Le texte de Platon entre Friedrich August Wolf (1759-1824) et Friedrich Daniel Schleiermacher (1767-1834)
p. 197-219
Texte intégral
Introduction
1Toute lecture d’un texte écrit cherche à entrer en communication avec l’auteur du texte, c’est-à-dire du discours, qui s’est effacé pour être remplacé par lui. La lecture peut donc être considérée comme un rapport triangulaire entre le lecteur, le texte et son auteur. Ce rapport est constitutif pour la formation de toute tradition culturelle qui établit une communication permanente entre un présent et son passé. Les disciplines historiques telles que la philologie et l’histoire de la philosophie assurent la communication entre notre présent et la pensée grecque, en l’occurrence la pensée platonicienne. Elles assument désormais les tâches qui jadis incombaient aux successeurs du fondateur de l’Académie et aux philologues d’Alexandrie : les uns se souciaient de la transmission correcte de la doctrine, les autres de l’authenticité des dialogues et de leur ordonnance rationnelle1. La tradition de lecture des dialogues de Platon s’est poursuivie jusqu’à nos jours de manière ininterrompue. Dans l’histoire de cette tradition, la constitution des disciplines historiques et philologiques en Allemagne marque certainement un tournant. Nous avons essayé de montrer comment la philosophie de Platon fut à l’origine du tournant herméneutique, c’est-à-dire d’un nouveau concept de lecture chez Friedrich Daniel Schleiermacher dans son Herméneutique2. Nous voudrions maintenant montrer comment ce même concept a laissé son empreinte sur la compréhension du dialogue platonicien, c’est-à-dire sur sa lecture, dans les introductions qui précèdent sa traduction des dialogues. Replaçant la lecture de Schleiermacher dans la tradition séculaire de la lecture de Platon, on peut soutenir que les études de Schleiermacher sont fondatrices à trois niveaux. 1. Elles sont les premières à se fonder sur l’opération spécifique que Schleiermacher appelle « interprétation », ouvrant ainsi l’approche interprétative aux textes de Platon. 2. Elles illustrent, à un second niveau, la théorie de l’interprétation que Schleiermacher désigne du nom traditionnel d’« herméneutique », mais qui redéfinit le triangle de lecture de façon non-traditionnelle. 3. A un troisième niveau, cette redéfinition du triangle de la lecture est expressément conçue par Schleiermacher comme le programme d’une nouvelle philologie, qui dorénavant devra s’établir en tant que discipline herméneutique (= interprétative). Schleiermacher oppose ce programme à la philologie contemporaine représentée par la Kritische Altertumswissenschaft de Friedrich August Wolf et de son école.
2Pour développer cette thèse, nous retracerons la conception de la lecture telle que l’entend F.A. Wolf et décrirons brièvement les pratiques qui en découlent en ce qui concerne les études platoniciennes de Wolf lui-même et de son école. Nous étudierons ensuite l’optique dans laquelle Schleiermacher repoussait le modèle de Wolf et nous situerons enfin les études platoniciennes de Schleiermacher dans le cadre de sa théorie de l’interprétation, son « Herméneutique ».
1. L’Ars critica de Friedrich August Wolf et les études platoniciennes de Wolf et de son école
1.1. Ars critica
3Au début de ses Prolegomena ad Homerum qui constituent l’introduction d’une nouvelle édition critique d’Homère (Iliade)3, Wolf envisage le degré d’érudition de l’éditeur pour distinguer deux types d’édition des textes anciens4. Une première façon de procéder consiste à ne rechercher que la correction des corruptions manifestes du texte à partir de quelques manuscrits et des éditions précédentes : en l’occurrence, Wolf fait allusion aux éditions contemporaines, entre autres à celles des œuvres de Platon5. Mais l’éditeur peut également soumettre l’intégralité du texte à un examen systématique en se livrant à une comparaison exhaustive de tous les manuscrits6, travail qui seul mérite le nom de recensio. Cette seconde façon de procéder permet non seulement de relever les erreurs les plus flagrantes mais aussi de noter les modifications (« fausses médications ») qui ont pu éventuellement y être apportées. Wolf oppose un travail scientifique mais occasionnel – puisqu’il ne s’exerce que lorsque le texte s’avère manifestement trahi – à un travail réellement scientifique, pratiqué de façon systématique et continue (perpetua recensio). La première façon de procéder tend à reconstruire un sens, alors que la seconde façon de procéder cherche à reconstituer dans son intégralité l’expression originale de l’auteur (identifiée par Wolf avec la vera manus scriptoris)7.
4Cette distinction entre une reconstruction continue et un rétablissement occasionnel au niveau de l’expression authentique de l’auteur se retrouvera dans la distinction entre une explication occasionnelle de passages litigieux quant à l’interprétation et une reconstruction permanente de la pensée de l’auteur, distinction que Schleiermacher fera vingt années plus tard à Halle, au début de son cours sur l’Herméneutique8.
5De même que Wolf, son maître, son modèle et son adversaire9 en philologie, Schleiermacher va postuler une pratique méritant réellement d’être appelée pratique scientifique10. Pour ce faire, il opposera, comme Wolf, à une pratique occasionnelle une pratique permanente qui est, en fait, une opération continue de « reconstruction »11 tant de l’expression, par la critique12, que du sens, par l’interprétation.
6Ce parallélisme pourrait laisser penser que le changement subi par la philologie à l’époque de Wolf et de Schleiermacher représenterait un progrès13 du fait de l’application d’un même concept de « science » et de « pratique scientifique » à deux niveaux différents du texte, en l’occurrence au niveau de l’expression et au niveau du sens. Ce progrès se concrétiserait en 1816 par l’application de la pratique décrite par Wolf (la perpetua recensio) dans la première grande édition critique des œuvres de Platon, procurée par Immanuel Bekker, élève favori de Wolf14, ainsi que par l’interprétation intégrale des dialogues de Platon publiée par Schleiermacher entre 1804 et 182815.
7Mais une analyse plus poussée permet de parvenir à une tout autre conclusion. Schleiermacher, tout en admirant Wolf à maints égards, conteste radicalement le concept de philologie que ce dernier défend. Sa description de la juste recensio est liée à une notion de science et à un concept de philologie scientifique que Schleiermacher ne peut pas partager.
8Pour comprendre la position de Schleiermacher, il est nécessaire de reprendre le concept wolfien de la philologie ainsi que le rôle que Wolf attribue au philologue dans le triangle de la lecture. En décrivant la bonne recensio, Wolf utilise la terminologie d’un manuel récent de la critique de l’époque, les Eléments de critique ou des différentes causes de l’altération des textes latins avec les moyens de rendre la lecture plus facile, écrit par l’abbé Joseph Benoît Morel et publié à Paris en 176616.
9L’abbé Morel s’adresse à deux groupes de lecteurs, à savoir aux propriétaires de bibliothèques, tel le Roi de France dont la Bibliothèque Royale est comparée à une pinacothèque17, et à ceux qui en font usage pour leur instruction, les étudiants en théologie18. Les textes visés par l’abbé sont les textes latins qui servent à leur formation, les classiques, comme Cicéron, mais surtout les Pères de l’Eglise. Son manuel de critique a pour ambition – comme le dit expressément le titre – de « rendre la lecture plus facile ».
10A une époque où aucun texte n’a encore fait l’objet d’une recensio systématique telle que Wolf la préconise19, la tâche primordiale du criticus (du philologue) consiste à rectifier les erreurs de façon à rendre le texte intelligible. Ce mode de correction peut être considéré comme une science, que l’abbé Morel compare au savoir du médecin. Le texte, transmis par des copistes, subit des « altérations ». Une altération peut être envisagée comme un effet, et à tout effet correspond nécessairement une « cause » : le savoir du criticus consistera, par conséquent, en la connaissance de l’ensemble des causes susceptibles d’entraîner l’altération du texte20.
11On peut ainsi envisager deux types d’altération. Dans le premier, l’altération est d’ordre grammatical ; elle est évidente pour tous puisque le texte devient incompréhensible21. Dans le second, l’altération peut survenir bien que le texte ait un sens, voire le sens voulu par l’auteur : l’altération porte alors sur la formulation22. Ce dernier type d’altération constitue le champ de travail du criticus, qui entend rétablir non seulement le sens du texte, mais la formulation originale de l’auteur lui-même. Par ce travail, le criticus rend le plus grand service à l’auteur, au lecteur et au propriétaire du livre : de même que le propriétaire d’un tableau souhaite détenir et contempler une œuvre originale dans tout son éclat, les possesseurs et les lecteurs d’un livre désirent avoir la connaissance de l’écriture authentique de l’auteur qui, seule, confère au sens d’un texte toutes ses subtilités23. Wolf utilise les images de l’abbé Morel pour décrire la tâche du criticus. Il est indispensable, pour relever les altérations plus ou moins évidentes d’un texte, d’étudier minutieusement le plus grand nombre de manuscrits afin de rétablir la formulation originale (la vera manus scriptoris)24.
12D’autre part, il faut enlever les « faux pansements » (emplastris solutis ulcera nudat)25 et découvrir la maladie qui crée l’altération qui en résulte. Cette connaissance est une connaissance exacte, puisque le rapport entre la cause et l’effet ne présente aucune ambiguïté. Elle permettra de dresser la liste exhaustive des remèdes à utiliser pour corriger les passages altérés26. L’idée de la bonne recensio, qui implique que l’on se défie systématiquement des intermédiaires, avait déjà été envisagée par l’abbé Morel. En reprenant au début des Prolegomena l’idée selon laquelle la recherche des « plaies cachées » constitue la raison qui incite le criticus à rechercher tous les manuscrits disponibles, Wolf accepte l’esprit qui régit cette idée sans toutefois l’expliciter, ce que fait le traité de l’abbé Morel. La critique est une science exacte, c’est-à-dire la connaissance de la relation de cause à effet27. Le criticus joue le rôle du médecin, rôle essentiel au bon fonctionnement du triangle de la lecture, car il rétablit les conditions de la lecture en retrouvant la formulation originale. Ce travail accompli, il n’interviendra plus. La lecture sera le fait du propriétaire du livre, lecture rendue d’autant plus aisée que l’expression originale de l’auteur lui permettra de ne pas trahir le texte. Ceci revient à dire que l’auteur reste son meilleur interprète28.
13Wolf admet les principes de l’abbé Morel29 pour ce qui est des textes latins. Pourtant, c’est dans une perspective bien particulière qu’il se réfère à la bonne recensio au début de ses Prolegomena : il entend ainsi souligner la différence entre le texte d’Homère et les autres textes. En ce qui concerne les textes d’Homère, le travail du criticus qui consisterait à créer les conditions de la lecture serait insuffisant. En effet, il ne suffit pas de reconstruire l’expression authentique de l’auteur, il faut également considérer les conditions de l’élaboration du texte lui-même afin de rechercher si une première expression authentique fixée par l’écriture – la manus vera – a existé. Wolf, partant d’un consensus des scientifiques relatif à la bonne critique30, veut montrer qu’il convient de souligner un aspect qui était resté jusqu’alors dans l’ombre, à savoir celui des conditions de l’élaboration et de la transmission d’un texte à un moment de l’histoire où le préalable de toute transmission, l’écriture, n’était pas encore utilisé, c’est-à-dire à un moment où la manus vera n’existait pas. Wolf présente cette réflexion comme une critique de la critique. Cette nouvelle critique du texte se fonde sur une recherche historique. En effet, les Prolegomena constituent une œuvre de critique historique n’ayant pas uniquement pour but de rétablir l’expression authentique de l’auteur, mais aussi de replacer les œuvres d’Homère dans les conditions réelles de leur création et de leur transmission. Wolf lui-même a qualifié sa recherche de « recherche historique »31 : il se vante d’avoir démontré avec une rigueur mathématique que l’écriture n’existait pas à l’époque d’Homère32.
14L’esprit spécifique de la critique historique différencie le travail de l’abbé Morel de celui de Wolf. L’abbé Morel considère que les auteurs sont à l’origine d’un savoir dogmatique, alors que Wolf envisage l’approche des textes comme une recherche englobant l’ensemble des textes transmis et les étapes d’un développement que les Anciens, les Grecs plus particulièrement, ont connu comme tous les peuples33.
15L’histoire universelle des Lumières a introduit la notion d’un état primitif des peuples, notion attribuée depuis lors aux Grecs34. L’Histoire de l’Art de l’Antiquité, publiée par Johann Joachim Winckelmann en 1764, fût la première œuvre historique à retracer le développement de l’art grec à l’aide d’un schéma comportant quatre étapes, l’état initial, la croissance, l’apogée et le déclin35. Wolf, qui partage entièrement la vision globale de Winckelmann36, essaie de montrer que l’état primitif excluait l’usage du papyrus et de l’écriture, et que l’écriture et la philologie ne sont que les fruits d’un développement plus tardif37.
16Pour Wolf, le criticus est l’historien érudit qui, par l’étude des textes traitant de la réalité, rétablit cette réalité. On le nomme Altertumswissenschaftler38, le but de ses travaux étant la connaissance de tous les faits concernant les Anciens, et en particulier les Grecs39. Seuls, de tous les peuples, les Grecs ont connu un développement tel qu’il leur a permis d’atteindre la culture de l’esprit la plus élevée40.
17Dans cette optique, le philologue se transforme en « érudit des sciences de l’Antiquité », son rôle devient multiple ; Wolf le décrira à l’occasion de ses cours sur l’« Encyclopédie de la philologie » (Encyclopaedia philologica)41, professés à Halle entre 1785 et 1807. Le résumé de ces cours, destinés à un public plus vaste, dont Goethe sera le représentant le plus prestigieux, fut publié en 1807 à Berlin sous le titre de « Darstellung der Altertumswissenchaft »42. Cette œuvre incitera Schleiermacher à approfondir ses idées sur l’interprétation.
18Le savoir du philologue implique quatre facultés. La première de ces facultés consiste en la connaissance de la langue (dictionnaire, syntaxe) et de son développement (Sprachgeschichte). Le philologue est alors appelé grammaticus. La deuxième faculté est l’art d’expliquer les textes ; le philologue est l’herméneute des textes, puisqu’il les explique. L’art de reconstituer l’écriture authentique du texte original permettra au philologue d’assumer le rôle du criticus. Enfin, le philologue devra posséder l’art de composer lui-même dans le style et selon le mode prosaïque ou poétique des auteurs anciens ; il deviendra alors le maître de la critique rhétorique, puisqu’il possède lui-même le talent de scriptor, de l’écrivain43.
19Cette vision du philologue le situe différemment par rapport au triangle de la lecture. En tant que criticus, le philologue établit les conditions de la lecture. Mais il intervient également dans le processus de la lecture elle-même : le sens du texte n’étant plus évident, il lui faut l’expliquer. Wolf cite l’exemple d’un texte dont on peut traduire le sens littéral sans qu’il soit pour autant intelligible44. En effet, le contexte historique de ce texte est tel qu’il rend ce dernier incompréhensible : les études du philologue-historien lui donnent la possibilité d’appréhender, de connaître ce contexte, lui seul saura y pénétrer (sich hineinversetzen)45. L’herméneutique est l’art de comprendre (subtilitas intellegendi)46. Elle comprend l’art de décrypter le code étranger [(= des signes)]47 afin de reproduire la trame de la pensée et des sentiments de l’auteur. Elle est l’art d’expliquer (subtilitas explicandi) : l’herméneute est capable de coder les pensées et les sentiments de l’auteur ancien48 dans le code de la langue du destinataire de l’interprète, code qui est le latin ou l’allemand.
20Désirant proposer au lecteur les pensées et les sentiments dissimulés par le code étranger, l’exégète, s’il reproduit le texte par une traduction seule49, doit ou bien actualiser le texte en utilisant le langage contemporain, ou bien reconstituer le monde passé par des explications historiques50. Mais sa tâche ne s’arrête pas là. En tant qu’historien, l’exégète érudit est conscient de l’écart qui existe entre le passé et le présent. Wolf partage la conviction de ses contemporains « éclairés » pour lesquels les textes anciens ne pouvaient plus représenter les sources du savoir du fait de l’importance des progrès des connaissances humaines51 – telle était encore leur fonction pour l’abbé Morel.
21En tant qu’exégète, l’érudit doit soumettre le contenu des textes à une interprétation appelée « philosophique » qui comprend deux tâches différentes : une évaluation de la doctrine par rapport à la vérité, la critique doctrinale, et une évaluation de la forme rhétorique (ou esthétique) en fonction des critères du beau52. Selon la Darstellung ce sont les valeurs formelles des écrits anciens qui témoignent de l’excellence de la culture grecque en en faisant « un modèle unique pour toute présentation et pour tout art »53.
22L’herméneutique de Wolf fait donc resurgir la critique au sein de l’herméneutique même : l’interprétation « philosophique » est une critique doctrinale et esthétique. Ce trait s’inscrit dans la finalité ultime de l’Altertumswissenschaft qui, par la reconstruction historique, poursuit un but didactique : former des esprits raffinés et indépendants54. La réapparition de la critique au sein de l’herméneutique souligne l’esprit « critique » de Wolf qui, quel que soit le type de critique, lui accorde une place éminente. Ainsi la critique de texte et la critique historique définissent l’homme de science : « La tâche propre de l’érudit en Antiquité ne peut par la nature des choses être autre que de présenter partout l’ancien chez ces deux peuples (les Romains et les Grecs) sous sa forme originaire et dans son contexte réel »55. L’herméneutique et, avec elle, la critique doctrinale, sont au service de cette tâche.
23Qu’en est-il ici du triangle de la lecture ? L’« érudit en Antiquité » y occupe une place bien précise : par la critique du texte, il crée les conditions de la lecture. Mais, détenant la subtilitas intelligendi, dont les préalables nécessaires sont la connaissance de la grammaire et l’érudition historique, il intervient au niveau de la lecture elle-même. En pénétrant dans l’esprit de l’auteur ancien et de son temps, il devient l’auteur lui-même. Or, celui-ci n’est plus son meilleur interprète, comme il l’était pour l’abbé Morel. Il ne suffit plus de le traduire – rappelons que la traduction a été appelée interpretatio jusqu’à l’époque de Wolf56 – il s’avère indispensable que l’érudit se fasse la voix de l’auteur par la traduction, par la paraphrase, mais aussi par les explications historiques57. Simultanément, l’érudit deviendra auteur et lecteur, un lecteur qui, agissant comme un juge, décidera de la vérité et de la beauté des écrits de l’auteur en se référant à des critères absolus.
1.2. Le Platon de Wolf
24La pratique philologique de Wolf concernant les écrits de Platon est un miroir fidèle de sa description de l’Altertumsgelehrte dans son Encyclopédie de Halle.
25La critique textuelle y occupe la première place58. Elle sera achevée par ses élèves Heindorf et Bekker qui, comme Wolf, pratiquent une critique fondée sur l’étude de l’usage linguistique et de l’érudition historique59. La traduction latine de Platon par Wolf a pour but « de faire parler Platon de façon à ce qu’il exprime pour ses frères non grecs les mêmes pensées dans un latin à tout le moins pré-néronien »60. Le commentaire du Banquet, commentaire scolaire – le premier commentaire de ce type – donne une paraphrase que complètent des explications linguistiques et historiques61. Wolf a choisi ce texte parce qu’il est un exemple éminent de l’art littéraire de Platon62. Dans l’Encyclopédie, Wolf présente Platon comme « un des esprits les plus importants et l’un des plus beaux écrivains »63.
26Après avoir procédé à l’exclusion des écrits inauthentiques, il classe les dialogues en fonction du degré de difficulté qu’ils présentent pour la lecture. La République, comportant pratiquement dix dialogues complets (« un livre fondamental dont l’intention est morale »), y occupe la dernière place64. Son disciple Carolus Morgenstern65 développera cette idée. Jusqu’à l’époque de Wolf et de Morgenstern, la République avait toujours été lue sous le seul aspect politique, comme doctrine de la cité idéale66. Morgenstern, par un raisonnement historique, c’est-à-dire par la reconstruction des conditions dans lesquelles Platon écrit, soutient la thèse que le projet de Platon (le consilium scriptoris) était de ramener ses contemporains corrompus par les Sophistes à la vertu67. Le contenu de la République est la première doctrine morale valable parce que Platon développe l’idée que seule la vertu garantit le bonheur68. Mais en raison de l’accueil qu’il pressent, Platon recourt pour l’exposé à un stratagème ; celui-ci consiste à faire voir la valeur de la vertu à travers l’image de la cité. Le commentaire de Morgenstern se compose d’explications historiques et d’une critique doctrinale69. Il juxtapose les opérations que Wolf énumère comme opérations spécifiques de l’herméneutique. L’herméneutique sera définie comme l’art de reproduire, d’exposer les idées des auteurs et d’en soumettre la critique à un public incapable, en raison de son manque d’érudition, d’effectuer par lui-même une telle démarche.
2. La philologie de Schleiermacher et l’interprétation des œuvres de Platon
27La conception de la philologie chez Schleiermacher est en opposition tranchée à celle de Wolf. Cette opposition, qui n’a été soulignée par Schleiermacher que relativement tard, se retrouve tant au niveau théorique qu’au niveau pratique70.
28Dans un premier temps, nous considèrerons l’opposition au niveau théorique.
291. En ce qui concerne la systématique des disciplines philologiques, Schleiermacher, tout en acceptant la triade de la grammaire, de la critique et de l’herméneutique (équivalente à l’« interprétation »), subordonne la grammaire et la critique à l’interprétation71. Cette dernière devient la tâche permanente du philologue72. L’herméneutique se différencie alors nettement de la critique73.
302. Le but de l’interprétation n’est pas de reconstruire un monde passé, mais de comprendre le sens d’un écrit particulier composé par un individu74 afin d’acquérir un savoir75. Ce but est philosophique76.
313. Cette compréhension n’intervient pas d’elle-même. Elle n’intervient pas plus après le décryptage du code étranger ou la reconstruction de la réalité du monde passé77 par l’interprète. Elle est en soi une opération, opération basée sur des principes constituant le sujet d’une théorie que Schleiermacher désigne du nom traditionnel d’« Hermeneutik »78.
324. Cette théorie permet de mieux cerner l’opération appelée « interprétation » (das Verstehen). Elle donne conjointement une notion plus précise de son « statut » scientifique.
33L’interprétation ne s’effectue pas au moyen de démonstrations aboutissant nécessairement à des résultats. Elle mène à une certitude (Gewissheit) partagée par celui-là seul qui aura emprunté la même voie. Cette théorie est donc scientifique, mais de façon autre que les sciences exactes ne le sont79.
345. Cette opération est définie comme la reconstruction d’une construction, cette dernière ayant été effectuée par un individu isolé faisant appel à la pensée discursive. Cet individu la réalisera en se servant du langage (die Sprache) : il crée un discours (die Rede). Tout texte transmis par l’écriture ne constitue pas systématiquement le champ d’application de l’opération appelée das Verstehen, ou interprétation. Le texte peut être énoncé oralement ou fixé par l’écriture, son auteur peut être contemporain ou bien un homme du passé. La seule condition pour qu’il soit l’objet de l’interprétation est qu’il représente un développement complexe de la pensée80. En d’autres termes, le discours doit être l’expression de l’art d’achever la pensée par le langage, de l’art de la construction, soit, selon les termes de Schleiermacher, la « combinaison » et la « composition », à laquelle correspond l’art de la reconstruction ou « compréhension scientifique »81.
356. Les textes anciens qui nous sont parvenus ne forment pas un groupe spécifique. L’auteur ancien n’est qu’un particulier, une individualité. Les connaissances historiques créent un préalable à la compréhension, qui consiste à se mettre à la place du premier lecteur, destinataire du texte82. Mais puisque le destinataire du texte est aussi un individu différent de l’auteur, la reconstruction parfaite de l’auteur n’est pas un fait, mais un but, un idéal, voire une utopie83.
367. Le triangle de la lecture est ainsi redéfini : l’interprète scientifique est le lecteur, mais un lecteur accompli, conscient de la tâche de la reconstruction, des principes et des difficultés qui en découlent84 ; autrement dit, le lecteur doit aussi être le théoricien de l’interprétation.
37L’opposition au niveau pratique devient évident si nous prenons pour exemple la place et la fonction assignées à la République dans l’ensemble des écrits de Platon. Dans la tradition de la critique doctrinale d’un Brucker, auteur de l’Historia critica philosophiae85, et d’un Tiedemann, Wolf et son disciple Morgenstern considèrent la République comme une doctrine plus ou moins bien fondée sur un sujet particulier, qui sera chez Wolf et Morgenstern la morale. C’est la vérité de la doctrine et la beauté du style de Platon (écrivain) qui conduisent Morgenstern à soutenir la thèse selon laquelle la République, contrairement à sa mauvaise réputation, est en réalité un écrit de premier ordre, le « testament » de Platon86. Chez Schleiermacher, la République occupe une place privilégiée pour une toute autre raison. C’est le premier écrit dans « l’œuvre » de Platon – et le mot « œuvre » a une signification précise87 – où le discours de Platon atteint le niveau scientifique qui est la représentation systématique de la pensée88. Schleiermacher parvient à cette conclusion à travers une double reconstruction : la reconstruction de l’idée de chaque écrit qui débouche sur un classement en écrits faisant partie de l’œuvre et en écrits de circonstance89, et la reconstruction de l’ensemble que forment les œuvres, c’est-à-dire tous les écrits qui traitent des mêmes sujets et se structurent en un « système philosophique »90. Schleiermacher essaie de saisir la cohérence de la pensée qui relie les dialogues entre eux. C’est lui le premier91 qui découvre Platon comme celui qui aurait pour la première fois érigé la pensée philosophique en système, mais en un système particulier qui lui est propre92. Cette approche des écrits et des œuvres de Platon est une pure approche interprétative au sens de Schleiermacher : il s’agit de reconstruire la composition de chaque dialogue et de reconstruire la construction de la pensée derrière les dialogues, c’est-à-dire le système de Platon. La reconstruction de Platon par Schleiermacher peut être considérée comme un modèle parfait du Verstehen.
38Schleiermacher procède par opérations successives :
39Dans un premier temps, il envisagera l’élimination des écrits inauthentiques selon les critères exposés dans l’Introduction générale93. Il déterminera ensuite la « meilleure » leçon au moyen des critères de la critique du texte94. Une troisième opération consistera en la « compréhension » ou reconstruction de l’idée de chaque écrit et conduira à distinguer les « œuvres » philosophiques des « écrits de circonstance ». La même opération permettra ensuite d’établir l’« ordre naturel » qui relie les œuvres philosophiques entre elles. La compréhension sera le préalable à la dernière étape, celle de la traduction95, qui présuppose la grammaire et les connaissances historiques96.
40L’opération centrale, la compréhension, sera pratiquée par Schleiermacher au niveau de l’écrit particulier, appelé « œuvre particulière », et au niveau de l’ensemble des œuvres particulières qui forme donc l’œuvre (singulier collectif) de Platon, c’est-à-dire sa « philosophie ».
41Chaque introduction se compose dès lors de deux parties principales97. Dans la première partie prend place la description de l’idée de l’écrit, que l’on ne découvrira ni par le titre ni par le « but » (Zweck)98, mais par la reconstruction de la composition uniquement. Cette « idée » est le concept suprême comprenant toutes les parties de l’« écrit »99.
42Dans la deuxième partie, l’idée et son développement seront replacés dans l’ensemble des idées qui constitue ce que l’on nomme la philosophie de Platon.
43La première partie correspond à la description de l’opération appelée das Verstehen, puisqu’elle montre comment l’interprétation « grammaticale » et l’interprétation « technique » sont, dans la pratique, étroitement imbriquées. Schleiermacher, théoricien, souligne que leur séparation est une distinction purement théorique100. Ce qui explique que l’on ne puisse effectuer la description de l’idée et du concept suprême (du sujet et du contenu, c’est-à-dire du « savoir » par le langage) sans avoir compris la façon particulière dont l’écrivain a composé son écrit.
44La Compositionsweise, essentielle pour la découverte de la façon particulière de penser de l’auteur, devra être « décomposée », c’est-à-dire reconstruite. Schleiermacher présente cette reconstruction comme le renversement d’une action originale : à la vision globale de l’interprète acquise à la première lecture correspond la vision globale de l’auteur qu’il concrétise au fur et à mesure qu’il construit son discours101.
45Dans la deuxième partie, l’opération du Verstehen procède de façon identique : elle reconstruit l’ensemble de l’œuvre de Platon (sa philosophie) par une interprétation grammaticale et une interprétation technique, en partant chaque fois d’une vision globale. Schleiermacher appelle cette opération du Verstehen la « compréhension au deuxième degré »102 car elle va au-delà du texte lui-même et le situe dans une perspective plus vaste (elle détermine, par exemple, son rôle dans l’histoire de la philosophie).
46Ici l’interprétation « grammaticale » considère l’œuvre dans son Sprachgebiet qui est maintenant le domaine de la littérature103. L’interprétation « technique » considère l’œuvre dans l’ensemble des actions (Thaten) de l’auteur104, à savoir de ses actions en tant qu’écrivain. Or Schleiermacher situe la philosophie de Platon dans son domaine, qui est celui de la philosophie grecque et de la philosophie européenne.
47En ce qui concerne ce Sprachgebiet, Schleiermacher conseille à ses lecteurs, dans ses introductions, de se référer aux manuels d’histoire de la philosophie105. L’interprétation grammaticale met en lumière le fait que trois sujets constituent la philosophie de Platon : la dialectique (la méthode), l’éthique (le monde humain) et la physique (le monde naturel) qui sont les « sciences réelles » (Realwissenschaften)106. Par cette triade, Platon est le fondateur de la philosophie systématique : le premier, il a établi le rapport entre la méthode et le monde réel107.
48L’interprétation technique, par contre, place la réflexion sur ces sujets sur un plan différent. Aux deux formes traditionnelles du traité philosophique, à savoir le manuel systématique – tels les manuels de Schleiermacher – et les aphorismes, ainsi les Fragments de l’Athenaeum de F. Schlegel108, Platon en préférera une troisième, celle du dialogue, ce qui lui permettra de traiter les mêmes sujets de trois façons différentes109. L’ensemble des dialogues faisant partie de l’œuvre de Platon constitue une progression. Ainsi les premiers dialogues, qui concernent essentiellement la méthode, forment le niveau « élémentaire » de la philosophie de Platon, tels le Phèdre, le Protagoras, les Charmides, l’Euthyphron et le Parménide110.
49Les seconds dialogues passent de la méthode à la science, qu’ils traitent « indirectement ». Ils se situent à un niveau intermédiaire, tels le Gorgias, le Théétète, le Ménon, l’Euthydème, le Cratyle, le Sophiste, le Politique, le Banquet et le Phédon111.
50Les troisièmes dialogues approchent les sciences (l’éthique et la physique) directement en tant que sciences. C’est par la République, le Timée et le Critias que Platon achève son œuvre philosophique en abandonnant la présentation indirecte qui trouve son apogée dans le Sophiste112.
51Cette approche se révèle bien être la concrétisation d’une idée-clé dont l’articulation théorique sera – après sa réalisation pratique que constitue la reconstruction globale de Platon achevée en 1804 – « l’Herméneutique », achevée en 1805113.
52Schleiermacher, pour avoir abordé de cette façon les écrits de Platon, devait déjà disposer de cette idée-clé. En reconstruisant méticuleusement chaque dialogue, il en a trouvé la confirmation chez Platon qui représentait pour lui – comme le demandait sa théorie de l’interprétation – et l’objet de la reconstruction et le partenaire d’un dialogue lui permettant de formuler sa pensée. A mi-chemin de sa reconstruction, Schleiermacher entame l’étude du Cratyle. Il y découvre un concept du langage qui correspond au sien mais surtout, chez Platon comme chez Schleiermacher, ce concept est opposé à un autre concept du langage, ce dernier relevant de la philosophie des Lumières (= Spätaufklärung) dont Wolf est l’un des derniers représentants. Schleiermacher retrouvait donc chez Platon non seulement son concept de la dialectique114 mais également son concept du langage. Il écrit, en effet :
« Observons comme il attaque l’opinion d’Hermogène et présente la langue, au lieu d’un ensemble compilé à l’aveuglette et validé par un simple contrat, comme une chose dont le développement est orienté vers une nécessité interne et comme l’image d’une idée, comme un instrument qui doit être évalué et amélioré par l’artiste qui en fait usage ».
53Platon selon Schleiermacher soutient l’existence d’un parallélisme entre la langue et la pensée qui exige que l’on recherche l’essence des choses à travers l’étude de la langue. Ce parallélisme est d’après Schleiermacher « une des choses des plus profondes et les plus grandioses qui ait jamais été dite sur la langue »115.
54L’opposition entre le concept de la langue comme code arbitraire de communication indépendant de la pensée, tel qu’il apparaît chez Wolf116, et la langue comme condition et accomplissement de la pensée117 est à considérer comme la source d’où jaillit l’opposition des deux herméneutiques que nous venons de décrire. Schleiermacher en est conscient puisqu’il écrit à son ami Willich, en 1805 : « Je fais des leçons sur l’herméneutique et je cherche à transformer une discipline qui jusqu’alors n’était qu’une collection d’observations en une science qui comprend la langue entière en tant qu’« Anschauung » et qui essaie, en venant de l’extérieur, de pénétrer dans son intérieur le plus profond »118. C’est ce concept qui introduit le « tournant herméneutique » que la discussion actuelle cherche toujours à localiser119.
55Reste à étudier comment ce nouveau concept du langage (dont l’origine serait à élucider)120 permet de comprendre les raisons qui ont conduit Schleiermacher à s’opposer à l’herméneutique des Lumières et à pratiquer une approche des écrits de Platon qui s’oppose aux approches précédentes, toutes plus ou moins consciemment tributaires de l’herméneutique des Lumières.
56Dans l’Herméneutique121, Schleiermacher part du langage comme Anschauung, ce qui signifie qu’il n’envisage qu’un seul aspect du langage, à savoir sa fonction descriptive liée à la sémantique. A toute langue correspond une description particulière du monde ; ainsi se constitue le berceau de toute connaissance122. Cette connaissance est acquise, confirmée et transformée par les individus qui utilisent la langue (Sprachgebrauch). La pensée individuelle se réalise par l’intermédiaire du langage. Une pensée originale ou artistique tranformera le langage123 : ainsi, les penseurs du Nouveau Testament, en utilisant des mots traditionnels, ont développé de nouveaux concepts et, par conséquent, modifié le langage124. Cette transformation est liée au principe créateur de la Selbsttätigkeit des Geistes, ou activité autonome de l’esprit. Si le discours est le produit de l’activité autonome de l’esprit qui s’exerce à l’aide du matériel fourni par le langage, la tâche de l’interprète impliquera une double reconstruction. Il s’agira, pour lui, de reconstruire le langage (la sémantique des mots, la sémantique des textes, soit der Sinn) et simultanément, de retrouver la spécificité de l’esprit du créateur du discours qui articule sa pensée au moyen du langage mais aussi contre la pression de la langue125.
57Cette herméneutique est alors philosophique, puisqu’elle cherche à découvrir le contenu d’une nouvelle Anschauung qui forme le fond d’un discours et dont le contenu provient toujours d’une pensée individuelle. Ainsi met-elle fin à l’idée selon laquelle seule une pensée abstraite se manifeste dans la logique de la démonstration126. Cette herméneutique prend pour modèle les textes qui sont manifestement des témoins de l’activité autonome de la pensée, les textes philosophiques (= scientifiques) et artistiques127. Or l’interprétation des écrits de Platon se révèle être une approche guidée par ce même intérêt et conduite à la lumière des mêmes préalables qui fondent l’Herméneutique128. Schleiermacher a pour seul but la reconstruction de la pensée conceptuelle (philosophique) de Platon dans sa cohérence interne. Pour ce faire, il procèdera à une double réduction.
58Une première réduction concernera les écrits de Platon : éliminant les écrits qui ne traitent pas de sujets philosophiques au sens strict, il réduit Platon à son « œuvre », c’est-à-dire à un système philosophique comprenant les trois disciplines de la dialectique, de la physique et de l’éthique. Sa comparaison du « savoir » platonicien et du « savoir » de son époque fait apparaître Platon comme le créateur du système qui fera alors de la philosophie un « savoir » systématique.
59La deuxième réduction est relative à la façon dont Platon traite les sujets de son système. Platon choisit la forme du dialogue et reprendra les mêmes sujets de trois façons différentes : après avoir procédé de façon purement élémentaire, il se livrera à une analyse méthodique, et parviendra ainsi à des premiers résultats ; il étudiera enfin les choses d’une façon systématique et darstellend.
60Platon n’expose explicitement son système que dans les trois dialogues de la République, du Timée et du Critias. Mais le choix du dialogue est lui-même un choix de la pensée, de la réflexion platonicienne sur le problème de la communication du savoir philosophique, ce qui ressort, selon Schleiermacher, dans le Phèdre129. Ce problème découle de la structure du savoir philosophique, qui est elle-même l’activité autonome de l’esprit (Selbsttätigkeit des Geistes). Comment transmettre alors un savoir sans détruire cette autonomie ?
61La solution tient à la réflexion sur la loi qui gouverne la vie spirituelle. C’est la loi du développement organique. L’esprit parcourt trois étapes : il part d’une vision globale, l’élabore et finit par l’articulation systématique de son parcours.
62La forme même du dialogue et l’ordre dans lequel se succèdent les dialogues se situent ainsi dans deux contextes distincts. La forme relève d’une réflexion de Platon sur la communication de la pensée, elle est voulue comme telle. L’ordre des dialogues, par contre, ne dépend pas de la biographie de Platon (Schleiermacher éliminera d’emblée cette hypothèse130, devenant ainsi la cible de la critique)131. Cet ordre ne relève pas plus d’un souci didactique, comme le prétendait la critique132. Il s’agit plutôt d’un développement intérieur :
« Je ne prétends pas par là que Platon, ayant déjà en tête le plan complet de ce dialogue (le Sophiste), a fait intentionnellement précéder ces autres dialogues (Euthydème, Théétète et Ménon) en vue de celui qui devait suivre ; on doit l’entendre au sens où l’on peut raisonnablement parler de l’histoire du développement d’une formation intérieure »133.
63L’explication de cette idée se trouve dans l’herméneutique puisque Schleiermacher constate :
« Mais l’unité de l’œuvre, le thème, est considérée comme le principe qui meut l’écrivain et les traits fondamentaux de la composition comme sa nature particulière révélée à travers ce mouvement »134.
64Il le dit pour Platon :
« Il est aisé d’indiquer en général combien la philosophie de Platon était déjà développée dans cette période et comment elle détermina la forme de ses œuvres »135.
65Il ressort de façon évidente que le discours particulier et l’ensemble des discours demandent une analyse similaire. L’idée qui incite l’auteur à composer un discours particulier se retrouve dans l’ensemble des idées, ou système philosophique, qui incite Platon à composer ses écrits comme une succession et un ensemble136. A chaque niveau, l’idée de l’écrit particulier ou du système se manifeste comme la vision globale initiale, comme le « germe ». Ainsi le Phèdre est le « germe » de la philosophie de Platon tout entière :
« A coup sûr toute personne qui s’y entend et qui a quelque expérience personnelle concédera que la vraie philosophie ne débute pas par une idée particulière, mais à tout le moins par l’intuition du tout... que les graines de sa philosophie soient présentes dans le Phèdre ne peut presque pas être nié ; mais il est aussi évident qu’elles n’y sont pas à l’état développé »137.
66Créateur de la forme du dialogue d’une part, et auteur de la succession déterminée des dialogues particuliers d’autre part, Platon occupe une place bien distincte parmi les penseurs de ce monde. Son parcours philosophique n’apparaît pas seulement comme le modèle parfait du parcours d’un esprit autonome. Platon se différencie de tous les autres philosophes, car il a réfléchi à ce parcours ; il se distingue également par une volonté délibérée de faire parcourir à son lecteur le même cheminement que lui (die grosse Absichtlichkeit). Schleiermacher, qui considère le travail de la pensée comme un circuit, prête la même idée à Platon138. Auteur des Introductions, il refuse de décrire au préalable le « système » de Platon puisque ce dernier apparaît au lecteur qui parcourt les dialogues dans l’ordre voulu par Platon, ordre rétabli enfin par Schleiermacher ; Platon est son meilleur interprète139. Schleiermacher se contente de souligner l’idée inhérente à chaque dialogue et les rapports entre les idées, pour que ses introductions présentent à la fois l’évolution intérieure de Platon et l’évolution du lecteur voulue par Platon. Cette démarche implique que l’on renonce à l’exposé du contenu doctrinal et, ce faisant, elle se distingue de toute la tradition des argumenta, de la forme de l’introduction établie140. Ce phénomène est peu apparent, il ne se dégage que si l’on considère les concepts de « la langue » et de « l’activité autonome de l’esprit » qui sont à son origine.
67L’auteur et le lecteur philosophes, en élaborant chacun en son lieu et en son temps une vision individuelle du monde (Anschauung), représentent deux « forces spontanées ». Pour parachever cette vision, il leur sera indispensable d’assimiler les autres visions existantes, en d’autres termes de comprendre la pensée de l’autre, pensée conservée dans un discours (écrit) et qui, jointe à d’autres discours, constitue la tradition philosophique et littéraire141. La philosophie, en tant que vision systématique, ne s’accomplit qu’au travers du dialogue avec sa propre tradition. Schleiermacher, tout en identifiant le lecteur au penseur-créateur, a voulu transformer la philologie en instrument d’accomplissement de la philosophie. Il a voulu transformer le triangle de la lecture en un dialogue entre penseurs.
68Il ne s’agissait pas, ainsi, de reconstruire une histoire de la philosophie (une doxographie), mais de mener l’esprit philosophique à son but ultime, le « savoir ».
Notes de bas de page
1 Cf. les études de H. Dörrie, Von Platon zum Platonismus, Opladen, 1976 (= Abh. der Rhein. Westf. Akademie der Wissenschaften, Geisteswissenchaftliche Vorträge 211) ; Geschichte des Platonismus in der Antike, I ss., Stuttgart, 1985 ss.
2 Voir ci-dessus ma contribution « Platonisme et tournant herméneutique... », p. 109 ss.
3 Homeri et Homeridarum Opera et Reliquiae recensione Fr. A. Wolfii, Halle, 1795 (18042). On dispose désormais d’une traduction anglaise des Prolegomena ad Homerum dans l’édition procurée par A. Grafton et G. W. Most, Princeton, 1985.
4 Ab hoc leviore et quasi desultorio genere plurimum discrepat iusta perpetua et certis legibus nixa recensio, Proleg., p. 2.
5 Après l’édition des œuvres de Platon dite « de Francfort » (Platonis Opera omnia, Francfort, 1602), qui est une réimpression de l’édition de Lyon (Divini Platonis Opera omnia quae exstant Marsilio Ficino interprete, Lyon, apud Laemarium, 1590), il n’y avait plus eu d’édition des œuvres de Platon en Allemagne. Ce sera le recteur de l’école de Thomas à Leipzig, J. Friedrich Fischer, qui fait le premier pas en publiant un choix des dialogues de Platon (Euthyphron, Apologie de Socrate, Phédon et Criton) d’après le texte d’Etienne, mais avec des notes critiques. Le même recueil, réédité en 1770, connut une troisième édition révisée en 1784, maintenant basée sur une nouvelle recension des manuscrits. Sous l’égide de Heyne à Göttingen, la société savante à Zweibrücken entreprend une réédition de l’édition d’Etienne avec la traduction de Ficin et des notes critiques en onze volumes entre 1781 et 1787. Cette édition, appelée Bipontina, sera le texte de référence jusqu’à Bekker. Elle est accompagnée par un tome contenant les Argumenta de D. Tiedemann qui, à la demande de Heyne, avait écrit des introductions doctrinales à chaque dialogue (Dialogorum Platonis argumenta exposita et illustra ta a Diet. Tiedemanno, Philosoph. prof. in academ. Marburgensi, Biponti, 1786). Les éditions de Wolf du Banquet et son Delectus (Euthyphron, Apologie, Phédon et Criton), publié en 1812 à Berlin et dédié à Humboldt, se basent sur une recension personnelle qui ne réalise cependant pas le programme scientifique réclamé dans les Prolegomena.
6 Proleg., p. 2 s.
7 ln illo nihil prope aliud quam passim exstantia aliquove libro prodita vulnera sanare volumus ; transmittere plura quidem bona et tolerabilia, sed ad auctoritatem nihilo meliora pessimis. Justa autem recensio bonorum instrumentorum omnium stipata praesidio ubique veram manum scriptoris rimatur, ibid.
8 « Des passages difficiles dans une langue connue ne surgissent que parce qu’on n’a pas non plus bien compris ce qui était facile » (Herm. K, p. 55 = p. 33 de la traduction française, Paris/Lille, 1987). « Double maxime de la compréhension. [Avoir] tout compris là où on ne remarque pas de non-sens. [N’avoir] rien compris qui ne soit construit » (Herm. K, p. 56 = p. 33 de la trad. franç.). L’articulation du même principe dans l’abrégé de 1819, Herm. K, p. 82, 83, VIII, 15 (trad. franç., p. 122) : « La pratique plus laxiste dans l’art part du principe que la compréhension se fait spontanément », 16 (trad. franç., p. 123) : « La pratique plus rigoureuse [dans l’art] part du fait que la compréhension erronée se présente spontanément et que la compréhension doit être voulue et recherchée point par point ».
9 Schleiermacher fit ses études de théologie à Halle de 1787 à 1789. Il y fit la connaissance de Heindorf et de Bekker, avec lesquels il se lia d’amitié. Bien qu’impliqué dans les querelles entre Wolf et ses disciples en 1816, Schleiermacher ne perdit jamais le respect pour les mérites scientifiques de Wolf, qu’il appelle, dans son discours à l’Académie de 1829, « le grand homme ». De Stolpe où il traduisait Platon, il écrit dans une lettre datée du 14 décembre 1803 : « La seule chose où je pourrais peut-être faire quelque chose d’utile pour le monde est bien la philologie, au sens supérieur où l’entend Schelling, et dont personne de nos jours n’a donné une meilleure présentation que Friedrich Schlegel. Mes idées ne seraient pas si englobantes que les siennes, et ma construction moins imposante, mais la réalisation en serait peut-être sous plusieurs aspects plus approfondie et plus maniable. Cette philologie supérieure n’a cependant aucune autre base que la philologie inférieure, et sans une grande virtuosité ici, l’autre reste suspendue dans les airs... Or il me manque encore beaucoup en ce domaine, et c’est la raison pour laquelle je n’oserai jamais me lancer dans une entreprise aussi ambitieuse que celle de Wolf et de Schlegel... » (Briefe, IV, p. 89 s.). Schleiermacher doit penser aux Prolegomena, qu’il cite dans l’interprétation technique de 1805 : « Qu’on distingue bien les limites du tout. De « véritables » absurdités ont été introduites dans la poétique par le fait qu’on a considéré l’Iliade comme étant, à l’origine, un tout, de même pour ce qui est du Pentateuque et de Josué » (Herm. K, p. 118 = trad. franç., p. 55). Cf. aussi Herm. Fr., p. 347.
10 Voir la citation supra. n. 8 (VIII, 16), ainsi que ci-dessous, p. 210.
11 Voir la citation supra, n. 8 : « la compréhension doit être voulue et recherchée « point par point »».
12 F.D. Schleiermacher, « Über Begriff und Einteilung der philologischen Kritik » (« Sur le concept et la division de la critique philologique », discours prononcé à l’Académie de Berlin le 20 mars 1830) (Herm. Fr, p. 347-360).
13 Cf. la remarque de Rudolf Pfeiffer, A History of Classical Scholarship 1300-1850, Oxford, 1978, p. 186 : « After Homer Plato has been Wolf’s favorite author. His friend F. Schleiermacher – they met in Halle 1804 – produced a translation and helped to promote Platonic scholarship ». Les rapports personnels entre Wolf et Schleiermacher furent toujours tendus (cf. W. Dilthey, Leben Schleiermachers, I/2, p. 110 s.). En 1787-1789, Schleiermacher suivait les cours de Wolf, mais n’était pas membre du séminaire comme Heindorf et Bekker. En 1804, il devint le jeune collègue de Wolf à Halle et, ami de Heindorf, il prit sa défense contre Wolf en 1816. Sur cette dispute, voir A. Körte, Leben und Studien F.A. Wolfs des Philologen, 2 vol., Essen, 1833, p. 109 ss. (« Buttmann und Schleiermacher über Heindorf und Wolf ») et surtout J.F.J. Arnoldt, Fr. A. Wolf in seinem Verhältnis zum Schulwesen und zur Pädagogik, 2 vol., Braunschweig, 1861/1862, p. 200 et notes 36-37.
14 Platonis Dialogi graece et latine. Ex recensione Immanuelis Bekkeri. III partes in VIII voluminibus et commentarius criticus, 2 tomes, Berlin, 1816-1823. Bekker collationna plus de soixante-dix manuscrits. Sur l’importance de son travail dans l’histoire de la critique textuelle cf. S. Timpanaro, La genesi del metodo di Lachmann, Florence, 1963, p. 26-28.
15 Platons Werke von Fr. Schleiermacher, deux parties en cinq tomes, Berlin, 1804-1810 ; partie 3, tome 1 (Der Staat), Berlin, 1828.
16 Ce livre fut retrouvé à la Bibliohèque Nationale de Paris grâce à la recherche d’un bibliothécaire anonyme. Il est cité de manière inexacte par l’éditeur des lettres de Wolf, Reiter, qui appelle Morel Jean Baptiste (Friedrich August Wolf, Ein Leben in Briefen. Die Sammlung besorgt und erläutert durch Siegfried Reiter, 3 vol., Stuttgart, 1935 ; III, p. 4 et 315).
17 J. B. Morel, Eléments, p. 11 s.
18 J. B. Morel, Eléments, p. 11.
19 Programme qui ne fut pas réalisé par Wolf même, qui était plutôt enseignant qu’auteur (cf. Arnoldt, Fr. A. Wolf, I, p. 111 s.).
20 J. B. Morel, Eléments, p. 26.
21 J. B. Morel, Eléments, p. 16, 22.
22 J. B. Morel, Eléments, p. 26.
23 J. B. Morel, Eléments, p. XI.
24 Fr. A. Wolf, Proleg., p. 2 ; J. B. Morel, Eléments, p. 7 s.
25 Fr. A. Wolf, loc. cit. ; J. B. Morel, Eléments, p. 73.
26 J. B. Morel, Eléments, XVIII, p. 73 et toute la deuxième partie (les huit causes) ; cf. Wolf, Vorlesungen über die Altertumswissenschaft, J. D. Gürtler (éd.), I, Leipzig, 1831, p. 303-349 (chapitre « Kritik »).
27 J. B. Morel, Eléments, p. 43.
28 J. B. Morel, Eléments, p. XI, XIV.
29 Wolf avait lu Morel comme étudiant à Göttingen. Il demande l’ouvrage à Heyne le 23 novembre 1784 (Briefe, I, p. 33). Il remercie Heyne le 25 mars 1785, mais exprime son désappointement. Comme le montre sa revue bibliographique au début de son cours sur l’Encyclopédie, il est déçu que Morel ne traite que les auteurs ecclésiastiques. Il loue cependant sa façon d’établir les règles (Vorlesungen, I, p. 303).
30 Sed de his in universum nemo ambigat : in Homero autem antiquissimo vate id ipsum dubitari video tantine tam novarum codicum auctoritas facienda sit (Proleg., p. 3).
31 Wolf, lettre à Wieland du 8 mai 1795 (Wolf, Briefe, 1, p. 160) : « Dès le début, j’ai considéré la chose simplement du point de vue d’une tâche historique, à peu près comme les théologiens considèrent parfois Moïse et les prophètes. Sans me préoccuper du succès, je cherchais la lumière, jetais quelques résultats sur le papier, mais sans jamais en toucher mot à quiconque durant neuf ans. Le très vénéré Moses Mendelssohn fut cependant responsable, avec trois ou quatre autres savants, de ce que j’approfondis le sujet. Je lui demandai ce qu’il pensait : était-il possible, chez un peuple où rien n’était écrit, et qui n’avait pour tout moyen de diffusion que des récitations d’une durée de quatre à six heures, qu’un poète, sans disposer de la moindre base où l’esprit humain doit dans de tels cas prendre appui, ait néanmoins conçu le plan de réaliser un monument aussi imposant que l’Iliade et l’Odyssée ? Mendelssohn répondit sèchement que non. Il me donna en outre toutes sortes d’idées sur la poésie hébraïque qui correspondaient tout à fait aux miennes ». Ce parallèle entre Homère et la transmission de l’Ancien Testament a été récemment souligné par A. Grafton (cf. supra, n. 3), p. 18 s., mais sans analyse approfondie.
32 Wolf, lettre à Böttiger (directeur de la collection des antiquités à Dresde) du 8 mai 1795 (Briefe, I, p. 157) : « J’ai rencontré de façon tout à fait inattendue Schützen à Leipzig... Il exprime encore ses doutes sur l’écriture, alors que la chose, à mon avis, est démontrée de manière rigoureusement mathématique » (je souligne, A. N.).
33 L’aspect de l’histoire universelle permet à Wolf d’établir une distinction entre les peuples moins développés et les Grecs (« Darstellung der Altertumswissenchaft » = Kleine Schriften, II, Halle, 1869, p. 817).
34 Cf. G. Finsler, Homer in der Neuzeit von Dante bis Goethe, Leipzig, 1911, p. 332 s., p. 458 s. (à propos de Heyne à Göttingen).
35 Johann Joachim Winckelmann, Geschichte der Kunst des Altertums, Dresde (Walthersche Buchhandlung), 1764 = Darmstadt, 1972, p. 207 : « L’art chez les Grecs comporte, comme leur littérature d’après les indications de Scaliger, quatre périodes principales, et nous pourrions en poser cinq. Car de même que chaque action et événement comporte cinq parties et pour ainsi dire degrés, le début, le développement, l’état stationnaire, le déclin et la fin, ce qui explique les cinq actes ou actions dans les pièces théâtrales, de même en va-t-il de leur succession temporelle. Cependant, comme leur fin tombe en dehors des limites de l’art, on ne doit proprement prendre ici en considération que quatre périodes ». Ce schéma de Winckelmann se retrouvera chez tous les historiens de l’Antiquité, et ce jusqu’à G. Droysen, Geschichte Alexanders des Grossen, 1833, Geschichte der Nachfolgers Alexanders, 1836, Geschichte der Bildung des hellenistischen Staatensystems, 1843 (qui réévaluait l’époque post-classique). Wolf reprend le schéma dans la Darstellung : « Ceux-ci [les restes du passé, œuvres et documents] nous sont venus de tous les siècles qui contiennent la naissance, l’éclosion, la croissance et le flétrissement des deux nations » (KI. Schr., p. 826). Friedrich Schlegel, admirateur de Winckelmann, voulait écrire une histoire de la littérature grecque qui aurait été le pendant de l’Histoire de l’art de l’Antiquité de Winckelmann. Schleiermacher hérite de ce schéma, qu’il réduit à trois moments : « ... Toutes les langues connaissent par contre les trois périodes que sont le développement, l’apogée et la décadence » (Abrégé de 1819 = Herm. K, p. 89, trad. franç., p. 131). Pour ce qui est de l’histoire de la littérature cependant, Schleiermacher, suivant Wolf dans son Discours à l’Académie, constate, en relation avec le problème spécifique de la formation des genres littéraires, qu’il convient d’en réduire les phases à deux : « La première est celle dans laquelle ces formes se sont progressivement constituées, l’autre celle dans laquelle elles ont régné » (Herm. K, p. 135, trad. franç., p. 167).
36 « Parce qu’il procédait ainsi [à savoir, étudiait les œuvres d’art sur la base d’une connaissance directe], il lui était possible de s’élever à ce qui est la fleur de toute recherche historique, aux grandes perspectives générales sur le tout et à une conception profonde de la manière de distinguer les développements de l’art » (« Winckelmanns Studienzeit », Kl. Schr., II, p. 740).
37 Proleg., ch. XVI s. et ch. XXXVI-XLII.
38 « Darstellung » (Kl. Schr., II, p. 810) : « Nous exprimons par là la plus haute tendance de la science, qu’il convient de nommer science de l’Antiquité [Altertumswissenschaft] ».
39 « Or ce but n’est pas autre chose que la connaissance de l’humanité ancienne elle-même, connaissance qui découle de l’observation, conditionnée par l’étude des restes du passé, d’une formation nationale éminente qui se développe organiquement » (« Darstellung », Kl. Schr., II, p. 883).
40 La description de la supériorité de la nation grecque par Wolf dans la « Darstellung » (Kl. Schr., II, p. 887-892) est accompagnée par une longue note reproduisant une lettre de Humboldt à Wolf où cette même idée est développée plus en détail.
41 Ces cours étaient annoncés de la façon suivante : Encyclopedia philologica in qua, orbe universo earum rerum quibus litterae antiquitatis continentur peragrato, singularum doctrinarum ambitus, argumenta coniunctiones, utilitates, subsidia, denique recte et cum fructu tractandae cuiusque rationes illustrabuntur (Kl. Schr., II, p. 812).
42 Publié dans le Museum für Altertumswissenschaft dont Wolf et Buttmann étaient les éditeurs, vol. 1, Berlin, 1807.
43 Kl. Schr., II, p. 829-834.
44 « ... Or pour penser la même chose que ce que l’écrivain a pensé en écrivant, il faut tout d’abord explorer le sensus grammaticus, où le sens réside dans les mots, conformément à l’usage linguistique. On peut cependant facilement illustrer jusqu’où celui-ci s’étend... en prenant l’exemple de quelqu’un qui, trouvant une lettre dans la rue, ne peut la comprendre entièrement, parce qu’il ne connaît pas les circonstances exactes où cette lettre a été écrite. Il a pareillement existé des livres qui présentent un sensus grammaticus du début jusqu’à la fin, et que l’on ne peut néanmoins pas comprendre. C’est pourquoi le sensus historicus est le seul vrai sens que l’on doit rechercher (je souligne, A.N.)... On entend par là tout l’ensemble des idées qui étaient dans la tête de l’écrivain que nous voulons comprendre. Ce n’est que grâce à ce sens que nous parviendrons à pénétrer dans le sentiment [Gemüth] de celui qui a écrit » (Vorlesungen, I, p. 294).
45 L’idée de « l’empathie » (sich hineinversetzen) est l’idée-clef de Wolf. « L’interprète doit avoir la facilité de se mettre rapidement au diapason (sich hineinstimmen) des pensées étrangères » (Vorlesungen, I, p. 273). « La première règle principale est : mets-toi dans l’état et dans l’ordre des pensées de celui qui a écrit » (Vorlesungen, I, p. 295). Dans la « Darstellung », il décrit l’herméneutique comme suit : « Car la compréhension au sens supérieur réside seulement là. Signification, ce par quoi l’exégète, partout chez lui, habite avec toute son âme tantôt à telle époque, tantôt à telle autre » (KI. Schr., II, p. 830).
46 « En ce qui concerne notre herméneutique, voici ce qui en est le concept principal : elle est l’art de ressaisir justement les mêmes idées ou sensations que celles qu’un écrivain a voulu nous donner par une série d’expressions, exactement de la même façon qu’elles étaient dans sa tête, c’est-à-dire avec les mêmes forces, enchaînement, etc., et de nous donner là-dessus des explications, ou de pouvoir faire comprendre par des mots ce que nous concevons dans notre tête. Pour cela, deux choses sont nécessaires : comprendre et expliquer. Comprendre signifie saisir quelque chose exactement comme l’autre l’a saisi. Voilà ce qu’est intellegere et quand cela se produit avec une finesse particulière, on parle de subtilitas intellegendi... Expliquer signifie exposer le seul vrai sens d’une phrase avec ses raisons et ses preuves » (Vorlesungen, I, p. 293). Wolf explicite ici la distinction d’Ernesti, le seul auteur d’une herméneutique biblique qu’il approuve (« Il existe une foule d’hermeneuticae sacrae particulières. La seule à laquelle on puisse rendre hommage est celle d’Ernesti », Vorlesungen, I, p. 292 ; cf. aussi p. 272).
47 Wolf lui-même souligne dans les Vorlesungen le rapport de l’herméneutique philologique à l’herméneutique générale des signes : « L’herméneutique ou art d’expliquer nous apprend à comprendre et à expliquer les pensées d’un autre à partir de leurs signes » (Vorlesungen, I, p. 272) ; « la discipline philosophique s’occupe en général de l’explication des signes (hermeneutica generalis est disciplina signorum explicandorum...). L’herméneutique spéciale pourra naturellement tirer un grand profit de cette herméneutique générale. Elle s’occupe spécifiquement des signes de la langue et est, d’un certain point de vue, de nouveau générale, quand on prend en considération les subdivisions qu’elle comporte. Nous parlons ici d’une herméneutique spéciale telle qu’elle concerne l’explication des anciens écrivains grecs et romains » (Vorlesungen, I, p. 292).
48 Voir la citation, n. 46.
49 « Le traducteur doit juger chaque langue pour elle-même et indiquer les sentiments que l’on a attachés à chaque expression. On voit là ce que signifie l’usus loquendi, et que l’on ne peut pas s’en tenir à la traduction littérale » (Vorlesungen, p. 280). Le jugement de Wolf sur Schleiermacher traducteur est négatif : « brave, mais traduisant Platon de manière illisible » (Briefe, I, p. 411). Voici ce qu’il écrit à l’occasion de la révision de sa propre traduction de trois dialogues de Platon (dans le Delectus, cf. supra, note 5) : « car celle-ci m’a toujours semblé être une chose plus difficile qu’un large et vaste commentaire, surtout si l’on veut faire parler Platon de façon à ce qu’il énonce pour ses frères non grecs les mêmes pensées dans un latin à tout le moins pré-néronien. Car ceux-ci se plaignent à fort bon droit que le traducteur allemand des œuvres leur a donné beaucoup trop de grec écrit en allemand, et une partie d’entre eux m’a prié de les aider à comprendre plus clairement au moyen d’un peu de latin » (Lettre à un destinatire inconnu du 6 janvier 1812, Briefe, II, p. 134). Pour la critique de ce concept de traduction, cf. Schleiermacher. « Über die verschiedenen Methoden des Übersetzens » (« Sur les différentes méthodes de la traduction »), p. 216-219, trad. franç. par A. Berman dans Les Tours de Babel, T.E.R., Mauvezin, 1985, p. 213-215 (repris dans la collection Points/Essais, Paris, 1999).
50 Pour l’explication historique, cf. supra, n. 44 : « c’est pourquoi le sensus historicus est le seul vrai sens que l’on doit rechercher » (Vorlesungen, I, p. 294).
51 « Les sciences se sont depuis lors [à savoir depuis le XVIe siècle] enrichies jusqu’à devenir méconnaissables ; les petits manuels des Modernes renferment plus d’énoncés bien fondés, plus de vérités reconnues, que les plus volumineux ouvrages des Anciens » (« Darstellung », Kl. Schr., II, p. 589).
52 Vorlesungen, I, p. 275 et 285 s., où sont distinguées explication esthétique (rhétorique et poétique) et explication logique. Dans la « Darstellung », seule connue de Schleiermacher, ce passage est fortement abrégé. Wolf y distingue entre interprétation grammaticale, historique et rhétorique, mais souligne le caractère incomplet de la théorie herméneutique telle qu’elle est, et répète le principe déjà souligné dans la Vorlesung : « expliciter en détail la manière de penser des siècles précédents, si différente de la nôtre, les particularités de chaque genre de discours, les traits individuels caractérisant la personnalité d’un auteur » (Kl. Schr., II, p. 830).
53 Cf. « Darstellung », Kl. Schr., II, p. 858.
54 A partir de Wolf et à cause de lui le philologue devient un professeur de lycée qui par l’enseignement de la culture grecque, forme la jeunesse selon le modèle formel grec. Pour ce rôle de Wolf éducateur, cf. J. F. J. Arnold, Fr. A. Wolf, 2e partie.
55 Cf. « Darstellung », Kl. Schr., II, p. 831.
56 Une recherche sur le concept de « traduction » dans l’humanisme me semble nécessaire. Elle éclaircirait l’histoire des termes et des concepts interpretatio/versio/ « interprétation ».
57 Voir supra, n. 43.
58 Wolf annonçait en 1790 une nouvelle édition de Platon, mais il fallut attendre l’année 1812 pour que la première partie fût publiée (Platonis dialogorum delectus pars I, Euthyphron, Apologia Socratis, Crito. Ex rec. et cum lat. interpretatione F.A. Wolfii. In usum praelectionum, Berlin, 1812). Après l’apparition d’un nouveau codex ramené de Grèce par Clark, Wolf espérait pouvoir l’utiliser, mais ses élèves le précédèrent. Parmi les nouvelles éditions, seule celle de Bekker présente un apparat critique convenable, mais elle reproduit l’ancienne traduction de Ficin, condamnée depuis longtemps par Wolf. Cf. A. Körte, Leben und Studien F.A. Wolfs, II, p. 92-110.
59 Sur Bekker, cf. Hertz, « August Boeckh und Immanuel Bekker », Philologische Anzeiger, XVI, 3, 1910, p. 224 s.
60 Briefe, II, p. 134 (cf. note 49).
61 Cf. Vorrede, p. XX s. Cette œuvre joue un rôle important pour Wolf. Elle lui ouvre l’entrée à l’Université de Halle où il fut engagé comme professeur de la pédagogie par le ministre de Frédéric le Grand, Karl Abraham Freiherr von Zedlitz. Voir l’autobiographie de Wolf dans Briefe, II, p. 344.
62 Cf. Einleitung, p. XXXVI.
63 Vorlesungen, II, p. 353.
64 Vorlesungen, II, p. 355.
65 Carolus Morgenstern, De Platonis republica commentationes tres, Halle, 1794. Voir : A. Neschke-Hentschke « Carl Morgenstern, De Platonis republica commentationes tres, Halae 1794 », Antike und Abendland, 36, 1990, p. 152-162.
66 Telle est la présentation qu’en donne D. Tiedemann, Argumenta, p. 171.
67 C. Morgenstern, Commentationes, p. 55, 88.
68 C. Morgenstern, Commentationes, p. 64 s., p. 91 s.
69 La première commentatio reconstruit la pensée de l’auteur conformément à une nécessité logique (cf. p. 50 s.). Morgenstern montre que le sujet est la vertu et non pas la cité (p. 55, 88). Une fois ce point acquis, il faut reconstruire la doctrine morale (p. 64, 91). Pour ce faire, Morgenstern se substitue à Platon et, au début de la deuxième commentatio, reproduit un monologue intérieur de Platon réfléchissant aux principes de la vertu (p. 94). La théorie politique méconnue par la critique philosophique est pour finir décrite et examinée par le moyen d’une explication (p. 203 s.) et d’une critique doctrinale (p. 179 s.).
70 Pour toutes les questions de la critique et de l’interprétation de l’« Herméneutique », cf. ma contribution « Matériaux... » dans le présent volume, p. 43 ss.
71 Abrégé de 1819, § 2, 1 (Herm. K, p. 76, trad. franç., p. 114), note de 1828 (Herm. K, p. 76, trad. franç., p. 114) note de 1832 (Herm. K, p. 159, trad. franç. p. 193, Herm. Fr, p. 71 s.).
72 « Il est convenable de commencer par l’herméneutique parce qu’elle est aussi nécessaire quand la critique n’a presque pas lieu, et en général parce qu’on doit cesser d’exercer la critique, mais pas l’herméneutique » (Herm. Fr, p. 71).
73 Lücke, dans sa préface à l’Herméneutique, souligne à juste titre que Schleiermacher avait séparé les disciplines de la critique et de l’herméneutique et qu’il les avait analysées au moyen de concepts clairs (Herm. L, p. XVI) : ceci est vrai de Wolf et d’Ernesti, mais aussi bien de Schlegel (cf. KA, XVI, p. 62-35).
74 « Même la plus grande construction historique, à laquelle nous ne nous astreignons ici qu’afin de mieux saisir l’ouvrage singulier de l’individu... » (« Discours devant l’Académie », 1828, Herm. K, p. 151, trad. franç., p. 182).
75 (Suite de la citation précédente) « ... trouve tout d’abord en même temps que lui sa transfiguration en ce qu’elle féconde notre propre moi et d’autres avec nous ».
76 Abrégé de 1819, § 2-4 (Herm. K, p. 76, trad. franç., p. 114 s.) ; note de 1832 (Herm. K, p. 159, trad. franç., p. 191) ; Dialectique, SW, III/4, 2, p. 259-261 (cf. Herm. Fr, p. 410 ss.).
77 Abrégé de 1819 contre Ernesti, Institutio interpretis..., Leipzig, 1761 (Herm. K, p. 82 et note, trad. franç., p. 122), dans le « Discours devant l’Académie » contre Ast et Wolf (Herm. K, p. 154, trad. franç., p. 186) : « Une chose seulement est claire, à savoir que la définition du mot et l’explication du fait ne sont pas encore une interprétation mais seulement des éléments de celle-ci, et que l’herméneutique ne commence qu’avec la détermination du sens en s’aidant toutefois de ses éléments ».
78 Je réserve le terme d’« herméneutique » à la théorie de l’interprétation, le terme d’« interprétation » à la pratique. Schleiermacher lui-même ne fait pas cette distinction. Il se sert néanmoins du mot d’interprétation comme un synonyme d’Auslegung (Herm. K, p. 57, trad. franç., p. 34 ; Herm. K, p. 113, trad. franç., p. 49).
79 Cf. « Matériaux... », dans ce volume p. 63 ss., et le « Discours devant l’Académie », Herm. K, p. 132 s. (trad. franç., p. 164 s.).
80 « Discours devant l’Académie » (Herm. K, p. 128-130, trad. franç., p. 160-163).
81 Abrégé de 1819, § 2-3 (Herm. K, p. 76, trad. franç., p. 114).
82 Abrégé de 1819, § 13-14 (Herm. K, p. 79-81, trad. franç., p. 118-121).
83 Abrégé de 1819 (Herm. K, p. 104, trad. franç., p. 149) ; Discours devant l’Académie (Herm. K, p. 131-133, trad. franç., p. 163-165) et cours selon Lücke : « dans une ère philologique par des philologues parfaits » (Herm. Fr, p. 72).
84 Notes de 1832/1833 (Herm. K, p. 159, trad. franç., p. 191) : « Les règles doivent plutôt être une « méthode » permettant de « reconnaître » les difficultés que des observations permettant de les résoudre ».
85 Pour Brucker, cf. J. Freyer, Geschichte der Geschichte der Philosophie, Leipzig, 1911, p. 21-49, et L. Braun, Histoire de l’histoire de la philosophie, Paris, 1973, p. 118-137.
86 C. Morgenstern, Commentationes, p. 66-73.
87 Cf. ci-dessous, p. 216.
88 Cf. Ulrike Zimbrich, « Un Etat étrangement imaginé », dans ce volume, p. 183 ss., en particulier 188 s.
89 Cf. Herméneutique de 1805 (Herm. K, p. 120, trad. franç., p. 57), Platons Werke, I/1, p. 31 et l’Introduction à l’Apologie, I/2, p. 125 : « L’Apologie ne peut, en tant que pur écrit de circonstance, trouver aucune place dans la série des productions philosophiques de leur auteur ».
90 Platons Werke, III, p. 9.
91 Cf. ma contribution « Platonisme et tournant herméneutique... », dans ce volume, p. 109 ss.
92 Platons Werke, I/1, p. 17 s., la critique de ses prédécesseurs qui ont établi une suite arbitraire des dialogues.
93 Platons Werke, I/1, p. 22 s.
94 Par ex. Platons Werke, III/1, p. 339 s., Hermeneutik und Kritik (Herm. L, p. 265-389 = Herm. Fr, p. 241-305) et Discours devant l’Académie du 20 mars 1830 (SW, III/3, Berlin, 1835 = Herm. Fr, p. 347-360).
95 « Sur les différentes méthodes de la traduction », p. 216, trad. franç., p. 293.
96 Loc. cit.
97 Par ex. l’Introduction à la République, cf. U. Zimbrich, « Un Etat étrangement imaginé », dans ce volume, p. 183 ss.
98 Consilium, propositum, selon Morgenstern, cf. Herm. K, p. 117, trad. franç., p. 54 ; Platons Werke, I/1, p. 39.
99 Cf. Herm. K, p. 142-146, trad. franç., p. 173-177, Platons Werke, III/1, p. 1 ; II/2, p. 250.
100 Herm. K, p. 56, trad. franç., p. 33 ; Herm. K, p. 139, trad. franç., p. 171 ; Herm. V, p. 1296, II, 2, II, 3, trad. franç., p. 97 s.
101 Cf. Herm. K, p. 160, trad. franç., p. 192 : « Nous obtenons exactement le même canon lorsque nous partons de la version qui exige de reproduire la démarche de l’auteur. Car pour tout ensemble d’une certaine importance il a lui aussi vu le tout avant de passer au détail ».
102 Cf. Herm. K, p. 147, trad. franç., p. 178 : « Mais, pas encore satisfait par l’étendue jusqu’ici de cette tâche, monsieur Ast nous montre une autre voie permettant de l’étendre, et qui n’est pas à dédaigner ».
103 Loc. cit.
104 Loc. cit.
105 Platons Werke, I/l, p. 6.
106 Platons Werke, I/l, p. 35.
107 Cf. Geschichte der Philosophie, SW, IV /1, p. 38 ; Platons Werke, I/1, p. 97-111.
108 Cf. Friedrich Schlegel, KA, XXIV.
109 Cf. l’Introduction au Cratyle, Platons Werke, II/2, p. 8 et I/1, p. 32-36.
110 Platons Werke, I/1, p. 30 s. ; II/2, p. 8 ; III/1, p. 8.
111 Platons Werke, I/1, p. 31 ; II/1, p. 8 ; II/2, p. 8 ; III/1, p. 8.
112 Platons Werke, II/2, p. 90 s.
113 Cf. « Matériaux... », dans ce volume, p. 43 ss., avec le tableau chronologique, p. 54 s.
114 Cf. G. Scholtz, Die Philosophie Schleiermachers, Darmstadt, 1984, p. 94 et p. 104.
115 Platons Werke, II/2, p. 9.
116 Cf. ci-dessus, n. 49, et A. Neschke, « Matériaux... », dans ce volume, p. 44 s.
117 Abrégé de 1819, Herm. K, p. 76, trad. franç., p. 114 : « Discourir est évidemment aussi une médiation de la pensée pour l’individu. La pensée est élaborée par un discours intérieur et, dans cette mesure, le discours n’est que la pensée devenue [manifeste] ».
118 Schleiermacher, Briefe, II, p. 26.
119 Cf. H. Birus, « Hermeneutische Wende ? Anmerkungen zur Schleiermacher-Interpretation », Euphorion, 74, 1980, p. 213-222.
120 Cf. A. Neschke, « Matériaux... », dans ce volume, p. 45 ss.
121 Pour une reconstruction plus détaillée de la théorie de l’interprétation de Schleiermacher, voir mes « Matériaux... ». Je me contente ici de citer les passages les plus explicites. Pour la notion d’Anschauung, cf. Herm. K, p. 58, 59, 63, trad. franç., p, 35, 37, 41.
122 Cf. « Sur les différentes méthodes de la traduction », p. 214 s., trad. franç., p. 291.
123 « Sur les différentes méthodes de la traduction », p. 214, trad. franç., p. 291 : « Mais d’un autre côté tout homme libre pensant par lui-même forme aussi de sa part la langue ». La Selbsttätigkeit joue le rôle le plus important pour l’interprétation de la forme du dialogue (voir ci-dessous, p. 218 s.).
124 Herm. K, p. 79, § 13.1, trad. franç., p. 118 s.
125 Cf. ma contribution, « Matériaux... », p. 46 s.
126 Cf. ma contribution, « Matériaux », p. 45.
127 Le discours sur les méthodes de la traduction est l’articulation la plus serrée et la plus claire du champ d’application du « comprendre » (cf. p. 215 s.). Schleiermacher y refuse la paraphrase pratiquée par Wolf, Morgenstern, Tiedemann et tous les commentateurs antérieurs des écrits de Platon. Par cette pratique ils pensent à tort pouvoir réduire l’individualité d’un discours et d’une pensée à un lieu commun dans toutes les langues (p. 217). Mais ils se trompent sur le caractère de leur objet. L’objet de la « traduction », par opposition au simple interprétariat, est le même que celui du « comprendre » : le texte créatif où la pensée améliore la langue. L’opposition faite entre les textes commerciaux et les textes artistiques marque alors l’opposition entre le modèle du texte de Wolf (un texte plutôt commercial) et celui de Schleiermacher. Dans la perspective de Schleiermacher, l’herméneutique de Wolf apparaît comme une extrapolation illégitime d’une méthode appropriée à un type de discours particulier ; dans l’optique de Wolf, l’herméneutique de Schleiermacher restreint le domaine de l’explication aux seuls témoins de la culture supérieure de l’esprit.
128 Le discours sur les méthodes de la traduction en est le meilleur témoin, puisque Schleiermacher demande au traducteur d’avoir préalablement « compris » dans le sens exigé par le programme de l’herméneutique. Cf. p. 215 : « Certes, celui qui s’est approprié cet art de la compréhension pour avoir consacré les efforts les plus intensifs à la langue, acquis la connaissance exacte de la vie historique du peuple, qui s’est fait la représentation la plus vivante des œuvres particulières et de leur auteur, celui-ci seulement peut avoir envie d’ouvrir à son peuple et à ses contemporains la même compréhension des chefs-d’œuvre de l’art et de la science » (trad. franç., p. 293-295).
129 Platons Werke, I/1, p. 14, p. 52. Une histoire de l’interprétation de ce passage n’est toujours pas écrite.
130 Platons Werke, I/1, p. 5 s.
131 Cf. August Boeckh, « Kritik der Übersetzung des Platon von Schleiermacher », Heidelbergische Jahrbücher der Literatur für Philologie, I/1, 1808, dans : A. Boeckh, Kritiken, F. Ascherson et P. Eichholtz (éds), Leipzig, 1872, p. 2 s.
132 Cf. C.F. Hermann, « Über Platons schriftstellerische Motive » (1839) dans : K. Gaiser (éd.), Das Platonbild, Hildesheim, 1969, p. 38 s.
133 Platons Werke, II/2, p. 98.
134 Herm. K, p. 103, trad. franç., p. 148.
135 Platons Werke, II/3, p. 8.
136 Cf. note 101.
137 Platons Werke, I/1, p. 52.
138 Platons Werke, I/1, p. 15.
139 Platons Werke, I/1, p. 7 et « Sur les différentes méthodes de la traduction », p. 218 s., trad. franç. p. 299.
140 Les argumenta de Serranus (cf. Platonis Opera quae exstant omnia. Ex nova Jo. Serrani interpretatione perpetuis eiusdem notis illustrato... excudebat H. Stephanus, 1578) et de Tiedemann, op. cit., sont des modèles parfaits du type de paraphrase que Schleiermacher récuse dans la leçon sur les méthodes de la traduction, et qu’il ramène à un faux concept de la langue (« Sur les différentes méthodes de la traduction », p. 217, trad. franç. p. 297).
141 Cf. ma contribution « Platonisme et tournant herméneutique... », dans ce volume, p. 109 ss.
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