« Le Shakespeare de la prose grecque ». Platon et sa philosophie dans la « critique » de Friedrich Schlegel1
p. 155-182
Texte intégral
Introduction
1« Il y a aujourd’hui trente-neuf ans que j’ai lu l’œuvre complète de Platon en grec pour la première fois, avec une inexprimable avidité de savoir ; et depuis lors, à côté de nombreuses autres tâches scientifiques, je n’ai cessé de considérer cette recherche philosophique comme ma préoccupation principale » (KA, X ; p. 179)2.
2Quand Friedrich Schlegel parle de philosophie, on voit généralement apparaître le nom de Platon. En 1828 encore, vieux conseiller d’ambassade impérial et royal, l’ami de jeunesse de Schleiermacher se rappelle avec vivacité comment « dans sa prime jeunesse, à l’âge de 17 ans environ [...], les écrits de Platon » l’ont initié à la philosophie (KA, IV, p. 24). Platon est le premier philosophe qu’il ait connu à fond ; avant Kant et Fichte, avant Spinoza et Böhme, Platon a marqué d’une empreinte décisive son « monde spirituel » (ibid.). C’est à lui que Schlegel, involontairement, mesure tous les autres penseurs.
3Des pensées inspirées de Platon se retrouvent dans presque tous les écrits de Friedrich Schlegel – de ses premiers essais sur l’Antiquité jusqu’aux dernières conférences théosophiques, d’où est tirée la petite déclaration citée en exergue. Pourtant, il n’est jamais parvenu à rassembler en une monographie approfondie ses vues sur le philosophe grec. Il avait fait bon nombre de tentatives dans ce sens : plusieurs projets de traduction datent de 1796-18043 ; à la même époque ont été composées au moins deux traductions complètes4, deux préfaces à des dialogues platoniciens5, des collections de matériaux6, et l’esquisse détaillée d’une Critique de Platon7 qui, espérait Schlegel, devait éveiller dans le monde scientifique un intérêt comparable seulement à celui qu’avaient rencontré les Prolegomena ad Homerum de Wolf8. Tous ces projets échouèrent. Mais leur échec – et c’est ce que la présente étude veut montrer – fut fécond : s’ils n’ont pas abouti, c’est qu’à chaque fois ils ont été dépassés par l’évolution extrêmement rapide de la pensée de Schlegel. Cependant, les travaux préparatoires – d’innombrables fragments, et les remarques sur Platon9 qu’on trouve éparses dans d’autres œuvres, mais surtout les deux longs passages consacrés à Platon dans les conférences de 180410 – montrent combien les études platoniciennes de Schlegel sont étroitement liées à ses réflexions générales sur la théorie poétique, philologique et philosophique de la modernité ; comment d’une part elles conditionnent celles-ci, et sont d’autre part orientées par elles. Cette interaction se révèle surtout fructueuse entre 1794 et 1804, pendant cette décennie qui a fait date de façon unique, non seulement dans l’évolution intellectuelle de Schlegel lui-même, mais dans l’histoire de la littérature allemande en général.
4La présente étude considère dans leurs traits saillants les recherches successives de Schlegel sur Platon au cours de cette période11.
1. Platon comme source historique (1788-1797)
5« Les ouvrages inspirés » de Winckelmann (KA, IV, p. 4) incitèrent Schlegel à composer en 1794 ses premiers essais sur l’Antiquité12. S’efforçant « de faire pour l’art de la poésie la même chose [...] que Winckelmann pour les arts figuratifs, c’est-à-dire en fonder la théorie au moyen de l’histoire » (KA, III, p. 334), le jeune érudit cherche à transposer directement l’ensemble du modèle historique proposé par Winckelmann – celui de l’évolution cyclique de l’art grec – à la littérature grecque. Déjà dans ces petits essais, on sent la tentation de prendre Platon pour garant et précurseur13 ; mais ce n’est qu’à partir de 1795 que Platon va jouer un rôle décisif dans les investigations de Schlegel. Cette année-là paraissent les Prolegomena ad Homerum de Friedrich August Wolf. Ils donnent aux intérêts de Schlegel une direction sensiblement nouvelle : à partir de ce moment, son attention ne s’attache plus tant à la poésie grecque dans son ensemble, mais principalement à ses origines. Après une réponse directe à Wolf – l’essai Sur la poésie homérique de 1796 – Friedrich Schlegel entreprend son œuvre maîtresse dans le domaine des études anciennes, l’Histoire de la poésie des Grecs et des Romains ; mais il ne la suit que de la « préhistoire orphique » au « siècle épique » d’Homère et d’Hésiode. Ensuite, et cela ne semble pas fortuit, son intérêt s’essouffle. L’œuvre demeurera à l’état de fragment.
6Une ambition plus élevée anime ce projet. C’est délibérément que l’érudit de 24 ans recherche l’affrontement avec Wolf dans le domaine le plus difficile des études anciennes : au plus profond de la « nuit de l’Antiquité », au sujet de laquelle – « comme Platon le déplorait déjà » – les Anciens eux-mêmes manquaient d’informations dignes de foi sur « les aspects les plus intéressants de l’art »14. Dans ce « labyrinthe », une méthode scientifique conséquente doit rayonner de la lumière la plus vive. Puisque les sources sont quasiment taries, il faut avoir recours presque exclusivement à la forme de critique philologique que Wolf présente comme la plus haute et la plus difficile, mais aussi la plus glorieuse : la « critique divinatoire ». Elle doit permettre de reconstruire dans son entier, à partir de « fragments d’un fragment », un savoir qui semble complètement perdu ; c’est-à-dire faire ressurgir la totalité d’un « monde englouti » à partir des « archétypes sublimes » qui sont tout ce que nous en avons conservé : les poèmes homériques.
7Pour le romantique Schlegel, ce n’est pas là l’objectif limité d’un travail de spécialiste, mais un programme révolutionnaire. Comme Rousseau et Herder, comme la plupart de ses contemporains, il rêve lui aussi de mettre fin, par un retour aux plus anciennes sources de la culture humaine, à toutes les contraintes politiques et spirituelles de l’époque moderne – de rajeunir et de sanctifier un monde désenchanté et privé de dieux. Grâce à une nouvelle méthode scientifique, il espère atteindre une connaissance qui aura pour conséquence ultime de dépasser toute l’érudition corporative qui a eu cours jusque-là15.
8Ainsi Schlegel, en 1797, se trouve devant une double tâche. D’une part, sa recherche doit produire des résultats tangibles, matériels ; il s’agit d’accéder à des sources authentiques sur les premiers temps de la poésie grecque. Mais cette vérité ne pourra être atteinte de façon sûre que si, deuxièmement, une analyse philosophique a préalablement (ou du moins parallèlement à la recherche empirique) garanti la validité de la méthode philologique. La première nécessité tourne Schlegel vers Platon ; la seconde le conduit aux esquisses théoriques qu’il trace pendant l’été 1797 dans le cahier intitulé Contributions à la philologie. Les deux recherches – platonique-poétique et méthodologique – sont parallèles dans le temps.
9Commençons par le problème des sources. D’emblée, parmi les prémisses fondamentales de Friedrich Schlegel, on trouve l’idée qu’« une histoire achevée de la poésie des Grecs [...] pourrait exprimer la plus grande partie, et le plus important, de ce qu’elle a à dire, avec leurs propres mots » (KA, I, p. 498). Cependant, parmi les penseurs importants de l’Antiquité grecque, il n’en trouve que deux qui traitent la théorie de la poésie avec la précision désirable : Platon et Aristote. Aucun des deux, pense-t-il, ne le cède en rien à l’autre en matière d’intuition philosophique. Cependant, pour ce qui est d’une vraie compréhension de l’art (et aussi en ce qui concerne la valeur du témoignage transmis)16, Aristote ne soutient pas la comparaison avec Platon. En effet, et bien qu’il soit l’autorité traditionnelle dans les questions de poétique, il ne saisit la poésie que d’une façon tout à fait extérieure : « Aristote ne sait diviser l’art que suivant les moyens de la représentation, la relation des personnages représentés à l’humanité réelle, et la forme extérieure de la représentation. [...] C’est seulement à propos du juste, du convenable et de l’élégant qu’Aristote exprime une sensibilité artistique propre ; malgré toute l’intuition dont il fait preuve pour apprécier la cohérence logique, la finalité technique, la conformité morale et même la totalité organique, on peut voir partout que le concept d’une unité proprement poétique lui fait entièrement défaut » (KA, I, p. 487 s.).
10Aristote manque ainsi de ce « sens classique » qui saisit une œuvre dans ses conditions historiques, et, en partant de celles-ci, la fait voir dans son « individualité » ; il lui manque, par conséquent, l’intuition de l’essence même de l’antique. Le « philologue » Aristote (KA, XVIII, p. 102, fr. 875) n’est pas un homme de l’Antiquité, mais un moderne. A son époque déjà, « la doctrine de l’art, comme l’art lui-même, et en même temps la doctrine de l’Etat et des mœurs, ont subi un immense déclin, qui touche la noblesse, la force et la pureté de leurs maximes, et se trouvent dans un état de dégénérescence incontestable » (KA, I, p. 488).
11Il en va tout autrement de Platon. Il vivait encore « à l’époque où la licence et l’indiscipline athéniennes, dans leur force encore intacte, dans leur liberté encore débridée, s’épanouissaient à tort et à travers ; et il était encore assez proche de l’époque où la vertu dorienne avait atteint sa plus haute floraison » (KA, I, p. 115). C’est pourquoi, en face de la sèche érudition livresque d’Aristote, il est « davantage un philosophe de l’art et un poète-philosophe » (KA, XVIII, p. 102, fr. 875) et il nourrit « le projet de faire de la philosophie la vraie poésie et la plus haute musique » (KA, XVI, p. 227, fr. 283) : « il tenait la philosophie pour la forme la plus hardie du dithyrambe » (KA, II, p. 255, fr. 450). Le jeune Schlegel est frappé par le fait que cette « prédilection pour le genre poétique du dithyrambe [...] se fait jour dans l’esprit et la coloration de toutes ses œuvres » (KA, 1, p. 465) ; que Platon cependant domine aussi tous les autres « genres purs de la prose grecque » (KA, II, p. 191, fr. 165) dans ses individualités classiques : « Du point de vue de l’universalité, Platon est le Shakespeare de la prose grecque. Il écrit en style dialectique, dithyrambique, panégyrique, analytique, logique, mythique et même thétique (le style du législateur). Il ne manque que le style dense d’un Tacite, et le style critique combinatoire » (KA, XVI, p. 160, fr. 883).
12C’est ensuite cette virtuosité littéraire, qui convaincra Schlegel que les informations données par Platon sur la poésie antique sont également vraies dans leur contenu : parce que Platon maîtrise le dithyrambe comme poésie, ce qu’il dit en général sur la poésie dithyrambique doit être juste ; son style dialectique atteste qu’il s’y connaît en dialectique ; son art du récit mythologique donne à ses digressions sur le mythe grec une très grande autorité. Il faut le croire : la véritable poésie n’est pas – comme le pensent les tenants du classicisme normatif qui s’accrochent à Aristote – une opération formelle de l’entendement, mais elle émane « d’un enthousiasme pur et profondément ressenti pour le divin et le beau » (KA, I, p. 365) – « mythe » (KA, I, p. 351) et « Eros » (KA, I, p. 596) ; et la poésie, entendue comme révélation du divin, remplit des fonctions législatives et politiques : « Les enseignements de Platon sur la détermination de l’art sont les matériaux grecs les plus pertinents pour une philosophie pratique de l’art. Or, la philosophie pratique des plus anciens penseurs grecs était politique de part en part » (KA, I, p. 351).
13Pour le jeune auteur de l’Histoire de la poésie des Grecs et des Romains, les écrits de Platon sont des sources historiques fidèles, parce que leur forme poétique reflète à chaque fois, avec une vérité esthétique, la spécificité individuelle de leur objet. Le jugement historique est un jugement esthétique, que Schlegel développe à partir de l’examen des dialogues platoniciens considérés comme des œuvres d’un art du langage. Du reste, il ne semble pas encore, à cette époque, les avoir analysées comme des œuvres d’art philosophiques, c’est-à-dire comme des structures de pensée organiquement construites. En tout cas, dans son ouvrage sur la poésie, il utilise les écrits de Platon tout à fait dans l’esprit de la philosophie éclectique du XVIIIe siècle ; comme les antiquaires érudits17, comme Winckelmann lui-même18, il tire de tous les dialogues des informations utilisables sur la poésie antique, pour les monter ensuite arbitrairement dans un ordre nouveau, sans tenir compte de leur contexte originel.
14A la même époque, les notes intitulées Contribution à la philologie cherchent à donner une assise théorique à cette intuition esthétique et formelle. Friedrich Schlegel y traite la philologie comme « une science purement formelle, c’est-à-dire un art » (KA, XVI, p. 42, fr. 98), et le philologue comme un artiste critique, un « virtuose de la forme historique » (KA, XVI, p. 49, fr. 165) ; la force qui l’anime est selon lui l’enthousiasme platonicien, l’amour du mot (« philo-logie »), « l’inspiration »19. Dans les Lyceums-Fragmente, écrits eux aussi en 1797, il décrète : « La poésie ne peut être critiquée que par la poésie. Un jugement sur l’art qui ne serait pas lui-même une œuvre d’art, soit dans sa matière, comme représentation d’une impression nécessaire dans son développement, soit par la beauté de la forme [...], n’a pas droit de cité au royaume de l’art » (KA, II, p. 162, fr. 117).
15Ainsi Schlegel, en 1797, au contact principalement des dialogues de Platon, apprend à conclure de la forme esthétique d’un exposé à la valeur de la méthode scientifique dont il donne les résultats. Platon lui-même, de ce point de vue, l’intéresse d’abord seulement comme une source sûre de données de fait. Ce qui le légitime dans cette fonction, cependant, c’est sa capacité à saisir de façon authentique l’« individualité classique » et à la mettre en lumière dans toute son universalité ; c’est-à-dire qu’il apparaît déjà comme le paradigme de la « bonne » méthode philosophique au sens de Schlegel, à savoir une philosophie qui « apprend à philosopher sans postuler ni limiter quelque caractère individuel que ce soit » (KA, XVIII, p. 26, fr. 90).
2. Platon comme maître de la forme philosophique (1798-1800)
16Au début de 1798 Schlegel achève le manuscrit du premier volume de l’Histoire de la poésie des Grecs et des Romains. Aussitôt il entreprend encore une fois de lire « tout Platon » (KA, XVI, p. 224, fr. 279). Pour son roman Lucinde, qui doit mettre en pratique sa doctrine poétique, comme l’histoire de la poésie l’avait fait pour sa doctrine philologique, il se propose avant tout pour modèles les « erotica » de Platon (KA, XVI, p. 247, fr. 190). Il les trouve dans le Banquet (qu’il imite en 1800 dans son Dialogue sur la poésie), mais surtout dans le Phèdre, le dialogue favori de Winckelmann20, qui « philosophe si aimablement sur la sainte ivresse du véritable amant, avec un esprit tout attique, et avec ce mélange socratique de plaisanterie et de sérieux qui reste plus obscur et secret à tant de gens, que tous les mystères » (KA, I, p. 405).
17C’est sans doute vers cette époque, se souvient Schleiermacher, « que Friedrich Schlegel, dans nos conversations philosophiques où Platon revenait si souvent, exprima, d’abord en passant, l’idée qu’il était nécessaire de donner à Platon la place qui lui revenait dans la situation actuelle de la philosophie, et, pour cela, de le traduire intégralement »21.
18Les cahiers de notes de Schlegel, et le projet de traduction effectivement entrepris en 1799, établissent que le porte-parole du romantisme d’Iéna pense avoir trouvé en la personne de Platon – le « philosophe de l’art », « intégralement politique » – une puissante antithèse à opposer à la philosophie transcendantale de l’époque. L’autorité de Platon doit permettre à la nouvelle génération romantique d’exprimer son insatisfaction à l’égard d’une philosophie dont le style illisible semble symboliser son éloignement total d’avec la poésie, la politique et l’activité vivante22.
19Une telle offensive contre la toute-puissante philosophie transcendantale, Schlegel le sait, ne peut convaincre que si l’on réussit à faire la preuve que la supériorité poétique de Platon correspond à une méthode philosophique plus forte. La perfection esthétique de l’exposé de la philosophie platonicienne doit être elle-même expliquée comme le résultat d’une manière de philosopher parfaite. Si Schlegel hésite encore longtemps sur « la façon de s’y prendre pour initier des dilettantes à Platon » (KA, VIII, p. 58), il est par contre certain que pour ce nouveau but, strictement philosophique, une simple traduction ne suffira pas ; l’analyse de la méthode platonicienne ne peut être menée que sous la forme d’une « critique ». Or dans une telle « critique de la philosophie », comme Schlegel le note dès 1797, « la philosophie doit nécessairement être considérée comme un art » (KA, XVIII, p. 79, fr. 601)23.
20Friedrich Schlegel décrit ce caractère « artistique », ou symbolique, de la philosophie dès 1795 – dans le contexte, déjà, d’une analyse historique de la philosophie platonicienne : dans son essai Sur Diotime24, il interprète globalement l’avènement de la philosophie comme un symptôme historique du déclin de la polis grecque, c’est-à-dire de la mythologie et de la poésie qui jusqu’alors soutenaient l’Etat. Pythagore le premier avait compris cela et, dans son activité de réformateur politique, avait entrepris « la première tentative, encore fruste » de renoncer tout à fait aux fondements fragiles de l’ancienne croyance aux dieux, « de diriger les mœurs et l’Etat conformément aux idées de la raison pure, d’unir la philosophie à la politique et à la musique doriennes et de s’opposer à l’esprit démocratique triomphant, non sans prédilection pour le système égyptien de la division en castes. Une tentative qui échoua pour une triple cause : tout d’abord parce que l’hellénisme était incompatible avec l’organisation égyptienne des castes, tout comme le dorisme était incompatible avec la philosophie, et enfin parce que le courant de l’esprit démocratique l’emportait inexorablement. Mais qu’est-ce donc que la philosophie de Platon, dans laquelle on retrouve tous ces traits, sinon la reconstruction, mûrie et parfaite, du noyau pythagoricien ? » (KA, I, p. 84 s.).
21Aux idées réformatrices de Platon lui-même, « la nature [...] s’opposait trop fortement » (KA, II, p. 605) ; les hommes de l’époque ne pouvaient pas suivre sa « raison pure », car ils ne reconnaissaient la vérité « le plus souvent, [que] de façon tout à fait imparfaite, à travers l’image du beau » (ibid.). Ainsi, l’effort pour restaurer au moyen des opérations de la raison, au moyen de la philosophie, l’harmonie perdue de l’homme grec avec la nature concrétisée dans l’ancien Etat (nature qui se révélait dans une poésie inspirée par les dieux), est désormais sans espoir.
22C’est seulement dans la conférence parisienne de Schlegel sur la littérature, en 1803, qu’on verra cette esquisse de philosophie de l’histoire développée plus avant25. Mais dès l’époque dont nous parlons – 1798-1799 – c’est sur elle que Schlegel se fonde pour juger à partir de critères esthétiques non seulement l’exposition d’une philosophie, mais l’activité philosophique elle-même : la philosophie « doit nécessairement être considérée comme un art », parce que son sens ne peut résider que dans sa forme. Puisque le divin, auquel la pensée humaine s’efforce d’atteindre, doit rester à jamais inaccessible, l’effort philosophique doit se prendre lui-même pour fin. La philosophie reçoit pour tâche de s’exposer elle-même symboliquement, cependant qu’elle gravite artistiquement autour de l’absolu perdu.
23La « méthode cyclique », que Schlegel a décrite peu de temps auparavant comme la forme fondamentale du travail philologique et de la connaissance philologique26, devient ainsi la seule méthode philosophique concevable, et donc la méthode universelle valant pour toute connaissance. En 1800, dans les conférences d’Iena sur la philosophie transcendantale, Schlegel définit « la méthode de la philosophie » comme une « activité d’expérimentation » qui cherche à « faire apparaître le tout » de la philosophie. Il montre que « la démarche de cette méthode est circulaire, c’est-à-dire qu’elle s’éloigne du centre, puis tend à nouveau vers le centre » (KA, XII, p. 18 s.).
24Avec cette « élévation » à une validité universelle, la méthode cyclique acquiert en outre une dimension métaphysique. La démarche de la spéculation métaphysique elle aussi, note Schlegel en 1798, « devrait se développer en plusieurs cycles, de plus en plus larges et plus grands. Une fois le but atteint, elle devrait toujours reprendre à partir du commencement – alternant le chaos et le système, élaborant le chaos en système et de là à nouveau le chaos (cette démarche tout à fait philosophique). Le Timée de Platon une logique de la nature » (KA, XVIII, p. 283, fr. 1048).
25Platon est en effet dans l’histoire universelle le premier penseur qui ait reconnu cette forme circulaire de la connaissance et l’ait constituée en une méthode philosophique si parfaite qu’elle forme et régit à elle seule les « contenus » les plus élevés de ses dialogues : « La nature cyclique de l’être suprême chez Platon et Aristote ne serait-elle pas la personnification d’une manière philosophique ? » (KA, II, p. 190, fr. 161). Parce que le vieil esprit artistique « athénien » survit en Platon, celui-ci est capable d’exposer sa méthode « cyclique », parfaitement dominée, dans une forme littéraire parfaite : le dialogue socratique.
26« Une objection contre un préjugé dominant, ou toute autre chose qui puisse éveiller énergiquement l’esprit de son inertie innée, donne le départ ; puis le fil de la pensée progresse inaperçu à travers un enchaînement serré, jusqu’à ce que le lecteur étonné se trouve tout à coup, lorsque ce fil se rompt ou se dénoue de lui-même, devant un but qu’il n’avait nullement attendu : devant lui s’étend une perspective infiniment vaste, et il se retrouve sur la route qu’il a déjà parcourue, sur la courbe du dialogue qui s’étend clairement devant lui ; et ainsi il s’aperçoit que ce n’était qu’un fragment d’un parcours infini » (KA, III, p. 50).
27« L’essence [de la philosophie] consiste dans une alternance en suspens, dans la recherche incessante et l’impossibilité de trouver tout à fait, dans le fait que toujours quelque chose soit donné à notre curiosité, mais demeure toujours encore bien plus éloigné ; et dans tout bon dialogue philosophique il doit toujours y avoir quelqu’un qui soit curieux et s’efforce de découvrir les secrets de la plus haute recherche, et quelqu’un qui soit en possession de ces secrets et désireux de les communiquer, et qui les trahisse toujours davantage ; mais si l’on croit qu’il va achever de faire et de dire ce qu’il ne peut ni ne doit dévoiler entièrement, alors il s’interrompt tout à coup, et, en nous offrant une perspective indéterminée vers l’infini, il éveille à nouveau notre désir » (KA, III, p. 100).
28Ce « modèle classique », cette « forme symbolique »27 de l’exposition philosophique, Schlegel croit savoir qu’elle se retrouve après Platon chez tous les penseurs qui ont pressenti quelque chose du « tout » de la philosophie. En tout cas, c’est cet « art dialectique suprême, incomparable [...], par lequel il se distingue entre tous les philosophes », qui légitime le rang de Platon comme « le plus grand artiste et écrivain philosophe » (KA, XI, p. 109), comme la première figure centrale de cette « littérature universelle » à laquelle le siècle de Goethe aspire comme à la réconciliation de la détermination historique et de l’exigence de l’idéal28. Platon, note Schlegel à la fin de 1799, est « désormais, pour la philosophie aussi, un classique » (KA, XVIII, p. 354, fr. 403) : « Platon contient réellement la sagesse, tout l’esprit de la philosophie est en lui. Il a tout su ; c’est-à-dire le tout, ce dont tout dépend » (KA, XVIII, p. 372, fr. 624).
29C’est en 1799 que l’enthousiasme platonicien de Friedrich Schlegel atteint son point culminant. Ce n’est plus seulement à cause des « matériaux » pertinents qu’il fournit « pour une philosophie pratique de l’art », ni non plus comme modèle de certaines théories esthétiques, que Schlegel l’admire, mais comme l’« archétype » inégalé d’une philosophie qui – tout à fait dans l’esprit du romantisme d’Iéna – se comprend elle-même comme la méthode d’un art de vivre universel. Il semble désormais suffisant de comprendre Platon pour comprendre, non seulement la philosophie grecque dans son ensemble29, mais l’essence de la philosophie en général.
30C’est pourquoi, à partir du début de l’été 1799, Schlegel, entraînant énergiquement avec lui un Schleiermacher d’abord sceptique, s’efforce d’accélérer le projet commun de traduction30. La série des dialogues doit être précédée d’un « traité distinct », dans lequel il médite d’exposer pourquoi « l’étude de ce grand auteur [...] constitue pour l’histoire de la philosophie le point de départ le mieux approprié et la conclusion la plus digne » – c’est-à-dire une « caractéristique » critique. Elle ne doit pas seulement s’adresser au public spécifiquement visé par la traduction, c’est-à-dire les « profanes » intéressés par Platon (dont les « exigences » plus sommaires seront en principe satisfaites par les « notes sur le texte »), mais au monde des philosophes de métier. Devant eux, et contre eux – c’est-à-dire contre la philosophie transcendantale contemporaine –, Friedrich Schlegel voudrait ériger Platon en classique de la vraie philosophie. Une comparaison avec Platon devrait démasquer d’un seul coup l’incapacité de Kant à la « spéculation la plus élevée »31, son impuissance à « construire en vue de la vie et à partir de la vie » (KA, VIII, p. 60), et l’inélégance de son style littéraire. Fichte et Lessing au contraire, penseurs apparentés à Platon, doivent être promus au rang de classiques d’aujourd’hui. Schlegel ne prémédite rien de moins qu’un bouleversement du canon des philosophes.
31Ainsi, il semble que sa pensée tourne seulement autour de ce projet de « caractéristique », lorsqu’en 1800 il annonce un peu précipitamment le premier tome de la traduction. Car lorsque cette entreprise échoue peu après, cela n’affecte pas le moins du monde le projet d’une « critique de Platon ». En 1803, l’essai semble sur le point d’être achevé. L’article qui l’annonce dans la revue Europa laisse voir que Schlegel, après comme avant, écrit contre le même rival en philologie – contre Friedrich August Wolf : « En matière de critique proprement dite, il n’est rien apparu d’important depuis l’immortel examen de la poésie homérique par Wolf. Mais après un tel progrès, la science peut bien marquer le pas un moment ; la suite donnera des nouvelles de ma critique de Platon » (KA, III, p. 11).
3. Les études platoniciennes de 1801
32La Critique de Platon ne verra jamais le jour sous cette forme. Cependant on trouve à la date de 1801 une esquisse développée du plan32, à partir de laquelle nous pouvons reconstruire de façon satisfaisante la forme et le contenu de l’œuvre projetée. Avec les Principes de l’étude de l’œuvre de Platon (qui ne nous ont été conservés que par une copie anonyme en possession de Wilhelm Dilthey), on a affaire à une série de rubriques consacrées au « caractère » de chacun des dialogues de Platon, classés en trois « périodes ». Au commencement et à la fin de ces analyses, Schlegel formule un bloc de « principes » directeurs au sujet de l’œuvre de Platon en général :
33« PRINCIPES DU PREMIER ORDRE »
341) Il y a un fil conducteur visible entre de nombreux dialogues, voire la plupart ; une relation intentionnelle à l’origine.
352) Tout chez Platon commence de façon indirecte, donc souvent polémique aussi ; de même donc chaque cycle de dialogues.
363) Chaque cycle se termine de façon transcendante, va au-delà du but initial – hyperbaton.
37Sont inauthentiques : les Lettres, l’Epinomis, l’Apologie, les Rivaux (ϕ), Alcibiade II (ϕ), Hipparque, Minos, les Lois (de Xénocrate, et de celui-ci peut-être aussi ϕ)33. [...]
38« PRINCIPES DU SECOND ORDRE »
39(NB : ils ne peuvent être découverts et apparaître clairement qu’en lisant les dialogues selon leur ordre véritable).
401) On doit en général chercher des intentions secondaires dans les œuvres de Platon. Beaucoup sont indiquées dans le détail du texte, mais pas toutes, tant s’en faut. Il y en a tellement que, là où l’on n’en trouve pas trace, cela peut donner naissance à un soupçon d’inauthenticité.
412) Si on lit les œuvres dans cet ordre, on découvrira dans chaque période des pensées de prédilection, qui reviennent souvent avec la même expression. Toutes les affirmations contenues dans les œuvres de Platon constituent, prises ensemble, une langue particulière. Une fois qu’on s’est familiarisé avec celle-ci, on voit apparaître en termes clairs beaucoup de choses qu’autrement on manquerait. Un passage de la fin du Ménon, par exemple, montrera alors immédiatement que c’est le Gorgias qui doit suivre » (KA, XVIII, p. 526 et 529).
42Nous reconnaissons sans difficulté dans les « Principes » ces « points critiques » qui, en indiquant les « tournures d’esprit » typiques d’un auteur, constituent le cadre de sa caractéristique34. Et puisque dans la Critique de Platon le contenu et la forme d’exposition doivent en quelque sorte se refléter l’un l’autre, nous ne nous étonnerons pas de reconnaître, dans les « points critiques » de la philosophie platonicienne, l’essentiel des maximes critiques fondamentales de Friedrich Schlegel : si le « principe » I, 1 prescrit de traiter le dialogue comme un tout « original », organiquement formé, I, 2 met l’accent sur le lien de Platon avec la « philologie » en général35, et II, 1 sur le lien caché de la philosophie de Platon avec un environnement historique à découvrir. I, 3 décrit le pouvoir d’« élévation à la puissance » de l’étude « cyclique » ; les « intentions secondaires » de Platon rejoignent le « langage chiffré », ironique et polysémique, que Schlegel lui-même affectionnait comme moyen stylistique36 ; il élèvera bientôt, et toujours en relation avec Platon37, le « langage particulier » (II, 2) au rang de principal caractère distinctif de la véritable philosophie.
43La question de la succession historique des dialogues platoniciens doit occuper le point central des recherches de Schlegel sur Platon. Ce ne sont pas seulement les exigences pratiques de la technique de l’édition qui l’incitaient à une décision rapide et définitive, mais surtout le fait que la « méthode cyclique » ne pourra accéder au rang de principe méthodique universel que si l’on réussit à établir que, à l’intérieur de l’ensemble formé par les œuvres de Platon, chaque dialogue occupe avec une absolue nécessité interne une place définie et inchangeable.
Les œuvres de jeunesse
44Sur ce point, Schlegel rejette les découvertes de l’exégèse platonicienne contemporaine – de Tennemann par exemple38 – et, avec Diogène Laërce et Olympiodore, il place son cher Phèdre au commencement de la « première période ». A celle-ci, qui porte « de façon très reconnaissable le caractère de la jeunesse », et qui date « du vivant de Socrate », Schlegel assigne en outre « 2) Parménide – 3) Protagoras [...] – a) Euthyphron – b) Théagès – c) Criton » et, comme hyperbaton (c’est-à-dire dépassement du but originel à la fin de l’œuvre, KA, XVIII, p. 402, fr. 983), le Phédon. Pour cette « première série des écrits platoniciens », il développera par la suite une sympathie particulière ; en 1806 encore, il les qualifiera d’« incontestablement supérieurs du point de vue philosophique aussi bien que du point de vue artistique » (KA, XIX, p. 170). Incontestablement, en tout cas, ce sont aussi les dialogues que Schlegel connaît le mieux. En 1801, il traduit intégralement, en vue de la publication, l’Euthyphron et le Phédon, et il écrit, pour ce dernier et pour le Parménide, de perspicaces introductions39. Il se peut qu’il ait existé d’autres travaux de Schlegel sur les œuvres de jeunesse de Platon, qui se seraient perdus au cours du XIXe siècle.
45Dans ces introductions de 1801 (qu’il faut se représenter comme le commencement d’une mise en œuvre de ce que les « Principes » esquissaient), Platon se présente à nous comme un Friedrich Schlegel grec. Nous suivons en détail comment le jeune « philosophe de l’art » entre en lice contre les philosophies systématiques qui régnaient alors en Grèce, et nous pouvons voir au passage comment la « méthode cyclique » commence artistiquement de façon indirecte : comme polémique. Celle-ci procède – suivant un mot que Schlegel utilise avec une fréquence remarquable – « hardiment » à la critique d’une « fausse dialectique » (KA, XVIII, p. 532) traditionnelle. Ainsi le Parménide est « une sorte de parodie philosophique » des Eléates, qui « tire son mordant et son efficacité polémique du fait que ces sophismes contre l’idée de l’Un sont placés dans la bouche de Parménide. Parménide doit se réfuter lui-même, à la manière de son disciple Zénon » (ibid.). De façon tout à fait semblable, mais cette fois sous la forme d’un « poème hardi sur les migrations et les transformations de la vie et de la mort dans ce monde et dans le monde souterrain », le Phédon est dirigé contre « la philosophie ionienne, et est en partie une réfutation, en partie une justification, de celle-ci » (KA, XVIII, p. 535). Des deux systèmes, Platon cherche à filtrer ce qui est utilisable, afin de le « synthétiser » – tout à fait dans l’esprit de Schlegel40 – en une nouvelle doctrine : « Ainsi nous constatons déjà ici, dans cette première période de la philosophie platonicienne, la même tendance qui se révèlera dans les écrits ultérieurs, comme la recherche déterminée d’une philosophie qui tienne le milieu entre le dualisme ionien et le réalisme éléate » (KA, XVIII, p. 535).
46Ce n’est pas par hasard que les efforts de Platon pour élaborer une « philosophie intermédiaire » rappellent les propres tentatives de Friedrich Schlegel pour allier, en une méthode universelle, « l’abstraction » spéculative de la philosophie transcendantale de Fichte à « l’historicisme » de Wolf et de Winckelmann. Comme Schlegel lui-même (par exemple dans les cahiers de la Contribution à la philologie), son Platon tente l’expérience d’élever des concepts techniques importés jusqu’à une validité universelle, en les « agrandissant et les élevant à une puissance supérieure avec la plus extrême hardiesse » (KA, XVIII, p. 536). Dans son effort pour « construire, ou plutôt créer, la véritable dialectique », le jeune Platon de Schlegel « part de ce qui est partout son but, et qui est toujours pour lui le plus important, la construction systématique des premiers principes » (KA, XVIII, p. 536). Dès le départ, l’intérêt de Platon ne va pas au système lui-même, mais seulement à la méthode qui le constitue41 en embrassant de façon synthétique tous les systèmes philosophiques précédents. Elle fait de la philosophie de Platon le jeu dialectique permanent, productif, des oppositions les plus aiguës. Ce sont ces oppositions, et non la doctrine des Idées, qui caractérisent proprement la philosophie de Platon « et proviennent en quelque sorte de la fabrique la plus intérieure de cette philosophie ». « C’est ici que nous trouvons non seulement les concepts de l’être et du non-être, ceux de la permanence et du mouvement, au conflit desquels Platon fait allusion dans tant d’œuvres, mais encore ceux de la détermination et de l’indéterminé, dont l’articulation fait l’objet du Philèbe, ensuite ceux de la simplicité et du divers, dont l’interaction est exposée dans le dialogue que nous appelons le Sophiste, et, outre celles-ci, d’autres oppositions encore. [...] Il faut citer ensuite celle de la communauté et de la séparation, qui pourrait bien avoir été l’objet de la partie perdue du Parménide » (KA, XVIII, p. 533). « (La tendance du Phèdre de Platon est probablement d’unir la pondération et le délire, l’un et l’autre portés à leur plus haute puissance) » (KA, XVI, 239, fr. 95).
47A cette « fabrique la plus intérieure » dans laquelle Platon forge les « articulations » entre des systèmes opposés les uns aux autres, Schlegel porte le plus haut intérêt. Avant d’examiner comment il développe ce motif pour en faire plus tard l’idée directrice de sa Caractéristique de Platon, portons notre regard sur les deux autres périodes telles que les présente l’esquisse de 1801.
La « seconde période »
48Dans la biographie de Platon, Schlegel situe les écrits de la seconde période entre « un voyage d’études en Italie, en Egypte et à Cyrène » et « les démêlés avec Denys ». La chronologie, jusqu’alors si claire, s’embrouille :
« A. Socratiques | B. Idéalistes |
1) Euthydème* | 1) Théétète |
2) Lysis | ϕ-** |
3) Hippias majeur | 2) Sophiste |
ϕ- |
49A. Socratiques
504) Le Banquet : hyperbaton du cycle
515) Hippias mineur : l’Hippias mineur n’est sans doute possible qu’après le Théétète
526) Ion : défi à Ion, et peut-être encore une fois à Lysias
537) Ménéxène
54* L’Euthydème se rattache peut-être au Politique ?
55** Les marques ϕ signifient des pauses dans le temps, par lesquelles on indique en même temps comment les deux séries, qui ont été élaborées parallèlement, doivent s’entremêler chronologiquement » (KA, XVIII, p. 527).
56Schlegel interprète également la seconde série comme principalement polémique, « peut-être avec une ironie polémique tournée contre les petits dialogues-miniatures des socratiques communs » (en particulier dans le Lysis, dont le Banquet « répète et explique pas à pas la démarche »), mais aussi contre la « fausse dialectique des Mégariques » (Euthydème) et des Sophistes (Hippias Majeur). « L’intention secondaire », « dans toute la seconde période », serait « de représenter Socrate comme un citoyen exemplaire ; dans la première période, il était défendu simplement du point de vue religieux ». Schlegel loue, comme les meilleurs dialogues de cette série, le Sophiste (« essentiel pour ce genre et la philosophie théorique pure de Platon ») et le Politique (« fausse tendance, en sortir pour entreprendre la politique »). En 1804 encore, dans les conférences de Cologne, il déplore la perte de la troisième partie annoncée par Platon, qui aurait contenu la définition du philosophe, car cette pièce « aurait sans doute apporté des résultats très intéressants et très importants ; et les deux premières parties comptent parmi les choses les plus remarquables que Platon ait écrites » (KA, XII, p. 212). Le Banquet au contraire, dont en 1804 il mettra l’authenticité en doute42, apparaît comme une répétition ironique et parodique du Lysis, « une revendication de sa doctrine noétique du Phèdre, qu’il désigne comme le premier de ces mystères », et, liée à cela, « l’intention secondaire de justifier Socrate sur le chapitre de la boisson et de l’amour ». C’est aussi comme une justification – justification de ses propres difficultés en matière de datation – que résonne la façon dont Schlegel caractérise cette seconde époque : « un artifice infini, insondable, se combattant soi-même sans parvenir à la perfection, et de ce fait souvent étrange, confus, pressé, morose, incompréhensible ».
La République et le Timée
57Il sera d’autant plus enthousiaste pour la « troisième période » de Platon, à cause de son « caractère d’achèvement sublime, de clarté, de plénitude, d’aisance – aisé à déterminer et immanquablement senti ».
58Friedrich Schlegel y dénombre :
59« 1) Ménon
602) Gorgias : essentiellement l’anéantissement des sophistes : ils ne sont pas capables d’enseigner la vertu et d’ailleurs ne sont même pas des orateurs.
613) Cratyle : Rien d’autre qu’une IRONIE sublime dans le parallélisme entre Parménide et Héraclite. La langue simple moyen. Tout entier comédie.
624) Lachès : Délicieux portique d’accès au grand temple ; si l’on ne voit pas le Lachès, le Charmide, le Philèbe, la République comme une œuvre unique, on ne peut en concevoir la grâce inouïe, aussi bien dans le style que dans la façon de traiter, eu égard à son étendue et à son objet.
63Préliminaires polémiques, en vue d’écarter tout ce qui fait obstacle au grand dessein.
645) Charmide.
656) Alcibiade I : peut-être avant le Lachès ; autrement le premier hyperbaton de cette classe.
667) Philèbe : premier hyperbaton de ce cycle.
678) République : le dernier.
689) Timée : troisième hyperbaton. Critias : inachevé.
69Que les deux sont un seul dialogue, ou des fragments d’un même dialogue, est dit expressément dans les introductions. [...] Aucun dialogue platonicien ne se rattache à un autre plus fortement, plus nettement, plus intérieurement que le Timée à la République, par le moyen de la récapitulation de celle-ci dans son introduction. Le Timée est resté inachevé, et Platon polissait encore sa République à la fin de sa vie : [...] ».
70Si Schlegel insiste nettement sur l’agencement « cyclique » des dernières œuvres de Platon, il souligne en même temps le classicisme particulier, aussi bien que le caractère métaphysique et religieux de plus en plus marqué, de ces écrits43. Le « grand dessein » de Platon culmine dans la République : « exposer la réalité suprême, totalement et clairement, selon les catégories de la vertu grecque – ἀνδρεἰα, σωϕροσύνη, ϕρόνησις, δικαιοσύνη ». La République et le fragment du Timée sont au plus près de cette « réalité suprême » : « l’ancienne philosophie tourne franchement à la Bible dans une œuvre singulière : la République et le Timée de Platon, ses œuvres περὶ παντός » (KA, XVIII, p. 355, fr. 415).
71De telles remarques trahissent au premier coup d’œil la bonne connaissance que Schlegel avait de la littérature savante de son temps. Le jeune érudit n’avait pas seulement étudié le commentaire de Proclus et les traductions de Marsile Ficin44 – il connaissait évidemment aussi la Bibliotheca Graeca de Fabricius, et des études contemporaines comme les De Platonis republica commentationes tres (publiées à Halle en 1794) de Friedrich Karl Morgenstern45, à qui il était lié par des relations d’amitié. De même il ne faut pas sous-estimer, pour leur influence sur Schlegel, les emprunts néo-platoniciens, avec de nombreuses références à la République, chez Winckelmann46.
72Schlegel paraît effectivement assez conventionnel, lorsque, en 1797-1798, il fait l’éloge de la « sagesse législatrice de Platon » (KA, I, p. 88) dans « l’immortelle République » (KA, I, p. 137) parce que son enseignement est « le ciment de tous les liens civils célestes et terrestres » et qu’elle constitue « un digne prologue à la religion de l’avenir » (KA, II, p. 258, fr. 27) ; cependant, ce sont précisément les concepts de la « religion » dans le Timée et de la « politique » dans la République qui montrent le mieux comment Schlegel remanie les topoi courants de la tradition des commentaires platoniciens en leur donnant un sens annonciateur de l’avenir. Il subsume encore les deux textes sous ces prédicats ; cependant il ne les rapporte plus à la matière, mais à la forme et à la méthode de ces dialogues.
73Ce n’est plus à cause d’un contenu « chrétien » ou politique que Schlegel voit dans « le Timée et la République des écrits déjà religieux » (KA, XVIII, p. 236, fr. 514), mais bien parce que Platon, par un calcul littéraire sublime, les a consciemment façonnés en œuvres d’art qui, comme la Bible elle-même, sont susceptibles d’une interprétation infinie47. Platon obtient cet effet, non pas seulement en traitant « περὶ παντός » de façon cyclique, mais – chose bien plus importante ! – en « synthétisant » ensemble tous les moyens poétiques concevables. Avant tout, Schlegel lit la République comme le manifeste d’une « science qui tend à l’unification » (KA, XVIII, p. 6, fr. 22). Comme d’ailleurs Winckelmann48 à l’époque de Schlegel, Platon recherche « dans la forme et la matière du savoir [...] l’absolue unité » (KA, XVIII, p. 6, fr. 25), l’absolue « universalité harmonique » (KA, II, p. 253, fr. 438), qui certes ne se laisse jamais atteindre complètement dans la réalité et demeure pour cette raison un but « mystique ». Du point de vue historique, une telle « mystique » marque « le commencement du processus progressif de culture [...] par lequel l’unité advient dans l’histoire » (KA, XVIII, p. 6, fr. 23). Ainsi Schlegel trouve dans les dernières œuvres de Platon, ce « prince des mystiques » (KA, XVII, p. 208, fr. 138), « le commencement de l’histoire du progrès humain » (KA, XVI, p. 61, fr. 430). C’est précisément la République qui, en raison de sa richesse de style et de thèmes, « doit donc contenir le plus de fibres pour la politique, et – si paradoxal que cela paraisse – pour l’histoire » (KA, XVIII, p. 6, fr. 22). En d’autres termes, elle semble avoir pour Schlegel la valeur de paradigme d’une méthode historique et critique. En tout cas il admire dans la République et le Timée « l’idéal de la création et de la construction » (KA, XVIII, p. 327, fr. 35), ce qui revient à dire l’idéal d’une philosophie formellement parfaite49.
74« L’infini » comme symbole du religieux, les dernières œuvres de Platon le reflètent à l’aide de moyens linguistiques, stylistiques, logiques et méthodiques. Au plan linguistique, il unit en virtuose toutes les formes créées au cours de l’histoire de la prose grecque – « histoire, rhétorique, critique, législation même » (KA, XI, p. 112 s.) – pour y prendre à chaque fois délibérément la « tonalité » qui réalise le mieux son dessein littéraire du moment. Dans la République, où cette façon de faire trouve son point culminant, Schlegel voit ainsi « le pressentiment d’un romantisme absolu dans le style », c’est-à-dire « une prose artistique complètement imaginative et sentimentale » (KA, XVI, p. 159, fr. 880). Platon atteint le sommet de son art poétique dans la « prose dithyrambique » (KA, XVI, p. 159, fr. 875) qui le caractérise, et dans laquelle il allie l’ancienne forme cultuelle du dithyrambe avec la prose moderne, pour former ainsi – avec des moyens purement linguistiques – une « caractéristique de l’amour de Dieu » (KA, XVIII, p. 236, fr. 514).
75Comme nous l’avons déjà vu, le Platon de Friedrich Schlegel aime à emprunter le vocabulaire d’autres philosophes pour le critiquer de façon parodique. Comme Schlegel considère que ce langage ironique et distancié est déjà à lui seul le signe distinctif de la « philosophie absolue – c’est-à-dire historique »50, l’usage de la parodie lui apparaît comme « constituant, à proprement parler, l’élévation à la puissance ; l’ironie est tout simplement le substitut de ce qui devrait aller à l’infini » (KA, XVIII, p. 112, fr. 995) : « l’ironie tend à rendre absolue la matière, comme la parodie la forme » (KA, XVIII, p. 110, fr. 968). Platon écrit le langage de l’infini.
76Cette « absolutisation » de la forme, Platon la symbolise, et l’élève au niveau de la logique, au moyen d’une démarche intellectuelle rigoureusement mathématique. La mathématique a pour lui la valeur d’un « symbole de la philosophie absolue » (KA, XVIII, p. 105, fr. 907) ; selon « la conception spirituelle [...] qu’il en a », il lui est possible, à partir de la mathématique, « de développer une abondance de beauté symbolique et de signification, riche nourriture pour l’inspiration poétique et artistique » (KA, II, p. 324). Ainsi la mathématique élève le caractère du Timée, tout particulièrement, au niveau d’une « doctrine de l’art » (KA, XVIII, p. 324, fr. 514)51, c’est-à-dire – d’un point de vue moderne – une « doctrine des formes de l’histoire absolue » (KA, p. 105, fr. 909)52. C’est aussi la logique mathématique pure, à laquelle tout se subordonne, que la philosophie de Platon – comme celle, apparentée, de Spinoza53 – finit par transformer en « mystique ». Platon pousse l’emploi pur de la logique54 jusqu’au point où elle devient transcendantale, jusqu’à « l’intuition intérieure de l’infini » (KA, II, p. 180, fr. 102). Précisément dans ses dernières œuvres, Platon approche « de toutes parts [...] la raison infinie » (KA, XVIII, p. 303, fr. 1305). Celle-ci débarrasse sa réflexion de tout contenu matériel pour se penser seulement elle-même : « Pour Platon [...] l’expression dans sa plénitude et sa beauté n’est pas un moyen, mais un but en soi » (KA, II, p. 325).
77Dans les dernières œuvres de Platon, la raison pure se caractérise elle-même. Elle le fait en posant comme absolus le moyen et la technique d’exposition, c’est-à-dire qu’elle les déploie « purement » pour eux-mêmes, sans but pratique, sans contenu individuel55. Ou plutôt, « l’individuel », dans ce cas, est la pensée absolue elle-même. Et si Schlegel lui-même n’emploie pas ce concept, il semble bien pourtant qu’il pense avoir trouvé dans la République et le Timée une sorte de « caractéristique en soi »56.
La Caractéristique de Platon dans les conférences de 1804
78Je ne dois pas cacher que mon exposé de l’interprétation des dernières œuvres de Platon par Friedrich Schlegel est un essai de reconstruction. Ce que Schlegel a pensé dans les années 1800-1801 au sujet de la République et du Timée peut seulement être inféré à partir d’une poignée de fragments dispersés. Enfin, le projet de traduction exigeait d’abord une entière concentration sur les premières œuvres ; les écrits de la maturité devaient avoir leur tour plus tard.
79Les choses cependant ne se passèrent pas ainsi. En 1801 commence « dans l’existence de Schlegel un changement si radical [...] que l’on peut considérer cette période comme le tournant décisif de son existence »57. La fin de la revue Athenaeum (août 1800), la dispersion du cercle d’amis d’Iéna, la mort du meilleur ami de Schlegel, Friedrich von Hardenberg-Novalis (mars 1801)58, des chocs personnels, comme l’échec de sa carrière universitaire à Iéna, et des difficultés financières croissantes, interrompent apparemment la continuité des travaux de Schlegel. En juillet 1802 il s’installe à Paris pour un an et demi. Là, des études intensives de sanscrit et de littérature médiévale élargissent ses horizons et déplacent le centre de ses intérêts scientifiques. Un long essai sur les Pensées et opinions de Lessing59, à l’occasion d’une édition, est le dernier essai de « caractéristique » individuelle de Schlegel. Ensuite, il se préoccupe pendant un temps de vastes thèmes encyclopédiques, tels que l’Histoire de la littérature européenne, L’Evolution de la philosophie ou La Langue et la sagesse des Indiens60. Schlegel développe ces « caractéristiques » historiques monumentales dans des conférences privées, qu’il alimente de toute sa riche érudition de détail – et entre autres également des fruits de ses études platoniciennes. La « méthode cyclique » suscite des encyclopédies historiques ; cependant, l’incontestable succès pratique de celles-ci l’éloigne visiblement du centre de l’attention de Schlegel. La nécessité d’élaborer de façon critique d’importantes masses de matériaux historiques, et aussi une inclination croissante vers le catholicisme, conduisent le ci-devant théoricien de la méthode à s’interroger toujours davantage sur le contenu intérieur essentiel des philosophies.
80Ce déplacement d’intérêt laissera des traces visibles sur l’image que Friedrich Schlegel a de Platon. La perspective se modifie sous deux rapports : d’une part Schlegel considère désormais Platon comme une figure individuelle dans le contexte d’une histoire universelle de l’esprit ; de l’autre, il enquête désormais avec persévérance sur le contenu de la philosophie de Platon. L’un et l’autre points de vue relativisent l’enthousiasme platonicien de sa jeunesse.
81A partir de l’été 1801, les recherches platoniciennes de Schlegel sont au point mort. Cependant le projet d’une Critique de Platon demeure vivant ; en février 1803, Schlegel l’annonce dans la revue Europa. Pourtant ce n’est pas sous la forme d’un ouvrage imprimé qu’il présente le 16 janvier 1804 sa Caractéristique de Platon, mais comme une partie, librement exposée, d’une conférence privée sur l’Histoire de la littérature européenne. La première partie de cette conférence fait la synthèse des anciennes esquisses, dans lesquelles Platon était célébré comme un maître de la forme esthétique. La seconde partie s’appuie au contraire sur une lecture renouvelée de Platon qui, comme l’attestent les cahiers de notes de Schlegel61, se poursuivra au printemps 1804. L’ensemble des résultats de ces travaux documente la conférence de l’été 1804, à Cologne, sur L’Evolution de la philosophie en douze livres : quoique Schlegel, dans le chapitre qu’il consacre ici à « La philosophie de Platon », emprunte littéralement à la Caractéristique, et en outre l’élargisse sur des points essentiels, Platon apparaît désormais simplement comme un philosophe parmi tant d’autres.
82Par contre, dans la conférence sur la littérature, il occupe la position centrale. C’est notamment le seul écrivain à qui Schlegel consacre un chapitre spécial dans cette œuvre ; et un chapitre dont la longueur excède celle de tous les chapitres suivants, quoique chacun d’eux traite de l’ensemble d’une littérature nationale – ancienne littérature française, littérature italienne, ancienne littérature anglaise ou allemande. La littérature grecque elle-même semble tendre tout entière vers Platon. Tout à fait dans l’esprit de ses débuts winckelmanniens, Schlegel la caractérise comme une unité organique, comme un parcours circulaire dans lequel, conformément à son programme critique, il traite dans des sections séparées « le commencement, le sommet et la fin » (KA, III, p. 53), les débuts (« l’âge épique »), la floraison (« l’âge lyrique et dramatique ») et le déclin (« la philosophie grecque »). La Caractéristique de Platon – Aristote est seulement évoqué en passant – constitue la fin de la dernière section, et résume ainsi toute la littérature grecque. Or comme Schlegel consacre une bonne moitié de la conférence dans son ensemble à la littérature grecque, Platon, du coup, se trouve placé au milieu de la littérature européenne en général.
83C’est consciemment que Schlegel conduit aussi les quatre « cycles » de la section sur « la philosophie grecque », dès le début, vers un point culminant qui est Platon. Dans une introduction générale, il esquisse d’abord les difficultés de l’histoire de la philosophie par opposition à une « histoire de la poésie », et la fait suivre d’une histoire de la réception de la philosophie classique du Moyen-Age jusqu’à Kant, pleine de prises de position polémiques. Comme un dialogue platonicien, ou plutôt un cycle de dialogues platoniciens, la caractéristique de Schlegel débute de façon « indirecte [...] donc polémique ». Dans la seconde étape, cette base historique se renforce. Suivant en cela Aristote, mais « surtout Platon » (KA, XI, p. 104), Schlegel s’efforce, « d’un point de vue large et général » (KA, XI, p. 112), de « classer » les philosophes grecs en « deux classes principales », les « philosophes de la nature » ioniens, et les « moralistes », ou mieux « idéalistes » doriens : « Ces deux classes représentent la première grande époque de la philosophie grecque, que l’on peut appeler ÉPOQUE DE LA DÉCOUVERTE. Elle se subdivise en trois périodes, celle des cosmogonistes et physiciens, celle des moralistes – ou, pour parler comme les Anciens, des politiques – et celle des critiques et érudits. Dans la première, nous trouvons Thalès et les autres physiciens, la seconde comprend Pythagore, Socrate et Platon, et la troisième Aristote. La seconde grande époque, celle des IMITATEURS, comprend tous les philosophes postérieurs à Aristote » (KA, XI, p. 104).
84Comme on ne peut pas comprendre Platon si « on ne connaît pas également toute la masse de la culture politique, morale et philosophique des Grecs dans son ensemble » (KA, 1, p. 352), Schlegel cherche à caractériser tous ces penseurs en traits sommaires. De tous, remarque-t-il, il ne nous reste « ni des ouvrages entiers, ni des informations historiques vraiment complètes » (KA, XI, p. 104), ce qui, selon les principes exposés précédemment par Schlegel, rend impossible une véritable « caractéristique ». Ainsi, « pour l’histoire détaillée de la philosophie grecque proprement dite, il ne nous reste que la caractéristique de Platon et d’Aristote. Comme d’autre part ce dernier n’a pas été suffisamment étudié et que l’authentique et l’inauthentique se trouvent encore mêlés dans son œuvre, il faut pour le moment se borner à Platon » (KA, XI, p. 112). C’est pourquoi les trois chapitres qui suivent – « De l’origine de la prose », « Du contenu et de la matière de la philosophie, et de son essence propre », et la Caractéristique – s’attachent exclusivement à Platon.
85La thèse platonicienne de la récupération d’une connaissance originelle est le leitmotiv des deux premiers chapitres cités. Dans le chapitre sur la prose, qui contient les premiers linéaments d’une théorie schlégelienne du langage, Schlegel part de l’idée que la langue et l’écriture sont apparues en même temps, mais que celle-ci aurait été « perdue » par les Grecs. La nécessité de fixer les lois et l’histoire, et d’expliquer une tradition devenue incompréhensible, avec « la plus grande clarté et la plus grande précision possibles » (KA, XI, p. 114), c’est-à-dire dans une prose qu’il était difficile de bien mémoriser, aurait exigé que l’on réinvente l’écriture. C’est donc une exigence proprement philologique qui aboutit à la naissance de la langue philosophique. Comme la prose cherche à fixer dans des concepts cet « infini » que la poésie ne fait qu’indiquer à l’aide de « visions », elle devient l’expression adéquate de la « situation artificielle et violente » dans laquelle se trouve la philosophie. Schlegel la présente comme « l’effort pour reconstituer les plus anciennes révélations du genre humain, cette source perdue de toute connaissance, de toute poésie et de toute pensée » : « On se figure souvent, à tort, la plus haute culture spirituelle de l’humanité comme l’éducation progressive d’une bête sauvage ; on peut au contraire établir historiquement que, dans les premiers temps les hommes étaient plus merveilleux, plus artistes, plus amoureux, plus libres, plus poètes, plus moraux que dans les époques plus tardives » (KA, XI, p. 117). A l’époque de Socrate, toutes les espérances de « réaliser effectivement dans la vie humaine » cette beauté originelle, avaient été définitivement détruites. C’est ce qui avait conduit « Socrate, Platon et leurs disciples, à s’isoler tout à fait de l’Etat, de toutes les relations et préoccupations civiles, et à vivre simplement pour eux-mêmes, pour leurs pensées et pour le savoir » (KA, XI, p. 118). Platon a aussi ignoré délibérément la littérature savante de son temps, car il voulait « simplement penser par lui-même et exposer ses pensées de façon artistique, pour conduire ainsi les autres à la reconnaissance du vrai et du beau » (ibid.). Dans cet effort littéraire et artistique, il découvre « la dialectique, l’art de convaincre et d’enseigner ».
86C’est ici que commence la Caractéristique de Platon proprement dite. Dans une première étape « cyclique », Schlegel décrit la forme non-systématique du dialogue platonicien comme le symbole de l’infini, la meilleure expression de « la pensée autonome en commun » : « Il n’épuise jamais tout à fait sa pensée, et il cherche à exposer artistement en dialogues cette démarche d’un esprit qui pousse toujours plus avant vers le savoir accompli et la reconnaissance de la réalité suprême, cette évolution, cette construction, ce développement continuels de ses idées. Et c’est là également le trait caractéristique de la philosophie platonicienne » (KA, XI, p. 120). Cet éloge sans restriction de la forme et du mode d’exposition de la pensée platonicienne reçoit quelque nuance, lorsque Schlegel, dans un second « cycle », en vient à parler du contenu philosophique des dialogues de Platon. Là, en effet, il s’efforce de montrer que la forme idéale historiquement explicable – de l’acte de philosopher chez Platon, est acquise au prix de faiblesses théoriques, elles aussi historiquement déterminées.
87Pour Schlegel, ce n’est nullement une découverte. Dès 1797, pendant son travail sur l’Histoire de la poésie des Grecs et des Romains, il avait manifesté de l’irritation devant certains jugements historiques erronés de Platon62. En 1798, il les rapporte à une tendance à « l’abstraction », qui aurait empêché Platon d’avoir une attitude intellectuelle vraiment spéculative, vraiment critique. Comme dans la philosophie transcendantale moderne, remarque alors Schlegel, cette faiblesse ne pèse pas seulement sur le style littéraire63 – autrement si exemplaire – de Platon ; elle affecte aussi la valeur purement esthétique, c’est-à-dire purement théorique, de ses philosophèmes64.
88En 1798-1799, de telles objections cédaient encore le pas à l’admiration pour la méthode de Platon et son mode d’exposition ; en 1803 au contraire, à mesure que Schlegel se tourne davantage vers les contenus philosophiques, elles se développent à vue d’œil, au point de former la perspective principale de sa critique de Platon. Schlegel ne pense pas à la richesse du style, mais au contenu doctrinal, lorsqu’il admet, au printemps 1804 : « Chez Platon, il n’y a pourtant que des échappées misérables vers la plénitude et l’individualité » (KA, XIX, p. 102, fr. 191). Mais ce diagnostic concernant le contenu doit inévitablement retentir sur l’évaluation de l’art de Platon par Schlegel : c’est précisément son manque d’intuition historique (et par suite de capacité critique) qui a empêché Platon de reformer effectivement la totalité antique perdue. Au lieu de poser de nouveaux fondements au moyen d’une véritable critique, Platon, en matière de philosophie – comme d’ailleurs Friedrich August Wolf pour la philologie65 – « n’a pas dépassé le stade de la polémique ». Certes il s’est opposé, par la forme de sa pensée, à la destruction sophistique de l’ancienne philosophie – « seulement cela ne suffisait pas à guérir le mal au fond ; la véritable forme ancienne restait quand même perdue, et il n’y avait qu’une artificialité mesquine pour occuper la place de la simplicité sublime des Anciens » (KA, XI, p. 121, fr. 352). « L’éclatement du système en tant d’écrits isolés chez Platon, et aussi chez Aristote, est à lui seul une grande décadence [...]. Chez Platon, l’effort en sens inverse, et l’élévation vers une œuvre centrale et un système, est incontestable » (KA, XI, p. 120, fr. 247). Platon cherche à constituer ce « système » – et par là nous revenons à la « caractéristique » de 1804 – au moyen d’une « philosophie intermédiaire »66 entre le dualisme ionien et le réalisme éléate, entre « Héraclite et Parménide » ; mais « le problème qu’il se propose à soi-même [...], il a été si peu capable de le résoudre, que dans ses dernières œuvres il en est encore plus éloigné que dans les plus anciennes » (KA, XI, p. 188, fr. 286).
89« Dans cette recherche, il part des énoncés doctrinaux d’Anaxagore, et il a cherché à unir la conception du changement et du devenir perpétuels avec la croyance au repos parfait et à l’harmonie éternelle d’une intelligence infinie.
90La théorie des Idées de Platon découle de l’admission du principe d’Anaxagore, qu’un entendement divin gouverne le monde ; il se représentait la domination de l’intelligence divine sur le monde comme la relation de l’artiste créateur à la matière qu’il façonne. [...]
91A partir de cette intuition, Platon admit, au lieu d’un monde unique et indivisible, deux mondes séparés l’un de l’autre, le monde des Idées et le monde sensible des apparences » (KA, XII, 215 s.).
92« Platon a certes eu raison de chercher la voie moyenne dans l’idéalisme, mais son idéalisme était imparfait. Cela [...] ne tenait pas seulement à l’effort purement négatif pour éviter les défauts de deux systèmes opposés, sans remonter à la source commune des deux, mais aussi au fait que d’emblée il a conçu le caractère de la conscience de façon unilatérale, et non dans sa forme première et originelle.
93C’est tout à fait à bon droit que Platon a cherché la source de toute existence dans la conscience ; mais il concevait celle-ci simplement comme raison ; or l’entendement et la raison sont déjà des formes très dérivées, compliquées, artificielles, de la conscience, et en aucun cas sa source.
94La déduction de la conscience particulière, limitée, finie, à partir de la conscience suprême, indépendante, infinie, est philosophique au plus haut point, et aurait conduit Platon à l’idéalisme accompli si seulement il avait, comme Böhme, poursuivi la conscience jusqu’à sa source et à sa racine et l’avait conçue dans sa forme originelle et suprême, comme désir et comme effort. Alors il aurait été en mesure d’en tirer de la matière, du matériau, et n’aurait pas été contraint d’admettre en même temps, à côté de l’entendement suprême et éternel, une matière éternelle, qui certes est régie par celui-là, mais ne naît pas de lui » (KA, XI, p. 122 s.).
95Au cours de ses études de sanscrit à Paris, l’idée se forme en Schlegel que la philosophie indienne – à laquelle d’ailleurs Platon, selon lui, est très redevable67 – a su éviter la « faute originelle » de Platon, par son « concept de la divinité comme être un, comprenant tout et tout-puissant, dont la plénitude et la force sont l’origine de toutes choses » (KA, XII, p. 221). L’élan donné par Platon avait cependant conduit Jakob Böhme, le premier, à l’achèvement68 : « Du point de vue de la forme aussi, Böhme est un mystique plus accompli, parce que chez lui la forme est intégralement mystique. La forme platonicienne ne permet qu’une introduction à sa philosophie, mais non un exposé systématique de celle-ci » (KA, XI, p. 119, fr. 343).
96Sous l’influence de sa lecture de Böhme, Schlegel, qui à cette époque évolue vers la conversion, incline toujours davantage à concevoir Platon comme « catholique » (KA, XIX, p. 205, fr. 35), voire comme « un système parfait de catholicisme » (KA, XIX, p. 180, fr. 216), dont « l’influence sur le christianisme n’a pas été accidentelle, mais nécessaire » (KA, XIX, p. 155, fr. 19). En 1806 cependant, il avertit qu’il ne faut pas « s’abîmer dans la fausse trinité platonicienne, qui est la source de toutes les hérésies, et empoisonne même la véritable piété » (KA, XIX, p. 226, fr. 207), « car celui qui entretient cette croyance désolante, tantôt s’abandonnera à la réalité, tantôt s’ébahira dans une admiration craintive et passive de l’idéal, et se consolera avec la pensée que jamais on ne peut l’atteindre, que rien ne pourra jamais lui correspondre dans la réalité » (KA, p. XII, fr. 224). Schlegel, précurseur de Nietzsche, l’ancien théoricien de l’« ironie romantique » soupçonne plus que tout autre penseur de son époque, que dans la période postrévolutionnaire un platonicien conséquent doit inévitablement dévier vers un dangereux nihilisme, car la philosophie platonicienne « d’un côté, n’accorde à l’Idée qu’une sorte de réalité fantôme, cependant que d’autre part la réalité fait valoir ses droits par l’intermédiaire de la sensation, sans tenir compte du fait que la théorie l’analyse comme pure apparence, et qu’on cherche à l’anéantir. Cela conduit naturellement à ce résultat : on méprise exagérément la réalité, parce qu’elle ne correspond pas à l’idéal, cependant qu’on ne croit pas à l’Idée, conçue comme un simple jeu d’ombres – c’est pourquoi on pourra enseigner théoriquement tout ce que l’on veut » (KA, XII, p. 225).
97C’est la dernière fois que Platon apparaît comme « accoucheur » des doctrines de Schlegel, mais cette fois comme une autorité « négative », comme le penseur dont Schlegel s’efforce de rejeter vigoureusement les erreurs, afin de préciser pour soi-même sa propre tâche philosophique. Et en effet l’ensemble de sa philosophie ultérieure s’efforcera de surmonter la scission qu’il a reconnue chez Platon, au moyen d’un système moniste. Il décrit ainsi sa tâche en 1806 : « Ma philosophie n’est rien d’autre qu’une unification d’Aristote et de Platon » (KA, XIX, p. 188, fr. 286).
98Ainsi la critique des contenus conduit Schlegel, à partir de 1803, à congédier Platon comme modèle spirituel universel. Cela ne changera rien à l’estime originelle de Schlegel pour le littérateur Platon. Celle-ci s’adressait d’abord à sa valeur comme source historique, par laquelle « il nous guide mieux que tout autre dans l’esprit des philosophèmes de ses prédécesseurs », mais par-dessus tout à « l’excellente adaptation du style et de la forme » (KA, XII, fr. 225), modèle auquel Schlegel se sentira redevable toute sa vie. « L’ÉLÉVATION de Platon » (KA, XVII, p. 488, fr. 165) au niveau des exigences, de ce point de vue accrues, de l’époque moderne, demeurera son programme. Déjà pendant l’été 1798, il posait la question : « N’est-il pas nécessaire que tous les écrits de Platon réapparaissent en plus grand – un nouveau Timée, ainsi qu’une nouvelle République ? » (KA, XVIII, fr. 261, p. 809).
Notes de bas de page
1 Je remercie Ada Neschke, qui m’a aidé et encouragé par ses critiques et ses observations ; ainsi que M. Crubellier, pour cette excellente traduction.
2 Je cite Schlegel d’après la Kritische Friedrich-Schlegel-Ausgabe (en abrégé : KA), éditée par Ernst Behler, Jean-Jacques Anstatt et Hans Eichner, Munich-Paderborn, 1958 ss.
3 Le 10 mars 1796, Friedrich Schlegel propose son premier projet d’une traduction de Platon à l’éditeur Karl August Böttiger. A titre de complément d’un essai sur Les Anciens Athéniens, il recommande « une traduction du Gorgias de Platon avec un commentaire sur les relations entre les philosophes et les orateurs grecs » (cf. KA, I, p. CLX). En 1802 encore, il esquisse à Paris un projet de traductions de la littérature universelle, avec des textes d’Eschyle, Sophocle, Platon, Lucrèce, Calderon et Shakespeare (KA, XI, p. 435, fr. 163).
4 Le gérant et éditeur de l’œuvre posthume de Schlegel, C.J.H. Windischmann, avait sous les yeux, en 1832 encore, une traduction complète du Phédon et de l’Euthyphron de la main de Schlegel (KA, XII, p. 435, n. 112). La traduction du Phédon est perdue. Le volume XXXIV de la Kritische Ausgabe, qui doit contenir l’Euthyphron, n’est pas encore paru.
5 Zum Parmenides et Zum Phädon (1801) : appendice V de KA, XVIII, p. 531-537. Voir l’avertissement de l’éditeur, p. LXV.
6 Un inventaire des textes posthumes, daté du 30 janvier 1834, mentionne : « N° 7. Sur Platon – 3 cahiers » (KA, XI, p. XXI).
7 Les Grundsätze zum Werk Platons (KA, XVIII, p. 526-530) seront analysés en détail dans les pages qui suivent. Voir l’avertissement de l’éditeur, p. LXIV.
8 Voir note 30.
9 Schlegel, conformément à sa formation d’humaniste, utilise exclusivement la forme latinisée (Plato) du nom de Platon. C’est seulement dans les deux conférences de 1801 (qui d’ailleurs nous ont été conservées par une copie due à une main étrangère) qu’on voit apparaître la forme courante chez Schleiermacher : « Platon ».
10 Les plus longs exposés continus que nous ayons de Schlegel sur Platon, sont :
– La « Caractéristique de Platon », dans la conférence Geschichte der europäischen Literatur (Histoire de la littérature européenne) (KA, XI, p. 118-125).
– « La philosophie de Platon », presque littéralement identique dans certains passages, mais élargie dans le sens d’une critique chrétienne, dans la conférence Die Entwicklung der Philosophie in zwölf Büchern (L’Evolution de la philosophie en douze livres) (KA, XII, p. 207- 226), publiée en 1838 après la mort de Schlegel.
L’un et l’autre sont analysés en détail dans la suite. Un résumé succinct des thèses qui y sont développées se trouve dans la série de conférences tenues en français à la demande de Madame de Staël sur La Métaphysique (KA, XIII, p. 411-413).
11 Cette analyse devrait être complétée par une autre étude sur la théorie philologique et critique de Schlegel, afin de mettre en évidence les liens existant entre la théorie philologique de Schlegel et sa conception de Platon. Cet article n’a pu être incorporé au présent volume. Il en résulte inévitablement que le texte qui suit laissera dans l’ombre ces liens. Pour un premier tour d’horizon sur cet aspect de la question, on trouvera des indications dans les introductions des volumes de la KA cités ci-dessous ; ainsi que dans la dissertation doctorale (pas toujours parfaitement claire, hélas) de K. Behrens : Friedrich Schlegels Geschichtsphilosophie (1794- 1808). Ein Beitrag zur politischen Romantik (Studien zur deutschen Literatur, Bd. 18), Tübingen, 1984.
12 Les travaux de Schlegel sur l’Antiquité classique sont réunis dans le tome I de la Kritische Ausgabe. Le tome XVI contient les fragments sur la théorie de la littérature, le tome XVIII les fragments philosophiques jusqu’en 1803.
13 Voir notamment les essais Über die Grenzen des Schönen (Sur les limites du beau, 1794) et Über die Diotima (Sur Diotime, 1795) dans KA, l, p. 34-115. Voir aussi, dans le même volume (p. 116-132), l’essai cité plus loin Über die homerische Poesie (Sur la poésie homérique).
14 Geschichte der Poesie der Griechen und Römer (Histoire de la poésie des Grecs et des Romains), KA, l, p. 395-568. Toutes les citations de ce paragraphe proviennent de l’« Introduction », p. 397 s.
15 Comme le montrent d’innombrables notes manuscrites de Schlegel à la même époque, c’est avant tout la Théorie de la science de Fichte qui inspire de tels rêves (cf. KA, XVI et XVIII).
16 Voir plus loin p. 177.
17 Sur la tendance « antiquarienne » dans les études anciennes et ses méthodes scientifiques, voir W. Mettler : Der junge Friedrich Schlegel und die Griechische Literatur. Ein Beitrag zur Problem der Historie, Zurich, 1955. De manière plus générale : A. Momigliano : « Ancient History and the Antiquarian », dans : Contributo alla storia degli studi classici, Rome, 1955, p. 67-106.
18 Sur la façon dont Winckelmann cite Platon, voir la dissertation d’Ulrike Rein : Winckelmanns Begriff der Schönheit. Über die Bedeutung Platons für Winckelmann, Bonn, 1972, en particulier les p. 42-51. De manière plus générale : M. Käfer, Winckelmanns Hermeneutische Prinzipien, Heidelberg, 1986.
19 Schlegel souligne à plusieurs reprises ce caractère affectif de la philologie : « Le fondement subjectif de la philologie est la philologie » (c’est-à-dire : l’amour du mot, G.W.) « c’est-à-dire l’enthousiasme historique » (KA, XVI, p. 39, fr. 52). « Les conditions subjectives nécessaires » de la recherche philologique sont pour lui « le sens philologique, l’esprit, l’inspiration, l’enthousiasme, la sensibilité » (KA, XVI, p. 72, fr. 121, et p. 47, fr. 148).
20 Voir U. Rein, Winckelmanns Begriff der Schönheit, p. 46.
21 Lettre de Schleiermarcher à A. Boeckh du 18 juin 1808. Cité d’après W. Dilthey, Leben Schleiermachers, I/2, p. 70-75. Dans le même ouvrage, p. 42-62, Dilthey donne la première (et la plus complète) description du projet de traduction de Schlegel et Schleiermacher.
22 Sur l’insatisfaction de la génération romantique à l’égard des Lumières et du criticisme kantien, voir l’introduction de G. Scholtz à son essai « Herméneutique et dogmatique chez Schleiermacher » dans ce volume, p. 223 s. et de manière plus générale, H. Brunschwig, Société et romantisme en Prusse au XVIIIe siècle, Paris, 1973. Sur ce problème chez Schlegel, voir l’introduction d’E. Behler au tome XVIII de la Kritische Ausgabe.
23 La question de l’application des « règles de la critique historique » à la philosophie a beaucoup préoccupé Friedrich Schlegel. Il est certes convaincu que Kant a fondé la possibilité de cette critique (KA, XVIII, p. 20, fr. 14) ; ce qui l’embarrasse cependant, c’est qu’il manque aux « philosophèmes », en tant que produits de la « raison pure », cette « individualité » dont la « caractéristique » constitue pourtant la tâche essentielle d’une critique au sens qu’il donne à ce mot. C’est pourquoi les « philosophèmes » ne sont « au sens strict [...] pas classiques » et ne pourront donc pas « faire l’objet d’une investigation philologique et critique » (KA, XVI, p. 59, fr. 7). De même, Platon et Aristote « peuvent faire seulement l’objet d’une recherche historique, et non d’une recherche critique » (KA, XVIII, p. 74, fr. 542).
A une telle « enquête historique », par contre, la philosophie grecque est particulièrement bien appropriée, car « elle est intégralement politique », c’est-à-dire que « dans l’exposition et dans la disposition elle s’attache constamment à ce qui est donné et disponible. Jamais la philosophie grecque n’atteint à proprement parler, comme l’art grec, à une complète autonomie dans sa constitution, et chez Platon, tout particulièrement, l’ordre de l’ensemble des philosophèmes particuliers n’est pas tant déterminé de l’intérieur, mais vient plutôt du dehors, a été construit du dehors. Ainsi, pour pouvoir simplement comprendre la doctrine platonicienne de l’art, il ne faut pas simplement connaître l’origine mythique de la culture grecque en général, mais aussi toute la masse de la culture politique, morale et philosophique des Grecs dans l’ensemble de son évolution ! » (KA, l, p. 352).
La seule possibilité pour critiquer les philosophies comme des individualités consiste selon Schlegel à les traiter de façon strictement littéraire, c’est-à-dire comme des ouvrages esthétiques d’un art du langage. C’est pourquoi, depuis 1797, il caresse l’idée de « traduire en allemand » les écrits des principaux philosophes – y compris ceux de langue allemande – en vue d’un vaste public (KA, XVIII, p. 21, fr. 29). Dans le cas des œuvres de Kant, il serait seulement nécessaire « de les ordonner un peu mieux ; en particulier dans la construction des périodes, et en ce qui concerne les épisodes et les répétitions ; de cette façon elles deviendraient aussi accessibles que par exemple celles de Lessing. Il ne serait pas nécessaire pour cela de s’accorder une plus grande liberté que celle dont les anciens critiques usaient à l’égard des poètes classiques, et je pense qu’on verrait alors que Kant lui-même, d’un point de vue strictement littéraire, fait partie des grands écrivains classiques de notre nation » (KA, VIII, p. 57). Schlegel a effectivement appliqué ce programme en 1803-1804, dans son recueil de textes de Lessing, qui se règle exactement sur le même principe. Voir l’introduction de H. Eichner à KA, III, p. XXVI-XXXIV.
Ernst Behler traite la question de la « caractéristique » d’un philosophe chez Schlegel dans l’introduction au tome VIII, en particulier p. XXVII ss. et p. LXXXII-LXXXVII.
24 Cf. note 13.
25 Voir KA, XI, p. 99-118, et infra, p. 175 s.
26 L’idée directrice de cette conception provient de Friedrich August Wolf, qui recommande au philologue « une centuple lecture » de chaque texte antique (d’après : M. Fuhrmann : « Fr. August Wolf. Zur 200. Wiederkehr seines Geburtstages am 15. Februar 1959 », dans : Deutsche Vierteljahresschrift für Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte, 33, 1959, p. 187- 236 – en l’occurrence p. 222).
Schlegel lui aussi pense qu’« une lecture incessante, toujours renouvelée, des œuvres classiques » (KA, III, p. 53) – une lecture « cyclique » ou « encyclopédique » – doit conduire à une connaissance toujours plus parfaite de l’Antiquité. C’est ainsi qu’il aboutit à la formule : « philologie = encyclopédie » (KA, XVI, p. 69, fr. 92).
27 Pour le concept de « forme symbolique » chez Schlegel, voir KA, II, p. 415, et les développements d’E. Behler sur « Schelling et la forme de la philosophie » (KA, VIII, p. XXVII-LII). C’est en se référant à la « forme symbolique » que Schlegel, dans sa conférence de 1804 sur la philosophie, réfute expressément la thèse selon laquelle Platon aurait eu « outre la philosophie exprimée dans ses dialogues, une autre secrète et ésotérique, un système proprement dit » (KA, XII, p. 211).
28 Schlegel note fin 1798 : « Les grands auteurs – Platon – Aristote – Dante – Shakespeare – Goethe » (KA, XVIII, p. 333, fr. 116).
29 « La philosophie grecque dans son ensemble peut être appelée platonicienne. Aristote rien d’autre qu’une tentative pour l’améliorer – de même Plotin » (KA, XIX, 20, p. 185).
30 Voir la description du projet commun de traduction chez Dilthey, Leben Schleiermachers, I/2, où l’on trouve (p. 62 s.) le texte complet de l’annonce de Schlegel, citée plus loin.
31 « Les idées au moyen desquelles il (= Kant) a considéré les anciens philosophes ne sont pas, d’une part, assez achevées ; d’autre part il a aussi, çà et là, quelques idées imparfaites qui reviennent comme des lubies, et à partir desquelles il juge trop sévèrement les Anciens. Il se pourrait bien qu’il soit trop éloigné de la plus haute spéculation, pour pouvoir se permettre de juger en matière de spéculation » (KA, XI, p. 103 s.).
32 Le texte se trouve dans KA, XVIII, p. 526-530. La date « vers 1800 » peut, comme me l’a fait remarquer Ada Neschke, être corrigée en 1801, puisque l’ouvrage de Ruhnken, auquel Schlegel se réfère p. 530, n’est paru que cette année-là.
Compte tenu de la clarté et de la brièveté de cette esquisse, les citations des Grundsätze zum Werke Platos qui vont suivre, ne seront pas référencées une à une.
33 Le (ϕ) n’est qu’un symbole de renvoi. Cf. la citation au début de la section « La seconde période », ci-dessous, p. 170. La question de l’authenticité des dialogues platoniciens est – d’abord pour des raisons de pratique éditoriale liées à l’édition projetée – une des plus importantes questions directrices de la critique de Platon par Schlegel. Comme Dilthey l’a montré en détail, sa classification, qui partait du Phèdre et du Parménide considérés comme des œuvres de jeunesse, l’a conduit à exclure de plus en plus de dialogues, parce qu’ils ne contenaient pas la doctrine des Idées (Dilthey, Leben Schleiermachers, I/2, p. 46-49). Le 14 janvier 1803, Schlegel se plaint dans une lettre à F.A. Wolf qu’il « se tracasse en vain de doutes au sujet de très nombreux dialogues, parfois très importants », et que son projet de Critique de Platon s’en trouve compromis (KA, XI, p. 707, note 244). Jusqu’à la conférence de Cologne en 1804-1805, ces doutes ont réduit de façon radicale le corpus platonicien : « Ainsi les dialogues, dans l’ordre de leur composition, sont : Phèdre – Parménide – Protagoras (en admettant qu’il est authentique) – Gorgias – Cratyle (s’il est de Platon) – Théétète – le Sophiste – le Politique – Phédon – Philèbe – la République – le fragment du Timée – le fragment du Critias » (KA, XII, p. 213).
34 Selon Schlegel, l’art de la « caractéristique » critique consiste à saisir exactement « les tournures d’esprit, les expressions, les procédés et formules intellectuels » (KA, XVI, p. 139, fr. 649) typiques, les « points critiques » (KA, XVI, p. 140, fr. 657) d’une individualité littéraire, afin de « pouvoir reconstruire, percevoir et caractériser la pensée d’autrui jusque dans les nuances les plus fines du tout qu’elle constitue [...] ». On ne peut « dire que l’on comprend une œuvre, un esprit, que lorsqu’on peut en reconstruire la démarche et l’articulation. Or comprendre ainsi en profondeur, lorsqu’on parvient à l’exprimer de façon déterminée dans des mots, s’appelle caractériser ; et c’est là la tâche propre de la critique, et son essence intérieure » (KA, III, p. 60).
35 Cf. KA, p. 100, fr. 850 : « l’esprit polémique a une certaine affinité avec la philologie » ; XVIII, p. 109, fr. 963 : « La philosophie absolue commence par la polémique, et au moyen de celle-ci un commencement absolument analytique est possible ». Voir aussi à ce sujet la note 65 ci-dessous.
36 Voir l’essai de Schlegel, Über die Unverständlichkeit (De l’incompréhensibilité) (1800), KA, II, p. 363-372.
37 Dans la conférence sur l’Histoire de la littérature européenne, KA, XI, p. 98.
38 Wilhelm Gottlieb Tennemann, System der Platonischen Philosophie, vol. I, Leipzig, 1792, p. 117-119.
39 Cf. notes 4 et 5.
40 Cf. par exemple KA, XVIII, p. 259, fr. 792 : « Dans les principes de la religion, faire une sorte de synthèse de Fichte et Spinoza et Platon ? Il faut constituer ici la religion romantique de l’imagination ».
41 Sur la relation entre système et méthode chez Friedrich Schlegel, pendant la période d’Iéna, voir ses Vorlesungen über Transzendentalphilosophie (Leçons sur la philosophie transcendantale), 1800, KA, XII, p. 18 s.
42 KA, XII, p. 213.
43 « La démarche de cette métaphysique doit consister en plusieurs cycles, toujours plus larges et plus grands. Le but atteint, elle doit toujours recommencer au début » (KA, XVIII, p. 283, fr. 1048).
44 Comme on le voit aux nombreuses allusions dans ses journaux de travail (KA, XVIII et XIX), l’édition de Platon de Schlegel contenait la traduction de Ficin (voir Ada Neschke, « Le texte de Platon... », dans ce volume, p. 198, n. 5).
45 Comme exemple de l’influence exercée sur Schlegel par le livre de Morgenstern, on peut citer le fragment Athenaeum 450 : « La polémique de Rousseau contre la poésie n’est cependant qu’une mauvaise imitation de Platon. Platon s’en prend aux poètes plus qu’à la poésie ; il tenait la philosophie pour le dithyrambe le plus hardi et la poésie la plus harmonieuse » (KA, II, p. 255, fr. 450) : l’étude de Morgenstern contient une comparaison entre Platon et Rousseau, qui aboutit à la même conclusion. Sur Morgenstern, voir Ada Neschke, « Le texte de Platon... », dans ce volume, p. 208 s., et KA, I, p. CLXIX s.
46 Voir U. Rein, Winckelmanns Begriff der Schönheit, chapitre 4 : « L’influence de la théorie néoplatonicienne de l’art sur les écrits de Winckelmann » (p. 66-78) et le relevé des citations de Platon dans l’Histoire de l’art de l’Antiquité (p. 174-182).
47 En 1798-1799, Schlegel et Novalis agitent le projet d’écrire dans cet esprit « une nouvelle Bible »« qui ne serait plus simplement une Bible en un certain sens, une quasi-Bible, mais selon la lettre et selon l’esprit, la première œuvre d’art de ce genre, car les précédentes ne sont que des produits de la nature ». Le programme théorique de ce projet et son rapport avec les idées herméneutiques de Friedrich Schlegel sont exposés par H. Patsch dans « Friedrich Schlegels « Philosophie der Philologie » und Schleiermachers frühe Entwürfe zur Hermeneutik », Zeitschrift für Theologie und Kirche, 63, 1966, p. 434-472 ; spécialement p. 452-457.
48 Voir KA, XVI, p. 70, fr. 107 : « sans mysticisme, Winckelmann ne serait pas arrivé au tout », et KA, XVIII, p. 8, fr. 47 : « L’étude de l’Antiquité classique est une de ces sciences qui attirent le mystique. Car l’harmonie est l’essence de l’Antiquité classique. Winckelmann-Hemsterhuys ».
49 Cf. KA, XVIII, p. 104, fr. 901 : « Elle (= la philosophie) se définit formellement comme la construction ; sa définition matérielle est la caractéristique ».
50 Cf. KA, XVIII, p. 106, fr. 921 : « Dans la philosophie absolue, rien n’est distingué en forme et matière ; dans la philosophie systématique rien n’est distingué en théorie et pratique ». Et p. 97, fr. 821 : « philosophie absolue = philosophie réelle = philosophie historique ».
51 Cf. KA, XVIII, p. 273, fr. 943 : « Dans la forme du dithyrambe l’esprit de l’algèbre très présent, à cause de la magie ».
52 Cf. KA, XVI, p. 64, fr. 47 : « La critique philosophique n’est peut-être rien de plus que la logique à la puissance deux » ; et KA, XVIII, p. 272, fr. 922 : « L’histoire et la logique ne sont pas opposées l’une à l’autre, mais au contraire semblables ».
53 Sur la comparaison de Platon avec Spinoza : KA, II, p. 324 s. ; KA, XVIII, p. 327, fr. 35 ; p. 345, fr. 283 ; p. 345, fr. 286 ; p. 401, fr. 967.
54 Cf. KA, XVIII, p. 105, fr. 907 : « La philosophie transcendantale doit avoir la plus grande affinité avec la mathématique. La mathématique de l’infini devrait sans doute précéder celle du fini » ; et p. 272, fr. 920 : « La religion philosophique doit contenir beaucoup de physique et de mathématique, voire les principes de ces sciences ».
55 Cf. KA, XVIII, p. 111, fr. 981 : « La philosophie absolue doit commencer par la construction de l’absolu, c’est-à-dire par la philosophie de la raison absolue et par la caractéristique. Dans la construction de la raison absolue doivent se trouver d’abord la construction et la caractéristique de la construction, et la construction de la caractéristique ».
Dans une note de 1810-1812, Schlegel résume (KA, XIX, p. 298, fr. 23) : « Platon contient pour ainsi dire les éléments purs de toute philosophie. 1) La philosophie de la raison, qui, dans sa pureté séparée, engendre l’art dialectique ; 2) la philosophie de l’imagination, la symbolique, dans ses mythes ».
56 Cf. KA, XVI, p. 140, fr. 655 : « Dans toutes les directions, la caractéristique va à l’infini ».
57 E. Behler, Friedrich Schlegel in Selbstzeugnissen und Bilddokumenten (Rowohlts Monographien 123), Reinbek bei Hamburg, 1966, p. 82.
58 Une recherche détaillée sur le thème « Schlegel et Platon » aurait dû également s’engager dans la question de savoir quelle part, dans la formation des idées de Schlegel au sujet de Platon, revient au platonicien enthousiaste et fervent que fut Novalis, son collaborateur à l’Athenaeum.
59 Il se trouve dans KA, III, p. 46-102.
60 Voir note 10. L’essai paru en 1808, Über die Sprache und Weisheit der Indier (La Langue et la sagesse des Indiens), se trouve dans KA, VIII, p. 105-433.
61 Les notes philosophiques de Schlegel à partir de 1804 constituent le tome XIX de la Kritische Ausgabe.
62 C’est ainsi que Schlegel critique Platon pour n’avoir pas compris le contexte qui a donné naissance, dans l’histoire de l’esprit grec, au culte d’Homère, et d’avoir reproché ainsi à « des poètes individuels »« ce qui n’est qu’une faiblesse commune à toute l’humanité, et un défaut de l’éducation grecque en général » (KA, l, p. 457). Cf. aussi KA, XVIII, p. 104, fr. 892 : « La critique demande plus de génie, la polémique demande plus d’enthousiasme. Trop de spéculation dans la première, trop d’abstraction dans la seconde ». Et encore p. 113, fr. 1006 : « En Platon l’enthousiasme l’emportait probablement sur le génie ».
63 Cf. KA, XVIII, p. 61, fr. 415 : « Pourquoi y a-t-il tant de monologue chez Platon, et si peu de dialogue ? – Seul le philosophe véritablement critique peut écrire de véritables dialogues ». Et KA, XV, p. 159, fr. 877 ; « Dans Platon tous les styles mélangés (logique-panégyrique) mais non fondus ensemble ».
64 Dans ses travaux préparatoires à l’histoire de la poésie, Schlegel observe – ayant encore en mémoire le souvenir tout frais des réformes radicales des révolutionnaires français – que la République de Platon élève la constitution dorienne existante, par une rationalisation conséquente, « à la forme monstrueuse d’un accomplissement parfait et immobile », « où toute personnalité s’abolit dans l’idée de l’Etat et de la communauté, pour l’amour desquels la sainteté du mariage elle-même est anéantie » (KA, I, p. 269 et 605). C’est exactement la même tendance que Schlegel relève en 1797 à propos de Robespierre : il « voulait politiser tout le domaine de la libre convenance, c’est le point extrême de la tyrannie – qui, en tant que maximum, avait toujours sa grandeur. Il représente le sommet de la révolution française » (KA, XVIII, p. 109, fr. 956).
65 Cf. KA, XVI, p. 80, fr. 214 : « Dans la philologie proprement dite, Wolf semble ne pas être allé plus loin que la polémique, sans atteindre le niveau de la critique proprement dite (il sait ce qui est inauthentique, mais il n’est pas capable de suppléer l’authentique, de le restituer) ». A ce sujet, cf. KA, XVIII, p. 100, fr. 850 : « L’esprit polémique a de l’affinité avec la philologie, l’esprit critique avec la philosophie ».
66 Etant donné que les passages consacrés à Platon dans les deux conférences citées sont presque littéralement identiques pour de longues sections, j’utiliserai librement, dans la suite, des citations tirées de l’une et de l’autre.
67 Voir KA, XII, p. 221 s. et KA, XIX, p. 49, fr. 66.
68 La première comparaison de Platon avec Jakob Böhme se trouve fin 1799 : « Sans poésie personne ne peut trouver accès à Spinoza et Platon, ni à Böhme. Ceux-là contiennent la vraie philosophie de la religion » (KA, XVIII, p. 391, fr. 848). Voir aussi KA, XIX, p. 138, fr. 471 ; p. 190, 300.
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