Herm. L, p. 32). C’est là une des phrases les plus célèbres et les plus contestées de son herméneutique, la première partie de la règle en particulier reflèterait son objectivisme et son historisme, la seconde, son relativisme. Car le « mieux comprendre » ne se rapporte plus chez Schleiermacher à la chose dont on traite, mais seulement à l’énoncé ou au texte. De ce fait, la compréhension, à en croire Gadamer, cesserait d’engager, car elle oublierait la prétention à la vérité de l’interpretandum14. A ma connaissance, Schleiermacher n’a pas explicitement repris sa formule dans son herméneutique théologique ; mais il l’applique en fait également en ce domaine. Pour quelle raison ?
271. En philosophie aussi bien qu’en théologie, l’interprétation doit chercher à faire sentir ce que l’auteur a pensé dans chacune de ses phrases (Herm. L, p. 91) ; ceci est nécessaire pour préserver l’interprétation de l’arbitraire ou de l’anachronisme. Si l’on taxe ceci d’objectivisme, il faut rappeler que la règle ne dit pas que l’interprète peut toujours effectivement comprendre l’énoncé comme son auteur ; il est simplement exigé que l’interprète essaye d’y parvenir15. Dans l’exégèse du Nouveau Testament, cette règle conduit à replacer chaque écrit dans sa situation historique déterminée. Car ces écrits ne s’adressent pas à des lecteurs à venir, mais constituent un aspect de la communication et de la formation de nouvelles communautés (Herm. L, p. 23). Comme tout écrit, ils sont « deux choses, d’un côté dialogue, d’autre part communication d’une séquence de pensée définie, et intentionnellement voulue » (Herm. L, p. 197). Si l’exégète renonce à respecter l’exigence du « comprendre aussi bien que », il ignore une connaissance réelle, et qu’il est possible d’acquérir. Il risque d’oublier la distance temporelle et de mêler immédiatement les énoncés de la Bible avec ses propres problèmes théologiques. Ceci ne peut que mener à des « interprétations artificielles », et la « démarche herméneutique » est alors sur une « fausse voie » (Herm. L, p. 138, 210), Schleiermacher met ici en garde contre une « confusion d’horizon » précitée. Celui qui par peur de l’« historisme » pratique l’interprétation théologique sans philologie ni histoire renonce à « la pure et exacte volonté de comprendre », sépare la théologie de la science et en fait une pure question d’« édification » (Kurze Darst., § 148).
282. Schleiermacher exigeait en second lieu que l’on cherche à « mieux comprendre » l’énoncé que son auteur. Si l’on replace l’herméneutique dans son contexte systématique, on voit immédiatement pourquoi il ne demandait pas que l’on comprît mieux la chose elle-même, car à l’intérieur de sa philosophie, répondre sur la chose elle-même relève – ce qui est conforme à la tradition philologique – des disciplines systématiques, et non de l’herméneutique16. Et à l’intérieur de l’interprétation théologique, une meilleure compréhension de la chose ne serait guère possible. Car l’interprète ne devrait-il pas prétendre avoir une meilleure compréhension du Christ et de la Foi que l’auteur biblique ? En revanche, il est possible et utile à la philosophie comme à la théologie de mieux comprendre le texte, l’énoncé, en clarifiant par exemple son style et son rapport à la tradition linguistique antérieure, plus qu’il n’était possible et nécessaire pour l’auteur (Herm. L, p. 45, 53, Herm. K, p. 138). Car la compréhension du contenu en est favorisée. Dans l’exégèse théologique, l’analyse stylistique donne par exemple des indications sur l’intention et l’« ancrage vécu » des écrits néotestamentaires, et la comparaison grammaticale nous aide à comprendre ce qu’est le christianisme authentique17.
29L’intégration de l’herméneutique dans la théologie de Schleiermacher avait pour tâche de développer le principe scripturaire de la Réforme – la dogmatique repose sur le Nouveau Testament (Glaubenslehre, I, p, 151 s.) – mais aussi de tenir compte de l’approche des Lumières, qui avaient commencé d’étudier la Bible indépendamment de toute inspiration verbale, comme un texte séculier. Schleiermacher a réuni les deux traditions. Les Lumières et l’étude historique et critique de la Bible sont intégrées aux progrès du protestantisme, elles servent la purification et la perfectibilité du christianisme.
30On peut se demander, il est vrai, si l’idée de perfectibilité n’implique pas que le théologien moderne comprenne quand même mieux le christianisme que les auteurs néotestamentaires. Répondre à cette question supposerait que l’on entre dans la pensée philosophique et théologique de Schleiermacher18. Une chose cependant est sûre, c’est que le « mieux comprendre » ne serait pas l’affaire de l’herméneutique, mais de la dogmatique, car seule cette dernière a expressément affaire au christianisme contemporain.
31La critique que Gadamer adresse à Schleiermacher reflète la position de la nouvelle philosophie herméneutique, où pensée et compréhension, dogmatique ou systématique et herméneutique sont devenues identiques. Savoir si cela représente un progrès par rapport à la séparation et l’articulation des domaines chez Schleiermacher est une autre question.
Notes de bas de page
1 Voir déjà sur ce point le cours « Ontologie/Herméneutique de la facticité » de 1923, qui sera prochainement publié dans l’édition complète des œuvres de Heidegger, 2e section, vol. 62. Une série de contributions sont consacrées à ce cours dans le Dilthey-Jahrbuch für Geschichte der Philosophie und der Geisteswissenschaft, 4, 1986.
2 Voir la lettre du 13 juin 1805 à E.v. Willich (Aus Schleiermachers Leben. In Briefen, II, Berlin, 18602, p. 26).
3 Schleiermacher à son père, Lettre du 23 décembre 1789 (Briefe, I, p. 78).
4 Pour ce qui suit, voir H.-J. Birkner, « Schleiermachers Kurze Darstellung als theologische Reformprogramm », dans : Helge Hultberg et alii (éds), Schleiermacher – im besonderen Hinblick auf seine Wirkungsgeschichte in Danemark (= Text und Kontext, Sonderreihe Bd. 22), Copenhague/Munich, 1986, p. 59-81.
5 Sur la façon dont Schleiermacher annonçait ses cours d’Herméneutique, voir W. Virmond, « Neue Textgrundlagen zu Schleiermachers früher Hermeneutik », dans ISK, 1, p. 58 ss.
6 Voir les écrits programmatiques de Schelling, Fichte, Schleiermacher, Steffens et Humboldt sur la réforme de l’Université dans : E. Anrich (éd.), Die Idee der deutschen Universitat, Darmstadt, 19642. Ces textes, à l’exception de celui de Steffens, sont disponibles en français dans le volume Philosophie de l’Université, L. Ferry, J.-P. Pesron et A. Renaut (éds), Paris, 1979.
7 H. Birus, « Zwischen den Zeiten, Friedrich Schleiermacher als Klassiker der neuzeitlichen Hermeneutik », dans : H. Birus (éd.), Hermeneutische Positionen, Göttingen, 1982, p. 15-58, cit. 31.
8 Schleiermacher, Über die Religion. Reden and die Gebildeten unter ihren Verächtern (1799), p. 22 de l’édition originale = KGA, I/2, p. 198.
9 Voir à ce propos W.G. Müller, Topik des Stilbegriffs. Zur Geschichte des Stilverständnisses von der Antike bis zur Gegenwart, Darmstadt, 1981. On comprend, sur la base de l’ancienne théorie du style, pourquoi l’interprétation « technique » (c’est-à-dire celle qui concerne l’art de l’auteur) et l’interprétation « psychologique » furent d’abord parfaitement identiques. Pour le changement de signification, voir maintenant H. Birus, « Schleiermachers Begriff der « technischen Interpretation »», ISK, 1, p. 591-599.
10 H. Birus, « Zwischen den Zeiten », et du même auteur, « Hermeneutische Wende ? », Euphorion, 74,1980, p. 213-222. Sur la relation de Schleiermacher à l’herméneutique de la Renaissance, dépendante d’Aristote, voir Hübener, « Schleiermacher und die hermeneutische Tradition », ISK, l, p. 561-574.
11 Voir plus loin.
12 H.-G. Gadamer, Wahrheit und Methode, Tübingen, 19754, p. 172 ss.
13 Cette réconciliation a été considérée comme un échec par les critiques de Schleiermacher, notamment D. Fr. Strauss. Les difficultés sont essentiellement localisées dans le traitement historique et théologique de la personne de Jésus. Sur ce point, voir D. Lange, Historischer Jesus und mythischer Christus. Untersuchungen zu dem Gegensatz zwischen Friedrich Schleiermacher und David Friedrich Strauss, Gütersloh, 1975. Sur le rôle de l’herméneutique de Schleiermacher dans sa conception de la vie de Jésus, voir en particulier p. 83-100.
14 H.-G. Gadamer, Wahrheit und Methode, p. 180 ss.
15 Sur ce point voir F. Rodi, « Dilthey, Gadamer and « Traditional » Hermeneutics », Reports of Philosophy, 7, 1983, p. 11 s.
16 C’est pourquoi la façon dont Schleiermacher use de la formule du « mieux comprendre » n’ouvre pas une nouvelle époque. Au contraire, son usage s’explique par le fait qu’il s’en tient à l’idée d’une philosophie systématique, dont relèvent les questions relatives à la chose elle-même. Comme dans l’herméneutique des Lumières, par exemple chez Chladenius, la question de savoir si l’on a correctement compris ne se confond pas avec celle de savoir si ce que l’on a compris est juste. Voir Johann Martin Chladenius, Einleitung zur richtigen Auslegung vernünftiger Reden und Schriften, Leipzig, 1742 (reprint par L. Geldsetzer), Düsseldorf, 1969, p. 105.
17 Voir plus haut.
18 La question de savoir comment la dogmatique se rapporte au christianisme contemporain et en même temps au christianisme du passé, et quelle est la relation dans le détail entre la théologie dogmatique et la théologie exégétique, ne peut être poursuivie ici. Une étude approfondie devrait prendre en considération les études suivantes : H.-J. Birkner, « Beobachtungen zu Schleiermachers Programm der Dogmatik », Neue Zeitschrijt für systematische Theologie und Religionsphilosophie, 5, 1963, p. 119-131. Id. : « Schleiermachers Kurze Darstellung... » (voir supra, n. 4), p. 70 ss. F. Torrance, « Hermeneutics According to F.D.E. Schleiermacher », Scottish Journal of Theology, 21, 1968, p. 257-67. J.B. Torrance, « Interpretation and Understanding in Schleiermacher’s Theology », ibid., p. 268-282. T.H. Jorgensen : Das religionsphilosophische Offenbarungsverständnis des späten Schleiermachers, Tübingen, 1977, p. 334-351. V. Weymann, Glaube als Lebensvollzug und der Lebensvollzug des Glaubens. Eine Untersuchung zur Glaubenslehre Friedrich Schleiermachers, Göttingen, 1977, p. 121-127.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le visage qui apparaît dans le disque de la lune
De facie quae in orbe lunae apparet
Alain Lernould (dir.)
2013
Commenter et philosopher à la Renaissance
Tradition universitaire, tradition humaniste
Laurence Boulègue (dir.)
2014
Diego Lanza, lecteur des œuvres de l'Antiquité
Poésie, philosophie, histoire de la philologie
Rossella Saetta Cottone et Philippe Rousseau (dir.)
2013
Figures tragiques du savoir
Les dangers de la connaissance dans les tragédies grecques et leur postérité
Hélène Vial et Anne de Cremoux (dir.)
2015
La représentation du « couple » Virgile-Ovide dans la tradition culturelle de l'Antiquité à nos jours
Séverine Clément-Tarantino et Florence Klein (dir.)
2015
Hédonismes
Penser et dire le plaisir dans l'Antiquité et à la Renaissance
Laurence Boulègue et Carlos Lévy (dir.)
2007
De l’Art poétique à l’Épître aux Pisons d’Horace
Pour une redéfinition du statut de l’œuvre
Robin Glinatsis
2018
Qu'est-ce que la philosophie présocratique ?
What is presocratic philosophy ?
André Laks et Claire Louguet (dir.)
2002