V. L’art comme symbole
p. 101-134
Texte intégral
1La philosophie de l’art de Nelson Goodman peut être globalement caractérisée comme une manière de poser la question de l’art qui prétend différer radicalement des manières (dites) traditionnelles de formuler cette question. L’auteur de Langages de l’art considère, en effet, que le bilan que l’on peut tirer de ces dernières ne représente qu’une somme d’échecs dans la mesure où elles enferment la philosophie de l’art dans d’interminables discussions sur de faux problèmes (attitude esthétique, beauté, plaisir, subjectivisme, etc.), c’est-à-dire des problèmes sur lequels « on ne peut conclure »1, et où, corrélativement, elles confortent l’opinion commune en séparant la question de l’art de la question scientifique, négligeant « l’interpénétration des préoccupations cognitives et esthétiques » (p. 84). Réintroduire le cognitif dans la sphère du questionnement sur l’art, c’est ce qu’a tenté depuis un certain temps la philosophie analytique ; mais, essentiellement préoccupée par le fait que l’expression de la pensée est inséparable de son support discursif, elle s’est surtout ingéniée à analyser le discours, oubliant que l’on peut également analyser l’expression du point de vue de sa signification et de sa référence. Or, « parler du discours sur l’art ce n’est pas parler de l’art » (p. 85) et parler de l’art, c’est étudier celui-ci du point de vue du symbolisme : « Les œuvres réfèrent et sont donc des symboles. » Voilà l’idée séminale qui féconde toute l’esthétique goodmanienne – c’est elle qui caractérise l’originalité de la position du philosophe, plutôt que la prétention, commune aux partisans de la méthode analytique, de construire une théorie quasiment indépendante de la tradition.
2En tout état de cause, cette idée séminale est une idée simple, et l’auteur se complaît à le répéter. « J’emploie ici “symbole” comme un terme très général et neutre » écrit-il au début de Langages de l’art2. Neutre, en effet, parce qu’il « ne véhicule pas de sous-entendus détournés ou occultes ». Un symbole, ajoute-t-il, c’est toute sorte de chose (lettre, mot, texte, image, diagramme, carte, modèle, etc.) qui fait référence. « “Référence”, tel que je l’emploie, dit-il aussi pour faire bonne mesure, est un terme très général, un terme de base. Il recouvre toutes sortes de symbolisation, tout ce qui tient lieu de3. » A peu de choses près, le fil ténu d’une définition minimale, symbole et référence sont des termes primitifs que l’auteur nous demande d’approuver – et l’on sent bien que ce nominaliste sûr de lui serait irrité si l’on se piquait de les discuter4. De toute façon, la bonne question c’est plutôt de savoir si pareille discussion aurait le moindre intérêt. Ce qui distingue une théorie des autres, ce qui la qualifie comme intéressante ou plus intéressante, c’est qu’elle suscite, dans le champ cognitif où elle affiche son insertion, une discussion féconde, en d’autres termes qu’elle enrichit la discipline où elle prétend se ranger. En l’occurrence, il s’agit de savoir en quelle façon une discussion sur les notions de symbole et de référence présente de l’intérêt dans le cadre de l’esthétique ou encore davantage d’intérêt qu’un débat, entre autres choses, sur l’attitude esthétique ou sur le subjectivisme dans l’art. Corrélativement : peut-on espérer renouveler une discipline en changeant sa problématique de fond en comble ? Essayons d’évaluer la chose.
3Nelson Goodman est un nominaliste bon teint qui refuse l’existence d’entités abstraites indépendantes de l’esprit, y compris des notions mathématiques comme celle d’infini5. Ce renoncement signifie, d’une part, que le monde est limité aux individus concrets (concrete individuals), c’est-à-dire aux objets, aux événements ou aux expériences physiques et, d’autre part, que la portée de la science est limitée aux prédicats d’individus concrets, c’est-à-dire aux termes qui décrivent des objets, des événements ou des expériences physiques.
Plutôt que d’essayer d’expliquer les sentiments flottants et les idées éphémères, la philosophie analytique met l’accent sur ce qui est public. Les pensées ne sont pas enfermées dans l’esprit ; elles voyagent, portées par les paroles et les actes6.
4Sur ce plan, il n’y a pas de différence entre le monde et le discours sur le monde : le discours utilise lui-même des individus, les signes ou symboles de différentes espèces. La relation entre les symboles et le monde est la référence, c’est-à-dire le fait que quelque chose tient lieu d’autre chose – par exemple, pour prendre une variété de référence parmi d’autres, « “Utah” dénote un seul état, “état” dénote chacun des cinquantes membres de la fédération »7. Etant donné la réduction nominaliste à l’observable, la question essentielle qui se pose est de savoir comment les symboles décrivent le monde.
5Dans une célèbre conférence donnée à l’Université de Londres en mai 1953, intitulée « La nouvelle énigme de l’induction »8, Goodman entend réaliser, dans le champ philosophique, la substitution d’une question nouvelle à une question ancienne (posée par Hume dans son Essai sur l’entendement humain, 1748) au sujet du problème de l’induction – à savoir le procédé logique qui nous autorise à dégager une règle générale de l’observation de phénomènes qui se répètent et, en particulier, de tirer une loi de causalité de la succession habituelle de certains phénomènes. La question ancienne était : pourquoi l’attestation d’une hypothèse fonde-t-elle la prédiction d’attestations ultérieures ? La nouvelle question se formule en ces termes : quelles sortes d’hypothèses sont-elles confirmées par leurs attestations ?9 Il y a deux sortes d’hypothèses à distinguer à cet égard : celles qui ont la forme d’une loi (lawlike) et celles qui ne sont que des assertions accidentelles. Par exemple, si l’hypothèse que le cuivre en général conduit l’électricité est confirmée par le constat qu’un morceau de cuivre donné conduit l’électricité, le fait qu’un homme donné, qui est maintenant dans cette pièce, est un troisième fils ne confirme pas l’hypothèse que tous les hommes maintenant dans cette pièce sont des troisièmes fils (p. 73). Tandis que, pour Hume, l’explication des prédictions résidait dans les habitudes nées de la régularité de certaines expériences, Goodman met l’accent sur le fait que « certaines régularités établissent de telles habitudes, d’autres non » (p. 82). La nouvelle énigme consiste donc à déterminer ce qui fonde les jugements qui ont la forme d’une loi, c’est-à-dire la légitimité d’une induction ; et la réponse est : l’« implantation » du prédicat considéré dans l’usage linguistique (p. 94-95). Cette conclusion ressemble au postulat wittgensteinien des Investigations et, en ce sens, illustre une relative unité de l’école analytique. Toutefois, entre autres différences, tandis que le philosophe viennois s’oriente vers une sémantique (la théorie des « ressemblances de famille » a de fortes analogies avec les théories sémantiques de décomposition du sens en traits pertinents), Goodman s’oriente plutôt vers une syntaxe qui s’intéresse aux règles et aux formes de combinaison des symboles qui organisent nos représentations du monde.
6Pour lui, le but de la philosophie n’est donc pas de reproduire le monde, mais de le décrire10, à la manière d’une carte géographique : « Une carte est schématique, sélective, conventionnelle, condensée, et uniforme » (p. 19). La philosophie gagne ainsi en cohérence ce qu’elle perd en complexité. Il y a plusieurs cartes possibles, plusieurs manières de construire une représentation du monde, plusieurs mondes qui ont autant de réalité les uns que les autres eu égard au système symbolique de leur construction :
(...) la question traitée ici n’est pas celle des mondes possibles que forgent et manipulent beaucoup de mes contemporains, surtout quand ils habitent près de Disneyland. Nous ne sommes pas en train de parler des multiples solutions possibles de remplacement d’un unique monde réel, mais de la multiplicité des mondes réels11.
7Décrire le monde est une activité créatrice qui établit un système de représentation d’un monde ; la version du monde que donne un tel système ne renvoie pas à la question du monde en soi, mais à la question de la correction de la version considérée et la correction n’est pas l’adéquation de la description à un monde en soi, puisque « tout ce que nous apprenons du monde est contenu dans les versions correctes élaborées à son sujet » (p. 12). Il n’y a qu’une solution pour échapper à ce cercle vicieux : considérer les manières dont les mondes sont faits – et les mondes sont faits de symboles –, donc mener à bien l’« étude analytique sur les types et fonctions des symboles et des systèmes de symboles » (p. 14).
8Étudier l’art, c’est étudier les mondes construits par les œuvres à travers le (ou les) langage(s) de l’art, c’est-à-dire ses symboles, leurs fonctions et leur système. L’art est une variété de construction de mondes et une variété de système symbolique. De même qu’un prédicat constitue une catégorie déterminée pour l’inférence inductive dans un monde déterminé, une œuvre d’art appartient à un monde déterminé fondé sur une ou des catégories déterminées : « (...) un Christ de Piero della Francesca et un Christ de Rembrandt appartiennent à des mondes qui sont organisés selon des genres différents » (p. 20). Des accentuations de telle ou telle catégoire pour une œuvre donnée et en un temps donné subissent une récession pour une autre œuvre et en un autre temps :
Avec le changement des intérêts et la nouveauté des visions, change la pondération visuelle des caractéristiques de masse, de ligne, de position ou de lumière, et le monde ordinaire d’hier paraît étrangement perverti – le paysage pour calendrier réaliste d’hier devient une caricature repoussante.
9Plus généralement, l’étude de l’art, comme l’étude de n’importe quel système symbolique, consiste à décrire la manière dont son monde est organisé dans un certain système, à travers la syntaxe de l’arrangement des symboles qu’il emploie et suivant le mode de référence qu’ils actualisent.
10L’usage que fait Goodman de la notion de symbole est tellement général que l’on a tout de même envie de savoir si elle se différencie ou non de la notion de signe, puisque celle-ci est la notion la plus généralement employée par les penseurs de tous bords. « Comprendre une œuvre comme symbolique, écrit-il, c’est l’inclure dans un langage ou un système symbolique. La syntaxe du système détermine l’identité de ses signes, sa sémantique fixe leur référence12 ». Cette citation ne nous permet par de distinguer clairement les deux notions : la première phrase indique que le symbole est l’élément d’un système, mais la seconde phrase, qui caractérise ce système par un double composant, syntaxique et sémantique, substitue signe à symbole. On remarque évidemment que cette description du système symbolique correspond de manière très étroite à la forme des systèmes linguistiques (de même, comme on le verra plus loin, la définition de la dénotation picturale est, d’abord, formée au moule de la dénotation linguistique). Un symbole est peut-être une sorte de signe caractérisé par son ancrage dans un système peu ou prou comparable au système d’une langue – une définition qui réserve la possibilité qu’il existe d’autres sortes de signes, des espèces de signes libres par rapport aux signes imposés que seraient les symboles. Je doute que Goodman m’accorde pareille liberté. Mais supposons qu’un certain porte-bouteilles soit une œuvre d’art et supposons, avec Goodman, qu’il soit ipso facto un symbole, à quelle sorte de système symbolique peut-on le rattacher ? Baudrillard répond avec son fameux « système des objets », qui implique la « conversion de l’objet vers un statut systématique de signe13 ». Or, ce système est censé règler le fonctionnement quotidien de l’objet, non point son fonctionnement artistique comme l’exposition du porte-bouteilles dans une institution ad hoc. Goodman ajoute cette précision à la citation précédente :
Une des tâches de l’esthétique analytique est de décrire des systèmes appropriés à l’art. Une autre est de déterminer en quoi ils ressemblent aux autres systèmes et en quoi ils en diffèrent14.
11 A priori le système des objets n’est pas un système approprié à l’art, ce n’est pas lui qui fait fonctionner l’objet x (promu au rang d’œuvre d’art, suivant la fameuse définition du readymade) comme symbole en tant qu’art. Cet embryon de réflexion nous amène immédiatement à la question centrale que pose la théorie de Goodman : s’agit-il d’une théorie de l’art comme système symbolique en tant qu’art ou bien d’une théorie des systèmes symboliques dont l’art peut faire usage ? Et cette question même énonce-t-elle une vraie différence dans l’optique du théoricien ?
12J’ai évoqué l’idée de signe libre, à titre de simple hypothèse, sans prétendre qu’elle a un sens quelconque. Je pensais, néanmoins, à Peirce qui, comme on le sait, prend la question du signe à rebrousse-poil de la plupart des auteurs. Ceux-ci disent : un signe est un élément dans un système déterminé (système de communication, d’expression, etc.) ; en conséquence, ils ont tendance à étudier des signes précodés dans leur fonction de signe, de la canne de l’aveugle aux langues naturelles, en passant par les langues artificielles et le code de la route. Peirce part des choses et dit : une chose n’est pas un signe en tant que chose, mais toute chose peut être un signe à condition d’entrer dans une certaine relation, un processus sémiotique ; toute chose, c’est-à-dire aussi bien un signe rattaché à un système déterminé (un mot, par exemple) qu’un objet ou un aspect d’un objet quelconques. Pour traduire l’idée peircienne dans notre domaine de réflexion, on pourrait dire que toute chose peut devenir un objet d’art à condition d’entrer dans une certaine relation sémiotique qui le qualifie comme tel. Attention, ici, à la formulation : on n’a pas dit à condition d’entrer dans une relation sémiotique (ou symbolique), mais à condition d’entrer dans une sorte particulière de relation sémiotique (ou symbolique), celle qui qualifie une œuvre comme art.
Naturellement, renchérit Goodman, fonctionner comme symbole d’une manière ou d’une autre n’est pas en soi fonctionner comme œuvre d’art. (...) Les choses ne fonctionnent comme œuvres d’art que lorsque leur fonctionnement symbolique a certaines caractéristiques15.
13Cette citation indique clairement que le fonctionnement comme art est une variété de fonctionnement symbolique, ce qui nous laisse toujours devant notre problème.
14Pour en savoir davantage, examinons la thèse centrale de « Quand y a-t-il art ? » :
Si les tentatives faites pour répondre à la question « Qu’est-ce que l’art ? » se terminent de façon caractéristique dans la frustration et la confusion, peut-être est-ce – comme souvent en philosophie – que la question n’est pas la bonne (p. 199).
15On a là, un parfait exemple de la manière dont Goodman se situe vis-à-vis des questions traditionnelles : on n’a pas réussi à résoudre tel problème, eh bien, changeons de problème ! Pour ma part, j’ai plutôt tendance à raisonner suivant ce de deux choses l’une : ou bien la nouvelle question permet d’accéder à une réponse pour la précédente, et alors elle n’en n’est qu’une variante ; ou bien elle engage sur une voie complètement différente, et la question rejetée reste légitimement pendante – « Dire ce que l’art fait n’est pas dire ce que l’art est (...) » concède, d’ailleurs, l’auteur (p. 208). Acceptons, toutefois, de le suivre (pour voir jusqu’où on peut le suivre quand on n’est pas simple « suiviste ») sur la voie apparemment radicale qu’il ouvre à l’esthétique. Avant d’énoncer la « bonne » question, il note, d’une part, que « La littérature esthétique est jonchée de tentatives désespérées pour répondre à la question : “Qu’est-ce que l’art ?” » et, d’autre part, que cette question « se pose avec acuité dans le cas de l’art trouvé – la pierre ramassée sur une route et exposée dans un musée – et est encore relancée par la promotion de l’art dit d’environnement et conceptuel » (p. 206). On discerne ainsi deux raisons du déficit des susdites tentatives : la première réside dans le mode de questionnement lui-même, notamment dans le fait que, sous-jacente à la question, il y a souvent une préoccupation de classement axiologique (« Qu’est-ce que le bon art ? ») ; la seconde réside dans des expériences contemporaines (la pierre sur une route, une aile d’automobile écrasée, le trou creusé et comblé dans Central Park conformément à la prescription d’Oldenburg16) qui contredisent peu ou prou d’éventuelles définitions établies.
16On notera au passage que le principal intérêt des expériences en question est qu’elles mettent en crise les définitions qui prétendraient établir ce qu’est le « bon art », « l’Art avec un grand A » que les manifestes futuristes prétendaient, eux, détruire. En outre, cette contestation, elles ne se contentent pas de la brandir théoriquement ; elles instaurent concrètement la contradiction, par l’intromission dans le monde de l’art d’objets qui se différencient effectivement de la forme consacrée de l’œuvre, notamment en revêtant et conservant, par-delà les manipulations, l’apparence d’objets ordinaires. Les théoriciens proposent des définitions, les artistes imposent les leurs. Cette différence de statut est loin d’être négligeable, en ce sens qu’elle confère aux deux sortes de définition un statut différent : la définition purement théorique est le commentaire possible d’un état déterminé de l’art ; la définition nouvelle advenue dans la pratique introduit un changement d’état de l’art, un monde de l’art. Ainsi les définitions qui procèdent du monde de l’art lui-même – x est une œuvre d’art parce que « un artiste l’appelle une œuvre d’art » ou parce que c’est « exposé dans un musée ou dans une galerie » – ne sollicitent pas simplement la « conviction » du théoricien, comme le dit Goodman qui leur refuse la sienne, mais placent la théorie devant un fait accompli dont il n’est pas le légistateur, même a posteriori.
17Il y a deux grands modes de référence qui concernent notre problème : la dénotation (sur laquelle nous revenons plus loin) et l’exemplification. On peut créditer Goodman d’avoir isolé ce second mode de manière claire et d’avoir montré son rôle fondamental dans le domaine de l’art. Tandis que la dénotation va du symbole à ce à quoi il fait référence, l’exemplification va du symbole à un de ses aspects, fait référence à une propriété qu’il possède :
Un échantillon de tailleur, dans un usage normal, exemplifie sa couleur, sa texture, son épaisseur, mais ni sa taille ni sa forme. La note que donne un chef d’orchestre avant l’exécution exemplifie la hauteur mais pas le timbre, la durée ou la force17.
18L’expression « dans un usage normal » est importante : elle signale la possibilité d’un autre usage, inhabituel ou anormal, du symbole :
L’échantillon peut parfois servir comme échantillon d’échantillon de tailleurs et il exemplifie alors sa taille et sa forme plutôt que sa couleur et sa texture. Une pierre qui, dans une allée, ne réfère à aucun de ses traits peut servir de spécimen géologique ou d’objet d’art selon celui de ses traits permanents qu’elle exemplifie dans ces contextes particuliers (p. 22).
19On voit, ici, comment un objet ordinaire peut devenir une œuvre d’art ; il faut, pour cela, que telle ou telle propriété qu’il possède fasse l’objet d’un exemplification particulière. La condition nécessaire pour que quelque chose soit de l’art est qu’il fonctionne comme symbole, mais ce n’est pas une condition suffisante : encore faut-il qu’il fonctionne symboliquement d’une manière particulière qui caractérise le fonctionnement spécifique de l’art : « Notre pierre dans un musée de géologie acquiert des fonctions symboliques d’échantillon de pierres d’une période, (...) mais elle ne fonctionne pas alors comme œuvre d’art18. »
20Ce que retient le philosophe, ici, c’est qu’une œuvre d’art peut fonctionner comme telle « à certains moments et pas à d’autres », en sorte que
(...) la vraie question n’est pas : « Quels objets sont (de façon permanente) des œuvres d’art ? », mais « Quand un objet est-il une œuvre d’art ? » – ou plus brièvement (...) « Quand y a-t-il art ? ».
21Il ne s’agira pas de proposer une ontologie de l’œuvre d’art qui lui conférerait les caractères d’une essence permanente, dans la mesure où la qualification d’un objet ou d’un phénomène comme art est une fonction qu’il assume possiblement plutôt qu’une qualité qu’il possède intrinsèquement. La réfutation de la définition essentialiste de l’art procède du refus d’emboîter le pas à l’esthétique traditionnelle, en raison de son incapacité à gérer les paradoxes de l’objet d’art et, corrélativement, de l’assimilation de l’art au symbole, en vertu d’une propriété qui le caractérise en général :
(...) tout comme un objet peut être un symbole – par exemple, un échantillon – à certains moments et dans certaines circonstances et non à d’autres, de même un objet peut être une œuvre d’art à certains moments et non à d’autres.
22La formule selon laquelle l’art « fonctionne comme symbole d’une certaine manière » peut laisser entendre que l’impossibilité d’une définition essentialiste se déduit soit de la spécificité du fonctionnement de l’art soit de son caractère même de fonctionnement, c’est-à-dire de sa définition comme symbole, indépendamment de la spécificité artistique.
Normalement, écrit l’auteur, la pierre n’est pas une œuvre d’art tant qu’elle est sur la route, mais elle peut l’être, exposée dans un musée d’art. Sur la route, elle ne remplit habituellement pas de fonction symbolique. Dans le musée d’art, elle exemplifie certaines de ses propriétés – par exemple, des propriétés de forme, de couleur, de texture. L’action creuser-et-combler-un-trou fonctionne comme œuvre d’art dans la mesure où notre attention est dirigée sur elle en tant que symbole qui exemplifie (p. 206-207).
23Goodman nous demande donc de considérer un objet ou un fait ordinaires et de poser la question : quand cet objet ou ce fait fonctionnent-ils comme œuvre d’art ? Ici, sa réponse semble triple : la pierre fonctionne comme art lorsqu’elle est exposée dans un lieu ad hoc, lorsqu’elle fonctionne comme symbole et lorsqu’elle ressortit à l’exemplification – inversement, elle fonctionne simplement comme objet usuel, lorsqu’elle est sur une route, parce qu’elle ne fonctionne pas comme symbole et donc n’exemplifie rien.
24Une autre version de l’idée introduit une tierce sorte d’exemplification :
Une pierre qui, dans une allée, ne réfère à aucun de ses traits peut servir de spécimen géologique ou d’objet d’art selon celui de ses traits permanents qu’elle exemplifie dans ces contextes particuliers19.
25Il y a donc la pierre telle qu’elle, un objet-là, et la pierre dans un contexte particulier, devenu symbole du point de vue de telle ou telle propriété ; ce qui fonde généralement l’accès à la fonction symbolique et à l’exemplification, c’est l’entrée de la chose dans un contexte déterminé, par exemple l’institution géologique ou l’institution artistique. L’exemplification consiste dans le fait qu’un trait possédé par une chose devient, dans des conditions déterminées, l’objet même de la référence, l’attention étant attirée sur lui. (On rejoint là la célèbre théorie peircienne pour laquelle il y a relation sémiotique lorsqu’un aspect d’une chose devient un élément pertinent de l’usage de cette chose comme signe de quelque chose pour quelqu’un). Mais Goodman ne nous donne pas de règle systématique permettant de décider si l’institution géologique et l’institution artistique sont susceptibles d’opérer la focalisation ou l’exemplification sur des traits identiques ou sur des propriétés différentes, en sorte que l’essentiel de la « décision » renvoie au contexte – au monde de l’art ou à tout autre monde institué. On en revient toujours à l’idée que le philosophe se contente simplement d’indiquer un fonctionnement général : l’objet dans un contexte donné devient un symbole à tel ou tel égard.
26Qu’en est-il maintenant, non plus de l’objet trouvé, mais de l’œuvre a priori. « D’autre part, ajoute Goodman, un Rembrandt peut cesser de fonctionner comme œuvre d’art si on l’utilise pour remplacer une fenêtre cassée ou comme couverture20. » Si la question « Qu’est-ce que l’art ? » signifie « Quels objets sont (de façon permanente) des œuvres d’art ? » (prenons acte de cette synonymie, sans être sûr qu’elle soit unanimement reconnue), et si la question « Quand y a-t-il art ? » veut dire « Quand un objet est-il une œuvre d’art ? », eu égard au rejet de la première au profit de la seconde, on est en droit de conclure qu’il n’existe pas d’objets qui soient par essence des œuvres d’arts, tandis que, inversement, tout objet est susceptible, sous certaines conditions, de devenir une œuvre d’art, même temporairement. Mais cette proposition est contredite par l’exemple choisi par Goodman lui-même : certes, une pierre n’est pas une œuvre d’art et peut le devenir à condition d’être exposée dans un musée, mais, inversement, et c’est là que le bât blesse, une œuvre d’art peut cesser de l’être, lorsqu’on en fait un usage dans d’autres conditions que celles qui définissent sa qualité d’art. En effet, dans le premier cas, être une œuvre d’art est une fonction possible de l’objet définie par des conditions institutionnelles, tandis que, dans le second cas, c’est une propriété inhérente à l’objet que son changement de fonction lui ferait perdre temporairement. La contradiction apparaît encore plus crûment dans d’autres résumés de sa théorie donnés par l’auteur :
La peinture de Rembrandt demeure une œuvre d’art, comme elle demeure une peinture, alors même qu’elle ne sert que de couverture ; et la pierre de la route peut ne pas devenir à strictement parler de l’art en fonctionnant comme art. De façon similaire, une chaise demeure une chaise même si on ne s’assied jamais dessus, et une caisse d’emballage demeure une caisse d’emballage même si on ne s’en sert jamais que pour s’asseoir dessus (p. 208) ;
Le galet n’est pas une œuvre d’art mais sous certaines conditions fonctionne comme art ; une peinture de Rembrandt utilisée comme une couverture est une œuvre d’art mais ne fonctionne pas comme telle dans ce cas21.
27Pareilles assertions nous induisent donc à considérer que certains objets sont par essence ou, au moins, durablement, des œuvres d’art, même s’il est possible de détourner leur usage de cette propriété, d’autres non, même s’il est loisible de les utiliser comme s’ils possédaient cette propriété ; les uns, quels que soient les outrages qu’ils subissent, ne perdent pas leur qualité d’art, indéfectiblement attachée à eux, les autres, tout au contraire, quelqu’effort que l’on fasse pour les promouvoir au rang de l’art, ne deviennent jamais vraiment des œuvres au sens strict – c’est-à-dire, n’est-ce pas, au sens de l’inhérence ? Bref, si les premiers appellent la question : « Quand y a-t-il art ? », les seconds ne renvoient-ils pas plutôt à la question : « Qu’est-ce que l’art ? », du moins au sens que lui donne l’auteur ?
28Un locataire, qui succéda à Toulouse-Lautrec avenue Frochot, utilisa pour boucher des trous dans le plafond des toiles que le maître avait curieusement abandonnées ; Goodman nous propose à peu près la même idée, mais en tant que test intellectuel pour vérifier la solidité du concept d’art. Or, l’acte du locataire donne la mesure du test de Goodman, en ce sens que l’individu agit en méconnaissance de cause : il n’utilise pas des toiles prestigieuses de Toulouse-Lautrec parce qu’il ne les reconnaît pas comme telles, il utilise des morceaux de toiles abandonnés. S’il est clair qu’un objet d’art est un objet et donc peut être manipulé en tant que tel, il n’est pas clair du tout qu’il soit possible de l’utiliser à la fois comme objet d’art et comme simple objet. On imagine la chose possible pour un ustensile (bol, plat, vase, etc.) qui possède essentiellement le double statut – lequel, d’ailleurs, fait peser un doute sur le statut d’art de la chose considérée ; par exemple, si l’on connaît mal la peinture grecque c’est qu’il ne nous reste principalement que le témoignage d’objets de cette sorte, non point celui des tableaux évoqués par Pline ou Pétrone. La chose est plus difficile à imaginer concernant un objet univoquement artistique comme le tableau (sa fonction utilitaire se réduit à l’accrochage possible pour agrémenter un intérieur). Peut-on à la fois être conscient du statut d’art d’un tableau, ce qui suppose que l’on adhère aux valeurs afférentes (à commencer par le tabou sur le toucher), et l’utiliser de manière banale, voire triviale ? Le fait que le Rembrandt soumis aux tortures imaginées par Goodman garde ou perde sa qualité d’œuvre d’art, c’est-à-dire qu’il exemplifie encore la fonction symbolique ad hoc, alors même qu’il a subi des dégradations peu ou prou importantes, ou que, étant utilisé comme fenêtre, il exemplifie plutôt les propriétés d’un objet qui bouche l’espace, qui coupe le vent, etc., nous renvoie, d’une part, à l’idée que, en tout état de cause, il conserve des propriétés d’œuvre d’art, parce qu’étant fait pour l’art et par l’art il comporte l’inscription, sinon indélébile, du moins résistante, de signes de l’art et, d’autre part, à l’idée que le fonctionnement de ces signes comme artistiques dépend de la capacité de l’usager à les identifier comme tels.
29Inversement, l’idée que le galet peut fonctionner occasionnellement comme art et « sous certaines conditions », mais n’est pas de l’art, ne nous satisfait qu’à moitié. Il se trouve que le galet de Goodman est une sorte (abstraite) de readymade, soit, suivant la définition canonique, un « Objet usuel promu à la dignité d’objet d’art par le simple choix de l’artiste »22. Le philosophe qui proclamait avec Quine en 1947 : « Nous ne croyons pas aux entités abstraites »23, a une certaine tendance à préférer les exemples artistiques abstraits aux exemples concrets, pourtant fort abondants ; en outre, il a aussi tendance à reprendre au compte d’un effort intellectuel ce qui n’est que l’adaptation d’un fait avéré24. Or, ce n’est point comme question théorique, jaillie spontanément du cerveau d’un penseur, que la question de la promotion du galet se pose. S’il est patent qu’une chose ordinaire ou quasi-ordinaire peut faire l’objet d’une telle promotion, c’est que Duchamp introduisit un jour cette éventualité dans le champ de l’art. La question est inséparable d’une dimension historique, en vertu de laquelle il est patent qu’il ne s’agit pas, dans l’opération de cette promotion, d’utiliser des propriétés de l’objet ordinaire (relatives à la matière ou à la forme du galet), sauf ce caractère ordinaire lui-même, c’est-à-dire l’absence des propriétés apparentes de l’œuvre d’art traditionnelle. Ce que Duchamp montre, c’est que l’objet ordinaire non seulement devient une œuvre d’art, mais, à compter du moment où il l’est devenu, est une œuvre d’art de manière permanente en dépit des apparences – le readymade n’est pas exposé un jour, retiré un autre... Le grand paradoxe que manque Goodman, d’ailleurs peu enclin à ce genre de subtilités intellectuelles, c’est donc que les propriétés apparentes de l’œuvre n’opèrent que l’orsqu’elles sont reconnues, tandis que l’absence de telles propriétés, ou leur déni explicite, n’empêche pas la reconnaissance de quelque chose comme art.
30L’activité de Duchamp, tout comme celle d’un utilisateur inconscient de l’art, nous enseigne que la théorie introduit arbitrairement des difficultés vis-à-vis desquelles l’histoire de l’art serait une bonne thérapie préventive ; car elle nous enseigne que le concept de readymade recouvre une série de pratiques différenciées par variations fines qui jouent avec la dualité des propriétés apparentes et propriétés cachées. Par prédilection envers les exemples théoriques, on se contente de raisonner sur un équivalent abstrait (donc approximatif) du readymade brut, l’objet tel quel, parangon, s’il en est, de l’activité d’abstraction ; or, le readymade brut est non seulement rare, mais hypothétique (le fait même de placer l’objet usuel dans le contexte muséal est une modification de cet objet) ; il y a plus fréquemment readymade aidé ou rectifié, c’est-à-dire diverses façons, peu ou prou proches de modes artistiques traditionnels (rotation de l’objet, signature, inscriptions, etc.), d’intervenir sur l’objet de départ. Le fait que Fontaine, par-delà ses avatars, soit toujours un urinoir renversé doit-il être mis au compte des propriétés apparentes ou au crédit des propriétés cachées ? Évidemment, ce n’est pas une propriété de la matière de l’objet, un élément de son iconicité, mais ce n’est pas non plus une propriété esthétique au sens de Danto, c’est-à-dire purement intellectuelle ; c’est, au contraire, un indice concret de sa manipulation. Quant à la signature R. Mutt inscrite sur l’émail, tout en s’intègrant à la matérialité de la chose, elle fonctionne également comme indice d’une tranformation de l’objet de départ par l’artiste. Ces propriétés ajoutées ont la caractéristique générale d’altérer la chose par une opération définie dans le nouveau système de référence où l’urinoir prend place. En outre, elles attestent la contamination de cet objet incongru par ce qui définit l’inscription de l’œuvre dans les catégories d’art préexistantes, donc son allégeance relative à l’héritage de l’art.
31C’est d’une manière exactement inverse que l’idée du Rembrandt utilisé pour boucher une fenêtre ou converti en couverture manque une problématique parfaitement clarifiée par Duchamp. L’exemple, une fois encore, ressemble à s’y méprendre à la fameuse consigne de l’artiste : « Se servir d’un Rembrandt comme planche à repasser »25, pour lequel il s’agit d’illustrer ce qu’il appelle le readymade réciproque dont la fonction, toute conceptuelle, est de répondre à l’objectif de « souligner l’antinomie fondamentale qui existe entre l’art et les ready-mades » (p. 191). Goodman nous demande d’adhérer à la vraisemblance de l’anecdote que son exemple suggère, mais néglige de tirer la principale des conséquences qu’elle appelle : la reconnaissance du statut d’art de l’objet « dévalué » ; le readymade réciproque, au contraire, loin d’induire cette sorte d’épochè par inadvertance, telle que l’œuvre atteinte cesse de fonctionner comme œuvre, vise l’évocation volontairement iconoclaste d’une œuvre censément identifiée comme telle26. Cette fois, en quelque sorte, Duchamp fait mieux que Goodman sur le terrain même de l’exemple théorique, c’est-à-dire en lui conférant une valeur symbolique au sens fort du terme.
32Qu’en est-il, en général, de la relation art-symbole, décidément bien difficile à saisir ? On a vu que l’idée prétendûment simple du symbolisme se décompose en trois étages : premièrement, il y a une analogie entre le processus qui fait le symbole et celui qui fait l’art ; deuxièmement, pour qu’un objet fonctionne comme art, il faut qu’il fonctionne comme symbole ; troisièmement, le fonctionnement symbolique comme art possède des propriétés spécifiques. En somme, la propriété de fonctionner comme symbole est une condition nécessaire mais non suffisante de la propriété de fonctionner comme art, et, si Goodman parvient à nous apprendre quelque chose sur l’art, ce doit être en développant l’explication des conditions qui complètent le symbolisme en spécifiant son mode d’application au domaine de l’art. L’auteur apporte deux sortes de réponses à cette préoccupation. L’une, ultra-rapide, définit la spécificité du symbole artistique vis-à-vis de la science, et cela d’une manière strictement binaire – j’ose dire très bergsonienne, ce qui ne laisse pas de surprendre de la part de quelqu’un qui n’hésitait pas à taxer le philosophe d’obscurantisme en 1960 dans « The Way the World Is »27 :
Nous nous apercevons que la science rejette les symboles vagues, ambigus et imprécis alors qu’ils sont recherchés dans l’art. Dans la science, les symboles ont normalement une référence unique et directe ; dans l’art, la référence est souvent complexe, multiple et indirecte. Il est tout à fait normal que les symboles scientifiques soient déterminés, alors que les symboles esthétiques se caractérisent par la saturation. Dans la science, on cherche des fenêtres translucides à travers lesquelles les objets peuvent être nettement distingués. L’art tend plutôt à mettre l’accent sur les symboles eux-mêmes. Ce n’est pas un hasard. Les finalités, les aspirations d’une discipline déterminent et sont déterminées par les symboles qu’elle utilise28.
33Il y a tellement d’objets de discussion dans ce court paragraphe que cela semble une gageure que de le commenter. Avant de revenir sur certains points, considérons la voie plus longue suivie par Goodman pour répondre à notre question. Sa longueur est celle de Langages de l’art. L’auteur commence son parcours par une définition de l’image qui répond à la question : qu’est-ce que veut dire A représente B ? Or, la réponse : A représente B signifie A dénote B (c’est-à-dire que A est un symbole qui vaut pour B ou fait référence à B) est valable aussi bien pour l’image que pour la description textuelle. Le cheminement qui mène à cette identification est le suivant : contrairement à ce que l’on croit naïvement (Goodman ne précise pas qui sont les naïfs), la représentation par des images diffère de la ressemblance pour deux raisons, l’une, partielle, à savoir que « lorsqu’une représentation ne représente rien, il ne peut être question qu’elle ressemble à ce qu’elle représente » (p. 51), l’autre, plus générale, à savoir que « presque tout peut valoir pour presque n’importe quoi d’autre » (p. 35). En d’autres termes, une partie des images sont des fictions sans modèle extérieur et toutes les images sont des conventions qui peuvent dénoter n’importe quoi. Or, dans cette remarque, la première proposition semblerait conduire à l’idée qu’il existe des images sans dénotation, tandis que la seconde proposition veut conduire à l’idée que « la dénotation est une condition nécessaire de la représentation » (p. 51). Goodman croit résoudre élégamment la difficulté en distinguant l’image d’un homme et une image-d’homme sur la base du schéma qui permet de distinguer, entre deux descriptions-d’hommes telles que « Pickwick » et « le duc de Wellington », celle qui décrit un homme de celle qui n’en décrit aucun (p. 49) :
Lorsqu’on parle d’une image comme dépeignant une licorne, alors même qu’il n’y a pas de licorne à dépeindre, nous disons en fait que l’image est une image-de-licorne ; nous ne disons pas que la peinture dénote quelque chose mais plutôt qu’elle est dénotée par le terme « image-de-licorne »29.
34La critique de la ressemblance pousse globalement l’image vers la dénotation, ramenant ainsi les images qui représentent quelque chose qui existe indépendamment d’elles vers le symbolique, dans la même classe que la description. Pour conforter cette assimilation, l’auteur s’appuie sur un distinguo qui n’a pas d’équivalent en français : depiction-description30. Dans cette optique, dépeindre et décrire sont deux sortes de dénotation. Devant les images qui représentent quelque chose qui n’existe pas, dont on pourrait dire qu’elles créent leur dénotation, le nominaliste tremble de devoir reconnaître l’existence d’entités inexistantes (aussi troublantes pour lui que les entités abstraites) et préfère considérer que la dénotation est vide, mais doit, du même coup, sauver la dénotation pour satisfaire au nominalisme. Il en renverse donc le sens : l’image à extension nulle ne dénote pas ce qu’elle dépeint, elle est dénotée par la description que nous en faisons.
Faire référence à un objet est une condition nécessaire pour le dépeindre ou le décrire, mais aucun degré de ressemblance n’est une condition nécessaire ou suffisante, pour l’un ou l’autre cas31.
35Cette affirmation pose lourdement problème. S’il est possible que l’on parle de ressemblance au sujet d’une description, ce n’est sans nul doute pas de la même façon qu’au sujet d’une image. Concernant cette dernière, le problème se pose dans la mesure où, devant un portrait par exemple, il est autant possible de dire « le représentant ressemble au représenté » que l’inverse ; et quand on dit cela, on parle de l’image, dans la mesure où il est impossible de dissocier la nature de l’image de la nature du représenté – c’est là, censément, une propriété essentielle de l’image. En revanche, quand on établit un rapport de ressemblance entre une description et la personne qu’elle portraiture, on considère ce que le texte évoque abstraction faite des propriétés de la textualité : on ne compare pas le modèle au texte en tant que tel. Dans mon esprit, cette remarque signifie évidemment que le texte est symbolique en un sens plus strict que l’image (inutile de rappeler, ici, que l’on fait référence à un chien avec des mots arbitraires définis dans le cadre d’un code linguistique précis, tandis qu’il n’y a pas de langues différentes systématiquement codifiées qui déterminent des formes arbitraires d’image du chien). Inversement, quand une image n’est pas censément la copie d’un objet extérieur, la consubstantialité du représenté et du représentant joue pour créer la sensation de l’existence de cet objet – mais Goodman trouverait sans doute pareille assertion naïve. En outre, on peut avancer l’idée qu’une bonne description peut évoquer très fortement un objet, avec un grand luxe de détails, et qu’il est possible d’y croire encore plus fermement qu’à l’objet schématisé dans une bande dessinée par exemple. Il y a seulement une grosse différence entre les deux : l’image proprement dite est un percept, la description reste une image mentale.
36Goodman remarque, à juste titre, que les images à dénotation nulle sont moins rares qu’on ne le croit :
C’est tout le contraire, dit-il ; le monde des images regorge de personnages, d’endroits et de choses anonymes et fictives. L’homme dans Paysage avec un chasseur de Rembrandt n’est probablement aucune personne réelle ; c’est simplement l’homme dans la gravure de Rembrandt (p. 51).
37Aux images de personnages censément fictifs s’ajoutent donc les images de personnages anonymes dans la catégorie des images qui ne dénotent pas mais qui sont dénotées par leur description (au vrai, le fait n’est pas que le personnage soit « réel » ou non, mais qu’il est non identifié, du moins jusqu’à plus ample informé). Ne peut-on pas étendre cette conclusion à l’ensemble des images ? Ce qui caractérise une image n’est-il pas généralement le fait qu’elle sert à représenter quelque chose en son absence, de rendre présent l’absent, la présence réelle de « l’absent » n’étant qu’un cas particulier de la relation aux images, puisque justement elles sont destinées à permettre de se passer de la présence réelle de ce qu’elle représentent ? Ne doit-on pas dire que l’image rend présent plutôt que de faire référence, de dénoter ? On notera, à ce sujet, que lorsque nous comparons une image (par exemple, une photographie) à son modèle, nous comparons le plus souvent le percept de l’image avec une image mentale, avec le souvenir que nous avons de la personne (sauf dans le cas du polaroïd). De même, lorsque nous regardons le tableau de Rembrandt, il est probable que, pour décider de classer le représenté, nous comparons mentalement l’homme représenté à des images mentales d’hommes que nous possédons en mémoire ; il est moins probable que nous utilisions à cet effet une description du genre image-de-l’homme. Si Goodman affirmait que toute représentation d’un homme, qu’il existe ou non, est avant tout une image-d’homme, nous acquiescerions sans doute ; cela voudrait dire l’incontestable vérité que nous regardons d’abord un objet qui s’appelle image et qui, éventuellement, représente un homme, c’est-à-dire que nous n’avons commerce avec le message que par l’entremise du médium. Or, dit-il,
Ce qui est représenté par une image peut être dénoté par l’image en totalité ou par une partie d’elle même. (...) Songez à un portrait ordinaire du duc et de la duchesse de Wellington. L’image (en totalité) dénote le couple et (en partie) elle dénote le duc (p. 53).
38A moins que les contours de l’image ne coïncident avec les contours du couple, ce n’est qu’une partie de l’image qui dénote le couple, même si le fond peut être considéré comme moins significatif que le reste. En totalité, l’image est généralement le support de plusieurs dénotations partielles, éventuellement disjointes comme dans un collage.
Pour représenter, une image doit fonctionner comme un symbole par image ; à savoir, fonctionner dans un système tel que ce qui est dénoté dépende uniquement des propriétés d’image du symbole (p. 66).
39Cette proposition ne semble guère contestable, dans la mesure où elle énonce une tautologie. Les tautologies ont l’avantage d’être incontestables, mais aussi le défaut de ne rien énoncer que l’on ne sache déjà. Au terme de son premier chapitre, censément consacré à l’image, Goodman nous laisse avec cette évidence : l’image est un symbole spécifique. Il s’est surtout ingénié à expurger l’idée de représentation de quelques « idées qui la dénaturent » (p. 67) ; quant à spécifier l’image, la dénotation représentationnelle, il nous promet de traiter « plus tard » cette « question ardue ». La manière dont il la traitera est hautement significative. Pour cela, il faudra, en effet, qu’il passe par le thème de la notation, c’est-à-dire qu’il ait posé le problème de l’absence de notation au sens strict dans le cas de l’image. Une notation, c’est un système qui sert à coder un message donné à l’aide de symboles. Il est loin d’être innocent que Goodman ait recours à cette médiation d’un « vrai » système de symboles – ou, si l’on veut, d’un système de symboles au sens formel – pour traiter le problème de l’image. Une fois examinées les conditions qui définissent la notation (elles sont au nombre de cinq, deux syntaxiques et trois sémantiques), le travail se fait en deux étapes : la première consiste à se demander s’il y a une notation de la peinture (p. 233 sq.), la seconde, à convertir en propriétés positives les propriétés de la notation que l’image ne possède pas.
40A l’occasion d’une riche analyse du problème de l’authenticité32 en art, l’auteur identifie deux sortes de systèmes symboliques, ceux vis-à-vis desquels l’original se distingue du faux (système autographique), ceux vis-à-vis desquels la distinction n’existe pas (système allographique). Ainsi,
Une différence notable entre la peinture et la musique est que le compositeur a fini son travail lorsqu’il a écrit la partition, même si ce sont les exécutions qui sont les produits terminaux, tandis que le peintre doit achever le tableau (p. 147).
41Deux remarques à ce sujet. La question de l’achèvement de la peinture n’est pas aussi simple : une œuvre non finie est achevée en un sens, inachevée en un autre. Par ailleurs, si le musicien, c’est-à-dire le compositeur, a terminé son travail avec la partition, on ne peut pas dire que l’œuvre soit achevée tant qu’elle n’a pas été réalisée concrètement – dans les termes de la théorie institutionnelle, on peut dire que l’édition musicale accrédite la partition, mais que le système de la musique qui accrédite l’œuvre en tant qu’art nécessite sa présentation en concert. En outre, ce qui est vrai de la musique classique ne l’est pas de toute musique. Un morceau de jazz, même comprenant une partition, n’est achevé que lors de son exécution, étant donné la part d’improvisation qu’elle laisse au musicien. Négligeant ces subtilités, Goodman note qu’
un art établi devient allographique seulement lorsque la classification des objets ou des événements en œuvres est projetée légitimement à partir d’une classification antérieure et est complètement définie, indépendamment du procès de production, dans les termes d’un système notationnel (p. 237) ;
42or, d’une part, ce qui peut précéder la peinture, à savoir l’esquisse, ne fonctionne pas comme notation (p. 232) et, d’autre part, l’œuvre picturale est indéfectiblement liée à son procès de production.
43La seconde étape fait apparaître deux propriétés essentielles de la dénotation picturale : la densité et la saturation. La densité définit la depiction en général, non seulement pour le pictural, mais aussi pour « un thermomètre non gradué comme dépeignant la température »33 : un système dense est un système dont les symboles ne sont pas distingués en tant que caractères différenciés, mais syntaxiquement « se fondent les uns dans les autres » et sémantiquement produisent des dénotations non distinctives. La saturation caractérise la spécificité de la depiction picturale vis-à-vis de la depiction du thermomètre. Tandis que ce dernier présente une saturation minimale, portant sur la variation d’un seul aspect (« la hauteur de la colonne de mercure »), dans une peinture ce sont plusieurs variations d’aspects divers qui sont pertinentes. On en arrive alors à la conclusion que Goodman nomme « hérétique », en ce sens qu’elle ne correspondrait pas au discours habituel :
Les descriptions se distinguent des depictions non pas parce qu’elles sont plus arbitraires, mais en raison de leur appartenance à des schémas articulés plutôt qu’à des schémas denses ; et les mots sont plus conventionnels que les images, seulement si l’on interprète la conventionalité en termes de différenciation plutôt que d’artificialité. Rien ne dépend ici de la structure interne d’un symbole ; car ce qui est décrit dans certains systèmes peut dépeindre dans d’autres. La ressemblance disparaît en tant que critère de représentation, et la similarité structurale en tant que requisit pour un langage notationnel ou tout autre langage. Le distinction souvent soulignée entre signes iconiques et autres signes devient fugace et triviale ; c’est ainsi que l’hérésie engendre l’iconoclasme34.
44On voit donc que le grand projet de Goodman c’est de caractériser le fonctionnement symbolique en évitant la question de la nature des symboles. Ce qui compte c’est leur fonction, non leur nature. Lorsqu’il traite de la référence, l’auteur dit : « Comme relation de base, la référence ne sera pas définie mais plutôt expliquée en distinguant et en comparant ses multiples formes35. » Or, l’étude des variétés de référence est tout entière déterminée par le modèle de la description, c’est-à-dire de la dénotation linguistique, sur laquelle on peut jouer dans deux sens. Dans le sens premier, l’image dénote un objet à condition que cet objet existe ; dans le sens second, qui permet de caractériser l’image à extension nulle, c’est l’image qui est dénotée par la description que nous en faisons. Ce second sens est étendu aux propriétés des objets comme la couleur : « L’image ne dénote pas la couleur grise, elle est dénotée par le prédicat “gris”36. » Dénoter ou être dénoté, telle est la question ! En fait, la dénotation par l’image se résume à la référence au sens le plus plat (l’image renvoie censément à telle chose ou tel homme) ; l’essentiel est constitué par la dénotation de l’image (fiction, propriétés, expression), c’est-à-dire le commentaire linguistique (prédicat) que nous faisons sur l’image. La relation entre une image et ce qu’elle dénote (ou représente) est analogue « à la relation entre un prédicat et ce à quoi il s’applique » (p. 35) et dépend comme elle de l’« implantation » : l’image ne ressemble pas à ce qu’elle représente, elle y fait simplement référence en fonction d’une habitude culturelle. Il n’y a donc aucune raison pour que la théorie de Goodman nous apprenne quelque chose sur la nature de l’image : tout est fait pour éviter cette question, après que tout ait été fait pour nous convaincre qu’elle n’est pas une bonne question.
45Mais où est donc passé l’art dans cette discussion ? Rappelons que Goodman prétend parler non point du discours sur l’art, mais de l’art (de l’expression par l’entremise de la référence), qu’il prétend décrire les systèmes appropriés à l’art et qu’il prétend rendre compte du fonctionnement de l’art – le « quand » au lieu du « qu’est-ce que ». Le thème central de la référence, ou du symbolisme, aboutit à privilégier les prédicats sur l’œuvre plutôt que ce qu’elle dénote en tant qu’œuvre ; les systèmes appropriés à l’art sont les systèmes sur lesquels l’art s’appuie, non point des systèmes propres à l’art ; le fonctionnement de l’art, c’est son rattachement au symbolisme, non point sa spécificité en tant qu’art. On donnerait raison à Goodman de détacher l’analyse des propriétés de l’image des propriétés de l’art, puisqu’il existe quantité d’images qui ne fonctionnent pas comme art, n’était que son analyse de l’image ne veut pas nous renseigner non plus sur la nature propre de l’image. On lui donnerait également raison de vouloir montrer que l’image comme art est un symbolisme particulier, non réductible aux propriétés spécifiques de l’image, n’était que son analyse du symbolisme de l’image ne nous renseigne pas sur la nature de l’art, mais sur la nature du symbolisme en général. Cela ne veut certainement pas dire que tout soit à rejeter dans sa théorie. Cela nous donne simplement l’exemple d’une théorie qui tourne autour de son sujet supposé sans l’aborder vraiment, parce que son sujet profond est tout autre : montrer l’emprise du langage sur la relation aux objets de l’art et l’emprise de ces derniers sur le langage. Sachant que, au contraire du discours sur le texte, le discours sur l’image utilise un métalangage disjoint du « langage » de l’image, le va-et-vient opéré par Goodman offre une entière sécurité.
46L’auteur est péremptoire lorsqu’il affirme que « fonctionner comme symbole d’une manière ou d’une autre n’est pas en soi fonctionner comme œuvre d’art », mais il ne l’est pas moins pour affirmer que
La question de savoir quelles caractéristiques précises distinguent ou indiquent la symbolisation qui rend un objet capable de fonctionner comme œuvre d’art appelle une étude attentative à la lumière d’une théorie générale des symboles37.
47Mais au moment où l’on pense qu’il va définir les caractéristiques du fonctionnement symbolique comme art, Goodman adopte un profil bas : on ne peut pas les définir, avance-t-il, on peut tout juste en identifier quelques symptômes (densité syntaxique et sémantique, saturation, exemplification, multiréférence) qui, comme les symptômes d’une maladie qui ne garantissent pas que le malade possède cette maladie, ne sont que des indices indiquant la probabilité du caractère artistique (p. 92). En fait, on ne peut pas dire ce qu’est une œuvre d’art, puisque, comme on l’a vu, on ne peut pas répondre à la question : « Qu’est-ce que l’art ? » L’impossibilité de répondre à la question de la nature de l’art induit Weitz à définir l’art comme un concept ouvert, toujours changeant, jamais clos. Pour Goodman, le caractère ouvert des concepts décrit leur statut préscientifique, mais le rôle de la science ou de la philosophie est de les clarifier, rectifier et systématiser, sans qu’il soit davantage besoin de rendre compte de chaque détail qu’« une carte nécessite de montrer chaque arbre ou de changer de couleur (turn red) à l’automne »38. Dans les limites de la simplification propre à la théorie, les symptômes de l’art clarifient et systématisent des traits du concept présystématique de l’art (ils tendent à poser des « conditions disjonctivement nécessaires et conjonctivement suffisantes »39). Le rejet de la nature de l’art comme sujet de l’esthétique provient moins, selon Goodman, de la nature de son concept que du fait qu’il s’agit d’un mauvais sujet, d’un faux problème. Au lieu de discerner le concept d’art des concepts scientifiques, il propose une théorie où l’on refuse la dissociation de l’esthétique et du cognitif40 : « En étudiant les symboles, la philosophie analytique donne un fondement commun à l’art et à la science grâce auquel leurs intérêts spécifiques se recoupent » (p. 87). Pour distinguer l’art de la science, il faut d’abord les rapprocher.
48Néanmoins, il parvient à identifier un dénominateur commun de ces symptômes : ils « tendent à centrer l’attention sur le symbole plutôt que, ou au moins en même temps que, sur ce à quoi il réfère » (p. 208). On a vu, plus haut, que cette manière de focaliser sur le symbole lui-même est un trait qui distingue l’art de la science. La science serait symboliquement transparente, l’art symboliquement opaque. L’idée selon laquelle la science est translucide est un grand sujet de discussion, par exemple si l’on considère des sciences qui ne se plient pas aux exigences radicales des sciences exactes, mais le but de Goodman est simplement d’introduire la comparaison avec l’art. L’opacité est une propriété qui se déduit de l’absence de transparence : indétermination du symbole, caractère flou du référent, complexité des dénotations, etc. ; parce que nous sommes dans l’impossibilité de passer à travers le symbole (« comme nous le faisons en obéissant à des feux de signalisation [sic] ou en lisant des textes scientifiques »), nous reportons notre intérêt sur le symbole. Abstraction faite de son caractère négatif, où l’on identifie quelque chose comme une pointe de regret, cette conception rejoint celle de nombreux théoriciens, par exemple Jakobson et sa théorie de la fonction poétique comme accentuation du message pour lui-même41. Il y a toutefois une différence entre la théorie de Goodman et celle de Jakobson qui éclaire la première : pour le linguiste, la fonction poétique est une fonction distinctive du langage (et non pas simplement de la poésie, de l’usage artistique du langage) ; pour Goodman, c’est affaire de degré : « parmi les schémas denses la différence entre le représentationnel et le diagrammatique est une question de degré42. » En somme, l’art ne se différencie jamais totalement du reste : il y a art quand on s’éloigne de la science et il y a des degrés d’art suivant le degré d’éloignement. L’esthétique analytique est fidèle à son épithète : elle « ne prétend plus fournir des descriptions complètes et finales de la signification »43. Est-ce un résultat, qu’imposerait un cheminement inévitable, ou un parti pris ? C’est en tout cas le résultat d’une méthode qui consiste à appliquer (étendre et adapter) aux symboles artistiques « les techniques analytiques originellement inventées pour expliquer le langage » (p. 85).
49Il est utile d’évoquer spécialement la critique goodmanienne de la ressemblance, de l’imitation et du réalisme, un ensemble de vieilles conceptions qui nous illusionnent sur le caractère illusionniste de l’image ; bien qu’elle soit solidaire du reste de la théorie du philosophe et que, à ce titre, elle prête le flanc aux mêmes questions, on serait d’emblée tenté de se ranger à cette critique qui passe par des propositions apparemment incontestables : « En représentant un objet, nous ne copions pas » une version ou une interprétation de cet objet, « nous la réalisons »44 ; « L’œil uniquement accoutumé à la peinture orientale ne comprend pas immédiatement une image en perspective » (p. 42) ; « (...) la représentation réaliste ne repose pas sur l’imitation, l’illusion ou l’information, mais sur l’inculcation » (p. 63). Mais, après examen plus étroit, on accumule de nombreuses raisons de douter. Deux points me paraissent cruciaux à cet égard. Goodman dénonce comme faute la phrase : « A représente B si et seulement si A ressemble à B d’une manière appréciable. » Il démontre que la ressemblance n’est pas une condition suffisante de la représentation : deux objets qui se ressemblent ne se représentent pas forcément l’un l’autre. Il démontre aussi que la ressemblance n’est pas une condition nécessaire de la représentation : « presque tout peut valoir pour n’importe quoi d’autre » (p. 35). Soit l’une des toiles de Cézanne intitulées la Montagne Sainte-Victoire : la montagne peinte y figurant comporte un certain agencement iconique qui ressemble censément à la montagne Sainte-Victoire que l’on peut voir du côté d’Aix-en-Provence, pour la bonne et simple raison que cette montagne est une source du tableau et que celui-ci est une représentation qui transforme fortement cette source, sans néanmoins abolir la ressemblance. Il paraît tout à fait juste d’affirmer que le signe montagne du tableau ressemble à la montagne réelle et que n’importe quoi ne peut pas valoir comme représentation de la montagne Sainte-Victoire. Si un peintre décidait de dessiner une locomotive et d’intituler sa toile la Montagne Sainte-Victoire, il ferait, certes, usage de la liberté du symbolisme que prone Goodman, mais cela supprimerait tout bonnement le problème de la ressemblance. Ce dernier se pose, notamment, quand une représentation est faite à partir d’un modèle extérieur (quoique la ressemblance avec un modèle intérieur, avec une image mentale, ne soit pas non plus à écarter) et s’efforce d’en offrir une simulation plus ou moins « fidèle ». Or, l’essentiel n’est pas là ; il est plutôt de savoir si cette simulation est le but de la représentation (et donc de l’art) ou l’un de ses moyens. A cet égard, il convient de dire que le tableau de Cézanne ne représente pas la montagne réelle, en ce sens que son but fondamental n’est pas d’exhiber cette référence comme une carte postale ou une photographie dans un guide touristique. Et ce but du tableau, il est clair qu’il caractérise essentiellement une manière spécifique de concevoir l’usage que l’on peut faire d’un subjectile.
50Le second point concerne le refus de l’œil innocent que Goodman partage avec Gombrich45. Il aboutit à considérer que l’activité du spectateur de l’image est moins déterminée par la nature de l’image que par le fait que tout spectateur possède un savoir, des normes inculquées, des habitudes. Ce fait est patent, mais il n’explique rien au sujet de l’image en tant que telle, ni en tant qu’art. Il s’ensuit de cette critique que le spectateur de l’image est assimilé au lecteur d’un texte : « Les images en perspective, comme n’importe quelles autres, doivent être lues ; et la capacité de lire s’acquiert46. » Dans cette conception, qui révèle à nouveau la toute-puissance sous-jacente du modèle linguistique, l’activité référentielle prend tout son poids au détriment de la communication avec les aspects spécifiques de l’image. Qu’en est-il alors des images abstraites, dans lesquelles ces aspects, non seulement prédominent, mais saturent l’image ? Elles n’ont pas une dénotation nulle, mais aucune dénotation du tout (au sens plat). On ne peut toutefois pas nier leur existence, car, à la différence des entités abstraites, elles sont ... concrètes.
Ainsi, à propos d’une image comme de n’importe quelle autre étiquette, écrit Goodman, il se pose toujours deux questions : ce qu’elle représente (ou décrit) et la sorte de représentation (ou de description) qu’elle est. La première question demande à quels objets, s’il y en a, elle s’applique en tant qu’étiquette ; et la seconde demande laquelle, parmi certaines étiquettes, s’applique à elle (p. 56).
51Concernant l’image abstraite seule la seconde question se pose censément, mais je crois qu’elle se pose autrement. La proposition contient l’amorce d’une distinction entre deux sens de la notion de la représentation : le renvoi et la manière, c’est-à-dire ce que l’image dénote et la manière dont elle dénote. Le problème, pour Goodman, c’est justement de réduire le second sens à la dénotation ou, ce qui revient au même, à la description ; c’est donc de réduire la picturalité à la depiction. La théorie de l’art, me semble-t-il, exige une autre conception de la représentation, celle qui s’étend à toutes sortes de peinture, aux caractères spécifiquement picturaux ou plastiques, celle donc qui fait dire à Meyer Schapiro que toute peinture est abstraite par nature47.
On encense parfois des peintures abstraites et des œuvres musicales parce qu’elles ne représentent ni n’expriment rien, parce qu’elles sont « pures », absolument non référentielles. Ce qui importe, affirme-t-on, est l’œuvre elle-même, ses traits, pas ce à quoi elle renvoie ou réfère48 :
52pour Goodman, une telle conception serait la ruine de son fonds de commerce. Si des œuvres ne réfèrent à rien, la théorie des symboles ne s’applique pas à elles, et elle rencontre une exception qui fait échec à son aspiration à l’universalité. Si la théorie trouve le moyen de récupérer cette pensée rebelle à la référence par le biais de l’exemplification entendue comme mode particulier de la référence, il est probable que, en ajoutant « tout comme l’échantillon du tailleur réfère à certains et pas à d’autres traits », elle sort, pour ainsi dire, l’argument de trop. L’échantillon exemplifie un aspect d’un costume à venir ; l’œuvre d’art s’exemplifie elle-même, si l’on veut continuer à utiliser le mot. Or, la théorie pure qui isole dans une sphère autonome les propriétés de l’œuvre abstraite a fortement partie liée avec cette auto-exemplification. Au lieu de concevoir les propriétés plastiques comme des moyens de la figuration, l’abstraction « focalise » sur elles en tant que finalité de la représentation (au sens non mimétique du terme). On ne peut pas rayer d’un trait de plume, aussi habile ou appuyé soit-il, la théorie d’une peinture qui, par-delà un genre pictural, travaille la picturalité elle-même. Les œuvres abstraites n’ont besoin ni d’encensoir ni de récupération théorique ; si tant est qu’elles aient besoin de quelque chose, c’est d’une théorie capable de rivaliser avec leur puissance conceptuelle.
***
53« Nous pouvons mettre au rebut le mythe absurde et maladroit de l’insularité de l’expérience esthétique » écrit Goodman49. On peut appréhender l’effort intellectuel du philosophe de deux façons : d’une part, comme une tentative pour neutraliser les différences entre art et science, par-delà la reconnaissance de certaines de leur spécificité, en mettant l’esthétique et l’épistémologie sous l’aile protectrice d’une théorie générale des symboles – la science n’y perd pas grand-chose, l’art y gagne un statut cognitif ; d’autre part, si l’on fait référence aux pointes d’humeur que révélent, çà et là, quelques citations pareilles à la précédente, comme une volonté inexorable de faire justice de préjugés et de prénotions qui entacheraient l’idéologie artistique, à commencer par le mythe de l’intériorité. Il est clair que, chez Goodman, ces deux manières fonctionnent bien ensemble, dans une sorte d’accord parfait réglé à l’horloge d’une logique imparable (et il ne répugne pas à l’auteur de signifier lui-même qu’il la tient pour telle). Or, si l’on peut être enclin à épouser la critique des préjugés, justement parce qu’elle satisfait l’esprit critique, on ne peut manquer de se poser des questions au sujet du lien qui la noue avec une théorie dont l’effet essentiel est d’édulcorer l’art sous prétexte de conquérir pour lui un nouveau territoire.
54En gros, dans un premier temps, l’esthétique doit être dépouillée de toutes les vieilleries qui l’encombrent aux yeux d’un nominaliste ; la table rase est sévère, puisqu’elle entraîne l’éradication d’à peu près toute la littérature esthétique. Dans un second temps, la théorie générale des symboles fournit un moule où le concept d’art peut être formé et sur la base de quoi le sens de l’expérience de l’art pourra être réévalué : c’est ainsi que la dimension esthétique réapparaît comme une spécification de la dimension cognitive conférée à l’art. Tout semble bien fonctionner dans ce système, jusqu’au moment où s’effectue cette réapparition. Le projet de traiter l’art comme objet cognitif est un projet parmi d’autres, sans aucun doute susceptible d’éclairer un aspect de l’art. Mais le projet d’imposer au concept d’art une norme cognitive donne à cet aspect un rôle prédominant, vis-à-vis duquel le retour de l’esthétique prend la forme d’une concession, par exemple la reconnaissance de l’aspect affectif dans l’art, mais réduite à n’être qu’une modalité subsidiaire de la communication avec le sens des œuvres : « Les émotions raffinées, les perceptions fines ont une valeur esthétique parce qu’elle nous rendent capables de discerner, de distinguer des aspects subtilement signifiants d’une œuvre50 ».
55Un telle proposition est évidemment réversible : l’activité cognitive est tout aussi bien une modalité d’accès aux émotions artistiques. Nombre d’entre nous ont mainte fois fait l’expérience du fait que l’acquisition d’un savoir historique ou structural sur un type d’œuvre auquel nous étions a priori réfractaires nous ouvre la possibilité de sentir cette œuvre, de participer à un contenu émotif qu’elle recèle virtuellement51. Parfois le cognitif domine, parfois l’affectif prime. Tant que l’esthétique de Goodman demeure essentiellement une théorie qui se passe de l’esthétique, de sa tradition et de ses problèmes, on peut la juger à l’aune du point de vue de pertinence qu’elle pose avec une rigueur et une assurance remarquables ; dès lors qu’elle repart en arrière pour récupérer des problèmes esthétiques préalablement évacués, on est en droit de la regarder avec une certaine sévérité et surtout de tenir pour une conséquence malheureuse de sa rigueur (de son excès de rigueur, voire de son rigorisme) la déception qu’elle nous procure à aborder in fine des questions dont elle avait dénié au préalable la pertinence.
56On peut s’interroger sur le primat du cognitif, on peut aussi se poser des questions au sujet des éliminations que ce postulat entraîne dans son sillage peu ou prou nécessairement, c’est-à-dire sur la portée de la critique des préjugés que Goodman affectionne.
Depuis longtemps, écrit-il, la philosophie soutient l’opinion commune en délimitant prétentieusement des frontières impénétrables entre les domaines [de l’art et de la science] (p. 82).
57En fait, cette façon qu’a le philosophe de se désolidariser de la philosophie, eu égard à sa supposée complicité avec l’opinion commune, est un lieu commun de la philosophie aussi vieux qu’elle : c’est le préjugé qu’elle a, et elle seule, la capacité de s’affranchir de tout préjugé. Platon construit tout son système sur la réfutation du médiateur de l’opinion, du sophiste. La pensée de Wittgenstein résonne d’échos platoniciens lorsqu’il affirme : « La philosophie est la lutte contre l’ensorcellement de notre entendement par les moyens du langage52 ».
58La philosophie me semble pouvoir, aujourd’hui, manifester une vision moins étriquée des choses de l’esprit. Sous l’influence de la sociologie moderne par exemple, on est en mesure de prendre de salutaires distances avec la distance théorique qu’introduit ce genre d’optique traditionnelle, de repenser la pensée prénotionnelle plutôt que de l’expulser de la théorie. Ainsi, les préjugés mis à la porte par Goodman risquent fort de rentrer par la fenêtre, dans la mesure où ils font partie de la pratique de l’art : l’art s’adresse à eux, par l’entremise des créateurs et des récepteurs qui les partagent possiblement. Si l’intériorité est un mythe, comme le disent ses adversaires pour la dénigrer, cela veut dire justement qu’elle fait partie des fondements de la pratique de l’art. La théorie dénonce l’illusion du contenu de ce mythe, elle ne peut rien faire contre l’efficacité de cette illusion dans la pratique. Il ne s’agit pas de prendre partie pour ou contre l’intériorité, mais de souligner le fait qu’en construisant un bon objet pour la théorie, purifié de toute adhérence idéologique, on se coupe de tout espoir d’entrer en communication avec le « mauvais » objet qui fonctionne, en tout état de cause, dans la réalité. Si l’esthétique dite traditionnelle ne nous satisfait pas, ce n’est certainement pas parce qu’elle s’est échinée à traiter de faux problèmes ; si l’esthétique analytique nous laisse sur notre faim, c’est sans aucun doute parce qu’elle évite les problèmes que l’on a l’habitude d’attribuer à l’esthétique.
Notes de bas de page
1 Esthétique et Connaissance, Pour changer de sujet, trad. par Robert Pouivet, Combas, Éditions de l’Éclat, Coll. « Tiré à part », 1990, p. 83. Certains textes de ce recueil réunissant divers articles publiés dans des revues sont écrits en collaboration avec Catherine Z. Elgin.
2 Op. cit., p. 27.
3 Esthétique et Connaissance., op. cit., p. 17.
4 Cf. la note 4 dans « Les voies de la référence » : « En tant que nominaliste, je souhaiterais qu’un éventuel compte-rendu s’abstienne de remarques sur les traits ou les propriétés », ibid., p. 21.
5 « Steps Toward a Constructive Nominalism » (en collaboration avec W. V. Quine), Journal of Symbolic Logic, vol. 12, 1947 ; repris dans Problems and Projects, Indianapolis, New York, The Bobbs-Merrill Company, Inc., 1972, p. 173.
6 « Changer de sujet » (« Changing the Subject », en collaboration avec Catherine Z. Elgin, Analytic Aesthetics, éd. par R. Shusterman, Oxford, Blackwell, 1989), in Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 84.
7 « Les voies de la référence » (« Routes of Reference », in Of Minds and other Matters, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1984), ibid., p. 17.
8 « The New Riddle of Induction », in Fact, Fiction and Forecast, Cambridge Mass., London, Harvard University Press, 1979-83, p. 59 sq.
9 Ibid., p. 81. (cf. Jean Lacoste, La Philosophie du XXe siècle, Paris, Hatier, Philosopher au présent, 1988, p. 77-79).
10 « The Revision of Philosophy », in American Philosophers at Work, éd. par Sydney Hook, New York, Criterion Books, 1956 ; repris dans Problems and Projects, op. cit., p. 23.
11 Manières de faire des mondes, trad. par Marie-Dominique Popelard, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, Coll. « Rayon-art », 1990, p. 10. (Ways of Worldmaking, Indianapolis-Cambridge, Hackett Publishing Company, 1978)
12 Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 85.
13 Le Système des objets, la Consommation des signes, Paris, Denoël/Gonthier, Coll. « Médiations », no 93, Éditions Gallimard, 1968, p. 234.
14 Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 85.
15 « Quand y a-t-il art? », in Philosophie analytique et Esthétique, op. cit., pp. 199, 206-207 (« When is art? », in The Arts and Cognition, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1977, repris dans Ways of Worldmaking, Indianapolis-Cambridge, Hackett Publishing Company, 1978, chap. 4 ; Manières de faire des mondes, op. cit.).
16 Placid Civic Monument, 1er octobre 1967.
17 Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 21.
18 Philosophie analytique et Esthétique, op. cit., p. 207.
19 Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 22.
20 Philosophie analytique et Esthétique, op. cit., p. 206.
21 « Implementation of the Arts », Journal of Aesthetics and Art Criticism, vol. XL, no 3, printemps 1982, p. 282.
22 Duchamp du signe, op. cit., p. 49, note 3.
23 « Steps Toward a Constructive Nominalism », Journal of Symbolic Logic, vol. 12, 1947, p. 105.
24 Certes, Goodman fait référence au trou d’Oldenburg au début de son raisonnement, mais il abandonne cet exemple, préférant presque toujours délaisser le terrain des faits pour celui des exemples pseudo-concrets plus ou moins définis : un galet quelconque et n’importe quel Rembrandt. Dans la Transfiguration du banal, Danto utilise un procédé comparable à propos du problème de l’indiscernabilité des répliques d’œuvres quant il s’agit de monochromes (op. cit., p. 29-30).
25 Duchamp du signe, op. cit., p. 49.
26 Cf. dans le même ordre d’idées, la superbe méditation de Jean Genet sur l’art et sur lui-même intitulée : « Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes », in Œuvres complètes, vol. 4, Paris, Gallimard, nrf, 1968, pp. 19-31.
27 Review of Metaphysics, vol. 14, p. 49.
28 Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 86.
29 Ibid., p. 23.
30 En langue française, eu égard à l’absence d’équivalent pour depiction, on trouve moins « naturel » qu’en langue anglaise l’assimilation de dépeindre à décrire. Je propose de profiter de cette aubaine, en évitant, contrairement à l’excellente traduction de Langages de l’art, d’écarter toute traduction du mot.
31 Langages de l’art, op. cit., p. 64.
32 Cf. à ce sujet, l’article de Lucien Stéphan, « Le vrai, l’authentique, le faux », les Cahiers du musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, été 1991, p. 36.
33 Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 20.
34 Langages de l’art, op. cit., p. 274.
35 Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 17.
36 Langages de l’art, op. cit., p. 85.
37 Philosophie analytique et Esthétique, op. cit., p. 207.
38 « Reply to Morris Weitz », in Problems and Projects, op. cit., p. 134.
39 Manières de faire des mondes, op. cit., p. 92 ; Problems and Projects, op. cit., p. 134.
40 « Changer de sujet », Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 84.
41 Cf. Essais de linguistique générale, Paris, Éditions de Minuit, Coll. « Points », 1963.
42 Langages de l’art, op. cit., p. 273.
43 Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 91.
44 Langages de l’art, op. cit., p. 38
45 Cf. l’Art et l’Illusion, Paris, Éditions Gallimard, nrf, Bibliothèque des Sciences Humaines, 1971 (éd. américaine, 1959).
46 Langages de l’art, op. cit., p. 42.
47 « Nature of Abstract Art » (1937), in Modem Art, 19th & 20th Centuries, Selected Papers, New York, George Brazillier, 1978-79, p. 185 (trad. en français sous le titre « La nature sociale de l’art abstrait », dans les Cahiers du musée national d’art moderne, no 4, avril-juin, p. 271).
48 Esthétique et Connaissance., op. cit., p. 22.
49 Langages de l’art, op. cit., p. 303.
50 Esthétique et Connaissance, op. cit., p. 88.
51 Cette idée est exprimée, en d’autres termes, par Stolnitz comme on l’a vu dans le chapitre le concernant : « Si on a eu la chance d’étudier la littérature avec un professeur capable, on sait comme une pièce ou un roman peuvent devenir pleins de vitalité et d’attrait quand on apprend à chercher les détails auxquels on était auparavant insensible ».
52 Investigations, § 109, op. cit., p. 165.
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