L’expérience du merveilleux poétique: la bibliothèque précolombienne de Benjamin Péret1
p. 368-380
Texte intégral
1Entrons dans la bibliothèque de Benjamin Péret. Ce n’est pas une bibliothèque exubérante, bien au contraire: ses voyages, l’exil et sa vie précaire l’empêchèrent de conserver les livres qu’il posséda tout au long de sa vie. Sa bibliothèque ne peut être reconstituée que partiellement à partir des archives et des bibliographies de ses deux anthologies2. Ayant vécu la plupart du temps avec le strict minimum, Péret a laissé très peu de traces matérielles de son passage sur terre. L’inventaire de ses biens fait par Jean-Pierre Lassalle en témoigne: un lit, une table, deux chaises, un classeur, une armoire à pharmacie, un coffre, quelques ustensiles de ménage, une dizaine de tableaux et deux cents cinquante livres environ3.
2Pour autant, cette petite bibliothèque personnelle abrite quelques trésors: des ouvrages écrits par ses amis surréalistes – dont certains dédicacés par Antonin Artaud, André Breton, Pierre Mabille et Octavio Paz, entre autres4; une dizaine de ses propres publications; ainsi que de nombreux livres et revues sur les mythes et les civilisations des Amériques, sujet qui l’occupa de son exil au Mexique à sa mort5.
3La modeste bibliothèque de Benjamin Péret possède en outre des passages secrets. À la manière de la Bibliothèque de Babel de Borges, les anthologies de Péret sont des miroirs qui reflètent d’autres bibliothèques qu’il constitue progressivement, des bibliothèques virtuelles6 proposant une configuration significative du thème qu’elles recouvrent. Lecteur avide, Benjamin Péret consacrait beaucoup de temps à la recherche bibliographique. Dans ce cadre, l’anthologie était pour lui un exercice littéraire privilégié: au-delà de l’Anthologie de l’Amour sublime parue en 1956 et de l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, publiée en 1960, il eut le projet d’une «anthologie internationale de l’athéisme»7 qui ne fut pas menée à terme.
4Les anthologies de Péret ordonnent et donnent sens aux fragments, offrant tout à la fois une collection de textes et un parti pris poétique. De la même manière que l’Anthologie de l’humour noir de Breton, l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique fonctionne métaphoriquement8 comme une bibliothèque portable. Or ces anthologies surréalistes permettent de constituer une archéologie du mouvement: en remontant jusqu’aux temps précolombiens, Péret rapproche la création surréaliste de celle des anciennes civilisations du continent américain à travers l’expérience de ce qu’il appelle le merveilleux poétique.
5Mais comme Breton dans son Anthologie de l’humour noir, Péret se garde de donner une définition du sujet traité:
On attend sans doute que je définisse ici le merveilleux poétique. Je m’en garderais bien. Il est d’une nature lumineuse qui ne souffre pas la concurrence du soleil: il dissipe les ténèbres et le soleil ternit son éclat. Le dictionnaire, bien sûr, se borne à en donner une étymologie sèche où le merveilleux se reconnaît aussi mal qu’une orchidée conservée dans un herbier. J’essayerai seulement de le suggérer9.
6Loin des dictionnaires comme des herbiers desséchés, le merveilleux poétique se caractérise par la vie et la lumière. Plutôt que de le définir, Péret propose au lecteur d’en faire l’expérience. C’est ainsi qu’après le passage cité, il expose dans son introduction l’image de la poupée katchina, métaphore de l’imagination sans limites à laquelle on accède par cette expérience. Le merveilleux poétique nous est offert comme un espace à explorer: de la même manière que la tête-château de la poupée, il s’agit d’un lieu organique où jaillit la poésie. Péret nous invite donc à parcourir les mythes, légendes et contes de son anthologie, pour pénétrer l’imaginaire des anciennes civilisations des Amériques:
C’est dans ce château que je vais essayer de pénétrer. Il n’y a pas de porte et ses murailles ont l’épaisseur de mille siècles. Il n’est pas en ruines comme on serait tenté de le croire10.
7Derrière ces murailles, les mythes, légendes et contes s’érigent en espaces poétiques où les hommes d’une autre époque ont donné libre cours à leur imagination. C’est pourquoi Péret affirme:
L’oiseau vole, le poisson nage et l’homme invente car seul dans la nature, il est doté d’une imagination toujours aux aguets, toujours stimulée par une nécessité sans cesse renouvelée11.
8Cette «nécessité» transparaît dans les textes comme dans la structure de l’anthologie. L’invention poétique issue de la pensée mythique des civilisations précolombiennes se renouvelle dans la succession des différentes versions du récit des origines. Si pour Borges «Ordonner une bibliothèque est une façon silencieuse d’exercer l’art de la critique»12, Péret expose sa vision du merveilleux poétique à travers le choix et l’ordre des textes de son anthologie. Il ne regroupe les récits ni chronologiquement ni géographiquement, mais les réunit par thèmes poétiques qui construisent la table des matières sur le modèle d’une cosmogonie:
I. La vie du Ciel II. L’Homme sur la terre III. L’entourage de l’homme IV. Les Fléaux V. Le Cycle des héros VI. Naissance des dieux VII. Les épopées VIII. Le Miracle des découvertes IX. Comment connaître et servir les divinités X. Les Temps merveilleux et ceux qui les vécurent.
9Cependant il ne s’agit pas d’une seule cosmogonie: le corpus juxtapose différents mythes de l’homme précolombien. Ce sont des textes génésiques qui donnent plusieurs versions de l’invention des choses, et dans lesquels l’homme «transpose l’univers en un monde de signes et de symboles qui établissent un lien entre lui et les puissances inconnues qu’il veut se concilier»13. À travers ces chapitres, Péret compose une cosmogonie polyphonique. Si la table de matières donne l’illusion d’une continuité unitaire, la pluralité des voix que l’on trouve au fil des textes accentue au contraire le caractère surréaliste et polysémique de l’ensemble. La lecture des mythes précolombiens montre l’«usage surréaliste» du langage à travers «l’illumination inconsciente»14. L’homme précolombien est aux yeux de Péret proche du merveilleux poétique car «la poésie s’exprime en premier lieu par le mythe qui contient sous une forme symbolique toute la connaissance de l’humanité à l’époque de la création»15.
10Dans le premier chapitre de l’anthologie, «La vie du Ciel», Péret regroupe des textes dans lesquels les éléments célestes sont personnifiés, comme en témoigne par exemple le premier récit du recueil, intitulé «Le soleil monte au Ciel»: «Le soleil est un homme. Il avait de nombreuses femmes de la famille des grenouilles quant à leur aspect»16. Mais dans les récits suivants, le soleil est corbeau, coyote, enfant et ad infinitum, jouant de la profondeur du signe poétique. En 1952 Péret écrit le poème Air mexicain en exploitant également la sémantique du soleil. Symbole par excellence des anciennes civilisations du Mexique, l’astre du jour est une des images privilégiées de ce texte. Invoqué dès le début, l’élément feu devient soleil; or les nahuas comptaient leurs ères en soleils, c’est-à-dire des périodes de 676, 364 ou 312 ans – multiples de 52 ans, la durée d’un siècle aztèque17. Ce poème épique retrace le mouvement des quatre soleils qui précédent notre époque – le cinquième soleil selon le calendrier aztèque, à travers les différents mythes de cette culture; il évoque également des événements politiques plus récents du Mexique, tels que la conquête espagnole, le rôle de l’Inquisition face aux peuples indigènes, l’indépendance et la révolution, les inscrivant ainsi dans un temps mythique.
11Les surréalistes aspirent à une sorte d’âge d’or: ce temps de création mythique et de prospérité de l’antiquité grecque qui consisterait à réinventer les mythes par «l’aspiration au bonheur»18. C’est ainsi que Luis Buñuel immortalisa cette volonté dans le titre de son film L’Âge d’or19, que Breton commente ainsi:
Ce film demeure, à ce jour, la seule entreprise d’exaltation de l’amour total tel que je l’envisage […]. Dans un tel amour existe bien en puissance un véritable âge d’or en rupture complète avec l’âge de boue que traverse l’Europe et d’une richesse inépuisable en possibilités futures20.
12Par la réinvention des mythes, le surréalisme propose ainsi la reconstruction d’une mémoire collective, alternative aux visions bourgeoises et colonialistes traditionnelles de l’époque.
13Pour Benjamin Péret la poésie est essentielle aux récits des origines car «l’homme naît poète, les enfants en témoignent»21. Il s’amuse ainsi à faire un collage de récits qui défient réalité et dogmes et mettent en valeur l’éclat poétique de la pensée mythique des peuples de l’Amérique. Or il propose ces textes non pas comme des objets à interpréter par un ethnologue, mais plutôt comme matière surréaliste prête à dévoiler la vie:
Le merveilleux, je le répète, est partout, de tous les temps, de tous les instants. C’est, ce devrait être, la vie elle-même, à condition de ne pas rendre cette vie délibérément sordide comme s’y ingénie cette société avec son école, sa religion, ses tribunaux, ses guerres, ses occupations et libérations, ses camps de concentration et son horrible misère matérielle et intellectuelle22.
14En proposant de dépasser les limitations du monde occidental, Péret ouvre l’accès à une source d’inspiration infinie, similaire à celle de l’automatisme, dont il se sert régulièrement pour créer des textes pleins de lumière comme Air mexicain ou encore Histoire naturelle. Dans ce dernier, il n’hésite pas à donner un ton mythique à son récit, à personnifier les éléments et les objets qui jouissent d’une vie. De leur rencontre et de leur interaction surgissent ainsi d’autres éléments:
L’air, à son état normal, sécrète constamment du poivre qui fait éternuer la terre. Au niveau du sol, le poivre se condense jusqu’à donner la bagatelle, l’été et le journal, l’hiver23.
15L’origine des choses s’avère le produit du hasard objectif, concept théorisé par les surréalistes et en particulier par Breton au cours des années 1930, et favorable au processus créatif. L’extrait que nous venons de citer, si on le compare au récit Va-et-vient entre la terre et le ciel des Indiens Bororos, montre un procédé narratif similaire au fonctionnement du hasard objectif, dans la mesure où les éléments se rencontrent de manière arbitraire, se métamorphosent et relèvent ainsi d’une pure poésie surréaliste:
Le vent est le faucon, l’éclair est le tabac, qui au moment d’être mis dans un vase, éclate et produit le tonnerre et du feu quand le sorcier prend du tabac24.
16Le projet de l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique remonte à 194225: nombreuses sont les allusions à l’écriture de l’anthologie dans la correspondance de Péret. Lorsqu’il mentionne l’anthologie pour la première fois à André Breton26, il explique que le fil conducteur de son organisation sera le merveilleux poétique, mais l’élaboration de l’anthologie puis la guerre l’amènent à modifier sa vision du mouvement: «Je suis persuadé également qu’il va falloir abandonner beaucoup du surréalisme, presque tout sans doute»27. En revanche, il veut garder le merveilleux comme point de départ. Il précise qu’il s’agit d’un «merveilleux qui exprime et transfigure notre époque»28. Une première partie de l’introduction à son anthologie avait été publiée à Mexico en 1942 puis à New York en 1943, sous le titre La parole est à Péret. Ce texte est non seulement un pamphlet contre la poésie de circonstance, mais aussi un manifeste en faveur du merveilleux poétique, par l’exploration de la pensée mythique. C’est que le mythe pour Péret «préfigure la science, la philosophie et constitue à la fois le premier état de la poésie et l’axe autour duquel elle continue de tourner à une vitesse indéfiniment accélérée»29. Signé par André Breton, Marcel Duchamp, Max Ernst, René Magritte et Leonora Carrington entre autres, ce petit manifeste contient des attaques contre Aragon, Éluard et les poètes de la brochure L’Honneur des Poètes30. De même, avec Le Déshonneur des poètes, Péret exalte la poésie en la débarrassant de toute propagande:
De tout poème authentique s’échappe un souffle de liberté entière et agissante, même si cette liberté n’est pas évoquée sous son aspect politique et social, et par là, contribue à la libération effective de l’homme31.
17Les ouvrages ayant servi à préparer l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, que la bibliographie de Péret ramène à quatre-vingt six livres et huit revues, sont écrits en cinq langues: espagnol, français, portugais, anglais et allemand, ce qui suppose un travail considérable de traduction32. Auparavant, dans sa version de Chilám Balám de Chumayel33, Péret avait déjà montré son goût pour la traduction. À l’intérieur de sa bibliothèque, ce livre constitue en soi une petite bibliothèque: il contient des traités d’histoire, des mythes et des prophéties des mayas. Il existe plusieurs livres de Chilám Balám, vestiges du patrimoine oral de la culture maya. Dans l’introduction à sa traduction du Chilám Balám de Chumayel, Péret explique qu’il choisit celui-ci parmi les autres Chilám Balám existants, en raison de son caractère poétique:
Cependant, personne, sauf Mediz Bolio, n’a voulu considérer le Livre de Chilám Balám pour ce qu’il était à une époque où la pensée mythique dominait la vie tout entière, pour un poème épique et ésotérique sans autre équivalent en Amérique que le Popol Vuh, le livre sacré des Mayas guatémaltèques du groupe queché. C’est pourquoi je l’ai traduit de préférence à des œuvres peut-être plus importantes sur un autre plan que celui de la poésie. C’était cependant la texture même de la pensée de ce peuple en contact permanent et sensible avec la nature qu’il avait divinisée34.
18Les Chilám Balám sont des livres sacrés, appelés ainsi d’après le Prêtre Jaguar, le dernier prophète de cette civilisation et dont le titre tout à fait polysémique signifie aussi interprète des dieux35. Péret traduit dans son introduction ce nom par «sorcier interprète»36; en effet, prêtre, jaguar et sorcier se désignent par le vocable maya balám. La formule de Péret est en cohérence avec ce qu’il affirme dans son introduction à l’anthologie: «Voici les premiers mythes, les premiers poèmes de ces lointaines époques où les hommes sont tous plus ou moins sorciers, c’est-à-dire poètes et artistes»37. En transmettant la pensée mythique des peuples précolombiens par son anthologie, Péret devient lui-même sorcier interprète parmi les surréalistes et réalise la première version française du Chilám Balám de Chumayel. Salué dans l’Almanach surréaliste du demi-siècle, un fragment du Chilám Balám y est aussi reproduit; il s’agit du même extrait que dans l’anthologie, si ce n’est qu’il est plus long d’une vingtaine de lignes. Georges Raynaud, qui figure aussi dans la bibliothèque de Péret avec sa version du Popol Vuh intitulée le Livre du conseil, Les Dieux, Les héros et les hommes de l’ancien Guatemala, se plaint dans son introduction du manque des traductions françaises des Chilám Balám38. Paru en 1925 et mentionné aussi dans l’Almanach surréaliste du demi-siècle, le livre de Reynaud est une des sources les plus fréquentes de l’anthologie de Péret.
19La texture de la pensée des premiers peuples des Amériques apparaît dans les dix chapitres de l’anthologie; plus d’une centaine de textes sur une cinquantaine de tribus du continent américain montrent cette sensibilité poétique des mythes. Pourtant Péret ne prétend pas à l’exhaustivité:
Cette anthologie n’a nullement l’ambition de représenter dans sa totalité la production littéraire, primitive et populaire, des peuples américains depuis les temps précolombiens jusqu’à nos jours. Elle veut seulement offrir une image aussi saisissante que possible de l’œuvre poétique de ces peuples en révélant les textes les plus caractéristiques dispersés dans les chroniques des conquérants, voyageurs et missionnaires d’une part, dans les travaux des folkloristes d’autre part. Toute intention d’empiéter sur le domaine de l’ethnographie en est absente puisque seul un critère poétique a présidé au choix des textes qui composent cet ouvrage, et ce mode de sélection ne peut être qu’arbitraire du point de vue de toute science39.
20Parmi ces chroniques et travaux, l’une des œuvres privilégiées par Péret est celle de Knud Rasmussen, en particulier avec Report of the fifth Thule expédition (1927) et Du Groenland au Pacifique (1929). De ces deux livres, neuf extraits sont retenus pour l’anthologie: «L’origine terrestre du soleil, de la lune et des étoiles», «Les trois mondes», «L’homme devient femme», «Le séducteur», «La neige qui brûle», «L’invention de la magie», «Les chants et les fêtes», «La reine de la mer» et «Les corbeaux de mer»; autant de titres qui comportent un germe surréaliste et démontrent que Péret ne se limite pas aux mythes du continent sudaméricain. La récurrence de cet auteur dans l’anthologie de Péret est le signe d’un grand respect pour ce pionnier de l’ethnologie esquimaude: plus qu’en simple explorateur, Rasmussen partage la vie de ces peuples et pénètre leur pensée, c’est pourquoi il a été appelé «le premier homme blanc qui était aussi un esquimau»40. De même, l’Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne de Bernardino de Sahagún est la source de six récits nahuas présentés dans l’anthologie de Péret; toute la finesse et la complexité de cette œuvre vient du fait que Sahagún maîtrise la langue nahuatl à tel point qu’il l’a utilisée pour écrire son ouvrage historique. Dans son introduction à la version utilisée par Péret, R. Siméon remarque le mérite du missionnaire qui propose le «récit des choses intimes des Indiens de la Nouvelle-Espagne»41. Ces œuvres illustrent la texture et l’expérimentation profonde de la pensée de ces peuples, autant qu’elles justifient le critère de poéticité que Péret a retenu pour composer son anthologie.
21L’objectif de cette anthologie conduit Péret à constituer progressivement une importante bibliothèque précolombienne comportant à la fois les ouvrages qu’il cite dans sa bibliographie et les œuvres qu’il écrit lui-même à partir de ce matériau. À ces livres s’ajoutent des articles qu’il publie dans diverses revues en France et à l’étranger. Cette production recouvre plusieurs sortes d’exercices littéraires dont la source tient à la mythologie précolombienne: il s’agit de traductions, de poésies et d’articles. Néanmoins, d’autres documents plus difficiles à classer prennent place dans cette bibliothèque, comme le commentaire du film réalisé par Michel Zimbacca et Jean-Louis Bédouin en 1952, L’Invention du monde. Dans ce beau texte, le lien entre l’athéisme de Péret et sa passion pour les mythes primitifs est ainsi exposé: «Ils ont compris qu’en eux réside le dieu de la génération, que ce dieu n’est autre qu’eux-mêmes et tantôt s’infiltre par leurs cinq sens, et tantôt s’en élance»42.
22Parmi ces raretés se trouve également la traduction par Péret du poème Piedra del Sol d’Octavio Paz, texte contemporain qui explore à son tour le merveilleux poétique par une sorte d’osmose que le poète crée en usant de nombreuses références à la culture nahua et en les ancrant dans le temps présent.
23La bibliothèque de Benjamin Péret s’ouvre en somme comme un espace magique dont il est difficile d’épuiser tous les secrets. En faisant entendre la voix des mythes précolombiens, Péret inscrit le merveilleux poétique des mythes, des légendes et des contes ancestraux dans le surréalisme et montre combien la poésie est accessible à tous: «Aucun peuple au monde, aussi primitif soit-il, ne vit sans poésie, car la poésie est le mode naturel de pensée de toute l’humanité»43. Les voix de cette pensée mythique nous font pénétrer dans le merveilleux poétique, qu’il s’agit d’expérimenter et de vivre, comme Péret ne cesse de le dire dans son introduction à l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique:
Depuis le romantisme, ses murs écroulés se sont redressés, reconstitués comme le rubis, mais aussi durs que cette gemme, ils ont maintenant que je les heurte de la tête, toute sa limpidité. Voici qu’ils s’écartent comme les hautes herbes au passage d’un fauve prudent, voici que par un phénomène d’osmose, je suis à l’intérieur, dégageant des lueurs d’aurore boréale44.
Notes de bas de page
1 Une première version de cet article est parue dans les «Cahiers Benjamin Péret», n. 4, septembre 2015.
2 Les archives de Benjamin Péret sont conservées principalement à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet.
3 Inventaire des meubles, livres et tableaux ayant appartenu à Benjamin Péret, fait par J.-P. Lassalle muni de la procuration d’André Breton, le 3 mai 1960. Un original du dit document se trouve à l’Imec dans le fonds Jean-Louis Bédouin, ce dernier ayant été le locataire principal du dernier domicile de Péret.
4 Pour avoir un aperçu du goût des surréalistes pour les dédicaces, voir B. Péret, La Légende des minutes, éd. Dominique Rabourdin, Villeurbanne, Urdla, 2015. Dans cette publication, D. Rabourdin présente un choix d’envois de Péret à ses amis, ainsi qu’un épilogue comportant des dédicaces de Breton à Péret, dont celle qui donne le titre au recueil.
5 Péret s’exile au Mexique en décembre 1941 et revient en France en 1948. Il décède le 18 septembre 1959, et son anthologie sur les mythes sera publiée de manière posthume en 1960.
6 Voir D. Alexandre (éd.), L’Anthologie d’écrivain comme histoire littéraire, Berne, Peter Lang, 2011.
7 Dans une lettre du 3 novembre 1935 à Chiruu Yamanaka, Péret enquête sur l’existence des textes japonais sur le sujet. Voir B. Péret, Œuvres complètes, éditées par les Amis de Benjamin Péret, tome 7, Paris, José Corti, 1995, p. 336.
8 «On connaît les modèles métaphoriques qui servent à penser l’anthologie comme collection objectivement mise en scène: la bibliothèque et le musée. Ces modèles insistent à la fois sur un agencement et un espacement des œuvres choisies, sur une scénographie de leur réunion, davantage sensible dans le modèle dynamique du musée» (É. Frémond, L’Anthologie surréaliste ou la collection dédaigneuse, dans L’Anthologie d’écrivain comme histoire littéraire cit., p. 179).
9 B. Péret, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Paris, Albin Michel, 1960, p. 14.
10 Ibidem, p. 15.
11 Ibidem, p. 10.
12 J.L. Borges, citation issue de Leçon sur la création poétique, propos tenu au Collège de France en janvier 1983, conférence filmée, disponible aux archives vidéo de l’Institut National de l’Audiovisuel.
13 B. Péret, commentaire au film L’Invention du monde, dans Œuvres complètes, tome 6, Paris, José Corti, 1992, p. 284.
14 B. Péret, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique cit., p. 13.
15 Id., Trajectoire de la poésie, schéma d’une série de 4 conférences sur la poésie. Lettre de Benjamin Péret à Eugenio Granell, Rio, 29 novembre 1955, parue dans Cahiers Benjamin Péret, n. 3, septembre 2014, pp. 52-73.
16 Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique cit., p. 41.
17 Voir J.-M. Debenedetti À propos d’“Air Mexicain”, dans J.-M. Goutier, Benjamin Péret, Paris, Henri Veyrier, 1982, pp. 13-146. Pour des explications détaillées sur le calcul du temps chez les Aztèques, voir J. Soustelle, L’Univers des Aztèques, Paris, Hermann, 1979.
18 B. Péret, Anthologie de l’amour sublime, Paris, Albin Michel, 1956, p. 21.
19 Sorti le 28 novembre 1930 et fruit d’une collaboration avec Dalí, L’Âge d’or fut censuré peu après sa sortie.
20 A. Breton, L’Amour fou [1937], dans Œuvres complètes, t. 2, Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1992, p. 746.
21 B. Péret, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique cit., p. 23.
22 Ibidem, p. 16.
23 Id., Histoire Naturelle, dans Œuvres complètes, t. 5, Paris, José Corti, 1989, p. 219.
24 Va-et-vient entre la terre et le ciel, dans B. Péret, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique cit., p. 71.
25 Lettre de Péret à Breton, envoyée de Mexico le 12 janvier 1942, conservée dans le fonds Breton de la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet (BRT C 1355).
26 Ibidem.
27 Ibidem.
28 Ibidem.
29 Id., Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique cit., p. 9.
30 Recueil édité par les Éditions de Minuit en 1943 dans le contexte de la Résistance.
31 Le Déshonneur des poètes accompagne une première version de l’introduction à l’anthologie sous le titre La parole est à Péret, Éditions surréalistes, New York, 1943. Pour plus de détails sur les publications de Péret – éditions, illustrations, exemplaires et dédicaces, se référer à la bibliographie de D. Rabourdin, dans La légende des minutes cit., pp. 176-187.
32 Ce travail a dû être fait en collaboration avec des amis car Péret connaît mal l’anglais et l’allemand: voir la lettre de Péret à Mabille du 27 août 1942, «Cahiers Benjamin Péret», n. 3, septembre 2014, pp. 52-73.
33 Livre de Chilam Balam de Chumayel, traduit et préfacé par Benjamin Péret, Paris, Éditions Denoël, 1955.
34 Ibidem, p. 17.
35 R.L. Roys (éd.), The book of Chilam Balam of Chumayel, Washington D.C., Carnegie Institution, 1933, p. 11.
36 Introduction au Livre de Chilám Balám de Chumayel cit., p. 9.
37 B. Péret, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique cit., p. 24.
38 G. Raynaud, Livre du conseil, Les Dieux, Les héros et les hommes de l’ancien Guatemala, Paris, Ernest Leroux, 1925, p. vii.
39 B. Péret, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique cit., p. 9.
40 Introduction de Terrence Cole à K. Rasmussen, Across Arctic America: Narrative of the Fifth Thule Expedition, Fairbanks, University of Alaska Press, «Classic Reprint Series», 1999, p. 9.
41 Introduction à B. de Sahagún, Histoire générale des choses de la Nouvelle-Espagne, traduit et annoté par D. Jourdanet et R. Siméon, Paris, Masson, 1880, p. vii.
42 Commentaire au film L’Invention du monde cit., dans Œuvres Complètes cit., t. 6, p. 289.
43 B. Péret, Souvenir du futur, dans Œuvres Complètes cit., t. 6, p. 199.
44 Id., Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique cit., p. 15.

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