Platonisme et tournant herméneutique au début du XIXe siècle en Allemagne
p. 109-131
Texte intégral
1. La thèse
1En 1737 est fondée l’Université de Göttingen, qui voit la création, à côté des chaires historiques, de la première chaire consacrée à l’Antiquité1. Toutefois l’histoire et l’Antiquité restent subordonnées aux « sciences » (scientiae) au sens strict, jurisprudence, théologie et médecine2. Entre la fondation de Göttingen et celle de l’Université de Berlin, qui, en 1810, inaugure de manière exemplaire le XIXe siècle, les sciences historiques s’émancipent en un rapide processus dont le terme est l’autonomie des anciennes disciplines auxiliaires. Mais cette autonomie, il leur revint pour ainsi dire d’en apporter la démonstration. Les disciplines de l’ancienne facultas artium avaient dû s’affirmer contre la théologie – la science de l’Antiquité s’émancipe par l’acte fondateur d’un séminaire purement philologique à l’Université de Halle3 – ; il leur est maintenant demandé, dans le cadre de la faculté philosophique, de trouver elles-mêmes la définition qui leur permettra de se constituer sous une nouvelle forme4. Les sciences de l’histoire et de l’Antiquité s’acquitteront effectivement de la tâche d’autofondation qui leur est assignée par les textes fondateurs de l’Université de Berlin5, comme en témoignent l’Encyclopédie et méthodologie des sciences philologiques d’A. Boeckh et l’Historik de J.G. Droysen. Les deux écrits visent pour l’essentiel à montrer que l’histoire – car Boeckh entend aussi l’histoire, quand il parle de « philologie » – est une branche spécifique sur l’arbre du savoir humain, quand ils ne vont pas jusqu’à prétendre que la philosophie et l’histoire sont les deux troncs qui divisent la connaissance humaine6.
2Pour être en mesure de livrer cette démonstration, la science de l’histoire doit pouvoir désigner un objet qui lui soit propre. Elle doit en outre être capable de développer une méthode adéquate à cet objet. L’objet de l’histoire demeure pour la nouvelle histoire, selon une tradition séculaire, le monde humain ; mais elle comprend autrement que ne le faisait la tradition en quoi celui-ci consiste. La spécificité du monde humain tient au développement d’une force spontanée, inaccessible à toute explication causale mécanique, que Friedrich Schlegel le premier nomme « esprit » (dans un sens non christologique ou pneumatique du terme), et qu’il élève de manière conséquente au statut d’objet d’une histoire et d’une science qui s’intitulera « science de l’esprit » ou « histoire de l’esprit »7. F.D. Schleiermacher n’utilise pas ce terme, mais c’est bien le phénomène de l’activité spontanée de l’esprit humain qu’il vise quand il conçoit la première méthode rigoureusement scientifique pour assurer au nouvel objet de l’histoire un accès approprié. Schleiermacher développe cette méthode sous le nom traditionnel d’« herméneutique ». Le terme renvoie à la tradition protestante de l’hermeneutica sacra, où Schleiermacher s’inscrit lui-même, dans la mesure où son Herméneutique doit aussi introduire les futurs théologiens à l’interprétation du Nouveau Testament. Mais par son contenu, elle déborde cette tradition, dans la mesure où Schleiermacher substitue à l’explication des passages difficiles du texte donné, une doctrine de la compréhension du discours d’autrui comme expression d’une production spontanée d’idées8. En définissant ainsi la tâche de l’herméneutique, Schleiermacher satisfait d’abord un intérêt philosophique propre : il veut dégager, à travers la compréhension de la tradition du Nouveau Testament et de la philosophie antique, les concepts originaires de chrétienté et de philosophie, en particulier dans sa version platonicienne, comme création individuelle spontanée9. Mais en fait, et précisément parce que la tradition est désormais considérée comme l’expression d’une activité spirituelle individuelle, Schleiermacher formule le procédé qui seul est adapté au phénomène de l’activité autonome de l’esprit : il s’agit de la compréhension comme compréhension de la formation individuelle des idées chez autrui. Ce n’est donc pas un hasard que les sciences historiques – qu’elles soient représentées par Boeckh ou par Droysen – en appellent à la compréhension comme à leur opération spécifique10 ; Boeckh et Droysen fondent les sciences historiques comme compréhensives et ainsi implicitement – il reviendra à Dilthey de le formuler explicitement11 – comme « science de l’esprit ».
3Comme nous l’avons déjà indiqué, F. Schlegel fut le premier à concevoir les « formes » du monde humain comme formes de l’esprit, et à penser l’histoire comme science de l’esprit. II s’agissait pour lui – en parfait accord avec les efforts d’émancipation de l’histoire – d’élever le « savoir » historique à la nouvelle dignité de « science », et de science suprême, face à la philosophie transcendantale de Kant et de Fichte12. F. Schlegel est simultanément l’auteur qui, dans une série d’ouvrages très remarqués, développe brillamment pour la première fois l’idée d’une histoire de l’esprit13. Il est en outre le premier à tenter de transformer en une science méthodiquement fondée, grâce à une « philosophie de la philologie », la nouvelle conception de l’histoire qui, en Allemagne, est principalement à mettre au crédit de J.G. Herder14. Si ces tentatives échouent, et que l’auteur de l’écrit fondateur des futures sciences de l’esprit n’a pas été F. Schlegel, mais F. Schleiermacher, c’est que l’herméneutique fut originairement connue comme partie d’un système philosophique. Or, comme nous le montrerons, ce système ne peut être compris sans que soit mise en évidence la médiation spontanée et originaire que Schleiermacher établit entre la philosophie moderne (à savoir l’idéalisme allemand) et la pensée antique, ce qui signifie la pensée de Platon. Nous soutiendrons donc l’existence des corrélations suivantes :
- L’herméneutique est un élément constitutif de la philosophie de Schleiermacher. Cette philosophie constitue une position spécifique à l’intérieur de l’idéalisme allemand. Si ce dernier livre au théologien Schleiermacher sa problématique, Schleiermacher trouve la solution aux problèmes contemporains dans les écrits de Platon. C’est pourquoi à bien des égards c’est la compréhension particulière que Schleiermacher a de Platon qui fonde l’herméneutique comme partie du système.
- Mais le « platonisme du tournant herméneutique » dont nous voudrions faire prendre conscience n’est pas limité au seul Schleiermacher. Quand A. Boeckh ou J.G. Droysen reprennent de manière productive le théorème schleiermachérien d’une compréhension relative à la production spirituelle spontanée, c’est-à-dire aux Idées, l’arrière-plan des représentations et des concepts platoniciens subsiste (chez Boeckh directement, chez Droysen médiatisé par Boeckh et W.v. Humboldt). Pour le dire emphatiquement : la « découverte de l’esprit » peut aussi être comprise comme la forme moderne d’une renaissance de Platon. Si cette constellation n’est guère présente aujourd’hui et rarement désignée comme telle15, c’est que Platon actualisé par cette renaissance ne correspond absolument pas à « notre » Platon – en admettant que la divergence des positions actuelles autorise une telle formule. Il nous faudra donc à la fois situer l’herméneutique dans la problématique philosophique de Schleiermacher, et expliciter sa compréhension de Platon, afin de pouvoir rapporter certains traits de sa pensée à des conceptions platoniciennes. Nous procéderons comme suit. Nous esquissons dans un premier temps la particularité de la position philosophique de Schleiermacher afin de déterminer la place de l’herméneutique (2). Nous montrons ensuite quelle est la compréhension de Platon qui permit à Schleiermacher de l’intégrer dans sa pensée. Cette compréhension doit être rapportée au platonisme de J.A. Eberhard, le maître de Schleiermacher à Halle (1787-1789) et à F. Schlegel, son ami à Berlin (1797-1799) (3.1). Nous pourrons alors mieux saisir ce qu’il en est du platonisme propre à Schleiermacher (3.2). Nous indiquerons ensuite de manière générale comment l’herméneutique de Schleiermacher devait constituer la nouvelle science de l’histoire à travers la médiation d’A. Boeckh (4). On peut ici encore mettre en évidence le fait qu’un platonisme – celui de Boeckh – constitua la condition idéale pour la réception de l’herméneutique de Schleiermacher. Droysen doit le concept de compréhension à Boeckh, dans la mesure où il en fut le disciple. Mais il lui donne un nouveau contenu, qui peut largement être compris comme un effet de l’héritage humboldtien. Quant au rôle de Platon pour la pensée de Humboldt, ce n’est pas ici le lieu de l’examiner en détail. Aucune monographie n’a d’ailleurs été consacrée à la question (il en va autrement de Boeckh)16.
2. Le « système » de Schleiermacher selon la Dialectique de 1811 et la fondation systématique de l’herméneutique
4Schleiermacher comprend la Critique de la raison pure de Kant en théologien : son attention se focalise sur les problèmes qui résultent de la critique kantienne pour le rapport entre le savoir et la croyance. L’influence positive de Kant vint d’abord de la partie négative de la Critique, à savoir de la réfutation de la démonstration rationnelle de l’existence de Dieu17. Cette réfutation fut généralement acceptée. Mais cela signifiait qu’on ne pouvait plus parler de Dieu comme du fondement de l’être et de la connaissance du monde « scientifiquement », sur la base de jugements synthétiques a priori.
5Or si Dieu, en tant que fondement de la connaissance, cesse de garantir que la connaissance humaine atteint l’être des choses, la question de la correspondance entre l’être et la pensée reste ouverte. Tout ce qu’il est possible de démontrer est que le savoir humain, les jugements synthétiques a priori, peuvent se rapporter aux objets de l’expérience possible. Le problème de Dieu et celui de la connaissance humaine forment couple. S’y ajoute le problème de la séparation de la philosophie et de la science : la philosophie, qui à partir de Kant se présente comme critique de la raison, décrit les conditions de possibilité de la connaissance scientifique ; mais il s’agit de la science expérimentale, qui suit les règles formelles de l’entendement, la logique. Ces trois conséquences de la critique kantienne incitent le théologien Schleiermacher à élaborer un système propre, que l’on peut d’abord saisir dans la critique des éthiques antérieures18, puis dans la Dialectique de 181119. On doit même dire que la Dialectique s’oppose en bloc à ces thèses centrales de Kant, tout en tentant de ne pas retomber dans la position précritique de la théologie rationnelle. Le programme et le nom d’une doctrine de la science qui veut fonder le nom de « dialectique » visent déjà le cœur de la critique kantienne. Car celui-ci est constitué par l’Analytique transcendantale, tandis que la Dialectique, comme dialectique de l’apparence, doit démontrer le désarroi de la raison à son propre endroit20. Schleiermacher choisit le nom de « dialectique » (et non, comme Fichte, celui de « doctrine de la science »)21 parce que ce n’est que dans la dialectique que l’unité de la philosophie et de la science empirique peut être pensée. « On pourrait dire qu’une chose sont les principes sur lesquels, autre chose les principes d’après lesquels on construit la science. Mais cette opposition disparaît quand il s’agit des premiers principes. Personne par exemple ne peut avoir l’Idée de Dieu sans savoir comment ce suprême peut être informé dans le particulier, et quelles sont les relations qu’il a au monde »22. Schleiermacher poursuit : « Ce qu’il y a de plus haut et de plus universel dans le savoir et les principes de la philosophie elle-même sont identiques... On ne peut pas avec Kant distinguer principes constitutifs et principes régulateurs »23. Or Platon est le garant de l’unité des sciences réelles et de la philosophie : « Chez Platon appartiennent à la Dialectique aussi bien les règles de construction de la science que les doctrines de l’ὄντως ὄν et de l’ἀγαθόν, dans la mesure où ils ne sont encore passés dans le domaine d’aucunes des deux autres disciplines »24. La dialectique est donc en tant que telle un contre-programme dirigé contre Kant (et Fichte) ; la possibilité de mener à bien un tel programme peut s’appuyer sur l’histoire de la philosophie : la dialectique comme philosophie des principes suprêmes et doctrine de la science retrouve, en s’inspirant du modèle de Platon, l’unité qui s’était perdue dans le cours de l’histoire de la philosophie25.
6L’herméneutique est déjà implicite dans cette manière de penser : à la différence de Fichte (et de Hegel), l’auteur de l’Herméneutique ne prétend pas être en possession d’un savoir absolu, mais seulement participer comme sujet empirique au devenir de l’histoire du savoir, dont le sujet est l’« humanité »26. Mais le savoir humain est toujours savoir « en devenir » ; il fait face à l’Idée du savoir, où est pensé le but du savoir humain. L’Idée du savoir montre le savoir comme purement universel (identique en tous), elle contient l’Idée de la raison, qui n’est rien d’autre que « la simple identification (Aufgehen) de la raison dans l’être »27. « Le suprême est donc l’identité de l’être et de la pensée, du concept et de la chose, quand je dissous le jugement ; mais il n’y a plus ici aucune opposition entre la pensée et ce qui est pensé, c’est l’identité des deux. Ceci constitue de l’autre côté le savoir transcendant suprême, car il se tient au-dessus de l’éthique et du physique, et le suprême formel, car il est simultanément concept et jugement »28. Schleiermacher identifie ce savoir transcendant avec la connaissance de Dieu, ce qui signifie que dans l’Idée du savoir l’Idée de Dieu est toujours déjà donnée. Il s’ensuit que « Dieu n’est pas un postulat, qui devrait être donné pour produire effectivement un savoir réel29. < La certitude de la différence entre savoir et non-savoir > et la certitude de Dieu seraient une seule et même chose, parce qu’elle est dans l’Idée du savoir »30. Schleiermacher désamorce l’objection des kantiens qui lui reprocheraient de retomber dans la position précritique d’une théologie positive en ne parlant que du Dieu de la dialectique – car c’est de lui qu’il s’agit dans l’Idée du savoir31 : « La présentation proposée n’est pas une démonstration, une démonstration suppose qu’une autre chose soit connue, tandis que la connaissance de Dieu est quelque chose d’originaire qui est au fondement de tout le reste »32.
7En cherchant à saisir le savoir humain à partir de son concept opposé, le savoir divin – à quoi est consacrée la première partie de la Dialectique, tandis que la seconde partie (27e-48e heures) étudie le devenir du savoir comme savoir par concept et par jugement –, Schleiermacher peut donc se démarquer de la fausse prétention des positions critiques et idéalistes à représenter le savoir absolu, il peut traiter la philosophie comme pensée des limites du savoir par rapport à la croyance. Il se sait ici en accord avec Platon, comme en témoigne la lettre à Jacobi : « nous ne pouvons absolument pas établir un concept réel de l’être suprême, mais toute philosophie authentique consiste dans l’idée que cette vérité ineffable de l’être suprême est au fondement de toute notre pensée et de tout notre sentiment ; et le développement de cette idée est précisément, j’en suis convaincu, ce que Platon pensait sous le nom de dialectique »33.
8Ainsi Schleiermacher comprend-il la dialectique de Platon (et donc la sienne propre) comme présentation d’un savoir fini ; mais qui reçoit toutefois son orientation de l’Idée du savoir, de la connaissance de Dieu. Il pense ainsi de manière parfaitement platonicienne le savoir humain et la connaissance divine comme un processus allant du devenir à l’être (γένεσις εἰς οὐσίαν), et le savoir humain comme une approximation inachevable en direction de Dieu <ὁμοίωσὶς θεῷ >34. Par là, l’herméneutique reçoit sa place explicite. Car tandis que l’identité de la pensée et de l’être, du concept et de l’Idée, implique nécessairement l’universalité en Dieu, l’universalité de la raison dans l’homme, tout en étant présupposée, doit d’abord être recherchée par le sujet empirique particulier. Une construction philosophique, c’est-à-dire la production d’une connaissance en parfaite conscience de sa production35, ne révèle l’universalité des principes de la construction que quand elle est conduite simultanément avec un autre. L’autre a pour rôle de garantir l’universalité, qu’il s’agisse de l’aspect dialogique de la dialectique, de la communication de l’universalité, ou de l’universalisation de la connaissance36. L’herméneutique ressortit donc de la dialectique dans la mesure où la critique de l’autre, qui distingue dans la construction ce qui est universel, et donc savoir37, présuppose la compréhension de l’autre comme sujet universel et individuel. Inversement, comme il convient de comprendre le savoir dans le discours de l’autre, la dialectique facilite la compréhension, étant donné qu’elle peut formellement et principiellement distinguer le savoir du non-savoir38.
9L’herméneutique est ainsi un élément nécessaire de la volonté de savoir, puisque ce n’est qu’à travers la compréhension de l’autre en vue d’un accord sur l’être qu’est garantie l’universalité de la connaissance comme critère du savoir. L’individu doit rechercher cet accord à travers la compréhension de l’autre, il doit rechercher l’intersubjectivité39.
10Nous affirmions plus haut que l’herméneutique est déjà implicite dans la dialectique. Cela doit signifier pour la Dialectique de 1811 que Schleiermacher développe ce premier programme de système en accord avec la description qui y est donnée de la façon dont l’individu peut engendrer le savoir, c’est-à-dire de manière herméneutique, critique et dialogique. La question qu’il adresse à la pensée de Kant et de Fichte est de savoir s’ils ont pensé le rapport de la croyance et de la pensée de façon « rationnelle », en accordant par conséquent la pensée et l’être. La réponse est négative ; car tous deux excluent Dieu comme fondement transcendant et transcendantal. Or ce fondement est donné dans la certitude immédiate de la différence entre le savoir et le non-savoir, dans l’Idée de Dieu comme idée de la connaissance. Ce n’est que chez Platon que Schleiermacher, animé par une volonté de comprendre qui met à l’épreuve la connaissance d’autrui, trouve une solution satisfaisante au problème qu’il pose. Cet accord lui permet alors de doter son propre programme d’une prétention au savoir, puisqu’il est universel et s’accorde à l’expérience immédiate, et de l’exposer publiquement. La compréhension de Platon précède, tant d’un point de vue systématique que d’un point de vue chronologique, la critique dialectique qui en est faite, et dont l’issue est positive. Schleiermacher est déjà herméneute dans son sens de l’herméneutique, quand il développe la Dialectique, et inversement, c’est la question de la fondation rationnelle d’un système qui en fait l’herméneute de Platon. La théorie de l’herméneutique a ainsi sa place systématique dans la « finitude » du savoir humain, qui, en tant qu’individuel, est renvoyé à la compréhension et au consensus. Or Schleiermacher affirme la finitude du savoir humain, qui rend le dialogue nécessaire, en se référant expressément à son garant, Platon40.
11Nous pouvons donc à bon droit affirmer que sans compréhension et appropriation de Platon – les deux aspects doivent coexister pour que « platonisme » il y ait41 –, l’Idée de l’Herméneutique comme discipline philosophique ne serait pas concevable. De même, le concept de l’herméneutique n’est pas concevable sans platonisme. Il implique de comprendre le discours de l’autre comme pensée qui proclame sa prétention à l’universalité par la communication, et donc comme savoir. L’herméneutique est pour Schleiermacher (avec Platon) une discipline résolument philosophique, parce que ce n’est que dans l’accord compréhensif que la vérité de la formation des concepts et des jugements peut être reconnue, et le savoir individuel identifié comme savoir.
3.1. Le platonisme de Schleiermacher
12Le platonisme de Schleiermacher – la compréhension qu’il a de Platon aussi bien que l’approbation qu’il lui donne – se présente donc de la manière suivante dans la Dialectique de 1811 : Schleiermacher récuse la philosophie transcendantale de Kant et de Fichte ainsi que leur prétention à représenter la philosophie en général. Cette philosophie ne rend compte ni de la certitude immédiate de Dieu dans l’Idée du savoir ni de la relation de Dieu et du monde. Or la philosophie est la pensée de la totalité du monde et de son fondement dans l’absolu comme identité de l’être et de la pensée. Les deux aspects doivent être pensés, c’est-à-dire dialectiquement développés et menés à leur terme par l’accomplissement de la connaissance du monde réel. Schleiermacher peut ainsi affirmer à la fin de la première partie de la Dialectique :
« Nous sommes donc pris dans la formation de l’intuition vivante de la divinité dans la mesure où nous travaillons à l’achèvement des sciences réelles. Ceci toutefois ne se produit pas quand on ajoute un élément particulier à un autre à la manière d’un agrégat, mais grâce à une élaboration systématique dans laquelle on s’efforce à tout le moins d’atteindre la totalité... Il n’y a rien d’autre à dire sur la divinité dans le domaine du savoir qu’elle est, en tant qu’être transcendant, le principe de tout être, et en tant qu’Idée transcendante, le principe formel de tout savoir »42.
13Comment donc Dieu et le monde peuvent-ils être pensés, sans que l’on retombe dans l’unilatéralité d’une philosophie qui ne peut plus satisfaire à la tâche de la philosophie, qui est de penser le savoir réel et les limites du savoir réel ? Seule la philosophie de Platon offre ici une réponse, elle présente même le paradigme de la vraie philosophie. Car elle est la seule à avoir poussé assez loin la pensée du monde pour être parvenue jusqu’à son fondement d’être transcendant, et à avoir inversement, depuis le fondement transcendant de l’être, considéré le monde comme le déploiement de ce fondement à travers la séparation de la pensée (concept et jugement) et de l’être, et donc comme totalité des déterminations.
14La forme de pensée adéquate à la réalisation de ce programme est la dialectique socratico-platonicienne. Schleiermacher développe cette idée dans l’Histoire de la philosophie antique de 1812 : seule cette dialectique socratico-platonicienne pouvait développer un concept philosophique de Dieu. La philosophie remporte ici un triomphe, « car recourir à la divinité comme à un auxiliaire pour l’explication de la nature ou pour les lois éthiques est toujours nuisible au but et humiliant pour la science »43. Schleiermacher souligne encore expressément à la fin de la première partie de son cours sur la Dialectique que seule la conception correcte (= correspondant à l’être) de Dieu et de la relation de Dieu au monde est au centre de ses explications44. Il le souligne en confrontant le développement qui précède à trois autres représentations :
151. La pensée du monde sans Dieu. Ici fait défaut, entre autres, la garantie que l’être et la pensée se correspondent, et donc la distinction entre savoir et non-savoir, c’est-à-dire l’Idée du savoir. La « certitude » de la philosophie transcendantale repose donc « sur l’opinion ».
162. La représentation chrétienne de Dieu pose Dieu comme éternel, et le monde comme créé. L’absolu n’est plus alors l’identité nécessaire de l’être et de la pensée, mais la simple pensée comme pensée du monde45.
17Enfin, Schleiermacher mentionne encore une troisième possibilité, qu’il ne fait suivre d’aucune objection :
183. La création du monde n’a pas eu lieu ex nihilo, mais à partir d’une matière éternelle46. Il rappelle ici implicitement l’interprétation de la cosmologie du Timée. Dès l’Antiquité, la question de savoir si le « mythe » du Timée devait être interprété littéralement ou métaphoriquement, c’est-à-dire si le Timée entendait fournir une cosmologie ou une cosmogonie, avait fait l’objet d’un débat47. Schleiermacher se décide implicitement dans le cadre de la Dialectique pour la cosmologie. Dans l’Histoire de la philosophie antique, il le fait explicitement48. La référence au Timée dans notre passage est particulièrement intéressante. Elle montre d’abord combien les théorèmes platoniciens particuliers, et l’histoire de leur interprétation, étaient présents à l’esprit de Schleiermacher. Mais le Timée lui permet simultanément d’éclairer sa propre conception de la relation entre Dieu et le monde, qu’il pense en conformité avec le Timée, dans la mesure où dans l’interprétation cosmologique que Schleiermacher en donne, Dieu et le monde s’interpénètrent : Dieu s’identifie au règne de l’être de l’ὄντως ὄν, et celui-ci communique perpétuellement, en tant que « force de la nature », son mode d’être à la matière qui, selon Schleiermacher, ne possède aucun être propre : « On reproche à Platon l’éternité de cette matière dépourvue de forme et de qualité, mais elle ne signifie rien d’autre que le fait qu’il n’existe aucun point de l’être effectif où l’idéal et le réel ne coexistent pas »49. Le platonisme de Schleiermacher se présente ainsi comme la reprise de la philosophie platonicienne en totalité et comme totalité : c’est même le caractère total de cette philosophie, que Schleiermacher interprète comme dialectique, éthique et physique, qui en fait le paradigme de toute philosophie en général : « il n’y a rien à découvrir dans une telle division (à savoir en dialectique, éthique et physique), parce qu’elle est déjà là, comme on la voit »50.
19L’interprétation proprement dite que Schleiermacher donne de ce système consiste à l’interpréter comme système, c’est-à-dire comme connaissance de la totalité du monde et connaissance de l’interdépendance de Dieu et du monde. Dans cette mesure, toutes les parties du système se médiatisent mutuellement : car l’intuition de Dieu, qui conduisait d’abord dialectiquement à l’Idée du savoir dans l’identité de l’être et de la pensée, trouve son accomplissement dans l’intuition du monde51. L’intuition du monde (la physique) ne parvient pas à la vérité si, dans le monde physique, le croisement de l’idéal et du réel n’est pas reconnu52. L’éthique conduit partout à la physique, parce que l’homme est une partie de la nature53.
20Telle est précisément l’interprétation systématique de Platon que nous avons mise en relation avec l’intérêt que Schleiermacher porte à la solution du problème du savoir et de la croyance. Toute l’interprétation de Platon par Schleiermacher, dans les Introductions également, est placée sous le signe de cet intérêt systématique. Ce n’est qu’ainsi que l’importance accordée au Sophiste peut être comprise – selon Schleiermacher, Platon pense ici Dieu et le monde dialectiquement54 –, de même que l’accent mis sur la corrélation de l’éthique et de la physique dans la République et le Timée55. Nous affirmons donc que Schleiermacher était déjà in nuce en possession de son système, c’est-à-dire de sa réponse à Kant et Fichte, et par là avait déjà conçu en pensée son Platon « systématique » au moment de rédiger les Introductions : et que par conséquent la Dialectique et les Leçons sur l’histoire de la philosophie antique formulent ce qui était déjà présent depuis longtemps dans la pensée de Schleiermacher. Cette affirmation n’est pas seulement étayée par le fait que les présentations de Platon dans les Introductions, dans la Dialectique et dans les Leçons sur l’histoire de la philosophie antique concordent ; y conduisent aussi des réflexions de caractère historique et systématique qui jusqu’à présent faisaient défaut à la reconstruction du platonisme de Schleiermacher.
3.2. La spécificité du platonisme de Schleiermacher
21L’idée que l’on se fait du platonisme de Schleiermacher est jusqu’à aujourd’hui largement déterminée par la présentation qu’en a donné Dilthey56. Trois moments la composent, qui convergent en une thèse de caractère historique :
- Schleiermacher met définitivement fin à l’interprétation néoplatonicienne de Platon57.
- La compréhension de Schleiermacher repose exclusivement sur sa lecture de Platon, et consiste essentiellement dans une théorie des dialogues58.
- Ce n’est que plus tard que l’intérêt systématique pour Platon prend le pas59.
22Aucune de ces affirmations ne résiste à l’examen :
23La philosophie platonicienne s’est depuis longtemps libérée, au XVIIIe siècle, du mode d’interprétation néoplatonicien60. Deux nouvelles impulsions ont brisé l’influence séculaire de la traduction et des argumenta de Marsile Ficin. D’abord, dans une perspective pragmatique, l’Histoire critique de la philosophie de J.J. Brucker qui, dans le sillage de Pierre Bayle et de Thomas Stanley, soumet la tradition ancienne de la philosophie antique, entre autres de la philosophie platonicienne, à une critique rigoureuse et, dans le cadre de cette démarche, sanctionne définitivement une séparation entre néoplatonisme et platonisme amorcée dès avant lui61. Cependant se développe peu après l’Historia critica de Brucker un autre mouvement décisif, d’esprit diamétralement opposé, et qui, loin de considérer que les Anciens sont déchus de la vérité, les exhausse au contraire au statut de modèle révéré. Ce mouvement a son origine dans les écrits de J.J. Winckelmann, les Pensées sur l’imitation des œuvres grecques dans la peinture et les arts plastiques de 1755, et avant tout l’Histoire de l’Art antique de 1764. Winckelmann est le premier, en dehors du cercle des spécialistes de l’histoire de la philosophie, à lire Platon lui-même et à envisager une étude critique de ses écrits62. Platon, et pas seulement le néoplatonisme, fournit à Winckelmann l’impulsion décisive à la formulation de sa théorie de l’idéal artistique et du beau63. A Winckelmann se rattache avant tout F. Schlegel, qui non seulement entend devenir le Winckelmann de la poésie grecque, mais qui, comme lui, lit d’abord Platon comme théoricien de l’art et du beau64. En situant aux Ve et IVe siècles le sommet du développement de l’art grec, Winckelmann permet une évaluation de Platon entièrement différente de celle de Brucker. Sur Platon brille encore l’éclat du classicisme grec, il constitue avec les tragiques et Aristophane le sommet de la littérature, et certainement de la prose grecques. Platon, conçu comme représentant de la belle époque des Grecs, inspire à Wolf la rédaction d’un commentaire du Banquet65, W.v. Humboldt relit constamment Platon, dont il a une connaissance intime depuis sa jeunesse66, A. Boeckh reproduit une image de la littérature et de l’histoire de la philosophie grecques qui suit exactement le modèle de l’histoire de l’art de Winckelmann : avec Platon se termine la période grecque classique, Aristote se tient déjà au-delà de la ligne de démarcation qui sépare le sommet du début de la décadence67.
24Pour définir le platonisme de Schleiermacher dans l’histoire de la réception de Platon plus adéquatement que ce n’a été jusqu’ici le cas, on peut décrire son rôle comme celui d’un médiateur entre deux tendances restées jusqu’à lui séparées : Schleiermacher accueille toutes les impulsions de type esthétique qu’il découvre à travers Schlegel, mais en les intégrant à une approche qui appartient en propre à l’orientation systématique de l’histoire de la philosophie. Autrement dit, Schleiermacher combine une interprétation systématique de Platon avec une théorie de la forme de ce système, c’est-à-dire la dialectique, et avec une théorie de la présentation de cette forme dans le dialogue, ou plus exactement les trois formes de dialogue68. Son maître à Halle, J .A. Eberhard (1739-1809), lui sert de médiateur pour ce qui est de la perspective systématique, et F. Schlegel, durant les années berlinoises (1797-1799), pour ce qui est d’une réflexion approfondie sur la spécificité de la forme du dialogue platonicien.
25La façon dont J.A. Eberhard traitait de Platon dans ses cours ressort de son Histoire générale de la philosophie (à usage académique)69. Cette histoire respire l’esprit des Lumières tardives. A la différence de Brucker, elle reconnaît (avec Winckelmann) la « parfaite beauté » des dialogues platoniciens ; elle montre comment Eberhard – tout comme son ami et collègue pour l’Antiquité à Halle, F.A. Wolf – est persuadé que l’on pourrait « maintenant » traiter « plus correctement et avec plus de profondeur » des contenus développés par Platon70. Après avoir donné une caractéristique de l’art d’écrire platonicien manifestement inspirée de Wolf, Eberhard passe au système de Platon. Il n’affirme pas encore, comme Schleiermacher le fera, que Platon a trouvé le système naturel de la philosophie, mais il lui reconnaît « d’avoir rapproché la philosophie de sa figure systématique »71. Mais Eberhard ne trouve aucun passage de la division systématique à la forme dialoguée, il considère plutôt, comme Brucker avant lui, que le dialogue fait obstacle à l’intelligence de ce que Platon a vraiment pensé72. Il n’en présente pas moins, toujours selon le modèle de Brucker, ce système sous forme de « propositions doctrinales » (huit pour la dialectique et la physique, sept pour la théologie et l’éthique). L’ordre de la série est proche de celui de Brucker (dialectique/physique, y compris la théologie/éthique), bien qu’Eberhard souligne dans son introduction ne pas s’être servi de Brucker, mais avoir recouru aux sources73. Le mystère de leur convergence quant aux parties du système platonicien se dissipe si l’on fait l’hypothèse d’une source commune : de fait, il s’agit du résumé des opinions de Platon ’Επὶτομὴ τῶν Πλὰτωνος δογμάτων d’Albinus, désigné à l’époque sous le nom d’Alcinoos74. Brucker avait en effet dénoncé, après que Stanley eut pour la première fois reproduit l’Epitomé dans son histoire de la philosophie, l’inanité de l’interprétation néoplatonicienne et s’était efforcé de suivre la présentation « lumineuse » d’Alcinoos75. Comme le XVIIIe siècle apprend l’histoire de la philosophie dans Brucker76, c’est avec celui-ci que commence l’ascension d’Alcinoos. Diderot, dans l’Encyclopédie, démarque l’article sur Platon de Brucker, et donc, Alcinoos77 ; les nouvelles éditions partielles de dialogues platoniciens reproduisent le texte d’Alcinoos dans leurs introductions78. Or l’Epitomé attribue à Platon la division systématique de la philosophie en dialectique, physique (y compris, sur le modèle du Timée, la théologie), éthique79. Eberhard tire également de ce texte le schéma de sa présentation du système platonicien, comme le montre le renvoi à Alcinoos80. Schleiermacher est le premier, après Alcinoos, à attribuer de nouveau sans réserve cette division systématique à Platon lui-même81, étant donné qu’il pense la retrouver effectivement dans les dialogues. Ainsi le Sophiste montre la dialectique82, la République l’éthique et le Timée la physique83. Schleiermacher a certainement connu cette façon de voir lors de ses études à Halle ; soit par l’intermédiaire d’Eberhard, soit par l’étude de Brucker et d’Alcinoos. En tout cas, sa bibliothèque84 contenait plus tard l’Historia critica de Brucker et l’Histoire de la philosophie de Stanley, qui rendait accessible le texte d’Alcinoos, que Fabricius devait ensuite également éditer85. La structure systématique ne constitue donc nullement une conception originale de Schleiermacher ou le fruit de sa propre interprétation de Platon ; elle est plutôt issue de la redécouverte d’un schéma ancien, ou d’une recréation fondée sur une certaine affinité.
26Mais outre la référence à Alcinoos et au système de Platon, Schleiermacher doit à Eberhard une autre indication, qu’il sera le premier à développer de manière fructueuse : que ce système ne se réduit pas à un catalogue de propositions dogmatiques réunies de manière plus ou moins rigoureuse, mais qu’il présente bien plutôt une cohérence interne, et des parties qui se médiatisent mutuellement. Ainsi Eberhard souligne-t-il déjà – ce que l’insistance de Schleiermacher sur la correspondance entre la gradation des étants et celle des concepts implique également – que la dialectique et la physique sont chez Platon en corrélation : Platon en vint à la doctrine des Idées parce que le monde sensible est, selon Héraclite, soumis au flux perpétuel. Ainsi ne peut-il y avoir aucune science de cette dernière, parce qu’aucun prédicat ne lui revient jamais nécessairement, mais seulement à l’essence des choses. C’est à ces essences (Schleiermacher parle d’« êtres ») que se rapportent les représentations dénommées Idées par Platon et « concepts » par Schleiermacher, qui constituent la source de la science86.
27Eberhard assigne donc déjà la science, dans l’ensemble de la réalité, au seul Idéal (= l’essentiel), et esquisse ainsi les séries corrélatives de l’être et de la connaissance. A coup sûr Schleiermacher va bien au-delà quand, grâce à sa propre interprétation du Sophiste87 et du Timée88, il soumet désormais l’ensemble de la réalité du monde physique – la nature – à la nécessité et à des lois en distinguant de l’Eidos concept l’Idea modèle, en une opération qui ne laisse d’autre fonction au mouvement désordonné de la matière que d’illustrer la différence entre modèle et image89. Cette interprétation fait de Platon un représentant de la philosophie de la nature, elle « physicalise » la doctrine des Idées d’une manière quasi aristotélicienne, puisque, grâce à l’ἰδέα conçue comme force de la nature, l’εἶδος est présente dans les manifestations de la nature elle-même90. Ce n’est pas par hasard que Schleiermacher polémique contre l’interprétation aristotélicienne de Platon, puisqu’il a lui-même éliminé le dualisme des « deux mondes » critiqué par Aristote, et fait en sorte que l’Idée agisse dans les phénomènes, tandis que l’εἶδος est renvoyé à la sphère du concept et du fondement transcendant, et donc dans l’« au-delà » du monde91.
28Mais la démarche de Schleiermacher est ici encore très proche de celle d’Alcinoos : Alcinoos distingue aussi différents aspects à l’intérieur de l’idée ἰδε- ́ α en parlant de l’idée comme modèle du monde (παράδεὶγμα) et comme identique à Dieu, dans la mesure où elle est une pensée de Dieu92. On peut reconnaître à travers cette détermination l’identité de l’être et de la pensée que Schleiermacher formule à propos du fondement transcendant. Et Schleiermacher se trouve toujours à proximité immédiate du texte d’Alcinoos quand il refuse de concevoir les énoncés sur Dieu comme relevant de la « démonstration »93. Cette affirmation s’appuie sur la conclusion établie dialectiquement selon laquelle le concept suprême ne peut plus être un concept, car il supposerait sinon un autre concept. Mais comme l’opposition du concept et de l’objet demeure, le « concept » suprême ne peut être pensé que comme identité de la pensée et de ce qui est pensé, ce qui constitue le savoir transcendant suprême94. Chez Alcinoos, cette identité s’esquisse à travers le fait que les Idées sont simultanément les pensées de Dieu et ce que l’homme peut penser de plus haut, ainsi que le modèle du cosmos visible95. Alcinoos établit le caractère indémontrable de ce Dieu transcendant avec le même argument que Schleiermacher. Le Dieu, qui en tant que premier Dieu transcendant est visible face au cosmos visible, et aussi « ineffable » ἄρρητον, parce qu’il n’est nullement un concept : il ne peut être exclusivement saisi qu’en esprit νοῦς, puisqu’il n’est ni « genre », ni « espèce », ni « différence spécifique »96.
29Nous ne voulons pas affirmer par ces références à Alcinoos que Schleiermacher revient simplement à Alcinoos et ce qu’on nomme aujourd’hui le moyen platonisme. Nous voulons simplement souligner que son interprétation systématique de Platon s’inscrit dans le sillage d’une renaissance d’Alcinoos qui commence avec Brucker. Schleiermacher a certainement lu Alcinoos lui-même, scrupuleux comme il était, et les histoires de la philosophie de l’époque avaient, chacune à sa manière, exploité ce texte de référence97. En tout cas, Schleiermacher a d’abord connu cette tradition d’interprétation systématique à travers Eberhard. Ce n’est que postérieurement, au contact de F. Schlegel, qu’il fut amené à réfléchir, au-delà d’Eberhard, à la relation entre dialogue, dialectique et système.
30En quoi consistèrent les impulsions données par F. Schlegel98 ? Schlegel et Schleiermacher sont d’accord sur le fait que seule la dialectique représente la vraie forme de la philosophie. C’est pourquoi ils s’enthousiasment, indépendamment l’un de l’autre, pour Platon, qui est ainsi reconnu, en dépit de sa réduction systématique à des énoncés dogmatiques, pour un dialecticien. Pour Schlegel, la dialectique platonicienne est le signe que Platon avait une philosophie, mais pas de système99. Car la « philosophie » est pour lui, conformément au sens platonicien du terme, « effort en direction du savoir »100 qui, parce qu’il tend vers un infini, ne peut jamais atteindre le but. L’orientation et l’infinité forment alors l’origine du « mouvement circulaire » de la pensée, qui revient toujours au même point, mais à un niveau supérieur, de sorte qu’il se meut en spirale101. Les dialogues de Platon sont pour Schlegel – il en va différemment pour Schleiermacher, chez qui la forme dialogique de la dialectique garantit la présence de l’autre et, par là, l’universalité de la construction dialectique – l’expression du caractère dialectiquement inachevable d’une pensée, qui commence toujours indirectement, et dont les résultats s’ouvrent seulement sur une nouvelle recherche102. Pour expliquer le phénomène étrange que représente, pour son interprétation, la fixation écrite d’une manière de philosopher qui, par sa « forme cyclique », constitue le paradigme de la philosophie, et un contre-modèle opposable à la doctrine de la science de Kant et Fichte, Schlegel recourt à l’histoire : l’échec des projets politiques conduisit Platon à se consacrer entièrement à la théorie et à exposer sa philosophie pour le petit nombre103. Le dialogue expose donc l’activité philosophique comme son « substitut », le dialogique n’est que le miroir de la pensée de Platon, dialectique parce qu’inachevable. Les différents dialogues, que Schlegel est le premier à diviser en trois groupes104, sont alors le reflet immédiat du développement progressif de la philosophie platonicienne, développement que Schlegel pense de manière organique, conformément à son modèle classique105. Ce n’est que pour ce modèle que Schleiermacher est tributaire de l’interprétation de Schlegel106. Il en résulte que son interprétation d’ensemble des dialogues, qui a toujours pour centre le système de Platon – car pour Schleiermacher tous les dialogues articulent toujours les mêmes éléments de la dialectique, de l’éthique et de la physique107 –, est étrangement ambivalente, et est restée pour cela longtemps mécomprise : Schleiermacher admet avec Schlegel un développement intérieur de Platon, auquel correspondent les trois groupes de dialogues ; mais l’intention de l’écrivain Platon est en même temps de présenter ce développement, afin que d’autres puissent y participer108. La combinaison entre la perspective d’un développement personnel et l’optique systématique donne lieu à une théorie des dialogues qui n’est ni purement didactique comme on l’affirme toujours - ni purement évolutionniste109. Les Introductions témoignent bien plutôt partout de l’intérêt que Schleiermacher porte aux contenus systématiques de chacun des dialogues particuliers110. C’est en parfaite conformité avec une herméneutique et une critique ressortissant de la dialectique qu’il lit les dialogues en herméneute philosophe et critique dialectique111.
31Le πρῶτον ψεῦδος de la présentation de Dilthey est donc de considérer le travail de Schleiermacher comme d’abord philologique et critique, et de l’associer à F.A. Wolf et B. Niebuhr112. Il aurait bien plutôt dû reconnaître en Schleiermacher le philosophe interprète à la recherche, dans les dialogues, d’une pensée systématique demandant à être prise au sérieux, et dont la dialectique se présente comme un contre-poison face à la nouvelle dogmatique du criticisme scientifique. Car seule la dialectique platonicienne était pour Schleiermacher en mesure de combiner la prétention au savoir total avec une réflexion sur les limites de cette prétention113.
4. Le platonisme dans les sciences de l’esprit après Schleiermacher
32A redéfinir ainsi la place de Schleiermacher dans l’histoire de la réception de Platon, il cesse d’être l’initiateur d’une approche « littéraire » de Platon, comme le suggère actuellement l’étiquette de « schleiermacherisme »114. Schleiermacher s’inscrit plutôt dans la continuité d’une tradition antique, celle du moyen platonisme, où Platon est considéré comme l’auteur d’une pensée qui, visant une totalité, doit développer une philosophie de la transcendance aussi bien qu’une éthique et une philosophie de la nature. Cette conception, Schleiermacher la partage avec d’autres, qui furent ses contemporains, ou vinrent après lui, comme A. Boeckh, et W.v. Humboldt.
33E. Bratuschek et, après lui, A. Horstmann ont bien mis en évidence l’héritage platonicien d’A. Boeckh. Il est inutile ici de revenir sur les preuves de son existence115. Il faut cependant souligner, avant tout contre Horstmann, qu’on ne peut parler chez Boeckh d’une compréhension de la philosophie platonicienne qui serait teintée de néoplatonisme116. Certes, Boeckh s’appuie exclusivement, dans la tradition de Schleiermacher, sur le témoignage des dialogues – en particulier le Philèbe, le Timée et la République117. Mais à travers ceux-ci Boeckh reconnaît les moments d’un système, qu’il décrit, en accord étroit avec Schleiermacher, comme un paradigme de la pensée spéculative118. Boeckh reste aussi dans le cadre du moyen platonisme. Les Idées sont pour lui les pensées de Dieu119, et elles agissent dans le monde comme « lois du devenir »120. Boeckh souligne également l’idée d’ὁμοίωσὶς θεῷ, ῀ qui fait de l’esprit humain νοῦς l’image limitée de l’esprit divin121. Comme Schleiermacher, il identifie Dieu avec l’Idée du bien et avec l’identité de l’être et de la pensée122, et tient la critique d’Aristote pour infondée123, ce que nous avons dans le cas de Schleiermacher expliqué par une interprétation moniste qui supprime le chorismos entre le monde des Idées et le monde sensible en faisant de celui-ci la manifestation de l’Idée – la matière n’ayant plus lors pour seule fonction que de constituer la différence entre modèle et image. Boeckh en juge de même, quand il dénie toute réalité à la matière124.
34Pour Humboldt, il n’existe pas à ce jour d’étude spécialement consacrée à sa compréhension de Platon125. C’est là une véritable lacune, car une lecture attentive de ses écrits et de sa correspondance apprend immédiatement que la pensée des Grecs, et en particulier celle de Platon, lui est constamment présente et fournit à sa pensée une norme. Il est vrai que Humboldt s’est avant tout attaché à l’étude des poètes (Homère, Pindare, Eschyle et Sophocle)126. Mais les citations de Platon, et plus encore l’utilisation constante d’expressions, de métaphores et de complexes de pensée platoniciens, dans la mesure même où elles se passent de référence explicite, montrent combien Humboldt se sentait chez lui dans la philosophie de Platon127. Nous retiendrons, entre les nombreux indices qui témoignent de cette connaissance et de la dette de Humboldt à l’égard de Platon, deux phénomènes importants pour la question de la compréhension historique.
35Humboldt s’est confronté dès 1790 à la théologie platonicienne, telle qu’elle se trouve formulée dans le Xe livre des Lois128. Ce n’est sans doute pas un hasard si, plus tard, l’analyse humboldtienne des forces agissantes dans l’histoire universelle nomme justement les trois facteurs que Platon reconnaît dans le Xe livre des Lois comme les forces motrices des destinées humaines, à savoir la nature des choses, le hasard et la liberté, cette dernière étant entendue par Platon comme le mouvement automoteur de l’âme connaissante, et par Humboldt comme la liberté de l’activité spontanée de l’esprit par laquelle l’homme accomplit les Idées de portée historique universelle129.
36Un point de convergence évident entre Humboldt et Platon est l’anthropologie. Non seulement le dualisme très prononcé du corps et de l’esprit rappelle celui des dialogues platoniciens de jeunesse et de maturité, mais Humboldt se réfère ici directement à Platon130. Une étude plus approfondie montrerait que Humboldt, comme Schleiermacher, bien que sur la base d’intérêts différents, à savoir de nature anthropologique, eut pour point de départ les perspectives et les problèmes ouverts par la philosophie kantienne – c’est la thèse de J. Quillien131 –, mais que, comme Schleiermacher encore, il trouva les réponses aux questions qu’il se posait dans les concepts et les représentations qui constituent le cadre de l’interprétation platonicienne du monde.
37Ces témoignages nous autorisent donc à affirmer que Platon – un Platon répondant chaque fois à un type de question déterminé – fournit à des hommes qui, comme Boeckh et Humboldt, étaient convaincus du caractère paradigmatique des Grecs de l’époque classique, les bases d’une vision « moderne » du monde. Le platonisme de ces deux penseurs a en commun que Dieu et le monde entretiennent une relation connaissable, que cette relation doit être rapportée à la réalisation des Idées divines dans le monde des phénomènes, et que l’homme, grâce à sa nature également spirituelle, est en mesure de connaître ces Idées et de les investir de manière créatrice dans la théorie et la pratique. Entre Humboldt et Boeckh il y a, il est vrai, le travail de Schleiermacher, qui réinterprète la philosophie de Platon dans une perspective moniste, tandis que Humboldt part toujours du dualisme, en particulier celui de l’esprit et du corps.
38Dans ces conditions, on ne peut plus guère s’étonner que la compréhension du monde humain, c’est-à-dire de l’histoire, qui relève de l’éthique philosophique132, soit teintée de platonisme tant chez Boeckh qu’encore chez Droysen. Il faut ici rappeler que Droysen était personnellement disciple de Boeckh133, tandis que Humboldt lui a livré dans son Introduction à l’Œuvre sur le Kavi le modèle impérissable d’une conception authentique de l’histoire134.
39D’abord Boeckh : Boeckh conçoit exclusivement l’histoire comme réalisation de l’esprit – en tant que champ du « connu », i.e. d’Idées. La philologie est de l’histoire, mais, comme Boeckh fait abstraction des facteurs de la nécessité et du hasard, elle n’est plus qu’histoire de l’esprit135. Comme déjà chez Schlegel, « esprit » n’est plus à comprendre en un sens théologique et pneumatique, mais de manière platonicienne et noétique. Cependant Boeckh va au-delà de Schlegel et de Schleiermacher en rapportant à l’esprit non seulement l’art et la philosophie, mais aussi des idées de famille et avant tout d’Etat, bref de l’ensemble de ce que Droysen nommera les « forces morales »136.
40Boeckh reprend ainsi explicitement la doctrine schleiermacherienne de la compréhension, en dénommant le but de la philologie, la connaissance du connu, « compréhension », c’est-à-dire reproduction d’idées étrangères par la production d’Idées propres. Mais il élargit simultanément le champ de la compréhension, puisque sont à comprendre non plus les seules expressions textuelles de l’esprit – ce qui revient, comme Schlegel et Schleiermacher le montrent, à l’histoire de la littérature et de la philosophie –, mais toutes les expressions spirituelles de la vie, qui se retrouvent dans les produits objectifs, y compris par exemple l’économie financière de l’Etat137. Mais en s’éloignant de l’histoire de la littérature et de la philosophie au profit d’une histoire générale de l’esprit, Boeckh ne parvient pas à une conception de l’ensemble de la réalité historique. Son platonisme l’en empêche ; car dans la perspective d’une interprétation moniste de Platon qui ne reconnaît aucune dynamique propre aux forces non spirituelles – significative est derechef l’interprétation que Boeckh donne de la matière dans le Timée138 – l’histoire n’intéresse la compréhension que dans la mesure où elle peut être saisie comme manifestation de l’Idée, c’est-à-dire comme activité spirituelle139. Ce n’est qu’avec Droysen, dans le sillage de Humboldt140, que le passage à l’histoire dans son ensemble est effectué. On assiste ici à un changement de paradigme dans la science historique. Alors que Boeckh n’intégrait au domaine de l’éthique que l’objet de la philologie, le connu, Humboldt et Droysen considèrent l’histoire dans le cadre de l’ensemble des événements mondiaux, c’est-à-dire dans l’ordre physique également. La compréhension, en tant qu’instrument de l’historien, reçoit par là une autre place : la compréhension des Idées, qui appartiennent à l’homme en tant qu’être spirituel libre, ne constitue qu’un moment de la méthodologie de Droysen141. Sa méthodologie devient plus complexe, étant donné que l’objet à traiter, le monde historique, ne se laisse pas réduire aux forces spirituelles. Elle est, comme Humboldt le remarque dans les « Considérations sur les causes motrices dans l’histoire universelle », un champ constitué par le jeu de différentes forces parfois opposées, comme le hasard et la liberté, et les différentes attitudes de l’historien doivent répondre à ce phénomène142. Il est cependant remarquable que Droysen maintienne emphatiquement, à côté d’un concept purement technique de compréhension, celui de l’« interprétation », un concept dont l’orientation est plutôt éthique, et qui lui permet d’exhausser le premier. Car si d’un côté l’interprétation forme une étape dans la démarche systématique du chercheur, le but de son activité est bien la « compréhension qui cherche » (forschendes Verstehen), ce qui signifie que la compréhension des forces éthiques et des Idées devient la tâche principale de l’histoire143.
41Dans cette perspective, qui est celle de la liaison de compréhension à son unique objet, et de la détermination de cet objet comme expression de l’esprit, Schleiermacher, Boeckh et Droysen sont les trois étoiles qui guident le « tournant herméneutique ». La constellation se place, comme nous avons tenté de le montrer, ou du moins de le suggérer, sous le signe d’un platonisme rénové. Car c’est lui qui permet de parler d’esprit, et non plus de raison comme les Lumières, de comprendre cet esprit de manière non pneumatique, mais comme activité noétique libre, et ainsi de nommer une force dans l’homme qui peut spontanément, à la ressemblance de la pensée et de l’action divine144, penser et réaliser les Idées.
Notes de bas de page
1 Sur Göttingen, cf. G. Selle, Die Georg August Universität Göttingen, 1737-1937, Göttingen, 1937. F. Paulsen, Geschichte des gelehrten Unterrichts, 2 vol., Berlin, 1921, II, p. 9-47.
2 Cf. J. Engel, « Die deutsche Universitäten und die Geschichtswissenschaft, Hundert Jahre Historische Zeitschrift », Historische Zeitschrift, 1959, p. 282 s.
3 Cette fondation résulte de la coopération entre F.A. Wolf et le ministre de Frédéric le Grand, le baron von Zedlitz. Sur le détail des circonstances, voir F. Paulsen, Geschichte des gelehrten Unterrichts, II, p. 77-84 et 224 s. Sur von Zedlitz, cf. A. Trendelenburg, Staatsminister Freiherr von Zedlitz, Berlin, 1859.
4 Cf. J. Engel, « Die deutsche Universitäten... », p. 285-294.
5 Cf. H. Schelsky, Einsamkeit und Freiheit, Hambourg, 1963, p. 48-90. Voir en outre E. Anrich, Die Idee der deutschen Universität. Die fünf Grundschriften aus der Zeit der Neubegründung durch klassischen Idealismus und romantischen Realismus, Darmstadt, 1956 (traduction française des textes de Schelling, Fichte, Schleiermacher, Humboldt dans L. Ferry, J.P. Pesron, A. Renaut (éds), Philosophies de l’Université, Paris, 1979).
6 Cf. A. Boeckh, Enzyklopädie und Methodenlehre der philologischen Wissenschaften (1809- 1865), Leipzig, 1877, p. 9 et 16 s. Cf. la contribution d’A. Horstmann, ci-dessous, p. 257 ss. J.G. Droysen, Historik, p. 36 s. Cf. la contribution de U. Muhlack, ci-dessous, p. 281 ss.
7 « Geist » chez Schlegel : KA, XI, 1958, p. 3 s. (cf. E. Behler, ibid., p. XXI s.) et KA, XVIII, 1963, p. XXV s. ; « Geistesgeschichte » : KA, XI, p. 6, 119 ; « Geisteswissenschaft » : KA, VIII, 1975, p. LXIX ; KA, XVIII, 1963, p. XXVIII. Sur l’histoire du concept, voir les articles « Geistesgeschichte » et « Geisteswissenschaft » dans l’Historisches Wörterbuch der Philosophie, vol. 3, Bâle, 1979.
8 Herm. K, p. 77 (trad. franç., p. 115).
9 Cf. G. Scholtz, ci-dessous, p. 223 ss., ainsi que A. Neschke-Hentschke, ci-dessous, p. 197 ss.
10 A. Boeckh, Enzyklopädie, p. 33 ; J.G. Droysen, Historik, p. 22.
11 Cf. W. Dilthey, Studien zur Geschichte des deutschen Geistes, GS, III, 1959.
12 Cf. E. Behler, KA, VIII, 1975, p. LXIX-CVII.
13 Cf. W. Mettler, Der junge Friedrich Schlegel und die griechische Literatur, Zurich, 1955, et H. Eichner, KA, VI, 1961, p. XXXI-XLVII.
14 Voir en dernier lieu sur ce point W. Michel, Ästhetische Hermeneutik und frühromantische Kritik, Göttingen, 1982.
15 E. Behler fait exception, cf. KA, XI, 1958, p. 307 : « Cette activité philologique et critique autour de Platon va de pair avec une redécouverte intellectuelle des principes de la philosophie platonicienne, qui fait précisément du romantisme sous la direction spirituelle de F. Schlegel une des grandes renaissances du platonisme occidental ».
16 Sur le concept de compréhension chez Humboldt, voir les remarques de J. Quillien, ci-dessus, p. 96 ss.
17 Cf. R. Kroner, Von Kant zu Hegel, 2 vol., Berlin, 1921/1924, I, p. 364 s.
18 Grundlinien einer Kritik der bisherigen Sittenlehre, SW, III/1, p. 1-344, cf. A. Laks, dans ce volume p. 133 ss.
19 Je me réfère à la Dialectique de 1811, parce qu’elle constitue après les Grundlinien le témoignage le plus ancien de la pensée systématique de Schleiermacher, et qu’elle est chronologiquement proche de l’Herméneutique de 1809/1810. Le cours de 1811 est maintenant édité d’après les manuscrits et les notes d’auditeurs par A. Arndt (Hambourg, 1984). La compréhension du texte est rendue plus difficile par la décision de l’éditeur de reproduire le texte original même quand il est de toute évidence grammaticalement corrompu (voir infra, n. 30).
20 Critique de la raison pure, Darmstadt, 1963, Weischedel (éd.), p. 308 s. Sur la dialectique et son rapport à l’histoire de la philosophie, cf. H. Lübbe, « Philosophiegeschichte als Philosophie », dans K. Oehlev, R. Schaeffler (éds), Einsichten. Festschrift G. Krüger, Francfort, 1962, p. 204 s.
21 Dial. A, p. 3 (2e heure), cf. A. Arndt, note p. 85.
22 Dial. A, p. 5 (2e heure).
23 Ibid.
24 Dial. A, p. 5 (3e heure).
25 Ibid.
26 Dial. A, p. 13 et 16.
27 Dial. A, p. 13.
28 Dial. A, p. 18.
29 Dial. A, p. 23 (15e heure).
30 Ibid. Le texte est ici incompréhensible : « Man könnte gar kein reales Wissen haben oder gar kein Mittel im Einzelnen Wissen vom Nichtwissen zu unterscheiden und die Gewissheit Gottes wäre diesselbe weil sie in der Idee des Wissens liegt ». Il manque manifestement un terme comparatif avant « und die Gewissheit Gottes wäre diesselbe... ». On peut compléter pour faire sens, une fois ponctué après « unterscheiden » : « < Die Gewissheit des Unterschieds von Wissen und Nichtwissen > und die Gewissheit Gottes wäre diesselbe weil sie in der Idee des Wissens liegt ».
31 En particulier Dial. A, p. 310 s. (24e et 25e heure).
32 Dial. A, p. 23 (15e heure, nr. 3).
33 M. Cordes, « Der Brief Schleiermachers an Jacobi. Ein Beitrag zu seiner Entstehung und Überlieferung », Zeitschrift für Theologie und Kirche, 68, 1971, p. 210 (cité par A. Arndt, Dial. A, p. XXXV).
34 Cf. Gesch. d. Philosophie, SW, III/4, l, p. 108.
35 Dial. A, p. 4 et 5.
36 Dial. A, p. 5 (3e heure).
37 Ibid.
38 Dial. A, p. 6 (4e heure).
39 Le concept de « critique » fait de la dialectique une « théorie du consensus » (Dial. A, p. 5 et 6). Celle-ci est déjà présente pour Schleiermacher dans l’école socratique. G. Scholtz en juge différemment, cf. « Schleiermachers Dialektik und Diltheys erkenntnistheoretische Logik », Dilthey-Jahrbuch, 2, 1984, p. 189.
40 Dial. A, p. 5 (3e heure).
41 Dans les études récentes sur le platonisme de Schleiermacher, ce concept de « platonisme » est implicitement présupposé. On trouve une critique pertinente du procédé, jadis usuel, consistant à étiqueter son propre système de « platonisme », chez N. Vorsmann, Die Bedeutung des Platonismus für den Aufbau der Erziehungstheorie bei Schleiermacher und Herbart, Ratingen, 1968, p. 9-13.
42 Dial. A, p. 31 (23e heure).
43 Gesch. d. Philos., p. 103, cf. Dial. A, p. 23 (15e heure).
44 Dial. A., p. 30 s. (23e heure).
45 Dial. A, p. 31 (24e heure).
46 Dial. A, p. 32 (24e heure).
47 Cf. H. Dörrie, « Der Platonismus der frühen Kaiserzeit », dans Platonica Minora, Munich, 1976, p. 174 s.
48 Gesch. d. Philos., p. 104. Voici comment Schleiermacher interprète le mythe : « Il ne peut y avoir dans la conscience factuelle aucune connaissance pure de la relation de ce devenir à l’être, mais seulement un discours vraisemblable, parce que la connaissance communicable est elle-même prise dans la forme du devenir. C’est pourquoi la relation apparaît elle-même comme un devenir et que sa présentation ne peut avoir que la forme d’une cosmopoïe ».
49 Gesch. d. Philos., p. 105.
50 Gesch. d. Philos., p. 98.
51 Dial. A, p. 25 (17e heure, 4e ajout, et 18e heure).
52 Dial. A, p. 32 (cf. supra, p. 117).
53 Gesch. d. Philos., p. 108. Sur l’éthique de Schleiermacher, cf. G. Scholtz, Die Philosophie Schleiermachers, Darmstadt, 1984, p. 114.
54 Platons Werke, II/2, p. 90 : dans le Sophiste « se dévoile le sanctuaire le plus intérieur de la philosophie sous un mode purement philosophique » et « se découvre de la manière la plus déterminée l’intuition de la vie de l’étant et de la nécessaire unité et interpénétration de l’être et de la connaissance. Or il n’existe rien de plus grand dans le domaine de la philosophie ». Sur l’interprétation du Sophiste par Schleiermacher, voir G. Scholtz, « Schleiermacher und die platonische Ideenlehre », dans ISK, 2, p. 849-871.
55 Platons Werke, I/1, p. 32 s.
56 W. Dilthey, Leben Schleiermachers, I/2, p. 37-62.
57 E. Hoffmann, Plato, Hambourg, 1961, p. 23 ; W. Jaeger, Paideia, Berlin, 19593, p. 131 s. ; N. Vorsmann, Die Bedeutung des Platonismus, p. 43. Vorsmann attribue ce jugement à Dilthey ; mais Dilthey, Leben Schleiermachers, 1/2, p. 59, renvoie à juste titre au travail critique de Brucker et de Tennemann.
58 Dilthey, Leben Schleiermachers, 1/2, p. 49-52. Cf. H.G. Gadamer, « Schleiermacher als Platoniker », dans Kleine Schriften, II, Tübingen, 1972, p. 142 (trad. franç., « Schleiermacher platonicien », Archives de philosophie, 1969, p. 28-39).
59 Gadamer, « Schleiermacher… », p. 142 et 145.
60 Cf. E.N. Tigerstedt, The Decline and Fail of Neoplatonic Interpretation, Helsinki, 1974, p. 53- 63.
61 Cf. La polémique de Brucker contre la « peste » des néoplatoniciens, Historia critica philosophiae, I, Leipzig, 17672, p. 669 et 676.
62 J.J. Winckelmann, Briefe, Diepholder et Rehm (éds), vol. I, Berlin, 1952, p. 303. Cf. Max Wundt, « Die Wiederentdeckung Platos im XVIII. Jahrhundert », Blätter für Deutsche Philosophie, 15, 1942, p. 149-158.
63 Comme l’a montré Ulrike Rein, Winckelmanns Begriff der Schönheit. Über Platos Bedeutung für Winckelmann, Diss. Bonn, 1972, p. 22-51.
64 Sur Schlegel comme historien de la littérature, cf. H. Eichner, « Einleitung », dans : Friedrich Schlegel, Geschichte der alten und neuen Literatur, KA, VI, 1961, p. XIII-XLVII.
65 Cf. A. Neschke-Hentschke, « Le texte de Platon... », ci-dessous, p. 208.
66 Cf. l’écrit de jeunesse, « Socrate et Platon sur la divinité, la providence et l’immortalité », GS, I, p. 1-44. Humboldt traduit Platon pour ses amis. Cf. W.v. Humboldt, Aus Briefen und Tagebüchern, R. Freese (éd.), Darmstadt, 1986, p. 115.
67 Enzyklopädie, p. 574 s.
68 Cf. A. Neschke-Hentschke, ci-dessous, p. 213 s.
69 Allgemeine Geschichte der Philosophie, Halle, 1787. Sur Eberhard, cf. la dissertation de E. Böhm, Die Auseinandersetzung zwischen I. Kant und J.A. Eberhard über Fragen der Ästhetik und Rhetorik, Stuttgart, 1981.
70 Allg. Gesch. d. Philos., p. 139.
71 Allg. Gesch. d. Philos., p. 141.
72 Ibid.
73 Allg. Gesch. d. Philos., p. V
74 Cf. J. Freudenthal, Der Platoniker Albinos und der falsche Alkinoos, Berlin, 1879. Aujourd’hui on sépare de nouveau les deux auteurs. Voir R. Goulet, Dictionnaire des philosophes antiques, I, Paris, 1989, « Alcinoos ».
75 Brucker, Historia critica, p. 669-670.
76 Sur l’influence exercée par Brucker, cf. L. Braun, Histoire de l’histoire de la philosophie, Paris, 1973, p. 120.
77 Sur l’article « Platonisme » de Diderot, cf. F. Novotny, The posthumous life of Plato, La Haye, 1977, p. 491 s.
78 On citera en particulier la nouvelle édition des dialogues platoniciens amorcée par Friedrich Fischer (Platonis dialogi quatuor, Leipzig, 17833), louée par Fabricius comme la première édition vraiment critique.
79 Albinus, Epitomé (Platonis dialogi, vol. VI, Leipzig, 1853) III, p. 153 Hermann = p. 9 s. Louis (= P. Louis, Albinus, Epitomé, Paris, 1945). Alcinoos, Enseignement des doctrines de Platon, J. Whittaker (éd.), Paris, 1990.
80 Allg. Gesch. d. Philos., p. 143.
81 Gesch. d. Philos., p. 98.
82 Ibid. : « à la physique et à l’éthique sont consacrées des présentations propres (à savoir la République et le Timée, A. N.-H.) ; la dialectique, si on ne veut pas la reconnaître dans le Sophiste, est partout au fondement ».
83 Platons Werke, I/1, p. 32-35.
84 Cf. le registre des livres de Schleiermacher, Tabulae librorum e bibliotheca defuncti Schleiermacheri, D. Rauch (éd.), Berlin, 1835, p. 75. Je remercie W. Virmond (Berlin) d’avoir mis à ma disposition le fascicule.
85 Th. Stanley, The History of Philosophy, 1655 (1687, 1701 ; traduction latine par Olearius, Leipzig, 1711) ; p. 180-196 (édition de 1687). J. Fabricius, Biblioteca Graeca, vol. II, 1. III, c. 2, p. 42-51.
86 Gesch. d. Philos., p. 141 s.
87 Cf. l’étude de G. Scholtz, « Schleiermacher und die platonische Ideenlehre » (cité supra, n. 54).
88 A. Arndt (Dial. A, p. XXVI) et N. Vorsmann (Die Bedeutung des Platonismus, p. 59 s.) s’accordent à souligner l’importance de la philosophie de la nature pour Schleiermacher.
89 Sur εἶδος et ἰδέα, voir Gesch. d. Philos., p. 103-105.
90 Cf. Dial. A, p. 23 ; Gesch. d. Philos., p. 104.
91 Sur la critique d’Aristote, cf. Gesch. d. Philos., p. 113-116, ainsi que G. Scholtz, « Schleiermacher und die platonische Ideenlehre », p. 867.
92 Epitomé, IX, p. 163 Hermann = p. 51 Louis. Sur cette thèse centrale du moyen platonisme, cf. A.N.M. Rich, « Die platonischen Ideen als Gedanken Gottes » (1954), dans C. Zintzen (éd.), Der Mittelplatonismus, Darmstadt, 1981 (= Wege der Forschung, LXX), p. 200-211.
93 Dial. A., p. 23 (15e heure).
94 Dial. A, p. 18 (10e heure).
95 Epitomé, IX, p. 163 Hermann = p. 51 s. Louis.
96 Epitomé, X, p. 165 Hermann = p. 59 Louis.
97 L’exemple de Brucker et d’Eberhard montre clairement que l’utilisation d’Alcinoos peut conduire à des résultats totalement différents.
98 Sur le platonisme de F. Schlegel, cf. G. Walther, ci-dessous, p. 155 ss.
99 KA, XI, 1958, p. 118 : « Platon n’avait pas de système, une philosophie seulement ».
100 KA, XVIII, 1963, p. 519.
101 KA, XII, 1964, p. 10. Cf. aussi E. Behler, KA, VIII, 1975, p. XL-XLIV.
102 KA, XI, 1958, p. 119. Cf. H.J. Krämer, « Fichte, Schlegel und der Infinitismus in der Platodeutung », Deutsche Vierteljahresschrift, 62, 1988, p. 583-621.
103 KA, XI, 1958, p. 118.
104 KA, VIII, 1965, p. 526-530.
105 Cf. E. Behler, « Einleitung » dans : Friedrich Schlegel, Über das Studium der griechischen Poesie, Paderborn, 1982, p. 65 ss.
106 Cf. A. Neschke-Hentschke, ci-dessous, p. 216 s.
107 Platons Werke, II/2, Berlin, 18573, p. 8.
108 Cf. A. Neschke-Hentschke, ci-dessous, p. 218. Ce n’est que dans l’Introduction à la République, datant de 1828, que Schleiermacher récuse le modèle de Schlegel, en évoquant la possibilité d’une révision tardive des dialogues (Platons Werke, III/1, 2, Berlin, 18622, p. 48).
109 Ainsi Gadamer, « Schleiermacher als Platoniker », p. 142, s’opposant à l’interprétation didactique maintenant représentée par exemple par H.J. Krämer, Platone e i fondamenti della metafisica, Milan, 1982, p. 34.
110 Cf. G. Scholtz, « Schleiermacher und die platonische Ideenlehre », p. 866 s.
111 Cf. l’Introduction à la République, dont U. Zimbrich traite infra, p. 183 ss.
112 W. Dilthey, Leben Schleiermachers, I/2, p. 37 s.
113 Voir plus haut, p. 114 s.
114 Ainsi H.J. Krämer, Platone, p. 33-97, qui suit H. v. Stein, Sieben Bücher zur Geschichte des Platonismus, Göttingen, 1875, II, p. 341-375. Son argumentation repose sur deux prémisses : 1. Schleiermacher identifie philosophie et art. C’est pourquoi il réduit Platon à l’œuvre écrite, que Krämer considère comme une « œuvre littéraire ». Il donne donc une interprétation esthétique du concept d’art – à tort, puisque Schleiermacher entend encore le terme dans un sens pré-esthétique. 2. La position de Schleiermacher, proche de la philosophie de l’identité de Schelling, est marquée par son époque. L’une et l’autre raison expliquent que Schleiermacher élimine la tradition indirecte, et la doctrine des deux principes qu’elle atteste. – Un examen des thèses de Krämer dépasserait les limites de ce travail. Il devrait mettre à l’épreuve le concept de « philosophie » que Krämer suppose quand il admet que seul un discours sur les principes est philosophique et est compris comme tel par Platon lui-même.
115 E. Bratuschek, « A. Boeckh als Platoniker », Philosophische Monatshefte, 1, 1868, p. 257 s. A. Horstmann, Antike Theoria und moderne Wissenschaft. A. Boeckhs Konzept der Philologie, Habil. Schrift, Hambourg, 1986 (dact.), p. 97-106, publié en 1992 à Francfort chez P. Lang.
116 A. Horstmann, « A. Boeckh und die Antike-Rezeption im XIX. Jahrhundert », exposé de septembre 1986 au congrès de Trente, p. 8 du manuscrit dactylographié.
117 Enzyklopädie, p. 569-574.
118 Enzyklopädie, p. 574-576.
119 Enzyklopädie, p. 569-572.
120 Enzyklopädie, p. 573.
121 Enzyklopädie, p. 571.
122 Enzyklopädie, p. 569-572.
123 Enzyklopädie, p. 575.
124 Enzyklopädie, p. 570.
125 Pour une présentation générale, cf. P. Stadler, W. v. Humboldt und die Antike, Zurich, 1959.
126 Sur l’interprétation humboldtienne des poètes, cf. P. Stadler, Humboldt und die Antike, p. 63- 82.
127 Platon est présent chez Humboldt sous différents aspects : 1. comme représentant, avec les poètes, de la plus belle époque de la Grèce (Werke, L. A. Flitner et K. Giel (éds), II, p. 106, 391 ; III, p. 293 ; I, p. 280 ; III, p. 593). Il contribue avec eux à « la vision idéale des Grecs » (V, p. 374). 2. comme homme d’Etat et législateur (I, p. 7 s. ; 60 s. ; 100 s.). 3. comme base de la religion chrétienne (II, p. 86). 4. comme initiateur d’une vision du monde qui reconnaît dans le monde la manifestation sensible des idées (spécialement II, p. 103). 5. comme anthropologue (en particulier I, p. 1-32). A. Boeckh rapproche Humboldt homme d’Etat de la politique platonicienne quand il le caractérise comme « un homme d’Etat imprégné et dirigé par les Idées » (W.v. Humboldt, Briefe, R. Freese (éd.), p. 778-782).
128 Cf. supra, n. 66.
129 Platon, Lois, 887c-907d : Humboldt, « Sur les causes motrices de l’histoire universelle » (Werke, I, p. 574 ; trad. franç. par A. Disselkamp et A. Laks, dans La Tâche de l’historien, Lille, 1985). Il est intéressant de noter que Boeckh considère que les Lois jettent « le fondement de la philosophie de l’histoire » (Enzyklopädie, p. 574).
130 Voir en particulier « Sur la religion », Werke, I, p. 1-15.
131 J. Quillien, Humboldt et la Grèce, Lille, 1983, p. 25-31. Malheureusement, J. Quillien n’aborde pas la question des éléments platoniciens chez Humboldt, comme l’exigerait, tant d’un point de vue terminologique que pour le fond, la mention des « Idées originaires » du vrai, du beau et du juste (voir La Tâche de l’historien, Werke, l, p. 605 = p. 86 s. de la trad. franç.).
132 « Nous voyons donc que la philologie n’est proprement rien d’autre que la présentation dans la réalité, dans l’histoire, de ce que l’éthique présente de manière générale comme loi de l’action » (Enzyklopädie, p. 16).
133 Sur la vie et le devenir de Droysen, voir K. Christ, Von Gibbon zu Rostovtzeff, Darmstadt, 1972, p. 50-67, et B. Bravo, Philologie, histoire, philosophie de l’histoire, Varsovie, 1968 (reprint Hildesheim, 1988).
134 Historik, p. 52.
135 Voir en particulier Enzyklopädie, p. 52-59, et, sur ce point, A. Horstmann, Antike Theoria..., p. 80-96.
136 L’histoire est éthique concrète, du type de celle qui, chez Platon, crée des « conditions » (Enzyklopädie, p. 57 s.). En relève avant tout l’Idée d’Etat, car elle est la plus englobante. C’est pourquoi Boeckh dans la division des matières de l’Encyclopédie, part de l’Etat, suivant en cela encore Platon : « Nous commençons comme Platon dans sa République avec l’Etat, en quoi tout est inclus » (p. 63). La présentation de l’éthique platonicienne se lit comme une explication de la conception que Boeckh se fait de l’histoire (p. 573) : « L’ordre éthique du monde se réalise selon Platon dans la forme de l’Etat. Il est l’envers de la nature. Ce que cette dernière produit par une nécessité d’airain, est créé en celle-ci par une force humaine libre et activement motrice. La force qui forme l’Etat est la loi de la nature qui a fleuri jusqu’à la conscience ». Transparaît dans ces phrases la conception selon laquelle la nature n’est pas l’opposé de la culture (éthique et histoire), mais que « l’ordre de la nature est un organe de l’ordre éthique du monde, qui forme une communauté avec Dieu et les esprits finis limités » (ibid.).
137 Au primat de l’Etat dans le monde éthique correspond l’importance que Boeckh accorde dans ses recherches à l’organisation de l’Etat. Ainsi dans l’Economie des Athéniens de 1817 et dans le corpus des inscriptions.
138 Cf. supra, p. 127.
139 Cf. Enzyklopädie, p. 55 s. : « Ainsi la totalité de la vie spirituelle constitue le domaine du connu », et, plus loin (p. 57) : « Comme la totalité de la vie et de l’action des anciennes nations classiques sont l’objet de la partie matérielle, dans la mesure où elles ne sont pas purement physique (je souligne, A. N.-H.)... ». Humboldt parle au contraire expressément de la « physique » de l’« histoire » (« Sur les causes motrices... », Werke, I, p. 578 = p. 59 de la trad. franç.).
140 Voir en particulier « Sur les causes motrices... » et La Tâche de l’historien.
141 Voir Historik, p. 65-284 et 425-434.
142 Voir U. Muhlack, ci-dessous, p. 289.
143 Historik, p. 22-28 et 423.
144 Boeckh dit expressément que le Dieu platonicien est agissant : « dans la mesure où dans toutes les Idées et leurs manifestations se réalise l’Idée du bien (que Boeckh indentifie à Dieu, A. N.-H.), la pensée de Dieu est action » (Enzyklopädie, p. 572).
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