Précédent Suivant

Acte I

p. 10-31


Texte intégral

Scene premiere16

Carrille, Leonor17.

Carrille.

         Ouy, l’affaire est concluë, et moy-mesme j’enrage

         Qu’il me veut malgré moy forcer à ce voyage18.

Leonor.

         Quoy, Dom Juan ainsi me manqueroit de foy19?

Carrille.         2

         Oüy.

Leonor.

Mais quoy, ses sermens20 l’attachent tout à moy?

Carrille.

5       Ses sermens! si c’est là que vostre espoir s’arreste,

         Madame, vostre Hymen n’est pas chose encor preste,

         Il en prodigue assez, mais il n’en tient jamais21.

Leonor.

         Tu le dis, mais…

Carrille.

Je sçais un peu trop de ses faits.

         Vous n’estes pas la seule à qui mesme avanture

10     A mis honneur et biens en mauvaise posture,

         Il prend de tous costez ce qu’il peut attrapper,

         Et sans scrupule aucun fait gloire de tromper22:

         Tout pour son appetit est d’un égal usage,

         Il met impunément belle ou laide au pillage,

15     Et sou23 de leur honneur, il cherche en d’autres lieux

         S’il pourra rencontrer qui le contente mieux.

         En peu de mots voilà son Portrait veritable,

         Jugez dequoy mon Maistre envers vous est capable24.

Leonor.

         Qui l’eust pû croire? helas!

Carrille.

Il falloit s’en douter.

20     Peste, que vostre sexe est facile à tenter25!

         Il ne faut pas tousjours croire les apparences,

         Et l’on doit meurement prevoir les consequences,

         C’est trop facilement se laisser enflammer.

Leonor.         3

         Helas! que tu sçais peu ce que c’est que d’aymer26,

25       À voir mille transports d’une flamme assiduë,

         Quelle fierté, dis-moy, ne se seroit renduë?

         Il est bien mal-aisé dans ces empressemens

         Qu’un cœur n’ait tost ou tard de tendres sentimens,

         Et l’Amour qu’on nous montre en paroissant extréme,

30     Fait que sans raisonner on y respond de mesme:

         Quelque doute qu’on ait de sa sincerité,

         L’Amour malgré la crainte est tousjours écouté;

         Et comme les soupçons semblent luy faire injure,

         On se flatte aisément d’une ardeur toute pure27.

Carrille.

35     Et c’est ce qui vous perd; en matiere d’Amour

         Il faut que la raison vous gouverne à son tour;

         Tant d’infidelitez dans le siecle où nous sommes

         Ne declarent que trop quelle est l’humeur des hommes28,

         Car pour un qui dit vray, mille autres plus trompeurs

40     Volent impunément les dernieres faveurs:

         Pour peu que vostre sexe écoute leurs promesses,

         Ils sçavent profiter de toutes vos foiblesses,

         Et faisant grand fracas de leur fidelité,

         Surprennent aisément vostre credulité.

45     Et puis qu’il faut icy vous faire tout connaistre,

         Pour ne vous rien celer de l’humeur de mon Maistre,

         C’est qu’il est mille fois plus perfide qu’eux tous29.

Leonor.

         L’ingrat me promettoit qu’il seroit mon Epoux,

Carrille.

         Mon Maistre épouseroit ma foy toute la terre30.

Leonor.         4

50     Mais quoy, ne craint-il pas les éclats du tonnerre?

         Et qu’il ne soit puny de son manque de foy31?

Carrille.

         Vous le connoisssez mal, il n’a ny foy ny loy,

         Madame, et n’admet point de Dieux que son caprice,

         Et sans cesse du Ciel il brave la Justice32.

Leonor.

55     Tel qu’il soit, je pretens aujourd’huy luy parler,

         Son ardeur envers moy pourra se réveiller,

         L’Amour produit souvent des retours dans une ame33.

Carrille.

         Vous ferez un grand coup s’il y consent, Madame.

Leonor.

         J’en veux estre assurée, et s’il me quitte enfin

60     Pour laver cét affront, j’ay le remede en main,

         Ma mort en éteindra la funeste memoire34.

Carrille.

         Tousjours sur cét article il ne faut pas s’en croire,

         Quoy que l’honneur soit cher, vivre est encor plus doux,

         Et loin de vous pleurer, on se riroit de vous35.

65     N’affectez point icy la vertu de Lucrece36,

         Je sçay que ce malheur cause de la tristesse;

         Mais en pareil sujet on n’agit pas fort bien

         Si l’on ne veut s’en taire, et n’en témoigner rien:

         Mais puis que vous voulez en estre plus certaine,

70     Mettez-vous, s’il vous plaist, dans la chambre prochaine,

         Mon Maistre doit venir dans un moment icy,

         Et je vais luy parler de vous37: mais le voicy.

Scene II38         5

D. Juan, Carrille.

D. Juan.

         Ah Carrille, sçais-tu ce que je viens de faire39?

Carrille.

         Quelque malheur nouveau?

D. Juan.

                           Coquin.

Carrille.

C’est l’ordinaire.

75     Depuis que je vous sers je ne vois pas un jour

         Qui se passe, Monsieur, sans crime et sans amour40.

D. Juan.

         Quels crimes ay-je fait?

Carrille.

Faire mourir son pere41,

         Ce n’est rien?

D. Juan.

Son humeur estoit par trop severe,

         Carrille, et pour son bien j’ay deû m’en depescher,

80     Qui ne se fut lassé de l’entendre prescher,

         Contre mes mœurs sans cesse il armoit sa censure,

         Sans cesse il me chantoit quelque nouvelle injure42,

         Et… mais n’en parlons plus, sçache donc qu’aujourd’huy…

Carrille.

         Et Dom Pierre, Monsieur, assassiné chez luy?

85     Ce Commandeur fameux qui gouvernoit Seville,

         Et que pour ses vertus on pleure dans la Ville43,           6

         N’est-ce donc rien, Monsieur?

D. Juan.

J’en demeure d’accord:

         Mais de sa main aussi j’aurois receu la mort,

         Les beaux yeux de sa fille à mes yeux sçeurent plaire,

90     Et pour en mieux joüyr il falloit s’en deffaire,

         L’obstacle estoit trop grand pour en venir à bout,

         Et pour l’objet aimé l’Amant hazarde tout44.

Carrille.

         Et de tous les costez des filles abusées,

         Dont les familles sont par tout scandalisées?

95     Bon, ce sont des chansons, quels crimes a-t’il fait?

         Monsieur, au grand galop vous courez au gibet,

         Et…

D. Juan.

Quoy! tousjours parler et sans vouloir m’entendre?

         Sains craindre mon couroux oses-tu me reprendre?

         Hé! que t’importe-t’il si je fais bien ou mal,

100   L’un ou l’autre pour toy n’est-il pas égal?

         Laisse-moy suivre en tout cette ardeur qui m’anime,

         J’obeys à mes sens, il est vray, mais quel crime?

         La nature m’en fait une necessité,

         Et nostre corps n’agit que par sa volonté.

105   C’est par les appetits qu’inspirent ses caprices,

         Qu’on court differemment aux vertus comme aux vices.

         Pour moy qui de l’Amour fais mes plus chers plaisirs,

         J’ose tout ce qui peut contenter mes desirs,

         Je n’examine point si j’ay droit de le faire,

110   Tout est juste pour moy quand l’objet me peut plaire,         7

         Et ne prenant des loix que da ma passion,

         J’attache tous mes soins à la possession45.

Carrille.

         Et sur le fondement de ces noires maximes,

         Vous n’avez point d’horreur de commettre des crimes?

D. Juan.

115   Apprens qu’il n’en est point pour un cœur genereux,

         La lacheté de l’homme en fait le nom affreux;

         Si tous les cœurs estoient et grands et magnanimes,

         Ces crimes qu’on nous peint ne seroient pas des crimes;

         Mais ce n’est qu’un effet d’un courage abattu,

120   Dont la timidité veut passer pour vertu:

         Il n’est rien qu’un grand cœur ne se doive permettre,

         Et le crime est vertu pour qui l’ose commettre46.

         Juge donc…

Carrille.

Oüy, je croy que tout vous est permis;

         Mais quittons-nous l’un l’autre, et soyons bons amis47.

D. Juan.

125   Pourquoy?

Carrille.

Pourquoy, Monsieur? c’est que Dame Justice

         Me rendroit tost ou tard quelque mauvais office,

         Sous pretexte qu’on dit tel maistre, tel valet,

         Elle pourroit me faire une passe au colet48.

D. Juan.

         Dois-tu craindre où je suis? et peut-on…

Carrille.         8

Tout peut estre,

130   Et souvent on punit le valet pour le maistre.

D. Juan.

         Tu me suivras par tout, ou la mort à l’instant

         T’est seure.

Carrille.

S’il vous plaist, ne vous pressez pas tant,

         Je veux vivre49

D. Juan.

Suffit, parlons de ma conqueste50.

Carrille.

         De qui? de Leonor?

D. Juan.

         Ne m’en romps plus la teste.

135   Faut-il dire cent fois que je ne puis la voir?

         J’ay joüy d’un objet qui passoit mon espoir,

         D’Oriane51 en un mot.

Carrille.

D’Oriane!

D. Juan.

Oüy Carrille.

Carrille.

         Quoy! de ce rare objet l’honneur de sa famille?

         Fille du Commandeur?

D. Juan.

Elle-mesme.

Carrille.

Et comment?

D. Juan.

140   J’avois sçeu m’introduire en son appartement,

           Et magré ses efforts ma flamme est satisfaite52,

         Et dans le mesme instant que je faisois retraite,

         Dom Bernard son amant a pery par mes coups53.

Carrille.         9

         Apres tant de forfaits où vous sauverez-vous?

D. Juan.

145   Tu sçais que je devois abandonner Seville,

         Qu’aux pays estrangers j’allois chercher azyle:

         Mais avec mes amis ayant tout consulté,

         J’ay trouvé que sur Mer j’ay plus de seureté,

         Dom Lope et Dom Felix en ont pris la conduite,

150   Et cherchent un vaisseau pour haster nostre fuite54;

         Ainsi sans perdre temps allons nous preparer.

Carrille.

         J’aperçoy Leonor.

D. Juan.

Et qui l’a fait entrer55?

         Suy moy.

Scene III56

Leonor, D. Juan57, Carrille.

Leonor.

Quoy,58 Dom Juan évite ma presence!

         D’où vient ce changement; est-ce vostre inconstance?

155   Ne connoissez-vous plus ce qui vous sçeut charmer59?

         Et pour tout dire enfin cessez-vous de m’aimer?

         Apres tant de sermens…60

D. Juan.

Oüy, j’avoüray, Madame,

         Que vos attraits ont eu du pouvoir sur mon ame.            10

         Mais…

Leonor61.

                  Achevez.

Carrille.

Ce ‘Mais’ ne promet rien de bon.

D. Juan.

160   Je ne vous ayme plus.

Leonor.

         Et par quelle raison?

         Tu devois m’épouser62, je n’ay ta foy pour gage

         Ingrat…

D. Juan.

N’en parlons pas, Madame, davantage.

         En vain vous faites fonds sur le don de mon cœur,

         Le Bien dont on jouyt ne cause plus d’ardeur,

165   Et la possession, plus elle a fait d’envie,

         Du plaisir de joüyr est bien tost assouvie.

         J’ay prodigué des soins, j’ay fait mille sermens;

         Mais jusqu’où ne va pas l’audace des Amans?

         Dans l’espoir d’un bonheur leur transport authorise

170   Les sermens continus, les détours, la surprise,

         La plainte, les dédains, les pleurs, et le couroux,

         Bref, j’eusse encor plus fait pour avoir tout de vous:

         Mais que ces grands ressorts, qu’anime l’esperance,

         Fassent mouvoir mon ame apres la joüyssance,

175   Ne l’esperez jamais, je veux me contenter,

         Et tout autre que vous a droit de me tenter63.

Leonor.

         Et tu peux sans remords violer ta promesse?

         Perfide, souviens-toy de toute ma tendresse,

         Songe que j’ay commis à ta mauvaise foy

180   Le tresor qu’une fille a de plus cher en soy.           11

Carrille.

         Pauvre fille!

Leonor.

Ah cruel! remets dans ta memoire

         Les efforts que j’ay faits pour conserver ma gloire,

         Que le crime sur moy n’a pris aucun pouvoir,

         Que mes plaisirs ont eu pour regle mon devoir,

185   Et que si ma vertu succomba sous tes charmes,

         Tout autre à tes sermens leur eust rendu les armes:

         Mais las! pour mon malheur, tu feignois de m’aimer,

         Quand à voir tant de feux je me laissay charmer;

         Ta bouche me juroit une amitié sincere,

190   Quand ton perfide cœur pensoit tout le contraire ;

         Tes yeux par leur douceur me montroient ton Amour,

         Les miens par leur langueur t’en marquoient à leur tour;

         Et cependant, ingrat, apres tant de promesses,

         Qui m’ont tant arraché d’innocentes caresses,

195   Apres mille sermens d’une immuable foy,

         Tu dédaignes ma flâme, et te mocques de moy?

D. Juan.

         Sans vous tant affliger ayez recours au change,

         C’est ainsi qu’aisément de l’un l’autre on se venge64.

Carrille.

         Mais chacun comme vous n’en veut pas tant taster,

200   Et Leonor, Monsieur, devroit vous contenter!

         Elle a beaucoup d’esprit, elle est noble, elle est belle,

         Et de moins dégoustez s’accommoderoient d’elle.

         Apres de si grands maux faites un peu de bien.

D. Juan.         12

         Eh! dois-je suivre icy ton advis ou le mien?

Leonor.

205   Dom Juan, si mes pleurs…

D. Juan.

Encor un coup, Madame,

         Vous esperez en vain du pouvoir sur mon ame.

Leonor.

         Apres ta lascheté le Ciel ny son couroux,

         Ne t’intimident point?

D. Juan.

Il songe bien à nous.

Leonor.

         Va, suis l’emportement de ton ame infidelle,

210   Les Dieux embrasseront cette juste querelle65,

         Et…

D. Juan.

Ne les reglez point suivant vostre interest,

         Laissez-les, s’il en est, agir comme il leur plaist.

         Et sans les attacher à vos moindres caprices,

         Remettez leur le soin de vous estre propices.

Leonor.

215   Ah! crains leur chastiment!

D. Juan s’en allant.

Vous m’en parlez en vain,

         J’en attens les effets pour en estre certain.

Leonor.

         Ô vous! qui prenez soin d’appuyer l’innocence,

         Accordez à mes pleurs une prompte vengeance66.

Scene IV67         13

D. Juan, Carrille.

D. Juan68.

         Enfin m’en voilà quitte.

Carrille.

Et fort impunément:

220   Belle commodité de fausser son serment!

         Vous vous en acquittez assez bien, mon cher Maistre,

         Et ne rougissez point de passer pour un traistre;

         Mais tréve à ce discours. Vos fideles amis

         S’embarquent-ils aussi?

*D. Juan fait signe de l’œil que ce Discours le choque.

D. Juan.

         Tous deux me l’ont promis.

Carrille.

225   Ne vous voilà pas mal, vous allez faire rage,

Trois débauchez en diable! ah, le bel assemblage69.

D. Juan.

         Dom Lope et Dom Felix70

Carrille.

         Ma foy ne valent rien,

         Et sans eux vous seriez un fort homme de bien,

         Vous n’auriez jamais eu tant d’habitude aux crimes,

230   Si vous n’aviez suivy leurs coupables maximes:            14

         Mais depuis qu’ils se sont attachez prés de vous,

         Tousjours on vous a vû faire de meschans coups71:

         Mais je les voy venir.

Scene V72

D. Juan, Carrille, D. Lope, D. Felix

D. Juan.

         Hé bien?

D. Lope.

L’affaire est faite.

         Nous avons un vaisseau prest pour nostre retraitte.

D. Juan.

235   Va querir nostre argent, Carrille, et nos habits.

                  Carrille sort.

D. Lope.

         Nous pouvons nous sauver malgré nos ennemis:

         Mais en quelqu’autre endroit que nous prenions azile,

         Il nous faut gouverner autrement qu’à Seville73.

D. Felix.

         Ne nous contraignons point du tout dans nos plaisirs,

240   Que chacun à son gré contente ses desirs,

         Goûtons diversement les plaisirs de la vie.

D. Lope.

         Ce n’est pas mon dessein de regler vostre envie

         Mais pourquoy ces transports? pourquoy ces vanitez?  15

         On peut dans l’apparence estre moins emportez,

245   Et donner à ses sens une pleine carriere;

         Nostre cœur en secret en a la joye entiere,

         Et goûtant les plaisirs, on s’applaudit tout bas,

         De ce qu’on est content, et qu’on ne le sçait pas74.

D. Felix.

         N’importe, je ne puis souffrir cette methode;

250   Soit humeur, ou raison je la trouve incommode:

         Que servent les plaisirs s’ils ne font quelque bruit?

         Le silence tousjours est ce qui les destruit;

         Comme de ces transports on aime à faire gloire,

         Il faut les faire voir pour les mieux faire croire:

255   C’est les desavoüer que les cacher ainsi75.

D. Lope.

         Mais regardons un peu comme on en use icy.

D. Juan.

         Il est vray, Dom Felix, qu’en ce siecle où nous sommes,

         Pour vivre, il faut sçavoir l’art d’ébloüyr les hommes

         Et sur un beau pretexte acquerir du credit,

260   Paraistre plus qu’on n’est, faire plus qu’on ne dit:

         Couvrir ses actions d’une belle apparence,

         Se masquer de vertu pour perdre l’innocence,

         Estre bon dans les yeux, et méchant dans le cœur,

         Professer l’infamie, et deffendre l’honneur,

265   D’un faux jour de vertu donner lustre à sa vie,

         Se montrer fort content quand on creve d’envie;

         Et si l’on aime enfin, parer tousjours ses feux

         Du pretexte brillant d’un sentiment pieux.

         C’est ainsi qu’aujourd’huy se gouverne le monde,

270   Et pour n’en point mentir l’adresse est sans seconde,

         Je ne condamne point cette façon d’agir,            16

         Et je m’en trouve bien, quand je veux m’en servir76.

D. Lope.

         Aussi risque-t’on moins, suivant cette maniere

         On a dans ses plaisirs seureté toute entiere,

275   Le vice continue en manquant de tesmoins77,

         L’on vous croit innocent quand vous l’estes le moins;

         Dans le doute qu’on a, si quelqu’un vous accuse,

         Vingt autres plus dupés soustiendront qu’il s’abuse,

         Et l’affectation d’un merite apparent,

280   Impose le silence à tel qui nous reprend78.

D. Juan.

         Cependant que chacun se gouverne à sa mode:

         Pour moy qui n’ay d’égard, qu’à ce qui m’accommode,

         J’agis differemment suivant l’occasion,

         Et je ne suis jamais la mesme opinion,

285   Par force, ou par douceur, je sçay me satisfaire,

         Et je croy que pour tout c’est le plus necessaire79.

D. Felix.

         J’approuve vostre advis80: mais Carrille paraist.

Scene VI81         17

Carrille, D. Juan, D. Lope, D. Felix.

Carrille.

         Vous n’avez qu’à partir,82 vostre équipage est prest.

         Pour moy qui ne veux pas, qu’un caprice d’Eole

290   Me balotte à son gré de l’un à l’autre pole,

         Trouvez bon, s’il vous plaist, que je demeure icy.

D. Lope.

         Quoy, Carrille nous quitte? ah! tu viendras aussi.

D. Felix.

         Qui pourroit se passer du fidelle Carrille?

Carrille

         Il ne reste que moy de toute ma famille!

295   Si je viens à perir ma race manquera.

D. Lope.

         Au peril de ses jours chacun te sauvera.

Carrille.

         Chacun dans le danger ne songe qu’à sa vie.

D. Lope.

         Ne crains rien, vien Carrille.

Carrille.

         Hé! Messieurs, je vous prie,

         Souffrez que vous partis je garde la maison.

D. Felix.

300   Tous tes refus icy ne sont pas de saison,

         Nous voulons t’emmener.           18

Carrille.

Songez un peu, de grace,

         Qu’on n’est point asseuré d’une pleine bonnace,

         Que tantost aux Enfers et tantost dans les Cieux,

         On voit de tous costez la mort devant ses yeux,

305   Qu’on est à la mercy d’un vent impitoyable,

         Qu’un vaisseau peut perir sur quelque banc de sable,

         Qu’il peut crever encor par un autre danger,

         Et quel peril pour moy qui ne sçais point nager?

         Non, je ne vous suis pas, Messieurs, si necessaire,

310   Et vous pouvez sans moy…83

D. Juan.

Voicy bien du mystere.

         Resous toy de me suivre, et sans tant raisonner,

         Autrement…

Carrille.

Ah! Carrille, à quoy t’abandonner?

         Suivre un maistre taché de vices detestables,

         Voilà le grand chemin d’aller à tous les diables.

Fin du premier Acte.

Notes de bas de page

15 Le Premier Acte comporte deux moments différents: d’abord la reprise du Festin de Molière, avec l’apparition d’Elvire (ici Leonor) et le rôle dominant conféré au valet (Carrille à la place de Sganarelle): scènes 1-3. Ensuite – grâce à une scène de transition, la scène 4 – l’introduction des deux amis débauchés: scènes 5-6.

16 La Scène première reprend plusieurs passages de la scène I,1 du Festin de Molière; toutefois, l’écuyer d’Elvire (Gusman) n’a pas d’homologue parmi les personnages de Rosimond, et le dialogue entre Gusman et Sganarelle illustrant les mœurs de Don Juan est remplacé par le dialogue entre Carrille et Leonor, la femme que Dom Juan vient d’abandonner.

17 Le personnage de Leonor a le même rôle que celui d’Elvire dans le texte de Molière. L’une et l’autre se présentent comme la première femme séduite par Dom Juan faisant son apparition sur la scène, prenant ainsi la place de la fille du Commandeur, absente dans les deux cas (pour Elvire, cf. J. Rousset, p. 52-54). Le nom de Leonor, choisi par Rosimond, vient du canevas italien L’Ateista fulminato (Macchia, p. 191-ss). Dans ce canevas, la relation amoureuse entre Aurelio (= Don Juan) et Leonora est montrée à partir de ses débuts: «sopra i loro amori fanno scena amorosa breve e giurano fede di mai abbandonarsi» (Macchia, Acte I, p. 196), tandis que chez Rosimond (et chez Molière, pour le cas d’Elvire) cette relation appartient au passé. Le nom de ‘Leonor’/’Leonora’ sera repris dans The Libertine de Thomas Shadwell, bien que l’auteur ne cite pas explicitement Rosimond. Shadwell affirme qu’un de ses amis a vu représenter en Italie le canevas italien: «And I have been told by a worthy Gentleman, that many years agon (when first a Play was made upon this Story in Italy) he has seen it acted there by the name of Atheisto Fulminato, in Churches, on Sundays, as a part of Devotion» (Preface, IIème page). À ce propos, il convient de rappeler le “dramma per musica” de Filippo Acciaiuoli L’empio punito, un opéra-pastoral publié à Rome en 1669 (Macchia, p. 303-416), que Rosimond ne semble pas avoir connu. Dans cette œuvre coexistent les deux jeunes femmes: Ipomene (= Anna) et Atamira (=Elvire) (cf. J. Rousset, p. 50-54). Le nom de ‘Leonor’ est repris aussi par Thomas Corneille dans sa version verisifiée du Festin de Molière pour désigner une jeune fille trahie par Don Juan.

18 Carrille entre en scène plein de rage parce qu’il doit, contre sa volonté, faire un voyage avec son maître. Leonor arrive et le surprend.

19 Le rapport entre Dom Juan et Leonor a pour seul fondement une «foy» déclarée, tandis qu’un mariage a bel et bien eu lieu entre Don Juan et Elvire dans le Festin de Molière. Dans le canevas L’Ateista fulminato il n’est pas fait mention d’un mariage entre Leonora et Aurelio, mais seulement d’une «fede di mai abbandonarsi» (Macchia, p. 196).

20 Les «sermens», que rappelle Leonor (et que nous allons retrouver comme un leitmotiv dans tout l’acte premier), figurent aussi dans le Festin de Molière, où ils sont insérés dans un cadre bien plus riche; c’est Gusman qui, dans la Scène première, fait état de la passion intense dont Elvire a été l’objet de la part de Don Juan: «tant d’amour et tant d’impatience témoignée, tant d’hommages pressants, de vœux, de soupirs, et de larmes, tant de lettres passionnées, de protestations ardentes et de serments réitérés, tant de transports enfin, et tant d’emportements» (I, 1, p. 850).

21 Le Dom Juan de Rosimond fait des «sermens», mais il les oublie; tandis que le Don Juan de Molière multiplie les mariages et les oublie avec la même légèreté: «si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir» (I, 1, p. 851).

22 Tirso, déjà, appelait Don Juan “el burlador de Sevilla”.

23 sou > soûl.

24 Ce portrait de Dom Juan, fait à Leonor par Carrille, rappelle un passage analogue du Festin de Molière où Sganarelle décrit les mœurs de son maître pour l’édification de Gusman: «Tu vois en Don Juan mon maître le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté […]; tu me dis qu’il a épousé ta Maîtresse, crois qu’il aurait plus fait pour contenter sa passion, et qu’avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat […] Dame, Damoiselle, Bourgeoise, Paysanne; il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui […]» (I, 1, p. 850-851). Le catalogue des femmes séduites par Don Juan sera repris par Da Ponte dans le libretto du Don Giovanni de Mozart: «V’han fra queste contadine, | cameriere, cittadine | […] Non si picca se sia ricca, | se sia brutta, se sia bella: | purché porti la gonnella | voi sapete quel che fa» (Lorenzo Da Ponte, Il Don Giovanni, Torino, Einaudi, 1995, p. 15-16).

25 Rosimond – dans les propos de Carrille – souligne avec quelle facilité le «sexe» féminin prête foi aux déclarations d’amour.

26 Leonor invoque le pouvoir de l’amour, qui fait oublier la précaution et la prudence.

27 Leonor explique à Carrille comment elle a pu croire à l’amour que lui déclarait Dom Juan. Rosimond reprend la teneur du discours de Gusman à Sganarelle (I, 2) et de la première réplique d’Elvire à Don Juan (I, 3) dans le Festin de Molière.

28 La pratique amoureuse de Dom Juan est présentée par Carrille comme une «humeur» très répandue à l’époque qui est la leur.

29 Carrille affirme que Dom Juan est infiniment plus perfide que tous les séducteurs rassemblés. Rosimond se souvient peut-être sur ce point du superlatif moliéresque: «tu vois en Don Juan mon Maître le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté» (Molière, I, 1, p. 850).

30 Encore une fois, Carrille reprend le discours de Sganarelle à Gusman: «si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir» (Molière, I, 1, p. 851).

31 Rosimond introduit ici, à travers la réaction de Leonor, la crainte de la punition divine, du châtiment qui pourrait s’abattre sur Dom Juan.

32 Carrille connaît bien l’incrédulité de son maître, et il en précise ici la portée. Sganarelle, un peu plus tard dans le Festin de Molière, posera des questions à Don Juan pour connaître ses «pensées à fond», sur sa croyance au Ciel, à l’enfer, au Diable (et au Moine bourru) (Molière, III, 1, p. 874-876).

33 L’attitude de Leonor est ici bien différente de celle d’Elvire: Leonor espère encore un changement dans le cœur de Dom Juan, tandis qu’Elvire a tout compris et devient la première victime (consciente) de l’hypocrisie de Don Juan (Molière, I, 3, p. 858-859).

34 L’idée du suicide, que conçoit ici Leonor, ne vient pas du Festin de Molière, où la solution prévue par Elvire est d’abord la vengeance («le même Ciel dont tu te joues, me saura venger de ta perfidie», I, 3, p. 858), ensuite sa retraite dans le couvent où elle a été enlevée par Don Juan: «ma retraite est résolue et je ne demande qu’assez de vie pour pouvoir expier la faute que j’ai faite» (IV, 6, p. 892). Dans L’Ateista fulminato, Leonora «in abito da penitente […] cade tramortita e spira» (Macchia, p. 207).

35 Carrille affirme ici la valeur de la vie. Il reviendra sur ce point à maintes reprises tout au long de la pièce.

36 Référence classique à la vertu de Lucrèce, qui, violée par Sextus Tarquin, fils du roi Tarquin le Superbe, se suicide; cet épisode aura pour conséquences la fin de la monarchie et la proclamation de la république à Rome. Cette allusion à Lucrèce, comme symbole de la chasteté, est très fréquente dans le discours littéraire du xviie siècle, parfois comme antonomase.

37 Carrille invite Leonor à entrer dans une autre pièce, pour assister en cachette à la scène suivante.

38 La Scène 2 fait aussi écho au Festin de Molière, notamment à la scène I, 2, qui met en présence Don Juan et Sganarelle. Par ailleurs, dans la première partie, Rosimond introduit des références aux antécédents empruntées surtout à Dorimond et à Villiers.

39 Dom Juan entre en scène, fier d’une aventure récente.

40 Cf. Molière, I, 2, p. 852: «Je vous dirai franchement, que je n’approuve point votre méthode, et que je trouve fort vilain d’aimer de tous côtés comme vous faites». Aux «amours», Rosimond ajoute les «crimes».

41 Rosimond fait ici un ajout par rapport à Molière: la mort du père de Dom Juan. Son nom n’est pas mentionné et il n’entre pas en scène, mais Carrille affirme qu’il vient de mourir à cause de son fils. Dans le Festin de Molière, le père de Don Juan (Don Louis) apparaît à la scène IV, 4 et il revient à la scène V, 1; il est victime de l’hypocrisie de Don Juan, mais il ne meurt pas. Rosimond se souvient ici des Festins de Dorimond et de Villiers (tous les deux voient en Don Juan un Fils criminel, comme le précise le sous-titre de l’édition lyonnaise de Dorimond et des éditions de Villiers). Dans les deux pièces, le père de Dom Juan s’appelle Dom Alvaros; dans le Festin de Dorimond, il est présent dans les scènes I, 4-5-6, il meurt à la fin de la scène I, 6: «Ouy, dieux, humains, demons, la mort a la puissance | De me donner sans vous une prompte allegeance» (v. 333-334); Briguelle le dit à Dom Jouan dans la scène III, 2: «Je fus surpris par une plainte extréme: | J’entendis dire, helas! Dom Alvaros est mort: | Son fils, son traistre fils, par un estrange sort, | En est l’infame autheur» (v. 746-749). Dans le Festin de Villiers, Dom Alvaros intervient dans les scènes I, 4-5, il invoque la mort à la fin de la scène I, 5; Philippin dit à D. Juan qu’il est mort dans la scène III, 2: «Oüy, vostre Pere, il est mort. | […] Accablé de douleurs, et l’esprit abbatu, | De vos crimes frequens dont il mouroit de honte, | Il est allé devant là bas en rendre conte» ( v. 769-771, p. 141).

42 Cf. Dorimond, III, 2, v. 774-785, p. 102-103: «Il m’irrita, Briguelle; il m’estoit trop severe. | J’eus tort de le fascher, mais que ne fait-on pas | Lorsqu’on est en colere? On ne se connoist pas. | […] Il ne seroit pas mort, s’il n’eust esté bizarre».

43 Après celle du père de Dom Juan, Carrille rappelle la mort du Commandeur. Comme les auteurs des pièces donjuanesques françaises, Rosimond l’appelle «Dom Pierre». À l’instar de Molière, Rosimond ne représente pas la mort du Commandeur sur la scène, mais la situe dans les antécédents (chez Molière, c’est Sganarelle qui déclare: «Et n’y craignez-vous rien, Monsieur, de la mort de ce Commandeur que vous tuâtes il y a six mois?», I, 2, p. 855). Dans les autres pièces de la tradition, le Commandeur est tué sur la scène.

44 Rosimond fait ici allusion à la fille du Commandeur, qui appartient – comme son père – aux antécédents de la pièce. Dans le Festin de Molière, cette fille est éliminée (cf. J. Rousset, p. 52-54). La mise en scène de la séduction de la fille du Commandeur, de l’intervention du père et de la mort de celui-ci est présente, par contre, dans toutes les autres pièces de la tradition. La fille du Commandeur est appelée Ana chez Tirso, Donna Anna dans les canevas italiens, Amarille chez Dorimond et chez Villiers. Rosimond ne précise pas ici son nom, il le fera un peu plus loin (v. 137): Oriane. Ce nom apparaissait déjà dans le Festin de Villiers, mais il désignait une jeune bergère.

45 Dans cette réplique, le Dom Juan de Rosimond théorise son ‘libertinage’: il méprise les catégories établies de bien et de mal et leur opposition conventionnelle. L’ardeur anime son action, les «sens» exercent leur pouvoir, la «nature» en définit la nécessité, ses «appétits» inspirent ses «caprices», il n’y a aucune différence pour lui entre les «vertus» et les «vices», le contentement des «désirs» est juste et se conforme à la «passion» et à la «possession» (cf. H. Busson, Le Rationalisme dans la littérature française de la Renaissance, Paris, Vrin, 1957; Id., La pensée religieuse française de Charron à Pascal, Paris, Vrin, 1933; Id., La religion des Classiques (1660-1685), Paris, Puf, 1948; R. Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du xviie siècle, Paris, Boivin, 1943). Dans le Festin de Molière, le contraste entre Sganarelle et Don Juan se situe plus loin (III, 1).

46 Dom Juan conclut l’exposé des fondements de son libertinage en faisant l’éloge du «crime», qui devient une «vertu» pour les «cœurs genereux».

47 Carrille, effrayé par le libertinage de Dom Juan, tente en vain de se séparer de son maître.

48 «une passe au colet»: une passe qui consiste à se saisir du corps de son ennemi (terme d’escrime); faire prisonnier quelqu’un. Carrille craint que «Dame Justice» condamne le valet comme le maître.

49 Le débat entre maître et valet s’arrête sur la volonté du maître de faire mourir le valet s’il le quitte, et sur la volonté du valet de «vivre». On rencontrera plusieurs oppositions de ce type dans la tragi-comédie de Rosimond.

50 Les propos se concentrent sur le nouvel amour de Dom Juan; cf. la scène I, 2 du Festin de Molière: «Il est question de te dire qu’une jeune beauté me tient au cœur, et qu’entraîné par ses appas, je l’ai suivie jusque dans cette Ville» (p. 855). Chez Molière et chez Rosimond, tout cela fait partie des antécédents.

51 Dom Juan affirme ici que, lassé de Leonor, il s’est employé à posséder la fille du Commandeur, dont le nom est ‘Oriane’. Dans la pièce de Molière la «jeune beauté» n’apparaît jamais et n’a pas de nom.

52 Il s’agit donc d’un viol commis par Dom Juan sur Oriane. Le problème du viol – tenté ou perpétré – sera particulièrement important dans le livret de Da Ponte, où le récit que fait Anna à Ottavio de l’agression qu’elle a subie laisse entendre que Don Giovanni n’est pas parvenu à ses fins: «Donna Anna. Al fine il duol, l’orrore | dell’infame attentato | accrebbe sì la lena mia, che a forza | di svincolarmi, torcermi e piegarmi | da lui mi sciolsi. Don Ottavio. Ohimè respiro!» (Scena XIII, p. 29).

53 Rosimond introduit ici un autre antécédent: l’assassinat du fiancé de la fille du Commandeur. Ce fiancé porte le nom d’Octavio chez Tirso, celui d’Ottavio dans les canevas italiens et Da Ponte, mais il ne meurt sous les coups de Don Juan dans aucune de ces œuvres. Dans le Festin de Dorimond et dans celui de Villiers il s’appelle Dom Philippe. C’est seulement dans le Festin de Villiers qu’il succombe, tué par Dom Juan («À l’aide, mes amis, au secours, je suis mort; | Adorable Amarille, helas! plaignez mon sort», III, 5, v. 985-986).

54 La pièce de Rosimond se déroule à Séville, où ont eu lieu les épisodes évoqués (la mort du père, l’outrage à la fille du Commandeur, la mort du Commandeur, la mort de Dom Bernard). Le voyage que Dom Juan envisage ici est dicté par la nécessité de «chercher azyle» après «tant de forfaits», et il projette de s’enfuir grâce à un «vaisseau». Ce passage correspond en partie au voyage de Naples à Séville évoqué dans le Burlador de Tirso, et repris dans les canevas italiens: Il Convitato di pietra, 24 canevas (Macchia, p. 219); Le Festin de Pierre de Biancolelli/Gueullette (Macchia, p. 236-237); Il Convitato di pietra de Cicognini: «Don Pietro […] parti da questo loco, fuggi da questa Reggia […] Don Giovanni. Ecco che, affidato dalle vostre parole, m’invito al partire» (Macchia, p. 257). Il est aussi question d’un voyage dans le Festin de Dorimond et dans le Festin de Villiers (entre le troisième et le quatrième acte). Dans la pièce de Molière, le voyage prévu par Don Juan est lié à la naissance d’un «nouvel amour» (I, 2, p. 852). Tous ces voyages se terminent par une bourrasque, le renversement de la barque et la rencontre de Don Juan avec Tisbea (Tirso), Rosalba (Cicognini), Amarante (Dorimond), les paysans Philemon et Macette (Villiers), Charlotte et Mathurine (Molière). Rosimond mêle toutes les sources: Dom Juan, après avoir rencontré Leonor, connaît ensuite – après la bourrasque – les deux paysannes Paquette et Thomasse.

55 Dom Juan ne s’attendait pas à rencontrer Leonor, et il s’étonne de la voir. Molière présente la rencontre entre Don Juan et Elvire de façon analogue: «Don Juan […] Ah, rencontre fâcheuse! traître, tu ne m’avais pas dit qu’elle était ici elle-même. Sganarelle. Monsieur, vous ne me l’aviez pas demandé» (I, 2, p. 856).

56 La Scène 3 montre au spectateur la rencontre entre Dom Juan et Leonor, en présence de Carrille. Elle rappelle la scène I, 3 du Festin de Molière, avec Don Juan et Elvire, en présence de Sganarelle.

57 Correction: l’édition signale ‘JUAM’.

58 Correction: nous ajoutons la virgule.

59 Cf. Molière, I, 3, p. 856: «Me feriez-vous la grâce, Don Juan, de vouloir bien me reconnaître, et puis-je au moins espérer que vous daigniez tourner le visage de ce côté?».

60 Les «sermens», déjà évoqués au début de la pièce (v. 4), deviennent à présent un leitmotiv de la Scène 3.

61 Correction: l’édition signale ‘LENNOR’.

62 Le mariage entre Leonor et Dom Juan est seulement une promesse; dans le Festin de Molière, le mariage entre Don Juan et Elvire avait déjà eu lieu.

63 Cet autoportrait de Dom Juan reprend dans les grandes lignes l’autoportrait que propose Molière dans la scène I, 2 du Festin, au cours d’un dialogue entre Don Juan et Sganarelle: «Quoi? tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne; […] toutes les belles ont droit de nous charmer […] on goûte une douceur extrême à reduire, par cent hommages, le cœur d’une jeune beauté, […] à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur, et à la mener doucement où nous avons envie de la faire venir; mais lorsqu’on est maître une fois, il n’y a plus rien à dire ni rien à souhaiter, tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête à faire» (I, 2, p. 852-853). Dans la réponse à Elvire, par contre, le Don Juan de Molière montre pour la première fois son hypocrisie: «il m’est venu des scrupules, Madame, et j’ai ouvert les yeux de l’âme sur ce que je faisois, j’ai fait réflexion que pour vous épouser je vous ai dérobée à la clôture d’un couvent […] Le repentir m’a pris, et j’ai craint le courroux celeste […]» (I, 3, p. 858). Le recours à l’hypocrisie dans le libertinage existe aussi dans la pièce de Rosimond, mais pas ici.

64 Rosimond introduit ici un élément nouveau: Dom Juan conseille à Leonor d’avoir «recours au change», autrement dit de changer d’amant elle aussi.

65 Leonor en appelle aux Dieux pour qu’ils la vengent, en prenant son parti; cf. Molière, I, 3, p. 858: «mais sache que ton crime ne demeurera pas impuni, et que le même Ciel dont tu te joues, me saura venger de ta perfidie».

66 La présence de Leonor sur la scène s’arrête ici. Dans la pièce de Molière, Elvire apparaît une deuxième fois au quatrième acte, pour conjurer Don Juan de penser à son salut (IV, 6), avant la deuxième rencontre avec la Statue.

67 La Scène 4 est une scène de transition: Leonor vient de partir et les deux amis de Dom Juan vont arriver. Dom Juan s’entretient avec Carrille, qui lui reproche sa conduite. Cf. Molière, I, 3, p. 859: «Dom Juan. Allons songer à l’exécution de notre entreprise amoureuse. Sganarelle. Ah! quel abominable Maître me vois-je obligé de servir».

68 Correction: l’édition signale ‘CARRILLE’.

69 Ici commence la partie ajoutée par Rosimond: le libertin Dom Juan est multiplié par trois.

70 Les deux amis de Dom Juan seront repris par Thomas Shadwell sous les noms de Don Antonio et Don Lopez, dans The Libertine (1676).

71 Dès le début, Rosimond met en évidence une différence entre Dom Juan et ses amis débauchés: Carrille attribue l’«habitude aux crimes» de Dom Juan à l’influence négative exercée sur lui par les deux amis. Ceci va expliquer la différence entre le châtiment infligé par l’Ombre aux deux amis et celui infligé à Dom Juan.

72 À partir de la Scène 5 entrent en scène Dom Lope et Dom Felix. Les propos tenus par les deux amis sur leur conduite libertine permettent à Rosimond d’introduire ici le thème de l’hypocrisie.

73 Dom Lope et Dom Felix commencent à se différencier dans leur façon de se «gouverner», pour goûter «les plaisirs de la vie».

74 Dom Lope aborde le thème de l’hypocrisie. Rosimond se souvient du Don Juan de Molière, mais aussi de la querelle de Tartuffe: «Mais les Gens comme nous, brûlent d’un feu discret, | Avec qui pour toujours on est sûr du secret. | […] Et c’est en nous qu’on trouve, acceptant notre cœur, | De l’amour sans scandale, et du plaisir sans peur» (Tartuffe, III, 3, v. 995-1000, dans Œuvres complètes, éd. Forestier, II, p. 148).

75 Dom Felix s’oppose à Dom Lope; selon lui, pour jouir des plaisirs, il faut qu’ils fassent «quelque bruit», il faut «les faire voir», sinon on les désavoue.

76 Dom Juan, après avoir écouté les propos de chacun de ses deux amis sur le style de vie qu’ils préconisent, accepte le recours à l’hypocrisie, en reconnaissant qu’elle est devenue une habitude dans le «siecle où nous sommes». Ce passage reprend la réflexion du Don Juan de Molière, après la rencontre avec son père où il a joué l’hypocrite (V, 2, p. 897-898). Ce passage de la tragi-comédie de Rosimond (v. 258-268) est reproduit dans Le mythe de Don Juan de J. Rousset (p. 211).

77 Cf. Molière, V, 2, p. 897: «l’hypocrisie est un vice privilégié qui de sa main ferme la bouche à tout le monde».

78 Cf. Molière, V, 2, p. 897-898: «dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu je ne pardonnerai jamais […] je pousserai mes ennemis […] et je saurai déchaîner contre eux des Zélés indiscrets qui sans connaissance de cause crieront en public après eux».

79 Dom Juan finit par accepter les pratiques différentes soutenues par ses deux amis, car c’est «l’occasion» qui lui suggère la conduite à adopter.

80 Dom Felix admet à la fin la possibilité d’adapter son comportement aux circonstances. Le débat sur l’hypocrisie en elle-même ne se concrétise jamais.

81 La dernière scène du premier acte est une scène comique, où ressort la peur de Carrille, qui – une fois de plus – voudrait quitter Dom Juan et ses amis. Cette fois, l’accent est mis sur le tiraillement entre Carrille et Dom Lope et Dom Felix, mais c’est Dom Juan qui intervient à la fin. En maître arrogant, il menace violemment son valet et l’oblige à le suivre.

82 Correction: nous ajoutons la virgule.

83 Dans le Festin de Molière, Sganarelle ne craignait pas les dangers de la mer comme le fait Carrille.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.