Que peut la science pour l’art ?
De la saisie du différentiel dans la pensée de l’art
p. 73-82
Texte intégral
1Le sens et le nouveau dans la création procèdent toujours d’une mise en opération de ce qu’on peut appeler du « différentiel » quelle que soit la nature des éléments qui en sont le support. Il incombe à l’interprétation d’échapper aux pièges du réductionnisme pour en assurer la saisie pleine et entière, en créant les conditions d’une libre circulation et d’une interaction multidirectionnelle entre ces éléments, étant bien entendu que la situation individuelle et historique de l’observateur jouera un rôle déterminant dans les modes de saisie proposés. Ce raisonnement peut, nous semble-t-il, valoir pour la pensée de l’art en général aussi bien que pour la critique des œuvres particulières, cette affirmation reposant sur la conviction d’une analogie suffisante entre les deux objets.
2Or, la mise en opération du différentiel, comme les modalités de sa saisie sont soumises aux changements épistémiques et c’est la prise en compte de ces changements qui devrait nous permettre d’effectuer un déplacement de la pensée de l’art à partir de l’étude des œuvres artistiques dites « hybrides ». C’est à cette fin que nous effectuerons un excursus heuristique du côté des sciences et de l’épistémologie.
3La saisie du différentiel en art au cours du XXe siècle a été marquée par la manière dont artistes et critiques ont géré deux événements qui sont devenus des paradigmes du XXe siècle artistique : le collage et l’abstraction. Le collage met en jeu des processus de fragmentation, de dissémination et de recomposition ; de décontextualisation et de recontextualisation. Il pose aussi la question du voisinage, sur un même support, du trivial et de l’artistique. L’abstraction pose le problème de la représentation du concept en dehors de la figure qui l’incarne habituellement et de l’implication, dans cette opération, de la forme, de la couleur, du rythme et de la substance, de la multiplicité de leurs rapports possibles et des conditions de leur autonomie. Le premier de ces deux événements est lié de très près au phénomène de l’hybridité.
4Le détour obligé par le dictionnaire nous rappelle que si l’hétérogène est défini comme « n’ayant pas d’unité », « composé d’éléments de nature différente » (on lui accorde comme synonymes : « composite », « disparate », « divers », « hétéroclite »), l’hyhride se dit « d’un individu provenant du croisement de variétés, de races, d’espèces différentes », se définit comme « composé de deux éléments de nature différente anormalement réunis ; participant de deux ou plusieurs ensembles, genres, styles ». L’encyclopédie nous notifie qu’en génétique animale ou végétale le terme désigne le produit d’un croisement de deux espèces ou de deux genres différents présentant des caractères spécifiques des différents parents. L’hybridation générique animale est assez rare dans la nature (d’ailleurs c’est toujours le même exemple qu’on en donne : le mulet) ; l’hybridation interspécifique est plus fréquente, en particulier chez les végétaux. Le caractère relativement rare de l’hybridation s’explique par la dissemblance entre les génomes, c’est à dire le nombre et la structure des chromosomes : l’hybridation implique une homologie suffisante entre ceux-ci pour permettre leur coexistence au sein d’une même cellule. Si cette condition est réalisée, une information génétique composite peut alors s’exprimer, apparaissant comme une transfusion des potentialités héréditaires du génome d’une espèce dans celui d’une autre espèce : on dit qu’il y a eu « introgression ». L’hybride résultant du croisement manifeste une vigueur si exceptionnelle qu’on lui a donné un nom : « hétérosis ».
5Fidèle à ce qui fait la spécificité du concept ainsi défini, nous appellerons œuvres hybrides celles qui invitent à opérer une « transaction » entre des éléments ressentis d’emblée comme hétérogènes. L’opération de réception de ce type d’œuvre se fait donc en deux temps : dans un premier temps intervient la prise de conscience de l’hétérogénéité perçue comme un hiatus, un dissensus, comme la présence manifeste d’un élément asystémique dans le système ; dans un second temps, s’amorce une négociation dont la visée n’est pas une résolution de type dialectique impliquant la disparition de l’hétérogénéité, mais une mise en interaction des zones d’hétérogénéité afin de créer une nouvelle gamme de rapports, un nouveau type de coopération entre ces zones. Nous réserverons donc le terme d’hétérogène à l’objet décrit dans sa phase pré-transactionnelle et celui d’hybride au même objet considéré dans sa phase transactionnelle ou post-transactionelle.
6On pourra citer comme exemples d’œuvres hybrides celles qui rassemblent sur un même support ou dans un même espace-temps des sous-genres littéraires, picturaux ou musicaux différents – roman gothique et roman noir comme le roman de William Faulkner : Sanctuary ; musique classique et jazz comme la composition Music at Central Park de Charles Ives qui met en rivalité deux orchestres et deux morceaux, ou des modes artistiques différents – soit peinture et littérature comme dans de nombreux livres d’artistes (que nous distinguerons des livres d’écrivains illustrés par des plasticiens), soit photographie, peinture et littérature comme dans le travail de Dominique Maurizi récemment exposé à la galerie Claude Samuel à Paris (mai 2000), soit encore théâtre, film et vidéo comme dans une production new yorkaise représentée en France au printemps 2001 : House/Lights construite autour d’une pièce de théâtre de Gertrude Stein : Doctor Faustus Lights the Lights, de plusieurs extraits de films, et d’une production vidéo – ou encore des modes artistiques et non artistiques comme le font les collages des peintres cubistes qui juxtaposent et combinent dessins et coupures de journaux, ou les combine paintings de Rauschenberg qui font se côtoyer peinture et objets divers (ainsi de Canyon (1959), qui juxtapose au tableau un aigle noir et un paquet ficelé). Certaines « installations », construites autour de stylisations d’intérieurs contemporains (Martha Rosier, New York, The New Museum, 2001) où la dimension artistique se réduit au geste intronisateur de l’œuvre, en constituent des cas-limite.
7Ayant eu à réfléchir en 19971 au problème que posait la réception du livre d’artiste à partir de l’objet original réalisé conjointement par Biaise Cendrars et Sonia Delaunay : La Prose du transsibérien et de la petit Jehanne de France/représentation synchrome/peinture simultané/texte/Mme Delaunay-Terk Biaise Cendrars (l’objet se présente comme une bande de papier de 2 mètres de long pliée à la chinoise dans une petite boîte et comportant, à droite, le poème dont Cendrars et Delaunay avaient travaillé la mise en page avec des plans vides colorés et d’autres occupés par le texte imprimé avec des caractères différents (type et taille) et des encres de couleurs différentes, et, à gauche, une bande de peinture semi-abstraite, aux formes colorées réalisée par Sonia Delaunay), j’avais proposé quatre modalités d’approches possibles de ce type d’œuvre :
- La première et la plus simple serait de concevoir un tiers-terme capable d’établir un pontage entre les éléments disparates, d’introduire une unité englobante susceptible de rassembler et de relier les composants hétérogènes. Ce « tiersterme » peut être un « hors-texte » qui joue le rôle de contexte et rend l’interprétation possible et le sens attribuable. Les contextes ainsi créés sont souvent thématiques, mais on peut en imaginer de méta-textuels ou méta-génériques ou encore intertextuels ou inter-génériques.
- Une autre solution pourrait être d’instaurer un rapport d’intériorité/extériorité ou de supériorité/infériorité inexistant au départ entre les éléments en présence et de faire en quelque sorte « piloter » l’œuvre à tout de rôle par l’un des modes artistiques impliqués. Chaque mode artistique serait ainsi alternativement lu dans le code de l’autre ou des autres.
- Une troisième voie serait de saisir les modalités artistiques en présence à un niveau d’abstraction très élevé, de manière à ce que les formes et les rapports ainsi dégagés de part et d’autre puissent être mis en correspondance indépendamment de leur substrat (René Thom à sa manière nous y a encouragés).
- On pourrait enfin considérer qu’en voulant à toute force dégager un sens de l’œuvre hybride comme les trois premières stratégies cherchaient à le faire, on fait un contre-sens ; qu’une posture de réception plus attentive conduirait au contraire à jouer la carte de l’hétérogénéité, du dissensus et à laisser coexister librement les éléments dissemblables. On serait ainsi amené à adopter une démarche symétriquement inverse de la précédente en considérant que tous les substrats interagissent au niveau de leur matérialité la plus élémentaire (substance, couleur, rythme), et qu’il conviendrait simplement de ressentir, d’observer et d’étudier la circulation de l’énergie émise par les œuvres en présence, de tester leur performativité sensorielle. Il faut en effet remarquer que dans le cas de nombreuses œuvres récentes – performances ou installations-, la notion d’effectuation ou de performativité prend largement le pas sur l’idée de sens et plus encore sur celle de « beau », ce qui n’est pas sans poser la question d’une redéfinition de l’art contemporain souvent plus proche d’une sémiotique que d’une esthétique.
8Le problème essentiel que pose la saisie de l’objet d’art hybride et la pensée de l’art qui s’élabore à partir de lui étant bien l’invention de modes de saisie de l’objet global qui puissent intégrer sans les réduire ses constituants locaux hétérogènes, ou, pour le formuler différemment, la construction entre des éléments hétérogènes et discontinus d’un nouveau type de continuité qui soit à même de donner une identité et conférer du sens à l’ensemble, nous envisagerons maintenant quelles problématiques scientifiques parmi celles qui ont été amenées à élaborer dans des situations similaires certains développements originaux seraient susceptibles de nous fournir des éléments nouveaux pour penser cette question et affiner nos stratégies.
9Nous commencerons par la notion de « bruit » qui a été développée dans le cadre de la théorie de l’information au cours des années 1940-1950 (le livre de Shannon et Weaver est de 1949) et qui a ensuite été importée et retravaillée en biophysique par Henri Atlan (voir la théorie de l’« ordre par le bruit » exposée dans le livre Entre le Cristal et la fumée, 1979), et en sémiotique littéraire par Umberto Eco (L’Œuvre ouverte est paru en 1962 – traduction française : 1965-) et Iouri Lotman (la notion de « complexification par le bruit » a été exposée dans La Structure du texte artistique, paru en 1970 – traduction française : 1973-).
10La théorie de l’information identifie comme un « bruit » toute perturbation interne ou externe dans un système. Dans les systèmes simples, le bruit est une entrave à la bonne marche du système, un brouillage de la communication ou du fonctionnement. L’idée d’Atlan et de Lotman est que dans les systèmes complexes, (naturels et artificiels), le bruit qui s’est manifesté à un niveau X du système est en quelque sorte « travaillé » par le système qui trouve le moyen de l’intégrer à un niveau supérieur et d’en faire la source, à ce niveau Y, d’un sens nouveau ou d’une fonction nouvelle. D’un « moins » le système fait un « plus ». Il transforme une perturbation initiale en signification et démontre du même coup sa capacité à l’auto-organisation.
11Évoquons quelques exemples de la fécondité de la notion dans le domaine littéraire.
12Un ensemble d’irrégularités métriques – par exemple une série de spondées dans un sonnet dont le mètre de base est le pentamètre iambique – pourra cesser d’être perçu comme une perturbation prosodique pour apparaître comme un connecteur sémantique à partir du moment où la série de ces spondées, en trouvant un écho dans la série métaphorique avec laquelle ils coïncident, se révèle être un opérateur épistémique central pour la compréhension du poème2.
13Les exemples d’a-grammaticalité que l’on trouve en grand nombre dans l’œuvre du poète E. E. Cummings (« and april’s where we’re » à la fin du poème XXXVIII du recueil 1x1 ou le « He danced his did » du poème 29 du recueil 50 Poems étudié par N. Ruwet, G. Deleuze et J-J. Lecercle) ou encore le « en » de l’expression « l’ascension d’une terrasse en printemps » longuement analysé par Laurent Jenny dans le premier chapitre de La Parole singulière seraient d’autres exemples de « bruits » survenant à l’échelle du système linguistique et donnant lieu à complexification au niveau sémantique dans le cadre du système littéraire.
14Le détail de l’intégration de la perturbation à un niveau supérieur à celui où elle s’est produite, et des mécanismes qui y contribuent, est exploré par le bio-physicien Henri Atlan à l’aide d’un réseau d’automates encore appelé « réseau de neurones formels ». Ces réseaux sont des sortes de machines à apprendre ; ils ont l’avantage d’être parfaitement connus et contrôlés à l’entrée comme à la sortie, ce qui facilite l’observation et la compréhension de ce qui se passe dans l’intervalle. Ils sont utilisés pour modéliser les processus d’émergence dans les systèmes auto-organisateurs ; Atlan a exposé le résultat de ces travaux dans une série d’articles parus dans différentes revues3. Les mécanismes de l’émergence dans les systèmes complexes – émergence de propriété nouvelles et imprévisibles de systèmes dont on connaît pourtant parfaitement bien les données et les composantes de base – sont donc au cœur de l’étude.
15Ce que révèle l’expérience, c’est que le comportement des différents modules est dépendant de celui de ses voisins ; que la structure finale ne fait qu’exprimer la structure initiale mais différemment distribuée ; que la distribution des lois sur les éléments du réseau peut changer au cours de l’expérience, ce qui confirme la nécessité de forger une théorie des réseaux évolutifs, c’est-à-dire des réseaux dont la structure se modifie comme conséquence de leur fonctionnement. Les systèmes complexes relèvent, comme l’avait dit Chomsky, d’une « créativité qui change les règles ».
16Atlan constate également, au moment du passage d’un niveau à un autre, ce qui lui paraît être une propriété logique générale qui caractérise tout changement de niveau dans les organisations hiérarchiques, à savoir que les traits de distinction et de séparation qui servaient à différencier les éléments les uns des autres à un niveau élémentaire sont transformés en traits de réunion permettant de les unifier au niveau supérieur.
17Si l’on se pose la question de savoir ce que ce raisonnement pourrait apporter à la compréhension de l’œuvre hybride, on peut tenter d’imaginer les formes concrètes que prendrait ce processus de transformation de propriétés de distinction et de séparation en propriétés de réunion à partir du moment où les modalités hétérogènes sont engagées dans la coopération que réclame l’hybridité. Peut-on concevoir que certaines propriétés définissant l’identité spécifique de chaque modalité artistique à travers celles de leurs composants, puissent changer de fonction et s’associer aux propriétés de l’autre mode artistique pour fonder une nouvelle entité caractérisée par de nouvelles propriétés émergentes ? Prenons l’exemple d’un poème associé à une composition picturale. Tant que l’on considère le poème isolément, la forme des lettres qui contribue à leur identification a une fonctionnalité sémiotiquement orientée vers le langage comme système de signification. Mais la proximité de la représentation picturale peut faire que la forme des lettres au lieu de contribuer à identifier la lettre, puis le mot, puis la phrase, et enfin le texte dans lequel elle intervient, acquière une visibilité graphique qui prenne le pas sur sa lisibilité au point de lui valoir un changement d’identité et de fonctionnalité, l’amenant à tisser de nouveaux liens avec certains des éléments de la toile qui lui sera juxtaposée dans une composition picturale nouvelle.
18Cet exemple, comme les exemples littéraires de « bruits » dans le système littéraire, tendent à confirmer que ce qui permet le raisonnement d’Atlan comme celui que nous essayons de forger pour le matériau littéraire, c’est le polymorphisme des unités des systèmes complexes, polymorphisme appuyé sur une polysystémicité avérée. C’est parce qu’une unité est susceptible d’avoir une nature et une fonction X à un niveau, à un moment et pour un observateur donnés et une nature et une fonction Y à un autre niveau, à un autre moment et pour un autre observateur, qu’elle peut être un élément de complexification pour un système. Et si elle le peut, c’est parce que les éléments qui la composent sont non seulement sécables et recomposables à l’infini grâce à l’existence d’une double articulation – infrasémantique-sémantique dans le cas du langage, ou un équivalent forgé dans le cas d’autres systèmes – mais parce qu’ils ont la possibilité de changer de valeur par contamination contextuelle, sous la responsabilité d’un regard et d’un cerveau humains.
19On est ainsi conduit à se demander si l’art n’est pas un de ces lieux où la pensée se teste en même temps qu’elle teste le potentiel auto-organisateur des systèmes complexes. Le fait qu’un élément qui change de niveau et change de valeur garde une trace de la valeur précédente qui ne s’annule jamais complètement dans l’opération de transmutation devrait nous amener à étudier le rôle que joue cette mémoire d’une plurifonctionnalité sémiotique dans la définition de la complexité des œuvres.
20Le biologiste Francisco Varela précise cette hypothèse quand, évoquant, dans l’interview qu’il a donnée à la revue TLE en 1990, le problème de la morphogenèse, de l’émergence des formes en biologie, il définit ainsi le type de forme qui pourrait intéresser les littéraires : « la forme [...] au sens de cohérence donnée par cette espèce de résonance interne comme dans le modèle du style “système immunitaire” où il n’y a pas de forme au sens physique, littéral, mais au sens d’une identité de résonance ». « Ce qu’il faudrait », ajoute-t-il, « c’est redéfinir la notion d’identité en termes d’interaction plutôt que d’extension dans une forme et déceler quels sont les types de mécanismes de résonance interne qui vont faire émerger une forme plutôt qu’une autre4. » Si nous combinons les conclusions précédente avec cette incitation de Varela à distinguer deux sortes de formes : la forme au sens où nous l’entendons habituellement et un autre type de forme qui serait une forme virtuelle rendue possible par une « identité de résonance » et des « interactions » pratiquées au nom de cette idée de résonance, nous commençons à avoir une idée de la démarche conceptuelle à mettre en place. Il faudrait dans un premier temps défaire non seulement les formes artistiques engagées dans l’œuvre hybride mais défaire les notions mêmes de forme, de genre ou de mode, ce qui impliquerait de brouiller virtuellement leurs supports, d’inhiber leurs caractéristiques propres au profit de cette recherche d’une « identité de résonance », dont la notion deleuzienne de « multiplicité de coexistences virtuelles » s’approche de très près.
21C’est avec Deleuze que nous aimerions conclure le croisement science-littérature entrepris ici car il s’est avancé au plus loin dans l’élaboration de notions et de concepts qui déjouent la coupure à l’œuvre dans les modèles binaires et l’organisation hiérarchique de leurs catégories. Ainsi dans Mille Plateaux5, il lance l’idée d’une « mise en variation continue » :
Toute la question est de savoir si la langue supposée la même se définit par des invariants, ou au contraire par la ligne de variation continue qui la traverse. [...] Non seulement il y a autant d’énoncés que d’effectuations, mais l’ensemble des énoncés se trouve présent dans l’effectuation de l’un d’eux si bien que la ligne de variation est virtuelle, c’est à dire réelle sans être actuelle, continue par là même et quels que soient les sauts de l’énoncé. Mettre en variation continue, ce sera faire passer l’énoncé par toutes les variables phonologiques, syntaxiques, sémantiques, prosodiques qui peuvent l’affecter dans le plus court moment de temps.
22Il en vient ainsi à reconsidérer dans cette perspective la conception de l’« a-grammaticalité » :
L’a-grammaticalité [ne serait plus] un caractère contingent de la parole qui s’opposerait à la grammaticalité de la langue, mais au contraire le caractère idéal de la ligne qui met les variables grammaticales en état de variation continue. [...] On évitera de croire que l’expression atypique soit produite par les formes correctes successives ; c’est plutôt elle qui produit la mise en variation des formes correctes et les arrache à leur statut de constante. L’expression atypique constitue une pointe de déterritorialisation de la langue, elle joue le rôle de tenseur.
23Plus tard, il reprendra à propos de la littérature ces notions élaborées à propos de la langue et proposera dans un essai de Critique et Clinique : « Bégaya-t-il » la notion de « zone de variation » avec ses catégories paradoxales de « disjonctions inclusives » et « connexions réflexives ». Celles-ci nous emmènent vers la recherche d’un continuum qui ne peut se trouver que dans l’oscillation, dans l’hésitation constitutive de la paronomase, lieu privilégié où reformuler l’hybridité dont se nourrit et que réaffirme presqu’à chaque œuvre l’art contemporain.
Notes de bas de page
1 Noëlle Batt, « Le livre d’artiste : une œuvre émergente », dans Peinture et écriture 2, Editions la Différence, Paris, 1997.
2 J’ai développé ce point dans : « L’Entre-deux et le tiers, lieux d’émergence et d’invention. Problématiques », voir « L’Entre-deux », Claudine Verley (sous la dir. de), Les Cahiers du FORE LL no 6, Université de Poitiers, mars 1996.
3 Nous renvoyons ici plus directement à la communication d’Henri Atlan à la décade de Cerisy sur L’Auto-organisation (voir Paul Dumouchel, L’Auto-organisation, Seuil, Paris, 1983).
4 Francisco Varela, Interview, TLE no 8, Presses Universitaires de Vincennes, Saint-Denis, 1990, p. 175.
5 Gilles Deleuze, Mille Plateaux, Minuit, Paris, 1980, p. 119 et p. 126.
Auteur
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