Krisis ou la décision génératrice
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Partie III. Κρίσις dans les dialogues de Platon : vertus de la distinction et du tri
p. 173-286
Extrait
1Chez les médecins la κρίσις était un changement organique profond. Trouvera-t-on l’équivalent chez Platon ? Ce n’est de toute évidence pas le sens le plus immédiat. Un nouvel usage s’observe en revanche nettement : celle-ci devient une opération intellectuelle qui opère la distinction de l’être et du non-être, du vrai et du faux. Ce sens apparaît d’ailleurs dès Parménide1. La notion de κρίσις a pu servir à caractériser la conception platonicienne de la pensée, chez un auteur comme A. Schmitt2. A été ainsi reconnue son importance pour définir l’acte de la pensée accompli par l’intellect philosophique, mais sans analyse lexicale précise du mot en question. D’autres auteurs ont souligné que le κρίνειν est une opération qui manifeste un effort d’acquisition de la vérité, notamment par la recherche sur des réalités intelligibles3.
2La κρίσις intervient bien en effet dans des moments de réflexion où il faut dégager la vérité de ce qui est perçu des illusions sensibles, au moyen de l
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Édition imprimée
Presses universitaires du Septentrion1 Cette conception de la κρίσις parménidéenne conçue comme grande décision pour discriminer l’être de l’apparence se voit notamment exprimée par M. Heidegger, Introduction à la métaphysique (trad. G. Kahn), Paris, 1958 (c. 4 : « La limitation de l’être »), p. 122, dans un commentaire à l’Éléate : « Il faut que l’homme, s’il veut assumer son être-Là dans la clarté de l’être, porte celui-ci à stance, le soutienne dans l’apparence et contre l’apparence, arrache à la fois l’apparence et l’être à l’abîme du non-être. Il faut que l’homme dis-cerne ces trois voies, et d’après cela se décide pour ou contre chacune d’elles. L’ouverture et le frayage de ces trois voies, c’est cela, la pensée, au commencement de la philosophie ».
2 Voir A. Schmitt, Modernity and Plato, Rochester, 2011 (2003). La discrimination, parfois appelée par l’auteur krisis, serait pour lui le premier acte de la pensée chez Platon et Aristote. Son importance marquerait la différence fondamentale entre Platon et les écoles hellénistiques (et ensuite avec la modernité), pour qui c’est la représentation qui est première. Sous cette catégorie de discrimination, il faut comprendre diverses opérations : la détermination de l’essence par rapport à ce qui n’est pas elle, les illusions sensibles notamment, la distinction de ce qui n’admet plus de contradiction logique, ainsi que l’établissement d’échelles ontologiques entre les éléments discriminés, c’est-à-dire une forme de classement (p. 281-282). Tous les actes de pensée seraient en réalité des actes de différenciation, de ce qui est originellement déterminé. Voir aussi le compte rendu de cet ouvrage par A. Stavru dans « “Aisthesis” e “Krisis” : rappresentazione e differenza in Platone e Aristotele », Quaderni Urbaniti di Cultura classica, 81 (3), 2005, p. 151-155.
3 Voir M. Narcy dans « Qu’est-ce que la science ? Réponses dans le Théétète », p. 49-72, de Platon l’amour du savoir, Paris, 2001, qui constate, à propos d’un passage du Théétète, 186 b, que Platon « éclaire “penser” par “juger” (κρίνειν) » rompant par là avec la tradition présocratique. « La vérité n’est plus la passive fidélité de l’impression ».
4 Deux scènes célèbres se dégagent. En République VII, 524 e-525 a, il faut recourir à un moyen d’arbitrer (ἐπικρῖνον), à savoir les réalités intelligibles, quand la perception est confuse et n’offre rien de sain et de distinct. En Philèbe, 38 d, le promeneur solitaire cherche à distinguer ce qu’est vraiment une forme indistincte au bord d’un chemin, alors qu’il hésite entre deux perceptions différentes. Il doit κρίνειν de la réalité de sa perception, de même que le dialogue doit κρίνειν de la réalité des plaisirs bien souvent illusoires.
5 G. Striker, « Κριτήριον τῆς ἀληθείας », Essays on Hellenistic Epistemology and Ethics, Cambridge, 1996, p. 22-76. L’enquête de G. Striker sur la place et le sens de κριτήριον, moyen de jugement, dans la philosophie hellénistique prend pour point de départ la signification platonicienne du terme dans la République et le Théétète.
6 République IX, 582 a.
7 Voir A. Macé, « Platon et pastorat politique », dans La politique de Platon, Philosophie antique, 17, 2017, qui veut réhabiliter l’importance du paradigme pastoral du tri dans la philosophie politique de Platon.
8 Politique 279 et 308-311.
9 Voir M. Heidegger, Introduction à la métaphysique (trad. G. Kahn), Paris, 1958 (c. 4 : « La limitation de l’être »), p. 186 : « Λόγος se trouve ici dans le lien le plus étroit avec κρίνειν, le fait de discriminer, c’est-à-dire de dé-cider, en effectuant le recueillement sur la recollection de l’être. Le colliger électif fonde et porte la poursuite de l’être et la défense contre l’apparence. Dans la signification du κρίνειν, il faut entendre en même temps : élection, distinction, la norme qui détermine une hiérarchie ».
10 Parménide, Sur la nature ou sur l’étant, Paris, 1998, p. 191 : « La “division” des mortels (VIII, 55) est “l’analogue doxique” de la “distinction” (VIII, 15-16) requise par la Déesse entre être et non-être ».
11 The Route of Parmenides, 2008 (1970), p. 347-348 : « In Truth we have a radical krisis, “separation” or “disjunction”. In Doxa we have a half-way krisis or contrariety between cosmic opposites […] promptly followed by a universal process of mixing. »
12 Parménide ou le souci du vrai, Paris, 2012, p. 113.
13 La notion de « polyvalence » sémantique, est utilisée notamment par C. E. Viola à propos des sens de νόος dans le fragment II, dans « Aux origines de la gnoséologie », p. 101, dans Études sur Parménide, II, Paris, 1987.
14 Traduction de D. O’Brien et J. Frère, dans Études sur Parménide I, 1987, p. 24-25. Χρὴ τὸ λέγειν τε νοεῖν τ’ ἐὸν ἔμμεναι· ἔστι γὰρ εἶναι, / μηδὲν δ’ οὐκ ἔστιν· τά σ’ ἐγὼ φράζεσθαι ἄνωγα. / πρώτης γάρ σ’ ἀφ’ ὁδοῦ ταύτης διζήσιος <εἴργω>, / αὐτὰρ ἔπειτ’ ἀπὸ τῆς, ἣν δὴ βροτοὶ εἰδότες οὐδὲν / πλάττονται, δίκρανοι· ἀμηχανίη γὰρ ἐν αὐτῶν / στήθεσιν ἰθύνει πλακτὸν νόον· οἱ δὲ φοροῦνται / κωφοὶ ὁμῶς τυφλοί τε, τεθηπότες, ἄκριτα φῦλα, / οἷς τὸ πέλειν τε καὶ οὐκ εἶναι ταὐτὸν νενόμισται / κοὐ ταὐτόν, πάντων δὲ παλίντροπός ἐστι κέλευθος.
15 Pour cette traduction, voir les explications de O’Brien-Frère dans Études sur Parménide, I, Paris, 1987, p. 177 : « le verbe est ici doté d’un sujet personnel. Ce sujet est un participe tiré du même verbe ».
16 Ces énoncés modaux reprennent ceux du fr. II, commentés par O’Brien-Frère, p. 180 sq.
17 Notons que ce terme apparaît chez Héraclite, au fragment 34. « Sans intelligence : quand ils écoutent ils sont semblables à des sourds ; le dicton, pour eux, l’atteste : présents, ils sont absents ». Traduction J. Bollack et H. Wismann, Héraclite ou la séparation, p. 141.
18 Ce dernier participe désigne notamment dans l’épopée une peur à l’approche d’une lutte (la lutte qu’il faudrait mener en faveur l’ἔλεγχος πολύδηριν ? VII, 5) ou une peur devant des signes de vérité. Cf. Iliade IV, 243, pour la stupidité des Argiens qui se relâchent devant le combat, comparé à des biches sans force au cœur, par Agamemnon. Cf. aussi Odyssée 23, 105, pour la stupéfaction de Pénélope, qui ne sait pas quoi dire quand elle croit reconnaître Ulysse, grâce à une série de signes, (σῆμα). C’est donc aussi dans l’épopée le refus de voir les signes envoyés par les dieux.
19 Κωφός, « sourd » peut désigner le bruit de la mer, la sonorité d’un frémissement menaçant. Un texte de l’Iliade XIV présente simultanément l’adjectif κωφοί, le verbe κρίνειν ainsi que le mot κέλευθος. Il s’agit de la description de l’indécision du vieillard Nestor, comparée à la mer aux vers 16-20, lorsqu’il se rend compte que le mur achéen a croulé. Dans l’Iliade la mer s’agite légèrement (πορφύρῃ) d’un gonflement (κύματι) sourd, κωφῷ, bruissant sous l’effet des chemins vifs (λαιψηρὰ κέλευθα) du vent. Elle ne déferle ni dans un sens ni dans l’autre (προκυλίνδεται οὐδετέρωσε) avant que ne tombe sur elle une brise « détachée » du ciel, « décidée » (κεκριμένον οὖρον) par Zeus.
20 Pour O’Brien et Frère, 1987, les mortels ne choisissent ni la première, ni la seconde voie, et c’est un paradoxe étant donné que, pour la déesse, il n’y en a pas d’autre concevable. Voir p. 142-143 et p. 218-219. L’amalgame est dû au fait que la κρίσις du fr. VIII n’a pas été accomplie par ces mortels. Voir aussi Conche, Parménide, le Poème, Fragments, Paris, 1996, p. 108.
21 Voir J. Frère, Parménide ou le souci du vrai, Paris, 2012, p. 35 : « Les créatures à deux têtes, ne sont point des mauvais penseurs des origines, mais des mauvais penseurs de la structure du cosmos […] Ici ce sont les doctrines héraclitéennes du cosmos qui se trouvent visées, non la foule ignorant de telles distinctions ». Frère cite ensuite le fragment b 49 a d’Héraclite, pour illustrer ces oppositions héraclitéennes dans le cosmos : « Nous entrons et nous n’entrons pas dans les mêmes fleuves. Nous sommes et ne sommes pas », p. 36. L’allusion aux sectes héraclitéennes a été aussi vue par d’autres interprètes, voir Conche p. 113.
22 Cf. Héraclite, fragment 51, où un résultat harmonieux peut être obtenu par des actions de sens contraire, comme quand on manie l’arc et la lyre : οὐ ξυνιᾶσιν <πολλοὶ> ὅκως <ἓν> διαφερόμενον ἑωυτῷ ὁμολογέει· παλίντροπος ἁρμονίη ὅκωσπερ τόξου καὶ λύρης. « Ne comprennent pas <la plupart> comment <Un> en divergeant d’avec lui-même concorde : harmonie rétroverse comme chez l’art et la lyre ». Texte et trad. S. Mouraviev, Heraclitea, Sankt Augustin, 2006. Voir le commentaire de Bollack et Wismann, dans Héraclite ou la séparation, Paris, 1972, p. 181.
23 Cf. Sophocle, Fragments du Teucros, 576. 5, The fragments of Sophocles, volume 2 (R. C. Jebb ; W. G. Headlam ; A. C. Pearson, éd.), Cambridge, 1917, p. 217. L’adjectif désigne la balance de la vie, πλάστιγξ τοῦ βίου, qui peut aller rapidement dans un sens ou dans l’autre.
24 Sur le suffixe -to, voir P. Chantraine, La Formation des noms en Grec ancien, p. 302-309. Plus précisément, p. 306. Dès les textes homériques, le suffixe désigne l’idée de possibilité, ce qui ne s’observe qu’en grec. Une autre particularité de l’adjectif en –τός est de pouvoir produire des sens actifs, même s’il a plus souvent des sens passifs.
25 B. Cassin relève d’ailleurs l’homophonie entre ἄκριτα φῦλα, et ἀκριτόφυλλον, « au feuillage indistinct », adjectif qui s’applique au mont Phtires, en Illiade II, 868 (voir p. 191 de sa traduction).
26 Cf. la « race des hommes », séparée de celle des dieux, au moment de la κρίσις de Meconê, Théogonie, v. 556, ainsi que « la race des femmes » en Théogonie, 596. Le mot est associé à κρίνειν encore en Iliade II, 362-369. κρῖν’ ἄνδρας κατὰ φῦλα κατὰ φρήτρας Ἀγάμεμνον.
27 Dans certains rituels grecs, la prononciation d’une parole, assure, performativement, l’appartenance au groupe et l’élection dans une catégorie d’initiés. Voir K. Clinton, Myth and Cult, The Iconography of the Eleusinian Mysteries, Stockholm, 1992, p. 86 et p. 91-92 pour l’importance de la prononciation de formules lors des initiations.
28 VII, 5-VIII, 2. Trad. O’Brien et Frère révisée par Frère (2012), que je modifie pour κρῖναι δὲ λόγῳ πολύδηριν ἔλεγχον. Le rapprochement des deux fragments VII et VIII est traditionnel et dû au fait qu’ils sont cités ensemble chez Sextus, Adversus mathematicos VII, 111. Οὐ γὰρ μήποτε τοῦτο δαμῇ, εἶναι μὴ ἐόντα. / ἀλλὰ σὺ τῆσδ’ ὁδοῦ διζήσιος εἶργε νόημα, / μηδέ δ’ ἔθος πολύπειρον ὁδὸν κατὰ τήνδε βιάσθω / νωμᾶν ἄσκοπον ὄμμα καὶ ἠχήεσσαν ἀκουήν / καὶ γλῶσσαν, κρῖναι δὲ λόγῳ πολύδηριν ἔλεγχον / ἐξ ἐμέθεν ῥηθέντα. Μόνος δ’ἔτι μῦθος ὁδοῖο / λείπεται ὡς ἔστιν.
29 L’adjectif πολύδηριν, qui désigne les querelles que suscitera la réfutation, appartient à ce lexique de la lutte. Ce contexte polémique explique en partie la valorisation de la « force » de conviction qui sera celle du discours, en VIII, 12 : « La force de la conviction n’admettra pas (ἐφήσει πίστιος ἰσχὺς) non plus qu’à aucun moment de l’être, vienne au jour quelque chose à côté de lui » (trad. Frère).
30 L’adjectif ἠχήεσσαν évoque la « rumeur » sonore, par exemple celle de la mer dans l’Iliade I, 157, ou l’écho du palais de Zeus, Odyssée 4, 72. Rumeur ou écho puissant, indistinct, qui se perd dans l’espace, effrayant, comme en témoigne aussi la présence de l’adjectif en Théogonie, 767, à propos des demeures d’Hadès. On retrouve ici le sème de l’indistinction sonore et visuelle qui caractérisait la masse au fragment VI.
31 Νωμάω évoque « le partage », la distribution collective, avec sans doute ici une dimension péjorative, partage d’un regard, d’un point de vue (ἄσκοπον ὄμμα) collectif aveugle et profane. À rapprocher sans doute pour l’aspect péjoratif de νενόμισται qui évoquait au fragment VI la pseudo-règle humaine qui permettait la confusion de l’être et du non-être.
32 L’inauguration d’une κρίσις philosophique (qui évalue le discours sage non conforme à l’opinion majoritaire) demande un détachement par rapport à la coutume, qui peut rappeler l’inauguration d’une κρίσις politique dans les Euménides, pour laquelle Apollon et Athéna demandaient explicitement aux juges le courage d’écouter le discours persuasif nouveau, au détriment de la coutume incarnée par les Érinyes.
33 Voir Conche : « juge comme moi par le logos », p. 122. B. Cassin p. 85, traduit : « juge par le dire ». Le terme pourrait aussi se comprendre en référence au discours à venir de la déesse : « juge par le discours [que je vais tenir] ». Ainsi, la réfutation (ἔλεγχος) déjà prononcée aux fragments II, III et VI, se reformulerait dans un λόγος plus complet au fragment VIII, qui servirait de moyen de jugement au Poète-apprenti.
34 VIII, 1-2. Ταύτῃ δ’ἐπὶ σήματ’ἔασι πολλὰ μάλ’, ὡς ἀγένητον ὂν καὶ ἀνώλεθρον ἔστιν. « Sur ce chemin se montrent des signes fort nombreux montrant qu’il est inengendré et qu’il est aussi impérissable. » Sur la voie du rien, il n’y a pas de σήματα. Σῆμα est aussi employé en contexte poétique pour désigner ce qui permet de juger la valeur héroïque (Odyssée 8, 195-97. Καί κ’ ἀλαός τοι, ξεῖνε, διακρίνειε τὸ σῆμα, à propos du lancer de disque d’Ulysse).
35 Voir Prott-Ziehen Leges Graecorum sacrae e titulis collectae I, 127, p. 316, avec un renvoi aux Suppliantes d’Eschyle pour un tel symbole divin, qualifié de σημεῖον.
36 J. Frère, Parménide ou le souci du vrai, Paris, 2012, p. 16-17 « Le fragment VIII de Parménide est consacré à préciser cette épuration de ce qu’est l’être […] Il s’agit donc ici d’un monisme ontologique à la fois essentiellement négatif et d’essence purificatrice. La suite du texte du fragment VIII se présente comme une juxtaposition de multiples purifications portant sur le temps, sur l’espace, sur la pensée, sur le tout ». La première purification est la démonstration de l’éternité de l’être, du fait qu’il ne peut périr (VIII, 5-20). Elle précède immédiatement la démonstration du caractère non spatial de l’être (21-33). La troisième purification est résumée ainsi par Frère : « qu’est-ce que penser véritablement sinon penser l’être dans son éternité et sa stabilité (34-41) ? » Enfin l’être est une belle sphère (42-50). L’être est dépouillé d’un certain nombre de caractéristiques fausses. La figure sphérique de l’être peut rappeler certains processus de purification rituelle où est tracée, en cercle, une aire pure, à l’abri des souillures. W. Burkert, Greek Religion, 1985, évoque cette image du « cercle » de pureté, p. 75-83.
37 Aux arguments logiques succèdent des arguments théologiques, supportés par des figures de la nécessité. Voir J. Frère, Parménide ou le souci du vrai, 2012, p. 17 : « cette monstration rationnelle trouve appui dans des références théologiques répétées à plusieurs reprises ».
38 Fr. VIII, 13-18. τοῦ εἴνεκεν οὔτε γενέσθαι / οὔτ’ ὄλλυσθαι ἀνῆκε Δίκη χαλάσασα πέδῃσιν, / ἀλλ’ ἔχει· ἡ δὲ κρίσις περὶ τούτων ἐν τῷδ’ ἐστιν· / ἔστιν ἢ οὐκ ἔστιν. Κέκριται δ’ οὖν, ὥσπερ ἀνάγκη, / τὴν μὲν ἐᾶν ἀνόητον, ἀνώνυμον, οὐ γὰρ ἀληθής / ἔστιν ὁδός, τὴν δ’ ὥστε πέλειν καὶ ἐτήτυμον εἶναι.
39 « Est ou n’est pas », « il y a ou il n’y a pas ». Traductions respectives de Cassin, et Conche. Pour une analyse de ἐστι, et des différents sens qui lui ont été donnés voir O’Brien-Frère, p. 157-158. Études sur Parménide, I, Paris, 1987. Voir aussi B. Cassin, Si Parménide, Lille, 1980, p. 47 sq.
40 Cf. VIII, 22 : οὐδὲ διαιρετόν ἐστιν, ἐπεὶ πᾶν ἐστιν ὁμοῖον : « il n’est pas possible de le diviser puisqu’il est tout entier semblable à lui-même ».
41 Théogonie, v. 616 pour les liens de Prométhée, v. 718 pour les liens des autres Titans enchaînés suite à la grande κρίσις qu’est la Titanomachie.
42 Κρίσις paraît douteux à Diels, une cheville de Simplicius ajoutée à la citation, selon lui. Κέκριται n’est quant à lui pas contesté.
43 Le substantif κρίσις avec le sens processuel de son suffixe permet d’orienter vers l’idée qu’il y a un choix à faire par l’apprenti et à renouveler.
44 Le texte pointe vers sa propre simplicité ou radicalité par le ἐν τῷδε, mais aussi par l’extrême concision de la formule : ἔστιν ἤ οὐκ ἔστιν.
45 II, 7-8, Trad. Frère : « En effet le non-être, tu ne saurais ni le connaître, ni le faire comprendre ». Dans le fragment II, les deux voies étaient présentées, ainsi que l’impossibilité de connaître le non-être. Ici, l’interdiction est plus ferme, puisqu’il ne faut ni phraser ni penser le non-être. Quand le fr. II, fait apparaître la division entre deux voies, le fragment VIII consolide ces divisions, interdisant un quelconque recoupement. Il s’agit de montrer qu’aucun passage de l’être au non-être (mouvement dans le temps, dans l’espace) n’est possible. Κρίνειν permet d’insister sur une disjonction radicale, une exclusion, une loi absolue d’interdiction du mélange.
46 La Justice est la puissance révélatrice par excellence : elle avait guidé le Poète en dehors du chemin des hommes (I, 28), et ouvrait les portes qui donnaient sur la grande route (I, 20-21).
47 VIII, 50-61. Trad. O’Brien / Frère (2012) modifiée pour la dernière phrase. ἐν τῷ σοι παύω πιστὸν λόγον ἠδὲ νόημα / ἀμφὶς ἄληθείης. Δόξας δ’ ἀπο τούδε βροτείας / μάνθανε, κόσμον ἐμῶν ἐπέων ἀπατηλὸν ἀκούων. / Μορφὰς γὰρ κατέθεντο δύο γνώμας ὀνομάζειν, / τῶν μίαν οὐ χρεών ἐστιν, ἐν ᾧ πεπλανημένοι εἰσίν. / Ἀντία δ’ ἐκρίναντο δέμας καί σήματ’ ἔθεντο / Χωρὶς ἀπ’ ἀλλήλων, τῇ μὲν φλογὸς αἰθέριον πῦρ, / ἥπιον ὄν, μέγ’ ἀραιόν, ἑωυτῷ πάντοτε τωὐτόν, / τῷ δ’ ἑτέρῳ μὴ τωὐτόν. ἀτὰρ κἀκεῖνο κατ’ αὐτό / τἀντία νύκτ’ ἀδαῆ, πυκινὸν δέμας ἐμβριθές τε. / Τόν σοι ἐγὼ διάκοσμον ἐοικότα πάντα φατίζω, / ὡς οὐ μή ποτέ τις σε βροτῶν γνώμῃ παρελάσσῃ.
48 Selon la traduction de Frère, il faut considérer deux groupes de savants : ceux qui découpent le cosmos en deux formes, de manière nécessaire, comme il faut, et ceux qui errent en ne voyant qu’une forme. Ce sont bien les dualistes qui ont raison contre des monistes, dans ces vers 53-54, parce qu’il s’agit de traiter ici non plus de la connaissance de l’être, mais de la connaissance du monde.
49 Voir J. Frère, « Parménide et l’ordre du monde : Fr. VIII, 50-61 », p. 192-212, Études sur Parménide, II, Paris, 1987. Pour certains interprètes ce « second » discours de la déesse est consacré à une physique sensible et fallacieuse, p. 195 sq. Contrairement à eux, Frère insiste, avec d’autres (Bollack, Beaufret notamment) sur la dimension « vraisemblable » du discours, p. 210. Outre ces arguments philologiques, l’opinion repose sur les témoignages de Platon, Aristote, Sextus, Plutarque, qui évoquent un enseignement de Parménide consacré à la nature.
50 Voir J. Frère, 2012, p. 113. Parménide ici « pythagorise » et valorise les penseurs qui ont vu et reconnu l’opposition jour/nuit.
51 Voir Mourelatos, The Route of Parmenides, Las Vegas-Zurich-Athens, 2008 (1970), p. 347-348, pour cette inflexion du sens de κρίσις dans le domaine de la δόξα.
52 Le discours de la déesse donnera des exemples de la génération par mélange, τόκου καὶ μίξιος, cf. fr. XII, 4.
53 Voir G. Striker pour ce mot chez Platon et dans la philosophie hellénistique, dans « Κριτήριον τῆς ἀληθείας », Essays on Hellenistic Epistemology and Ethics, Cambridge, 1996, p. 22-76.
54 Fragment 3, § 81, extrait de Sextus empiricus, Adversus mathematicos, VII, c. 65. La doxographie anonyme du De Melisso, Xenophane, Gorgia correspond en partie au témoignage de Sextus pour le fragment 3. Elle ne contient toutefois pas le mot κριτήριον (B 3 § 81 = § 9 Cassin, p. 641). Voir B. Cassin, Si Parménide, Lille, 1980, notamment note 1 p. 429 où est abordée la question du « parallèle » entre les deux textes, celui de Gorgias, et celui de la doxographie anonyme. Le De M.X.G. ne fournit donc pas de témoignage direct sur le sens de κριτήριον, mais il est très proche du fragment 3 de Gorgias et traite de la problématique du jugement de l’être.
55 Voir Cassin, Si Parménide, p. 430 sq. Et pour la description générale de l’argumentation comme réponse à Parménide, p. 432 sq.
56 Vs. Parménide, fr. III, IV, 1.
57 Gorgias, fragment 3, § 81-82. Ὥσπερ τε τὰ ὁρώμενα διὰ τοῦτο ὁρατὰ λέγεται ὅτι ὁρᾶται, καὶ τὰ ἀκουστὰ διὰ τοῦτο ἀκουστὰ ὅτι ἀκούεται, καὶ οὐ τὰ μὲν ὁρατὰ ἐκβάλλομεν ὅτι οὐκ ἀκούεται, τὰ δὲ ἀκουστὰ παραπέμπομεν ὅτι οὐχ ὁρᾶται (ἕκαστον γὰρ ὑπὸ τῆς ἰδίας αἰσθήσεως ἀλλ’ οὐχ ὑπ’ ἄλλης ὀφείλει κρίνεσθαι), οὕτω καὶ τὰ φρονούμενα καὶ εἰ μὴ βλέποιτο τῇ ὄψει μηδὲ ἀκούοιτο τῇ ἀκοῇ ἔσται, ὅτι πρὸς τοῦ οἰκείου λαμβάνεται κριτηρίου. (82) εἰ οὖν φρονεῖ τις ἐν πελάγει ἅρματα τρέχειν, καὶ εἰ μὴ βλέπει ταῦτα, ὀφείλει πιστεύειν ὅτι ἅρματα ἔστιν ἐν πελάγει τρέχοντα. Ἄτοπον δὲ τοῦτο· οὐκ ἄρα τὸ ὂν φρονεῖται καὶ καταλαμβάνεται. Voir aussi le De M. X. G. Cassin, 9, p. 640, pour une version parallèle.
58 Dans le Théétète, Protagoras formule l’autonomie de l’αἴσθησις pour dire l’être. Cf. Théétète, 160 c 7-9. « Donc, ma perception est vraie pour moi. Elle est en effet toujours sensation de ce qui est réel pour moi, et je juge à bon droit, comme dit Protagoras, des choses qui sont pour moi, qu’elles sont, et des choses qui ne sont pas pour moi, qu’elles ne sont pas. » Cela se fait en vertu de la possession du κριτήριον de l’être, du moyen de juger de l’être, en soi-même, cf. Théétète, 178 b 5-7 : « Car il a en lui le moyen de juger : comme il pâtit il pense, et il pense que cela est vrai pour lui, et que ce sont des étants ».
59 § 65 du fragment 3. Rappelé encore au § 87.
60 De M. G. X, § 9 « Si donc rien n’est, les démonstrations disent tout sans exception. Car il faut que le représenté soit et que le non-étant, si du moins il n’est pas, ne soit pas non plus représenté. Mais s’il en est ainsi, personne ne dit qu’une fausseté ne serait rien, dirait-il même que des chars luttent en pleine mer, car toutes ces choses-là seraient, puisque aussi bien ce qui est vu et ce qui est entendu et pour cette seule raison que c’est à chaque fois représenté. Mais si ce n’est pas pour cette raison, alors, dans la mesure où ce que nous voyons n’est en rien davantage, dans cette mesure même ce que nous voyons, ou concevons, est davantage. Et en effet, de même que là beaucoup pourraient voir ces choses-là, ici, nous pourrions aussi être beaucoup à concevoir ces choses-ci. Ainsi, le “davantage”, ce n’est que telles choses ; mais lesquelles sont vraies, cela ne se montre pas. De sorte que, même si elles sont, elles seraient bien inconnaissables pour nous les choses effectives. » (Trad. Cassin)
61 Voir Cassin, p. 538, qui reformule la thèse de Gorgias dans le De M. X. G.
62 Voir Farrar, p. 53 sq. qui développe l’idée de la construction par Platon, face à un Protagoras historique, d’un « Platagoras ». Ce dernier serait dépositaire d’une doctrine de la science et du savoir, reconstruite dans le Théétète, afin d’en montrer précisément les incohérences.
63 Théétète, 52 a 1-3. « Il dit en effet quelque part que l’homme est mesure de toutes choses, de celles qui sont qu’elles sont, de celles qui ne sont pas, qu’elles ne sont pas ». Cf. Protagoras fragment 1. Pour la traduction de cette formule, voir C. Farrar, The Origins of Democratic Thinking, Cambridge, 1988, et la bibliographie qu’elle donne à ce sujet, p. 49, ainsi que P. Demont, dans « La formule de Protagoras : l’homme est mesure de toute chose », dans Problèmes de la morale antique, 1993, p. 47 note 19.
64 Théétète, 160 c 7-9.
65 M. Narcy, Théétète, 1995 : « la réalité qui est mienne », c’est-à-dire, ce que je perçois, pour Protagoras. Cf. aussi F. M. Cornford, Plato Theory of Knowledge, London 1935, qui propose, p 57, « τῆς ἐμῆς οὐσίας = τῶν ἐμοὶ ὄντων, what is real for me ».
66 Cf. 178 b 5-7. « Car il a en lui le moyen de juger ces choses : comme il pâtit il pense, et il pense que cela est vrai pour lui, et que ce sont des étants ». ἔχων γὰρ αὐτῶν τὸ κριτήριον ἐν αὑτῷ, οἷα πάσχει τοιαῦτα οἰόμενος, ἀληθῆ τε οἴεται αὑτῷ καὶ ὄντα.
67 Voir D. Sedley, The Midwife of Platonism, Text and Subtext in Plato’s Theaetetus, Oxford, 2004, p. 57 sq. pour l’auto-réfutation de la thèse relativiste de Protagoras. Voir aussi M. Burnyeat, Introduction au Théétète de Platon, Paris, 1998 (1990) p. 50.
68 Thééète, 170 d 4-d9. « Quand, ayant procédé au jugement (κρίνας) de quelque chose, tu formules une opinion venant de toi, devant moi, à ce sujet, cette opinion est certes vraie pour toi, selon le raisonnement de Protagoras ; mais à nous autres, de ton jugement (περὶ τῆς σῆς κρίσεως), est ce qu’il ne nous est pas possible d’en devenir des juges (κριταῖς), ou bien est-ce que nous jugeons toujours que tu as une opinion vraie (κρίνομεν ἀληθῆ δοξάζειν) ? Ou bien au contraire n’y aura-t-il pas à chaque fois des milliers de gens qui te combattront avec une opinion contraire, en pensant que tu juges et penses faux (ἡγούμενοι ψευδῆ κρίνειν τε καὶ οἴεσθαι). »
69 171 a 8 « Puisque, à son propre aveu, les opinions de tous prononcent ce qui est ».
70 Cf. Burnyeat, p. 48 : « Protagoras est donc pris dans un dilemme. Quelle que soit la réponse qu’il donne, la conséquence est qu’il se produit des jugements faux, ce que la Doctrine de la Mesure doit nier ». Sur la construction de ce dilemme par un certain nombre de biais dans l’argumentation de Socrate, voir aussi p. 48-49.
71 Le deuxième argument (177 c-179 b) est traditionnellement connu comme celui de l’expertise. Voir Burnyeat, p. 61.
72 Cf. D. Sedley, The Midwife of Platonism, qui remarque la facture « socratique » de l’argument de l’expertise p. 87 : « Socrates has chosen not to rely solely on the self-refutation argument, but to return finally to the question of expertise. In creating this order of attack, Plato has, as we shall now see, ensured that the decisive knock out blow against Protagoras lies in the most Socratic of all arguments ».
73 Voir la κρίσις du devin et la κρίσις du médecin, qui portent sur l’avenir, déjà observées ici, p. 41-48 et p. 101-104. À l’intérieur du corpus platonicien, il y a deux allusions à la κρίσις du devin. L’une se rencontre dans le Lachès, 195 e 8-196 a 3 : « Car il suffit que le devin connaisse les signes de ce qui va se produire, s’il y aura mort, maladie, ruine, victoire, défaite, à l’issue d’une guerre ou d’une lutte. Mais, s’il est meilleur à notre homme de subir ou non cela, pourquoi cela conviendrait-il davantage au devin de le juger (κρῖναι) qu’à un autre ? ». L’autre se trouve dans le Phèdre, 244 c 1 : τῇ καλλίστῃ τέχνῃ, ᾗ τὸ μέλλον κρίνεται, « la plus belle des techniques, celle par laquelle on discerne l’avenir. »
74 Théétète, 186 b 6-9. « Mais sur l’être, et sur le fait qu’il y a deux êtres, et sur l’opposition de l’un à l’autre, et encore sur l’être de cette opposition, c’est l’âme elle-même, qui, y revenant sans cesse, et les confrontant, essaie de les juger (κρίνειν πειρᾶται) pour nous. » Τὴν δέ γε οὐσίαν καὶ ὅτι ἐστὸν καὶ τὴν ἐναντιότητα πρὸς ἀλλήλω καὶ τὴν οὐσίαν αὖ τῆς ἐναντιότητος αὐτὴ ἡ ψυχὴ ἐπανιοῦσα καὶ συμβάλλουσα πρὸς ἄλληλα κρίνειν πειρᾶται ἡμῖν. Cf. aussi 186 a 10-b1. « C’est à travers de telles choses avant tout [le beau, le laid, le bien, le mal] que l’âme me semble regarder l’être (ἄλληλα σκοπεῖσθαι τὴν οὐσίαν), par des comparaisons mutuelles, raisonnant en elle-même sur le passé, le présent et l’avenir (τὰ γεγονότα καὶ τὰ παρόντα πρὸς τὰ μέλλοντα) ».
75 Cf. 186 c 2-5 : « Les raisonnements (ἀναλογίσματα) qui rapportent ces impressions (διά τοῦ σώματος παθήματα) à l’être et à l’utile (πρός τε οὐσίαν καὶ ὡφέλειαν), c’est avec effort (μόγις), avec le temps (ἐν χρόνῳ), au prix d’une grande activité et d’une longue éducation qu’ils se forment (παραγίγνεται) pour ceux chez qui ils se forment ? »
76 Voir M. Narcy, « Qu’est-ce que la science ? Réponses dans le Théétète », p. 49-72, de Platon l’amour du savoir, ici p. 65.
77 Ce verbe apparaît dans le Timée, dans la démonstration de l’existence des Formes intelligibles de 51 b-e, que l’Intellect a en partage de contempler.
78 Le dialogue est probablement à peu près contemporain de la République et du Phédon, et antérieur au Théétète. Voir la discussion que donne F. Ademollo sur ce sujet dans The Cratylus of Plato, a Commentary, Cambridge, 2011, p. 21.
79 Cratyle, 388 b 1-2. Κερκίζοντες δὲ τί δρῶμεν; οὐ τὴν κρόκην καὶ τοὺς στήμονας συγκεχυμένους διακρίνομεν;
80 Selon le Dictionnaire étymologique de la langue grecque, l’étymologie de κερκίς est toutefois incertaine.
81 Voir F. Ademollo, The Cratylus of Plato, a Commentary, Cambridge, 2011, notamment p. 107 : « the tool which carries the weft thread across between the warp threads, a pin-beater ». Il cite M. Landercy, « La destination de la κερκίς dans le tissage en Grèce au ive siècle », L’Antiquité classique 2, 1933, p. 357-362 : « elle servira donc à distancer également les fils et à conserver ainsi au tissu largeur et longueur uniforme ». Ademollo s’appuie sur les sens du terme chez Platon, Sophiste, 226 b-c, mais aussi Politique, 282 b-c, ainsi que sur un passage de la Physique d’Aristote, pour montrer que le terme διακρίνειν veut dire « séparer », « maintenir séparé ». Sur l’opération de διάκρισις, dans une comparaison des processus physiques avec ceux du tisserand, voir Aristote, Physique, 243 b-c. Dans le Sophiste, 226 b-c, il y a deux types de διακρίσεις, celles qui séparent le meilleur du pire et celles qui sépare le semblable du semblable. En Politique, 282 b-c, cette opération de séparation accomplie au moyen de la κερκίς sur la laine est effectuée sur le fil qui est dans un état mélangé. L’opération, transposée en contexte politique, désignera la séparation des tempéraments des citoyens.
82 388 b 10-c 1. ΣΩ. Ἆρ’ οὐ διδάσκομέν τι ἀλλήλους καὶ τὰ πράγματα διακρίνομεν ᾗ ἔχει; ΕΡΜ. Πάνυ γε. ΣΩ. Ὄνομα ἄρα διδασκαλικόν τί ἐστιν ὄργανον καὶ διακριτικὸν τῆς οὐσίας ὥσπερ κερκὶς ὑφάσματος.
83 Pour la traduction de ce terme comme « réalité », cf. D. Sedley, Plato’s Cratylus, Cambridge, 2003, p. 61. Ademollo traduit par « essence », p. 111 : διακρίνειν l’οὐσία, ce serait la discriminer de ce qui n’est pas elle.
84 Voir D. Sedley, Plato’s Cratylus, Cambridge, 2003, p. 60. La faculté de distinction du nom est déclinée en trois points. Le nom « sépare » ou « distingue », en ce qu’il désigne un sujet (1), qu’il choisit parmi d’autres membres de la même espèce. Il a aussi une vertu taxinomique (2) : en nommant un pic vert, on le distingue du cormoran, du cygne etc, c’est-à-dire qu’on distingue certaines espèces comme espèces à l’intérieur d’un genre. Enfin, le nom a une vertu analytique (3) : le nom décrit un objet dont il distingue les composantes ontologiques ou définitionnelles : « thus the name “woodpecker” separates the nature of a woodpecker, not primarily from those of other birds, but internally into “wood” and “pecker”, indicating that is something which is distinguished by its activitiy of peching wood. »
85 Voir L. Robin, « Perception et langage d’après le Cratyle », dans La Pensée hellénique des origines à Épicure, Paris, 1942, p. 375. Voir aussi C. Kahn, « Les mots et les Formes dans le Cratyle de Platon », Cahiers de Philosophie ancienne n° 5, Bruxelles, 1986, p. 91-103, et notamment p. 100-103. Voir enfin Sedley, Plato’s Cratylus, sur le personnage fictif du nomothète des noms, p. 70-71.
86 Cratyle, 390 c 2-4. Τίς δὲ τῷ τοῦ νομοθέτου ἔργῳ ἐπιστατήσειέ τ’ ἂν κάλλιστα καὶ εἰργασμένον κρίνειε καὶ ἐνθάδε καὶ ἐν τοῖς βαρβάροις; ἆρ’ οὐχ ὅσπερ χρήσεται;
87 Le jugement a à voir avec la détermination de la puissance d’un remède ou d’une substance. Voir l’examen de la puissance du φάρμακον qu’est l’écriture, développement où se rencontre aussi κρίνειν, dans le Phèdre, 274 c-d.
88 Cf. 396 d 8, ἐνθουσιῶν. Inspiration divine puissante, dont Socrate dit par ailleurs qu’il devra se « purifier » le lendemain.
89 438 c 8-10. Πότερα, ὦ ἄριστε, τὰ ἐπὶ τὴν στάσιν ἄγοντα ἢ τὰ ἐπὶ τὴν φοράν; οὐ γάρ που κατὰ τὸ ἄρτι λεχθὲν πλήθει κριθήσεται.
90 Pour la pratique démocratique du jugement par la majorité, qui est ici encore implicitement rejetée, cf. Lachès, 184 c9-d4, où cette méthode est refusée pour κρίνειν du bon éducateur. Cf. aussi Gorgias, 471 e-472 c.
91 Voir L. Robin dans « Perception et langage d’après le Cratyle », p. 381 de La pensée hellénique des origines à Épicure, Paris, 1942 : C’est en dehors du langage qu’il faudra trouver le critère de jugement : « Désormais, semble-t-il, le problème devient un problème de critique ; il a cessé d’être un problème de genèse ou d’histoire. Pour juger sans le langage de la véracité du langage, il faut avoir appris d’abord à connaître les réalités ».
92 Cette recherche sur l’être et la vérité est d’ailleurs introduite par une interjection adressée à Zeus (Cratyle, 439 a 1). Se fait sentir la nécessité d’une conversion du regard, qui permette de voir les noms sous une autre lumière, celle de l’être intelligible.
93 République VII, 532 b 7-c 8.
94 République VII, 521 c 1-3. « Veux-tu que nous observions de quelle manière ces hommes de valeur se formeront et comment on les fera monter à la lumière comme on dit que certains sont remontés de l’Hadès chez les dieux ».
95 VII, 516 c 7-d 5 : « Les honneurs, les éloges qu’ils s’attribuaient les uns les autres et notamment les récompenses données à celui qui avait la vue la plus perçante sur les objets qui étaient promenés, et qui se souvenait au mieux des choses qui passaient régulièrement en premier ou en dernier, ou simultanément, et qui du même coup était le plus habile à deviner ce qui allait arriver, tu crois que l’homme délivré aura envie de ces distinctions-là et qu’il jalousera ceux qui parmi ces gens-là auront le plus de puissance et d’honneurs. »
96 Sur le rapport de l’idée de Bien au divin, voir F. Fronterotta, « La divinité du bien et la bonté du dieu “producteur” (φυτουργός / δημιουργός) chez Platon », dans Les dieux de Platon, 2003, p. 53-76.
97 520 c 2-7.
98 Cf. 523 b 2, ἱκανῶς ὑπὸ τῆς αἰσθήσεως κρινόμενα, « les choses sont distinguées suffisamment par la perception ».
99 Voir M. Dixsaut, et la lecture qu’elle fait d’un autre passage comparable, celui du Philèbe, 38 d, chapitre, « Qu’appelle-t-on penser ? Du dialogue intérieur de l’âme », dans Platon et la question de la pensée, Paris, 2000, p. 55-56. L’âme doit activer en elle le dialogue pour κρίνειν des perceptions contraires.
100 524 e 2-525 a 2 : « Si on voit toujours en même temps quelque contradiction (ἅμα ὁρᾶται ἐναντίωμα), de sorte que l’un n’apparaît en rien davantage un que le contraire de l’un, alors il faudrait désormais quelque moyen de distinguer (τοῦ ἐπικρινοῦντος) et l’âme serait alors réduite dans cette situation à être dans l’embarras, à faire des recherches, en activant en elle l’intelligence (τὴν ἔννοιαν), pour se demander ce qu’est (τί ποτέ ἐστιν) l’un lui-même ; et ainsi la recherche sur l’un serait de celles qui poussent l’âme et la convertissent à la contemplation de l’être (ἀγωγῶν ἂν εἴη καὶ μεταστρεπτικῶν ἐπὶ τὴν τοῦ ὄντος θέαν). »
101 Le préverbe ἐπι-, fort rarement associé avec κρίνειν, avant et chez Platon, désigne un recours, quand un premier essai de jugement a été infructueux. Il permet d’insister sur l’idée que la κρίσις se fait pour ainsi dire d’en haut suite à une élévation. Le terme apparaît dans le passage des Lois VI, 768 a 9, consacré au rôle de la βούλη pour trancher en dernier recours une affaire sur laquelle l’assemblée du peuple n’a pas pu parvenir à un accord.
102 Voir le vocabulaire religieux des mystères en 525 a 1. Τῶν ἀγωγῶν καὶ μεταστρεπτικῶν ἐπὶ τὴν τοῦ ὄντος θέαν ἡ περὶ τὸ ἓν μάθησις.
103 Philèbe, 38 c 6-5. « Un homme qui aperçoit de loin des objets sans les voir très nettement (μὴ πάνυ σαφῶς) sera porté tu en conviens, à vouloir distinguer (βούλεσθαι κρίνειν) ce qu’il aperçoit ? »
104 Phédon, 88 c 1-7. « Nous tous, en entendant ces propos, nous nous sommes sentis mal, comme plus tard nous nous le sommes avoué ensuite, parce qu’alors que nous avions été solidement convaincus par le raisonnement exposé auparavant (ὑπὸ τοῦ ἔμπροσθεν λόγου σφόδρα πεπεισμένους), ils semblaient nous troubler fortement et nous précipiter dans l’incrédulité (εἰς ἀπιστίαν καταβαλεῖν), non seulement à l’égard des propos tenus antérieurement, mais aussi à l’égard des propos à venir. Nous avions de n’être pas des juges capables ou bien que le sujet lui-même soit sans certitude (μὴ οὐδενὸς ἄξιοι εἶμεν κριταὶ ἢ καὶ τὰ πράγματα αὐτὰ ἄπιστα ᾖ). »
105 Phédon, 99 e 4-100 a 7.
106 Cf. République VII, 510 c-d pour cette notion d’hypothèse. Voir R. Robinson, « L’emploi des hypothèses selon Platon », Revue de Métaphysique et de Morale, 1954, p. 253-268. Voir aussi M. Dixsaut, Métamorphoses de la dialectique dans les dialogues de Platon, 2001, p. 79 sq. et Y. Lafrance, « La rationalité platonicienne », dans Platon, l’Amour du savoir, Paris, 2001, p. 13-48, et notamment p. 21-22.
107 Le terme συμφωνεῖν est discuté par R. Robinson pour ce passage, dans Plato’s earlier Dialectic, p. 126-129. Voir aussi note 278, de la traduction commentée de M. Dixsaut, 1996. La notion de consonance sera reprise et développée dans le Sophiste, à partir de la page 253, pour désigner la communication entre les genres. Voir sur ce point M. Dixsaut, Métamorphoses de la dialectique, p. 158 sq. ainsi que S. Rosen, Plato’s Sophist, The Drama of original and Image, London, 1983, p. 254-258.
108 Voir A. A. Long, « Plato’s Apologies and Socrates in the Theaetetus », dans Method in Ancient Philosophy, Oxford, 1998, selon lequel le Théétète proposerait une reconstruction par Platon d’une figure du « premier » Socrate mais doté de savoirs positifs. Voir aussi, D. Sedley, The Midwife of Platonism, Oxford-New-York, 2004, p. 32-35.
109 Cf. aussi le Banquet, 208 e-209 e dans le discours de Diotime.
110 Théétète, 150 a 8-b 4.
111 Les sages-femmes ont selon Socrate la capacité de connaître de quel accouplement naîtront les plus beaux enfants, cf. Théétète, 149 d 6-8 : « Elles ont tout savoir sur la question de savoir quelle femme, en s’unissant à quel homme, engendrera les meilleurs enfants ». En 149 d 10, Théétète semble pourtant ignorer complètement ce dernier aspect du travail des sages-femmes. Voir C. Titli, « Particularités de la maïeutique socratique : la métaphore de Socrate accoucheur dans le Théétète de Platon », Bulletin de l’association Guillaume Budé, 2009 (1), p. 81-97.
112 Ce que le philosophe doit être à même de discerner est la puissance de se développer, de se renforcer. Voir le lexique de la fécondité et de la santé : 150 c 2 : γόνιμόν τε καὶ ἀληθές, « fertile et vrai », opposé à ἀνεμιαῖον, « de faible constitution », 151 e 6.
113 Il y a là sens ancien de κρίνειν profondément ancré dans la langue : dans l’Iliade V, 501, le verbe désigne le tri du grain, donc précisément du séminal.
114 Théétète, 151 b 7-d 2.
115 Pour rappel, c’est vrai de manière exemplaire dans le Régime, I, 6-8, mais c’est aussi le cas dans De la Génération, où l’enfant se forme par des processus de discrimination à l’intérieur de la matrice, c. 10. Cf. aussi Timée, 91 c 1-d 5, à propos de la discrimination des semences dans la matrice, ainsi que 53 a pour l’image du crible dans la chorê.
116 Plutarque, Questions platoniciennes, 999 d 11-12 (= Moralia, XIII, éd. H. Cherniss, London, 1973, p. 20). « Est-ce sa propre nature qu’il a appelé dieu, parce qu’elle était plus propre à porter un jugement qu’à engendrer (πότερον οὖν τὴν ἑαυτοῦ φύσιν ὡς κριτικωτέραν ἢ γονιμωτέραν οὖσαν θεὸν προσεῖπε), comme Ménandre a dit que pour nous l’intelligence, c’est le dieu ou Héraclite qui a dit : le caractère de l’homme, c’est son démon ».
117 L’exercice du jugement est rendu difficile par le lien parental, dans la mesure où l’engendrement crée un aveuglement, selon Plutarque (Questions platoniciennes, 1000 a 1-5). Pour les discours, il faut pouvoir préférer ceux qui ne nous sont pas propres, mais appartiennent à autrui, s’ils sont meilleurs. En en engendrant, on risque de devenir mauvais juge des discours des autres (φαυλότερος κριτής), par excès d’affection pour les siens. Ainsi en est-il des concours : les Éléens organisent mieux les jeux olympiques s’ils n’ont pas de concitoyen engagé comme athlète. Seuls les philosophes donc, qui ne disent rien de propre (μηδὲν ἴδιον λέγειν᾿) comme Socrate, sont capables de devenir des juges purs et incorruptibles de la vérité (καθαροὺς καὶ ἀδεκάστους τῆς ἀληθείας…δικαστάς).
118 Sur ces pratiques sociales et religieuses, on peut voir l’article de J. Rudhart, « La reconnaissance de paternité, sa nature et sa portée dans la société athénienne : sur un discours de Démosthène », dans Museum Helveticum, n° 19, 1962.
119 160 e 7-161 a 4. « Mais, l’enfantement achevé, il nous faut procéder à la fête du nouveau-né (τὰ ἀμφιδρόμια) et, véritablement, se promener tout alentour par notre raisonnement (ἐν κύκλῳ περιθρεκτέον), pour voir si ce ne serait point, à notre insu, non pas produit qui vaille qu’on le nourrisse (ἄξιον ὂν τροφῆς), mais rien que vent et que mensonge (ἀνεμιαῖόν τε καὶ ψεῦδος). Ou bien penses-tu qu’à tout prix il le faille nourrir parce que tien et ne le point exposer ? Supporteras-tu, au contraire, qu’on en fasse la critique (ἐλεγχόμενον) sous tes yeux, sans entrer en colère au cas où ton premier rejeton te serait enlevé » (trad. Diès).
120 Pour la notion de jugement dans les mythes, voir J. Annas, « Plato’s Myths of Judgement », Phronesis, 27, 1982, p. 119-143, et plus récemment, pour les thématiques principales de ces mythes de jugement M. Inwood, « Plato’s eschatological myths », dans C. Partenie, Plato’s Myths, p. 28-50.
121 République X, 615 b, Phèdre, 248 d-e.
122 Gorgias, 525 a 8-b 3 : « Or il revient à tout être qui subit le châtiment, s’il reçoit le châtiment comme il faut, ou bien de devenir meilleur et d’en tirer profit, ou bien de servir d’exemple aux autres, pour que ceux-ci, parce qu’ils le voient subir ce qu’il subit, par crainte, s’améliorent ». Sur cette conception positive et non punitive du châtiment voir T. J. Saunders, Plato’s penal Code : Tradition, Controversy and Reform in Greek Penology, Oxford, 1991.
123 C’est ce que montre le mythe d’Er, cf. République X, 619 d-e. Les âmes qui n’ont pas été éprouvées après le jugement choisissent leur nouvelle vie avec précipitation au moment de la réincarnation.
124 Ils ont en main le ῥάβδος, « la baguette », l’attribut des deux dieux qui jugent en premier recours, tandis que Minos tient le sceptre d’or, symbole de son pouvoir suprême (Gorgias, 526 c 6). Ces objets incarnent la puissance de transformation. La baguette peut, dans la poésie, évoquer la transformation profonde, le changement de destin, parfois brutal. Dans l’épopée il est l’apanage des divinités et permet le passage magique, surnaturel, d’un état à l’autre. Ainsi, Hermès, Iliade XXIV, 343, peut s’en servir pour endormir et réveiller les hommes à sa guise. Dans le pacte que concluent Apollon et Hermès, la baguette fait office de don que le fils de Létô donne au fils de Maïa. La fonction de cette baguette, aux vers 528-32 de l’Hymne à Hermès est de protéger Hermès du poids du destin (ἀκήριον σε φυλάξει), en permettant l’accomplissement (ἐπικραίνουσα) de ce qui est bon dans les volontés de Zeus. La baguette magique a aussi une fonction dans l’Odyssée. Elle permet à Circé de transformer les compagnons d’Ulysse en animaux, et de nouveau de leur rendre leur forme humaine, 10, 388 sq. C’est d’un coup de baguette, 13, 429, qu’Athéna donne à Ulysse son apparence de vieillard et de mendiant.
125 Pour les incurables, cf. Gorgias, 526 b 7-c1, où les juges se demandent si les âmes sont guérissables ou non (ἰάσιμος ἐάντε ἀνίατος), marquant d’un signe (ἐπισημηνάμενος) celles qui ne le sont pas. Cf. aussi République, 615 e, où les tyrans « incurables », ne peuvent remonter à la surface après avoir purgé leur peine : ils en sont dissuadés par un mugissement terrible de la terre qui s’entrouvre. Cf. aussi Phédon, 113 e, où ceux qui ne sont pas guérissables (ἰάσιμος) roulent en permanence dans les flots des Enfers, sans pouvoir s’en extraire. Sur ce thème, voir E. Helmer, « Les incurables de Platon », Platon et la politique, Philosophie antique, n° 17, 2017, p. 125-147.
126 Au bout de trois mille ans, c’est-à-dire après deux jugements seulement, Phèdre 249 a.
127 Cf. Gorgias, 526 e 1-527 a 2, avec la répétition du mot ἀγών. La passivité de Calliclès lors du jugement dernier s’oppose au comportement de Socrate préparé au jugement.
128 Le jugement dernier est la compétition finale, anticipée dans l’existence, Phédon, 114 c 7 : ἆθλον, 114 d 6 : κίνδυνος.
129 Gorgias, 526 d 4-5 : « Pour ma part Calliclès, j’ajoute foi à ces récits, et je m’efforce de voir (σκοπῶ) comment présenter au juge une âme aussi saine que possible (τῷ κριτῇ ὡς ὑγιεστάτην) ».
130 J. Annas, Plato’s Myths of Judgement, p. 137-139, constate l’affaiblissement de la fonction du jugement dans le mythe. Le mythe d’Er insiste plutôt sur le choix de la bonne réincarnation.
131 L’importance du thème de la pureté dans les mythes de jugement a été soulignée notamment par A. Bernabé, mais sans référence à κρίσις, Platón y el orfismo. Dialogos entre religión y filosofía, Madrid, 2011, p. 189 sq. et p. 211-215.
132 Phédon, 114 c 2-c 6. « Parmi les purs, ceux qui se sont purifiés suffisamment par la philosophie vivent pour la suite absolument sans corps, et parviennent à des demeures encore plus belles, qu’il n’est pas facile de décrire. »
133 Phédon, 67 a 6-b 1. « Et ainsi, délivrés et purifies de la déraison du corps, vraisemblablement, nous vivrons avec des êtres semblables à nous et nous connaîtrons par nous-mêmes la totalité de ce qui est pur, et c’est sans doute cela la vérité. » καὶ οὕτω μὲν καθαροὶ ἀπαλλαττόμενοι τῆς τοῦ σώματος ἀφροσύνης, ὡς τὸ εἰκὸς μετὰ τοιούτων τε ἐσόμεθα καὶ γνωσόμεθα δι’ ἡμῶν αὐτῶν πᾶν τὸ εἰλικρινές, τοῦτο δ’ ἐστὶν ἴσως τὸ ἀληθές·
134 Phèdre 249 a 5-b 5. « Les autres âmes, quand elles ont achevé leur première vie, obtiennent un jugement (κρίσεως ἔτυχον), et après avoir été jugées (κριθεῖσαι δέ), les unes se rendent dans des prisons sous terre pour y payer leur peine, les autres vont dans un endroit du ciel, allégées (κουφισθεῖσαι) par le procès, et vivent comme elles l’ont mérité de leur existence sous forme humaine. À la millième année, les unes et les autres reviennent au tirage au sort et au choix de leur deuxième existence, et chacune choisit celle qu’elle veut. Alors l’âme d’un homme passe dans une existence animale et celui qui fut homme une fois quitte l’existence animale et revient à la condition humaine. L’âme qui n’a jamais vu la vérité ne prendra point la forme qui est la nôtre. »
135 Gorgias, 523 c 5-d 5. « Or beaucoup d’hommes, avec des âmes mauvaises, sont enveloppés de leur corps, de leur beauté, naissance et richesse, et quand le jugement (κρίσις) a lieu, ils ont de nombreux témoins, pour dire qu’ils ont vécu selon la justice. Les juges, donc, sont frappés par tout cet appareil ; en outre, ils jugent, eux-aussi recouverts : ils ont comme un voile placé devant l’âme, devant les yeux, sur les oreilles et le corps tout entier. Tout cela fait obstacle, que ce soient les diverses enveloppes des juges, ou celles de ceux sont jugés (κρινομένων). »
136 523 e 1-6.
137 Pour ἐπιδιακρίνειν, le sens de « juger en appel » est donné par Dodds dans son commentaire au Gorgias, à partir d’un rapprochement avec les Lois 767 a 1-9. L’idée est celle d’une instance capable de revenir sur un premier jugement porté. Ce préverbe ἐπι- évoque aussi République VII, 524 e 4. Ce sont là les Formes intelligibles qui servent à ἐπικρίνειν en cas de conflit de perception.
138 Le juge précise d’un signe si l’âme qu’il envoie au Tartare est ou non guérissable 526 b 8-9. ἐπισημηνάμενος ἐὰν τε ἰάσιμος ἐάν τε ἀνίατος δοκῇ εἶναι. « Il la marque pour signaler si elle lui semble guérissable ou incurable ».
139 Gorgias, 526 d 5. Σκοπῶ ὅπως ἀποφανοῦμαι τῷ κριτῇ ὡς ὑγιεστάτην τὴν ψυχήν, « je regarde comment je pourrai apparaître au juge avec l’âme la plus saine possible ».
140 Pour le lien des mythes au reste des dialogues, voir le collectif édité par C. Partenie, Plato’s Myths, Cambridge, 2009, ainsi que L. Brisson, Platon les mots et les mythes. Comment et pourquoi Platon nomma le mythe ? Paris, 1982.
141 Voir L.-A. Dorion, à propos de la notion d’ἔλεγχος, dans son « Introduction générale » aux Mémorables, I, Paris, 2000, p. 122 : il y a des « occurrences d’elenchos que nous qualifions de “référentielles”, car elles servent à désigner une argumentation qui se déploie dans le cadre et au sein de l’ouvrage. Ces occurrences sont du plus haut intérêt, puisqu’elles permettent d’isoler et d’identifier des formes d’argumentation que Xénophon lui-même regarde comme des elenchoi ». Je cherche à suivre la même démarche pour κρίσις dans la philosophie morale de Platon.
142 Voir M. Dixsaut, « Le plus juste est le plus heureux », Études sur la République de Platon, Paris, 2005, p. 330-331, Elle remarque la volonté des interlocuteurs de procéder coûte que coûte à une κρίσις.
143 République I, 344 a 1-6. « Observe (σκόπει) donc cet homme-ci, si tu veux juger (κρίνειν) combien la vie injuste est plus avantageuse pour soi-même, en tant que particulier, que la vie juste. Le meilleur moyen d’apprendre cela, c’est de tendre vers le sommet de l’injustice (τὴν τελεωτάτην ἀδικίαν), celle qui rend l’homme qui a été injuste absolument heureux, et qui fait de ceux qui ont été victimes d’injustice et qui n’auraient pas consenti à la pratiquer, des misérables absolus. Ce sommet c’est la tyrannie. »
144 République I, 348 a 7-b 4.
145 360 e 1-4. « Le jugement lui-même sur la vie (κρίσιν αὐτὴν τοῦ βίου), dont nous parlons, si nous opposons (διαστησώμεθα) d’un côté le plus juste, et de l’autre côté le plus injuste, nous serons capables de le rendre (κρῖναι) droitement. Sinon, ce ne sera pas le cas. Quelle est donc cette façon de les opposer (ἡ διάστασις) ? »
146 Voir. G. Cambiano, « La méthode par hypothèse en République II », Études sur la République, p. 14-18 notamment.
147 Voir la récurrence des mots formé sur la racine τελ-, ou polyptote, dans toute la page 361.
148 361 d 2-3. « Afin que tous deux arrivés au point ultime, l’un de la justice, l’autre de l’injustice, soit jugé lequel des deux est le plus heureux ».
149 République II, 361 d 4-6. « Ah, dis-je, cher Glaucon, avec quelle vigueur tu épures chacun de ces hommes comme des statues (ὥσπερ ἀνδριάντα), pour les soumettre à notre jugement (εἰς τὴν κρίσιν ἐκκαθαίρεις) ».
150 C’est un aspect de la κρίσις qui se retrouvera dans le Philèbe, à propos des plaisirs, qui eux aussi devront être observés sous leur forme parfaite et pure, leur forme la plus forte, pour être jugés : Philèbe, 44 e-45 a. « Si nous voulions voir quelle est la nature qu’a le genre du plaisir, ce n’est pas les plaisirs d’un moindre degré qu’il faut considérer, mais ceux qui sont réputés les plus vifs et les plus violents (τὰς ἀκροτάτας καὶ σφοδροτάτας, 45 a 1-2) ».
151 Il faudra, dit en effet Socrate, être capable d’ἀποφαίνειν, de dévoiler, que la justice est meilleure que l’injustice (II 368 b 6) en regardant avec précision (διερευνήσασθαι) ce qu’elle est (τί ἐστιν), avec une vue pénétrante (ὀξὺ βλέποντος).
152 Pour le thème de la vision chez Platon voir L. Paquet, Platon : la médiation du regard, Leiden, 1973 et plus récemment, A. Merker, La vision chez Platon et Aristote, Sankt Augustin, 2003. L’image d’une vision de l’âme permet de penser une contemplation des essences non visibles, p. 94.
153 Cf. République VII, 517 d-e. À la fin de l’allégorie de la caverne, est définie l’opposition de deux types de vision, celle des juges, dans les tribunaux, qui ne traitent que des ombres du juste, et celle du philosophe, qui observe les choses réelles. « Eh quoi ? penses-tu qu’il faille s’étonner qu’en passant de ces contemplations divines aux misérables réalités de la vie humaine, on ait l’air gauche et tout à fait ridicule, lorsque, ayant encore la vue trouble et n’étant pas suffisamment habitué aux ténèbres où l’on vient de tomber, on est forcé d’entrer en dispute dans les tribunaux ou ailleurs sur les ombres du juste ou sur les images qui projettent ces ombres et de combattre les interprétations qu’en font des gens qui n’ont jamais vu la justice en soi. » (Trad. E. Chambry).
154 République VIII 544 a3-8.
155 VIII 545 c 6-7. Κατὰ λόγον γέ τοι ἄν, ἔφη, οὕτω γίγνοιτο ἥ τε θέα καὶ ἡ κρίσις.
156 M. Vegetti, La medicina in Platone, Venezia, 1995. Particulièrement « Fedone et la Repubblica », p. 75-95.
157 Vegetti, p. 84-85. Cette dégradation de la médecine par Platon refléterait une stagnation de la technique médicale dans la cité, qui n’aurait pas été capable de se scientificiser, de se mathématiser notamment, p. 92.
158 Cela vient après la réflexion sur la poésie et l’éducation, primordiales. Ce n’est qu’un peuple mal éduqué qui aura besoin de médecins et de juges.
159 République III, 409 b 5-9. Il ne faut pas que le bon juge « ait perçu l’injustice comme un vice personnel logé dans son âme, mais que, pour l’avoir étudié comme un vice étranger chez les autres pendant longtemps, il prenne conscience du mal qu’elle est par nature (διαισθάνεσθαι οἷον πέφυκε κακόν), par science (ἐπιστήμῃ), non par une expérience propre (ἐμπειρίᾳ) ». C’est pourquoi le bon juge doit être vieux, est-il dit explicitement à cette occasion, 409 b 4.
160 L’idée que le bon médecin a fait l’épreuve de la maladie est un peu étrange et ne se trouve pas à ma connaissance dans la Collection hippocratique. Thucydide évoque toutefois en II, 47, 4 le fait que les médecins meurent les premiers parce qu’ils approchent le plus des malades lors de la grande épidémie à Athènes.
161 Voir M. Frede, « Observations on Perception in Plato’s Later Dialogues », dans Essays in Ancient Philosophy, Oxford, 1987, p. 3-8. Le verbe αἰσθάνομαι voit son sens évoluer au fil du corpus platonicien. Le verbe n’en vient à avoir son sens étroit de « perception par les sens », perception passive insuffisante à la formulation des opinions sans l’activité de l’âme, que dans le Théétète (184-187), dans le cadre de la polémique contre la thèse protagoréenne de la science-sensation. Auparavant, rappelle l’auteur, le sens général est celui d’une forme de « prise de conscience », qui peut se faire ou non par les sens.
162 Διαισθάνεσθαι est aussi utilisé dans le Timée, en 87 c 7 pour désigner la perception médicale, mais cette fois opposée à des modes de saisie plus nettement désignés comme intellectuels et noétiques (σκοποῦμεν, ἐννοοῦμεν, 87 d 4) de l’harmonie de l’âme et du corps. Voir D. O’Brien, « Perception et intelligence dans le Timée de Platon », p. 291-305, et L. Brisson, « Perception sensible et raison dans le Timée », p. 307-316, dans Interpreting the Timaeus-Critias, Sankt Augustin, 1997.
163 Cf. IV, 444 d-e. Santé comme justice consistent dans « l’installation » (καθιστάναι) d’un ordre de « domination » (κρατεῖν, κρατεῖσθαι) : il y a santé et justice quand cet ordre est κατά φύσιν, « conforme à la nature », maladie et injustice quand il est παρὰ φύσιν, « contraire à la nature ». Il faut veiller à le maintenir car la partie désirante de l’âme a la faculté naturelle de s’accroître et de convoiter toujours plus.
164 Cf. République VIII, 546 a 1-5 : « Il est difficile qu’une cité constituée comme la vôtre [la meilleure forme de gouvernement] se meuve. Mais puisque pour toute chose qui devient, il y a corruption (φθόρα), une telle formation (ξύστασις) ne durera pas toujours, mais se dissoudra. Voilà ce qu’est la dissolution (λύσις) : il y a non seulement pour les plantes en terre, mais aussi pour les animaux qui y vivent, fécondité et absence de fécondité de l’âme et des corps. » Cf. 563 e 9-564 a 2, à propos du passage de la démocratie à la tyrannie : « Car vraiment, tout excès conduit à un grand changement en sens contraire, soit dans les saisons, soit dans les plantes (φυτοῖς), soit dans les corps (σώμασι), et c’est vrai dans les gouvernements au plus haut point ».
165 VIII, 555 b 5-6. « C’est la démocratie, à ce qu’il semble, qu’il faut, après cela, examiner, pour voir de quelle évolution (τρόπον) elle provient, et, une fois formée, quelle qualité d’homme elle possède, afin qu’ensuite, ayant pris connaissance de l’évolution d’un tel homme (τοῦ τοιούτου ἀνδρὸς τρόπον), nous le fassions comparaître en jugement (εἰς κρίσιν). »
166 Cf. pour un simple exemple Eschine, Contre Timarque, 8.
167 Le terme est, dans la médecine hippocratique, par exemple des Épidémies, utilisé pour désigner les évolutions de la maladie, la façon dont elle prend ses « tournants », se modifie, voir plus haut, p. 159-160. Voir aussi J.-H. Kühn, U. Fleischer, Index hippocraticus, Gottingen, 1989, s.v.
168 Cf. VIII 550 e 6-8. « La vertu n’est-elle pas ainsi distincte de la richesse, que, placées chacune sur le plateau d’une balance, toujours elles penchent en direction contraire (ἀεὶ τοὐναντίον ῥέποντε) » Le verbe ἕλκω se trouve aussi dans ces passages et désigne l’attraction ou l’influence qu’exercent des mauvais conseillers et des modes de vie néfastes. Cf. aussi 556 e- 557 a. L’état conflictuel larvé que suscite l’oligarchie en ruinant certaines catégories de population est comparé à celui d’un σῶμα νοσῶδες, d’un corps malade. Il faut alors une très faible impulsion (μικρᾶς ῥοπῆς, ἀπὸ σμικρᾶς προφάσεως) pour arriver à l’état de maladie et de dissension interne (στασιάζει, νοσεῖ τε καί μάχεται).
169 Voir plus haut, p. 167-171.
170 Cf. IX, 579 c 4-d 2. « Tels sont donc les maux que recueille en sus l’homme tyrannique qui exerce sur lui un méchant gouvernement, l’homme que tu as jugé le plus malheureux (ἀθλιώτατον ἔκρινας), l’homme tyrannique, quand il ne vit plus en simple particulier, mais qu’il est contraint par quelque coup du sort de devenir tyran et qu’il entreprend de commander les autres alors qu’il est sans commandement sur lui-même, comme si un malade de corps languissant et impuissant (κάμνοντι σώματι καὶ ἀκράτορι) était forcé de passer sa vie, non pas à s’occuper de sa personne, mais à combattre et à lutter contre d’autres (ἀγωνιζόμενος πρὸς ἄλλα σώματα). — La comparaison est absolument vraie mon cher Socrate, dit-il ».
171 Cf. Phèdre 270 c1- 4, τῆς τοῦ ὅλου φύσεως.
172 République IX, 576 d 3-e 2.
173 Voir les remarques de Benveniste sur « *med- et la notion de mesure », Vocabulaire des Institutions indo-européennes, vol. II, p. 123 sq. Le vocabulaire du soin et du jugement sont apparentés. Ainsi l’osque meddix désigne le juge tandis que le latin medicus désigne le médecin. Voir aussi le verbe latin meditor p. 125. En fait, tous ces mots contiendraient l’idée commune de mise en mesure, d’imposition d’une modération par une décision (p. 127-132, à partir d’exemples grecs).
174 IX, 577 b 5-7. Προσποιησώμεθα ἡμεῖς εἶναι τῶν δυνατῶν ἂν κρῖναι καὶ ἤδη ἐντυχόντων τοιούτοις, ἵνα ἔχομεν ὅστις ἀποκρινεῖται ἃ ἐρωτῶμεν.
175 L’Euthyphron formule l’aporie ainsi : 7 c 3-d 5, Socrate « Pour savoir ce qui est plus grand ou plus petit, si nous étions d’un avis différent, ne prendrions-nous pas des mesures (τὸ μετρεῖν) pour faire cesser rapidement notre différend ? — Oui, on ferait ainsi. — Et nous aurions recours à la pesée, à mon avis, pour nous départager au sujet de ce qui est le plus lourd ou le plus léger. — Comment faire autrement ? — Au sujet de quoi alors, quand nous sommes en désaccord, nous ne pouvons pas parvenir à un jugement (ἐπὶ τίνα κρίσιν οὐ δυνάμενοι ἀφικέσθαι), et nous devenons ennemis les uns des autres, en nous mettant en colère ? Peut-être n’as-tu pas la chose sous les yeux, mais regarde, si comme je le dis, il s’agit du juste de l’injuste, du beau et du laid, du bon et du mauvais. Ne sont-ce donc pas les choses au sujet desquelles, si nous sommes en désaccord, nous ne pouvons pas parvenir à un jugement suffisant, mais devenons ennemis les uns des autres, toi, moi et tous les hommes (οὐ δυνάμενοι ἐπὶ ἱκανὴν κρίσιν αὐτῶν ἐλθεῖν ἐχθροὶ ἀλλήλοις γιγνόμεθα). » Ce trait de prudence socratique concernant le jugement moral apparaissait déjà au livre VIII de la République : « nous tenterons d’être des juges convenables », πειρασόμεθα ἱκανοὶ κριταὶ γενέσθαι, cf. 545 c 5.
176 Il vient d’apparaître nécessaire d’avoir mené une longue observation de la vie intime des tyrans pour en juger bien. Cf. IX, 577 a 5-b 5 : « Si donc je pensais que nous tous nous devons écouter celui qui est capable de juger (κρίνειν) le tyran, celui qui a vécu avec lui, qui a vu ce qu’il peut bien faire chez lui, comment il se comporte envers ses proches, dans la compagnie desquels il se pourrait d’ailleurs qu’il se laisse voir nu sans son costume de théâtre, qui l’a vu en outre aux heures du danger public, et si nous enjoignons à l’homme qui a vu tout cela de se prononcer sur le bonheur ou le malheur du tyran comparé aux autres hommes… — Cela aussi, dit-il, ce serait très juste que tu le demandes ».
177 République IX, 580 a 7-b 4. Ἴθι δή μοι, ἔφην ἐγώ, νῦν ἤδη ὥσπερ ὁ διὰ πάντων κριτὴς ἀποφαίνεται, καὶ σὺ οὕτω, τίς πρῶτος κατὰ τὴν σὴν δόξαν εὐδαιμονίᾳ καὶ τίς δεύτερος, καὶ τοὺς ἄλλους ἑξῆς πέντε ὄντας κρῖνε, βασιλικόν, τιμοκρατικόν, ὀλιγαρχικόν, δημοκρατικόν, τυραννικόν. – Ἀλλὰ ῥᾳδία, ἔφη, ἡ κρίσις. Καθάπερ γὰρ εἰσῆλθον ἔγωγε ὥσπερ χοροὺς κρίνω ἀρετῇ καὶ κακίᾳ καὶ εὐδαιμονίᾳ καὶ τῷ ἐναντίῳ.
178 Dans le passage consacré à la méthode de jugement des œuvres d’art, où est critiquée la loi dépravée de la Sicile, qui recourt au vote à main levée pour distinguer le vainqueur (τὸν νικῶντα διακρίνων χειροτονίαις, 659 b 7).
179 Voir J. Adam, The Republic of Plato, p. 340 : « The expression is strangely reminiscent of the musical terms διά πέντε, διά τετάρρων, διά πασῶν etc. and in a competition between χοροί, it is natural enough that musical analogies should provide a name for the decisive struggle in which the claims of the competitors as it were contend with one another for the final victory ». La définition de l’ordre de l’âme comme harmonie, concorde, donnée au livre IV, a préparé aussi cette métaphore.
180 É. Chambry traduit par le « juge suprême », d’après J. Adam, The Republic of Plato II, Cambridge, 1965, ad. v. et appendice p. 373-376.
181 Sur ce point, voir Adam, p. 373, qui cite le comique Cratinos, fr. 157. On y trouve l’expression ἀγών διὰ πάντων, l’ultime manche. Si les Grecs avaient l’habitude de parler d’un « concours ultime », on peut concevoir l’existence d’un juge διὰ πάντων, qui officiait dans ces διὰ πάντων ἀγῶνα.
182 Voir C. V. Marshall et S. Van Willigenburg, « Judging Athenian dramatic Competitions », Journal of Hellenic Studies, 124, 2004, p. 93-95. À partir d’une glose d’Hésychius, ils considèrent que l’expression διὰ πάντων renvoie au fait d’être juge « tout au long du concours », plutôt qu’au fait d’établir un classement.
183 Voir, plus bas, les remarques sur la κρίσις juridique chez Platon, p. 273-276.
184 Le passage de Platon est un des principaux témoignages en faveur de l’existence d’un classement des candidats par les juges. Voir C. V. Marshall et S. Van Willigenburg, « Judging Athenian dramatic Competitions », p. 92, avec un renvoi à la bibliographie.
185 On peut rapprocher ce classement du travail du dialecticien du Phèdre 271 b 1-2, qui distingue les genres mais établit aussi entre eux des relations : « Après avoir fait une classification (διαταξάμενος) des genres de discours comme des genres d’âme, ainsi que de leurs modalités respectives (παθήματα), il parcourt les relations causales ».
186 Voir C. V. Marshall et S. Van Willigenburg, « Judging Athenian dramatic Competitions », p. 90.
187 Trois types d’homme, l’ambitieux, l’intéressé et le philosophe sont définis en fonction des trois parties de l’âme qui dominent chez eux (581 c). L’ambitieux et l’intéressé font l’éloge de leur vie et de l’espèce de plaisir qu’ils y recueillent.
188 IX, 582 a 2-4.
189 582 d 1-2. « C’est en vertu de son expérience, disais-je, qu’il est le plus à même de juger au mieux, parmi les hommes ». Ἐμπειρίας μὲν ἄρα, εἶπον, ἕνεκα κάλλιστα τῶν ἀνδρῶν κρίνει οὗτος. Son expérience des plaisirs est plus étendue que celle des autres hommes : elle englobe les plaisirs que connaissent les autres, ainsi que ceux qui ne lui appartiennent qu’à lui.
190 Et ce afin de n’avoir pas moins d’expérience que les autres (ἵνα μηδ’ ἐμπειρίᾳ ὑστερῶσι τῶν ἄλλων, 539 e 4).
191 République III, 409 b 5-9, voir plus haut, p. 215.
192 582 d 3-10. – Ἀλλὰ μὴν καὶ δι’ οὗ γε δεῖ ὀργάνου κρίνεσθαι, οὐ τοῦ φιλοκερδοῦς τοῦτο ὄργανον οὐδὲ τοῦ φιλοτίμου, ἀλλὰ τοῦ φιλοσόφου. – Τὸ ποῖον – Διὰ λόγων που ἔφαμεν δεῖν κρίνεσθαι. ἦ γάρ; – Ναί. – Λόγοι δὲ τούτου μάλιστα ὄργανον.
193 République IX, 582 d 14-e 2. « Mais si les choses jugées étaient jugées au mieux par la richesse et le gain, ce que loue et blâme l’amoureux du gain, ce serait cela qui serait de toute force le plus vrai ». Οὐκοῦν εἰ μὲν πλούτῷ καὶ κέρδει ἄριστα ἐκρίνετο τὰ κρινόμενα, ἃ ἐπῄνει ὁ φιλοκερδὴς καὶ ἔψεγεν, ἀνάγκη ἂν ἦν τᾶυτα ἀληθέστατα εἶναι.
194 Théétète, 170 d 4-10.
195 Théétète, 178 b 5-7, où la formule de Protagoras est ainsi expliquée : ἔχων γὰρ αὐτῶν τὸ κριτήριον ἐν αὑτῷ, οἷα πάσχει τοιαῦτα οἰόμενος, ἀληθῆ τε οἴεται αὑτῷ καὶ ὄντα. « Car il a en lui le moyen de juger : comme il pâtit il pense, et il pense que cela est vrai pour lui, et que ce sont des étants ». Métaphysique K 6, 1063 a 3, οὐδέποτε γὰρ τὸ αὐτὸ φαίνεται τοῖς μὲν γλυκὺ τοῖς δὲ τοὐναντίον, μὴ διεφθαρμένων καὶ λελωβημένων τῶν ἑτέρων τὸ αἰσθητήριον καὶ κριτήριον τῶν λεχθέντων χυμῶν. « En effet, jamais la même chose ne semble sucrée aux uns et le contraire aux autres, à moins d’une destruction et d’une détérioration, chez les uns ou les autres, de l’organe sensitif qui distingue les goûts en question » (trad. A. Jaulin, M.-P. Duminil).
196 Voir G. Striker, « Κριτήριον τῆς ἀληθείας », Essays on Hellenistic Epistemology and Ethics, Cambridge, 1996, p. 22-76. Elle considère que le terme philosophique est formé sur le terme attique, κριτής, qui désigne l’arbitre et non le juge. Κριτήριον ne serait pas perçu dans la philosophie comme un terme issu de la sphère légale, mais désignerait un simple moyen de juger, d’évaluer, d’arbitrer. Voir p. 24 : « The philosophical term of art κριτήριον, on the other hand, appears to be related to Attic word κριτής, which refer not to a judge but to an “evaluator” (Fraenkel : Beurteiler) or arbiter – thus, for example, the person who judged the tragedies in a play contest. » Pour P. Chantraine toutefois, κριτήριον serait issu du substantif κριτήρ, et aurait en attique le sens de « capacité de juger, tribunal » et « jugement », s.v. κρίνω.
197 Le mot ὄργανον apparaît en 582 d-e. Le suffixe –ιον du mot κριτήριον sert aussi selon Chantraine à désigner une « capacité ».
198 Par cet « éloge », le philosophe reprend ainsi à son compte la capacité poétique, visible dans les chansons que sont les scolies, d’ériger une hiérarchie des biens de l’existence ou des types de vie (Gorgias 451 d 9- e 6, Ménon 87 e, Euthydème 279 a, Philèbe 48 d).
199 Sur la vertu performative de l’ἔπαινος, notamment dans l’épopée, où il manifeste le consentement du groupe à une décision qui engage le destin collectif, mais aussi l’acclamation du public devant une production poétique enthousiasmante, voir les analyses de D. Elmer pour l’Iliade dans The Poetics of Consent, 2013.
200 Cette présentation du discernement moral comme effort est d’ailleurs confirmée dans le mythe (X, 618 b 6-c 8), en l’absence toutefois de vocabulaire issu de κρίνειν. Il faudra suspendre toute activité qui ne concerne pas le difficile et décisif choix d’une existence nouvelle dans l’au-delà.
201 583 b 1-2. « Ainsi, sur ces points-là, il se pourrait qu’il soit (ἂν εἴη) deux fois de suite vainqueur sur l’injuste, l’homme juste ».
202 IX, 583 b 1-7.
203 Cf. République IX, 583 b 1-7 : « Voilà donc deux démonstrations qui se succèdent, deux victoires que le juste remporte sur l’injuste. Pour la troisième, adressons-nous, comme des athlètes d’Olympie, à Zeus sauveur olympien […] ce pourrait bien-être pour l’injuste la grande chute, la chute décisive (κυριώτατον τῶν πτωμάτων) », trad E. Chambry. Le jugement est formulé aussi trois fois dans le Philèbe, 66 d 3-4, avec mention du dieu sauveur : « Allons ! “Pour la troisième fois en l’honneur du sauveur”, reprenons notre argument » (trad. Pradeau). Le traducteur utilise les guillements car il considère que Platon reprend là explicitement une formule utilisée dans des banquets (note 327 p. 301 de son édition G.F. du dialogue). Cette figure de Zeus sauveur qui intervient en troisième et dernier lieu pour sanctionner différents types de délibérations se retrouve aussi dans les Euménides, v. 759-60. Au moment même où le verdict vient d’être rendu, Oreste est délivré suite aux interventions de Pallas, Apollon et en troisième lieu de Zeus, le dieu sauveur. Dans la Sixième isthmique, v. 1-9, Pindare associe la figure de Zeus sauveur Olympien à la troisième victoire espérée d’un athlète et à la troisième libation qu’on pourra verser en son honneur dans un banquet.
204 Gorgias, 499 a 1 : « car il est beau, dit-on de dire et d’observer deux et même trois fois les belles choses ». Le dicton est visible aussi dans le Philèbe, 60 a 1-2, avec note 288 de J.-F. Pradeau ad loc. Voir déjà Empédocle, fragment 25.
205 Hérodote I, 32. C’est la leçon de Solon à Crésus. Avant la fin d’une vie, et les derniers avatars de la destinée, aucun jugement sur sa valeur n’est possible.
206 Qu’est-ce que la philosophie antique, 1995, p. 106.
207 X, 618 c-d. « C’est là, ce semble, cher Glaucon, qu’est le moment critique (κίνδυνος) pour l’homme, et c’est justement pour cela que chacun de nous doit laisser de côté toute autre étude, et mettre ses soins à rechercher et à cultiver celle-là seule. Peut-être pourra-t-il découvrir et reconnaître (μαθεῖν καὶ ἐξευρεῖν) l’homme qui lui communiquera la capacité et la science de discerner (διαγιγνώσκοντα) les bonnes et les mauvaises conditions et de choisir toujours et partout la meilleure, autant qu’il lui sera possible, en calculant quels effets toutes les qualités que je viens de dire ont sur la vertu pendant la vie, par leur assemblage ou leur séparation (ξυντιθέμενα…διαιρούμενα). Qu’il apprenne de lui à prévoir le bien ou le mal que produit tel mélange (κραθὲν) de beauté avec la pauvreté ou la richesse avec telle ou telle disposition de l’âme, et les conséquences qu’auront en se mélangeant (ξυγκερραννύμενα) entre elles la naissance illustre ou obscure, la vie privée et les charges publiques, la vigueur ou la faiblesse, la facilité ou la difficulté d’apprendre et toutes les qualités spirituelles du même genre, naturelles ou acquises », trad. Chambry.
208 32 a 2-3 : « Une division et une déliaison contre nature, peines liées à une chaleur étouffante, sont douleur ». διάκρισις καὶ διάλυσις ἡ παρὰ φύσιν, τοῦ πνίγους πάθη, λύπη.
209 Timée, 83 e 5-9 : « Quand la chair est divisée sous l’effet des maladies (διακρινομένης μὲν οὖν ὑπὸ νόσων τῆς σαρκὸς ἑκάστης), mais que subsistent cependant ses bases essentielles, la puissance du mal (τῆς συμφορᾶς ἡ δύναμις) n’est qu’à demi déchaînée ». En revanche, quand le glutineux qui relie l’os à la chair se charge de sel et se dissout, alors la maladie est beaucoup plus grave.
210 Un premier type provient du désordre dans les composantes primaires du corps (air, eau, terre, feu). Le deuxième type naît de la corruption de l’ordre de croissance des chairs (ἀνάπαλιν γένεσις, 82 c 6). Les humeurs naissent dans le corps à cette occasion.
211 Timée, 84 e 3-8 : « Souvent aussi la chair se divise à l’intérieur du corps (ἐν τῷ σώματι διακριθείσης σαρκὸς) ; de l’air s’y enferme et ne peut pas en sortir, causant des souffrances identiques à celles que provoque l’air venu du dehors. Ces souffrances sont surtout très grandes quand l’air se fixe aux tendons et aux vaisseaux et les gonfle ; il distend alors les muscles extenseurs et les tendons qui y adhèrent et les contracte en sens contraire. » (Trad. Albert Rivaud).
212 La cité dégradée de la République connaît un certain nombre de divisions pathologiques. Les frelons, foule de sans-travail, qui sont, pour une cité, comme le phlegme ou la bile d’un corps (564 c 1), se multiplient dans la licence démocratique. Il y naît aussi une classe des riches, qui « se sépare » (ἀποκρίνεται) toujours de la foule (ἐκ τοῦ πλήθους, VIII 564 e 4-5), en raison de son sens du bon ordre naturel. Ἀποκρίνεται exprime la sécession d’une classe de la population, la meilleure, la crème de la crème (cf. Maladies IV, 51, 1, à propos de la fabrication du fromage). Mais cette séparation, sur le plan collectif, aura des effets pathologiques. Les torts commis poussent en effet les riches menacés à se changer en véritables oligarques.
213 Timée, 91 d-e. Les « êtres encore informes » (ἀδιάπλαστα ζῷα, 91 d 3), y connaissent un processus de distinction (διακρίναντες, 91 d 4). Ils sont ensuite nourris (ἐκθρέψονται) dans la matrice, avant de sortir à la lumière (εἰς φῶς ἀγαγόντες, 91 d 5). Dans ce même dialogue, en 52 e 7, les mouvements des corps qui s’agitent dans la chôra sont comparés à ceux qui se produiraient sous l’effet d’un crible.
214 Philèbe, 32 a 8, πάλιν δ’ εἰς ταὐτὸν ἀπιόντων καὶ διακρινομένων ἡ κατὰ φύσιν ὁδὸς ἡδονή, « quand les parties reviennent à nouveau à leur état primitif et se dissocient c’est le chemin du plaisir selon la nature », trad. Diès.
215 A. Macé, dans « L’eidos-structure dans le Philèbe au fondement de la science de la nature (Philèbe, 31 d 4-32 b 5) », dans Plato’s Philebus, Sankt Augustin, 2010, p. 279-284, constate cette ambivalence des processus naturels chez Platon, p. 280-282.
216 Voir P.-M. Schuhl, « Sur le mélange dans le Philèbe », Revue des Études Grecques 80, 1967, p. 225-226 : il y a un processus dissociatif exprimé par διάκρισις, à l’œuvre « autant en psychologie qu’en biologie ».
217 Sophiste, 226 d 9-10. « À mon sens, toute séparation de ce type reçoit chez tous le nom d’une purification ». Πᾶσα ἡ τοιαύτη διάκρισις, ὡς ἐγὼ συννοῶ, λέγεται παρὰ πάντων καθαρμός τις.
218 226 e 8-a 5. « Dans les corps vivants, toutes les purifications internes qu’opèrent, grâce à une exacte discrimination (ὀρθῶς διακρινόμενα καθαίρεται) la gymnastique et la médecine, et toutes les purifications externes, si peu relevé qu’en soit le nom, comme l’art du baigneur ; dans les corps inanimés, tous les soins qui relèvent du foulage (γναφευτική) ou, universellement parlant, de l’apprêtage (σύμπασα κοσμητική), et qui s’éparpillent en des noms ridicules d’aspect. » (Trad. Diès). L’association de διακρίνεσθαι avec le verbe καθαίρω, ainsi que le contexte médical du passage fournit ici une des occurrences du corpus platonicien où le sémantisme médical de la διάκρισις comme tri épuratoire affleure le mieux. Toutefois, à la différence de ce qu’on trouve chez les médecins, le processus n’est pas spontané, mais les divisions dans le corps sont provoquées par les arts que sont la médecine et la gymnastique.
219 Cf. le récapitulatif ultérieur dans le dialogue, qui laisse apercevoir clairement le schéma diairétique : 231 b 4-12. « Posons donc, comme partie de l’art de trier (διακριτικῆς τέχνης) l’art de purifier (καθαρτική). Dans ce dernier séparons la part qui a pour objet l’âme. Mettons-y à part l’art d’enseignement et, dans celui-ci, l’art d’éducation. Enfin, dans l’art d’éducation, le présent argument nous est venu montrer, d’aventure, s’exerçant autour d’un vain semblant de sagesse, une méthode de réfutation en laquelle nous n’avons point à voir autre chose que l’authentique et vraiment noble sophistique » (trad. A. Diès).
220 231 e 4-6. « Son sixième aspect était contestable, mais nous nous sommes accordés à dire qu’il purifiait l’âme des opinions qui l’entravent dans l’acquisition des connaissances » (trad. Diès). Τό γε μὴν ἕκτον ἀμφισβητήσιμον μέν, ὅμως δ’ἔθεμεν αὐτῷ συγχωρήσαντες δοξῶν ἐμποδίων μαθήμασιν περὶ ψυχὴν καθαρτὴν αὐτὸν εἶναι.
221 Voir M. Dixsaut dans « La dernière définition du Sophiste », dans Chercheurs de sagesse. Hommage à Jean Pépin, Paris, 1992, p. 73.
222 Voir M. Narcy, « Socrate à l’école de l’étranger d’Élée », dans Plato’s Philebus, Sankt Augustin, 2010, p. 68-73. L’Étranger produirait ici une critique en règle de la méthode socratique, dont Socrate sera amené à tenir compte dans le Philèbe. La pratique de réfutation socratique décrite dans le Sophiste ne ferait pas référence aux Formes, et c’est en cela qu’elle manquerait de vérité et serait sophistique.
223 Cf. Parménide 129 d 7-e 4. « Mais qu’on fasse ce que je disais tout à l’heure : que l’on commence par distinguer et mettre à part, en leur réalité propre, les Formes telles que ressemblance, dissemblance, pluralité, unité, repos, mouvement, et toutes essences pareilles ; qu’on les démontre ensuite capables, entre soi, de se mélanger et de se séparer (ταῦτα δυνάμενα συγκεράννυσθαι καὶ διακρίνεσθαι ἀποφαίνῃ) ; c’est alors, ô Zénon, que je serais émerveillé, ravi » (trad. Diès).
224 Pour F. M. Cornford, Plato’s Theory of knowledge, 1935, p. 252-253, comme pour Y. Lafrance, La théorie platonicienne de la doxa, 1981, p. 309-11, le Sophiste répond à la question de la communication des Formes entre elles. Une nouvelle conception relationnelle des formes s’impose dans le Sophiste, notamment, en réponse aux objections du Parménide.
225 Cf. Sophiste, 253 a-c. C’est une technique grammaticale et musicale. À mettre en parallèle de Philèbe, 17 b qui fait aussi usage, pour définir une science de l’un et du multiple, de l’image des lettres et des notes, dont il faut connaître les intervalles précis et les combinaisons possibles.
226 Sophiste, 253 d 5-e 2. « Celui qui est capable de faire cela, il perçoit suffisamment qu’une forme unique (ἰδέαν) est déployée en tous sens à travers une pluralité où chaque genre demeure distinct ; et il perçoit de nombreuses formes, différentes les unes des autres, enveloppées par une forme unique de l’extérieur ; et aussi, une forme unique répandue à travers plusieurs ensembles, qui reste en une unité ; enfin de nombreuses formes absolument séparées. Or, être capable de cela, c’est savoir discerner (διακρίνειν), genre par genre, dans quelle mesure il peut s’associer, et dans quelle mesure il ne le peut pas » (trad. Diès).
227 Je ne suis pas ici M. Fattal qui, évoquant cette διάκρισις, met quant à lui en avant une fonction de séparation pure de type parménidéen, p. 156, « Le Sophiste, Logos de la synthèse ou logos de la division », dans P. Aubenque, Études sur le Sophiste de Platon, 1991.
228 Cratyle, 387-388. Sur cette fonction discrimination du nom, voir plus haut p. 193-195.
229 Philèbe, 23 d 9-10. ΠΡΩ.- Μῶν οὖν σοι καὶ πέμπτου προσδεήσει διάκρισίν τινος δυναμένου; ΣΩ. – Τάχ’ ἄν· οὐ μὴν οἶμαί γε ἐν τῷ νῦν· ἂν δέ τι δέῃ, συγγνώσῃ πού μοι σὺ μεταδιώκοντι πέμπτον.
230 V. Brochard, Études de Philosophie ancienne et de Philosophie moderne, « La morale de Platon », Paris, 1912, p. 202-203 : « Ayant à énumérer les genres de l’être, Platon a voulu retrouver le nombre cinq, et que c’est pour ce motif qu’il a réservé la place de ce cinquième genre dont il n’a rien à faire ».
231 C’est la position de N.-I. Boussoulas, L’être et la composition des mixtes dans le Philèbe de Paris, Paris, 1952, p. 68 sq. Son interprétation est la suivante : le cinquième genre du Philèbe se résorberait dans le quatrième, et c’est pourquoi Socrate se montrerait si évasif, voire ironique, devant la question de Protarque sur la nécessité d’un cinquième genre. Voilà pourquoi il n’en serait plus question dans la suite du dialogue. La fonction diacritique se résorberait donc dans le genre de l’intellect et de la cause.
232 L. Robin, La pensée hellénique des origines à Épicure, Paris, 1942, p. 359-360 : « Dans cette unité confuse on distinguera des éléments, et à chacun d’eux on demandera ses titres à occuper le rang auquel il aura été amené. Grâce à cette διάκρισις nous parvenons jusqu’à l’antichambre du Bien, et nous sommes à même d’opérer les κρίσεις finales, en allant, progressivement cette fois, du Bien, le fini, principe transcendant de toute mesure et, par suite, de toute composition exacte des essences (cf. Rép., VI, 509 b), jusqu’à cet infini dont nous étions partis. La διάκρισις a donc été réellement mise en œuvre ».
233 Philèbe, 52 c 1-d 1. « Maintenant donc que nous avons séparés les plaisirs purs et ceux qu’on pourrait avec à juste titre appeler impurs (Οὐκοῦν ὅτε μετρίως ἤδη διακεκρίμεθα χωρὶς), ajoutons par le raisonnement (προσθῶμεν τῷ λόγῳ) aux plaisirs violents la démesure et, à leurs contraires, la mesure, et disons que les plaisirs susceptibles de grandeur, d’intensité, de fréquence, de rareté, appartiennent à ce genre de l’illimité (τοῦ ἀπείρου γένους), du plus et du moins, qui circule à travers le corps et l’âme, alors que ceux qui n’en sont pas susceptibles se rangent dans les choses mesurées. » (Trad. Diès légèrement modifiée).
234 Voir la page 26 a-c du dialogue. Tout ce qui est (πάντα τὰ ὄντα) se laisse diviser en quatre genres de l’être : l’infini ou illimité, la limite, le mélange, et la cause du mélange, auxquels Protarque tentera d’en ajouter un cinquième, le genre diacritique. L’adjonction du limitant à l’illimité permet en général toutes formes de génération (γενέσεις, 25 e 4). Ce schème d’imposition d’une limite à un illimité permet d’expliquer la santé, l’harmonie, les saisons, l’ensemble des beautés. Cette opération apparaît comme l’action salutaire d’une déesse.
235 Κρίναιμεν (57 e 7), διακρίνοις (58 a 6).
236 L’analogie est filée jusqu’à la fin du dialogue : 64 b 7-8, κόσμος τις ἀσώματος ἄρξων καλῶς ἐμψύχου σώματος ὁ νῦν λόγος ἀπειργάσθαι φαίνεται, « Car, pour moi, j’estime que voilà notre argument achevé et, avec lui, une sorte d’ordonnance incorporelle faite pour gouverner un corps qu’anime une belle vie » (trad. Diès).
237 Le terme κρίσις réapparaît plusieurs fois au fil du dialogue. C’est à chaque fois en tant que but à atteindre, qui exige que les composants de la vie soient bien déterminés et distingués afin que leur classement final dans le mixte de vie soit rendu le plus facile possible. Cf. 44 d 1-5 ; « Après quoi tu apprendras quels plaisirs je regarde comme vrais, pour que nous examinions, de ces points de vue opposés, la valeur du plaisir avant de la soumettre à notre jugement (ἵνα ἐξ ἀμφοῖν τοῖν λόγοιν σκεψάμενοι τὴν δύναμιν αὐτῆς παραθώμεθα πρὸς τὴν κρίσιν) » (trad. A. Diès). Cf. aussi 52 e 4 et 55 c pour d’autres rappels. Voir D. Frede, « Disintegration and restoration : Pleasure and pain in Plato’s Philebus », dans The Cambridge companion to Plato, Cambridge, 1992, p. 426 : « The arbitration between knowledge and pleasure is the express motive throughout, not only in the long discussion of different kinds of pleasure and knowledge and in their final ranking (31 b-67 b), but also in the “metaphysical preface”. »
238 Sur l’importance du rêve dans ce tournant de l’argumentation, cf. D. Frede, Platon, Philebos, Übersetzung und Kommentar, Göttingen, 1997, p. 170.
239 20 e 1-2. Σκοπῶμεν δὴ καὶ κρίνωμεν τόν τε ἡδονῆς καὶ τὸν φρονήσεως βίον ἰδόντες χωρίς. « Observons et jugeons la vie de plaisir et la vie de réflexion, en les observant séparément. »
240 Voir L.-A. Dorion, « L’autarcie et les critères du bien (Philèbe, 20 d et 67 a) », p. 146-151, de Plato’s Philebus, Sankt Augustin, 2010.
241 Le besoin et le manque, προσδεῖσθαι, προσδεῖν, apparaissent quand on imagine une vie toute de plaisir. L’examen part des sentiments des interlocuteurs. Cf. 21 a 4, Socrate à Protarque : « Veux-tu que nous tentions l’examen de ces choses sur toi (ἐν σοὶ πειρώμεθα βασανίζοντες) ? ».
242 On reconnaît dans le vocabulaire du « vide » et du « plein » un des enjeux centraux de la discussion entre Socrate et Calliclès sur les plaisirs qui commence dans le Gorgias, à partir de 492 d, culminant avec la métaphore des tonneaux percés de 493 c.
243 Ce nouvel enjeu se manifeste à partir de 22 d à travers le champ lexical de l’ἀγών. Ιl faut accorder le second prix à ce qui est cause de cette vie mixte. Socrate plaide alors pour donner la deuxième place à l’intellect et veut reléguer le plaisir au-delà du troisième rang.
244 Philèbe, 52 d 10-e 4. « [Quel est le but de ta question ?] Ne négliger dans l’examen aucun aspect du plaisir ou de la science, pour voir si telle partie d’eux est pure, telle autre ne l’est pas, afin que chacune se rende pure au mélange et que le classement soit plus facile, pour toi, pour moi, et pour tous les autres. Μηδέν, ὦ Πρώταρχε, ἐπιλείπειν ἐλέγχων ἡδονῆς τε καὶ ἐπιστήμης, εἰ τὸ μὲν ἄρ’ αὐτῶν ἑκατέρου καθαρόν ἐστι, τὸ δ’ οὐ καθαρόν, ἵνα καθαρὸν ἑκάτερον ἰὸν εἰς τὴν κρᾶσιν ἐμοὶ καὶ σοὶ καὶ συνάπασι τοῖσδε ῥᾴω παρέχῃ τὴν κρίσιν ».
245 55 c 4-10. « N’entreprenons pas toutefois de mettre à l’épreuve, de toutes les manières possibles, l’ensemble du plaisir en donnant l’impression de ménager excessivement l’intellect et la science. Au contraire, frappons-les hardiment partout pour voir s’ils n’ont rien de fêlé, de façon que, lorsque nous aurons trouvé ce qu’il y a naturellement en eux de plus pur, avc cela en vue, nous puissions nous servir des parties les plus vraies, qu’il s’agisse des parties de l’intellect et de la science ou des parties du plaisir, pour rendre le jugement qu’elles doivent subir en commun ». ΣΩ. Μὴ τοίνυν ἡδονῆς μὲν πάντως ἐξέτασιν πᾶσαν ἐπιχειρῶμεν ποιήσασθαι, νοῦ δὲ καὶ ἐπιστήμης οἷον φειδόμενοι σφόδρα φανῶμεν· γενναίως δέ, εἴ πῄ τι σαθρὸν ἔχει, πᾶν περικρούωμεν, ὡς ὅτι καθαρώτατόν ἐστ’ αὐτῶν φύσει, τοῦτο κατιδόντες εἰς τὴν κρίσιν χρώμεθα τὴν κοινὴν τοῖς τε τούτων καὶ τοῖς τῆς ἡδονῆς μέρεσιν ἀληθεστάτοις. - ΠΡΩ. Ὀρθῶς.
246 A. Diès, reprenant la correction de Schleiermacher écrit κρᾶσιν, contrairement aux manuscrits qui donnent κρίσιν, car selon lui l’adjectif κοινήν s’explique mieux ainsi. Voir note 1, p. 74, de son édition de la CUF. Pour un point de vue contraire, voir la note 247 de Pradeau dans la traduction G.-F., Philèbe, Paris, 2002, qui choisit de respecter la tradition manuscrite, soit κρίσιν. L’hésitation des éditeurs peut s’expliquer par la proximité du sens des termes en contexte. On peut toutefois trancher en faveur des manuscrits, et lever l’objection de Diès. Contrairement à ce qu’il suggère, κρίσις peut tout à fait être associé à κοινή, sans incongruité. Une « décision commune » ou un « jugement collectif » (κρίσιν κοινήν) peut simplement suggérer que tous les composants de la vie mixte connaîtront une même épreuve finale au cours de laquelle ils seront classés : c’est précisément ce qu’on voit à la fin du Philèbe, où tous les ingrédients sont à la fois « versés » ensemble mais aussi bien « distingués » les uns des autres par le démiurge moral.
247 Voir plus haut, p. 143 sq.
248 Voir L. Ayache, « Le fonds médical du Philèbe », dans La Fêlure du plaisir, Paris, 1999, notamment p. 43-44. Il y a une différence selon lui entre le mélange philosophique et moral et le mélange de santé des médecins. Si chez Platon, « la santé apparaît comme une proportion déterminée par une mesure, d’éléments qui sont, et sont connaissables, en soi, en dehors du mélange, et que le mélange laisse être dans leur essence propre », à l’opposé, dans la médecine du médecin de Nature de l’homme, la santé est un « agrégat, c’est-à-dire une composition […], ou d’une unité synthétique par laquelle les éléments se dissolvent en un tout dans lequel ils disparaissent ». Pour Ayache, la santé du médecin n’est pas déterminable conceptuellement : « Aucun nombre, aucune mesure, aucun poids n’indique l’exacte proportion souhaitable […] Aucun élément ne peut être abstrait et considéré dans sa substantialité. Au paradigme de la composition des totalités à partir d’éléments premiers, Nature de l’homme oppose une pensée selon laquelle c’est le tout qui est premier. Sans substantialité, la partie n’est que l’ensemble de ses relations à la totalité ». Pour finir, Ayache allègue l’interprétation galénique du mélange dans son commentaire au traité hippocratique Nature de l’homme, qui oppose le mélange selon Hippocrate, qui ne connaît plus les éléments, au mélange selon Empédocle, qui maintient la juxtaposition des éléments, cf. p. 52. Galeni in Hippocratis de Natura hominis, CMG, V, 9, 1, p. 27.
249 Philèbe, 56 b : la médecine est rangée dans la catégorie des arts conjecturaux, stochastiques.
250 59 d 10-e 2 : « Quant au mélange (μεῖξιν) à faire de la sagesse et du plaisir, dire que nous voici comme des fabricants (δημιουργοῖς) devant des matériaux qu’il faut travailler (δεῖ δημιουργεῖν) pour quelque production (τι παρακεῖσθαι), ce serait user d’un raisonnement juste » (trad. Diès). Le philosophe se place ensuite sous la tutelle de Dionysos, Héphaistos ou de quelque autre dieu (61 c), face à deux sources, la source de miel qui représente le plaisir, et la source d’eau saine qui représente la sagesse. On voit poindre la réflexion des Lois sur le bon usage du vin pour produire le bon mixte moral dans la cité (I, 648 a-650 a).
251 Socrate devra laisser s’écouler dans le mélange les techniques moins précises et véridiques (62 d 4-5). Comme le relève Diès dans son édition de la CUF ad loc. il y a peut-être une référence explicite à Iliade IV, 452, où le « confluent des vallées » désigne la jonction de deux fleuves, qui sont faits du sang versé dans la mêlée.
252 Le dialogue entre Socrate, Protarque d’un côté, et l’intellect et la réflexion de l’autre, pour savoir quels plaisirs accepter, a lieu à partir de 63 d. L’intellect et la réflexion se disent familier de plaisirs purs, qui peuvent être acceptés dans leur cortège.
253 Philèbe, 65 a 7-b1. « Eh bien, Protarque, n’importe qui serait maintenant un juge suffisant (ἱκανὸς ἡμῖν γένοιτ’ ἂν ὁστισοῦν κριτὴς) du plaisir et de la sagesse, pour affirmer lequel des deux a le plus de parenté (συγγενέστερον) avec ce qui est excellent (τοῦ ἀρίστου) et qui est le plus estimable (τιμιώτερον) pour les hommes et des dieux – Pr. : C’est une chose évidente, mais il vaut mieux en discuter jusqu’au bout. »
254 65 b 5-6. « Jugeons chacune de ces trois causes du mélange en les rapportant au plaisir et à l’intellect. Il faut en effet voir (ἰδεῖν) à laquelle des deux assigner chacune d’elles comme lui étant plus parent ». Καθ’ ἓν ἕκαστον τοίνυν τῶν τριῶν πρὸς τὴν ἡδονὴν καὶ τὸν νοῦν κρίνωμεν·δεῖ γὰρ ἰδεῖν ποτέρῳ <ὡς> μᾶλλον συγγενὲς ἕκαστον αὐτῶν ἀπονεμοῦμεν.
255 Cf. 66 a 4-6 : « tu diras en tous lieux (πάντῃ δὴ φήσεις), envoyant (πέμπων) ta sentence par des messagers (ἀγγέλων), et la répétant à tes proches que le plaisir n’est ni le premier, ni le second bien, mais que c’est sur la mesure, sur le mesuré, sur l’à propos et toutes choses pareilles que, nous devons le croire, s’est fixée plus volontiers la préférence (ᾑρῆσθαι) » (trad. Diès).
256 D. Frede constate là un écho avec le livre IX de la République 580 b-c, Kommentar, 1997, p. 368-369.
257 J.-F. Mattéi, Platon et le miroir du mythe, Paris, 1996, p. 244-245, insiste sur le rôle central de l’intelligence placé au rang 3, qui dirige ses regards vers les rangs du haut afin de s’inspirer du Bien, et commande les derniers rangs, à savoir les éléments mixtes qui composent la vie heureuse.
258 66 c 8-d 2. “Ἕκτῃ δ’ ἐν γενεᾷ,” φησὶν Ὀρφεύς, “καταπαύσατε κόσμον ἀοιδῆς·” ἀτὰρ κινδυνεύει καὶ ὁ ἡμέτερος λόγος ἐν ἕκτῃ καταπεπαυμένος εἶναι κρίσει. Τὸ δὴ μετὰ ταῦθ’ ἡμῖν οὐδὲν λοιπὸν πλὴν ὥσπερ κεφαλὴν ἀποδοῦναι τοῖς εἰρημένοις.
259 Ce passage est pourtant repris comme fragment orphique, Voir O. Kern, Orphicorum Fragmenta, n° 14, 1922, et M. L. West, The Orphic Poems, Oxford, 1983, p. 118.
260 En République III, 364 e-365 a, sont évoqués des livres d’Orphée, des jeux et des sacrifices propres à purifier et libérer (λύσεις τε καὶ καθαρμοί).
261 Voir une analyse par C. Calame, « Figures of Sexuality and Initiatory Transition in the Derveni Theogony and its Commentary », Studies on the Derveni Papyrus, Oxford, 1997, p. 65-80. La structure du poème orphique de la colonne VII du papyrus de Derveni comporterait deux phases cosmogoniques, une phase marquée par la séparation, et une phase marquée par la réunion, exprimées dans le commentaire par des images sexuelles, p. 72-73 : « The first phrase is marked by separation ; starting with the penis detached from the sun (col. XIV. 2), beings experience a state of distinction, separated and far from one another (col. XV. 2). But if the first stage of the cosmogony is dominated by δια-, the second belongs to συν- : whereas once beings floated in the eternal air, now they are related to one another and assembled. This change of status takes place under the reign of Zeus ».
262 Sur cette méthode du dénombrement qui permet de passer de l’un au multiple, voir P. Kucharski, « Le Philèbe et les Éléments harmoniques d’Aristoxène », dans Revue philosophique de la France et de l’Étranger (84) 1959, p. 41-72, et notamment p. 42-43. Voir Le commentaire de D. Frede, Platon, Philebos, Übersetzung und Kommentar, Göttingen, 1997, p. 130 sq., le chapitre, « Das Geschenk der Götter : die dialektische Methode ».
263 Il faut observer comment sagesse et plaisir sont respectivement « un et plusieurs, et comment au lieu d’être tout de suite infinis, ils réalisent l’un et l’autre un nombre déterminé avant d’aboutir à cette infinité » (18 e 8-19 a 1, trad. A. Diès).
264 Sur certains problèmes mathématiques qui sous-tendent ce passage du dialogue, Voir J.-L. Périllié, « La découverte des incommensurables et le vertige de l’infini », Cahiers philosophiques, CNDP 91, 2002, p. 9-29.
265 Je reprends ici la traduction de Diès, dont Gosling et Hackforth sont proches. Cette muse philosophique qui produit des présages fait écho à la μαντεία (66 b 5), qui avait permis à Socrate de placer l’intellect au troisième rang de l’ordre de la vie bonne. Le thème de la mantique est un possible marqueur du retour de la figure de Socrate dans le Philèbe, voir D. Frede, p. 371 de son commentaire.
266 Comment expliquer ce chiffre ? Diès considère qu’il est dû à l’étalement du genre de la cause sur deux rangs. C’est une façon de « distancer » le plaisir (Platon. Philèbe, p. LXXXVII de son introduction à l’édition de la CUF). L’apparition de la beauté au deuxième rang, comme cause, après la mesure, permet de reculer aussi loin que possible le plaisir. J.-F. Mattéi, dans Platon et le miroir du mythe, Paris, 1996, considère quant à lui que ce nouveau classement permet de « faire intervenir le καίριον comme inflexion décisive de la recherche », au premier rang. Pour Mattéi, ce καίριον est l’ultime opération, décisive, appartenant à et venant clore l’entreprise diacritique, en permettant le bon écart, la bonne séparation de ce que la cause unit, p. 248-249. Mattéi reprend l’étymologie de R. Onians, Les origines de la pensée européenne, 1999 (1954), selon laquelle καιρός est à rapprocher de καῖρος, nœud tressé sur le métier à tisser.
267 Le classement s’arrête-t-il au rang 5 ou au sixième rang inclus ? L’heureux occupant du sixième rang ne serait alors ni nommé ni identifié. Voir D. Frede dans « The Hedonist’s Conversion : The Role of Socrates in the Philebus », Forms and Arguments in late Plato, 1996, note 30 p. 238. Elle évoque aussi la possibilité que le sixième rang, comme le septième jour de la Genèse, ne soit pas productif et occupé, mais simplement mentionné.
268 République IX, 580 b 4 : πέντε ὄντας κρῖνε.
269 République VIII, 545 a-c. Cf. sur ce « mythe » du nombre nuptial, A. Diès, Le Nombre de Platon, Paris, 1936, notamment p. 5.
270 Voir notamment pour ce rapprochement, C. A. Huffman, « Limite et illimité chez les premiers philosophes grecs », dans Philèbe, La Fêlure du plaisir, Paris, 1999, vol. 2, p. 11-31.
271 Cf. Empédocle, fragment 143. Κρηνάων ἄπο πέντε ταμόντ’ <ἐν> ἀτειρέι χαλκῶι …. « Découpant dans le bronze impérissable l’eau des cinq sources ». Notons aussi que ce vers d’Empédocle est cité par Théon de Smyrne (Commentaires, éd. Hiller, p. 15, 7), dans le passage suivant : « Ainsi la transmission des discours platoniciens, commence par produire une certaine purification, comparable à celle que produit la gymnastique de groupe chez les candidats à l’initiation. En effet Empédocle dit qu’il faut se purifier en : “découpant”… » (trad. J.-P. Dumont, Les Présocratiques, Paris, 1988).
272 Voir V. Langholf, Medical Theories in Hippocrates, Berlin, 1990, p. 101, note 96 : « the Pythagoreans called the seven καιρός, καιροφυής, κρίσις ». Voir W. Burkert, Lore and science in ancient Pythagoreanism, p. 40, 467, 475.
273 Cf. 67 a 14-15. « N’est-ce pas en cinquième position, selon le jugement (κατὰ τὴν κρίσιν) que notre raisonnement a révélé (ἀπεφήνατο), que se trouve la puissance du plaisir ? » Le verbe ἀποφαίνομαι est aussi utilisé en République IX à l’issue de la κρίσις qui détermine l’infériorité du tyran, et qu’il fallait proclamer en héraut. Ce verbe désigne généralement le fait de déclarer élu, de désigner, par exemple, chez Thucydide, VIII, 93.
274 67 a-b. « Socrate : Ainsi, d’après la sentence que vient de prononcer notre argument, le plaisir ne serait que cinquième […] Protarque : ce que tu dis Socrate est la pure vérité, nous l’affirmons tous désormais (φαμὲν ἄπαντες) ».
275 Par exemple chez Thucydide I, 87, 2 ; 120, 2 ; II, 40, 2 ; III, 37, 4 ; 43, 5 ; V, 85 ; VI, 39, 1. Le relevé est fait par C. W. Macleod, « Form and meaning in the Melian Dialogue », Collected Essays, New-York, 1983, ici p. 387-389. Voir aussi G. E. M. De Sainte Croix, The Origins of the Peloponnesian War, London, 1972, notamment « Moments of decision in Thucydides », p. 297.
276 Il y a des jugements pour des cas privés ou publics. Voir Hansen dans le lexique de La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, Paris, 1993 (1991), p. 441 : « Krisis : sentence votée par un dikastèrion (et parfois par l’Assemblée, pour des procès politiques antérieurs à 355 environ) ».
277 Le terme désigne généralement dans la Constitution des Athéniens le jugement des magistrats. Cf. 8, 2 : jugement avant l’entrée en charge d’un magistrat par l’Aréopage ; 8, 4 : jugement par l’Aréopage des magistrats fautifs, sous Solon ; 25, 3 : jugement de Thémistocle par le peuple pour médisme ; 27, 5 : jugement d’Anytos le stratège, après sa stratégie ; 28, 5 : jugement concernant l’utilité de Théramène pour la cité ; 34, 1 : jugement des stratèges des Arginuses par le peuple ; 41, 1 : jugement du tribunal du peuple qui acquitte Lysimachos, corrigeant par là le jugement du Conseil, et estimant qu’il ne peut condamner un citoyen à mort ; 48, 5 : jugement des magistrats en sortie de charge ; 61, 2 : jugement des magistrats militaires au tribunal si le peuple a considéré qu’ils n’exercent pas bien leur charge. Cf. enfin un usage un peu particulier en 49, 3 : sur le jugement des projets de « péplos », décoration en l’honneur d’Athéna, transféré du Conseil au Tribunal du peuple. Aristote s’intéresse au fonctionnement des institutions publiques. Il est donc moins directement concerné par les procès de simples particuliers qu’il évoque toutefois en passant, cf. 3, 4 ; 3, 5 et 9, 2. Cf. aussi 60, 2 où il est question d’un jugement par l’Aréopage d’individus coupables d’avoir déraciné un olivier sacré.
278 Isocrate, Panégyrique d’Athènes 45-46 : « Chez nous les jugements rendus dans les concours ont une telle réputation que tous les hommes les acceptent avec chaleur », τὰ γὰρ ὑφ’ ἡμῶν κριθέντα τοσαύτην λαμβάνει δόξαν ὥστε παρὰ πᾶσιν ἀνθρώποις ἀγαπᾶσθαι. Le nom d’agent κριτής, dérivé de κρίνειν, désigne, à l’âge classique, l’arbitrage dans un concours, avec une spécialisation importante pour le jugement des tragédies et comédies selon E. Fraenkel, Geschichte der griechischen nomina agentis auf –τήρ, -τώρ, -τής ΙΙ, Strasbourg, 1912, p. 32.
279 Certaines magistratures, tirées au sort ou électives, étaient probablement pourvues à Athènes à partir de listes d’éligibles déterminées par des décisions préalables dans les dèmes ou tribus (ἐκ προκρίτων). Voir M. Hansen, « Κλήρωσις ἐκ προκρίτων in Fourth-Century Athens », Classical Philology 81, 1986, p. 222-229.
280 L’ἀγών doit recevoir la κρίσις de juges et arbitres. Platon conserve ces usages qui sont ceux de la cité. Le livre II des Lois, consacré à la définition des œuvres d’art vraiment éducatives, utilise fréquemment le verbe κρίνειν et le substantif κριτής, à partir de 657 d. Les grands orateurs et sophistes pratiquaient aussi des démonstrations susceptibles d’être jugées dans des formes de concours. Cf. Hippias majeur, 286 c 1 où κρῖναι est utilisé à propos du discours d’Hippias, qu’un public compétent devra apprécier.
281 La définition de la cité dans la République repose sur la délimitation de groupes fonctionnels dans lesquels les entrées et sorties sont contrôlées strictement. Cf. IV, 420 e 9-421 a 3. « Si nous t’écoutions, le laboureur ne serait plus laboureur, ni le potier, potier, et personne ne restant dans sa condition (σχῆμα), il n’y aurait plus d’État » (trad. Chambry).
282 Dans le Sophiste l’éducation est une branche de l’art du tri et de la purification, dans laquelle on trouve aussi la médecine (définie comme « diacritique », 231 b). S’interroger sur l’éducation, c’est donc fondamentalement « trier », mais aussi « purifier » voire peut-être soigner.
283 Cette démonstration de compétence, ἐπίδειξις, se voit dans les joutes oratoires entre sophistes. Sur ce thème voir G. Ryle, Plato’s Progress, Cambridge, 1966, notamment p. 32-43, (« Games-Audiences »). Voir aussi P. Demont, « Notes sur l’antilogie au ve siècle », dans La rhétorique grecque, Nice, 1994, p. 77-88.
284 Cf. Lachès 184 c 9-d 4. « Notre assemblée (ἡ βουλή) me semble avoir besoin de quelqu’un de plus qui vous départage (τοῦ διακρινοῦντος), en quelque sorte. Si Nicias et Lachès s’étaient mis d’accord, un tel homme nous serait moins nécessaire. Mais, comme tu vois, Lachès a dit le contraire de Nicias. Il sied d’entendre auquel des deux, toi, tu apportes ton suffrage (σύμψηφος εἶ). » Socrate joue avec le vocabulaire politique, en disant que les participants à ce dialogue forment une βουλή. Le Conseil des cinq cents était justement responsable d’effectuer des docimasies et des vérifications pour certains acteurs de l’éducation (des éphèbes, des cavaliers, voir M. Hansen, La démocratie athénienne, p. 299-300).
285 184 e 8-9. Ἐπιστήμῃ γὰρ οἶμαι δεῖ κρίνεσθαι ἀλλ’ οὐ πλήθει τὸ μέλλον καλῶς κριθήσεσθαι.
286 185 b 10-11. τί ποτ’ ἔστιν περὶ οὗ βουλευόμεθα καὶ σκεπτόμεθα ὅστις ἡμῶν τεχνικὸς [Je souligne]. Il faut nous entendre sur « quelle est cette matière sur laquelle nous délibérons et observons qui est l’homme qui possède l’art ».
287 185 e 12, τέχνης ἔργον ἔχοιεν ἐπιδεῖξαι εὖ εἰργασμένον. « Il pourrait démontrer que l’action propre de son art est bien accomplie ».
288 Le compte rendu que fait Aristote de l’élection d’un certain nombre de magistrats en charge de la jeunesse est traditionnellement compris comme faisant allusion à l’organisation de l’éphébie après les réformes d’Épicratès en 335, postérieures au dialogue ici étudié. Voir Marrou, Histoire de l’éducation dans l’antiquité, p. 161-162. Toutefois, même avant l’Athènes de Lycurgue, on peut supposer que certains officiers préposés à l’éducation étaient déjà l’objet d’un choix public au temps de Platon. Voir Ph. Gauthier, Un commentaire historique des Poroi de Xénophon, p. 193-195, qui démontre que si l’éphébie n’était ni rémunérée ni obligatoire ni destinée à tous avant 335, il y avait déjà un magistrat des éphèbes, « sans doute le cosmète ».
289 Lachès 186 d 6-e 3 : « Je te demande donc Lysimaque ceci : comme Lachès récemment t’enjoignait de ne pas me lâcher mais de m’interroger, moi maintenant je te demande de ne pas lâcher Lachès ni Nicias, mais de les interroger en leur disant que Socrate affirme qu’il ne connaît rien à la question et qu’il n’est pas capable d’arbitrer qui dit vrai d’entre vous deux (οὐδ’ ἱκανὸς εἶναι διακρῖναι ὁπότερος ὑμῶν ἀληθῆ λέγει). Il n’est en effet ni inventeur, ni élève d’un maître sur des sujets de cet ordre. »
290 Gorgias, 451 d 9- e 6. « Mais Gorgias, ce que tu dis-là prête aux discussions (ἀμφισβητήσιμον) et manque encore absolument de précision (καὶ οὐδέν πω σαφές). Tu as sans doute entendu chanter dans les festins ce scolie où il est dit dans l’énumération des biens, que le premier de tous est la santé, que la beauté est le second, et que le troisième consiste, selon l’expression du poète, dans la “richesse acquise sans fraude” » (trad. Croiset). Il est encore fait référence au concours des biens et des modes de vie en Ménon 87 e, Euthydème 279 a, Philèbe 48 d. Sur ce type de pratique agonistique, et ces concours où chacun exalte la valeur de son âge ou de son mode de vie, voir J. Starobinsky, La Relation critique, Paris, 2001, p. 18-24 notamment. Voir aussi Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance, Paris, 1970, p. 430 : « Ces débats constituent une partie organique du système des formes de la fête populaire, liées à l’alternance et à la rénovation […] Ces exercices (agonies) sont connus dans la littérature antique : nous possédons, par exemple […] un débat des trois chœurs : celui des vieillards, des hommes, et des garçons, où chacun d’eux démontre les qualités de son âge. » Bakhtine lie de façon intéressante la pratique du chant concurrentiel à la « rénovation » de la société. La compétition permet de réorganiser la cité autour du choix de types d’excellence reconnus par tous. Bakhtine fait ici probablement référence aux concours de chœurs à Sparte, organisés par classes d’âge, cf. Plutarque, Vie de Lycurgue, 21, 3 et voir N. Richer, La Religion des Spartiates, p. 397.
291 452 c 5-6, Κρίνεις σὺ μέγιστον ἀνθρώποις ἀγαθὸν εἶναι πλοῦτον; « Toi tu juges que le plus grand bien pour les hommes, c’est la richesse, n’est-ce pas ? »
292 « Moi, je ne réponds pas à la question de savoir si je pense que la rhétorique est bonne ou mauvaise, avant de répondre à la question de ce qu’elle est. Ce n’est pas juste, Polos ».
293 Il y a quatre techniques véritables et quatre techniques secondes, tâtonnantes (464 c 7 στοχασαμένη). L’instauration la différence entre les arts est présenté par Socrate comme une « démonstration » 464 b 3, σαφέστερον ἐπιδείξω. Ce mot fait écho aux discours de célébration de leur propre art que proposent à la cité les techniciens, mais est une modification de l’éloge dans le sens de la définition de l’essence. Ainsi, le philosophe se positionne dans le cadre agonistique de la démonstration des vertus de l’art, mais à la différence qu’il produit un logos sur les causes et l’être des arts, non pas simplement sur leur puissance apparente.
294 Voir Cambiano, Platone e le tecniche, 1991, p. 77. Dans le Gorgias, elles sont désignées notamment comme ἐμπειρία, 465 a 2, et ἄλογον πρᾶγμα, 465 a 6. Elles relèvent de l’apparence, du reflet, πολιτικῆς μορίου εἴδωλον (463 d 1) δοκεῖν εὖ ἔχειν (464 a 11), sont sans λόγος. La flatterie n’a pas vraiment de souci du bien (464 d 1-2 : καὶ τοῦ μὲν βελτίστου οὐδὲν φροντίζει), mais poursuit l’agréable (ἡδίστῳ θηρεύεται).
295 464 d 3-e 2 : « La cuisine a donc enfilé le déguisement de la médecine, et elle fait mine de connaître les meilleurs aliments pour le corps, de sorte que si, dans un groupe d’enfants, il fallait départager (διαγωνίζεσθαι) le cuisinier et le médecin, ou bien si c’était dans un groupe d’homme à ce point sans intelligence qu’ils s’apparentent à des enfants, lequel du cuisinier ou du médecin a un savoir la différence des bons et des mauvais aliments, le médecin mourrait de faim. » Deux dialogues présentent a contrario les formes valables du choix des arts : Alcibiade I, 107 b-c, où sur les problèmes de santé publique est préféré par le peuple le médecin aux orateurs, et Lysis, 209 e-210 a, où le médecin est préféré par le Grand Roi à ses amis, en cas de maladie.
296 Gorgias, 465 c 3-d 6.
297 Le verbe φύρομαι exprime l’idée de mélange. Chantraine, dans DELG rappelle que ce verbe désigne le plus souvent des mélanges de principes (eau, feu etc.) ou de substances diverses. Le mot annonce sans doute la figure du cosmologue Anaxagore.
298 Sur le motif de la pesée des plaisirs, cf. Protagoras, 356 a-e.
299 Sur cette action du νοῦς, voir notamment A. Laks, « Les fonctions de l’Intellect », Methodos, 2002, 2 à propos des fragments 12-13 d’Anaxagore, qui décrivent le mouvement discriminant et ordonnateur du νοῦς.
300 Cf. Gorgias, 517 a, où il est remarqué que jamais Athènes n’a connu d’homme politique capable d’améliorer les mœurs de ses concitoyens.
301 521 e 4-5 : « Je tiendrai exactement le même discours que celui tenu avec Polos : je serai jugé (κρινοῦμαι) comme un médecin serait jugé parmi des enfants, si le cuisinier l’accusait ». La corruption qu’on lui impute (521 e 8, διαφθείρει) provient de son action thérapeutique, des coupures et brûlures maîtrisées (τέμνων τε καὶ καίων), des réductions des plaies (522 a 1, ἰσχναίνων καὶ πνίγων), de l’administration de certaines boissons dans le régime. Le philosophe crée chez les jeunes de l’état de trouble (522 b 8, ἀπορεῖν) par ses πικροὺς λόγους, ses discours amers.
302 C’est une autre époque de la production platonicienne : le Phèdre est postérieur au Gorgias, et probablement aussi à la République et au Timée : voir T.M. Robinson, « The relative dating of the Timaeus and Phaedrus », p. 23-30, dans Understanding the Phaedrus, Sankt Augustin, 1992.
303 Phèdre 277 a 6-b 3. « — So. Désormais que nous sommes d’accord sur cela, nous pouvons juger du reste (δυνάμεθα κρίνειν). — Ph. De quoi parles-tu ? — So. De ce que nous voulions voir et qui nous a conduit à ce point : nous voulions examiner (ἐξετάσαιμεν) le reproche fait à Lysias d’écrire des discours, et les discours eux-mêmes, voir ceux qui sont composés avec ou sans art. La caractéristique de ce qui est habité par l’art ou non me semble avoir été montrée comme il faut. » (Trad. Robin).
304 Les digressions sont assumées par Socrate comme un jeu, cf. 278 b 7 : πεπαίσθω ἡμῖν τὰ περὶ λόγων « achevons maintenant avec mesure de jouer avec les raisonnements ».
305 Ce long travail commence bien en amont dans le dialogue. Pour que le discours de Socrate apparaisse plus beau (257 c 1, καλλίω) que celui de Lysias, il faut faire comparaître des « témoins » (260 e 2, e 4), dans un sens ou dans l’autre, pour affirmer que la rhétorique est ou non un art. Se succèdent des phases définitionnelles (261 a-262 c : quel est l’objet de l’art oratoire sinon la connaissance des choses ?) et des phases de vérification, où un discours est analysé à l’aune des critères déterminés auparavant (262c-264 e : critique du discours de Lysias). En 268-269, paraissent comme « témoins » des orateurs célèbres : le médecin Eryximaque, Sophocle et Euripide, et enfin Périclès.
306 Les tragédies doivent ainsi être organisés dans une structure unie (268 d 4, σύστασιν), où les éléments correspondent les uns avec les autres (πρέπουσαν ἀλλήλοις) formant un ensemble (τῷ ὅλῳ συνισταμένην). L’expression τὸ ὅλον συνίστασθαι revient en 269 c 3 à propos de l’organisation d’un discours rhétorique.
307 La rhétorique philosophique aura avec la médecine pour commune méthode de chercher à définir les capacités d’agir et de pâtir des objets observés. Les objets simples connaîtront un examen immédiat. Les objets complexes devront faire l’objet d’un dénombrement de leurs formes (εἴδη, 270 d 6). Sur ce passage du Phèdre, voir L. Brisson, « L’unité du Phèdre de Platon, Rhétorique et philosophie dans le Phèdre », p. 66 particulièrement, dans Understanding the Phaedrus, Sankt Augustin, 1992, ainsi qu’A. Macé, Platon, philosophie de l’agir et du pâtir, 2006, p. 159-161.
308 Cf. 274 e 6 et 275 a 6, où le mot est repris dans la réfutation de Thamous.
309 Phèdre 274 e 8-10. Ὦ τεχνικώτατε Θεύθ, ἄλλος μὲν τεκεῖν δυνατὸς τὰ τέχνης, ἄλλος δὲ κρῖναι τίν’ ἔχει μοῖραν βλάβης τε καὶ ὠφελίας τοῖς μέλλουσι χρῆσθαι·
310 Cf. l’allusion, qui clôt le mythe, à la mantique du sanctuaire de Dodone, 275 b 6-7. Le jugement du roi est ensuite désigné comme Ἄμμωνος μαντείαν 275 c 9.
311 276 e 6-277 a 4. « C’est quand, par l’usage de l’art dialectique et une fois prise en main l’âme qui y est appropriée, on y plante (φυτεύῃ) et sème des discours que le savoir accompagne ; discours qui sont en mesure de se donner assistance à eux-mêmes ainsi qu’à celui qui les a plantés, et qui, au lieu d’être stériles (ἄκαρποι), ont en eux une semence (σπέρμα) de laquelle, en d’autres naturels, pousseront (φυόμενοι) d’autres discours ; en mesure de procurer toujours, impérissablement, ce même effet et de réaliser en celui qui le possède le plus haut degré de félicité qui soit possible pour un homme » (trad. L. Robin).
312 VI 492 b 5-d 1. « Lorsque, repris-je, ils siègent ensemble, en foule pressée (ἁθρόοι) dans les assemblées politiques, dans les tribunaux, dans les théâtres, dans les camps et dans quelque autre réunion publique, et qu’ils blâment ou approuvent à grand bruit certaines paroles ou certaines actions, également outrés dans leurs huées et dans leurs applaudissements, et que les rochers et les lieux où ils sont font écho à leurs cris et doublent le fracas du blâme ou de la louange » (trad. É. Chambry). Voir aussi 493 c 9-e 1, pour une autre scène similaire.
313 Les juges étaient en réalité tirés au sort par un archonte, sans doute parmi des noms proposés par chaque tribu puis conservés et gardés précieusement sur l’acropole dans des jarres. La proposition préalable, au sein des tribus, d’une liste d’éligibles permettait probablement que certains soient désignés en vertu de leur compétence. Platon force donc peut-être le trait quand il place n’importe quel ignare en position de juge des œuvres d’art. Voir sur la formation de ces jurys, C. V. Marshall et S. Van Willigenburg, « Judging Athenian dramatic competitions », Journal of Hellenic Studies, 124, 2004, p. 90-107. Voir aussi J.-C. Moretti, Théâtre et société dans la Grèce ancienne, Paris, 2001, et notamment p. 87-88.
314 Ainsi, en 398 a-b, Socrate évoque l’attribution parodique d’un prix au poète qui pratique la poésie imitative : couvert de parfum et de bandelettes il est immédiatement… envoyé dans un autre État.
315 Voir, sur cette question très débattue, différentes études de S. Halliwell, notamment, « Plato’s Repudiation of the Tragic », dans Tragedy and the Tragics, Oxford, 1996, p. 332-349, ainsi que « The Republic’s Two Critiques of Poetry », dans Platon : Politeia, Sankt Augustin, 1997, p. 313-332. Du même, The Aesthetics of Mimesis : Ancient Texts and Modern Problems, Princeton, 2002.
316 Glaucon donne son accord pour se servir de ces τύποι comme νόμοι pour le jugement de la poésie (383 c 7). Les Lois reprennent la question du modèle de l’art (II, 655 d 1-2). Les compositeurs ne peuvent pas recourir au simple critère du charme, car le plaisir est chose trop changeante, et qui s’écarte aisément de la droite raison. De bonnes formes de l’art (καλὰ σχήματα, 656 d 7), doivent être fixées. En Égypte, les modèles sont exposés dans les temples, et il n’est pas permis de les changer en introduisant des nouveautés (καινοτομεῖν), ni d’y ajouter quelque pensée que ce soit (ἐπινοεῖν). Les œuvres d’art égyptiennes sont donc caractérisées par un conservatisme millénaire. C’est d’ailleurs l’œuvre d’Isis que d’avoir conservé les airs musicaux. Il faut ainsi limiter la recherche naturelle du plaisir et de la peine à vouloir s’exprimer dans une musique nouvelle (τῆς ἡδονῆς καὶ λύπης ζήτησις, 657 b 4).
317 République II, 377 b 11-c 5.
318 Ce même composé de κρίνειν est utilisé dans les Lois VII 802 b 4, pour désigner la sélection publique des œuvres d’art mais aussi en VI, 755 d 3 pour exprimer la constitution d’une liste préalable d’éligibles avant l’élection des stratèges.
319 La métaphore médicale est nette : les verbes νίζω et νίπτω (ainsi que leurs composés) sont utilisés massivement dans les traités gynécologiques à propos du nettoyage par divers procédés thérapeutiques d’un vagin affecté de pathologie. Cf. Maladies de Femmes I, Littré VIII, 116, 2 ; 130, 12 ; 138, 14, 218, 11 et Maladies de Femmes II, 334, 20. L’Index Hippocraticus relève aussi l’existence de nombreux composés de ces deux verbes.
320 République III, 401 b 8-d 2. Les gardiens, se nourrissant de mauvaises images, lentement s’empoisonnent : « Cela afin d’éviter que nos gardiens soient élevés (τρεφόμενοι) au milieu des images du vice, comme dans un pâturage vicié, qu’ils n’y cueillent et n’y paissent tous les jours, petit à petit, de grandes quantités de ces diverses choses et finissent, sans s’en apercevoir, par former dans leur âme un mal immense (ἕν τι συνιστάντες λανθάνωσιν κακὸν μέγα ἐν τῇ αὑτῶν ψυχῇ). Ne faut-il pas se mettre à la recherche de ces artisans qui se montrent doués d’un talent naturel qui les rend capables de suivre à la trace la nature du beau et du gracieux (τὴν τοῦ καλοῦ τε καὶ εὐσχήμονος φύσιν), afin que, semblables à ceux qui habitent une contrée saine (ἵνα ὥσπερ ἐν ὑγιεινῷ τόπῳ οἰκοῦντες), les jeunes bénéficient de tout et, quelle que soit la provenance de ce qui émane des belles œuvres pour frapper leurs yeux et leurs oreilles, qu’ils l’accueillent comme une brise qui apporte la santé des contrées salubres (ὥσπερ αὔρα φέρουσα ἀπὸ χρηστῶν τόπων ὑγίειαν) et dès l’enfance les dispose insensiblement à la ressemblance, à l’amour et à l’harmonie avec la beauté de la raison ? »
321 République II, 378 d 7-9. L’enfant n’est pas capable de distinguer ce qui est allégorique de ce qui ne l’est pas (οὐχ οἷός τε κρίνειν ὅ τι τε ὑπόνοια καὶ ὃ μή).
322 Le fait de dégager la pensée générale du poème (d’ailleurs opposée à une analyse de détails), consistait à observer τὸν τύπον τὸν ὅλον καὶ τὴν βούλησιν, « la forme générale et l’intention » du poème. L’intention de Simonide est de réfuter (ἔλεγχος, Protagoras, 344 b 4) la parole de Pittacos, en montrant qu’il est impossible de rester toujours vertueux.
323 On a pu considérer que ce passage suggérait la pratique de l’exégèse allégorique, voir Adam, dans son commentaire à la République, note 24 p. 114. Voir aussi J. Tate, « Plato and allegorical Interpretation », Classical Quaterly, 23 (3), 1929, p. 142-154, qui traduit au passage le terme ὑπόνοια par « undersense ». Voir aussi Homer’s Ancient Readers, The hermeneutics of Greek Epic’s earliest Exegetes, Princeton, 1992.
324 Lois II, 658 e 1-4.
325 République III, 399 e 1-3. « Nous ne faisons rien de nouveau, di-je, mon cher, en sélectionnant (κρίνοντες) Apollon et ses instruments plutôt que Marsyas et les siens. » Οὐδέν γε, ἦν δ’ ἐγώ, καινὸν ποιοῦμεν, ὦ φίλε, κρίνοντες τὸν Ἀπόλλω καὶ τὰ τοῦ Ἀπόλλωνος ὄργανα πρὸ Μαρσύου τε καὶ τῶν ἐκείνου ὀργάνων.
326 Voir le commentaire d’Adam, p. 160 note à III, 399 e 27, qui rappelle le mythe évoquant le concours entre Apollon, jouant de la cithare, et Marsyas, à la flûte.
327 L’opposition entre arts simples et arts contenant trop d’éléments mélangés rappelle aussi l’opposition des deux types de régimes alimentaires exposée au début de la République, celui de la cité idéale, et celui de la cité gonflée d’humeurs.
328 L’Étranger affirme ainsi catégoriquement : « pour nous “sans éducation”, ἀπαίδευτος, signifie, “sans pratique des chœurs”, ἀχόρευτος » (654 a 9).
329 Lois II, 659 e 5- 660 a 8 : « C’est comme pour les malades (τοῖς κάμνουσίν), les faibles santés : les gens chargés de leur nourriture (τροφήν) tâchent de leur servir ce qui est bon dans des mets et des boissons agréables, et ce qui leur ferait du mal, au contraire, sous des apparences rebutantes, pour les habituer à bien placer leur attrait et leur répulsion. Ainsi des auteurs : le bon législateur les persuadera de se proposer le même but dans leur louable et beau langage, et si la persuasion ne suffit pas, il les obligera à mettre dans leurs rythmes les figures et dans leurs mélodies les modulations des hommes sages, courageux, bons de toute manière, s’ils veulent composer correctement. » (Trad. Des Places). La comparaison de l’art au bon régime revient en 667 c.
330 Le philosophe produit lui-même une forme de tragédie législative. Poètes et législateurs sont dans un rapport de rivalité technique dans l’imitation de la vie la plus belle et la plus excellente, cf. Lois VII, 817 b-c . Sur ce passage, voir A. Laks, « Plato’s truest tragedy », dans Plato’s Laws, A Critical guide, Cambridge, 2010, p. 217-231.
331 Lois II, 657 d 8-e 6. « Νe jugeons donc nous pas absolument vain le discours que tient la multitude sur les concours, quand elle dit qu’il faut considérer comme le plus habile et juger vainqueur (κρίνειν νικᾶν) celui qui nous offre le plus de contentement et de plaisir (εὐφραίνεσθαι καὶ χαίρειν). » Le lexique de la κρίσις des concours musicaux, gymniques, hippiques, poétiques etc. et repris juste après en 268 d 3. Il parcourt l’ensemble de ce passage du livre II des Lois.
332 Lois II, 659 a 4-b 1.
333 Lois II, 668 a 8-e 5. Le juge devrait évaluer la ressemblance du spectacle au modèle du beau (668 b 1, ὁμοιότητα τῷ τοῦ καλοῦ μιμήματι), sa rectitude par rapport à lui (ὀρθότης). Ce qui compte est qu’il en ait une connaissance (γιγνώσκων) afin de pouvoir distinguer (διαγνῶναι), s’assurer que les éléments de l’œuvre ne sont pas produits dans le plus total désordre par rapport au modèle (668 e 3, πάντα ταῦτα τεταραγμένως εἴργασται). Cf. aussi Lois II, 669 a 7-b 2 : « N’est-il pas vrai que pour chacune des représentations, en peinture, en musique, partout, celui qui veut être un juge sensé (ἔμφρονα κριτὴν) devra avoir ces trois qualités : tout d’abord connaître ce qu’est la chose (ὅ τέ ἐστι), puis savoir en quelle mesure l’imitation est correcte (ὡς ὀρθῶς), et, en troisième lieu, que sont bien faites (εὖ, τὸ τρίτον, εἴργασται) ces images reproduites avec des paroles, des mélodies et leur rythme ? »
334 Cela signifie que les canons de l’art dans les Lois ne sont pas intangibles contrairement au modèle égyptien, admiré sans être adopté. Cf. livre II, 656 e 4-657 a 6 : « À l’examen tu trouveras que dans ces pays, les peintures ou les sculptures remontent à des millénaires – et quand je dis des millénaires, ce n’est pas façon de parler, c’est la réalité ; elles ne sont ni plus belles ni plus laides que celles d’aujourd’hui, et ont mis en œuvre une technique identique – C’est extraordinaire. – Non pas ; mais législatif et politique extrêmement. Sans doute, tu trouverais là également des points à reprendre » (trad. Des Places). Voir M. Piérart, Platon et la cité grecque. Théorie et réalité dans la constitution des Lois, p. 379, 2008.
335 II, 658 e 6-659 a 1 : L’Athénien : « Je vais moi-même jusqu’à m’accorder avec la multitude sur le point que la musique doit se juger (κρίνεσθαι) selon le plaisir, mais non pas, certainement d’après celui des premiers venus (τῶν γε ἐπιτυχόντων) ; non l’art le plus beau sera celui qui charme les meilleurs (βελτίστους) et ceux qui ont reçu une formation suffisante, et surtout celui qui plaît à un homme qui se distingue par la vertu et l’éducation. » Voir, sur ce revirement platonicien concernant le plaisir dans l’art, L. Mouze, Le législateur et le poète, Une interprétation des Lois de Platon, Villeneuve d’Ascq, 2005, p. 195-196.
336 Voir M. Piérart p. 380-382, pour l’exposé des difficultés que pose la terminologie institutionnelle de Platon pour le jugement des concours.
337 Ce collège se voit soustrait de sa juridiction certains chants et poèmes, ceux composés par les héros honorés par la cité. Ces poètes occasionnels n’auront d’autres juges que l’éducateur en chef de la cité et les autres gardiens des lois, qui leur accorderont le privilège d’être chantés en toute liberté (VII, 829 d).
338 Lois VII, 802 b 1-5. Ἐγκρίνειν sert à désigner cette constitution de liste.
339 Dans ces concours, un magistrat, dûment élu pour ses compétences par une assemblée regroupant les plus compétents du peuple sur la question de l’art (VI, 765 a), admet les concurrents, fixe leur ordre de passage et officie comme juge (τὴν διάκρισιν ἱκανῶς ἀποδιδούς, 765 a 3). Sur l’élection de ces magistrats des concours, voir M. Piérart, Platon et la cité grecque. Théorie et réalité dans la constitution des Lois, p. 372 sq. où il commente le texte auquel je fais allusion en soulignant la complexité des critères l’admission des juges : « à la proposition de candidats par les membres du corps électoral, succède un vote à main levée, suivi d’un tirage au sort et de la docimasie de l’élu ».
340 Sur l’élection et le tirage au sort à Athènes, voir la synthèse de M. Hansen, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, p. 268-275. Voir aussi, M. Piérart, « Αἵρεσις et κλήρωσις chez Platon et Aristote », dans Aristote et Athènes, Fribourg, 1993, p. 119-138. L’élection à l’Assemblée des magistrats militaires se dit par le vocabulaire issu de αἱρέω. Cf. par exemple Thucydide, II, 65, 4, pour l’élection de Périclès comme stratège. Cf. Aristote, Constitution des Athéniens, 44, 4. Κρίνειν désigne quant à lui plutôt le jugement des magistrats en sortie de charge. Significatif est l’usage de κρίνειν dans la Constitution des Athéniens en ce sens, comme nous l’avons vu au début du présent chapitre, p. 244.
341 Voir la mise au point de M. Hansen sur ce sujet, « Κλήρωσις ἐκ προκρίτων in Fourth-Century Athens », Classical Philology 81, 1986, p. 222-229. La procédure de définition préalable de listes de candidats éligibles pour le tirage au sort ne se rencontrait plus au quatrième siècle, à l’exception peut-être de listes de pré-candidats pour la Boulê, à l’échelon du dème, avant un double tirage au sort (p. 229).
342 L’âge minimum est de 30 ans. En théorie, les magistrats devaient être choisis parmi les trois premières classes soloniennes, mais en pratique, cette règle était devenue lettre morte (M. Hansen, La démocratie athénienne, p. 265). Les magistrats tirés au sort chaque année devaient l’être « dans un réservoir d’environ 20 000 personnes » (p. 270).
343 Voir M. Hansen, La démocratie athénienne, p. 255 : « Cette procédure donnait aux tribunaux l’opportunité de corriger les effets les plus malheureux du tirage au sort et de contrôler, pour l’annuler si nécessaire, une élection votée par l’Assemblée ».
344 La République souligne l’inefficacité des condamnations à mort ou à l’exil, qui ne sont pas effectives, VIII 558 a 4-8.
345 Cf. Lois VI, 751 a. Sur cette élection, voir notamment M. Piérart 2008, p. 133 sq.
346 535 b-c. Il y a un premier choix (προαιρετέον, 535 a 12) qui porte sur les caractères les plus courageux et les hommes les plus beaux. Puis il faut rechercher (ζητητέον est répété plusieurs fois) chez les futurs gardiens un certain nombre de qualités morales et de dispositions pour l’étude.
347 République VII, 537 a 9-11 : « Dans tous ces travaux, dans tous ces enseignements et ces périls, celui qui se montrera le plus agile (ἐντρεχέστατος), tu l’incluras dans un certain rang (εἰς ἀριθμόν τινα ἐγκριτέον). » Déjà évoqué en République III, 413 d 1 : « celui qui se souviendra [des principes] et qui sera difficile à tromper, il faut l’admettre ; l’autre, il faut le repousser ». Τὸν μὲν μνήμονα καὶ δυσεξαπάτητον ἐγκριτέον, τὸν δὲ μὴ ἀποκριτέον.
348 Ἐγκρίνειν désigne l’admission préalable sur une liste d’éligibilité. Il est proche alors d’ἐγγράφειν (cf. par exemple Contre Timarque, c. 18, pour l’inscription sur les listes éphébique). Cf. la liste tenue par les gardiens dans les Lois, en vue de l’élection à main levée des stratèges (VI, 755 d 3 : ὁπότερος δ’ ἂν δόξῃ διαχειροτονούμενος, εἰς τὴν αἵρεσιν ἐγκρινέσθω : « celui qui plaira au peuple en vertu d’un vote à main levée, qu’on l’admette dans la liste pour le vote »).
349 République VI, 502 e 3-503 a 8 : « Nous disions, si tu te souviens, qu’ils devaient manifester leur amour de la patrie dans l’épreuve (βασανιζομένους) des plaisirs et des peines, et qu’il fallait qu’ils n’apparaissent pas rejeter l’enseignement reçu ni dans les souffrances, ni dans les périls, ni dans aucune autre forme de changement brutal ; sinon, il fallait exclure (ἀποκριτέον) celui qui était incapable de résister, mais établir comme chef celui qui s’en tirerait en restant entièrement intact (ἀκήρατον), comme l’or qu’on met à l’épreuve dans le feu, et lui donner des honneurs et des récompenses de son vivant et après sa mort. » L’image se voyait déjà en 413 e. Elle sera reprise dans le Politique, 303 d 9. L’épuration du politique, qu’il faut séparer d’une troupe d’hommes est à comparer à l’épuration de l’or (ἀποκρινειν).
350 Pseudo-Plutarque, De l’éducation des enfants, c. 5, avec l’anecdote des chiens de Lycurgue. Rappelons que dans le vocabulaire religieux, κρίνειν sert à désigner la sélection des animaux sacrés. Cf. par exemple, le calendrier sacré de la cité de Cos, vers 350 avt. n. è., IG XII, 4, 274-278. Voir pour une traduction française J.-M. Carbon, S. Peels and V. Pirenne-Delforge, Collection of Greek Ritual Norms (CGRN), Liège 2015, n° 86 (http://cgrn.philo.ulg.ac.be/file/86/).
351 Cf. les usages de προκρίνειν dans la Constitution des Athéniens : 8, 1 : utilisé à propos des désignations en amont dans chaque tribu des magistrats à tirer au sort, du temps de Solon ; 21, 4, le terme renvoie à la constitution d’une liste préalable de cent archégètes, cent hommes désignés dans les dèmes parmi lesquels on choisira les archontes ; 30, 2 : sous l’oligarchie, les Bouleutes sont choisis, αἵρεσθαι, d’après une liste de candidats préalablement « désignés », « sélectionnés » ; 35, 1 désigne la liste de candidats préalables à partir de laquelle les Bouleutes sont établis par les Trente. La moitié des occurrences de προκρίνειν concerne donc les périodes oligarchiques, périodes où ces listes d’éligibilité permettaient de contrôler en partie le résultat de l’élection. Hansen souligne qu’en réalité ces listes de qualification ou d’éligibilité avaient sans doute en grande partie disparu au ive siècle dans la cité d’Athènes, p. 265 de la Démocratie athénienne et dans « Κλήρωσις ἐκ προκρίτων », Classical Philology, 1986, p. 222-229. Sur le temps de Solon où les classes d’éligibilité existaient et fixaient le cadre du tirage au sort pour certaines magistratures, voir Aristote, Constitution des Athéniens, 8, 1, et Hansen, p. 54. Voir aussi P. Demont, « Le tirage au sort des magistrats à Athènes : un problème historique et historiographique », dans Sorteggio pubblico e cleromanzia dall’antichità all’età moderna, 2001, p. 63-81, qui fait l’étude du vocabulaire de προκρίνειν dans des textes d’Isocrate (Aréopagitique, 22) et d’Aristote, vocabulaire utilisé pour désigner une combinaison d’élection et de tirage au sort.
352 C’est le sens que donne Hansen à ce même terme dans l’Apologie de Socrate, 35 a 7-b 2. Voir p. 224 de « Κλήρωσις ἐκ προκρίτων ».
353 Toute cette séquence sur les tris successifs est annoncée par le passage éducatif programmatique de 498 b-c, qui, lui aussi, fait se succéder gymnastique, dialectique, et débouche enfin sur la liberté laissée aux âmes philosophiques de paître (νέμεσθαι) paisiblement, comme des « animaux sacrés ».
354 Voir DELG, s.v. « “pierre de touche” qui permet de reconnaître l’or, “usage de la pierre de touche, mise à l’épreuve”, enfin sous l’influence de βασανίζω, “mise à l’épreuve par la torture”. »
355 C’est le problème du premier bon juge ou du premier magistrat compétent dans une cité qu’on fonde, qui sera posé de façon explicite dans les Lois VI, 751 a-d.
356 Politique 258 c 3-8 : « De quel côté donc trouverait-on ce sentier du politique ? Car il faut le découvrir, et le bien séparer des autres (χωρὶς ἀφελόντας) pour le marquer d’un caractère qui n’appartienne qu’à lui, puis donner, à tous les sentiers qui s’en écartent, une seule marque spécifique différente » (trad. Diès).
357 268 b 8-c 2 : « Comment donc notre définition du roi pourra-t-elle apparaître exacte et précise quand, en l’extrayant du lot nombreux de ses rivaux (ἐκκρίνοντες μυρίων ἄλλων ἀμφισβητούντων), nous le plaçons comme seul pasteur et nourricier du troupeau humain ».
358 On ne peut prétendre avoir produit un σχῆμα (268 c 6) précis (δι’ ἀκριβείας, 268 c 7) du politique tant qu’on ne l’a pas isolé (χωρίσαντες, 268 c 9) de ceux qui prétendent à son pouvoir et qu’on ne l’a pas montré seul dans sa pureté (καθαρὸν μόνον αὐτόν ἀποφήνωμεν, 268 c 10). Au moment du changement de paradigme, de l’abandon du paradigme pastoral au profit de celui du tissage, les philosophes se comparent à sculpteurs trop pressés, qui ont trop « chargé » leur œuvre par des grandes démonstrations. Le paradigme du tissage devra permettre la découverte d’une figure plus simple mais plus expressive du politique, une épure plus parlante (279 a 1-4).
359 Les « impuretés » en question sont les dirigeants des constitutions imparfaites qui ont été écartés de l’authentique politique, qui gouverne dans la constitution parfaite en vertu d’un savoir. Ainsi dans un drame, le héros est séparé des Satyres et des Centaures (303 c-d). À l’occasion de ce développement d’ailleurs, le verbe ἐκκρίνειν est apparu pour désigner la sélection de la forme de gouvernement où la science dirige : « car, celle-là, comme un dieu parmi les hommes (θεὸν ἐξ ἀνθρώπων), il faut l’extraire (ἐκκριτέον) du groupe des autres constitutions », 303 b 3-5.
360 Un aspect nouveau des Lois est la confiance faite aux non-philosophes pour décider de certaines affaires de la cité. Voir Bobonich, Plato’s Utopia Recast : his later Ethics and Politics, Oxford, 2002, p. 384 sq. La pratique de l’élection réfléchie, peut être une solution, en l’absence de roi philosophe dans la cité. Voir aussi A. Laks, « Prodige et médiation : esquisse d’une lecture des Lois », dans D’une cité possible : sur les Lois de Platon, 1995. L’auteur rappelle le fléchissement de l’idéalisme politique par rapport à la République. Les Lois élaborent les institutions d’une cité de second rang (« second best » politique).
361 Voir Hansen, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, p. 178-179, qui rappelle que le vote à main levée était la procédure normale à l’Assemblée au ive siècle, tandis que des disques de bronze étaient employés au Tribunal du peuple.
362 Ce passage à travers les entrailles aurait existé pour certains procès, cf. Contre Aristocrate de Démosthène, 68. L’accusateur doit aussi à l’Aréopage prêter serment en jurant les pieds dans les entrailles de différentes victimes. Les mêmes règles de serment valent pour l’accusé. La dimension sacrée du passage à travers les entrailles de victime a probablement pour fonction chez Platon de décourager ceux qui voudraient s’adonner à un vote rapide et impulsif.
363 Lois VI, 753 d 5-6.
364 Sur l’innovation que constitue ce décompte complexe, alors que l’élection se pratiquait à main levée à Athènes, voir Gernet, « Introduction » aux Lois (éd. Des Places), p. cxi. Pour le décompte des mains levées par les proèdres à Athènes, voir M. Hansen, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, p. 178-180. Ils étaient chargés de κρίνειν, compter les bras levés, lors des élections de magistrats. L’opération était plutôt une évaluation en gros de la majorité qui dessinait. Cf. Aristote, Constitution des Athéniens, 44, 3, l. 3, pour l’action des proèdres au Conseil (τὰς χειροτονίας κρίνουσιν). Cf. aussi 30, 4, l. 9 et 61, 1 : « On élit aussi à main levée tous les magistrats militaires ».
365 Pour avoir un corps de magistrats capable d’effectuer cette procédure de contrôle, la colonie nouvelle devra alors encore avoir recours à sa « métropole ». Les Cnossiens assureront l’essentiel d’un corps de deux cents citoyens qui veillera à ce que les premiers magistrats subissent la docimasie une fois établis (VI, 754 d 1).
366 La nécessité d’une κρίσις pour produire l’élite de la cité réapparaît notamment dans la composition du Collège de Veille, composés des dix plus vieux parmi les gardiens des lois, et des magistrats les meilleurs, sorte d’intellect de la cité, qui en constitue la « tête ». Chaque membre ancien devra coopter un jeune, qui apportera son ardeur et ses « sens » à l’intellect des sages, et qu’il aura jugé digne par sa nature et son éducation (961 b 2, κρίναντα ἐπάξιον) de figurer dans le saint des saints. L’ancien devra soumettre son jugement à l’appréciation des autres membres. Le jeune associé pourra alors être écarté (961 b 5, ἀποκριθέντι) par le groupe, ou définitivement choisi. Le jugement du collège suprême (κρίσις) devra être caché à celui qui a été refusé ainsi qu’aux autres citoyens de Magnésie. Voir, sur cette institution, L. Brisson, « Le Collège de Veille », dans Plato’s Laws and its Historical Significance, Sankt Augustin, 2001.
367 République VIII, 565 b 10-c 7.
368 Cf. République VIII 558 a 4-8, où les condamnés à la prison continuent de se promener librement dans les rues d’Athènes.
369 République III, 405 a 6-b 3.
370 On retrouve ici peut-être une forme de méfiance aristocratique pour l’institution de la justice et le Tribunal du peuple, auquel est préféré un arbitrage entre pairs, transposé sous la forme de la dialectique dans le dialogue. Sur cette méfiance voir L. Gernet, « L’institution des arbitres publics à Athènes », p. 103-119 de Droit et Société dans la Grèce ancienne, 1955.
371 Apologie de Socrate 35 a 4-9 : « Ces hommes précisément, qui passent pour n’être pas insignifiants, j’en ai vus quelques-uns au moment où ils passaient en jugement (κρίνωνται), faire des choses prodigieuses, comme s’ils croyaient fermement que ce serait quelque chose de terrible que de mourir, comme s’ils étaient immortels si vous ne les tuiez pas. J’estime qu’ils font honte à la ville. »
372 Cf. 38 d 10. On y trouve le lexique de la lamentation, θρηνοῦντος τέ μου καὶ ὀδυρομένου.
373 35 b 9-c 5 : « D’ailleurs, à part la question de la renommée, il ne me semble pas juste de supplier le juge, ni de s’en sortir en le suppliant, mais il est juste d’instruire et de persuader. Le juge ne siège pas en effet, pour rendre complaisamment la justice, mais pour en décider (ἐπὶ τῷ καταχαρίζεσθαι τὰ δίκαια, ἀλλ’ ἐπὶ τῷ κρίνειν ταῦτα). Et il a juré non pas de favoriser ceux à qui il lui semble bon de le faire, mais de prononcer sa sentence selon les lois. »
374 Sur ce point, on peut voir A. Lanni, p. 71 sq., de Law and Justice in the Courts of Classical Athens, Cambridge, 2006. Et aussi M. Hansen, La démocratie athénienne, p. 217-218, qui rappelle que le Serment des Héliastes, s’il mentionne un vote selon la loi, évoque immédiatement le cas de figure où en l’absence de loi, le juge devra se prononcer en conscience.
375 Socrate rappelle au Tribunal du peuple qu’il doit respecter dans ses décisions (35 b 8, καταψηφιεῖσθε) les lois (νόμοι), qui ne relèvent pas de sa juridiction, mais constituent un code supérieur. Il existe une définition assez précise de la loi et de sa supériorité sur le décret, qui est notamment formulée dans un texte presque contemporain de la date du procès de Socrate, Sur les mystères, § 87. Voir M. Hansen, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène, p. 204, pour une analyse. Les lois étaient aussi généralement rappelées par les plaideurs au début de leur discours, pour inciter les jurés à s’y conformer dans leurs décisions, voir toujours Hansen, p. 236-237.
376 Sur cet événement historique, cf. Xénophon, Helléniques I, 7, 1-34. La mention de ce procès permet à Socrate de rappeler au peuple athénien une de ses défaillances judiciaires les plus cuisantes, et reconnue comme telle. La décision aurait en effet et regrettée presque immédiatement après avoir été prise, selon Xénophon (I, 7, 34, καὶ οὐ πολλῷ χρόνῳ ὕστερον μετέμελε τοῖς Ἀθηναίοις). Plus généralement, le traitement de cet épisode historique par Xénophon laisse apparaître la victoire d’une certaine vision du « jugement », fruit de la volonté populaire, au détriment d’une vision plus procédurale, qui demande le retour à l’examen des faits (29, ἐπανέλθετε δὲ καὶ ἐπ’αὐτὰ τὰ πράγματα), et le respect des décrets antérieurs (21, κατὰ το ψήφισμα κρίνεσθαι), comme le souhaite Euryptolemos. Ce dernier craint que les stratèges soient jugés ἀκρίτους παρὰ τὸν νόμον, « indistinctement, contrairement à la loi ». L’expression est proche de celle utilisée par Socrate dans l’Apologie. Les deux disciples de Socrate s’accordent aussi sur le fait que leur maître, prytane, fut le seul à n’avoir pas peur de s’opposer à ce mode de jugement expéditif, refusant de faire quoi que ce soit qui soit conforme à la loi (κατὰ νόμον).
377 Cf. Apologie de Socrate 18 a 3-6. « Si ce que je dis est juste ou non, c’est cela que je vous demande d’observer (σκοπεῖν) et la chose sur laquelle vous devez d’exercer votre esprit (νοῦν). C’est la vertu (ἀρετή) du juge. Celle de l’orateur est de dire la vérité ».
378 35 d 6-9. 37 a 1-3. « J’y crois, Athéniens, comme aucun de mes accusateurs n’y croit, et je me tourne tant vers vous que vers le dieu pour juger, à mon sujet, ce qui sera pour moi le meilleur, et pour vous aussi. »
379 Il est manifesté par l’exemple d’Ajax, victime d’un injuste jugement chez les hommes (41 b 3, κρίσιν ἄδικον) mais réhabilité dans l’au-delà. Chez Hadès, se rencontrent les juges véritables τοὺς ἀληθῶς δικαστὰς (41 b 2). La figure du héros victime du jugement des hommes se retrouve en République X, 620 b 4.
380 Cf. 39 d 2-5. Des gens « encore plus pénibles » (χαλεπώτεροι) continueront « d’irriter » (ἀγανακτήσετε) les Athéniens de leurs « reproches » (ὀνειδίζειν).
381 Comme on l’a vu, Gorgias évoque d’abord l’élection d’un médecin devant une assemblée populaire (456 b-c). Ensuite, Socrate rappelle à deux reprises la compétition entre un médecin et un cuisinier (464 e, repris en 521 e), comparée au jugement d’un philosophe face à un orateur trompeur (522 b-c). Ce dernier cas de figure rappelle son opposition directe à Mélétos dans l’Apologie.
382 Il y a des critiques des assemblées en général et de leur mode de décision, cf. VI, 492 b-493 e.
383 Dans le système politique mis en place par le philosophe tous ne pourront pas être juges : « il y a seulement dans la cité que nous mettons en place que le cordonnier est cordonnier, et non pas pilote en même temps, que l’agriculteur est agriculteur et non pas juge en même temps en plus de son travail agricole, que le guerrier est guerrier et non commerçant en plus de son activité militaire, et ainsi de suite », cf. III, 397 e.
384 Pour des remarques plus approfondies sur la question des procès et du jugement dans les Lois, voir surtout Gernet p. cxxxii-cli de son introduction dans la CUF. Voir aussi Morrow, Plato’s Cretan City, 1960, p. 251-273, Piérart, Platon et la cité grecque, 2008, p. 386-462, ainsi que Brisson et Pradeau, dans leurs notes aux passages cités des Lois (traduction G.-F.).
385 Cf. Aristote, Politiques III, 1275 a-b, pour la célèbre définition du citoyen qui repose sur l’exercice de la fonction judiciaire et des magistratures.
386 On s’est même demandé si, en 768 a-b, l’Étranger ne suggérait pas un jugement populaire possible ou souhaitable en dernière instance dans les procès politiques : « en ce qui concerne les actions publiques, il est nécessaire tout d’abord, de permettre au grand nombre de prendre part au jugement, car tout le monde subit l’injustice quand quelqu’un la commet envers la cité, et c’est à bon droit que l’on supporterait mal de ne pas prendre part au procès dans de telles causes » (trad. Brisson / Pradeau). Tout le peuple jugerait-il parfois en dernière instance ? Voir Piérart, Platon et la cité grecque, 2008, qui pense que non, p. 442-443, vs. Morrow, Plato’s Cretan City, 1960, p. 265.
387 Un juge de chaque magistrature sera choisi (767 d 1), le meilleur. Avant le choix, tous les magistrats prêtent serment au dieu dans un temple. C’est l’élite de chaque magistrature qui est choisie. Elle pourra juger de la façon « la meilleure et la plus pieuse pour les citoyens » (VI, 767 d 3-4, ἄριστ’[…] ὁσιώτατα τὰς δίκας τοῖς πολίταις διακρίνειν).
388 En 956 c, des systèmes d’amende permettent de dissuader ceux qui, par goût de la chicane, en appelleraient systématiquement à la juridiction supérieure.
389 P. cxxxii-cli de l’introduction, volume 1 de l’édition des Lois par É. des Places à la CUF.
390 Voir plus haut, p. 193-204.
391 République IV, 433 c 4-d 6. Ἀλλὰ μέντοι, ἦν δ’ ἐγώ, εἰ δέοι γε κρῖναι τί τὴν πόλιν ἡμῖν τούτων μάλιστα ἀγαθὴν ἀπεργάσεται ἐγγενόμενον, δύσκριτον ἂν εἴη πότερον ἡ ὁμοδοξία τῶν ἀρχόντων τε καὶ ἀρχομένων, ἢ ἡ περὶ δεινῶν τε καὶ μή, ἅττα ἐστί, δόξης ἐννόμου σωτηρία ἐν τοῖς στρατιώταις ἐγγενομένη, ἢ ἡ ἐν τοῖς ἄρχουσι φρόνησίς τε καὶ φυλακὴ ἐνοῦσα, ἢ τοῦτο μάλιστα ἀγαθὴν αὐτὴν ποιεῖ ἐνὸν καὶ ἐν παιδὶ καὶ ἐν γυναικὶ καὶ δούλῳ καὶ ἐλευθέρῳ καὶ δημιουργῷ καὶ ἄρχοντι καὶ ἀρχομένῳ, ὅτι τὸ αὑτοῦ ἕκαστος εἷς ὢν ἔπραττε καὶ οὐκ ἐπολυπραγμόνει. – Δύσκριτον, ἔφη· πῶς δ’ οὔ ;
392 IV, 443 b 4-c 8. « Doutes-tu encore que la justice soit autre chose que cette puissance qui rend tels et les hommes et les États ? Non par Zeus ! dit-il, je n’en doute pas. Voilà donc parfaitement réalisé le rêve qui nous faisait entrevoir, disions-nous, que, dès la première ébauche de notre cité, un dieu pourrait bien nous faire rencontrer le principe et comme un modèle de la justice » (trad. É. Chambry).
393 Sur ce passage on peut voir notamment K. Schöpsdau, Platon, Nomoi. Buch IV-VII, Göttingen, 2003, p. 384 sq.
394 Cette forme de concession à la démocratie pourrait être faite par Platon en vertu de la valeur religieuse du tirage au sort, voir P. Demont, « Platon et le tirage au sort », Hommage à Jacqueline de Romilly, l’empreinte de son œuvre, 2014, p. 147-148.
395 L. Gernet, « Introduction » aux Lois (éd. Des Places), p. cxii.
396 Lois VI, 757 b 2-c 2.
397 Le paradigme est introduit en Politique, 279 a. Voir D. El Murr, Savoir et gouverner, essai sur la science politique platonicienne, Paris, 2014, notamment p. 52-66. Il remplace le modèle pastoral, privilégié dans le Gorgias (516 a-c). Ce dernier se révèle avoir plusieurs limites, exposées à partir de 274 e. Le mythe qui représente les hommes gouvernés par des pasteurs divins n’est en effet plus d’actualité : dans un monde où le dieu n’est plus directement recteur, les politiques humains sont désormais plus proches de leurs sujets par la naissance et l’éducation, et ne sont donc plus à considérer comme des pasteurs. Voir aussi A. Macé, « Platon et le pastorat politique », Philosophie antique, 2017.
398 Cf. Politique 282 b 6-7, καὶ μεγάλα τινὲ κατὰ πάντα ἡμῖν ἤστην τέχνα, ἡ συγκριτική τε καὶ διακριτική. « Et nous avons toujours distingué deux grands arts, l’art d’assembler et l’art de séparer ». Le couple notionnel n’apparaît pas tel quel dans le Cratyle, à propos du tissage. Sans doute la séquence du Sophiste sur les arts diacritiques est-elle rappelée ici, même si ce dernier dialogue ne nommait pas explicitement les arts syncritiques.
399 Politique 283 e 7-11. Διττὰς ἄρα ταύτας οὐσίας καὶ κρίσεις τοῦ μεγάλου καὶ τοῦ σμικροῦ θετέον, ἀλλ’ οὐχ ὡς ἔφαμεν ἄρτι πρὸς ἄλληλα μόνον δεῖν, ἀλλ’ ὥσπερ νῦν εἴρηται μᾶλλον τὴν μὲν πρὸς ἄλληλα λεκτέον, τὴν δ’ αὖ πρὸς τὸ μέτριον· οὗ δὲ ἕνεκα, μαθεῖν ἆρ’ ἂν βουλοίμεθα ;
400 Politique 259 e 5-6 : « Muni de cette technique qui connaît la différence entre les nombres (τὴν ἐν τοῖς ἀριθμοῖς διαφορὰν), lui donnerons-nous une autre tâche que de porter un jugement sur ce qu’il connaît (τὰ γνωσθέντα κρῖναι) ? »
401 L’architecte doit, une fois formulé son jugement savant, faire en sorte que ses décisions soient exécutées par les ouvriers, cf. 260 a 4-7 : « Je pense qu’il convient, qu’une fois qu’il a jugé (τούτῳ…κρίναντι), il n’en ait pas fini et ne s’en aille pas, comme s’en est allé le calculateur, mais bien qu’il commande (προστάττειν) à chaque ouvrier la tâche voulue jusqu’à ce que ce qu’il a commandé soit achevé ». Le roi, de même, ne peut disposer d’un art simplement κριτικῇ (260 c 2), décisoire, mais doit aussi commander, faire exécuter (ἐπιτακτικῆς, 260 c 3). Un peu plus loin dans le dialogue est rappelée que la fonction royale relève d’une science double (ἐπιστήμων, 292 b 6), science décisoire et directive (κριτικὴν, ἐπιστατικὴν).
402 305 e 8-10. « Ne voudrons-nous pas utiliser notre paradigme du tissage pour expliquer à son tour la politique, maintenant que nous avons une vue claire de tous les genres (τὰ γένη) contenus dans la cité ? » (Trad. Diès).
403 306 a 1, τὴν βασιλικὴν συμπλοκήν.
404 Le thème de l’opposition entre les vertus qui dégénère en une στάσις conçue comme maladie, rappelle la République, voir plus haut, p. 216-217.
405 Plus loin, dans la section consacrée aux mariages, il est souligné que la trop forte concentration de caractères énergiques dans la cité « peut finir par éclore, au fil des générations en toutes sortes de folie », τελευτῶσα ἐξανθεῖν. Le verbe φύεσθαι est utilisé à cette occasion (310 e 2). Par exemple les habitants d’une cité d’un naturel tranquille en viennent à s’isoler, et à développer un amour, déplacé, ἀκαιρότερον (307 e 7), de la liberté. Les habitants d’une cité au penchant énergique ou courageux (οἱ πρὸς τὴν ἀνδρείαν ῥέποντες) vont toujours vers quelque nouvelle occasion de guerre. C’est bien le vocabulaire physique du penchant, de la pousse et de la croissance qu’utilise encore l’Étranger pour parler de la cité.
406 Le thème du remède n’en est pas à sa première apparition dans le dialogue. Cf. les ἀμυντήρια (279 c 9), ces moyens de « préserver » la vie humaine, véritables antidotes (ἀλεξιφάρμακα) pour les sociétés.
407 308 d 1- e 2 « Notre politique, la politique vraiment conforme à la nature, ne choisira donc jamais de prendre en tas bons et méchants pour constituer une cité, mais elle commencera évidemment par soumettre ses sujets à l’épreuve du jeu, puis l’épreuve achevée, les confiera à des éducateurs compétents et qualifiés pour ce service, non d’ailleurs sans garder le commandement et la direction, comme fait la science du tisserand à l’égard des cardeurs et de tous autres aides qui lui préparent les matériaux qu’elle ourdira, se tenant toujours auprès d’eux pour commander et diriger tous leurs mouvements, et leur assignant à chacun les besognes qu’elle estime utiles pour son propre travail de tissage » (trad. Diès).
408 L’Étranger suppose en 310 a 6-10 qu’une fois les liens de moraux créés entre les différents groupes de la population, les mariages ne sont plus « difficiles » à mettre en œuvre (οὐδὲν χαλεπὸν).
409 République VIII, 546 b 1-5 où la dégénérescence commence quand les jours propres à la conception sont oubliés : « Or, ceux que vous avez élevés pour guider l’État auront beau être habiles et renforcer l’expérience par le raisonnement, ils n’en discerneront pas mieux les moments de fécondité et de stérilité […] ils engendreront des enfants quand il ne faudrait pas le faire » (trad. Chambry).
410 Politique 311 b 7-c 8. « L’Étranger : Affirmons que voici l’achèvement (τέλος) du tissage de l’étoffe que tresse droitement dans son assemblage l’action politique, lorsque prenant les caractères humains d’énergie et de tempérance, la technique royale assemble et unit leur vie par la concorde et l’amitié, achevant complètement (ἀποτελέσασα) le plus magnifique et du plus beau des tissus ; et le reste des habitants de la cité, esclaves, hommes libres, elle les enveloppe, les serre ensemble dans sa trame, et autant qu’il convient à la cité d’être heureuse, sans rien laisser de côté, elle commande et dirige. — Socrate le jeune : tu as achevé complètement (ἀπετέλεσας) ton homme royal avec beaucoup de beauté, étranger, et aussi ton homme politique. »
411 Pour une mise en garde contre la lecture métaphorisante de Platon voir J. Derrida, « La mythologie blanche : la métaphore dans le texte philosophique », Poétique, 1971, p. 1-52.
412 Voir plus haut, p. 97-104 pour la médecine et p. 41-48 pour la mantique épique.
413 C’est ainsi que Bergson définit son concept « d’élan vital ». Voir Les Deux Sources de la morale et de la religion, Paris, 1932, p. 120.
414 Voir L. Brandwood, A Word Index to Plato, Leeds, 1976, s.v. Si l’on peut identifier des lieux du corpus platonicien qui pourraient être considérés comme des représentations d’une crise au sens médical du terme, jamais κρίσις n’y apparaît toutefois. La pousse des plumes de l’âme amoureuse, dans le Phèdre (251-252) assure une transformation nécessaire mais douloureuse de l’âme, conçue en termes physio-pathologiques. Jamais le mot κρίσις ne se rencontre pourtant dans ce développement. Dans le Politique (273 c-e), le corps du monde abandonné par son démiurge subit une régression, un changement d’état vers le chaos. Les images pathologiques sont nombreuses, mais pas de trace du vocabulaire de la crise. Les pathologies de l’incarnation de l’âme au moment de son installation dans le corps dans le Timée, 43 a-b, peuvent aussi être rapprochées de descriptions médicales visibles dans la Collection hippocratique : toutefois il n’est pas fait mention non plus d’une quelconque crise.
415 Pour des remarques supplémentaires en ce sens, voir V. Longhi, « La crise, une notion politique héritée des Grecs ? », dans Anabases 10, 2019, p. 30-32.
416 Les dialogues traditionnellement appelés « premiers dialogues » ou dialogues socratiques n’aboutissent pas à des κρίσις, comme c’est le cas dans le Lachès (201 a-b) ou l’Euthyphron. La décision sur la justice ou le choix du bon éducateur y reste suspendue.
Krisis ou la décision génératrice
Ce livre est cité par
- Cowan, Robert. (2021) Aias’ Critical Day. Symbolae Osloenses, 95. DOI: 10.1080/00397679.2022.2042966
- (2021) Ouvrages déposés au bureau de la revue. Revue philosophique de la France et de l'étranger, Tome 146. DOI: 10.3917/rphi.211.0153
- Chevrette, Eric . (2022) Crise du dicible. Euphémismes et détournements du visage dans "Une saison de machettes" de Jean Hatzfeld. Acta Universitatis Lodziensis. Folia Litteraria Romanica, 17. DOI: 10.18778/1505-9065.17.1.08
Krisis ou la décision génératrice
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