L’hypothèse du « roman-exposition »
p. 327-345
Résumé
Cet article part d’un constat : soit un nombre exponentiel de romans, de récits fictionnels, voire de simples incipits écrits, publiés, exposés à l’intérieur du champ de l’art contemporain. Cette production certes inégale, très variable dans ses formes et ses modes, de textes narratifs en dehors du champ de la littérature instituée, je propose de la regrouper sous le terme de « roman-exposition », emprunté au sous-titre générique d’un texte de deux commissaires d’exposition, « The Hidden Mother » d’Estelle Benazet et Sinziana Ravini. M’interrogeant sur cette notion et sur l’idée du roman-exposition comme un genre littéraire, il s’agira également de questionner sous cet angle des écritures narratives contemporaines (Nathalie Léger, Cécile Wasjrbot, Olivier Cadiot).
Texte intégral
L’art de l’exposition
1En 2004, pour introduire un colloque au Centre Pompidou intitulé « Exposer : quelle histoire ?! », la philosophe Catherine Perret avait eu ce mot-manifeste : « L’art de l’exposition », dont les origines remontent au début du XIXe siècle et qui s’intensifie à la fin du XIXe siècle, avec la libéralisation du marché de l’art et le développement d’expositions personnelles dans les galeries, « a récemment atteint son ‘âge de raison’ : il est entré dans une période réflexive, comme le montrent non seulement la multiplication des discours ‘sur’ l’exposition voire leur épistémologisation académique »1, allusion à l’intérêt croissant et relativement récent, une quinzaine d’années, des historiens d’art pour une histoire de l’exposition2. Il s’agirait donc pour nous d’élargir et d’ouvrir l’étude des relations entre la littérature et les arts à cet art spécifique de l’exposition. Dans cette perspective, l’exposition ne doit donc pas seulement être considérée comme une simple manifestation culturelle, comme un cadre artistique où se déploient des œuvres singulières, mais elle doit nous apparaître dans son ensemble comme une forme à part entière, « comme un langage » selon le mot du commissaire d’exposition Eric Troncy. Encore récemment, le curateur italien Germano Celant faisait ce constat : l’analyse de l’art moderne s’est essentiellement faite par l’étude des œuvres singulières, qui peuvent aller de l’objet à l’environnement, beaucoup moins par l’étude des interrelations entres les œuvres exposées dans un contexte donné. Mais, dit Celant :
Il est temps, de rappeler cet élément relationnel fondamental que l’historien d’art Terry Smith appelle « la mise en exposition » [« The exhibition setting »] dans lequel la signification peut être trouvée non seulement dans un artefact isolé, mais aussi dans un processus de montage et d’arrangement, dans le dialogue et la connexion entre divers objets d’art au sein d’un espace spécifique3.
2D’autres phénomènes soutiennent cette conscientisation renforcée de l’art de l’exposition, et notamment tout un jeu de rencontres, d’échanges et d’adaptations réciproques entre le roman et l’exposition. Signalons le nombre croissant d’expositions adaptées de romans : « L’île de Morel » inspirée du roman de Bioy Casarès, le « Voyage intérieur » adapté de A Rebours de Huysmans, ou l’an dernier au Consortium de Dijon, l’exposition intitulée « Le Monde comme volonté et comme papier peint » adaptée de La Carte et le Territoire de Michel Houellebecq.
3Comme l’adaptation cinématographique a permis au cinéma d’explorer la spécificité de son médium, ces « adaptations expositionnelles » participent elles aussi à la définition d’un art de l’exposition ; pour autant, elles s’écartent du régime binaire de l’adaptation cinématographique et ouvrent de nouveaux circuits trans- et intermédiaux. Ce d’autant plus que l’exposition est elle-même un intermedium, selon l’expression de Dick Higgins : non seulement elle peut mélanger peintures, sculptures, vidéos, texte et installations, mais surtout l’art de l’exposition est ce jeu subtil qui s’effectue entre les œuvres, dans leur disposition, leur display. C’est un réseau ouvert de relations, de rapports établis entre les œuvres, le public et le site. Et c’est par cet agencement d’œuvres disparates et de médiums variés que l’exposition s’essaie, parfois, à construire un récit spatialisé.
4Face à ces expositions adaptées, on assiste également dans le champ de l’art à une production importante de romans, de récits écrits, publiés, parfois même exposés, en relation avec l’exposition. Il y a là, en dehors de la littérature instituée et en marge des circuits traditionnels de l’édition, toute une production de textes narratifs certes inégaux, très variables dans leurs formes et dans leurs modalités de publication. Un premier trait particulier de ces textes, c’est qu’ils ne comportent pas forcément d’images, et encore moins des images des œuvres exposées dans les salles. Le « roman-exposition » n’en est donc pas le catalogue, il prend une autre voie. Ce sont des adaptations plus ou moins libres, des novellisations4 non pas de films, mais d’expositions. Réversibilité intermédiale : à la mise en exposition (« exhibition setting ») d’un récit antérieur, d’un roman adapté ou d’un script invisible, correspond ici la mise en roman, la mise en récit, la mise en texte d’une exposition donnée ou en cours de constitution.
5Cette réversibilité apparaît dans la terminologie proposée par une jeune commissaire d’exposition, Sinziana Ravini, qui revendique l’organisation d’« expositions-roman » et l’écriture parallèle de « roman-exposition »5. Il se manifeste là une rencontre, une congruence forte entre l’exposition et le roman, ou plus largement le récit littéraire. D’où cette question qui fait retour vers des textes narratifs actuels : dans quelle mesure cette rencontre se joue-t-elle aussi dans le champ de la littérature instituée ? Et comment la littérature française, invitée au bal intermédial des arts, flirte-t-elle aussi avec l’art de l’exposition ?
6Avant d’explorer plus avant cette relation, on se permettra de signaler un exemple spectaculaire donné à cette congruence par un écrivain étranger, le romancier turc Orhan Pamuk, accessoirement prix Nobel de Littérature. Sous le titre « Le Musée de l’Innocence », Orhan Pamuk a créé trois œuvres concomitantes et liées les unes aux autres dans un seul et même projet : un roman, fluide et classique racontant une histoire d’amour dans l’Istanbul des années 60. Mais aussi un musée, entièrement consacré à cette fiction, ce qui est un cas assez rare de maisons d’écrivain : située dans le quartier occidental de Beyoglu, acquise par l’auteur il y a une dizaine d’années pour y monter l’équivalent de son opus romanesque, Le Musée de l’Innocence a été inauguré en avril 2012. A l’intérieur du musée, d’étage en étage, on suit une série de vitrines composées d’objets, chacune condensant les chapitres successifs du roman, écrit dès le début dans la perspective de donner forme à cet étrange musée d’un roman, à cette mise en exposition d’un récit. Il y a enfin le catalogue du musée, où Pamuk explicite son projet global, commente chaque vitrine et rapporte ses souvenirs de vieux stambouliote.
i. Récits d’exposition
7Il s’agit de textes où l’exposition ne fait pas l’objet d’une simple scène (traditionnelle, ceci dit, du « roman de l’artiste »), mais où elle constitue la trame entière du récit. Ce peut être le récit d’un vernissage : dans Le Musée des valeurs sentimentales6 de Gaëlle Obiégly, la disparition de l’artiste le soir du vernissage mais aussi de sa sculpture fait éclater ce rituel convenu du champ de l’art. Dans Sentinelles, la romancière Cécile Wasjbrot accumule les répliques, les commentaires, peut-être aussi les tropismes intérieurs, des divers visiteurs d’une grande rétrospective d’un artiste vidéaste au Centre Pompidou, le soir de son inauguration :
– Combien reste-t-il de salles ?
– Nous sommes dans l’avant-dernière.
– L’exposition est interminable – il y a trop d’œuvres.
– Vous ne le dites pas sérieusement.
– Très sérieusement.
– On découvre votre travail pièce après pièce, c’est un parcours passionnant.
– Répétitif. J’en voulais moins mais ils ont insisté, il fallait emplir l’espace7. […]
8Dans ces deux cas le récit est spatialisé, autre trait définitionnel de l’exposition ; une périégèse, un récit déambulatoire s’accomplit dans un espace circonscrit : dans Sentinelles c’est la montée par les escalators au 6e étage du Centre Pompidou et la visite des salles, jusqu’à la sortie. Le récit de Gaëlle Obiégly invente une topographie curieuse : si la soirée se déroule dans un château et son domaine, le tout nommé le Luxe, le Musée des valeurs sentimentales se trouve être une des dépendances du Luxe dont les souterrains sont également investis par certains personnages. « La question du lieu est importante, commente Gaëlle Obiégly. Et même elle précède le texte, si bien qu’on pourrait dire que le lieu – sa recherche, son invention – en est le motif. Il s’agissait de faire converger toutes sortes d’actions et de pensées dans un espace. Je l’ai nommé, cet espace, Le luxe pour en désigner l’artifice. Cela me dispensait d’en faire l’objet d’une description. Tandis que les annexes de ce lieu où se déroule l’action principale sont, elles, décrites. Elles ont été construites, organisées pour la vie privée, sentimentale, matérielle »8.
9Mais on croise aussi des textes qui se donnent comme la préparation non pas du roman, mais de l’exposition : dans Bande-son de Bertrand de la Peine9, on suit les recherches acoustiques sur les pierres parlantes menées par un artiste spécialisé dans les œuvres sonores, en amont de son exposition.
10A ce titre, L’Exposition de Nathalie Léger, dont le premier livre, Vies silencieuses de Beckett, était déjà intimement lié à son commissariat de l’exposition Beckett au Centre Pompidou, raconte en effet un projet mené par la narratrice :
De juillet 2005 à décembre 2007, j’ai voulu exposer, pour répondre à une carte blanche sur la ruine, une vie, la vie de cette femme, la Castiglione. J’ai été happée, gobée par ce sujet-là10.
11Pour rappel, la Comtesse de Castiglione est cette très belle femme, la plus belle disait-on du Second Empire qui se fit photographier tout au long de sa vie, et jusqu’à sa mort, toutes les semaines, par le photographe Pierson dans son studio.
12Explicité une page auparavant, le geste expositionnel offre une mise en abîme du récit à venir et se donne comme la métaphore du travail de l’écrivain :
Chaque intervention devait se faire dans un monument historique. On me proposait le musée de C***. Il fallait choisir une pièce dans leur collection, puis « broder sur le motif », ainsi que me le recommanda le chargé de mission de la direction du Patrimoine […]. Il fallait ensuite mettre en valeur la pièce choisie en sollicitant auprès d’autres musées le prêt d’œuvres contemporaines (LE, 13-14).
13Même si l’exposition en question va bientôt être vouée à l’échec, il reste quelque chose de cette méthode dans le texte de Nathalie Léger : le récit va « broder sur le motif », autour de cette figure féminine, en collectant et décrivant des images d’elle ou des objets-reliques lui ayant appartenu. La narratrice convoque également d’autres figures de femmes : des photos représentant sa mère, allusion évidente à La Chambre claire de Barthes ; un cliché de Marilyn Monroe ; des « film stills » de Cindy Sherman ; le portrait de Louise Bourgeois par Robert Mapplethorpe ; ou du film, avec Gena Rowlands dans Opening Night de Cassavetes. Cette collection intermédiale et multi-temporelle de figures féminines aboutit à constituer un « pinacotexte » qui jouxte les procédures de l’exposition.
14A plusieurs reprises, le texte s’essaie même à envisager cette manifestation artistique avec des œuvres d’art contemporaines : « On pourrait commencer l’exposition par l’œuvre de Fischli et Weiss… » (LE, 112), « On pourrait commencer l’exposition par Theophanic Matter IV (2000) de Guillaume Paris… » (LE, 130-131). Une « exposition » mélangée, intermédiale se constitue ainsi au fil du texte, qui prend le relais de l’exposition initiale, « après le refus du musée et l’abandon du projet » (LE, 153). Quant au monument historique, ce ne sera pas le musée de C*** où la narratrice avait trouvé au sous-sol la photo-reliquaire du cadavre de la Castiglione. Ce sera, après le studio-catafalque du photographe Pierson, où « tout est noir comme un tombeau », où la Castiglione se surexpose et livre le « punctum » de son existence, après les salles poussiéreuses de l’Hôtel Drouot, ce sera le livre, dernier cénotaphe de la Comtesse dans la plus pure tradition du tombeau poétique.
15On notera au passage que dans ces récits, l’exposition est souvent manquée, ou déréglée : dans Sentinelles, une panne électrique, qu’on rencontre aussi dans le roman de Gaëlle Obiégly11, stoppe les écrans vidéos et plonge les visiteurs « dans le noir », transformant le vernissage en une odyssée collective, orphique, spectrale, au royaume des ombres :
– Mais nous sommes à Paris.
– Au Centre Pompidou.
– Au vernissage d’une exposition.
– Dans le noir.
– Ce pourrait être une expérience.
– Une performance.
– Nous avançons à tâtons.
– Dans le noir. Assaillis par des voix.
– Des pensées.
– Des visions (S, 140).
16Nécessaire au récit, l’accident amène nos auteurs à plonger dans le noir, dans le non-dit de l’exposition, dans les strates et les sous-couches du récit : quelque chose d’autre que l’exposition factuelle doit donc faire l’objet d’une révélation. Il convient de fissurer le rituel un peu ridicule du vernissage, et de dépasser le traitement convenu et traditionnellement satirique des mondanités artistiques pour toucher à des strates plus profondes du récit.
17Là encore, dès le titre de son roman et dans la totalité de son texte, Nathalie Léger approfondit sa réflexion sur l’exposition. Prétexte du récit, l’événement artistique laisse place à une méditation sur cette vie en pièces, sur cette femme surexposée que fut la Comtesse de Castiglione, qui chez le photographe Pierson « ne vient pas se connaître, elle vient se confirmer, se répéter, s’immobiliser pour toujours dans l’ignorance d’elle-même » (LE, 31), mais qui « expose ce que toutes nous voulons dissimuler, puisqu’elle consent à son imperfection, à sa laideur » (LE, 39). Loin de se limiter à une manifestation culturelle, l’exposition apparaît chez ce personnage comme une obsession voire un « complexe » au sens freudien du terme, tel celui d’Œdipe, schème répétitif où se jouent quantité de forces contradictoires, voire inconscientes, qui divisent le Moi tout au long de son existence :
[…] je n’ai entre les mains que des tirages médiocres, mal protégés dans leurs pochettes transparentes, et dont la profusion fatigue : ce corps surexposé, cet entêtement à ne pas se satisfaire de soi, cette obstination à revenir toujours à soi, à cette petite portion de visage, à ces postures (cette pose négligente, de profil, le bout d’un doigt à peine glissé dans l’échancrure du corsage, ce regard insistant vers le photographe, cet air de rien mais qui insiste, la vulgarité – et alors : l’écœurement, l’envie de quitter ce sujet immédiatement)… (MVS, 31)
18La littérature vient dire ici au champ de l’art, où l’exposition est devenue un rituel, le lot commun des œuvres et des artistes et un dispositif de monstration, la complexité de ce geste : sa part d’ombre, l’épreuve, la prise de risque et la mise en danger qu’il implique. Ou comme le rappelle le critique d’art Bernard Marcadé, « exposer c’est s’exposer »12.
19Mais si elle nous apparaît comme un prétexte à des « plongées dans le noir », la forme-exposition demeure profondément structurante. Ou plutôt dé-structurante : par son aspect collecte, l’exposition accueille la fragmentation et permet à Nathalie Léger de revisiter ou de déconstruire le genre de la biographie « dans son désordre, et même dans son ordre ». En somme, l’exposition est une modalité qui permet à l’écriture narrative d’échapper au récit linéaire. C’est une constante que l’on retrouvera dans nombre de récits frayant avec l’exposition. Que l’on songe à l’architexte de tout roman-exposition qu’est La Foire aux atrocités (The Atrocity Exhibition) de Ballard13. A ce titre, mentionnons aussi le roman de l’écrivaine francophone Dominique Robert, Chambre d’amis14. On y trouve un accrochage de récits : chaque chapitre correspond à un mur de la chambre d’amis, recouvert de photographies par lesquelles se racontent les vies des personnages : « Mur gauche, petits formats en noir et blanc », « Mur du fond, grands formats en couleur », « mur droit, petits formats en noir et blanc ». Par ailleurs, le dispositif du livre est mis en abyme : le personnage-artiste de Juliette « parcourt le portfolio de sa précédente exposition de photographies »15.
ii. Interventions « in situ »
20Une très forte conscience critique du lieu d’exposition, du contexte d’exposition et du « site spécifique » de l’art anime le champ plasticien des années 1960-1970. En témoigne l’œuvre de Daniel Buren et sa pratique théorisée de l’in situ : « Ma démarche a été de reconsidérer le lieu comme essentiel, y compris dans la production artistique ». En effet, l’un des apports majeurs de Daniel Buren à l’art du XXe siècle tient au fait d’avoir décrété la non-neutralité des lieux d’exposition et d’avoir rétabli, par le biais de l’in situ, la relation consciente que les œuvres entretiennent avec leurs lieux d’exposition. Que ce soit dans un musée, dans le salon d’un collectionneur, ou dans l’espace public, il s’agit à chaque fois de travailler « sur un lieu », c’est-à-dire de l’interroger, d’en intégrer les caractéristiques dans l’œuvre elle-même, de travailler à en révéler tout le système, aussi bien architectural que social, urbain, économique, la pratique de l’art s’élargissant alors au champ des sciences politiques et sociales.
21Cette pratique trouve sans doute un équivalent possible du côté de Georges Perec, auteur qui manifeste aussi une très forte conscience du lieu, et qui s’essaye par endroits à une pratique in situ de l’écriture. Dans une étude critique, Derek Schilling a déjà rapproché l’entreprise descriptive esquissée dans Lieux de nombreuses œuvres conceptuelles des années 60-70, telle la Location Piece #1 (1969) de Douglas Huebler dans laquelle l’artiste documente l’état d’un site16. Mais de notre point de vue, la notion d’in situ développée par Daniel Buren semble plus à même d’éclairer les « travaux pratiques » de notre écrivain :
En 1969, j’ai choisi, dans Paris, 12 lieux (des rues, des places, des carrefours, un passage), ou bien dans lesquels j’avais vécu, ou bien auxquels me rattachaient des souvenirs particuliers.
J’ai entrepris de faire, chaque mois, la description de deux de ces lieux. L’une des descriptions se fait sur le lieu même et se veut la plus neutre possible : assis dans un café, ou marchant dans la rue, un carnet et un stylo à la main, je m’efforce de décrire les maisons, les magasins, les gens que je rencontre, les affiches, et d’une manière générale, tous les détails qui attirent mon regard17.
22Reprise différemment dans la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien ou dans « La Rue Vilin »18, cette écriture « in situ » des lieux, et surtout de la ville, ne tient pas seulement au fait d’écrire sur place, et comme en direct. C’est qu’il s’agit plus profondément de révéler le lieu : « Noter ce que l’on voit. Ce qui se passe de notable. Sait-on voir ce qui est notable ? Y-a-t-il quelque chose qui nous frappe ? Rien ne nous frappe. Nous ne savons pas voir »19. Et contre cette indifférence ordinaire, il s’agira non seulement d’observer, de noter, d’inventorier, mais plus encore de « déchiffrer un morceau de ville »20. Certes, il convient de ne pas réduire la méthode et le travail in situ de Daniel Buren à un simple « marquage » des lieux. Il s’agit autant d’une méthode d’investigation critique du lieu que d’une intervention visuelle. Et d’ailleurs les Lieux de Perec font eux aussi l’objet d’une enquête, proche de la méthode sociologique. Au-delà des différences relatives à la spécificité de chaque art, c’est dans l’objet final que ces deux pratiques in situ tendent à se dissocier : là où Buren développe une critique structurelle du lieu dans lequel il est invité à intervenir, Perec tente de cerner tout autre chose : « l’infra-ordinaire », c’est-à-dire « ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance : ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages »21. Quand Buren vise l’être du lieu, Perec en écrit plutôt le passage.
23Reste que sous ce regard, la rue est vue à la fois comme un texte, un « tissu », mais aussi comme une autre espèce d’espace d’exposition : Perec en souligne les « aménagements spécifiques »22, en dénombre le plein, en dresse par moments le catalogue : « Juste en bordure de café, au pied de la vitrine et en trois emplacements différents, un homme, plutôt jeune, dessine à la craie sur le trottoir une sorte de “V” à l’intérieur duquel s’ébauche une manière de point d’interrogation (land-art ?) »23. Ainsi la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien relève-t-elle à l’évidence d’une autre « tentative d’exposition », dont il serait alors moins l’auteur que le commentateur. Ou pour reprendre un terme récemment employé par l’écrivain Thomas Clerc : « Profession : critique d’art réel ».
24Dans la littérature contemporaine, l’investigation critique d’un site spécifique par les moyens de l’écriture est une pratique possible de l’écrivain. Sous l’influence de Walter Benjamin, mais se souvenant aussi bien du Paysan de Paris d’Aragon que des très nombreux « tableaux parisiens » du XIXe siècle, sans oublier les dérives urbaines des situationnistes, Thomas Clerc se montre dans Paris, musée du XXIe siècle (2007) un subtil continuateur de Perec et un praticien avisé de l’in situ littéraire. « Je pars de la RUE DU FAUBOURSG-SAINT-MARTIN (1885 x 20 m), mon centre de gravité »24 : c’est le 10e arrondissement qu’arpente très méthodiquement l’écrivain, entreprise textuelle où se trouve intensifiée une appréhension expositionnelle de l’espace public. Bon connaisseur du milieu de l’art contemporain, collaborateur régulier de la revue d’art o2, sollicité régulièrement pour des publications liées au champ de l’art, Thomas Clerc adopte sur la rue le regard d’un critique d’exposition :
Il y a des gens qui sont de bons critiques d’art, mais de mauvais critiques de la réalité. Ils voient ce qui fait la beauté d’une œuvre (ou ce qui cloche en elle), mais ils passent inertes devant la rue splendide, le visage en ruine, la chemise moche (MXXIS, 199).
25Dans sa visite auto-guidée à travers les rues, le narrateur mentionne la longueur et la largeur des rues à la manière d’un tableau – « On file RUE GUSTAVE GOUBLIER (80 x 8 m) » (MXXIS, 128) –, commente l’« esthétique matérielle » d’un pan de mur et relève surtout nombre d’« œuvres d’art involontaires » : ce sont des pièces sonores « les cartons de livraison jetés sur le pavé, tombent dans un bruit mat », MXXIS, 11), ce sont des « objets d’arts involontaires (« un pull trempé en forme de chien de caniveau », MXXIS, 25). Au fil de sa déambulation, le narrateur se livre également à des actions artistiques : il compose des « poèmes de site » (« Vanille / chue / fond », MXXIS, 155), ou se livre devant une devanture de journaux à « une performance classique, la minute de silence » (MXXIS, 158). Enfin, les « images mentales » que suscitent en lui les choses vues aboutissent à considérer le spectacle de la rue comme une vaste installation, « comme si la ville était conçue par un commissaire d’exposition invisible » (MXXIS, 22).
26Autre intervention in situ d’écrivain : dans Un livre blanc de Philippe Vasset (2007), le narrateur explore les espaces laissés blancs sur la carte de la banlieue parisienne. Suivant d’abord la piste d’un « documentaire engagé », le narrateur découvre très vite les bidonvilles et la misère urbaine qui occupent ces zones vierges sur la carte. Mais outre les populations errantes et paupérisées, il croise également des graffeurs occupés à peindre leurs inscriptions codées et multicolores sur les murs en ruine, et « aussi ces groupes de passionnés qui consacrent leurs week-ends à explorer les constructions abandonnées ». L’arpentage systématique et studieux, s’apparente au motif de l’enquête sociologique, voire de l’expédition géographique :
27Je prenais ma mission très au sérieux et m’étais muni de tous les outils de l’exploration traditionnelle : une balise GPS, un appareil photo, ainsi qu’un carnet de croquis sur lequel je prenais des notes, effectuais des relevés et dessinais des plans sommaires. A accumuler ainsi les informations et à me glisser par-dessus les murs et les palissades, j’avais l’impression de faire de la géographie parallèle, alternative, à rebours de la science officielle25.
28Il y a dans Un livre blanc l’idée d’une écriture performative, incarnée ou accompagnée par toute une série de gestes micro-artistiques effectués par le narrateur sur les sites. Prises de photographies, enregistrements sonores, collecte d’objets trouvés sur place… jusqu’à la construction in situ de monuments précaires constitués des déchets ramassés : « Aplanissant tant bien que mal le sommet du monticule de débris, j’ai disposé ces objets sur la surface obtenue comme un autel puis ai creusé au milieu un trou où j’ai allumé un petit feu de papier et de brindilles » (LB, 28-29). Ainsi l’investigation critique de ces zones périurbaines se double-t-elle d’interventions artistiques, de « pièces » qui permettent toutes ensemble cette « exposition » au sens littéral du terme, cette mise au jour des espaces vierges et blancs de la carte.
29Mais là où Perec s’approche plus encore d’une pratique in situ de l’écriture, ce n’est peut-être pas tant dans l’espace public que face à son propre espace de travail : ainsi ses « Notes concernant les objets qui sont sur ma table de travail »26, ou encore les exercices sériels de « Still Life/Style leaf »27, manifestent-ils une conscience critique du lieu qui amène l’auteur à examiner le contexte de production de ses propres écrits : « Je passe plusieurs heures par jour assis à ma table de travail »28 ; « Le bureau sur lequel j’écris est une ancienne table de joaillier », et sur celui-ci est posée une « feuille de papier quadrillé, de format 21 x 29,7, presque entièrement couverte d’une écriture exagérément serrée »29 ; « cet aménagement de mon territoire se fait rarement au hasard »30. Rédigées au présent de l’énonciation, dans une simultanéité feinte de l’acte de voir et d’écrire, ces notes métatextuelles n’en obéissent pas moins à l’évidente modalité d’une écriture in situ.
iii. Textes-catalogues
30Passons plus rapidement sur la question des formes narratives du catalogue, de l’inventaire : c’est une forme déjà établie du roman qui se continue là. Qu’on se réfère sur ce point aux travaux de Philippe Hamon, dans Imageries31 et au chapitre « Le livre comme exposition » dans l’essai justement intitulé Expositions. Y sont évoqués les livres panoramas, les textes-magasins marqués par les formes de l’inventaire, de la liste, de la collection, qui font « l’exposition-description » du monde.
31Cette forme du texte-magasin se perpétue largement dans le roman contemporain. Pensons par exemple à Dressing de Jane Sautière où la voix narrative dissèque les souvenirs attachés à une garde-robe familiale32 : « Au travers de l’exposition d’une penderie, nous dit la quatrième de couverture, il s’agit de retrouver les fragments, les lambeaux, les breloques d’une mémoire à la fois familiale, personnelle et collective : « J’ouvre ce dressing sur les temps confondus, hier et maintenant »33.
32On peut joindre à ce régime la Braderie des Ombres de Fabrice Melquiot34, son seul texte véritablement autobiographique, qui utilise la structure populaire de la Braderie de Modane35, sa ville natale, pour structurer son texte et « bâtir [son] petit catalogue »36. On remarquera dans ce vide-grenier qui est aussi un « vide-mémoires »37 l’intervention typographique de cintres numérotés portant un souvenir.
33Mais le livre emblématique dans ce registre qui explore la mémoire privée et collective en faisant « l’autobiographie des objets », c’est évidemment Les Années d’Annie Ernaux, et avec elle on passe à la troisième catégorie de ma réflexion, le « texte comme exposition », c’est-à-dire à une poétique de l’agencement dans laquelle l’exposition n’est plus la trame ni le motif du récit mais nous apparaît comme une dimension de l’écriture narrative contemporaine. Il y a un geste expositionnel chez Annie Ernaux dans la mesure où, à l’« immersion dans les images de sa mémoire », correspond un geste inverse d’extraction, de mise au jour, par exemple de « cette photo, prélevée parmi des centaines contenues dans des pochettes Photo-service… »38.
34Et l’on pourrait insister sur la multimédialité des images convoquées par le texte, et sur le défilé technique des appareils de lecture : « On passait du lecteur de DVD, à l’appareil photo numérique, au baladeur MP3, à l’ADSL, à l’écran plat, on n’arrêtait pas de passer ». Outre les photographies, d’autres médias (la télévision, le cinéma, la publicité, Internet) sont convoqués, auscultés, mais aussi re-séquencés, montés et associés à d’autres pour former, « non par la nature des éléments mais par leur combinaison », un « tableau de la transmission familiale », ou ce qu’on pourrait appeler métaphoriquement une « exposition collective », ou encore « une mémoire de la mémoire collective ».
iv. Le texte comme exposition
35Eu égard aux analyses de Philippe Hamon sur « le livre comme exposition » au XIXe siècle, on pourra se demander ce qui a fondamentalement changé dans l’écriture contemporaine et dans la mise en exposition de l’écriture. Deux hypothèses : d’abord l’idée que la collecte des artefacts isolés ne s’organise plus dans un état rangé du monde, qu’il n’y a pas un ordre global, supérieur du réel, celui-ci au contraire se trouvant engagé dans une suite continue d’agencements variés. D’autre part, et là on touche à l’écriture, les opérations de montage, d’agencement, de combinatoire, l’emportent sur ce qui a longtemps été le principal mode d’écriture de l’exposition, à savoir la description, voire l’ekphrasis.
36En effet, c’est dans cet agencement du divers, dans cette signification par l’interrelation des fragments collectés que la littérature contemporaine s’approche plus encore d’un art de l’exposition. A l’exemple d’un dernier texte : le récit d’Olivier Cadiot, Un mage en été39. Déjà l’espèce de personnage-Robinson qui se promène à vive allure dans les textes de Cadiot fraye avec le champ de l’art : dans Futur, ancien, fugitif, il se livre à des actions performatives, proches des œuvres du Land Art de Richard Long ou Hamish Fulton. Dans Retour définitif et durable de l’être aimé, le cocktail mondain qui sert de cadre au récit hésite entre le vernissage ou l’avant-première d’un film. Plus loin dans le récit qui traverse les images comme on fuit un paysage, une allusion au Merzbau de Kurt Schwitters fournit une mise en abîme de la composition du livre :
On s’en occupe à plein temps, on travaille, on ramène des tas de choses trouvées à l’extérieur, on les colle, il faudra acheter l’appartement du dessus et percer un trou dans le plafond pour continuer, ça augmente, musée sonore d’êtres aimés, catalogue de paroles dans l’air […]40.
37Dans Un mage en été, ce flirt avec l’art trouve une nouvelle formalisation par l’entremise d’images qui viennent interrompre le flux du texte, le narrateur-mage étant occupé à enchaîner les images à toute vitesse : « je suis plastique, je sais le faire, j’ai de l’expérience. Je suis vivant et en déformation permanente, je suis plissé et pliable » (UME, 14). Les images glissées ici sont sans légendes, souvent de basse qualité, trouvables sur Internet, ce qui n’est pas étonnant dans un texte qui évoque pleinement la navigation sur le net. Notons que cette disposition dialogue avec la manière dont Sebald ponctuait ses textes de photographies. L’hommage est explicite dans cette photo où l’on retrouve les lunettes de Sebald lui-même exposées dans une vitrine. Mais se détachant de l’écrivain allemand, Cadiot opte pour la couleur, annule ainsi toute nostalgie. Dans ce livre rempli d’éclats visuels, les photographies offrent en somme un effet de surface, sollicitent la vision du lecteur, mettent en relief l’exercice multimédial d’une écriture faite de montage visuel et de mixage sonore : « J’ai des machines mixtes » (UME, 21).
38Des lieux de disposition et d’exposition s’accumulent aussi, comme des métaphores possibles du livre : « Inventaire d’un salon » (UME, 76), « des monochromes en salle de réanimation, des sculptures en plastique au bord du tramway » (UME, 75), « des hangars gigantesques bourrés de documents, étagères en métal » (UME, 75), un appartement transformé en théâtre et nommé « salon scène », avec « au premier étage atelier du frère sculpteur » (UME, 103-104) ; « un « temple ambulant à leur mémoire » (UME, 75), un « capharnaüm doré » (UME, 75), et jusqu’à la photo ancienne d’un atelier-salon, directement importée dans le livre (UME, 92). Mais encore une galerie de tableaux :
Il y a des milliers d’images
Comme une galerie de peinture en cercle sur 27 kilomètres.
On met le spectateur au centre (UME, 46).
39Le texte comme exposition, c’est ce récit qui court dans un entrelacs intermédial, dans un processus continu d’agencements. Il se dessine là un devenir-curateur de l’écrivain, et un devenir-exposition du roman déjà palpable dans les romans en ligne, hypergraphiques et hypertextuels, qui associent au texte le surgissement d’une bande-son ou d’une séquence vidéo, où le lecteur passe sans cesse au statut de regardeur, dans un ajustement constant du regard.
Notes de bas de page
1 « Exposer : quelle histoire ?! », Centre Pompidou, Paris, 2 octobre 2004.
2 Cette communication a été la matrice de mon habilitation à diriger des recherches, soutenue à Lille 3 en décembre 2012, intitulée "Le texte comme Exposition". A ce titre, je voudrais remercier Elisa Bricco et toute son équipe de travail de l'invitation qui me fut faite de participer au "bal des arts" du colloque international de Gênes.
3 « It is time to reclaim this fundamental relational component of the story, which Terry Smith has defined as « the exhibition setting », in which meaning can be found not only in the isolated artifact, but also in the dialogue and connection sought and constructed, in the process of mounting and displaying it along with other works of art in a specific space » - Germano Celant, A Readymade : When Attitudes Become Form, catalogue de l’exposition « When Attitudes Become Form », Bern 1969 / Venice 2013, Fondazione Prada, Venise 2013, p. 394.
4 Sur cette notion, cf. les analyses originales de Jan Baetens, La novellisation. Du film au roman, Les Impressions Nouvelles, Bruxelles 2008.
5 L’occurrence « roman-exposition » qualifie ainsi un texte collectif écrit en français mais intitulé The Hidden Mother (la mère cachée), publié à l’occasion d’une exposition qui portait le même titre et qui s’est déroulée à l’atelier Rouart à Paris, lieu intermédial puisqu’il fut l’atelier de Berthe Morisot et le lieu de vie de Paul Valéry. Autant l’exposition accumulait classiquement des œuvres autour de la figure de la mère, autant le roman qui l’accompagne prend une autre voie : les deux commissaires, Sinziana Ravini et Estelle Benazet, se livrent l’une et l’autre à une sorte d’auto-analyse par laquelle elles sondent leur propre relation à la question de la mère. Organisant des séances communes de psychanalyse où elles s’interrogent à la fois sur leurs propres familles et sur le choix des œuvres dans l’exposition, elles se livrent ensuite sur elles-mêmes à de la psychanalyse sauvage par correspondance, et finissent par raconter chacune un moment passé avec leur mère — l’épisode le plus romanesque étant celui de la curatrice franco-suédoise mais d’origine roumaine Sinziana Ravini, qui part à Bucarest où sa mère, éternelle absente de sa vie, est retournée pour y construire un asile religieux destiné aux personnes asthmatiques et baptisé « Hôtel Sinziana ». Mélange de dialogues avec psy, de conversations sur l’art, de roman épistolaire et de récits autobiographiques, c’est bien un roman dans toute sa dimension composite, dans sa capacité à agréger des formes différentes, et qui tend à s’émanciper de l’exposition de départ, véritable « prétexte », pour laisser se développer l’enquête personnelle de chacune des deux commissaires.
6 Gaëlle Obiegly, Le musée des valeurs sentimentales, Verticales, Paris 2011. Désormais abrégé MVS pour les citations.
7 Cécile Wasjbrot, Sentinelles, Christian Bourgois, Paris 2013, p. 209. Désormais abrégé S pour les citations.
8 Gaëlle Obiégly, conversation par mail, juin 2013.
9 Bertrand de la Peine, Bande-son, Minuit, Paris 2011.
10 Nathalie Léger, L’exposition, P.O.L., Paris 2009, p. 17. Désormais abrégé LE pour les citations.
11 Gaëlle Obiegly, Le musée des valeurs sentimentales, cit. : « La lumière tombant des plafonds, tout s’éteint. / Tout s’éteint, le Luxe est plongé dans le noir, le Musée des valeurs sentimentales est plongé dans le noir, les écuries, les caves, le souterrain, tout est noir, comme si un câble avait été coupé », p. 14.
12 Bernard Marcadé, Exposer c’est s’exposer, in Elisabeth Caillet et Catherine Perret (éds.), L’art contemporain et son exposition (1), L’Harmattan, Paris 2002, p. 133-138.
13 Sur ce sujet, Cf. Valérie Mavridorakis, The Atrocity Exhibition – une exposition écrite et réalisée par J/G/ Ballard, « revue 20/27 », n. 2 (février 20081), Art et science-fiction : la Ballard Connection, Mamco, Genève 2011, p. 145-163.
14 Dominique Robert, Chambre d’amis, Les Herbes rouges, Montréal 2011.
15 Ibid., p. 143-147.
16 Derek Schilling, Mémoires du quotidien : les lieux de Perec, Presses universitaires du Septentrion, « perspectives », Villeneuve d’Ascq 2006, p. 147-150.
17 George Perec, Espèces d’espaces, « Lieux (notes sur un travail en cours) », cit., p. 108-109.
18 George Perec, « La Rue Vilin », in L’infra-ordinaire, Seuil, « La librairie du XXe siècle », Paris 1989, p. 15-31.
19 George Perec, Espèces d’espaces, « La rue », « Travaux pratiques », cit., p. 100.
20 Ibid., p. 102-103.
21 George Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, UGC, Paris 19751 ; Christian Bourgois, « Titres », Paris 1982, p. 10.
22 George Perec, Espèces d’espaces, « La rue », cit., p. 95.
23 George Perec, Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, cit., p. 17-18.
24 Thomas Clerc, Paris, Musée du XXIe siècle. Le Xe arrondissement, l’arbalète Gallimard, Paris 2007, p. 9. Désormais abrégé MXXIS pour les citations.
25 Philippe Vasset, Un livre blanc, Fayard, Paris 2007, p. 35-36. Désormais abrégé LB pour les citations.
26 Georges Perec, Penser/Classer, Hachette, « Textes du XXe siècle », Paris 1985, p. 17-23.
27 Georges Perec, L’infra-ordinaire, cit., p. 107-119.
28 Georges Perec, « Notes concernant les objets qui sont sur ma table de travail », cit., p. 17.
29 Georges Perec, « Still life/Style leaf », cit., p. 107, p. 113.
30 Georges Perec, « Notes concernant les objets qui sont sur ma table de travail », cit., p. 18.
31 Je songe par exemple, dans son essai Imageries, chapitre X, au motif de l’album : « Ce mot album […] ne peut signifier autre chose que mélange, pot-pourri, confusion, galimatias, macédoine » (Jouy, Hermite de la Chaussée d’Antin, « Des albums », Paris 1813, cité par Philippe Hamon, Imageries, cit., p. 336, note 10). Analyse : « on peut avancer que cet album incarne un enjeu majeur, plus général, d’ordre là à la fois philosophique et littéraire et esthétique, pose subrepticement et discrètement en incipit un texte-modèle ou un *texte-repoussoir et suggère l’intrusion, sans les systèmes esthétiques de la littérature, de nouveaux concepts et de nouvelles « valeurs » qui forment rupture avec les valeurs des esthétiques classiques, celles qui avaient nom harmonie du tout et des parties, convenance et unité des sujets, cohérence, convergence et congruence des structures […]. Ce qui se met en question en effet ici et là vers le milieu du siècle, c’est bien le statut esthétique de nouveaux concepts, jusqu’alors dévalorisés, comme ceux d’hétéroclite, de disparate, de fragmentation, de brièveté, de mélange sémiotique, d’incongru » (p. 347). C’est « une entrée dans le monde de la littérature du “décousu”» (p. 348). Ces productions sont « issues du sentiment que la réalité est elle-même un chaos dépourvu de cohérence. C’est le réel lui-même qui est une sorte d’album, un album “illisible” linéairement » (p. 353). « L’album est un texte à parcourir sans fin, sans ordre et dans tous les sens. L’album est modèle, fascinant ou détesté, d’une esthétique de la déstructuration » (p. 362). Cf. Edmond de Goncourt, La Maison d’un artiste : les « albums japonais » sont faits pour être « ouverts et parcourus de l’œil ».On peut aussi songer à cette citation d’Emile Bourget à propos de la manière fragmentée des Goncourt : « Ils déchiquettent leurs récits en une série de petits chapitres dont la juxtaposition montre la ligne totale d’une habitude, comme les petits cailloux d’une mosaïque, placés les uns à côté des autres, forment les lignes d’un dessin […]. Cette prose des Goncourt […] se brise en mille petits effets de détail, en mille singularités de syntaxe et de vocabulaire […] un catalogue […] une série d’associations d’idées […] de petits chapitres posés l’un à côté de l’autre et formant mosaïque, ou, mieux encore, atlas, comme les suites des planches d’un traité d’anatomie (Bourget, Essai de psychologie contemporaine, T. 2, Plon-Nourrit, Paris 1916, p. 160-190, cité par Ph. Hamon, Imageries, cit., p. 349, note 31).
32 Jane Sautière, Dressing, Verticales, Paris 2013. On notera au passage cette citation : « Ouvrir un livre comme on ouvre une armoire. / Mieux : ouvrir une armoire comme on ouvre un livre », p. 29.
33 Ibid., p. 10.
34 Fabrice Melquiot, Braderie des ombres, éditions Créaphis, coll. « Paysages écrits », Paris 2011.
35 « Je regarde les choses autour de moi qui gisent, affaissées par l’habitude, piétinées par le présent : photographies d’Ault quand nous y fûmes, Noa et moi, amoureux flambants neufs au pied des falaises ; masques de bazars d’Afrique et d’Asie, livres discordants, imprimante vintage, magnétoscope, bibelots atroces… » (Ibid., p. 27).
36 « Je vais bâtir mon petit catalogue. Catalogue. Le terme est employé quand on déplore l’absence de composition, de mise en scène, le manque de hiérarchie : ça fait catalogue. J’avoue pour ma part qu’un catalogue de spectres, où nul article ne serait à vendre, un catalogue sans visée marchande, sans grade ni classement, un 3 Suisses des Fantômes, la Redoute des Morts, ce n’est pas pour me déplaire » (Ibid., p. 21).
37 Expression développée par Sébastien Debeire dans son Mémoire de Master 2 de recherche sur la figure de l’auteur chez Fabrice Melquiot, Lille3.
38 Annie Ernaux, Les Années, Gallimard, Paris 2008, p. 232.
39 Olivier Cadiot, Un mage en été, P.O.L., Paris 2010. Désormais abrégé UME pour les citations.
40 Olivier Cadiot, Retour définitif et durable de l’être aimé, P.O.L., Paris 2002, p. 68.
Auteur
Université de Lille 3
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