Avant-propos
p. 5-6
Texte intégral
1L’image ne se donne pas à voir immédiatement et de plein droit. Pour la rencontrer, le regard doit se soutenir d’une attente : il lui faut supposer une idée d’image et en construire les formes abstraites. Lorsqu’il s’attache à une représentation, l’œil en effet vacille : se focalise-t-il sur le sujet représenté, il oublie le support ; vise-t-il l’objet lui-même, ses contours, sa disposition, le sujet alors lui échappe ; et s’il se porte sur la figuration, sujet et objet s’évanouissent ensemble. Seule une visée accomplie sur son parcours peut, entre le thème, la manière et le matériau, faire surgir de ses virtualités la force d’une figure.
2Jouant sur la dissimulation qui est au cœur même de l’image, Marie-Claire Ropars en dévoile les mécanismes paradoxaux. L’image en effet montre et efface ce qu’elle montre ; sa prétention à faire voir fonde à la fois son évidence et son évanescence. Cherchant la figure dans sa version la moins figurative, celle que veut construire le texte, l’auteur voyage de la lettre au lieu et du lieu au tableau ; par les traverses vénitiennes, elle nous conduit des petits maîtres flamands aux graphes illisibles de Gilberte que Proust esquisse derrière la « belle place nocturne » entrevue et non retrouvée. À travers des analyses très concrètes d’œuvres saisies dans leur matérialité picturale ou littérale, s’organisent les miroitements où l’image ne renvoie jamais qu’à ce qu’elle pourrait être.
3Reprenant des textes qui associent littérarité et peinture, le livre marque comment l’image ne s’affirme qu’à travers l’élan de la vision. Le pari de la collection « Esthétiques hors cadre » est ici largement tenu dans sa double orientation théorique et transversale. L’idée de figuration permet d’interroger, en les confrontant et en les amenant à réagir l’une sur l’autre, différentes pratiques esthétiques. Elle fait ainsi jouer, au-delà de la simple reproduction analogique, la figure comme projet. L’ouvrage privilégie donc des fragments dans lesquels la trace du geste figuratif l’emporte sur l’imitation du mouvement : la Belle Noiseuse, tableau jamais achevé de Frenhofer, nous fait grâce à Balzac circuler de Klee à Godard, à travers les miroirs qui ornent la chambre des époux Arnolfini et le Bar des Folies-Bergères. Tous ces renvois, qui sont en même temps des citations, ne sont mis en scène que pour faire rebondir le regard : c’est le principe même de l’image qui ne fait sens que par la circulation qu’elle organise.
4Une des questions que nous pose le texte de Marie-Claire Ropars tient à l’ambiguïté du rapport de l’image à l’imaginaire. Voir c’est inventer mais l’on n’invente pas sans donner consistance à cette représentation vers laquelle tend l’image ni sans supposer, au-delà de l’image, ce qu’attend le regard. Mais l’idée d’image surgit-elle de la série constituée par les textes comme le suggèrent les analyses de l’auteur ? Est-ce le film de Straub et Huillet qui, juxtaposant interminablement ses toiles, permet de voir ce que construirait Cézanne, en effaçant ses paysages ? Est-ce la litanie de la description maniaque proposée par Robbe-Grillet qui convoque La femme à la cafetière ? Peut-on, pour rassembler les traces d’autres figures, ne s’en tenir qu’aux textes et se passer d’un sujet de la vision, qui construise l’image sur des souvenirs que cette dernière suscite et qui la voilent ?
5Intraitable dans la visée théorique, Marie-Claire Ropars séduit ici par la variété, la subtilité et l’éclat des aperçus qu’elle offre sur des peintures, des séquences, des pages qu’on croyait pourtant bien connues. La sensibilité du regard dans lequel celles-ci sont prises ouvre à de nouveaux parcours moins visuels qu’intellectuels. Car c’est au fond à la lecture du double jeu de l’image et de la pensée, dans leur réciprocité fondatrice, que veut nous conduire L’idée d’image.
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