Chapitre 1. Histoires de points
p. 9-18
Texte intégral
1Dans son important article de l’Encyclopédie intitulé « Ponctuation1 », Beauzée prend comme exemple un texte d’Aristote sur Héraclite qu’il juge imponctuable sans courir le risque d’évacuer les subtilités de la pensée, d’appauvrir, d’abîmer. S’inscrit en creux l’idée très ancienne que ponctuer, c’est diviser, couper en piquant si on revient à l’étymologie grecque. Joyce en fait l’objet de plaisanteries dans Finnegans Wake avec sa description du manuscrit Hanno O’Nonhanno qui est « pierced butnot punctured (in the university sense of the terrn) by n umerous stabs and foliated gashes made by a pronged instrument » [percé mais non ponctué (au sens universitaire du terme) par de nombreux coups et balafres foliotées produits par un instrument denté]2. Il s’agit là d’un véritable acte de mutilation qui s’attaque au corps du texte et n’est pas sans éveiller certaines peurs ancestrales, certains échos inconscients3. La ponctuation des textes saints pose le problème de manière hyperbolique dans la mesure où elle permet à l’individu ponctueur d’imposer une interprétation, instaure insidieusement une lecture monodique, et insensiblement monolithique, d’un texte fortement et nécessairement polysémique, dépossède la divinité de sa puissance mystérieusement signifiante : ponctuer le texte biblique, c’est toujours introduire de l’étrangeté trop humaine, menacer l’intégrité du Verbe.
2Devant l’importance croissante que prenait l’écriture dans la vie sociale, les grammairiens latins ont mis en place un système fondé sur le point, signe minimal. Jusque là, les mots et les phrases s’inscrivaient en totale continuité. Il était donc nécessaire au déchiffreur de trouver par lui-même les pauses utiles à la compréhension des articulations syntaxiques : le lecteur antique était habituellement lettré et par là doté des outils nécessaires pour décrypter les règles d’une syntaxe qui s’appuyaient essentiellement sur le j eu des déclinaisons et sur des prépositions qui permettaient de saisir les unités de sens et servaient, dans cette mesure, de « morphèmes de ponctuation », séparant et liant les éléments des phrases ou les phrases elles-mêmes. Cependant ce système n’était pas sans ambiguïté et la volonté naquit de mieux faire saisir les pauses, les rapports. C’est le même signe, le point, qui servira alors, avec des valeurs différentes selon la position occupée par rapport aux lettres. Au Moyen Âge, le besoin se fera sentir, avec la disparition de certains garde-fous grammaticaux, d’affiner le système en ajoutant la virgule, sorte de trait minimal.
3On peut, à la suite de N. Catach, se représenter ainsi l’évolution de l’emploi des combinaisons qui vont s’ensuivre du Moyen Âge au XVIe siècle4 :
Ponctuation forte : [’] puis [ ;] puis [.]
moyenne : [۰] puis [ ;] ou [ : ]
faible : [.] puis [?] puis [, ]
À quoi correspond cette échelle de force dans la mesure où les théories sur la ponctuation reposent sur des principes variés qui mêlent sens, respiration, esthétique, etc.? Pour Dolet, en 1540, le colon (point) « conclud la sentence », le comma (deux points, point virgule) « tient le sens en partie suspens », l’incisum (virgule) « ne sert d’autre chose que de distinguer les dictions » (les mots)5. La ponctuation forte marque donc la fin d’une unité syntaxique (sentence, phrase, période ?) dont la définition reste à préciser, quand la ponctuation moyenne en suspend provisoirement le cours et la faible en sépare les constituants élémentaires. Encore faut-il que la hiérarchie entre les différentes unités (mots, syntagmes, propositions, phrases) soit clairement définie, ce qui ne va pas sans difficultés.
4En 1765, dans une volonté très encyclopédique de clarification des savoirs, Beauzée va tenter de mettre en place les fondements définitifs de la ponctuation moderne. Si tous s’entendent en effet à peu près sur la liste des signes6, les usages sont multiples. Or s’attaquer à la question, c’est très vite être confronté aux questions essentielles qui traversent à l’époque les champs de la grammaire et de la poétique. Tout débute par une définition : « C’est l’art d’indiquer dans l’écriture, par les signes reçus la proportion des pauses que l’on doit faire en parlant. » S’y déclinent un certain nombre de partis pris :
- « signes reçus » (à la fois hérités et à recevoir par tous) montre la volonté d’une norme définitive, d’une classification, implique l’unification des systèmes pour aboutir à une amélioration de la lecture. L’expression sous-entend une critique des autres théories incapables de réellement s’imposer et participe de la volonté encyclopédique de fixer le savoir. Beauzée semble signifier qu’il y parviendra à condition de mettre au point la théorie la plus acceptable sans pour autant rompre trop nettement avec les traditions.
- « on doit » indique-t-il une nécessité ou une obligation ? Pour que le discours soit « viable », il paraît vital de transcrire les arrêts que semble imposer la respiration dans l’oralité. Plus que ce qui permet de faire sens, la ponctuation serait-elle avant tout la marque de l’incursion obligée du corps dans le texte ?
- « proportion » reste un terme flou. Désigne-t-il une intensité, une longueur ? Les « pauses » doivent-elles être comprises comme des silences plus ou moins longs, plus ou moins lourds ? La ponctuation est-elle, plus qu’un instrument de lisibilité, la mise par écrit des silences, la trace d’une parole qui s’absente ?
5On ne trouve dans cette définition aucune référence au sens ; la ponctuation reste apparemment essentiellement une question de souffle. Pourtant, très vite, on l’a vu, va se poser de façon précise la question des risques que la ponctuation mal employée représente pour la saisie intellectuelle du texte. Ponctuer, c’est le plus souvent changer ou imposer le sens, d’une certaine façon agresser. On s’éloigne très vite de la simple notion de pause « respiratoire ». La saisie musicale laisse la place à la réflexion et à la (re)construction de mécanismes logiques qui s’inscrivent à travers les signes.
6Mais ce glissement ne condamne-t-il pas la ponctuation à n’apparaître dès lors que comme l’instrument des sots, qui ont besoin d’elle pour atteindre un sens qui sinon leur échapperait ? C’est ce que pense, par exemple, l’Abbé Girard dans le seizième discours de ses Vrais principes de la langue française publié en 1747. Pour lui, en effet, « la ponctuation soulage et conduit le lecteur ; elle lui indique les endroits où il faut se reposer pour prendre sa respiration, et combien de temps il y doit mettre ; elle contribue à l’honneur de l’intelligence, en dirigeant la lecture de manière que le stupide paraisse, comme l’homme d’esprit, comprendre ce qu’il lit ; elle tient en règle l’attention de ceux qui écoutent, et leur fixe les bornes du sens ; elle remédie aux absurdités qui viennent du style ». Elle n’a finalement que peu d’importance puisqu’elle ne crée pas le style, n’a pas de rapport avec la « pureté du langage », la « netteté de la phrase », la « beauté de l’expression », « la délicatesse et la solidité des pensées ». Elle n’en est pas pour autant totalement méprisable dans la mesure où si, pour aider à la compréhension, elle semble verrouiller le sens en brisant le mouvement continu et ondulatoire de la période, et donner ainsi la primauté à l’intelligence sur l’ouïe (car c’est bien de la préservation d’une certaine musicalité de la langue dont il s’agit aussi), elle apparaît dans le même temps comme un indispensable outil contre les « obscurités qui viennent du style » et donc pour la diffusion des Lumières.
7La réintroduction du sens, absent de la définition, au moyen d’une mise en équivalence, que Diderot considérera ailleurs comme absolue, des pauses de la voix et des « liaisons ou disjonctions » sémantiques, condamne donc à s’arracher à la tradition orale et antique pour s’inscrire dans une conception nouvelle et douloureuse de l’écrit, dont nous verrons plus loin les incidences dans le rapport de l’écrivain à son œuvre. Toucher au sens, c’est du coup pénétrer dans la métaphysique. Dès lors, le retour dans le texte de Beauzée de la définition, inchangée, conduit à s’interroger à nouveau et de façon plus approfondie sur le terme de « proportion ». Ce qui a rendu et rend encore difficile la constitution d’un système cohérent ne serait pas la multiplicité des usages mais l’impossibilité de récupérer ce rapport simple qui veut que chaque signe soit autant pause respiratoire que jonction ou disjonction entre deux éléments syntaxiques.
8Chacun des signes essentiels ordonnés selon les « besoins de la respiration » (virgule, point virgule, deux points, point) indique donc une certaine longueur de pause tout en respectant une logique du sens. De fait la ponctuation, même lorsqu’elle semble se contenter de reproduire les indispensables silences plus ou moins longs du discours, ne peut échapper au sens, toujours forcément présent dans les choix des pauses opérées. Le mythe d’une ponctuation naturelle qui serait pure manifestation d’une respiration primordiale et inscrirait le corps dans la langue ne tient pas dès que l’on admet à la suite de Lacan que :
La respiration ne se coupe pas, ou [que] si elle est coupée c’est d’une façon qui ne manque pas d’engendrer quelque drame. [...] La respiration se rythme, la respiration est pulsation, la respiration est alternance vitale, elle n’est rien qui permette sur le plan imaginaire de symboliser précisément ce dont il s’agit, à savoir l’intervalle, la coupure. Ce n’est pas dire pourtant que rien de ce qui se passe par l’orifice respiratoire ne puisse, comme tel, être scandé, puisque précisément c’est par ce même orifice que se produit l’émission de la voix, et que l’émission de la voix est, elle, quelque chose qui se coupe, qui se scande7.
De fait le mirage tant vanté d’un équilibre entre nécessités du sens et du corps, obtenu à l’époque classique au prix de certaines accommodations (l’alexandrin, le membre de période comme unités forcées d’expiration), nie la légitimité d’une énonciation qui refuserait de se plier à cette norme prosodique pseudo-naturelle au profit d’une scandaleuse tentative de faire entendre une voix, d’inscrire un rythme qui serait autrement et effectivement signifiant. Lorsqu’elle va jusqu’à autoriser la compacité étouffante d’un texte certes lisible mais non plus dicible, la ponctuation peut dès lors proclamer l’indépendance positive de l’écrit sur le Verbe, en quelque sorte aussi son antériorité, ce qui ne peut s’accomplir sans menacer l’ordre chrétien, sans s’opposer à ce qui semble aussi historiquement patent, ce préjugé logocentrique qui consiste à soutenir la primauté de la parole sur l’écriture et dont la remise en cause par Derrida dans De la grammatologie8 constitue aujourd’hui un des points nodaux des théories déconstructionnistes. Évacuer la nécessité respiratoire, c’est aussi, dans une apparent effacement du corps, donner au texte un semblant d’autonomie problématique, remettre en cause la transparence du rapport qu’il entretient avec son créateur. C’est bien de métaphysique dont il s’agit ici dans la possibilité d’une ponctuation susceptible de menacer la puissance du souffle et, par là, de l’âme.
9Dans une grammaire et une esthétique classiques, la ponctuation se doit donc de conserver un rapport permanent avec la profération tout en établissant une hiérarchie de sens, une véritable politique de la phrase et du texte qui établira des rapports hiérarchiques entre les composants, les membres, les parties. Dans la mesure où semble confusément se perdre la musique du corps, il devient indispensable de doter la ponctuation d’une autre forme de puissance. De façon rigoureuse, chaque proposition sera séparée de ses semblables par un signe faible et de sa dominante ou de ses dominées par un signe plus fort. Seront par là constituées des classes très strictes qui faciliteront la compréhension logique tout en mimant l’ordre social. Beauzée définit ainsi trois types de propositions selon leur degré de subordination, le dernier « niveau » étant constitué par les « parties dépendantes ou subalternes de troisième ordre ».
10Il s’agit bien de l’« unification » et de la « fixation » d’un ensemble ; la ponctuation possède ainsi une fonction de coagulation. Mais quand les signes forts constituent P (sentence, phrase, période ?) en unité et la séparent de P’, les faibles séparent et relient les éléments de P. La ponctuation participe ainsi de la dynamique interne de la séquence en créant des groupes de poids et d’intensité variables selon que sera plus ou moins sensible sa force de séparation. Ainsi une phrase banale comme Le boulanger cuit son pain, la nuit, pourra-t-elle être saisie de deux façons selon que l’on considère que :
- la virgule rejette violemment « la nuit » de la proposition principale, en fait une information secondaire et négligeable ;
- la virgule scinde la phrase en deux et met en valeur le groupe court final auquel se trouve attribué un surplus de signification.
11C’est le tiret qui a le plus souvent cette fonction ; en témoigne cet exemple chez Mérimée : « La route monte insensiblement – vers le village. »
12C’est généralement le contexte, et notamment le genre auquel appartient le texte (le deuxième cas d’emploi se trouvera ainsi plus facilement en poésie qu’en prose), qui éclairera le lecteur sur la valeur plus ou moins conjonctive du signe.
13Si, dans son article, Beauzée prend comme cibles l’abbé Girard ou Restaut, c’est qu’ils menacent l’un et l’autre cette politique du sens en donnant l’indépendance intrinsèque aux parties contre l’ensemble ou en prétendant inféoder le critère de subordination à celui de proportion. C’est la longueur des propositions ou des éléments, et non leur fonction, qui semble pour eux imposer l’emploi de tel ou tel signe. Dans tous les cas, mettre en danger l’absolutisme de la proposition principale, noyau de la phrase, conduirait, pour Beauzée, à toutes les catastrophes. Tous deux, selon lui, tombent dans l’erreur parce qu’ils ne possèdent pas « une bonne métaphysique » ; ils ne réussissent pas à accomplir l’adéquation nécessaire entre systèmes politique et religieux et système de ponctuation. Puisque le langage reproduit la structure autoritaire au sein de laquelle il s’est formé, la ponctuation se doit de lui apporter un soutien efficace, sous peine d’aller contre lui et de sombrer dans l’insensé.
14De fait, si Beauzée a bien saisi que la question du sens est inséparable de celles des pauses, du rythme et de l’intonation, il semble rechigner à le reconnaître. Aujourd’hui il paraît acquis que la ponctuation est un outil essentiel de l’articulation suprasegmentale ; c’est une fonction continue qui porte sur l’ensemble de la phrase, reproduit la musique du discours tout en dirigeant la lecture de l’énoncé. C’est évident pour certains signes comme les points d’interrogation et d’exclamation qui concluent et intiment une lecture a posteriori, moins pour la ponctuation intermédiaire (virgule, point virgule). La ponctuation finale sert de contrepoint aux outils de modalisation (mots interrogatifs ou exclamatifs, inversion...) souvent placés en ouverture. Ce va-et-vient, parfois problématique en soi9, peut être de plus entravé lorsqu’un des postes vient infirmer l’autre. Ainsi, dans ce fragment de Reverdy : « Quelle lourde émotion ! Qui voudra l’enlever.10 », si l’adjectif « quelle » a besoin du point d’exclamation pour que s’inscrive la modalité exclamative (l’interrogation était à l’origine possible), la position du pronom « Qui » en début de deuxième phrase, avec majuscule, ne laisse pas d’ambiguïté sur la construction interrogative que vient pourtant remettre en cause le choix d’un point simple. Dès lors comment dire ? Doit-on choisir le schéma intonatif réclamé par le « Qui » ou par le point ? Si une lecture muette est possible en acceptant une perturbation sémantique, la déclamation semble impossible. Dans un retournement définitif, la ponctuation devient un outil efficace d’illisibilité orale.
15Lorsque George Sand affirme : « une belle page mal ponctuée est incompréhensible à la vue ; un bon discours est incompréhensible à l’oreille s’il est débité sans ponctuation, et désagréable si la ponctuation est mauvaise », c’est moins par conscience de la duplicité de la ponctuation que parce qu’elle continue à penser comme les classiques que « l’instinct de l’orateur intelligent le guide avec certitude et sans qu’il ait besoin de se reporter à aucune règle écrite, il sait couper sa phrase à point, en suspendre le sens tout en faisant comprendre qu’elle n’est pas finie, marquer les différentes stations de longue haleine, et même la prolonger au delà des lois de la sobriété en l’accentuant de manière à soutenir l’attention qu’elle réclame » et qu’« un discours bien débité, un rôle bien dit au théâtre devraient être les règles les plus sûres et les plus logiques pour la ponctuation exprimée en signes écrits11 ». La place primordiale accordée à la voix, à l’« instinct », manifeste la volonté de résister à la normalisation appauvrissante d’une ponctuation qui irait vers le tout-sens. « La ponctuation c’est l’homme », va jusqu’à affirmer George Sand, parodiant Buffon. Si la ponctuation contribue à introduire dans le texte de la musique, ce n’est pas celle factice, fabriquée à grand renfort de figures postiches, d’une certaine rhétorique mais plutôt le froissement de la pensée en train de se frayer un difficile chemin au travers des embûches et contraintes des mots et des phrases, celle de la langue, du palais, de la gorge, qui mettent en forme, même en silence, comme par nécessité instinctive, le texte, et le frappent, le ponctuent. C’est ce qu’un romancier contemporain comme Claude Simon semble penser lorsqu’il déclare :
Les problèmes que posent la ponctuation sont, dans l’écriture, parmi les plus difficiles à résoudre. [...] Ils sont étroitement liés au « ton » et par conséquent à la cadence choisie (ou qui parfois s’impose d’elle même) et donc en relation intime (même dans la lecture silencieuse) avec la musique, hors laquelle aucun texte littéraire ne peut être produit (ne peut s’élaborer). Leurs « règles » sont chaque fois à réinventer12.
L’emploi singulier d’un signe de ponctuation le constituera dès lors en capteur et vecteur d’émotion comme le note Larbaud dans Sous l’invocation de Saint Jérôme : « il y a une ponctuation littéraire à côté de la ponctuation courante, comme il y a une langue littéraire à côté du langage écrit courant13. » Et dans ce cas, « de dénotative, en ce qu’elle s’appuie sur des fondements syntacticologiques, clarifie le sens et l’ordonnancement des idées et des unités de pensée et joue donc son plein rôle de désambiguïsation, la ponctuation devient connotative, expression d’“un excès du signifié”, de ce “non-parlé [qui] dort dans la parole” pour reprendre les termes de M. Foucault, et se donne à lire comme ambiguïté14 ».
Notes de bas de page
1 Tome XIII, p. 15 à 25.
2 Penguin, Londres, 1992, p. 124. C’est moi qui traduis.
3 Les supplices par piqûre, par pincement ou par couture ne manquent, par exemple, pas dans la liste presque exhaustive des Cent vingt journées de Sodome de Sade.
4 L’Orthographe française à l’époque de la Renaissance, Droz, Genève, p. 297.
5 Idem, p. 77. On assiste de fait à la disparition de deux des trois points et à une inversion radicale. Le point bas (« plena distinctio ») faible d’abord pour une raison pratique (accolé au bas des lettres, il est peu visible) devient progressivement dominant, renforcé toutefois par la majuscule qui va le suivre. Les raisons de cette modification sont confuses : paresse qui conduit le copiste à « écraser » l’écriture, progressive ambiguïté du point élevé que l’on peut confondre avec les accents, apostrophes, points sur les « i » qui apparaissent de plus en plus nombreux et « saturent » le niveau supérieur, généralisation de la majuscule qui suffit en quelque sorte à marquer la fin ou le début de la phrase et peut pousser dès lors à se contenter d’un signe graphiquement faible ? L’« incisum » qui accompagne le point acquiert son indépendance mais demeure un signe valet. De façon logique, le couplage du colon et de l’incisum donne le signe médian : point virgule ou deux points, le deuxième étant ici en fait un incisum tronqué à moins que l’incisum ne soit un colon prolongé. Restent « interrogant » et « admiratif » dans lesquels la virgule surmonte le point qu’elle modifie en même temps que l’intonation de la phrase entière ; et « parenthèse » ou « interposition qui a son sens parfait » (une digression syntaxiquement et sémantiquement indépendante de la phrase ou de la proposition qui la contient).
6 N’y figurent généralement ni le tiret ni l’italique. On y rencontre en revanche souvent trémas, cédille et accents, ce qui montre combien la famille est alors surtout un moyen de se débarrasser de tout ce qui n’est pas lettre, de regrouper tout un attirail diacritique.
7 Prononcé lors du séminaire du 20 mai 1959, cité et commenté par H. Meschonnic dans Critique du rythme, Lagrasse, Verdier, 1982, p. 660-661.
8 Minuit, 1967.
9 L’emploi du point d’interrogation ne va en l’occurrence pas sans ambiguïtés. Ainsi « Si ce n’est pas là un mensonge bien positif, qu’on me dise donc ce que c’est que mentir ? » (Rousseau, Œuvres complètes, tome I, Gallimard, 1959, p. 1030), le point n’a rien à voir avec le schéma intonatif qui est ici clairement injonctif, son caractère interrogatif fait écho au statut de la subordonnée tout autant qu’à l’objectif avoué de l’énoncé de mettre l’interlocuteur sur la sellette. L’intention s’inscrit dans l’inscription qu’on imagine rageuse d’un signe dont la fonction n’a rien de mélodique. On notera aussi que George Sand, pour faciliter la « première lecture » recommandait l’adoption du système espagnol qui place le point d’interrogation en début de phrase.
10 « Hiver » dans Poèmes en prose (1915).
11 Lettre à Charles Edmond, 1871.
12 Cité dans « La Ponctuation », Langue française, n° 45, Larousse, 1980, p. 95. À noter que, dans une étude statistique de l’écriture de C. Simon, on a pu noter une carence significative en points et un emploi très étendu de la virgule (p. 122-123). Sur ces problèmes et d’autres posés par la ponctuation de C. Simon, on peut se reporter notamment à l’ouvrage de C. Rannoux consacré à La Route des Flandres, Paradigme, 1997.
13 Gallimard, 1946, p. 248.
14 C. Demanuelli, Points de repère, Université de Saint-Étienne, 1987, p. 108.
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