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De la porosité des frontières

p. 11-20


Texte intégral

1Les frontières des formes artistiques tendent à devenir de plus en plus indéfinissables et poreuses sous l’effet d’une intense activité de circulation, d’hybridation ou, encore mieux, de métissage conduisant à la naissance de nouveaux régimes de la création et à la composition d’œuvres complexes et multiples. Ces processus et ces aboutissements caractéristiques de l’esthétique contemporaine sont analysés par Nicolas Bourriaud dans son essai Radicant1, où il entreprend de déchiffrer les diverses approches des œuvres et de la création artistique aujourd’hui. Les traits distinctifs des démarches artistiques qu’il inventorie sont tout à fait transposables au champ littéraire, notamment lorsqu’il spécifie l’activité des créateurs et leur implication personnelle dans les procédés de production : « […] l’artiste contemporain procède par sélection, ajouts, puis multiplications : il ne recherche pas un état idéal du Moi, de l’art ou de la société, mais organise les signes afin de multiplier une identité par une autre.2 » Le contact avec des éléments hétérogènes, la circulation des pratiques créatives, la recherche de son identité chez l’autre, sont des éléments que nous pouvons repérer aussi dans la littérature contemporaine. Bourriaud attire notre attention sur la façon dont le moi, le sujet créateur, peut s’épanouir grâce à ses accointances avec d’autres formes et d’autres pratiques esthétiques. Cette perspective permet de décrire avec précision les relations entre l’écrivain et les autres arts. Le sujet, son statut et les modalités de sa présence dans les œuvres littéraires qui entretiennent une relation avec les autres arts, sont autant d’axes privilégiés par l’ARGEC (Atelier de recherches génois sur l’écriture contemporaine) depuis quelques années3. Par la manière dont il se cherche, s’explicite ou se complexifie par et dans l’écriture, la langue ou l’œuvre littéraire, le sujet acquiert une consistance bien plus profonde ; en se frottant à des pratiques créatives différentes, il bénéficie d’un très grand élargissement de ses potentialités inventives et signifiantes. Grâce à la porosité des frontières entre les diverses formes artistiques, les œuvres se rendent capables de représenter des univers de signification et de représentation élargis.

2Pour configurer les caractéristiques de la création aujourd’hui, qu’il qualifie d’altermoderne pour la distinguer du postmoderne, Bourriaud utilise l’image du radicant, en raison de sa structure et sa manière de se développer à partir d’une tige se propageant horizontalement par radication progressive. Ce modèle peut rappeler celui du rhizome4 mais in en est bien différent ; car le second connote plutôt l’esthétique postmoderne, qui décrit une structure fluide et non hiérarchique où c’est la multiplicité des différents éléments le formant qui compte plutôt que l’individuel. Au contraire, « le radicant prend la forme d’une trajectoire, d’un parcours, d’un cheminement effectué par un sujet singulier »5 ; et l’œuvre qui en résulte représente justement le sujet et ses penchants, son cheminement, ses rencontres fertiles et les télescopages avec des univers lointains.

3En transposant les éléments de l’esthétique radicante dans le champ de la littérature contemporaine, les problématiques liées aux configurations du rapprochement du sujet avec l’art peuvent être envisagées sous une perspective nouvelle. Les liaisons entre art et écriture sont aussi anciennes que ces deux manifestations de la créativité humaine et, selon les époques, l’une a prédominé sur l’autre et vice-versa. Le XXe siècle a vu le développement de nouvelles opérations de création artistique et le progressif éclatement des cloisons entre les différents arts6. En ce qui concerne la littérature, d’Apollinaire et de Proust à Claude Simon, de Cocteau à Marguerite Duras et Robbe-Grillet, pour s’en tenir à quelques noms représentatifs, sans prétendre être exhaustifs, on assiste à un progressif croisement de la littérature et des arts de l’image, de la musique, de la danse, des arts de la scène. Cette tendance au décloisonnement, qui englobe désormais toutes les formes artistiques, s’est considérablement accrue pendant les dernières décennies du siècle dernier.

4Le monde de l’édition, toujours très attentif aux renouvellements du champ esthétique, a participé à ce mouvement de rénovation et, dans le sillon de l’hommage fait par René Char à ses alliés substantiels7, des projets innovateurs ont été promus : Jean-Baptiste Pontalis a créé la collection « L’un & l’autre » chez Gallimard ; la collection « Musées secrets » chez Flohic, et « Entre deux » chez Argol ont vu le jour. Les écrivains sont invités à écrire des textes sur commande et sous contrainte, à partir d’un artiste célèbre et de son œuvre, ou seulement d’une œuvre avec laquelle ils se reconnaissent une affinité particulière. Cela donne des ouvrages parmi les plus novateurs et les plus stimulants de la production littéraire récente8, où la communication entre les différentes formes artistiques se trouve mise en jeu au point que même la notion d’hybridation n’est plus adaptée pour en définir la forme et qu’il convient mieux de lui substituer celle d’intermédialité9. En effet, dans les dix premières années du XXIe siècle les œuvres où les formes artistiques côtoient l’écriture sont de plus en plus répandues, et le champ des possibilités du dialogue entre les arts s’élargit bien au-delà de la simple présence d’un sujet artiste dans les textes, grâce à l’élaboration de véritables formes transmédiales et intermédiales. Des expériences comme celles de Sophie Calle, de François Bon, d’Olivia Rosenthal, de Pierre Alféri, de Jérôme Game, entre autres, attestent une réalité qui, par la mise en place de réseaux intermédiaux de plus en plus développés, ne peut plus être décrite comme un simple métissage entre les arts. La transversalité des pratiques aboutit désormais à considérer l’écriture même comme l’un des neufs (ou dix ?) arts, par la place qu’elle trouve par exemple dans le cinéma, dans les arts plastiques, dans la photographie, mais aussi parce qu’elle est devenue le sujet et l’objet de textes qui questionnent la création littéraire, ses enjeux et ses caractéristiques.

5Puisque, à l’évidence, les frontières entre les arts deviennent poreuses, les textes littéraires présentent de nouveaux défis aux lecteurs ; ils mettent en scène de nouveaux paradigmes de lecture et de signification en expérimentant de nouvelles manières de dire la réalité, de raconter des histoires, de se poser face au monde. On sait que depuis les années quatre-vingts la littérature est redevenue transitive en renouvelant son rapport avec le récit, le réel et le sujet. Il est significatif qu’une partie de l’essai La littérature au présent10 de Dominique Viart et Bruno Vercier soit consacrée à « la littérature et l’image » ; voilà qui témoigne de l’importance acquise par cette relation, de son incessante diversification, de la multiplicité de ses instances. Les auteurs décrivent ces tendances et relatent les parcours hétérogènes et distincts empruntés par les écrivains dans leurs ouvrages11.

6Ces phénomènes de circulation des pratiques et d’intermédialité sont assez difficiles à cerner, car ils se soustraient aux distinctions herméneutiques bien établies ; c’est pourquoi le groupe de recherche a procédé de manière empirique, en partant « d’en bas » : nous avons établi un corpus de plus de sept cents textes en prose narrative où est présente une forme artistique. Le travail de repérage des textes a été assez long et difficile, étant donné la quantité énorme des œuvres du corpus ; nous sommes loin d’avoir atteint l’exhaustivité de tout ce qui a été publié entre 1990 et 2010. Mais l’analyse de ce premier matériel nous a permis d’atteindre un résultat très important : l’établissement de catégories qui peuvent rendre compte de manière satisfaisante des rapports divers et diversifiés que l’écriture entretient avec les autres arts. En partant du titre de notre recherche, Le sujet et l’art, nous nous sommes demandé comment le sujet apparaît dans le texte littéraire ; nous avons cherché à construire une typologie des relations qu’il peut nouer à l’art. Nous avons commencé par prendre en considération le sujet artiste en tant qu’instance narrative : le héros du texte et le narrateur homodiégétique avant tout, mais aussi, plus simplement, un personnage, principal ou secondaire. Soit un sujet auteur expose son affinité avec une forme artistique ou un objet artistique, soit c’est le protagoniste d’un récit qui se trouve être un artiste. Les fictions biographiques constituent un exemple notable des nouvelles configurations suscitées par la présence des arts dans la littérature aujourd’hui, et notamment en ce qui concerne le sujet, par la problématique de : « l’art comme expérience du sujet que s’attachent à restituer les fictions biographiques. [Celles-ci] découvrent des errements et des vacillements proches de nos propres incertitudes »12. L’accent mis sur la recherche personnelle nous semble capital : il est évident que l’art joue désormais un rôle fondamental en ce qui concerne le sujet et son expérience du monde, parce qu’il le rapproche de quelque chose d’extérieur à lui, mais qui, en même temps, provoque ses réactions : esthétiques, intimes, personnelles. Par conséquent, à travers son contact avec l’art, le sujet a la possibilité de se projeter hors de lui-même tout en restant le sujet, parfois implicite, de sa narration. L’art devient ainsi l’élément révélateur permettant un regard extérieur du sujet sur lui-même13 et, en même temps, la possibilité de celui-ci de se confronter avec cette entité extérieure qui n’est pas lui, mais qui le fait résonner.

7Grâce au grand nombre de titres et à la richesse des expériences textuelles que nous y avons recensées, notre corpus – dont l’étude de Chiara Rolla illustre en détail toutes les caractéristiques et les potentialités comme instrument de recherche – permet d’approfondir encore davantage la réflexion critique sur le lien qui s’instaure entre le sujet écrivant et l’art ou l’œuvre d’art. Lorsqu’un auteur choisit de prendre en compte et d’intégrer une œuvre d’art dans son texte, il la transforme en un dispositif agissant sur son écriture et sur son imaginaire ; d’autre part, elle imprime sa trace sur les dynamiques signifiantes et narratives qui sont en jeu à l’intérieur du texte. Ainsi, deux approches analytiques distinctes sont possibles lorsqu’on envisage la question de l’intermédialité entre les textes et les arts : la première se consacre à l’analyse de l’iconotexte et de sa consistance entre deux formes artistiques ; la seconde travaille sur ce que Liliane Louvel appelle le Tiers pictural14, c’est-à-dire les enjeux de la réception. Louvel s’interroge sur la présence de l’image picturale dans les textes à tous les niveaux, qu’elle soit thématique ou linguistique, en tant que motif structurant la construction d’un récit ou d’une partie de celui-ci ; à la fin de son parcours de recherche, elle parvient à formuler l’hypothèse de la présence d’une instance tierce qui surviendrait lors de la lecture d’un iconotexte. Cette troisième figure « concerne le fonctionnement du langage et de l’image »15 et de l’image mise en langage devenue texte, comme la lit ou la voit le lecteur et à travers les effets que la lecture provoque en lui. Il est clair que par le biais du texte l’auteur, le sujet écrivant, a mis en mots une image qui a joué un rôle important pour lui, qui l’a sollicité, qui lui a permis de rendre compte de ses émois et de ses élans, mais il est aussi vrai que le lecteur perçoit cette figure à partir de son individualité et qu’elle devient ainsi autre chose :

Le passage entre deux medias se lit entre-deux, le lecteur n’étant jamais totalement dans l’un, ni totalement hors de l’autre. Cette instabilité du texte/image, […], qui résulte de la mise en rapport du texte et de l’image, fascine l’écrivain et le lecteur car elle les loge constamment dans la transposition, la trans-action, la négociation, et leur impose une écriture ou une lecture dynamique, active […]16.

8Cette dynamique inter-artistique qui implique une présence active de l’instance de réception est l’un des enjeux les plus fascinants de la création littéraire altermoderne17. Le présent volume reprend ces thématiques de recherche et ces interrogations ; il les approfondit les développe en les défrichant et déchiffrant des pratiques d’écriture contemporaines étroitement connexes aux arts de l’image. Les mises au point théoriques et méthodologiques côtoient des analyses pointues et des propositions d’interprétation des phénomènes nouveaux et encore peu définis par la critique. Le problème de la définition de l’intermédialité est abordé par Bernard Vouilloux qui procède à un éclaircissement de notions épistémologiques jusqu’ici assez floues ; la distinction entre médiums et médias s’impose. Intermédialité est formé à partir du mot latin medium ; il concerne la pratique créative qui se développe grâce à une technique particulière, à une forme de création artistique ; il est évident que les médiums sont bien différents des médias, les moyens de communications de masse. Dans son article, Vouilloux démontre comme le récent travail de Pascal Quignard à partir de la figure de Médée, par la multiplicité des approches par des formes artistiques différentes, représente un moment fondamental du développement des pratiques intermédiales contemporaines.

9Les études sur les différentes formes et pratiques intermédiales qui suivent réfléchissent sur le lien entre textes et arts de l’image en faisant état de la présence de nombreuses typologies d’implications réciproques. L’image picturale constitue le centre d’intérêt de la première partie. Le tableau, réel ou imaginaire, est une source de réflexion mais aussi le reflet et l’illustration des propos de l’auteur ; il devient un instrument pour mettre au clair ses idées, pour mener une quête ou une enquête. La figure du peintre peut devenir un reflet de l’auteur-même qui s’en sert pour s’interroger, pour se raconter ou simplement pour insérer l’œuvre d’art dans sa recherche esthétique. Dominique Vaugeois analyse un texte critique de Claude Esteban sur le Caravage, pour problématiser la relation entre la réflexion du poète sur la peinture et le savoir des spécialistes en histoire de l’art. Plusieurs œuvres d’art apparaissent dans Les Œuvres de miséricorde de Mathieu Riboulet, qu’étudie Fabien Gris. Dans ce roman, les œuvres artistiques constituent un substrat commun de référence permettant à l’écrivain de se pencher sur le passé et sur la présence de la violence chez les hommes. Marcella Biserni s’attache au lien entre écriture et image chez Jérôme Bosch et Eugène Savitzkaya, pour mettre en évidence les inflexions des œuvres du peintre flamand sur l’écriture de l’auteur belge. Le rôle des images et du parcours existentiel de Frida Khalo sont envisagés par Erica Tacchino, qui analyse tour à tour les textes que Le Clézio et Gérard de Cortanze ont consacrés à la peintre mexicaine. Un tableau fictif est au centre de Les Onze de Pierre Michon, texte que retient Jean-François Py pour entreprendre une réflexion sur le rapport entre art et histoire. L’histoire et l’historiographie de l’art sont aussi au centre des recherches de Maurizia Migliorini qui rend compte de l’intense travail documentaire, à la limite de l’érudition, qui sert de socle à la composition de deux romans de Melania Mazzucco : La lunga attesa dell’angelo et Jacopo Tintoretto e i suoi figli. Storia di una famiglia veneziana. Isabelle Dangy travaille quant à elle sur la figure du galeriste dans le roman contemporain et en illustre les enjeux et les configurations littéraires, tels qu’ils apparaissent dans les romans de Jean Echenoz, Michel Houellebecq et Grégoire Polet.

10La recherche sur l’utilisation de l’image cinématographique est tout aussi riche en expériences et en problématiques diverses. L’image en mouvement favorise l’identification et la projection du sujet et lui permet de poursuivre à la fois sa recherche identitaire et une meilleure compréhension de lui-même. Ainsi, du cinéma muet au cinéma de science-fiction, en passant par le cinéma d’auteur, l’écriture et la narration sont imprégnées d’images qui permettent de raconter l’individu contemporain. Se fondant sur l’exemple du Supplément à la vie de Barbara Loden de Nathalie Léger et de Cheyenn de François Emmanuel, Margareth Amatulli montre comment la littérature contemporaine s’est renouvelée au contact du cinéma et de son emprise sur le monde. Denis Mellier repère l’existence d’un imaginaire cinématographique commun à partir de trois romans post-apocalyptiques de Maïa Mazaurette, Céline Minard et Xabi Molia. Le rapprochement entre cinéma et écriture permet à ces trois écrivains de construire des hypothèses romanesques par une écriture qui a su intégrer les acquis de l’esthétique transmédiale. Marie-Pascale Huglo analyse la présence de « petites scènes » d’ordre cinématographique dans les textes critiques de Roland Barthes et dans les romans d’Annie Ernaux. Ces moments de pure narrativité, que les auteurs utilisent pour rendre compte de la réalité, illustrent la façon dont l’esthétique cinématographique influence notre appréhension du monde. A travers l’étude de textes de Camille Laurens et d’Olivia Rosenthal, Nancy Murzilli se penche sur les rapports entre la projection cinématographique et la projection psychique et souligne l’attrait que l’expérience du spectateur exerce sur une forme d’écriture visant le questionnement de l’intime. L’article d’Annie Oliver s’intéresse à la place et l’implication du narrateur dans quelques romans cinématographiques contemporains de Robert Bober, Emmanuel Carrère, Yannick Haenel, Nathalie Léger, Olivia Rosenthal, Tanguy Viel. Et le roman Ni toi ni moi de Camille Laurens est au cœur de l’article de Jutta Fortin qui y repère les traces du film Nosferatu le vampire de Murnau. Le film joue un rôle d’hypotexte dans le roman et l’écrivaine travaille avec les poncifs du cinéma muet pour la construction de quelques images de son roman.

11Dans la troisième partie de ce volume sont pris en considération les enjeux de la présence de l’image photographique dans le texte littéraire et dans le dispositif photo-littéraire. Marina Hertrampf propose une conceptualisation et une illustration des différentes relations intervenant entre le texte et l’image. L’analyse d’un corpus de textes autofictionnels d’Henri Raczymow, Willy Ronis et Patrick Deville lui permet de mettre à l’épreuve sa schématisation au moyen de l’écriture bio-photographique. Les correspondances entre écriture et photographie sont encore envisagées dans mon étude, Ecrire avec la photographie, à partir d’une approche ciblée sur la narration et la construction des récits. La photo joue souvent un rôle fondamental pour le sujet qui se cherche ou cherche la vérité sur un passé révolu, comme le montrent les romans épistolaires d’Hélène Gestern et de Silvia Baron Supervielle. Chez Michel Butor, la photo est avant tout un déclencheur d’écriture poétique ; Bruna Donatelli rend compte du travail qu’il a réalisé au moyen des clichés des photographes avec lesquels il ne cesse de collaborer. L’image photographique peut aussi servir à questionner l’articulation du passé et du présent dans les villes à travers les monuments qui en sont les témoins. Dans son étude Danièle Méaux se concentre sur le travail de Sophie Calle sur les monuments de Berlin-Est ; elle montre comment le dispositif photo-littéraire mis en place par l’artiste illustre une enquête sur le passé révolu de la ville et sur la perception qu’en ont ses habitants.

12La dernière partie du volume présente une ouverture vers de nouveaux espaces d’intermédialité entre les arts et de nouvelles pratiques d’écriture et de création artistiques que proposent Magali Nachtergael et Jean-Max Colard. L’actualisation du récit dans de nouveaux espaces de représentation est prise en compte par Magali Nachtergael qui met en lumière une nouvelle forme de création contemporaine au croisement entre arts plastiques et écriture littéraire. La définition de cette nouvelle forme lui permet d’envisager des parcours de création très innovateurs comme ceux de Thomas Clerc, Jérôme Game, Marcelline Delbecq, Louise Hervé, Chloé Maillet et Laure Prouvost. Enfin, dans l’étude de Jean-Max Colard apparaît un autre genre très nouveau et en plein développement : le roman-exposition. Au-delà des catalogues d’exposition traditionnels, on assiste tout dernièrement à la diffusion de romans et de récits qui sont créés à côté des expositions, comme des produits parallèles qui tantôt dérivent et tantôt précèdent les événements artistiques, et qui tantôt aussi se présentent eux-mêmes comme des expositions.

13Ces nouveaux parcours de l’écriture où elle flirte, à des degrés et à des niveaux divers, avec la création artistique, attestent de la richesse des pratiques, de leur hétérogénéité et de leur fécondité. Ce constat nous pousse à élargir notre corpus, à approfondir la réflexion sur les motivations qui poussent les créateurs vers les autres arts. Au-delà de la prise en compte des pratiques intermédiales et de leur diffusion, nous sommes en droit de nous demander si nous ne sommes pas en train de vivre une nouvelle mutation du champ artistique et de celui l’écriture aussi. La diffusion des ouvrages où l’image est présente, où le cinéma affleure, où la danse imprime ses mouvements à l’écriture et où la musique frappe ses rythmes progresse, augmente et nous suggère de poursuivre notre recherche.

Notes de bas de page

1 Nicolas Bourriaud, Radicant. Pour une esthétique de la globalisation, Denoël, Paris 2009.

2 Ibid., p. 59.

3 La recherche sur « Le sujet et l’art » (PRIN 2009) à été financée par le Ministère de l’Université et de la recherche, dans le contexte d’un projet national intitulé Le sujet dans le roman français contemporain, fruit du travail conjoint d’un réseau d’équipes (Bari, Roma La Sapienza, Genova) qui collaborent ensemble depuis une quinzaine d’années.

4 Cf. Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Minuit, Paris 1980.

5 Nicolas Bourriaud, Radicant. Pour une esthétique de la globalisation, cit., p. 62.

6 Bernard Vouilloux, Langages de l’art et relations transesthétiques, Ed. de l’Eclat, « Tiré à part », Paris 1997.

7 Dans La Recherche de la base et du sommet (Paris, Gallimard, 1955) René Char rend hommage aux poètes et aux peintres qui l’ont accompagné et nourri, il les nomme “grands astreignants” et “alliés substantiels”.

8 Cf. Nella Arambasin, Littérature contemporaine et “histoires” de l’art : récits d’une réévaluation, Droz, Genève 2007.

9 Cette notion est opératoire mais encore assez instable et selon les approches théoriques elle ne recoupe pas les mêmes contextes et situations. Nous expliquerons par la suite dans quel domaine de référence nous l’utilisons dans le présent ouvrage.

10 Dominique Viart, Bruno Vercier, La littérature française au présent. Héritage, modernité, mutations, Bordas, Paris 20051, 20082.

11 Cf. aussi le volume de Matteo Majorano (éd.), Le jeu des arts. L’écriture et les arts, Edizioni B. A. Graphis, « Marges Critiques/Margini Critici », Bari 2005, qui rassemble les actes du colloque de Bari où il a été question du rapport entre le roman et d’autres formes de création artistique : cinéma, photographie, peinture. Une bibliographie des ouvrages consacrés aux relations entre la littérature et les autres arts est présentée dans la note numéro 6 de l’article de Chiara Rolla (infra).

12 Ibid., p. 124.

13 Cf. la réflexion de Emanuele Coccia sur le rôle joué par la réalité comme miroir permettant au sujet de se réaliser et surtout de se définir en tant que tel (La Vie sensible, trad. par Martin Rueff, Payot et Rivages, « Bibliothèque Rivages », Paris 2010).

14 Liliane Louvel, Le Tiers pictural. Pour une critique intermédiale, Collection « Interférences », Presses Universitaires de Rennes, 2010.

15 Ibid., p. 258-259.

16 Ibid.

17 Nous en avons donné quelques exemples dans le numéro 23 des « Cahiers de narratologie » publié en décembre 2012, en travaillant sur des textes et des dispositifs où est présent cet enjeu si particulier. Nous nous sommes questionnés sur ce que l’art fait à l’écriture et sur la manière dont cela se réverbère sur le sujet. En outre, nous avons pris en considération aussi les mécanismes d’écriture bénéficiant d’un transfert de schème appartenant à une forme artistique et sur la façon dont les effets de cette relation agissent sur le sujet. A travers les analyses des œuvres d’Olivia Rosenthal, Patrick Chatelier, Henri Bauchau, Marie Darrieussecq, Patrick Modiano, Robert Bober, Arnaud Cathrine et Bertrand de la Peine, nous avons travaillé sur les correspondances et les hybridations, sur les effets de dispositif qui se mettent en place lorsque ces auteurs entrent en contact et exploitent les suggestions que leur fournissent les œuvres cinématographiques, photographiques, picturales et littéraires. Elisa Bricco (éd.), Le sujet et l’art dans la prose française contemporaine (1990-2012), « Cahiers de narratologie », n. 23 (2012), (En ligne), URL: http://narratologie.revues.org/6580.

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